Décision

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Jasmin c. Société des alcools du Québec

2015 QCCA 36

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-023912-132

(500-06-000604-120)

 

DATE :

 Le 14 janvier 2015

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

MANON SAVARD, J.C.A.

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

 

JEAN-RENÉ JASMIN

APPELANT - Demandeur

 

c.

 

SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC

INTIMÉE - Défenderesse

 

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L’appelant se pourvoit contre un jugement rendu le 4 septembre 2013 par la Cour supérieure, district de Montréal (l’honorable Stéphane Sansfaçon)[1] qui refuse l’autorisation d’exercer un recours collectif en dommages-intérêts contre l’intimée, la Société des alcools du Québec, aux motifs que les faits allégués ne paraissent pas justifier les conclusions recherchées sous le paragraphe 1003 b) C.p.c. et que le requérant n’est pas en mesure d’assurer une représentation adéquate des membres, conformément aux exigences du paragraphe 1003 d) C.p.c.

[2]           Pour les motifs du juge Dufresne, auxquels souscrivent les juges Savard et Émond, LA COUR :

[3]           REJETTE l’appel, avec dépens.

 

 

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MANON SAVARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A.

 

Me David Bourgoin et Me Benoît Gamache

BGA Avocats

Pour l'appelant

 

Me Gérald R. Tremblay et Me Shaun Finn

McCarthy Tétrault

Pour l'intimée

 

Date d’audience :

Le 4 novembre 2014



 

 

MOTIFS DU JUGE DUFRESNE

 

 

[4]           La Société des alcools du Québec, familièrement connue sous l’appellation « la SAQ », procure à l’État, bon an, mal an, de généreux dividendes[2]. Pour générer ces profits nets, qui se retrouvent en totalité dans les coffres de son actionnaire unique, la SAQ abuse-t-elle de sa position dominante de monopole et, comme le soutient l’appelant, contrevient-elle à l’article 8 de la Loi sur la protection du consommateur[3] (ci - après, la « L.p.c. »)?

[5]           L’appelant en est convaincu. Il entend, pour cette raison, se voir attribuer, dans le recours collectif intenté contre l’intimée, le statut de représentant de « toutes les personnes physiques, associations et personnes morales, comptant au plus cinquante (50) employés depuis le 2 avril 2011, ayant acheté de l’intimée au moins un produit alcoolisé depuis le 2 avril 2009 ». On imagine bien que la réclamation est colossale. Elle serait de l’ordre de près de 2,4 milliards de dollars, selon l’évaluation sommaire du juge de première instance. Ce n’est pas rien.

[6]           La nature du recours est, pour l’essentiel, une « action en dommages-intérêts contre l’intimée afin de sanctionner une politique de facturation de prix disproportionnés et une pratique de commerce monopolistique abusive »[4]. Les dommages réclamés ne sont rien de moins que le remboursement des montants perçus par la SAQ qui excèdent une marge de profit raisonnable à être déterminée (mais qui ne devrait pas, selon l’appelant, être plus élevée que 30 % de ses ventes), de même que des dommages punitifs en raison de la violation d’une obligation de la L.p.c., plus particulièrement à l’article 8 de cette loi.

[7]           Bref, la faute qu’impute l’appelant à la SAQ est d’avoir facturé, pendant la période de référence, les vins et spiritueux qu’elle vend aux consommateurs du Québec à des prix trop élevés par rapport à leurs coûts d’acquisition, de sorte qu’il en est résulté une disproportion. Les bénéfices ainsi générés sont à ce point considérables, selon l’appelant, qu’ils équivalent à de l’exploitation du consommateur. La SAQ contrevient donc à l’article 8 de la L.p.c. En outre, l’appelant invoque la violation des articles 6,7 et 1437 C.c.Q.

[8]           La personne qui demande l'autorisation d'exercer un recours collectif doit satisfaire aux exigences de l’art. 1003 du Code de procédure civile, lequel est ainsi libellé :

1003. Le tribunal autorise l'exercice du recours collectif et attribue le statut de représentant au membre qu'il désigne s'il est d'avis que:

 

 

 a) les recours des membres soulèvent des questions de droit ou de fait identiques, similaires ou connexes;

 

 b) les faits allégués paraissent justifier les conclusions recherchées;

 

 c) la composition du groupe rend difficile ou peu pratique l'application des articles 59 ou 67; et que

 

 d) le membre auquel il entend attribuer le statut de représentant est en mesure d'assurer une représentation adéquate des membres.

 

1003. The court authorizes the bringing of the class action and ascribes the status of representative to the member it designates if of opinion that:

 

 (a) the recourses of the members raise identical, similar or related questions of law or fact;

 

 (b) the facts alleged seem to justify the conclusions sought;

 

 (c) the composition of the group makes the application of article 59 or 67 difficult or impracticable; and

 

 (d) the member to whom the court intends to ascribe the status of representative is in a position to represent the members adequately.

 

[9]           La Cour suprême a maintes fois réitéré que ces critères d’autorisation s’interprètent de façon souple et libérale. Le juge en est conscient. Il réfère d’ailleurs à l’arrêt de principe récent de la Cour suprême dans Infineon[5], dont voici certains extraits pertinents :

[70]    Au stade de l’autorisation, l’examen ne consiste pas à procéder à l’appréciation détaillée du bien-fondé du recours collectif, mais à vérifier si la requête et les éléments de preuve qui parfois complètent le dossier font état d’une cause défendable, voire soutenable ou justifiable, pour emprunter à des synonymes. La fonction de tamisage consiste à « réserver le même sort aux recours qui, sans être frivoles, sont manifestement mal fondés » [référence omise], soit le refus d’autorisation du recours.

[71]    Cet exercice est, par nature, discrétionnaire. Il s’ensuit que la discrétion dont dispose le juge autorisateur dans l'appréciation des conditions prévues à l’article 1003 C.p.c. a pour corollaire une norme d'intervention en appel exigeante, comme le soulignent les juges LeBel et Wagner dans l’arrêt Vivendi Canada :

[34] Consciente de l’importance du pouvoir discrétionnaire reconnu au juge d’autorisation à l’égard des critères prévus à l’art. 1003 C.p.c., la Cour d’appel du Québec a affirmé à maintes reprises qu’elle ne détient qu’un pouvoir limité d’intervention en la matière et qu’elle doit faire preuve de déférence envers la décision du juge d’autorisation. Ainsi, elle n’interviendra en appel d’une décision sur une requête en autorisation d’exercer un recours collectif que si le juge d’autorisation a commis une erreur de droit ou si son appréciation des critères énoncés à l’art. 1003 C.p.c. est manifestement non fondée [références omises]. [Vivendi Canada Inc. c. Dell’Aniello2014 CSC 1 paragr. 34.]

[10]        Les parties concèdent que la requête en autorisation de l’appelant satisfait aux conditions et exigences des paragraphes a) et c) de l’article 1003 C.p.c. Le juge en prend manifestement note. Point besoin d’en dire davantage.

[11]        Il en va autrement des exigences des paragraphes b) (suffisance des faits allégués) et d) (représentation adéquate des membres du groupe) de l’article 1003 C.p.c. Dans un jugement particulièrement soigné, le juge refuse l’autorisation au motif que ces deux conditions ne sont pas remplies.

[12]        Au stade de l’autorisation, le fardeau du requérant en est un de démonstration seulement. D’ailleurs, les allégations de la requête sont tenues pour avérées[6] et le juge doit aussi « prendre en considération les pièces produites au dossier et tenir compte des interrogatoires versés au dossier »[7].

[13]        Il importe également de mentionner les articles 4 et 8 de la L.p.c. et d’en remarquer les principales composantes :

4. Le gouvernement, ses ministères et organismes sont soumis à l'application de la présente loi.


8. Le consommateur peut demander la nullité du contrat ou la réduction des obligations qui en découlent lorsque la disproportion entre les prestations respectives des parties est tellement considérable qu'elle équivaut à de l'exploitation du consommateur, ou que l'obligation du consommateur est excessive, abusive ou exorbitante.

4. The Government and the Government departments and agencies are subject to the application of this Act.


8. The consumer may demand the nullity of a contract or a reduction in his obligations thereunder where the disproportion between the respective obligations of the parties is so great as to amount to exploitation of the consumer or where the obligation of the consumer is excessive, harsh or unconscionable.

[14]        Premier constat, la SAQ est assujettie à la L.p.c., précitée, loi généralement qualifiée d’ordre public de protection[8]. Elle n’en est pas exclue, comme c’est le cas pour les contrats de vente d’électricité d’Hydro-Québec (art. 5 L.p.c.). Deuxième constat, l’article 8 L.p.c. codifie la lésion objective. Cette notion est ainsi définie par les auteurs Baudouin et Jobin :

Au sens strict, dans une conception objective, la lésion est un déséquilibre dans l’économie du contrat provenant de l’inégalité des prestations réciproques des parties. C’est donc le préjudice résultant d’une erreur économique présumée, et non voulue, sur la valeur de la prestation promise. […][9]

[15]        Il y a, en conséquence, lésion objective s’il y a disproportion entre les prestations respectives du consommateur et du commerçant, et si cette disproportion est considérable au point de léser gravement le consommateur[10].

[16]        Qu’en est-il du refus d’autorisation fondé sur le paragraphe 1003 b) C.p.c.?

[17]        Le juge fait observer, en tout premier lieu, que la légalité de la Loi sur la Société des alcools du Québec, précitée, n’est pas attaquée, de sorte que « le débat entourant les marges bénéficiaires de la SAQ se situe donc dans la cour des politiciens et non dans celles des juges ».

[18]        Puis, il considère que la SAQ est assujettie à la L.p.c., mais pas nécessairement à l’article 8 :

[56]        Il ressort des allégués de la requête que la faute reprochée à la SAQ est de profiter de sa « situation de plein monopole sans balises indépendantes » afin de « gonfler artificiellement » les prix de ses produits et ainsi générer des « marges bénéficiaires démesurées ».

[57]        Le syllogisme que propose le requérant implique donc que la disproportion entre le coût d’achat d’une bouteille de vin par la SAQ et son prix de revente au consommateur, tout comme entre ses bénéfices et ceux qui devraient être, sont tellement considérables qu’elles équivalent à de l’exploitation du consommateur au sens de l’article 8 de la L.p.c., à de la lésion au sens de l’article 1406 C.c.Q. ou encore à une situation de désavantage excessif ou déraisonnable au sens de l’article 1437 C.c.Q.

[58]        De l’avis du Tribunal, ce syllogisme que propose le requérant est affecté d’un vice qui lui est fatal, étant donné que, bien que la SAQ soit en principe soumise à la L.p.c., ses politiques de prix, tout comme ses marges bénéficiaires élevées, ne peuvent être qualifiées d’exploitation du consommateur, de déraisonnables ou de lésionnaires au sens de ces lois, puisqu’elles résultent directement de la décision du législateur de créer un monopole d’État.

[…]

[70]      Le législateur, dans sa grande sagesse, a voulu donner champ libre à la SAQ, du moins en matière de contrôle du marché et de fixation du prix de ses produits. Il savait qu’en ce faisant, il en résulterait vraisemblablement une hausse réelle des prix à des niveaux difficilement atteignables dans un marché ouvert, et que cette hausse des prix, ajoutée aux économies initialement obtenues lors de l’achat des produits à bas prix grâce à son pouvoir d’achat, permettrait à la SAQ de générer des niveaux de bénéfices susceptibles d’être exceptionnellement élevés comparativement aux niveaux de bénéfices générés par d’autres types de commerces de vente au détail.

[…]

[73]      Évidemment, la situation de monopole de la SAQ ne la dispense pas de respecter les autres dispositions de la L.p.c. tel en matière de garantie, de publicité ou à tout autre égard.

[74]      Ainsi, puisque les marges bénéficiaires et les politiques de prix des produits vendus par la SAQ, même s’il était prouvé au mérite qu’ils sont très élevées, ne peuvent être qualifiées de fautives, le syllogisme proposé par le requérant est affecté d’un vice qui ne permet pas de conclure qu’il existe une apparence sérieuse de droits, ni que les faits énoncés dans la requête paraissent justifier les conclusions recherchées[11].

[Références omises]

[19]        D’abord, soyons clair, comme l’appelant l’est, d’ailleurs, sur ce point : la légalité du monopole d’État pour la vente du vin et des spiritueux n’est ni remise en question ni contestée, pas plus qu’elle n’était l’objet de débat en première instance. Ce qui est en cause en l’espèce, et qui doit être tenu pour avéré à ce stade, ce sont les marges bénéficiaires prises par la SAQ sur l’ensemble des produits qu’elle vend. Ces marges de profit sont qualifiées de disproportionnées par l'appelant au sens de l'article 8 L.p.c.

[20]        L’appelant reproche au juge de première instance d’avoir considéré que l’article 8 L.p.c. ne s’applique pas à la SAQ et conclut, en conséquence, que l’exigence du paragraphe 1003 b) C.p.c. n’est pas satisfaite.

[21]        D’emblée, je partage généralement l’avis exprimé par le juge de première instance. Comme lui, je crois que la demande d’autorisation ne pouvait réussir (paragr. 1003 b) C.p.c.), mais à une nuance ou précision près, c’est-à-dire que la SAQ est bel et bien assujettie, comme tout autre commerçant, à l’article 8 L.p.c. En l’espèce, le recours est toutefois mal fondé. Voyons davantage.

[22]        L’appelant est un consommateur qui a acheté, entre le 27 janvier 2012 et le 16 mars 2012, plusieurs produits alcoolisés à la SAQ pour un montant de 578,70 $. Lors d’un voyage en Floride, il réalise qu’une bouteille d’un certain vin de 1,5 litre se vend 12 $, soit le même prix qu’une bouteille de 750 millilitres du même vin dans une succursale de la SAQ. En discutant avec des gens proches de lui de l’écart de prix, il conclut que la SAQ vend ses produits à des prix trop élevés et intente le présent recours collectif. En raison de ces discussions, il a l’impression que les profits de la SAQ sont excessifs.

[23]        L’appelant s’en prend en définitive au modèle d’affaires de la SAQ. Il ne s’attaque pas à un ou, à la limite, à quelques produits en particulier qu’il se serait procurés, en alléguant l’abus ou la disproportion de la marge bénéficiaire sur ce ou ces produits et pour lesquels il demanderait la nullité du contrat (en d’autres mots, la restitution) - ce qui n’est pas toujours évident dans le cas de liquides destinés à être consommés - ou, si déjà dégustés, la réduction des obligations qui découlent du contrat, en demandant un remboursement du trop payé au-delà d’un bénéfice raisonnable. Il s’attaque plutôt à la marge bénéficiaire générée par l’ensemble des ventes de la SAQ au cours de la période de référence, soit depuis le 2 avril 2009. C’est là où, à mon avis, le bât blesse.

[24]        Exposons les choses de façon concrète. Il suffit pour ce faire de ramener la discussion à l’échelle d’un simple marchand, qui ne jouit pas d’une position monopolistique. On imagine mal que les clients ayant acheté un ou plusieurs produits du marchand, pendant une période donnée, puissent intenter un recours en dommages-intérêts, qu’il soit individuel ou collectif, fondé sur la disproportion de la marge bénéficiaire pour l’ensemble des ventes annuelles du commerçant.

[25]        Poussons l’exemple un cran plus loin. Le client se pointe dans un commerce au détail pour y acheter un bien de consommation, par exemple un téléviseur dernier cri. Si, après l’achat, il découvre que le prix que le marchand lui a demandé est abusif, en ce qu’il a pris une marge bénéficiaire disproportionnée par rapport au produit vendu, en le comparant avec le prix du marché pour un semblable produit, et que cette disproportion est considérable, il pourra rapporter le produit au marchand et en demander le remboursement ou une réduction du prix de vente. Voilà une application de l’article 8 L.p.c. Cela dit, le consommateur ne doit pas se précipiter pour autant chez le marchand pour demander la remise en état ou une réduction du prix de vente au moindre constat d’un prix plus élevé par rapport au prix vendu par un autre.

[26]        Pour qu’il y ait lésion au sens de l’article 8 L.p.c., cela exige davantage. Deux conditions sont nécessaires pour que l’on se trouve en présence d’une lésion objective au sens de l’article 8 L.p.c. : premièrement, l’existence d’une disproportion entre la valeur des prestations respectives des parties au contrat de consommation et deuxièmement, la constatation que cette disproportion est considérable. L’examen effectué par le tribunal saisi d’un recours fondé sur l’article 8 L.p.c. consiste à vérifier si la disproportion entre les prestations des parties est considérable au point de léser gravement le consommateur. S’il effectue ce constat, le tribunal conclura à de l’exploitation du consommateur. Le consommateur pourra alors obtenir l’annulation du contrat ou la réduction des obligations en résultant. Voilà, dépeinte à grands traits, l’interprétation donnée à l’article 8 L.p.c.[12]. Les applications foisonnent dans la jurisprudence.

[27]        Pour décider si la disproportion observée pour un produit donné équivaut à de l’exploitation, un simple exercice mathématique ne suffit pas nécessairement. Le tribunal peut avoir à prendre en compte plusieurs facteurs, dont la nature du produit, son prix, la marge bénéficiaire du marchand sur la vente de ce produit - mais pas uniquement sur une base unitaire - le type de commerce, les caractéristiques particulières du marché et un ou des comparables dans le marché pertinent.

[28]        Il arrivera parfois que la conclusion s’impose plus facilement. À titre illustratif, une juge, saisie d’une demande sous l’article 8 L.p.c., a considéré qu’une marge bénéficiaire de 400 % réalisée sur la vente d’un sabre était disproportionnée au point d’équivaloir à de l’exploitation. Rien de trop étonnant si on considère que, en ce cas, la preuve établissait que la valeur marchande du sabre se situait entre 400 $ et 500 $, que le prix payé par le marchand était de 420 $ et, enfin, que le prix payé par le consommateur était de 1 700 $[13]. En d’autres situations plus complexes, les facteurs à considérer pourront être plus nombreux.

[29]        Maintenant, qu’en est-il du recours collectif intenté contre la SAQ?

[30]        En tout premier lieu, il faut passer avec succès l’étape de tamisage que constitue le stade de l’autorisation du recours collectif (art. 1003 C.p.c.). Le législateur a vite compris que ce type de recours est susceptible, par nature, de drainer des ressources considérables. Il a donc assujetti ce recours à une procédure préliminaire d’autorisation. Si le recours collectif est parfois décrié, il demeure néanmoins qu’il offre une voie procédurale utile, voire nécessaire. Ce moyen, lorsque les conditions d’exercice sont satisfaites, sert fort bien des situations où la multitude de recours individuels viendrait littéralement engorger le système judiciaire.

[31]        Le syllogisme proposé par l’appelant est affecté d’un vice qui ne permet pas de conclure qu’il existe une sérieuse apparence de droit. C’est la conclusion à laquelle en arrive le juge. Je partage son avis sur ce point.

[32]        En se fondant principalement sur une étude d’impact financier[14] et divers autres documents, l’appelant s’attaque à la marge bénéficiaire globale de la SAQ. Bref, le recours vise ainsi tous les produits vendus par la SAQ à tous ses clients pendant la période de référence. Sans reprendre l’analyse fouillée du juge sur cette question, je considère qu’il a raison d’affirmer qu’on ne peut remettre en question l’ensemble des politiques de prix, tout comme sa marge bénéficiaire moyenne, si élevée soit-elle[15], sur l’ensemble de ses ventes annuelles (environ 12 000 produits, selon l’intimée), puisqu’elles résultent de la décision du législateur de créer un monopole d’État pour le commerce du vin et des spiritueux[16].

[33]        Avec égards, je suis d’avis que la SAQ est, à l’instar de tout autre commerçant, assujettie à l’article 8 L.p.c., lorsque, pour un produit donné, le consommateur est en mesure d’établir que la marge bénéficiaire sur celui-ci est à ce point disproportionnée qu’elle équivaut à de l’exploitation au sens de cette disposition de la L.p.c. Si le législateur voulait exempter la SAQ de l’application de l’article 8, il lui fallait l’édicter, comme il l’a d’ailleurs fait pour les contrats d’électricité d’Hydro-Québec.

[34]        La SAQ ne bénéficie d’aucune immunité en vertu de la loi. Elle n’est donc pas à l’abri d’un recours en vertu de l’article 8 L.p.c., ce qui ne signifie pas que sa marge de manœuvre dans l’établissement de sa politique de prix ne puisse être élevée.

[35]        Tel que déjà mentionné, les tribunaux appliquent généralement l’article 8 L.p.c. lorsque la différence entre le coût demandé par un commerçant et la valeur marchande usuelle d’un produit ou service est si élevée qu’elle entraîne une disproportion si considérable qu’elle équivaut à de l’exploitation du consommateur.

[36]        À titre illustratif seulement, on peut facilement imaginer que le statut et la mission de la SAQ seront pris en considération pour déterminer si le prix demandé pour un produit donné est, par voie de comparaison significative dans le marché, à ce point disproportionné ou exorbitant qu’il équivaut à de l’exploitation du consommateur. Les caractéristiques propres au réseau de distribution de la SAQ à la grandeur du territoire québécois et la politique du prix unique sont autant d’éléments pertinents à prendre en compte, mais là n’est pas l’enjeu du présent recours.

[37]        Bref, on ne peut poursuivre en justice la SAQ en vertu de l’article 8 L.p.c. en se fondant indistinctement sur la marge bénéficiaire réalisée sur l’ensemble de ses ventes sans remettre en question le modèle d’affaires établi par la volonté du législateur. En outre, bien qu’on n’ait pas à en décider, vu la conclusion arrêtée, on peut s’interroger sur l’intérêt juridique de l’appelant pour intenter pareil recours.

[38]        La requête de l’appelant ne satisfait donc pas à l’exigence du paragraphe 1003 b) C.p.c. Le recours de l’appelant ne pouvait réussir, pas plus que son pourvoi, d’ailleurs.

[39]        Bien qu’il ne soit pas nécessaire pour décider du sort du pourvoi d’aborder le critère de la qualité du représentant (paragr. 1003 d) C.p.c.), je considère néanmoins utile d’en toucher un mot.

[40]        En l’espèce, l’appelant est l’initiateur du recours. Selon la preuve, c’est lui qui a approché le cabinet d’avocats et confié le mandat.

[41]        Le juge est bien conscient que le seuil pour satisfaire cette condition est peu élevé, mais il considère néanmoins que l’appelant ne remplit pas cette exigence.

[42]        Il est plus facile, il va sans dire, de se montrer particulièrement exigeant envers celui ou celle qui recherche l’autorisation d’exercer un recours collectif lorsque, comme en l’espèce, l’autorisation est refusée pour un autre motif (absence d’une cause défendable). L’examen de ce critère devrait pourtant être la même. La Cour suprême ne cesse de rappeler qu’il faut se garder d’être trop exigeant ou sévère concernant la qualité du représentant (paragr. 1003 d) C.p.c.)[17].

[43]        Ainsi, le fait qu’un requérant n’assiste pas à toute l’audience en première instance n’est pas un critère absolu, pas plus qu’à l’inverse, un requérant s’accrédite du seul fait d’avoir été présent pendant toute l’audience, comme ici en appel. De plus, le degré de connaissance du dossier judiciaire par le requérant ne signifie pas nécessairement un manque d’intérêt flagrant de sa part. Je n’ose imaginer ce que deviendrait cette procédure collective s’il fallait avoir recours à des super-requérants, qu’on retrouverait probablement d’un dossier à l’autre, et qui auraient, il va sans dire, réponse à tout lors d’un interrogatoire préalable ou hors de cour avant l’autorisation. Ce ne serait pas très rassurant. En somme, il faut favoriser le juste milieu, mais tout en ayant à l’esprit le proverbe qui veut que, parfois, « le mieux est l’ennemi du bien »[18].

[44]        En toute justice toutefois pour le juge de première instance, sa conclusion en regard de l’exigence du paragraphe 1003 d) C.p.c. repose sur une analyse fort détaillée de plusieurs éléments pertinents, dont certains plus objectifs que d’autres. Comme le refus d’autoriser le recours de l’appelant est aussi fondé sur le défaut de ce dernier de satisfaire au paragraphe 1003 b) C.p.c., il ne s’avère pas nécessaire, en l’espèce, de se prononcer davantage sur cette exigence.

[45]        Je propose donc de rejeter le pourvoi, avec dépens.

 

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 



[1]     Jasmin c. Société des alcools du Québec, 2013 QCCS 4162.

[2]     La Loi sur la Société des alcools du Québec (L.R.Q., c. S-13) confère à la SAQ le monopole de la vente et de la distribution du vin et des spiritueux sur l’ensemble du territoire québécois. Son actionnaire unique est le Gouvernement du Québec. L’art. 58 de cette loi énonce que le ministre fixe le dividende. La preuve révèle que le ministre fixe, année après année, ce dividende à 100 % du résultat net de l’entreprise.

[3]     R.L.R.Q., c. P-40.1.

[4]     Extrait de la requête en autorisation de l’appelant.

[5]     Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, 2013 CSC 59, 3 R.C.S. 600.

[6]     Pharmascience inc. c. Option Consommateurs, [2005] R.J.Q. 1367, 2005 QCCA 437, paragr. 29, juge Gendreau, requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 25 août 2005, 30922.

[7]     Union des consommateurs c. Bell Canada, supra, 2012] R.J.Q. 1243, 2012 QCCA 1287, paragr. 88, juge Chamberland, requête pour autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée, 17 janvier 2013, 34994; Voir aussi Tonnelier c. Québec (Procureur général), J.E. 2012-1864, 2012 QCCA 1654, paragr. 57-58, juge Dufresne.

[8]     Fortier c. Meubles Léon ltée, 2014 QCCA 195, paragr. 64.

[9]     Jean-Louis Baudouin et Pierre-Gabriel Jobin, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013, n° 264, p. 371.

[10]     Gareau Auto c. Banque canadienne impériale de commerce et Guy Charbonneau, [1986] R.J.Q. 1091, p. 1096; Chantal Riendeau c. Compagnie de la Baie d’Hudson, SOQUIJ AZ-50069972, J.E. 2000-641, paragr. 27.

[11]    Jasmin c. Société des alcools du Québec, 2013 QCCS 4162.

[12]    Riendeau c. Compagnie de la Baie d’Hudson, supra, note 9; Gareau auto c. Banque canadienne impérial de commerce et Guy Carbonneau, supra, note 9; voir aussi Nicole L’Heureux et Marc Lacoursière, Droit de la consommation, 6e éd., coll. Centre d’études en droit économique, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 65-66; Claude Masse, Loi sur la protection du consommateur, analyse et commentaires, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1999, p. 134-135.

[13]    Prugne c. Laporte, 2013 QCCQ 5111 (j. Monique Dupuis).

[14]    Frédéric Laurin, Impact d’une libéralisation partielle de la distribution des vins et alcools au Québec sur les finances du Québec, Université du Québec à Trois-Rivières, Département des sciences de la gestion, 2ième version préliminaire, mars 2012.

[15]    L’appelant allègue que « […] la marge de profit sur le coûtant des produits serait de 74% pour l’année 2011 et de 72% pour l’année 2010 ».

[16]    Outre la mission confiée à la SAQ par la loi, précitée, des discours sur le budget mis en preuve font mention du fait que la SAQ respecte l’objectif fixé ou les cibles établies, et qu’il a été demandé à cette société d’État d’améliorer ses performances.

[17]    Infineon Technologies AG c. Option consommateurs, supra, note 4, paragr. 149.

[18]    Voltaire, La Bégueule (conte moral).

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