Décision

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Gabarit CSF

Barreau du Québec (syndic adjoint) c. Atudorei

                                             2016 QCCDBQ 029

 

 
CONSEIL DE DISCIPLINE

BARREAU DU QUÉBEC

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N°:

06-15-02906

 

DATE :

 11 février 2016              

______________________________________________________________________

 

LE CONSEIL :

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente

Me ELAINE DOYON

Membre

Me HÉLÈNE LEDUC

Membre

______________________________________________________________________

 

Me STEPHEN WISHART, en sa qualité de syndic adjoint du Barreau du Québec

 

Partie plaignante

c.

 

Me DANIEL ATUDOREI

 

Partie intimée

______________________________________________________________________

 

DÉCISION SUR REQUÊTE POUR FAIRE DÉCLARER LE PLAIGNANT INHABILE

______________________________________________________________________

 

[1]            Le Conseil de discipline s’est réuni le 8 octobre 2015 pour procéder à l’audition de la requête pour faire déclarer le plaignant inhabile.

[2]            Cette requête est en réponse à la plainte portée contre l’intimé, Me Daniel Atudorei, par le syndic adjoint plaignant du Barreau du Québec, Me Stephen Wishart.

 

LA PLAINTE

[3]            Cette plainte amendée le 30 juin 2015 sous réserve de l’autorisation du Conseil est ainsi libellée :

« Me DANIEL ATUDOREI (301868-7), régulièrement inscrit au Tableau de l’Ordre des avocats du Québec, a commis des actes dérogatoires à l’honneur et à la dignité du Barreau, à savoir :

1.    À Laval, le 4 février 2015, a manqué à son devoir d’agir avec dignité, honneur, respect, modération et courtoisie lorsqu’il a écrit des courriels destinés à sa consoeur, E.G., et au Bureau du syndic contenant des propos dérogatoires à l’endroit de Madame M.P., contrevenant ainsi à l’article 2.00.01 du Code de déontologie des avocats et à l’article 59.2 du Code des professions;

2.    À Laval, le 4 février 2015, a omis de sauvegarder son indépendance professionnelle dans le cadre de sa représentation de son client, Monsieur S.C., dans un dossier de séparation portant le numéro 500-04-050545-095 vis-à-vis Madame M.P., contrevenant ainsi qu’aux articles 3.00.01 et 3.06.05 du Code de déontologie des avocats et à l’article 59.2 du Code des professions.

Se rendant ainsi passible des sanctions prévues à l’article 156 du Code des professions

[4]            Les gestes reprochés à l’intimé auraient été posés dans le cadre d’une enquête menée par le syndic adjoint plaignant à la suite d’une demande d’enquête de M.P. qui reprochait à l’intimé d’avoir menti à son sujet devant le Tribunal.

[5]            L’intimé représentait alors l’ex-conjoint de M.P. dans un litige matrimonial.

LA REQUÊTE

[6]            Par sa requête, l’intimé reproche au syndic adjoint plaignant la façon dont il a mené son enquête à son endroit.

[7]            Il prétend que le syndic adjoint ne peut être à la fois enquêteur, plaignant et témoin de l’infraction pour laquelle il porte plainte devant le Conseil et qui est sans lien avec la demande d’enquête de M.P.

[8]            Il ajoute que le public n’est aucunement concerné par les gestes reprochés à la présente plainte.

[9]            Il dénonce la partialité du syndic adjoint plaignant dans la conduite de son dossier.

[10]         Il allègue que le syndic adjoint plaignant a perdu son indépendance et l’objectivité nécessaire pour traiter le présent dossier.

[11]         Il soumet que le syndic adjoint plaignant est ainsi devenu inhabile à agir à la fois à titre de témoin de l’infraction reprochée et de plaignant dans la présente affaire.

ARGUMENTATION DES PARTIES

L’intimé

[12]         Lors de l’audition, la procureure de l’intimé reprend les allégations de sa requête.

[13]         Elle souligne la longueur de l’enquête débutée en avril 2013 et la constante collaboration de l’intimé.

[14]         Elle argue que l’intimé n’a rien à se reprocher.

[15]         Elle ajoute que M.P. n’a pas connaissance des propos reprochés à l’intimé et qu’il s’agit d’une communication entre avocats.

[16]         Elle conclut en plaidant que le syndic adjoint ne peut être à la fois enquêteur et plaignant et qu’il contrevient à son devoir d’indépendance.

 

Le syndic adjoint plaignant

[17]         En réponse à l’argumentation de l’intimé, le syndic adjoint plaignant soutient que le rôle du Bureau du syndic est mal compris par l’intimé.

[18]         Il explique les fonctions des syndics adjoints et réfère à l’article 128 du Code des professions qui indique que le syndic peut porter plainte de sa propre initiative.

[19]         Il plaide que le rôle du syndic est justement de prendre position et de porter plainte s’il le juge opportun.

[20]         Il dépose des autorités pour clarifier son rôle.

 

ANALYSE

[21]         D’abord, il est important de rappeler que, de jurisprudence constante, le Conseil n’a pas juridiction sur la façon dont un syndic mène son enquête. Son rôle se limite à disposer des plaintes dont il est saisi.

[22]         Le jugement de la Cour supérieure dans l’affaire Richard c. Tribunal des professions[1] le confirme et passe en revue les différentes décisions du Tribunal des professions à ce sujet[2].

[23]         Des extraits pertinents de ce jugement et des causes citées ont par ailleurs été repris récemment par une autre division du Conseil de discipline du Barreau dans l’affaire Séguin et Goulet[3].

[24]         Cela dit, l’article 122 du Code des professions prévoit que le syndic peut faire enquête à la suite d’une information indiquant qu’un professionnel a commis une infraction et exiger qu’on lui fournisse tout renseignement et document relatif à son enquête.

[25]         Dans le cadre des échanges entre le syndic et le professionnel, il arrive que le professionnel puisse commettre d’autres infractions.

[26]         On pense spontanément au cas d’entrave à l’enquête du syndic ou au refus de répondre à ses demandes.

[27]         Dans ces cas, on ne s’étonnera pas de voir le syndic porter une plainte contre le professionnel conformément à l’article 128 du Code des professions et témoigner devant le Conseil pour faire la preuve qu’il y a eu effectivement entrave.

[28]         Cette plainte n’a alors aucun lien avec les motifs de la demande d’enquête qu’il a reçue au départ.

[29]         Le Conseil juge utile de se référer aux enseignements du juge Pierre Dalphond, alors à la Cour supérieure, dans l’affaire Parizeau c. Barreau du Québec[4] pour bien circonscrire le rôle du syndic.

[30]         Après avoir exposé l’obligation pour le Barreau d’adopter un code de déontologie pour contrôler la profession et de mettre en place un système comprenant notamment un conseil de discipline chargé d’étudier toute plainte portée et un syndic responsable de faire enquête au sujet de toute infraction aux normes applicables et de porter plainte, le juge Dalphond s’exprime ainsi :

« La clé de voûte au niveau du contrôle de la profession est le syndic qui joue un double rôle : celui d’enquêteur doté de pouvoirs importants (art. 122 du Code) et celui de dénonciateur ou plaignant devant le comité de discipline (art. 128 du Code). Il est à noter que toute autre personne peut aussi déposer une plainte devant le comité (art. 128 du Code).

Lorsqu’il agit comme plaignant devant le comité de discipline, le syndic ne joue pas un rôle équivalent à celui du procureur de la Couronne dans un dossier criminel ou pénal. Un examen sommaire du Code fait voir que le rôle du syndic s’apparente plus à celui du policier qui a pour fonction de faire enquête et s’il y a lieu de déposer une dénonciation; »

[31]         C’est donc dire que le syndic peut à la fois être plaignant et témoin lors de l’audition de la plainte qu’il a portée.

[32]         Le juge Dalphond explique également que le syndic n’est pas tenu d’agir de manière indépendante et impartiale face au professionnel. Il est normal qu’il prenne position.

[33]         Le Tribunal des professions dans l’affaire Choinière[5] réitère le principe voulant que le syndic n’a pas à faire preuve d’impartialité face au professionnel.

[34]         Bref, le Conseil est d’avis que le syndic adjoint peut très bien agir comme plaignant, dans le présent dossier, quant aux gestes dont il a été témoin dans le cadre de ses échanges avec l’intimé durant son enquête et témoigner devant le Conseil pour en faire la démonstration.

[35]         Cela ne privera pas l’intimé d’une défense pleine et entière. Il pourra contester le bien-fondé de cette plainte et présenter au Conseil tous les moyens de défense qu’il juge à propos.

[36]         À l’issue du processus disciplinaire, il reviendra au Conseil de décider si les gestes reprochés à l’intimé constituent une faute déontologique.

[37]         Le Conseil décide donc de rejeter la requête pour faire déclarer le syndic adjoint plaignant inhabile.

 

EN CONSÉQUENCE, LE CONSEIL, UNANIMEMENT :

REJETTE la requête de l’intimé;

CONVOQUE les parties pour procéder à l’audition sur culpabilité à être fixée.

 

 

 

__________________________________

Me MARIE-JOSÉE CORRIVEAU

Présidente

 

 

__________________________________

Me ELAINE DOYON

Membre

 

 

__________________________________

Me HÉLÈNE LEDUC

Membre

 

 

Me Stephen Wishart, syndic adjoint du Barreau du Québec

Partie plaignante

 

Me Iona Tudor

Procureure de la partie intimée

 

 

Date d’audience :

8 octobre 2015

 



[1]     2009 QCCS 5532 (CanLII).

[2]     Fullum c. Psychologues (Corp. professionnelle des), AZ- AZ-91041098 (T.P.); Hakim c. Opticiens d'ordonnances (Corp. professionnelle des), AZ-93041045 (T.P.); Tran c. Chimistes (Ordre professionnel des), 2000 QCTP 42; Parizeau c. Avocats (Ordre professionnel des), AZ-96041090 (T.P.); Legault c. Notaires (Ordre professionnel des), AZ-50141650 (T.P.); Legault c. Tribunal des professions, AZ-50166193 (QC C.A.); Khoury c. Technologistes médicaux (Ordre professionnel des), 2003 QCTP 120 (CanLII); Choinière c. Avocats (Ordre professionnel des), 2005 QCTP 57 (CanLII); Dubé c. Bernard , AZ-50360584 (Comité de discipline du Barreau du Québec); Rudick c. Morin, AZ-01041044 (Comité de discipline de l'Ordre des dentistes du Québec).

[3]     Barreau du Québec (Syndic adjoint) c. Me Séguin et Me Goulet, 2015 QCCDBQ 66 (CanLII),

[4] AZ-97021418; [1997] R.J.Q. 1701.

[5] Choinière c. Avocats (Ordre professionnel des), 2006 QCTP 124.

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