Décision

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Rioux c. Souscripteurs du Lloyd's

2016 QCCS 2433

 

JT 1581

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

GATINEAU

 

N° :

550-17-007920-141

 

DATE :

 30 mai 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

CAROLE THERRIEN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

BENOÎT RIOUX

Demandeur

c.

 

LES SOUSCRIPTEURS DU LLOYD’S

Défenderesse

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

 (Sur requête introductive en réclamation d'indemnité)

______________________________________________________________________

 

[1]           En 2011, M. Rioux possède un immeuble centenaire assuré par les Lloyd's (l'Assureur). En quelques semaines, la bâtisse se retrouve inutilisable puisque sa structure devient instable en raison de l'affaissement de sa fondation.

[2]           Il avise l'Assureur et réclame d'être indemnisé. Sans être certain de la cause de son sinistre, il évoque à l'origine la réfection d'un stationnement commercial voisin.  Puis soupçonne rapidement les vibrations engendrées par d'importants travaux de remplacement des infrastructures dans la rue et dans tout le quartier depuis un an.  

[3]           L'Assureur refuse de verser l'indemnité.  Malgré qu'il s'agisse d'une police tous risques, il soutient que des exclusions trouvent application, à savoir:

·        la pénétration des eaux naturelles à travers les murs ou ouvertures des caves, les fondations, le sol des caves ou les trottoirs;

·        l’usure normale, la détérioration graduelle, les défauts cachés ou le vice propre;

·        le tassement, l’expansion, la contraction, le mouvement, le glissement ou la fissuration;

LE LITIGE

[4]           Les parties conviennent du montant de l'indemnité à être versée, le cas échéant.

[5]           De même, tous reconnaissent que les dommages ont été causés par l'affaissement du ciment qui recouvrait le sol du vide sanitaire. Cette surface s'est abaissée en raison de la perte de densité du sol sur lequel elle reposait. À certains endroits, des dépressions profondes de près de six pouces sont observées.

[6]           M. Rioux a ainsi établi sont droit à l'indemnité.

[7]            L'Assureur doit en conséquence faire la preuve de l'application des exclusions qu'il invoque.  Il doit prouver que la perte de sol sous le plancher du vide sanitaire est attribuable à la pénétration des eaux naturelles, au mauvais entretien de l'immeuble ou au tassement de la matière.

*****

[8]           Le Tribunal estime que l’Assureur ne s’est pas déchargé de ce fardeau.

[9]           Tenant compte des principes d'interprétation restrictive de telles exclusions et malgré que la cause ne soit pas démontrée avec certitude, l'ensemble des circonstances permet de conclure qu'il est peu probable que les éléments soulevés par l'Assureur soient en cause. Il est davantage probable que les travaux de la municipalité soient à l'origine des mouvements observés dans le sol sous le plancher du vide sanitaire.

LE CONTEXTE

            Avant les événements

[10]        En 2009, M. Rioux possède plusieurs maisons dans le quartier de l'Ile de Hull.  Il s'agit d'un arrondissement construit au début du siècle dernier à vocation ouvrière à l'origine.

[11]        Il s'agit de petites maisons modestes qu'il loue et gère avec l'aide de ses fils et de la conjointe de l'un d'eux (Mme Lalonde). À un certain moment, le groupe s'occupe de 55 locataires. Il ne s'agit pas de la principale occupation de M. Rioux.

[12]        En 2004, il visite la maison qui nous occupe, rue Champlain dans le but de l'acheter, ce qui ne se concrétisera pas à ce moment, son offre étant refusée.

[13]        L'année suivante, il la visite à nouveau et cette fois conclura la transaction.

[14]        Il s'agit d'un triplex dont la structure repose essentiellement sur les fondations faites de pierres et de ciment. Le sous-sol se compose d'un vide sanitaire d'environ quatre pieds de hauteur. Les murs d'origine sont couverts d'uréthane soufflé et le sol de terre est recouvert d'une couche de ciment de quelques pouces. Au centre de cet espace on observe des colonnes métalliques ajustables qui sont placées à divers endroits, principalement au centre. Elles sont installées entre le sol et les solives du plancher du rez-de-chaussée.

[15]        Une pompe à eau se trouve au centre d'un trou dans le plancher de ciment.  La pompe est installée directement dans le sol et le tuyau d'évacuation est placé dans l'égout.

[16]        M. Rioux et son fils inspectent l'immeuble et ne voient aucune indication qui pourrait laisser croire à une problématique d’infiltration d’eau ou d’affaissement de la structure.

[17]        L'immeuble est alors loué.  De manière générale, le fils de M. Rioux et sa conjointe collectent les loyers et s'occupent de l'entretien des immeubles, dont celui qui nous occupe.

Le début des travaux

[18]        À l'automne 2010, la municipalité entreprend des travaux de réfection des infrastructures du quartier, dont la rue Champlain. Les conduites d'eau et d'égout seront remplacées.  Les travaux consistent à retirer les éléments existants pour en installer de nouveaux impliquant le retrait de l'asphalte, des trottoirs de même que le raccordement de chacune des maisons avec le nouveau système.  La nouvelle tuyauterie sera installée un peu plus profondément que l'ancienne et occupera plus d'espace dans le sol.

[19]        Ces travaux nécessiteront l'utilisation de marteaux piqueurs, excavatrices, compacteurs et autres camions lourds.

[20]        En décembre 2010, M. Rioux demande un refinancement de cet immeuble et le prêteur mandate un évaluateur pour évaluer la maison.  Ce professionnel visite l'immeuble et conclut qu'il est en bonne condition.  Il estime sa vie économique à encore 42 ans.  Il prend des photos qui nous indiquent qu'à cette date la rue n'est pas recouverte d'asphalte, les trottoirs sont enlevés et qu'une pièce de machinerie est stationnée sur le terrain de la maison.

 

 

[21]        En septembre 2011, un locataire se plaint qu'une porte de l'immeuble ne ferme plus. Un ouvrier mandaté par le propriétaire observe aussi une fissure dans le mur au-dessus de certaines portes. Il constate plus tard que certaines poutres dans le vide sanitaire sont tombées.  Il en avise Mme Lalonde, représentante du propriétaire.

[22]        Mme Lalonde avise à son tour son conjoint, fils de M. Rioux qui se rend sur place et observe les mêmes éléments en plus d'une fissure sur le mur de la fondation qui fait front à la rue.  En une semaine, la fissure passe d’une largeur de quelques millimètres à plusieurs centimètres.

L'inspection par l'évaluateur de l'assureur (octobre 2011)

[23]        L'Assureur est contacté (M. Lavoie) et il mandate M. Berthiaume, évaluateur, pour quantifier les dommages qui sont alors présumément causés par l'eau.

[24]        Le 17 octobre, M. Berthiaume constate aussi les fissures aux étages supérieurs et dans le mur de fondation au sous-sol.  Cette fissure mesure alors entre 1 pouce et 1 pouce et demi et les plaques supérieures et inférieures se sont déplacées tant verticalement que latéralement.  Plusieurs poteaux sont tombés et le sol de ciment cède sous ses pieds lorsqu'il marche dessus.  Il quitte précipitamment, il craint sérieusement que l'édifice ne s'écroule.  Il confirme à l'assureur que les dommages pourront s'élever à plus de 190 000$ et que, selon lui, les dommages résultent d'une infiltration d'eau au sous-sol.

[25]        Il écrit : il y avait un lavement quelconque du sol dessous le plancher de béton rude. Pour lui, il semble probable que l'infiltration à l'intérieur du vide sanitaire soit un problème long terme, possiblement aggravé récemment.

[26]        Le bâtiment est évacué.

[27]        En novembre 2011, l'Assureur nie couverture puisqu'il estime que les dommages résultent d'une infiltration d'eau qui se serait produite de façon répétée et continue, au travers des murs de fondation du bâtiment.  La lettre réfère aux exclusions 6.2.6.1 et 6.2.17.

[28]        De multiples discussions se tiennent ensuite entre M. Rioux et ses assureurs, lesquels ne porteront pas fruits et la présente poursuite intervient en 2014.

[29]        M. Rioux interpellera la municipalité qui nie toute responsabilité et réfère            M. Rioux au contacteur qui a effectué les travaux dans la rue.

[30]        Le bâtiment est aujourd'hui démoli.

 

 

L’ANALYSE

a.    La pénétration des eaux naturelles

[31]        Il est acquis que si le Tribunal estime que la cause résulte du fait des travaux de la municipalité, le sinistre est couvert.

[32]        Le texte de la police se lit comme suit:

Sont exclus de la présente assurance les dommages occasionnés directement ou indirectement :

6.2.6.1 par la pénétration des eaux naturelles à travers les murs ou ouvertures des caves, les fondations, le sol des caves ou les trottoirs en quelque matériau qu’ils soient, notamment ceux qui sont translucides, ou par le refoulement des égouts, puisards, fosses septiques ou drains, à moins que ce ne soit en conséquence directe et immédiate d’un sinistre couvert;

( Notre soulignement)

[33]        L’assureur plaide que le sol sous la dalle a été aspiré par la pompe.  Il s'agit donc d'un dommage qui résulte de la pénétration des eaux naturelles.  L'expert qu'il a mandaté s'exprime ainsi :

Nous sommes d’opinion que le drainage de l’eau sous la dalle provenant des pentes négatives sur le terrain et probablement en partie du terrain voisin a fait en sorte qu’il y a eu lavage des particules fines par pompage.  Ceci a fait en sorte qu’il y a eu déstabilisation de la mince dalle sur sol qui supportait les poteaux de support en acier qui étaient l’élément principal de support de la structure du bâtiment.

[34]        Il avance donc qu'au fil des ans, la pompe a aspiré des particules fines en même temps que de l’eau, pour rejeter le tout dans l’égout. Ce faisant, un déficit de « sol » s’est créé pour finalement aboutir au vide observé en 2011.  Il ajoute que l'installation de la pompe:

(…) représente une condition qui peut faire en sorte que les particules fines du sol sont entraînées dans la conduite d’égout. Il peut donc y avoir lavage de la sous-fondation de la dalle sur sol et des murs de fondations.  Les pentes au pourtour du bâtiment font en sorte qu’il y a une dépression sur le côté gauche, soit à l’endroit du stationnement, où l’eau qui vient s’accumuler peut percoler à l’intérieur du sol, transiter sous l’espace sous la dalle et finir à l’intérieur du puits de pompage.

 

Nos constatations lors de notre visite au site ont démontré qu’il y avait un problème de pente pour le stationnement limitrophe au bâtiment sur le côté gauche. Il y a égouttement de l’eau vers le bâtiment à l’étude et ceci a pu être vu non seulement par les pentes, mais également par l’accumulation de déchets qui se fait sur le long du muret (non étanche) entre la propriété à l’étude et le stationnement. 

[35]        La preuve démontre que le stationnement dont il parle est celui situé entre l'immeuble et un hôtel.  Il est clair que le côté gauche auquel il réfère est celui observé lorsqu'on se place devant l'immeuble.

[36]        Il confirme que ce phénomène implique que l’égouttement du stationnement en question doit avoir duré plusieurs années pour créer les conditions qu’il décrit.  Or, la dénivellation n’est apparue que quelques semaines avant les événements de septembre 2011, fait qu'il dit ne pas savoir au moment de son expertise.

[37]        Placé devant cette situation, l’expert maintient son opinion en expliquant que le drainage régulier et habituel de l’eau de pluie peut avoir été à l'origine du phénomène.

[38]        Le Tribunal conclut que l’assureur n’a pas démontré que la thèse du pompage du sol par la pompe au fil des ans a créé le vide observé en 2011.

[39]        Premièrement, le fils de M. Rioux a témoigné que cette pompe avait été installée par les occupants précédents.  Il soutient qu’elle ne fonctionnait pas, qu'il avait l'habitude de visiter les logis à la fonte des neiges et qu'il n'a rien vu qui laissait croire à un problème pour cet immeuble.

[40]        Le Tribunal le croit et son témoignage n’est pas contredit.

[41]        Deuxièmement, même si la pompe avait fonctionné, la théorie peut peut-être faire un certain sens dans le contexte où un stationnement commercial d’une bonne superficie, sans système de drainage, déverse directement son eau sous la petite maison sur une longue période: mais ce n’est pas le cas.

[42]        Aucune preuve ne démontre un problème de drainage particulier ou un quelconque surplus d’eau à évacuer de manière importante.  Des gouttières sont en place et la preuve n'établit pas qu'elles ne fonctionnaient pas ou qu'elles évacuaient l'eau sous la fondation.

[43]        Finalement, il serait étonnant qu’un si petit dispositif aspire une aussi grande quantité de sol.  Rappelons qu’à certains endroits, l’expert parle d’un écart de 6 pouces entre la ligne du plancher et le niveau du sol.

[44]        En résumé, l’opinion de l’expert ne rencontre pas le niveau de probabilité requis pour convaincre le Tribunal que sa théorie dépasse le seuil des hypothèses.

 

 

b.    L'usure normale

[45]        La police stipule: 

Sont exclus de la présente assurance les dommages occasionnés directement ou indirectement :

6.2.7 l’usure normale, la détérioration graduelle, les défauts cachés ou le vice propre ainsi que les frais inhérents à la bonne exécution des travaux et rendus nécessaires par des défauts dans :

(…) les matériaux, leur emploi ou leur choix;

[46]        Rien dans la preuve ne permet de conclure à un quelconque problème d'entretien.

[47]        De même, bien que l'expert de l'assureur et l'ajusteur aient témoigné d'une certaine humidité présente dans le vide sanitaire et de traces de pénétration d'eau; le Tribunal n'y voit pas la preuve prépondérante: ni d'une problématique d'infiltration, non plus que d'un élément déterminant à l'origine du déficit de sol sous la dalle.

[48]        L'humidité d'un vide sanitaire, à moins d'une présence excessive, n'est pas déterminante.

[49]        Les taches identifiées ne convainquent pas le Tribunal d'un apport significatif d'eau.

c.   Le tassement

[50]        La police exclue aussi la couverture des dommages causés:

6.2.3.3            par le tassement, l’expansion, la contraction, le mouvement, le glissement ou la fissuration, à moins que ce ne soit en conséquence directe ou immédiate d’un sinistre couvert;

[51]        L'assureur reconnaît que la clause souffre d'ambigüité, comme l'a déjà constaté la jurisprudence[1].

[52]        Le Tribunal estime que même si son interprétation allait jusqu'à conclure que le tassement du sol soit exclu, ici cette compaction résulte d'une conséquence directe d'un sinistre couvert, soit vraisemblablement les travaux effectués par la municipalité.

 

 

d.  La théorie du dispersement du sol

[53]        L'expert mandaté par M. Rioux explique la situation par le fait que les vibrations des travaux ont provoqué un déplacement du sol sous la dalle.  Essentiellement, ce brassage a fait bouger les particules qui se sont descendues plus bas par les interstices du roc.  Ensuite, que ces vibrations ont fragilisé la structure.

[54]        L'expert de l'assureur réfute cette théorie d'abord parce qu'il estime que la force des vibrations n'est pas suffisante pour provoquer ce mouvement de sol.

[55]        Les calculs exposés sont basés sur le fait que les études démontrent qu'une vibration émise à plus de 6 mètres de la structure n'engendre pas de dommages.  La distance entre le trottoir et le mur de fondation est de 6 mètres. 

[56]        Cette théorie ne tient pas compte des travaux de raccordement de la maison aux nouveaux systèmes municipaux.  Ces travaux se sont nécessairement déroulés à quelques mètres du mur fissuré et de la dalle.  Ainsi, le Tribunal estime que ces travaux ont pu émettre des vibrations suffisamment importantes pour déranger le sol de manière à créer le vide observé en septembre 2011.

[57]        Malgré l'absence de certitude quant à la cause du sinistre, la preuve démontre que l'immeuble, bien que centenaire, est alors en bonne condition et bien entretenu; que les travaux majeurs, à quelques mètres de la bâtisse, ont occasionné des vibrations importantes, notamment lors du raccordement des installations de la maison à celle de la rue; qu'aucun autre élément ne peut expliquer une soudaine perte de sol sous la dalle; que la perte de sol peut être provoquée par de telles vibrations.

[58]        En conséquence, le Tribunal estime que la preuve de ces éléments permet de conclure que, selon la balance des probabilités, les travaux de la municipalité ont provoqué la perte de sol sous la dalle du vide sanitaire.

 

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[59]        ACCUEILLE la requête introductive d’instance;

[60]        CONDAMNE la défenderesse Les Souscripteurs du Lloyd’s à verser au demandeur Benoît Rioux, la somme de 199 306$ avec intérêts depuis le 23 novembre 2011 et indemnité additionnelle à compter du 26 mai 2014;

 

 

 

[61]        CONDAMNE la défenderesse Les Souscripteurs du Lloyd’s à verser au demandeur Benoît Rioux, les frais de justice incluant les frais d'expertise.

 

 

 

 

__________________________________

CAROLE THERRIEN. J.C.S.

 

Me Jonathan Coulombe

RPGL Avocats

Procureurs du demandeur

 

Me Jean-François Germain

Gasco, Goodhue, St-Germain

Procureurs de la défenderesse

 

 

Date d’audience :

17, 18 et 19 mai 2016

 



[1] Dumoulin c. Assurances générales des Caisses Desjardins Inc. 2011 QCCS 5990

AVIS :
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