Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier

Harvey (Succession de) et Groupe Alcan Métal primaire

2009 QCCLP 1258

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saguenay :

Le 23 février 2009

 

Région :

Saguenay–Lac-Saint-Jean

 

Dossier :

334443-02-0711

 

Dossier CSST :

130958622

 

Commissaire :

Réjean Bernard, juge administratif

 

Membres :

Jean-Eudes Lajoie, associations d’employeurs

 

Alain Hunter, associations syndicales

Assesseur :

Dr Yves Landry

______________________________________________________________________

 

 

 

Laurent Harvey (succession)

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Groupe Alcan Métal primaire

 

Partie intéressée

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

  1.                 Le 26 novembre 2007, la succession Laurent Harvey (Succession) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle elle conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), le 20 novembre 2007, à la suite d’une révision administrative.
  2.                 Par cette décision, la CSST confirme la décision initiale qu’elle a rendue le 3 octobre 2007 et déclare que la réclamation de la Succession est irrecevable, car elle aurait été déposée après l’expiration du délai prévu par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).   
  3.                 L’audience s’est tenue le 11 décembre 2008 à Saguenay. La Succession est représentée; monsieur Bruno Tremblay, représentant syndical, est présent. L’employeur, Groupe Alcan Métal Primaire, est représenté par procureur, lequel est accompagné de Me Jocelyne  Brunelle.  La cause a été mise en délibéré le même jour.
  4.                 Le travailleur avait produit avant l’audience, une lettre de monsieur André Dufour datée du 27 novembre 2008, coordonnateur en santé et sécurité auprès du Syndicat national des employés(es) de l’Aluminium d’Arvida (syndicat).
  5.                 L’employeur  produit à l’audience  :

        une revue de presse préparée par madame Jocelyne Brunelle relativement aux réclamations pour maladies professionnelles dans la région du Saguenay–Lac-St-Jean entre le 14 décembre 1983 et le 30 juillet 2006, lequel document est coté comme pièce E1 (40 onglets);

 

        la décision Succession Marcellin Bélanger et S.E.C.A.L., [1998] C.A.L.P. 392, (succession Bélanger), cotée comme pièce E-2;

 

        la décision CSST c. François Tremblay, [2002] C.L.P. 102, (succession François Tremblay), laquelle est cotée comme pièce E-3;

 

        un article de Denis Bouchard, « Décision favorable à sept extravailleurs d’Alcan », Le Quotidien, 22e année, no 178, 10 mai 2002,  p. 3, lequel est coté comme pièce E-4;

 

        les notes sténographiques du témoignage de monsieur André Dufour livré lors d’une audience tenue devant ce tribunal, le 3 juin 2008, dans l’affaire des successions Murray, Harvey, Larouche, Simard et Groupe Alcan Métal Primaire, 334432020711, lesquelles notes sont cotées comme pièce E-5.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

  1.                 La Succession demande au tribunal de déclarer que sa réclamation a été produite avant l’expiration du délai prévu par la loi et, de façon subsidiaire, qu’elle a soulevé un motif raisonnable justifiant de la relever des conséquences de son défaut.

LES FAITS

  1.                 Monsieur Laurent Harvey, le travailleur, a œuvré pour l’employeur de 1943 à 1985 à titre d’opérateur de ponts roulants. Son bulletin de décès indique qu’il est décédé le 12 janvier 2004, à l’âge de 82 ans, en raison d’une néoplasie pulmonaire du côté droit.
  2.                 Le 8 avril 2007, madame Sylvie Harvey, la fille du travailleur, signe un formulaire de réclamation. Le 14 août 2007, monsieur Daniel Harvey autorise, à titre  « [d’]exécuteur testamentaire », madame Harvey à effectuer des démarches dans le cadre d’une réclamation pour la maladie professionnelle qu’aurait contractée son père.
  3.                 Le 16 août suivant, madame Harvey confie à monsieur Dufour, coordonnateur en santé et sécurité au travail auprès du syndicat, le mandat d’agir comme représentant dans cette affaire.
  4.            Le 20 août, la CSST[2] demande à la Succession, notamment, de compléter  une annexe à la réclamation et un formulaire pour justifier la tardiveté de la réclamation. Ces documents sont signés par madame Bernadette Grenon, la veuve du travailleur, le 31 août 2007.
  5.            Le 3 octobre 2007, la CSST déclarait irrecevable la réclamation de la succession, car elle aurait été produite après l’expiration du délai prévu par la loi. Le 20 novembre 2007, la CSST confirmait cette décision dans le cadre d’une révision administrative.
  6.            Le 20 décembre 2007, la Succession déposait au greffe du tribunal une requête incidente visant à ordonner à l’employeur la communication des données concernant l’exposition du travailleur à certains produits. Le 11 juillet 2008, le tribunal rejetait cette requête, qu’il jugeait prématurée, la recevabilité de la réclamation n’ayant pas encore été débattue.

TÉMOINS DE LA SUCCESSION

Bernadette Grenon

  1.            Madame Grenon soutient qu’elle a appris que le travailleur était atteint d’un cancer du poumon lors de son hospitalisation survenue en janvier 2004. Selon ses dires, le médecin aurait annoncé la nouvelle à son fils, Michel, lequel aurait aussitôt informé la famille. Elle affirme qu’elle ignorait que cette maladie pouvait être liée à son travail.
  2.            Madame Grenon déclare que trois ans après le décès du travailleur, sa fille, Sylvie, l’aurait consultée pour la première fois, lors d’une réunion familiale, quant à d’éventuelles démarches à entreprendre auprès de la CSST. Cette réunion aurait eu lieu chez elle avec ses quatre enfants (Michel, Daniel, Sylvie et Ginette).
  3.            Elle déclare qu’avant même cette rencontre familiale, elle savait que le recours envisagé avait déjà été exercé par d’autres travailleurs. Elle déclare que  :

on connaissait beaucoup de monde, des amis à qui c’était arrivé à eux autres, dans la famille à eux autres, y avaient marché ça, pis ça avait marché. 

 

  1.            Elle précise qu’elle a eu connaissance d’un recours exercé il y a deux ans et  d’un autre, il y a plusieurs années, par la conjointe d’un collègue de son époux, monsieur René Boivin. Elle précise qu’elle a eu connaissance de ce dernier recours avant le décès du travailleur.
  2.            Madame Grenon admet que le travailleur a toujours reçu, pendant la durée de son emploi, le journal de l’entreprise, Le Lingot. Après son décès, elle a continué à le recevoir en tant que veuve d’un travailleur de l’employeur.  

Sylvie Harvey

  1.            Madame Harvey, la fille du travailleur, affirme qu’elle a appris que son père était atteint d’un cancer du poumon lors de son hospitalisation, soit dans la semaine du 3 au 12 janvier 2004.
  2.            En avril 2007, aurait eu lieu une rencontre familiale réunissant les quatre enfants  (Daniel, Michel, Ginette, elle-même) et sa mère. Ce serait à ce moment qu’elle aurait pensé pour la première fois qu’un lien pouvait exister entre le cancer du poumon de son père et son travail. En effet, Ginette aurait évoqué différents recours exercés par des collègues de son père contre l’employeur, dont le cas de monsieur Boivin, relativement au cancer du poumon.  
  3.            Madame Harvey soutient avoir entrepris, après cette rencontre familiale, des démarches auprès de monsieur Dufour, coordonnateur en santé et sécurité au travail auprès du syndicat. Elle confirme avoir complété et signé la réclamation du travailleur, le 8 avril 2007, en présence de monsieur Dufour. Ce dernier aurait par la suite assuré le suivi du dossier.  
  4.            Madame Harvey confirme le mandat[3] que lui confie, le 14 août 2007, « l’exécuteur testamentaire » du travailleur, monsieur Daniel Harvey, afin d’effectuer des démarches relativement à une réclamation en lien avec le cancer du poumon du travailleur.
  5.            Le 16 août suivant, elle confie à monsieur Dufour le mandat d’agir comme représentant dans cette affaire. Madame Harvey confirme que la réclamation, qu’elle a signée le 8 avril 2007, a été acheminée à la CSST par monsieur Dufour dans le courant du mois d’août 2007. Ce délai de transmission de la réclamation se justifierait en raison du temps pris pour se procurer certains documents, dont le bulletin de décès de son père.
  6.            En ce sens, le représentant de la succession exhibe une lettre signée par monsieur Dufour, le 27 novembre 2008, et adressée au tribunal  :

C’est à titre d’ancien coordonnateur en santé sécurité du Syndicat d’Arvida, que je vous adresse la présente, afin de vous informer de la procédure administrative du syndicat lors de réclamation du travailleur à la CSST dans les cas de cancer de poumon.

 

[…]

 

Dans le dossier de M. Laurent Harvey, je vous confirme que j’ai rencontré Madame Sylvie Harvey le 8 avril 2007 au bureau du syndicat et que je lui ai fait signer la réclamation du travailleur à cette date et lorsque j’ai reçu le formulaire SP-3 [bulletin de décès], j’ai envoyé le dossier à la CSST.

 

  1.            Ensuite, Madame Harvey admet avoir rédigé les motifs justifiant le délai de réclamation qui apparaissent dans le formulaire de la CSST, intitulé « hors délai », lequel est signé par sa mère, le 31 août 2007.  

Nous avons jamais pris connaissance qu’une telle compensation monétaire aurait pu nous être accordée ou attribuée. Nous avons appris par les journaux de cette possibilité  d’accéder à un recours collectif. Avant le décès de mon conjoint nous avons observé une santé fragile, la diminution de la capacité physique de celui-ci. Il a subi des opérations, entre autres, les artères obstrués, la carotide et la prise de médicaments pour régulariser la situation. En d’autres mots, sa qualité de vie a toujours été ou presque déficiente après sa retraite jusqu’au décès en janvier 2004 pour finir ses jours avec un cancer de poumons. [sic]

 

  1.            Madame Harvey explique que la Succession avait appris, en juillet 2007, par la voie des journaux qu’une dizaine de familles avaient eu gain de cause contre l’employeur.
  2.            Contre-interrogé quant à savoir si elle connaissait des gens travaillant pour l’employeur, elle reconnaît que des membres de sa famille et de sa bellefamille, dont son conjoint, y travaillent. Elle admet avoir toujours vécu au Saguenay, mais n’avoir jamais su, avant l’année 2007, qu’il pouvait y avoir un lien entre le travail de son père et le cancer. Elle confirme n’avoir jamais eu connaissance par les médias, avant juillet 2007, qu’un tel recours pouvait être exercé.

 

TÉMOINS DE L’EMPLOYEUR

Jocelyne Brunelle

  1.            Madame Brunelle œuvre pour l’employeur depuis 1988. Elle a assumé les fonctions de coordonnatrice en santé et sécurité au travail jusqu’en 1996. Ensuite, elle travaille au traitement des réclamations des maladies professionnelles, puis devient responsable de ce service en 1998.  En raison de ses fonctions, elle aurait été impliquée dans les dossiers concernant les cancers pulmonaires.
  2.            Madame Brunelle présente la revue de presse, pièce E-1, qu’elle a constituée relativement à la couverture médiatique des réclamations pour maladies professionnelles, impliquant l’employeur entre le 14 décembre 1983 et le 30 juillet 2006, et plus particulièrement le cancer du poumon.
  3.            Le témoin explique que l’employeur fait paraître un journal, Le Lingot, lequel est expédié à tous les travailleurs actifs ou retraités et, lors d’un décès, la veuve peut l’obtenir sur demande.
  4.            Le 30 juin 2006 paraissait un cahier spécial inséré comme encart dans le journal Le Lingot. Ce cahier dévoilait les résultats d’une étude épidémiologique concernant les causes de décès et l’apparition de nouveaux cas de cancer chez les employés de l’employeur au 31 décembre 1999, pièce E-1 (onglet 39). Ce cahier spécial révélait notamment les principales conclusions concernant l’évolution du taux de mortalité chez les travailleurs atteints du cancer du poumon entre 1950 et 1999. Quant aux employés embauchés avant 1950, comme c’est le cas pour le travailleur, cette étude concluait  :

● un excès de mortalité par rapport à la population du Québec est observé pour diverses maladies dont le cancer du poumon, de la vessie et les maladies respiratoires;

 

● les conditions de travail qui prévalaient il y a plusieurs décennies ont eu un effet sur la  santé des employés. 

 

  1.            Madame Brunelle explique que les résultats de cette étude faisaient suite à une autre étude effectuée autour de l’année 1975, laquelle portait sur les cas de cancer du poumon chez les travailleurs de l’employeur.
  2.            Madame Brunelle commente le communiqué de presse daté du 27 juin 2006, pièce E-1 (onglet 38), lequel a pour objet les résultats de l’étude épidémiologique (onglet 39). Ce communiqué aurait été transmis aux travailleurs actifs, en juin 2006, dans le cadre de présentations faites en petits groupes et aux retraités, au moyen d’une lettre acheminée par courrier.
  3.            Madame Brunelle présente la décision succession Bélanger rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles, le 27 mars 1998, et dont l’audience avait eu lieu à Chicoutimi, pièce E-2. La succession Bélanger contestait une décision de la CSST qui déclarait que le cancer du poumon, dont était atteint monsieur Bélanger, ne constituait pas une maladie professionnelle. Il s’agissait de la première contestation du « modèle d’indemnisation no 8 », lequel établissait une probabilité de causalité compte tenu de l’exposition du travailleur à des agents cancérigènes et du tabagisme. Le témoin explique que lorsque cette probabilité était égale ou supérieure à 50 %, il était convenu que le cancer du poumon constituait une lésion professionnelle.
  4.            Le témoin présente également la décision dans le dossier succession François Tremblay rendue par ce tribunal après 12 journées d’audience en 1999 et 2000[4], pièce E-3. La décision, rendue le 16 mai 2002, reconnaissait que le cancer du poumon, dont étaient décédés les sept travailleurs impliqués, constituait une lésion professionnelle.  
  5.             Les audiences de cette affaire auraient été abondamment couvertes par les médias locaux. En ce sens, elle présente la première page du journal local, Le Quotidien, daté du 18 novembre 1999, qui titrait avec une photo des audiences couvrant la première page :  « Débat juridique sur les causes du cancer du poumon. La cigarette ou les cuves d’Alcan », pièce E-1 (onglet 19). Le journal contenait également deux articles[5] portant sur les risques de contracter un cancer du poumon chez les travailleurs d’Alcan. Deux autres articles[6] ont également paru dans l’édition du  19 novembre 1999, relativement au déroulement des audiences.
  6.            Madame Brunelle présente un autre article du journal Le Quotidien, paru le 10 mai 2002, pièces E-4 et E-1 (onglet 26). La première page annonçait  : « ALCAN. La maladie liée à l’emploi chez les ex-travailleurs des salles de cuve. [sic] » Le journaliste Denis Bouchard débutait ainsi son article intitulé : Commission des lésions professionnelles. Décision favorable à sept ex-travailleurs d’Alcan  :  

La décision historique de la commission a été rendue le 2 mai et relayée, hier par la Fédération des syndicats du secteur de L’aluminium (FSSA). Le syndicat mène une lutte depuis le début des années 1990 au nom des 338 ex-travailleurs victimes d’un cancer du poumon.

 

  1.            Finalement, elle montre les onglets 21 à 37 de la pièce E-1, où sont colligées des transcriptions d’interviews radiophoniques ou des articles commentant l’affaire Tremblay :

 Média Date Sujet

21) CKRS, Saguenay

09-05-2002

Entrevue de Denis Julien par Myriam Ségal  : décision rendue par la Commission des lésions professionnelles concernant les travailleurs d’Alcan décédés du cancer du poumon.

22) CHRL-FM, Roberval

09-05-2002

La Commission reconnaît le cancer du poumon…

23) CKYK-FM, Alma

09-05-02

Commission des lésions professionnelles et cancer du poumon

24) CKTV, Saguenay

09-05-2002

La Commission des lésions professionnelles rend une décision sur les cas de cancer du poumon chez les travailleurs d’Alcan.

25) CJPM-TV, Chicoutimi

09-05-2002

La Commission des lésions professionnelles reconnaît que l’exposition aux BAP et HAP sont directement reliés au cancer du poumon.

27) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon

28) CHVD-AM, Dolbeau-Mistassini

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

29) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

30) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

31) CFGT-AM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

32) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

33) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

34) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

35) CHRLFM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

36) CFGT-AM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

37) Le journal Le Soleil

10-05-2002

« Sept ex-travailleurs de l’aluminerie Alcan gagnent leur cause devant la CLP »

 

  1.            Madame Brunelle présente ensuite la décision de ce tribunal rendue, le 25 juillet 2007, par une formation de trois juges administratifs (M. Juteau, L. Nadeau et J..F Clément)[7]. Cette formation a entendu 14 contestations présentées par des successions relativement au refus de reconnaître le cancer pulmonaire, dont étaient atteints les travailleurs de l’employeur, comme une lésion professionnelle. Le tribunal a procédé à 15 journées d’audience tenues à Saguenay entre le 13 novembre 2006 et le 16 février 2007.
  2.            Madame Brunelle explique que cette décision rétablissait le « modèle d’indemnisation no 8 », mais diminuait le taux de la probabilité de causalité exigé pour imputer le cancer du poumon à l’exposition à des agents cancérigènes plutôt qu’au tabagisme. Dorénavant, un taux plus grand ou égal à 25 % permettait de reconnaître ce cancer comme une lésion professionnelle alors qu’auparavant il devait atteindre 50 %.
  3.            Elle précise qu’avant que soit rendue cette décision, 266 réclamations avaient été rejetées dont la probabilité de causalité était inférieure à 50 %.

Mireille Bourassa

  1.            Madame Bourassa est à l’emploi de l’employeur à titre d’adjointe à l’information et aux communications dans le service des communications. Elle déclare que le journal de l’employeur, Le Lingot, relève de son service et qu’elle est responsable de son expédition.
  2.            Elle soutient que Le Lingot est expédié à tous les employés et retraités dans la région du Saguenay–Lac-St-Jean, dont les coordonnées sont puisées dans une banque de données contenant les références de tous les employés de l’employeur au Québec. Le journal est également acheminé aux leaders socio-économiques, aux journalistes et aux veuves des employés. Les coordonnées de ces derniers destinataires sont contenues dans une autre banque de données élaborées par le témoin. Madame Bourassa soutient qu’elle a constitué ce fichier avec un collègue et qu’il existe depuis 18 ans et demi.
  3.            Elle explique que lorsque survient le décès d’un travailleur ou d’un retraité, le préposé aux avantages sociaux expédie à son service, la fiche de décès. Dès le mois suivant, la veuve reçoit le journal de l’employeur. Elle soutient avoir vérifié spécifiquement l’inscription de madame Bernadette Grenon Harvey et elle confirme que cette dernière est inscrite dans le fichier à titre d’abonnée.
  4.            Le témoin présente une lettre, datée du 27 juin 2006, portant sur les « résultats de l’étude épidémiologique concernant les causes de décès et l’apparition de nouveaux cas de cancer chez les employés des alumineries d’Alcan au Québec, au 31 décembre 1999 », pièce E-1 (onglet 38). Cette lettre est signée par le « comité aviseur » sur l’étude de santé des employés d’Alcan au Québec, lequel est formé de représentants de l’employeur et de travailleurs. Elle déclare que cette lettre a été expédiée à tous les employés du Québec de même qu’aux retraités et aux veuves des travailleurs.
  5.            Finalement le procureur de l’employeur produit les notes sténographiques du témoignage de monsieur Dufour, lequel agissait comme coordonnateur en santé et sécurité au syndicat. Celui-ci avait témoigné lors de la présentation de la requête en divulgation de données, présentée par la Succession. Le témoignage portait notamment sur les boums médiatiques qui ont suivi les débats devant le tribunal relativement au cancer du poumon.

ARGUMENTAIRE DES PARTIES

  1.            Le représentant de la Succession soutient que la réclamation a été déposée avant l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 272 de la loi. La Succession aurait pris connaissance lors d’une réunion familiale, survenue en avril 2007, que le cancer du poumon, dont était atteint le travailleur, pouvait être relié à son travail. Dès lors, la Succession aurait entrepris des démarches avec le syndicat et la réclamation du travailleur fut signée le 8 avril 2007.  Le syndicat aurait poursuivi l’étude du dossier et au mois d’août 2007, celui-ci aurait communiqué la réclamation à la CSST.
  2.            Le représentant soutient que le délai de réclamation commence à courir lorsque la Succession établit un lien entre le cancer du poumon du travailleur et son travail, soit le 8 avril 2007. D’autre part, il croit que cette connaissance ne peut  remonter au décès du travailleur, survenu en janvier 2004, car aucun médecin n’avait, à ce moment, établi de lien entre la cause du décès et le travail.
  3.            Subsidiairement, le représentant de la Succession prétend que le tribunal peut « se rabattre sur l’article 352 » de la loi et la relever des conséquences de son défaut.
  4.            Le procureur de l’employeur soutient que la réclamation de la Succession a été produite après l’expiration du délai prévu par la loi et qu’il n’y a pas de motif raisonnable justifiant de proroger ce délai.
  5.            D’abord, en 1993, l’étude dite Armstrong concluait qu’il existait une prévalence plus importante de cancer pulmonaire chez les travailleurs de l’employeur que dans la population en général. En conséquence, elle établissait un lien entre l’exposition aux substances contenues dans l’atmosphère des salles de cuves et ce type de cancer.
  6.            Le 28 mai 1993, l’Institut de recherche en santé et en sécurité du travail au Québec (IRSST) émit un communiqué de presse faisant état des résultats de cette étude, pièce E1 (onglet 2). Le procureur réfère aux onglets 7 à 18 de la pièce E-1, constitués de copies d’articles de journaux, de transcriptions d’interviews radiophoniques ou télévisées qui résument la couverture médiatique des résultats de cette étude.
  7.            D’autre part, l’information établissant un lien entre le cancer du poumon et le travail dans les salles de cuves chez l’employeur était connue depuis 1993 et a été largement médiatisée. Des communiqués de presse ont été émis en 1993, 1999, 2002 et 2006.
  8.            Ensuite un important contentieux s’est développé pour faire reconnaître le cancer du poumon, dont était affectés les requérants, comme une maladie professionnelle. Ce contentieux a aussi largement été médiatisé.
  9.            L’avocat de l’employeur soutient, qu’en l’espèce, la succession aurait appris l’existence d’un cancer du poumon, chez le travailleur, les jours précédant son décès survenu le 12 janvier 2004.  
  10.            D’une part, madame Grenon, la veuve du travailleur, connaissait le cas d’un collègue du travailleur, monsieur Boivin, dont la succession avait exercé un recours avant le décès de son époux. D’autre part, les membres de la succession ont toujours habité la région, ils ont des membres de leur famille et de leur belle-famille qui travaillent chez l’employeur.
  11.            En somme, les membres de la succession auraient disposé, bien avant leur réunion familiale d’avril 2007, de toutes les informations pour intenter leur recours. D’ailleurs, les explications données par madame Sylvie Harvey pour justifier la tardiveté du recours font plutôt référence à la connaissance d’une possibilité de gain de cause dans une telle affaire.
  12.            De plus, madame Grenon a reçu de la documentation[8] de l’employeur, en juin 2006, l’informant d’un lien possible entre le cancer du poumon et l’exposition des travailleurs aux substances contenues dans l’atmosphère des salles de cuves, pièce E1 (onglet 38) et le cahier spécial du journal Le Lingot, pièce E-1 (onglet 39).
  13.            Si le tribunal devait conclure que la Succession n’avait pris connaissance du lien entre le cancer du poumon et le travail qu’en avril 2007, lors de la réunion familiale, les membres de la succession aurait alors fait preuve d’aveuglement volontaire compte tenu du boum médiatique ayant entouré les débats devant ce tribunal, la transmission par l’employeur des informations établissant un lien entre le cancer du poumon et le travail auprès des cuves. En effet, les membres d’une succession qui habitent au Saguenay, qui reçoivent de la correspondance de l’employeur, qui baignent dans le milieu social du Saguenay devraient savoir que le cancer pulmonaire peut être en relation avec le travail dans une aluminerie.

L’AVIS DES MEMBRES

  1.            Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis que la réclamation du travailleur est irrecevable.
  2.            Ils sont d’avis que la Succession disposait d’une connaissance suffisante, dès janvier 2004, pour intenter son recours, d’autant plus que le contentieux, concernant les réclamations de ce type, a été largement médiatisé.
  3.            Finalement, ils croient que la Succession n’a pas soulevé de motif raisonnable justifiant de la relever des conséquences de son défaut.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

  1.            Le tribunal doit décider si le travailleur a déposé sa réclamation après l’expiration du délai prévu par la loi.
  2.            La Succession soutient que le travailleur avait contracté une maladie professionnelle. En conséquence, la loi prévoit qu’en présence d’une telle allégation, la réclamation des bénéficiaires du travailleur doit être produite dans les six mois de la date où il est porté à leur connaissance qu’il est atteint d’une telle lésion.

272.  Le travailleur atteint d'une maladie professionnelle ou, s'il en décède, le bénéficiaire, produit sa réclamation à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, dans les six mois de la date où il est porté à la connaissance du travailleur ou du bénéficiaire que le travailleur est atteint d'une maladie professionnelle ou qu'il en est décédé, selon le cas.

 

Ce formulaire porte notamment sur les nom et adresse de chaque employeur pour qui le travailleur a exercé un travail de nature à engendrer sa maladie professionnelle.

 

La Commission transmet copie de ce formulaire à chacun des employeurs dont le nom y apparaît.

__________

1985, c. 6, a. 272.

 

 

  1.            La question qui se pose est alors de déterminer quand fut-il porté à la connaissance de la Succession que le travailleur était atteint d’une maladie professionnelle?
  2.            Mais de la connaissance de qui s’agit-il au juste ?
  3.            Il appert que monsieur Daniel Harvey a été désigné comme  « exécuteur testamentaire ». Celui-ci n’a pas témoigné et le tribunal ne sait rien de la durée de sa charge ni de sa connaissance des événements en cause.
  4.            Cependant, le 14 août 2007, il mandate madame Sylvie Harvey pour effectuer les démarches concernant la présente réclamation. La preuve révèle que mesdames Harvey et Grenon ont pris part aux présentes procédures. Madame Harvey a effectué les démarches auprès du syndicat en avril 2007, elle a signé la réclamation du travailleur le 8 avril 2007 et elle a rédigé, le 31 août suivant, les motifs justifiant la tardiveté de la réclamation dans un formulaire de la CSST. Madame Grenon, la veuve du travailleur, a signé ce formulaire, le 31 août 2007, de même que ceux  concernant les antécédents du travailleur et ses habitudes tabagiques. Ces deux dames ont témoigné lors de l’audience et ont parlé au nom de la Succession. En conséquence, le tribunal infère de leurs témoignages sur leur propre connaissance celle de la Succession, quant à un lien entre la maladie du travailleur et son travail.
  5.            Le travailleur a été hospitalisé le 3 janvier 2004. Le médecin informe un des fils du travailleur, monsieur Michel Harvey, que le travailleur est atteint d’un cancer du poumon. Dans les jours qui suivent, monsieur Harvey avise les autres membres de la famille de la maladie de son père. Le travailleur décède le 12 janvier 2004.
  6.            Le tribunal retient que la preuve est prépondérante pour établir qu’il a été porté à la connaissance de la Succession, le 12 janvier 2004, que le travailleur était possiblement atteint d’une maladie professionnelle. Et même si l’on retient l’événement le plus tardif pour justifier la formation de cette connaissance, soit la communication personnellement adressée à madame Grenon, en juin 2006, des résultats de l’enquête épidémiologique, le dépôt de la réclamation demeure tardif.
  7.            Premièrement, madame Grenon savait, avant le décès du travailleur, que des recours similaires avaient été exercés par des collègues de son mari et, plus particulièrement, celui de la succession Boivin.
  8.            Deuxièmement, un cahier spécial du journal de l’employeur, Le Lingot, est paru le 30 juin 2006, pièce E-1 (onglet 39), lequel fut expédié à madame Grenon. Ce cahier dévoilait les résultats de l’étude épidémiologique concernant les causes de décès et l’apparition de nouveaux cas de cancer chez les travailleurs de l’employeur au 31 décembre 1999. Cette étude commentait notamment l’évolution des cas de cancer du poumon recensés chez les travailleurs de l’employeur entre 1950 et 1999. Elle concluait quant aux employés embauchés avant 1950, comme c’est le cas pour le travailleur :

● un excès de mortalité par rapport à la population du Québec est observé pour diverses maladies dont le cancer du poumon, de la vessie et les maladies respiratoires;

 

● les conditions de travail qui prévalaient il y a plusieurs décennies ont eu un effet sur la  santé des employés. 

 

  1.            Les coordonnées des veuves sont colligées dans une banque de données mise sur pied par madame Bourassa du service des communications de l’employeur. Cette dernière a spécifiquement vérifié et confirmé l’inscription de madame Grenon dans cette banque.  D’ailleurs, madame Grenon a admis qu’elle reçoit personnellement Le Lingot depuis le décès de son mari.
  2.            De plus, madame Bourassa confirme que la lettre datée du 27 juin 2006[9] et signée par le « comité aviseur sur l’étude de santé des employés d’Alcan au Québec », lequel est formé de représentants de l’employeur et des syndicats, a été expédiée à tous les travailleurs de l’employeur au Québec, de même qu’aux veuves. Cette lettre commentait les résultats de l’étude épidémiologique susmentionnée.
  3.            La réception de ce cahier spécial du journal Le Lingot et de la lettre du « comité aviseur » n’a pas été contredite par madame Grenon.
  4.            La preuve est donc prépondérante pour établir que l’employeur a expédié personnellement à madame Grenon, deux documents qui commentaient l’évolution du taux de mortalité des travailleurs eu égard notamment au cancer du poumon.
  5.            Troisièmement, la preuve de l’employeur démontre que le contentieux, lié au cancer du poumon chez ses travailleurs, a été largement médiatisé dans la région du Saguenay–LacStJean entre 1993 et 2007.
  6.            D’abord, l’étude épidémiologique de 1993 concluait qu’il existait une prévalence plus importante de cancer pulmonaire chez les travailleurs de l’employeur que dans la population en général. Elle établissait un lien entre ce cancer et la durée de l’exposition des travailleurs aux substances contenues dans l’atmosphère des salles de cuves.  
  7.            Le 28 mai 1993, l’IRSST émit un communiqué de presse faisant état des résultats de cette étude, pièce E1 (onglet 2), lesquels ont été médiatisés, pièce E-1 (onglets 7 à 18).

7)  Le Quotidien, p. 4

29-05-1993

« Depuis vingt ans. La réalité a bien changé au complexe Jonquière » 

8) Le Réveil du Saguenay

30-05-1993

« Salles de cuves Söderberg. La santé des employés des salles sérieusement menacée»

9) Le Soleil, p. C-13

31-05-1993

« Les émanations de goudron causent plus de cancers de la vessie que de cancers du poumon »

10) La Presse, p. A-10

29-05-1993

« La vessie plus exposée que le poumon »

11) CJMT, Radio Chicoutimi

28-05-1993

« Deux fois plus de chances de développer un cancer du poumon pour les travailleurs des salles Söderberg »

12) CKRS, Radio Jonquière

28-05-1993

« Entrevue avec le Dr Gilles Thériault sur le cancer du poumon chez les travailleurs d’Alcan »

13) CKRS, Radio Jonquière

28-05-1993

« Émanations de goudron et relation avec le cancer du poumon chez Alcan »

14) CBJ, Radio-Canada, Chicoutimi

28-05-1993

« Informations régionales »

15) CBJ, Radio-Canada, Chicoutimi

28-05-1993

« Le Régional »

16) CKRS-TV, Jonquière

28-05-1993

« Ce soir »

17) CJPM-TV, Chicoutimi

28-05-1993

« Le TVA régional »

18) CKRS-TV, Jonquière

28-05-1993

« Ce soir »

  1.            Ensuite, une série de recours furent exercés par des travailleurs ou leurs successions.  Entre 1990 et mai 2002, 338 contestations[10] ont été déposées par des travailleurs atteints du cancer du poumon et 266[11] d’entre elles ont été rejetées. Deux litiges ont toutefois été plus particulièrement médiatisés.
  2.            D’abord la décision succession François Tremblay, rendue le 3 mai 2002, impliquait les réclamations de sept successions de travailleurs de l’employeur décédés du cancer du poumon et nécessita 12 journées d’audience à Saguenay en 1999 et en 2000, pièce E-3.  Le 18 novembre 1999, la première page du journal Le Quotidien titrait : « Débat juridique sur les causes du cancer du poumon. La cigarette ou les cuves d’Alcan », pièce E-1 (onglet 19). Cette édition contenait également deux articles[12] portant sur les risques de contracter un cancer du poumon chez les travailleurs d’Alcan. Le lendemain, Le Quotidien publiait deux autres articles[13] relativement au déroulement des audiences.  
  3.            Lorsque le tribunal rendit sa décision, la couverture médiatique reprit de plus belle. Le 10 mai 2002, Le Quotidien titrait en première page  : « ALCAN. La maladie liée à l’emploi chez les ex-travailleurs des salles de cuve. [sic] », pièce E-4. Cette édition contenait également un article du journaliste Denis Bouchard intitulé « Commission des lésions professionnelles. Décision favorable à sept ex-travailleurs d’Alcan ».[14] L’article débute en ces termes  :

La décision historique de la commission a été rendue le 2 mai et relayée, hier par la Fédération des syndicats du secteur de L’aluminium (FSSA). Le syndicat mène une lutte depuis le début des années 1990 au nom des 338 ex-travailleurs victimes d’un cancer du poumon.

 

  1.            Les autres médias s’emparèrent également de la nouvelle,  pièce E-1 (onglets 21 à 37).   

 

 

 

 Média Date Sujet

21) CKRS, Saguenay

09-05-2002

Entrevue de Denis Julien par Myriam Ségal  : décision rendue par la Commission des lésions professionnelles concernant les travailleurs d’Alcan décédés du cancer du poumon.

22) CHRL-FM, Roberval

09-05-2002

La Commission reconnaît le cancer du poumon…

23) CKYK-FM, Alma

09-05-02

Commission des lésions professionnelles et cancer du poumon

24) CKTV, Saguenay

09-05-2002

La Commission des lésions professionnelles rend une décision sur les cas de cancer du poumon chez les travailleurs d’Alcan.

25) CJPM-TV, Chicoutimi

09-05-2002

La Commission des lésions professionnelles reconnaît que l’exposition aux BAP et HAP sont directement reliés au cancer du poumon.

27) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon

28) CHVD-AM, Dolbeau-Mistassini

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

29) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

30) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

31) CFGT-AM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

32) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

33) CKYK-FM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

34) CHRL-FM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

35) CHRLFM, Roberval

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

36) CFGT-AM, Alma

10-05-2002

Commission des lésions professionnelles, cancer du poumon.

37) Le journal Le Soleil

10-05-2002

« Sept ex-travailleurs de l’aluminerie Alcan gagnent leur cause devant la CLP »

 

  1.            Monsieur Dufour, le coordonnateur pour le syndicat, qui entreprit les démarches dans cette affaire à la demande de madame Sylvie Harvey, avait d’ailleurs reconnu, dans le témoignage qu’il livrait le 3 juin 2008 dans le cadre de la requête en communication de données, que l’affaire de la succession François Tremblay avait donné lieu à un véritable « boom médiatique ».[15]
  2.            Une seconde décision fit également couler beaucoup d’encre au Saguenay–LacSt-Jean, soit l’affaire succession Lucien Tremblay, rendue le 25 juillet 2007. Cette affaire regroupait les réclamations de 14 successions de travailleurs ayant œuvré chez l’employeur et qui étaient décédés du cancer du poumon.  Elle nécessita 15 journées d’audience tenues à Saguenay entre le 13 novembre 2006 et le 16 février 2007.
  3.            En l’espèce, la preuve est prépondérante pour établir que la Succession devait savoir, en janvier 2004, que le cancer du poumon, dont était atteint le travailleur, pouvait être relié au travail effectué chez l’employeur. À défaut, elle aurait dû le savoir, compte tenu que  : 

   le travailleur a œuvré pour l’employeur pendant 42 ans;

 

   madame Grenon savait avant le décès du travailleur que des réclamations avaient été exercées contre l’employeur relativement à des cas de cancer du poumon;

 

   une prévalence plus importante du cancer pulmonaire chez les travailleurs de l’employeur que dans la population en générale est établie depuis 1993;

 

º cette étude a été largement médiatisée par les médias locaux tant écrits que radiophoniques et télévisés;

 

 

   le contentieux régional des réclamations, concernant le cancer du poumon chez les travailleurs de l’employeur, fut important;

 

º 338 réclamation de travailleurs concernant le cancer du poumon ont été produites entre 1990 et mai 2002, dont 266 ont été rejetées;

 

º deux causes ont particulièrement été l’objet d’un boum médiatique dans la région;

 

- laffaire succession François Tremblay qui a nécessité 12 journées d’audience, à Saguenay, en 1999 et en 2000 et qui réunissait les réclamations de sept successions;  

 

- l’affaire succession Lucien Tremblay, dont la décision fut rendue le 25 juillet 2007, impliquait 14 successions et nécessita 15 journées d’audience tenues à Saguenay entre le 13 novembre 2006 et le 16 février 2007.

 

  1.            De surcroît, l’employeur a expédié personnellement à la veuve du travailleur des documents[16] l’informant, en juin 2006, des résultats de l’étude épidémiologique au 31 décembre 1999.
  2.            Finalement, mesdames Grenon et Harvey ont toujours vécu dans cette région. Madame Harvey a reconnu que des membres de sa famille et de sa bellefamille travaillaient pour l’employeur, dont son conjoint.
  3.            Ces éléments, pris individuellement, ne pourraient permettre d’inférer une quelconque connaissance d’un lien possible entre le cancer du poumon et le travail effectué chez l’employeur. La judiciarisation des réclamations ou la médiatisation du contentieux ne saurait non plus suffire à eux seuls. Toutefois, la présente situation prend une résonance particulière lorsque ces éléments sont appréciés tous ensemble, dans le contexte particulier du Saguenay–LacStJean, compte tenu de l’importance de l’employeur dans cette région.
  4.            Dans ce contexte très particulier, le tribunal a du mal à concevoir que les membres de la Succession ne savaient pas, avant le mois d’avril 2007, qu’il pouvait exister un lien entre le cancer du poumon et le travail de leur père. Qu’ils n’aient pas cru bon d’exercer leur recours avant le mois d’avril 2007 est une chose; qu’il ait été porté à leur connaissance, dès janvier 2004, que le cancer du poumon était possiblement causé par le travail en est une autre.
  5.            En réalité, les membres de la Succession ont pris connaissance, lors de la rencontre familiale d’avril 2007, qu’une compensation monétaire aurait pu leur être accordée par le tribunal. C’est d’ailleurs ce qu’exprime madame Harvey lorsqu’elle rédige les motifs justifiant la tardiveté de leur réclamation dans un formulaire de la CSST[17]  :

Nous avons jamais pris connaissance qu’une telle compensation monétaire aurait pu nous être accordée ou attribuée. Nous avons appris par les journaux de cette possibilité  d’accéder à un recours collectif.

 

  1.            Le tribunal ne retient pas l’argument du représentant de la Succession, lequel soutient qu’elle n’avait pu, lors du décès du travailleur survenu en janvier 2004, avoir développé une connaissance au sens de l’article 272 de la loi. D’après son argumentaire, l’absence d’un lien spécifiquement établi par un médecin entre le diagnostic alors posé et le travail chez l’employeur aurait empêché la formation d’une telle connaissance.
  2.            La présence d’une opinion médicale établissant un lien entre un diagnostic et le travail est certes souhaitable. Elle n’est cependant pas une condition sine qua non pour établir qu’il a été porté à la connaissance d’un travailleur ou de son bénéficiaire que la maladie en question peut avoir un lien avec le travail. Dans certains cas, comme en l’espèce, une telle exigence vicierait l’intention du législateur.  
  3.            En effet, si l’on devait appliquer mécaniquement cette condition à la présente affaire, il faudrait convenir que la Succession n’avait pas plus cette connaissance lors de la réunion familiale d’avril 2007. En effet, elle ne bénéficiait pas à ce moment, ni par la suite, d’une opinion médicale établissant un lien entre le diagnostic et le travail. Suivant cette logique, la Succession aurait finalement déposé une réclamation sans avoir formé la connaissance nécessaire pour intenter son recours !
  4.            Le point de départ du délai de réclamation peut s’apprécier eu égard aux faits mis en cause.[18] Le compte à rebours peut alors être déclenché lorsque l’analyse des faits pertinents, comme en l’espèce, permet de conclure que la Succession disposait, lors du décès du travailleur, de suffisamment d’éléments pour s’être formé une connaissance suffisante[19], qui lui permette de revendiquer ses droits.
  5.            En l’espèce, le tribunal retient que les faits particuliers à cette affaire sont tels qu’ils permettent d’établir que la Succession avait une connaissance suffisante pour faire valoir ses droits dès le 12 janvier 2004.  Et même, si l’on retient l’événement le plus tardif pour justifier la formation de cette connaissance, soit la communication personnellement adressée à madame Grenon des résultats de l’enquête épidémiologique en juin 2006, le dépôt de la réclamation demeure tardif.
  6.            La réclamation a par conséquent été produite après l’expiration du délai fixé par la loi.
  7.            Néanmoins, le tribunal peut relever la Succession des conséquences de son défaut si celle-ci démontre un motif raisonnable pour justifier son retard.

352.  La Commission prolonge un délai que la présente loi accorde pour l'exercice d'un droit ou relève une personne des conséquences de son défaut de le respecter, lorsque la personne démontre un motif raisonnable pour expliquer son retard.

__________

1985, c. 6, a. 352.

 

  1.            Bien que la loi ne précise pas ce qu’est un motif raisonnable, la jurisprudence de ce tribunal[20] a défini ses contours:   

[64] La notion de «motif raisonnable» est, selon la Commission des lésions professionnelles, une notion large permettant de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer, à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture, des circonstances, etc., si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. La Cour d’appel du Québec dans Roy et CUM1 énonce ce qui suit :

 

Le motif raisonnable est un critère vaste dont l’interprétation pourra varier dans le temps, tout comme celle de la notion du bon père de famille, de l’homme prudent et diligent. Il va sans dire qu’il doit y avoir un motif raisonnable et que le tribunal ne saurait sanctionner la négligence d’une partie.

_______

1  [2005] C.L.P. 1066

 

  1.            En somme, il s’agit d’un motif crédible, faisant sens, et qui se justifie compte tenu de l’ensemble des circonstances propres à cette affaire.
  2.       Aucun motif raisonnable n’a été soulevé par la Succession et, compte tenu de la preuve présentée, le tribunal ne peut en identifier.
  3.       Malgré toute la sympathie qu’éprouve le tribunal pour mesdames Grenon et Harvey dans le cadre de ce recours, la réclamation est irrecevable.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Laurent Harvey (succession), la Succession;

DÉCLARE que la Succession a produit sa réclamation après l’expiration du délai prévu par la loi;

DÉCLARE que la Succession n’a démontré aucun motif raisonnable justifiant de la relever des conséquences de son défaut;

DÉCLARE irrecevable la requête de la Succession.

 

 

__________________________________

 

Réjean Bernard

 

 

 

 

M. Jacques Gravel

T.C.A. QUÉBEC

Représentant de la partie requérante

 

Me François Côté

OGILVY RENAULT

Représentant de la partie intéressée

 

 


[1]  L.R.Q., c. A-3.001.

[2]  Page 104 du dossier administratif.

[3]  Page 102 du dossier administratif.

[4]  Du 15 au 19 novembre 1999, les 14, 15, 30 et 31 mars 2000, les 13, 27 et 28 avril 2000.

[5]  Normand Boivin, « Cuves ou cigarettes. Avocats d’Alcan et de la FSSA s’affrontent » et « Entre les spécialistes. Véritable guerre de chiffres aux audiences. », p. 4, pièce E-1 (onglet 19).

[6]  Serge Lemelin, « Dossiers des fumeurs et ex-fumeurs d’Alcan. Le pathologiste Bettez livre son témoignage. » et « Mise au point d’Yvon D’Anjou. Alcan réagit à la médiatisation. », p. 3, pièce E1 (onglet 20).

[7]  Lucien Tremblay (succession) et Alcan inc. [2007] C.L.P. 577, (succession Lucien Tremblay), pages non paginées du dossier administratif.

[8]  Laquelle a pour objet les « résultats de l’étude épidémiologique concernant les causes de décès et l’apparition de nouveaux cas de cancer chez les employés des alumineries d’Alcan au Québec, au 31 décembre 1999 ».

[9]  Pièce E-1 (onglet 38).

[10]  Pièce E-1 (onglet 26).

[11]  Témoignage de madame Brunelle.

[12]  Normand Boivin, « Cuves ou cigarettes. Avocats d’Alcan et de la FSSA s’affrontent » et « Entre les spécialistes. Véritable guerre de chiffres aux audiences. », p. 4, pièce E-1 (onglet 19).

[13]  Serge Lemelin, « Dossiers des fumeurs et ex-fumeurs d’Alcan. Le pathologiste Bettez livre son témoignage. » et « Mise au point d’Yvon D’Anjou. Alcan réagit à la médiatisation. », p. 3, pièce E1 (onglet 20).

[14]  10 mai 2002, page 3, pièce E-4 et E-1 (onglet 26).

[15]  Pages 7 et 33, pièce E-5.

[16]  Encart introduit dans le journal Le Lingot, en juin 2006, de même que la lettre du « comité aviseur » datée du 27 juin 2006, pièce E-1 (onglets 38 et 39).

 

[17]  Motifs rédigés par madame Harvey et formulaire signé par madame Grenon le 31 août 2007, page 109 du dossier administratif.

[18]  Beaulieu et Alcoa, C.L.P. 215125-09-0308,  19 novembre 2004, G. Tardif;

Viger et C.H.U.Q., C.L.P. 215083-31-0308, 29 janvier 2004, M. Beaudoin.

[19]  Viger et C.H.U.Q., C.L.P. 215083-31-0308, 29 janvier 2004, M. Beaudoin.

[20]  Bolduc et Manufacturiers Ste-Clotilde inc.,  [1993] C.A.L.P. 1974

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.