Larocque c. Villeneuve | 2022 QCCQ 5765 | ||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||
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CANADA | |||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||
DISTRICT DE | TERREBONNE | ||||||
LOCALITÉ; | SAINT-JÉRÔME | ||||||
« Chambre civile » | |||||||
N° : | 700-22-043046-209 | ||||||
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DATE : | 31 août 2022 | ||||||
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ALEXANDRE LAROCQUE | |||||||
Demandeur | |||||||
c. | |||||||
SAMUEL VILLENEUVE | |||||||
-et- | |||||||
LUC VILLENEUVE | |||||||
-et- | |||||||
ANNIE GOBEIL | |||||||
Défendeurs | |||||||
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JUGEMENT | |||||||
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[1] Un vendredi soir quatre jeunes de secondaire cinq décident de se faire confectionner chacun un chandail arborant une photo d’un de leur professeur et la mention « Kirky suce Larocque ». Ils se promènent environ trente minutes dans le Centre d’achat, puis au cinéma portant leur nouveau chandail.
[2] Alexandre Larocque a mis en demeure les quatre jeunes et réglé avec un à cette étape. Il a ensuite poursuivi les trois autres pour 12 000 $, 6 000 $ pour atteinte à la réputation, à l’honneur, à la dignité et pour les troubles et inconvénients, et 6 000 $ en dommages punitifs. Il a aussi poursuivi leurs parents à titre de tuteurs légaux et de titulaires de l’autorité parentale.
[3] Après la demande introductive d’instance, il a réglé avec deux familles. Ainsi, l’audience s’est tenue à l’encontre de Samuel Villeneuve et ses parents Annie Gobeil et Luc Villeneuve.
[4] Samuel Villeneuve conteste la réclamation au motif qu’il n’a jamais porté atteinte à la réputation d’Alexandre Larocque, qu’il n’y avait aucune intention malveillante, que le quantum réclamé est exagéré et non fondé, que le dommage punitif est non fondé.
[5] Quant aux parents, ils soutiennent avoir renversé le fardeau de preuve et démontré qu’ils n’ont commis aucune faute en tant que titulaires de l’autorité parentale. Une demande reconventionnelle de 12 000 $ pour abus de procédure fut déposée une fois la preuve en demande close.
[6] Les défendeurs soulèvent que le demandeur a pris une action de façon téméraire et de mauvaise foi dans l’intention de punir, alors qu’il n’avait pas de preuve que sa réputation a été atteinte par l’impression et le port des chandails.
QUESTIONS EN LITIGE
Demande principale
[7] Alexandre Larocque a-t-il prouvé que le geste de Samuel Villeneuve l’a diffamé?
[8] Si oui, le quantum de dommages réclamé est-il justifié et y a-t-il lieu d’accorder des dommages punitifs?
[9] Les parents de Samuel Villeneuve ont-ils prouvé qu’ils n’ont commis aucune faute en tant que titulaires de l’autorité parentale?
Demande reconventionnelle
[10] La demande principale a-t-elle été prise avec témérité, en l’absence de fondement juridique considérant la preuve administrée?
[11] Le demandeur a t-il procédé dans son action de mauvaise foi, avec une intention de nuire au défendeur?
CONTEXTE
[12] Les faits se sont déroulés le 29 novembre 2019. En 2019, Alexandre Larocque est professeur d’anglais à l’école Cap‑Jeunesse. Samuel Gobeil est un de ses élèves de secondaire 5, il a 16 ans à ce moment. Il n’existe aucun conflit particulier entre les deux, aucun historique de problématique scolaire.
[13] Le 29 en soirée, Samuel est au centre commercial Carrefour du Nord avec trois amis. Ils vont dans un centre d’impression et décident de se confectionner un chandail.
[14] Les quatre comparses échangent des idées sur ce qui pourrait être drôle. Ils arrêteront leur choix sur l’impression de l’image d’un professeur, Alexandre Larocque, retrouvé sur son compte Facebook avec la mention « Kirky suce Larocque », Kirky étant le surnom de leur professeur d’éthique et culture religieuse Dave Kirk.
[15] Une fois le chandail prêt le quatuor l’enfile et se dirige vers le cinéma qui se trouve dans le centre d’achat. Arrivé à l’aire principale du cinéma le groupe chahute et cela attire l’attention de Julie Trudel, qui à cette époque est directrice adjointe au cinéma. Elle reconnaît le visage de son ancien professeur d’anglais sur leur chandail.
[16] Elle l’appelle, l’informe de la situation et lui envoie des photos prises par la caméra de surveillance des jeunes portant le chandail. Elle lui rapporte que sur le chandail il est écrit Korky suce Larocque, ce qui sera rectifié plus tard pour Kirky.
[17] Elle n’intervient pas auprès des quatre jeunes, car peu après ils entrent dans une des salles de cinéma, et regardent calmement leur film. À la sortie, leur t-shirt n’est plus visible, car ils ont enfilé des chandails par-dessus. Samuel repart chez lui en auto, et serre le t-shirt dans un tiroir. Pour lui, la blague est finie, il n’a pas l’intention de reporter le chandail.
[18] De son côté, M. Larocque qui passait jusque-là une belle soirée calme avec sa conjointe ne comprend pas pourquoi un message à connotation sexuelle avec un autre homme le cible. Le lendemain, il appelle Dave Kirk et lui mentionne ce qui s’est passé, et il informe un intervenant social de l’école.
[19] Au début de la semaine, deux des quatre élèves vont apporter le t-shirt à l’école, un va même le porter alors qu’il est en salle de classe avec monsieur Dave Kirk. La direction va alors s’impliquer, rencontrer les deux élèves, découvrir le nom des deux autres, dont Samuel. Ils seront tous suspendus.
[20] Samuel est mis en suspension interne immédiatement, puis suspendu de l’école pour trois jours. Après, il ne peut réintroduire le cours d’anglais, car M. Larocque s’y oppose. Il rencontre l’éducateur spécialisé et le policier éducationnel. Il doit ensuite s’expliquer en personne à chacun des professeurs. Samuel indique que Dave Kirk a compris qu’il s’agissait d’une mauvaise blague, mais qu’Alexandre Larocque non.
[21] Ensuite avec l’aide de son père, Samuel écrit une lettre d’excuses à M. Larocque. Puis, suivant une idée de son père, il se rend au centre d’impression et fait détruire toute trace informatique du message et de l’image qui s’est retrouvée sur le t-shirt. En janvier, il réintègre la classe de M. Larocque. Un malaise persistera entre Samuel et M. Larocque jusqu’au 13 mars 2020 jour de fin des classes prématuré à cause de la pandémie.
[22] M. Larocque témoigne avoir été très insatisfait de la gestion par la direction de l’école des événements. Selon lui, ils ont privilégié l’élève avant lui en lui demandant fortement de le reprendre dans sa classe en janvier. Il n’a pas senti de support de leur part. Il aurait aimé que soit exigée de Samuel plus qu’une lettre d’excuses. Il doit faire intervenir son syndicat parce que la direction de l’école ne l’épaule pas pour la remise des chandails.
[23] Insatisfait, avec l’aide de son syndicat, il écrit une lettre de mise en demeure le 23 janvier 2020 qu’il fait parvenir aux parents des quatre élèves. Il réclame 1 000 $ à chaque parent. La famille de l’élève qui a porté le chandail en classe paie 1 000 $.
[24] M. Larocque poursuit les autres, il augmente sa réclamation à 12 000 $, 6 000 $ en dommages pour atteinte à l’honneur et à la réputation, ainsi que pour troubles et inconvénients, et 6 000 $ en dommages punitifs.
[25] Il règle le dossier pour 3 000 $ avec un deuxième élève, celui qui a aussi apporté le chandail à l’école, et à 1 300 $ avec un des élèves qui a porté le chandail seulement au centre d’achat. Une déclaration de règlement partiel est déposée, libérant chacun de ces deux élèves et leurs parents.
[26] La poursuite est maintenue à 12 000 $, à l’encontre de Samuel Villeneuve et sa famille. Lors de la plaidoirie, une modification sera apportée pour réduire à 4 000 $ la réclamation, soit 2 000 $ en dommages pour atteinte à la réputation, troubles et inconvénients et 2 000 $ en dommages punitifs.
[27] La preuve en demande a été constituée du témoignage de M. Larocque, de celui de Julie Trudel et du représentant syndical, Christian Aubin. Madame Trudel et Monsieur Aubin ont tous deux témoigné que ce chandail n’avait en rien changé leur opinion sur M. Larocque.
[28] M. Larocque témoigne qu’il a passé un très mauvais week-end à partir de la réception du message texte de Madame Trudel. Le message a connotation sexuelle l’a hautement inquiété comme pouvant porté atteinte à sa carrière d’enseignant. Il ne comprend pas pourquoi il est ciblé, pourquoi cette attaque personnelle, il perd espoir en l’humanité, il est triste. Il appréhende les prochains jours.
[29] Lorsque la direction lui a fortement suggéré de reprendre Samuel dans sa classe, il n’a pas apprécié. À partir du retour de Samuel en janvier, il s’est senti obligé de marcher sur des œufs, il ressentait l’atmosphère froide et tendue. Il indique avoir, à ce jour des flash-back.
[30] Il indique, par contre, avoir eu un excellent support de ses confrères enseignants, qui l’ont encouragé à poursuivre ses démarches. Il a même fait une sortie sur l’Internet sans mentionner de nom et n’a reçu que de bonnes réactions des gens autour de lui.
[31] En défense, Samuel Villeneuve a indiqué que l’intention du groupe était de faire une blague, il n’y avait rien de personnel à l’encontre de M. Larocque. Il reconnaît que leur geste était méchant et rabaissant, même si cela n’a jamais été l’intention recherchée.
[32] Il s’est, à nouveau, excusé en salle d’audience auprès de M. Larocque. Sans vouloir minimiser l’impact pour M. Larocque, Samuel indique que cette erreur, cette mauvaise blague qu’il a commise a changé sa vie. À son retour à l’école suite à la suspension, il s’est senti rejeté par l’ensemble du corps professoral. Ses notes s’en sont ressenties et cela a affecté son parcours au Cégep, qu’il a quitté.
[33] Il a fait une dépression et, à ce jour, il est suivi en pédopsychiatrie. Il ne comprend pas l’entêtement de M. Laroque qui refuse ses excuses et qui est incapable de voir dans cet événement une erreur de jeunesse. Il trouve injuste d’être poursuivi à hauteur de 12 000 $ alors qu’il n’a pas porté le chandail à l’école.
[34] Aujourd’hui, il suit une formation pour devenir ferblantier, il aime ce nouveau parcours. Par contre, la possibilité d’être condamné à 12 000 $ de dommages lui pèse très lourd. Rappelons que ce n’est qu’au moment des plaidoiries que la réclamation a été diminuée à 4 000 $.
[35] Luc Villeneuve et Annie Gobeil témoigneront par la suite pour décrire l’éducation qu’ils ont donnée à leur fils. Ils décrivent le parcours sans taches de celui-ci à l’exception de l’impression du chandail. Ils ont aussi décrit comment l’événement l’a atteint. Il a quitté ce cercle d’amis, s’est retiré sur lui-même et a eu besoin d’aide.
[36] Aucune contre preuve ne fut apportée en demande pour démontrer que l’éducation donnée par les deux parents ne fut pas adéquate. Luc Villeneuve et Annie Gobeil trouvent abusif d’avoir eu à dépenser 12 130 $ de frais d’avocats, alors qu’ils apprennent à l’audition que la réclamation est réduite à 4 000 $.
ANALYSE ET MOTIFS
Droit applicable[1]
Principes généraux
[37] Le droit à la réputation est protégé par les articles
3. Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tel le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
Ces droits sont incessibles.
35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
[38] Le recours en diffamation se fonde ainsi sur l’article
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s’imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu’elle est douée de raison et qu’elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu’elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu’il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d’une autre personne ou par le fait des biens qu’elle a sous sa garde.
[39] La personne invoquant la diffamation a donc le fardeau de prouver par prépondérance de probabilités une faute, un préjudice et un lien de causalité entre les deux.
[40] Comme l’enseigne la Cour suprême, dans l’arrêt Bou Malhab c. Diffusion Métromedica CMR Inc., la diffamation est un domaine du droit où il importe de bien distinguer faute et préjudice : la détermination de la faute suppose l’examen de la conduite de l’auteur, celle du préjudice requiert l’évaluation de l’incidence de cette conduite sur la victime et celle de la causalité exige que le décideur conclue à l’existence d’un lien entre la faute et le préjudice.[2]
Faute
[41] En général, la faute correspond à une conduite qui s’écarte de la norme de comportement qu’adopterait une personne raisonnable. Il s’agit du comportement qu’une personne informée adopterait ;[3] une personne raisonnable, avisée, diligente et attentive aux droits d’autrui aurait-elle agi de la même façon dans les circonstances.[4]
[42] Comme le précise la Cour suprême dans l’arrêt Prud’homme c. Prud’homme[5] trois situations peuvent constituer une faute donnant ouverture au recours en diffamation :
- Lorsqu’une personne prononce des propos désagréables à l’égard d’un tiers tout en les sachant faux ;
- Lorsqu’une personne diffuse des choses désagréables sur autrui alors qu’elle devrait les savoir fausses ;
- Lorsqu’une personne médisante tient, sans justes motifs, des propos défavorables, mais véridiques, à l’égard d’un tiers.
Préjudice
[43] Le préjudice de la diffamation est l’atteinte à la réputation[6]. Pour démontrer ce préjudice, le demandeur doit établir que les propos litigieux sont diffamatoires, c’est‑à‑dire des propos « qui font perdre l’estime ou la considération de quelqu’un ou qui encore, suscitent à son égard des sentiments défavorables ou désagréables »[7]
[44] L’analyse doit se faire selon la norme objective du citoyen ordinaire en se demandant s’il estimerait que les propos tenus, pris dans leur ensemble, ont déconsidéré la réputation de la victime. Selon la Cour suprême dans Bou Malhab, « une atteinte à la réputation se traduit par une diminution de l’estime et de la considération que les autres portent à la personne qui est l’objet des propos.[8]
[45] Il n’est généralement pas nécessaire dans le cadre d’un recours pour atteinte à la réputation de fournir une preuve par témoignage de personnes ayant été en contact avec le message.[9]
[46] Le critère du citoyen ordinaire a précisément été adopté pour pallier aux difficultés pratiques liées à la preuve du préjudice en cette matière.[10]
[47] Le préjudice subjectif, c’est-à-dire le sentiment d’humiliation, de tristesse ou de frustration chez la victime, est insuffisant pour fonder un recours en diffamation, étant donné que l’examen du préjudice n’est pas axé sur la victime, mais sur la perception des autres.[11]
Faute
[48] L’impression du message « Kirky suce Larocque » avec l’image de M. Larocque impute un fait qui porte atteinte à l’honneur. Samuel et ses amis en s’imprimant un chandail portant cette information ont véhiculé des propos et une image désagréables à l’égard de M. Larocque, et tel que Samuel en a témoigné, tout en sachant qu’ils étaient faux. Il y a diffamation.
[49] Une personne raisonnable, avisée, diligence et attentive aux droits d’autrui n’aurait pas créé et porté un tel chandail.
Préjudice
[50] M. Larocque a témoigné à l’effet qu’il est professeur au secondaire dans la région de Saint-Jérôme depuis plus de 20 ans. Il côtoie 180 élèves par année, il lui arrive régulièrement lorsqu'il se promène au Carrefour du Nord d’être abordé par d’anciens élèves et leurs parents.
[51] C’est à cet endroit que son image avec les propos disgracieux a été véhiculée pendant 30 minutes. En partie dans les aires communes du centre d’achat et en partie dans celle du cinéma. Mme Trudel a témoigné que dans le lobby du cinéma, il passe en moyenne trois cents à cinq cents personnes. Il y a eu diffusion dans un milieu où M. Larocque est connu.
[52] Mme Trudel a confirmé que le chandail a attiré l’attention des gens présents. Selon sa description des événements, le port du chandail avec sa mention et photo a créé de l’agitation, une cohue, une commotion.
[53] C’est d’ailleurs ce qui a attiré son attention et c’est à ce moment qu’elle a vu le message qu’elle décrit elle-même comme « n’étant pas élogieux », « anormal ». La situation la dérange à un point tel, qu’elle contacte son ancien professeur, une personne avec qui elle n’a aucun contact depuis sa sortie du secondaire quatre ans auparavant.
[54] Lors du contre-interrogatoire, Mme Trudel a mentionné que cet événement n’a pas modifié la bonne opinion qu’elle s’était faite de son professeur lorsqu’elle l’a côtoyé pendant 1 an. Il en a été de même du deuxième témoin, M. Aubin, président du Syndicat, qui a supporté M. Larocque tout au long du dossier.
[55] Mais la réaction initiale de Mme Trudel démontre que le message l’a choqué, l’a affecté à ce moment. Elle a témoigné s’être questionnée sur la nature du message et s’est demandé si c’était normal. Elle a eu réponse à ses questionnements en contactant le professeur. Son opinion de M. Larocque suite aux explications obtenues est alors demeurée inchangée.
[56] Mais qu’en est-il de toutes les personnes croisées dans le centre d’achat et au cinéma qui ont connu ou connaissait, sans le côtoyer personnellement M. Larocque. Ces gens qui n’auront pas comme Mme Trudel réponse à leur questionnement.
[57] L’image renvoyée par le message au lecteur est dégradante. Ce message affecte le respect et la confiance que le citoyen ordinaire peut avoir envers un professeur qui s’affiche comme étant « sucé » par un autre. Le lecteur ne peut faire autrement que se questionner sur la bonne conduite, le libertinage, les valeurs de M. Larocque. Le message suscite des sentiments défavorables ou désagréables. Il y a préjudice.
Dommages
Moraux – réclamation de 2 000 $
[58] Dans sa réclamation initiale, M. Larocque demande 6 000 $ à titre de dommages moraux à l’encontre de trois élèves et leurs parents. Il a réglé avec deux avant l’audience, son procureur propose en vertu de l’article 1690 que le pourcentage de responsabilité de chaque élève soit égal, et que la partie exigible à Samuel soit réduite à 2 000 $.
[59] La Juge Châtelain dans le dossier Horic c. Nepveu a établi une liste des critères jurisprudentiels permettant au juge d’exercer la discrétion judiciaire et d’évaluer le quantum des dommages.[12]
[56] Par ailleurs, même si la quantification des dommages moraux fait appel à des paramètres imprécis et relève largement de la discrétion judiciaire, la jurisprudence retient généralement les critères suivants afin d’évaluer le quantum des dommages pouvant être octroyés :
a) la gravité intrinsèque de l’acte diffamatoire ;
b) sa portée particulière relativement à celui qui en a été la victime ;
c) l’importance de la diffusion publique dont le libelle a été l’objet ;
d) le genre de personnes qui, présumément, en ont pris connaissance, et les conséquences que la diffamation a pu avoir sur leur esprit et sur leur opinion à l’égard de la victime ;
e) le degré de la déchéance plus ou moins considérable à laquelle cette diffamation a réduit la victime par comparaison avec son statut antérieur ;
f) La durée éventuelle et raisonnable prévisible du dommage causé et de la déchéance subie ;
g) la contribution possible de la victime, par sa propre attitude ou sa conduite particulière, à la survenance du préjudice dont elle se plaint ;
h) les circonstances extérieures qui auraient, de toute façon et indépendamment de l’actif fautif des défendeurs, constitué des causes probables du préjudice allégué ou, au moins, d’une partie de ce préjudice.
[60] En plus de ces critères, il faut aussi considérer les actions des défendeurs suite aux propos diffamatoires.[13] En application de ces critères au fait des présentes le Tribunal retient que :
[61] Dans Falcon c. Cournoyer,[14] les propos de « conne », « imbécile », et se faire dire de manger de la marde avaient été prononcés par le défendeur à l’encontre de la demanderesse sur les ondes devant un auditoire de 87 500 personnes.
[62] Le défendeur s’était subséquemment excusé, pour l’octroi de 15 000 $ en dommages, lors de son évaluation de la preuve le juge écrit :
par. 55 … Mme Falcon n’a pas subi de séquelles des événements dans ses activités personnelles, professionnelles ou sociales, autres que celles déjà mentionnées, Mme Falcon n’a pu, entre autres, faire la preuve de commentaires négatifs ou péjoratifs à son égard. De plus, elle n’a pas eu à s’absenter de son travail ou à refuser de participer à quelque activité professionnelle ou sociale que ce soit. »
[63] La situation dans Falcon est très similaire à la présente la vie professionnelle et sociale du demandeur s’est poursuivie sans séquelles. Il n’y a pas eu de preuve que des commentaires négatifs lui ont été adressés suite à l’impression du chandail. Considérant la diffusion qui est de beaucoup moins grande importante, que celle dans Falcon (350-500 personnes versus 87 500), la somme de 1 000 $ est une compensation appropriée.
Dommage punitif
[64] Le dommage punitif n’a aucun but compensatoire. L’octroi de dommages punitifs est régi par l’article
[65] Aux présentes, l’assise juridique se situe à l’article
[66] L’arrêt Time[15] a repris certains de ces facteurs et en a proposé d’autres pertinents à l’octroi de dommages punitifs, notamment :
- La gravité de la faute ou de l’atteinte aux droits de la victime : le facteur plus important ;
- La situation patrimoniale du défendeur ou sa capacité de payer ;
- La durée de la conduite ;
- Le profit tiré de la conduite ;
- L’expression de remords ou d’excuses par le défendeur ;
- L’étendue de la réparation accordée à d’autres titres (dommages matériels, corporels et moraux) ;
- L’identité et le profil de l’auteur (ex. personne morale) ;
- Les antécédents civils, disciplinaires ou criminels de l’auteur et les sanctions disciplinaires, criminelles ou administratives déjà infligées.
[67] De façon globale, l’analyse de ces différents facteurs vise à s’assurer que la somme octroyée à titre de dommages-intérêts punitifs soit rationnellement proportionnée aux objectifs poursuivis par son attribution dans une affaire donnée, compte tenu des circonstances précises de chaque espèce[16]. Dans ce contexte, le montant accordé doit être examiné en prenant en considération l’effet dissuasif et préventif qu’il est appelé à poursuivre.
[68] Aux présentes, l’atteinte a été illicite et intentionnelle. Samuel et ses comparses ont activement cherché un message méchant à écrire. Il s’agit du seul facteur retrouvé à l’ensemble de tous les facteurs à examiner et il n’est pas suffisant pour accorder des dommages punitifs. En effet, l’atteinte bien que grave a été de courte durée.
[69] Samuel à multiples reprises a exprimé ses remords, il n’a tiré aucun profit de cet acte, au contraire l’événement a changé sa vie négativement, et ce n’est que récemment qu’il va mieux.
[70] Il débute dans la vie, ne possède aucun patrimoine ni revenu, sa situation financière est précaire. Le 1 000 $ en dommage moral qu’il va devoir payer est une compensation importante considérant sa situation financière précaire. Il n’a aucun antécédent de comportement délinquant. Pour ces motifs la demande en dommages punitifs n’est pas retenue.
Responsabilité des parents
[71] La responsabilité des parents n’est pas retenue, puisqu’ils ont renversé la présomption prévue à l’article
Demande reconventionnelle pour abus de procédure
[72] Les défendeurs ont déposé une demande reconventionnelle à la fin de l’audience au motif que le recours entrepris par M. Larocque ne remplit pas les critères du cadre juridique de la diffamation.
[73] Considérant que le Tribunal arrive à la conclusion qu’il y a eu diffamation. La demande reconventionnelle pour abus de procédure est rejetée. Mais considérant le défaut de la partie demanderesse qui a attendu au moment des plaidoiries pour amender sa réclamation à la baisse nuisant ainsi au processus possible de règlement et au choix des défendeurs d’être représentés ou non par procureur dans ces circonstances différentes de faible montant en litige, les frais de justice ne seront pas accordés.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE en partie la demande à l’encontre de Samuel Villeneuve;
REJETTE la demande à l’encontre de Luc Villeneuve et Annie Gobeil;
CONDAMNE Samuel Villeneuve à payer à Alexandre Larocque la somme de 1 000 $ avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article
REJETTE la demande reconventionnelle;
Le tout sans frais de justice.
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| __________________________________ JULIE MESSIER, J.C.Q. | |
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Me Charles-Eric Désilets Poudrier Bradet SENC Avocat du demandeur | ||
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Me Jessica Nadon | ||
Avocate des défendeurs | ||
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Date d’audience : | 21 et 22 juin 2022 | |
[1] Inspiré des paragraphes 15-17, 18, 29, 20, 23, 30, 31 et 34 de l’analyse faite par l’Honorable Catherine Pilon dans Laniel c. Laniel,
[2]
[3] Id. par. 24.
[4] Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoit MOORE, La responsabilité civile, vol. 1, 9e éd., Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, EYB2020RES33, no 1-301 (La référence)
[5]
[6] Bou Malhab, précité note 2. par. 26.
[7] Prud’homme précité note 5 par. 33.
[8] Bou Malhab, préc. note 2, par. 27
[9] Fondation québécoise du cancer c. Patenaude,
[10] Lalli c. Gravel,
[11] Bou Malhab, pré. note 2, par. 28.
[12] Horic c. Nepveu,
[13] Falcon c. Cournoyer, 2000 CanLII 184 80 (CS); Genev Communications inc. c. Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo,
[14] 2000 CanLII 18480 CQCS.
[15] Voir Richard c. Time inc.,
[16] Id. par. 209.
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.