S.T. c. Desjardins Sécurité financière

2018 QCCQ 499

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

KAMOURASKA

LOCALITÉ DE

RIVIÈRE-DU-LOUP

« Chambre civile »

N° :

250-22-003122-152

 

DATE :

30 janvier 2018

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

HERMINA POPESCU, J.C.Q.

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S... T...

Demandeur

c.

DESJARDINS SÉCURITÉ FINANCIÈRE

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]          Par demande déposée le 24 juillet 2015, le demandeur réclame à la défenderesse la somme de 47 100,52 $ à titre de prestations d’assurance salaire de longue durée, ainsi qu’une somme de 5 000 $ à titre de dommages moraux plus les frais d’expertise. Il demande également, à partir du 1er août 2015, le paiement des prestations postérieures au dépôt de la demande, conformément aux dispositions de la police d’assurance.

[2]          La défenderesse estime que c’est à bon droit qu’elle refuse de payer ces prestations car la situation du demandeur ne correspond pas à la définition d’invalidité totale de la police d’assurance.

LE CONTEXTE

[3]          À la date de l’audience, le demandeur est âgé de 50 ans. Il est détenteur d’un diplôme d’études professionnelles en électronique qu’il a obtenue vers le milieu des années 1980. Il n’a jamais travaillé dans ce domaine.

[4]          Le demandeur a déjà occupé des emplois d’étudiants à la piscine municipale et il a aussi travaillé comme agent de sécurité pour la compagnie Sécur pour une période d’environ 15 mois.

[5]          Le demandeur a également travaillé en soudure et comme remorqueur pour la compagnie CAA-Québec pendant une période de quatre ans.

[6]          Il n’a jamais occupé d’emploi de bureau.

[7]          Depuis la fin 2006, il travaille pour Rousseau Métal inc., qui détient une police d’assurance collective émise par la défenderesse.

[8]          Le demandeur explique qu’au début il travaillait dans le pliage et à la transformation du métal en feuille.

[9]          En 2010, le demandeur est arrêté pour une durée de quatre mois en raison d’une épicondylite.

[10]       Le 1er mai 2011, entre en vigueur un contrat d’assurance collective entre la défenderesse et Rousseau Métal inc. (la police D-1).

[11]       Ce contrat d’assurance collective contient aussi une garantie d’assurance salaire longue durée, à laquelle le demandeur, en tant qu’employé de Rouseau Métal inc., adhère dès le 1er mai 2011.

[12]       Le demandeur explique qu’à partir de 2012, il souhaite recommencer des traitements de physiothérapie. Son travail exigeait des mouvements du haut du corps, et il se rendait compte qu’il n’avait plus de force.

[13]       Le demandeur explique qu’il ressent des douleurs dans le haut du corps, dans les coudes et dans les épaules.

[14]       Ces douleurs se manifestent par des serrements, chaleurs et picotements, comme des piqûres d’aiguilles.

[15]       À l’été 2012, sa situation est si problématique qu’il craint perdre son travail puisqu’il n’était plus en mesure de suivre la cadence de travail en raison de ces douleurs.

[16]       Son médecin traitant, Dr Roussel, l’arrête du travail le 31 août 2012.

[17]       Tel que prévu dans ces conditions de travail, le demandeur bénéficie d’abord, pendant quelques semaines, des prestations d’assurance-emploi.

[18]       Le 6 décembre 2012, le demandeur fait une demande de prestations d’assurance invalidité[1], en vertu de la police D-1.

[19]       À la suite de cette demande, la défenderesse lui verse des prestations d’assurance salaire à compter de l’expiration du délai de carence de 17 semaines, soit à partir du 1er janvier 2013, et ce, jusqu’au 31 août 2014. Au 1er janvier 2014, sa rente mensuelle indexée était de 2 307,95 $[2].

[20]       La police D-1 prévoit :

Invalidité totale ou totalement invalide désigne :

1)   pendant la période spécifiée au TABLEAU DES GARANTIES :

un état d’incapacité qui résulte d’une maladie ou d’un accident et qui empêche complètement l’adhérent d’accomplir toutes les tâches habituelles de sa fonction principale, sans exception;

2)   après l’écoulement de la période spécifiée au TABLEAU DES GARANTIES :

un état d’incapacité qui résulte d’une maladie ou d’un accident et qui empêche complètement l’adhérent de se livrer à tout travail pour lequel il est raisonnablement qualifié en raison de son éducation, de sa formation et de son expérience.

La disponibilité ou non d’un tel travail rémunérateur dans la région où réside l’assuré n’a aucune incidence sur son droit à des prestations. 

[21]       La période spécifiée au tableau des garanties est de 24 mois.

[22]       À partir du 31 août 2014, la défenderesse refuse de continuer à lui verser des prestations, puisqu’elle estime qu’il n’était pas empêché de se livrer à tout travail pour lequel il était raisonnablement qualifié.

[23]       Le demandeur est congédié par Rousseau Métal inc. en 2013.

[24]       Afin de pouvoir subvenir à ses besoins, il présente une demande de prestations à la Régie des Rentes du Québec (RRQ).

[25]       Le demandeur reçoit une rente d’invalidité de la RRQ depuis février 2014. Il reconnaît que toute somme ainsi reçue doit être déduite de la présente réclamation.

[26]       La preuve est muette quant au montant de cette rente d’invalidité.

[27]       Le demandeur a rencontré des rhumatologues, physiatres, ainsi que des médecins spécialisés dans la douleur, et ce, à la demande de son médecin de famille. En effet, les douleurs qu’il ressentait perdurent et l’empêchent de vivre comme il le faisait auparavant.

[28]       À la date de l’audience, il prend du Lyrica ainsi que du Myradex, médicaments qui lui ont été prescrits par Dr Roussel. Il prend également un médicament pour l’aider à dormir ainsi qu’un médicament pour le cholestérol.

[29]       Les médecins qu’il a consultés lui ont déjà prescrit, dans le passé, de l’Oxycondone, du Fentanyl ainsi que de la méthadone. Il a essayé d’arrêter de prendre le Lyrica, mais il se rend compte que c’est le seul médicament qui le soulage.

[30]       Le demandeur explique qu’il a essayé des traitements en physiothérapie, en massothérapie, ainsi qu’en chiropractie recommandés par son médecin ou de son initiative personnelle. Même si ces traitements lui apportent un certain soulagement, leurs effets ne perdurent pas dans le temps.

[31]       Le demandeur exprime son découragement : il ne croit plus en rien, il a des douleurs partout, mais surtout au dos, aux hanches, aux cuisses, épaules, coudes, poignets et mains, et ce, malgré les nombreux professionnels de la santé qu’il a rencontrés et malgré le fait qu’il fait des étirements et exercices quotidiennement.

[32]       Il explique qu’il vit avec ces douleurs vingt-quatre heures par jour.

[33]       Lorsqu’il est au repos, il a des spasmes et sent son cœur battre partout dans le corps.

[34]       Le demandeur explique qu’actuellement il n’est plus capable de demeurer assis, puisqu’il a des spasmes.

[35]       Il effectue certaines activités dans la journée, et alors la douleur se manifeste surtout dans les endroits sollicités par ces activités.

[36]       Lors de son témoignage à l’audience, il quantifie sa douleur à 8 sur 10, 10 étant le plus douloureux.

[37]       Le demandeur demeure dans sa maison, mais il explique qu’il envisage sérieusement à la vendre puisqu’il n’est plus capable de l’entretenir. Son état empire.

[38]       Le demandeur explique qu’il se lève vers deux ou trois heures du matin. Il doit demeurer assis quelques moments puisque le réveil est pénible.

[39]       Il explique qu’il dort de moins en moins dans son lit et qu’il a dû acheter un La-z-Boy électrique dans lequel il se couche. En effet, il lui est pénible de monter et descendre l’escalier qui mène à la chambre à coucher car ses genoux tremblent.

[40]       Dès son réveil, le demandeur effectue des réchauffements et étirements du cou, des épaules et commence à prendre des petites marches dans la maison.

[41]       Ces étirements et réchauffements durent environ deux ou trois heures chaque matin. À défaut de les effectuer, le demandeur explique qu’il n’est plus capable de bouger. Il fait aussi du vélo stationnaire.

[42]       Après ses étirements et échauffements, le demandeur essaie d’aller dehors sur le terrain pour travailler. Il explique que parfois il peut effectuer des activités à l’extérieur pendant deux ou trois heures, parfois juste trente minutes.

[43]       Toutefois, toutes ses activités sont parsemées de pauses.

[44]       Le demandeur peut effectuer des travaux pour bâtir une petite remise pour ranger des outils ou il peut faire la pelouse.

[45]       Le demandeur explique qu’il effectue des pauses à chaque 15 ou 20 minutes d’activité.

[46]       Après le diner, la journée est finie, car il est épuisé. Il passe le restant de la journée assis et il fait des siestes.

[47]       Il se couche vers 19 h 30 ou 20 h.

[48]       Toutefois, son sommeil n’est par réparateur, la douleur le réveille.

[49]       Le demandeur explique qu’il y a une dégradation dans sa situation depuis 2012.

[50]       Ainsi, dans le passé, il aidait sa conjointe à faire la vaisselle, mais maintenant il n’est plus capable de la faire. Quand il prend la vaisselle, il la serre fort puisqu’il a peur de l’échapper. Comme il échappe et casse de la vaisselle, il a décidé de ne plus la faire.

[51]       Avec l’aide de sa conjointe, le demandeur passe l’aspirateur dans la maison. Il explique toutefois, qu’il doit se contenter de le passer uniquement au rez-de-chaussée puisqu’il ne peut plus prendre l’escalier pour aller à l’étage ou descendre au sous-sol.

[52]       Lorsqu’il passe l’aspirateur au rez-de-chaussée, il doit prendre deux ou trois pauses. Ça lui prend 1 h 30 pour passer l’aspirateur au rez-de-chaussée, alors qu’avant 2012 ça lui prenait 1 h 30 pour le passer sur les trois niveaux de la maison.

[53]       Il n’est plus en mesure d’aider sa conjointe dans la préparation des repas comme il le faisait auparavant. Il explique que maintenant couper des légumes peut lui prendre une heure alors qu’auparavant cette tâche lui prenait quinze ou vingt minutes.

[54]       Il peut encore continuer à laver certaines fenêtres et portes, mais il ne peut plus toutes les laver.

[55]       Le demandeur explique qu’il a un terrain d’environ 50 000 pieds2 qu’il tond à l’aide d’un tracteur à pelouse.

[56]       Auparavant, dans une demi-journée, il pouvait faire la tonte de la pelouse et dans une autre demi-journée il pouvait couper les bordures.

[57]       Maintenant la tonte de la pelouse s’échelonne sur une période de trois à quatre jours. Comme il lui est de plus en plus difficile d’utiliser le tracteur à pelouse, il a dû faire l’acquisition d’une tondeuse autotractée, en arrière de laquelle il marche.

[58]       Il peut aussi effectuer le déneigement en hiver, mais cette activité lui prend beaucoup plus de temps qu’auparavant.

[59]       Il est épuisé après chaque activité physique qu’il effectue.

[60]       Avant août 2012, il effectuait lui-même le ramonage de la cheminée. Maintenant, il n’est plus en mesure de le faire car il n’est plus capable de monter sur le toit.

[61]       Le demandeur a toujours aimé effectuer des travaux dans la maison, mais maintenant il est de plus en plus restreint. Il se rend compte que bientôt il ne pourra plus rien faire, motif pour lequel il envisage de vendre la maison.

[62]       En ce qui concerne ses loisirs, le demandeur mentionne qu’avant 2012 il pouvait jouer 100 parties de golf par année. Or, la dernière année, il a à peine pu jouer trois ou quatre parties et ça lui prend une semaine pour se remettre après chaque partie.

[63]       Ses douleurs affectent aussi la vie sexuelle du couple. Ainsi, avant 2012, il pouvait avoir des relations sexuelles avec sa conjointe au moins une fois par semaine, alors que maintenant, la fréquence est d’environ cinq fois par année.

[64]       La conduite automobile est aussi de plus en plus difficile, et ce, surtout pour de plus longues distances.

[65]       Comme il a de la famille dans la région de Montréal, il s’y rend trois ou quatre fois par année. Il doit cependant s’arrêter à au moins deux reprises alors que tel n’était pas le cas auparavant.

[66]       Le demandeur explique que lorsqu’il utilise des outils tels que marteau ou hache, il doit se mettre du ruban à hockey sur la main pour les fixer et les empêcher de tomber de ses mains.

[67]       Le demandeur explique qu’il a fait une demande de prestations à la RRQ dès l’automne 2014. Au début, la RRQ a refusé sa demande.

[68]       La RRQ mandate un expert en médecine interne, Dr Louis Couture, pour l’examiner. Le 26 septembre 2016, après avoir pris connaissance du rapport du Dr Couture, la RRQ révise sa décision et reconnaît le demandeur invalide à partir de février 2014[3].

[69]       Comme à partir du 31 août 2014, la défenderesse ne lui a plus versé de prestations d’assurance, le demandeur a dû prendre ses REER.

[70]       Le couple qu’il forme avec sa conjointe vit du salaire de la conjointe ainsi que de la rente d’invalidité versée par la RRQ.

[71]       Le demandeur explique qu’il ne peut plus travailler. Dans le passé, il a effectué du travail manuel et physique. Il explique que le travail le moins manuel qu’il a effectué est celui d’agent de sécurité.

[72]       Le demandeur n’a plus de force physique, plus d’endurance. Il n’a plus d’estime de lui et n’a pas le goût de voir personne.

[73]       Il doit prendre des pauses fréquemment, peu importe l’activité qu’il fait.

[74]       En ce qui concerne un emploi d’agent de sécurité, le demandeur explique qu’il n’est pas assez fort physiquement pour l’effectuer. En effet, un agent de sécurité doit effectuer des tours dans les lieux qu’il garde. Il doit marcher et il n’est pas en mesure de marcher longtemps car il doit prendre fréquemment des pauses.

[75]       Le demandeur explique qu’il est tout le temps concentré sur sa douleur et qu’il oublie tout le reste.

[76]       En ce qui concerne un emploi dans un bureau de poste, le demandeur explique qu’il n’a ni la force ni l’endurance pour l’effectuer. Sa douleur est épuisante et accaparante, et présente en tout temps.

[77]       En raison de cette douleur, il ne veut plus sortir car il craint que lors des sorties les douleurs le prennent.

[78]       Comme il se couche tôt, il explique qu’il est difficile d’avoir une vie sociale.

[79]       Le demandeur estime avoir droit aux prestations d’assurance collective longue durée.

[80]       Il estime également avoir droit à un montant de 5 000 $ pour compenser le préjudice subi en raison du refus de la défenderesse de l’indemniser. Ainsi, il a dû prendre ses REER. Alors qu’il n’avait plus de dettes et que sa maison était pratiquement payée, la situation est maintenant différente.

[81]       En contre-interrogatoire, le demandeur explique qu’il a bénéficié de 11 traitements en physiothérapie entre le 5 octobre 2012 et le 19 juin 2013. Toutefois, aussitôt qu’il a arrêté ses traitements, les douleurs recommençaient.

[82]       Le demandeur reconnait qu’à l’été 2013, il a rencontré une représentante de la défenderesse qui l’a évalué au niveau de l’orientation.

[83]       Le but de cette rencontre était de vérifier si une réorientation de carrière était possible.

[84]       Il a fait des vérifications s’il pouvait travailler chez Dicom. Il a aussi vérifié s’il pouvait créer sa propre entreprise, mais la lourdeur de la tâche l’a découragé à continuer.

[85]       Le demandeur explique qu’il utilisait une scie à chaine pour se débarrasser des petits arbres qui tombent. Toutefois, dernièrement c’est son voisin qui a dû couper ces arbres puisque le demandeur n’est plus en mesure de le faire.

[86]       En août 2013, il a rencontré le rhumatologue Dr Claudie Bergeron. Celle-ci l’a vu à deux reprises et lui a fait aussi passer une imagerie par résonnance magnétique (IRM).

[87]       Le 27 février 2014, sur le conseil de son médecin traitant Dr Roussel, il consulte à la clinique de la douleur du CHUL. Ce rendez-vous avec Dr Michaud n’a pas duré longtemps puisque le Dr Michaud estimait qu’il souffrait de « totalgie ». La note de cette consultation médicale[4] fait état de fibromyalgie probable et de douleur chronique. Dr Michaud note :

Offrons support psychologique au pt, mais refuse. Malheureusement, je n’ai pas d’autres choses à offrir au pt, mais j’offre de le revoir en deux mois (support).

[88]       Le demandeur reconnait qu’il fume du cannabis afin de calmer sa douleur. Il explique que c’est la seule chose qui l’aide à endurer ses douleurs.

[89]       Le demandeur reconnait avoir déjà essayé du LSD, de la cocaïne et du hachich au début des années 1980, mais il a cessé sa consommation peu de temps après avoir débuté.

[90]       Le demandeur reconnait qu’il a rencontré l’expert de la défenderesse, Dr Boulet. Il reconnait que Dr Boulet lui a mentionné qu’il peut effectuer un travail sans exigence physique. Il reconnait qu’il n’a pas effectué de démarches pour trouver un tel emploi, en raison de ses douleurs.

[91]       Il explique que Dr Boulet lui a recommandé de faire de l’exercice et qu’il fait de l’exercice chaque jour. Il explique aussi qu’il a un vélo stationnaire qu’il utilise.

[92]       Le demandeur explique avoir rencontré Dr Bissonnette en février 2015. Avant son entrevue, il avait rempli un formulaire qui lui avait été remis auparavant par Dr Bissonnette.

[93]       Le demandeur reconnait qu’il a plusieurs outils de travail dans son atelier et qu’il en a racheté d’autres il y a environ deux ans. Il explique qu’il les a achetés puisqu’il espérait pouvoir les utiliser, mais il n’est pas capable de s’en servir.

[94]       Le demandeur explique qu’à l’été 2015, il a pris pendant trois mois de la méthadone, prescrite par Dr Roussel, qui le rencontrait par la suite à chaque semaine.

[95]       Comme la méthadone ne l’aidait pas vraiment, Dr Roussel a décidé de l’arrêter.

[96]       Le 7 mars 2016, le demandeur a rencontré la rhumatologue Dr Zeineb Mahjoub[5]. Celle-ci réitère au demandeur un diagnostic de syndrome fibromyalgique.

[97]       En ce qui concerne son expérience de travail, le demandeur reconnait qu’il a travaillé comme gardien de sécurité de 1988 à 1990. Il devait effectuer le tour des bureaux et des stationnements souterrains. Il a déjà eu une compagnie de remorquage pendant trois ou quatre ans.

[98]       S... D... est la conjointe du demandeur. Elle explique qu’ils sont ensemble depuis environ 13 ans.

[99]       Madame D... explique qu’elle travaille quatre jours par semaine, du mardi au vendredi.

[100]    À l’instar du demandeur, madame D... décrit la détérioration de l’état de ce dernier.

[101]    Avant août 2012, le couple faisait ensemble l’épicerie, le ménage ainsi que la préparation des repas. Ils rencontraient des amis et le demandeur jouait de la guitare.

[102]    Madame D... explique que le demandeur s’occupait beaucoup de la maison.

[103]    Depuis 2012, l’état du demandeur se détériore. Il a constamment des douleurs et pas d’endurance.

[104]    Alors qu’auparavant ils faisaient ensemble la vaisselle, le ménage et le lavage des planchers et des fenêtres, maintenant c’est elle qui doit faire seule la vaisselle. Quant au ménage, le demandeur l’effectue une fois aux trois semaines ou au mois, mais uniquement au rez-de-chaussée, et ceci lui prend environ deux heures ou deux heures trente.

[105]    Alors qu’auparavant il faisait toutes les fenêtres de la maison, actuellement il n’est plus en mesure de faire autre chose que la porte-fenêtre qu’il essuie à l’aide d’une raclette.

[106]    Elle explique que c’est elle qui s’occupe d’enlever les mauvaises herbes du jardin.

[107]    Le couple n’a pratiquement plus de vie sociale puisque le demandeur doit se reposer.

[108]    Il arrive que le demandeur s’endorme après le repas alors même qu’il est encore assis à table.

[109]    Madame D... explique que le demandeur effectue des activités, mais qu’il doit prendre des pauses à chaque 10 ou 15 minutes. Le demandeur ne l’accompagne plus pour faire les courses car ceci l’épuise.

[110]    Depuis les derniers mois, tout est une montagne pour le demandeur : ça lui prend de plus en plus de temps pour s’habiller et faire sa routine quotidienne. Il n’est plus en mesure de finir les menus travaux qu’il avait commencés dans la maison.

[111]    En ce qui concerne la vie sexuelle du couple, elle corrobore en tout point le témoignage du demandeur.

[112]    Madame D... explique qu’auparavant le demandeur était souriant, mais que ceci a changé car il souffre continuellement.

[113]    Madame D... explique aussi que depuis environ deux ans, le couple ne dort plus ensemble puisque le demandeur préfère s’installer dans le La-z-Boy qui se trouve au rez-de-chaussée, et ce, afin d’éviter de monter l’escalier qui mène à la chambre à coucher.

[114]    Le demandeur éprouve de la difficulté à se déplier le matin.

[115]    Elle voit l’état du demandeur se détériorer d’année en année.

[116]    Dr Alain Bissonnette détient un doctorat en médecine obtenu en 1988 de l’Université Laval. Il détient également un certificat en médecine d’expertise.

[117]    Depuis 2000, Dr Bissonnette a développé une expertise particulière en fibromyalgie et douleur chronique. Depuis, il a vu plus de 1 000 patients qu’il a évalués et suivis souffrant de fibromyalgie et de douleur chronique.

[118]    Dr Bissonnette a également développé un programme de formation dans la gestion de la douleur chronique pour la Fédération des médecins du Québec (FMQ) ainsi que pour le Collège des médecins généralistes du Canada.

[119]    Depuis 2000, Dr Bissonnette a donné plus de 200 conférences dans différents centres hospitaliers et cliniques médicales au Québec et en Ontario en matière de fibromyalgie et douleur chronique.

[120]    À la date de l’audience, le Dr Bissonnette suit environ 200 patients atteints de fibromyalgie.

[121]    Dr Bissonnette témoigne en tant qu’expert spécialisé en fibromyalgie et douleur chronique. Sa qualité d’expert n’est pas contestée.

[122]    Le Dr Bissonnette a produit le rapport d’expertise P-6 daté du 11 février 2015 ainsi qu’un rapport complémentaire P-13 daté du 28 août 2017.

[123]    Dr Bissonnette explique que, il y a plusieurs décennies, on croyait que la fibromyalgie était une maladie inflammatoire musculaire ou osseuse.

[124]    Vers 1970, l’American College of Rheumatology (ACR) donne ce nom à la maladie puisqu’on croyait qu’il s’agissait d’une maladie des fibres musculaires. C’est à partir de ce moment que la fibromyalgie est reconnue comme diagnostic par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

[125]    À partir de 1990, l’ACR identifie 18 points douloureux sur le corps, soit 9 d’un côté du corps et 9 de l’autre côté. Si le patient présente 9 points sur les 18 points, on considère qu’il souffre de fibromyalgie.

[126]    À partir de 2010, Dr Bissonnette explique qu’on n’utilise plus ces 18 points puisque l’ACR a développé 19 autres critères en fonction des différentes surfaces du corps.

[127]     Vers 2000, on commence à faire des biopsies des muscles et des tendons et on se rend compte qu’il n’y a pas de pathologie sous-jacente, ce qui établit que la fibromyalgie n’a pas une cause musculaire ou osseuse.

[128]    À partir de ce moment, les rhumatologues sont d’avis que la fibromyalgie est plutôt psychiatrique puisque certains estimaient que les patients somatisaient les symptômes.

[129]    À partir de 2009, le Dr Serge Marchand, neurophysiologiste à l’Université de Sherbrooke met en évidence que la fibromyalgie est une maladie neurologique en raison d’un dysfonctionnement de la moelle épinière.

[130]    Les outils diagnostiques tels que l’IRM ou radiographies ne permettent pas d’identifier une cause organique de la fibromyalgie.

[131]    Toutefois, le Dr Bissonnette explique qu’il y a des signes qui permettent à l’examen physique d’objectiver les atteintes neurologiques propres à la fibromyalgie. Ainsi, l’allodynie permet d’objectiver la douleur ressentie au stimulus non douloureux, alors que l’hyperalgésie permet d’évaluer la douleur au stimulus douloureux.

[132]    Dr Bissonnette explique qu’environ 10 % de la population souffrirait de fibromyalgie et que les patients souffrants sont encore stigmatisés de nos jours.

[133]    Dr Bissonnette explique que la fibromyalgie est caractérisée par une imprévisibilité de l’intensité de la douleur et par la fatigue. Entre autres, la douleur empêche les patients de tomber dans la phase du sommeil profond, qui est réparatrice.

[134]    Dr Bissonnette explique que c’est cette imprévisibilité qui rend les patients atteints de fibromyalgie difficilement employables.

[135]    Depuis, Dr Bissonnette explique que les stresseurs, familiaux, professionnels et sociaux augmentent les douleurs causées par la fibromyalgie.

[136]    Le Dr Bissonnette a rencontré le demandeur le 11 février 2015 à son bureau. Préalablement à cette rencontre, il lui a fait parvenir des questionnaires qu’il lui a demandé de remplir.

[137]    Pour les fins de son expertise, il a pris connaissance du dossier médical complet du demandeur du 3 mars 2008 à la date de l’expertise, des rapports d’évaluation de 2012 à 2014 effectués par le médecin traitant du demandeur, du rapport d’expertise du Dr Boulet, expert de la défenderesse (pièce D-4), ainsi que du dossier pharmacologique.

[138]    Le Dr Bissonnette explique que la fibromyalgie est une maladie de nature neurophysiologique. Elle débute fréquemment par une douleur inflammatoire ou mécanique qui persiste et qui se transforme en douleur neuropathique ou neurologique. Cette maladie affecte les neurotransmetteurs, dont certains ne peuvent plus intervenir pour calmer la douleur.

[139]    Ainsi, le Dr Bissonnette explique qu’il peut arriver qu’une personne normale qui se lave les cheveux en élevant les bras, éprouve de l’inconfort. Dès qu’elle baisse les bras, la sérotonine qui est un neurotransmetteur, intervient pour calmer cet inconfort. Toutefois, en raison de la dysfonction de certains neurotransmetteurs dans le cas d’une personne atteinte de fibromyalgie, ce soulagement de la douleur n’intervient plus.

[140]    Contrairement aux douleurs inflammatoires ou mécaniques, qui sont localisées, les douleurs neuropathiques sont centrales et diffuses chez une personne souffrant de fibromyalgie. Ces douleurs peuvent migrer hors des zones blessées à l’origine.

[141]    Comme la fibromyalgie est une maladie neuropathique, le traitement multidisciplinaire (physiothérapie, massothérapie, etc.) aide à soulager temporairement les symptômes, mais n’a pas d’effets à long terme.

[142]    Pour les fins de son expertise, Dr Bissonnette s’est aussi servi des Lignes directrices canadiennes 2012 pour le diagnostic et prise en charge du syndrome de fibromyalgie[6]. Ce document ainsi que ses recommandations ont été cautionnés par la Société canadienne de la douleur et par la Société canadienne de la rhumatologie.

[143]    D’entrée de jeu, Dr Bissonnette souligne qu’un des médicaments qui est pris depuis plusieurs années par le demandeur, soit le Lyrica, est un antidouleur reconnu utilisé dans le traitement de la fibromyalgie.

[144]    Dr Bissonnette explique que lors de la première rencontre avec des patients atteints de fibromyalgie, une fois qu’il pose ce diagnostic, il leur explique ce qu’ils ont, et il leur explique qu’il faut trouver des médicaments pour soulager la douleur, en leur soulignant toutefois, que ces médicaments peuvent soulager environ 30 % de la douleur ressentie et il leur suggère de faire de l’exercice, tel que le Taï Chi, qui peut apporter de l’amélioration au niveau de la douleur.

[145]    En ce qui concerne la manifestation de la douleur provoquée par la fibromyalgie, Dr Bissonnette explique qu’elle se manifeste par la chaleur, par des engourdissements et des picotements.

[146]    Dans le cadre de l’expertise du demandeur, le Dr Bissonnette a utilisé les lignes de l’ACR 2010, les Lignes canadiennes 2012, ainsi que des questionnaires développés par l’ACR permettant de diagnostiquer la fibromyalgie, soit le Fibromyalgia Rapid Screening Tool (FIRST), ainsi que le White Pain Index (WPN) et le Severity Scale  (score de sévérité des symptômes).

[147]    Dr Bissonnette a aussi effectué une analyse attentive du dossier médical du demandeur.

[148]    Il souligne qu’il ne faut pas uniquement se fier sur les examens radiologiques.

[149]    Préalablement à la rencontre, Dr Bissonnette a demandé au demandeur de remplir deux formulaires pour vérifier la présence des douleurs neuropathiques.

[150]    L’analyse de ces deux formulaires chez le demandeur établit la probabilité des douleurs neuropathiques.

[151]    Dr Bissonnette explique qu’au questionnaire FIRST développé par l’ACR, utilisé pour dépister la fibromyalgie, le demandeur présente 6 symptômes sur 6, ce qui confirme un diagnostic de fibromyalgie.

[152]    Le Dr Bissonnette a pris connaissance des nombreuses scintigraphies, IRM, radiographies et bilans sanguins effectués par le demandeur depuis 2010.

[153]    Il a également pris connaissance des expertises au dossier, soit des consultations en rhumatologie, en clinique de la douleur, en anesthésie, ainsi que l’expertise en physiatrie du Dr Boulet.

[154]    Dr Bissonnette souligne que depuis le 30 novembre 2012, le médecin traitant du demandeur conclut à un diagnostic de fibromyalgie.

[155]    Dr Bissonnette souligne que les examens passés par le demandeur ne révèlent pas de signes radiologiques pouvant expliquer les douleurs ressenties par le demandeur.

[156]    Le 29 février 2014, le demandeur est vu par un anesthésiste travaillant à la clinique de la douleur du CHUL, Dr Michaud, qui conclut à une fibromyalgie probable et souligne qu’il ne peut pas faire davantage pour le demandeur.

[157]    Dr Bissonnette effectue par la suite un examen physique du demandeur. Ainsi, il effectue un examen musculo-squelettique, un examen neurologique ainsi qu’un examen neurologique somato-sensoriel. À la suite de cet examen physique, ainsi qu’après lecture des formulaires remplis par le demandeur, Dr Bissonnette conclut que le demandeur souffre de douleurs neuropathiques (neurologiques) de type fibromyalgie sévère ainsi que des douleurs inflammatoires mécaniques, probables de type arthrosique au rachis cervical et lombaire avec discopathie non compressive.

[158]    Dr Bissonnette a recommandé de débuter la prise de la méthadone avec le Lyrica déjà pris par le demandeur.

[159]    Par conséquent, Dr Roussel lui a prescrit de la méthadone. Comme elle n’a pas apporté de soulagement au demandeur, Dr Roussel l’a arrêtée.

[160]    Le Dr Bissonnette explique que les perspectives d’emploi futur du demandeur sont sombres. Ainsi, il souligne que la fibromyalgie ne peut pas se guérir. Outre les douleurs, elle génère une fatigue importante pendant le jour et la combinaison de cette fatigue et douleur rend le demandeur inemployable.

[161]    Il explique que le nœud gordien en ce qui concerne la fibromyalgie est l’imprévisibilité de la douleur et de la fatigue, ce qui empêche le demandeur d’effectuer un travail à temps plein ou à temps partiel.

[162]    Pour arriver à cette conclusion, Dr Bissonnette fait un tableau de l’évolution de l’état du demandeur. Alors que celui-ci pouvait, avant 2012, effectuer des activités physiques et avait une vie sociale, sa situation s’est dégradée depuis. Il explique que cette évolution de la situation du demandeur est conforme à celle qu’il a vue pour les 1 000 patients atteints de fibromyalgie qu’il voit depuis les années 2000.

[163]    Il souligne que malgré le fait que le demandeur prend une médication depuis plusieurs années, ces traitements pharmacologiques ne font que le soulager partiellement.

[164]    Tout en concédant que le demandeur puisse souffrir d’arthrose, il est cependant d’avis que ces symptômes mécaniques n’expliquent pas toutes les douleurs ressenties par le demandeur.

[165]    Il explique qu’effectivement, l’exercice peut aider à soulager la douleur. Toutefois, dans le cas de patients qui ont une atteinte sévère de fibromyalgie, comme le demandeur, ces exercices n’ont pas d’impact dans le soulagement de la douleur. Il en va de même quant à la perte de poids.

[166]    Dr Bissonnette souligne que le demandeur est encore en mesure de faire certaines activités, avec beaucoup de pauses. Certes, ceci voudrait dire que le demandeur peut, en principe, travailler. Toutefois, Dr Bissonnette souligne l’imprévisibilité et la sévérité de la douleur, qui empêchent le demandeur d’occuper quelque emploi rémunérateur que ce soit.

[167]    Dr Bissonnette souligne qu’en médecine il y a peu de certitudes, puisqu’elle n’est pas une science exacte. Il explique qu’il évalue la probabilité du diagnostic et en raison du dossier médical du demandeur, de son examen physique et des questionnaires, il est d’avis qu’il y a une probabilité élevée que le demandeur souffre d’une fibromyalgie sévère. En utilisant les critères de l’ACR, il estime que l’index des douleurs généralisées (WPA) est de 11 sur 19, et le score de sévérité des symptômes est de 8 sur 12. Il explique que les résultats obtenus à ces tests confirment le diagnostic de fibromyalgie du demandeur.

[168]    Dr Bissonnette a aussi eu l’occasion de prendre connaissance de l’expertise médicale effectuée par Dr Louis Couture, spécialiste en médecine interne pour le compte de la Régie des Rentes du Québec.

[169]    Dr Couture a pris connaissance du dossier médical du demandeur, du rapport d’expertise du Dr Bissonnette du 11 février 2015, du rapport d’expertise du Dr Boulet du 12 août 2014[7], des consultations en rhumatologie par le demandeur, ainsi que des notes médicales évolutives.

[170]    Dr Couture explique qu’il a administré au demandeur le test de l’ACR et qu’il arrive à la conclusion que l’index des douleurs généralisées est à 12 sur 19 et le score de sévérité des symptômes est à 7 sur 12. Dr Couture estime qu’il n’y a aucune évidence d’arthroplastie inflammatoire. Toutefois, il reconnait que le demandeur présente de l’arthrose au niveau de la colonne cervicale avec dégénérescence discale et arthrose facettaire mais que ce problème d’arthrose n’explique pas le tableau des douleurs diffuses du demandeur. Il estime que les traitements prescrits au demandeur sont suffisants soulignant que plusieurs médicaments ont été tentés.

[171]    Dr Couture estime que le demandeur souffre de fibromyalgie et estime qu’il est peu probable que l’état du demandeur s’améliore de façon significative avec le traitement en cours ou avec d’autres mesures thérapeutiques, et ce, à court, moyen ou long terme. Par conséquent, Dr Couture estime que[8] :

Je considère que les douleurs musculo-squelettiques dans le cadre de la fibromyalgie constituent des limitations fonctionnelles permanentes justifiant des restrictions empêchant le requérant d’occuper régulièrement un emploi à temps plein.

[172]    À la suite du rapport de Dr Couture, la Régie des Rentes du Québec a commencé à verser, à partir de février 2014, des prestations d’invalidité au demandeur.

[173]    Dr Bissonnette rend un témoignage impartial et transparent, et ce, malgré un contre-interrogatoire poussé.

[174]    Dr Bissonnette explique que lorsque les médecins écrivent qu’un diagnostic de fibromyalgie est probable, ceci veut dire qu’ils ont éliminé tous les autres diagnostics possibles.

[175]    Dr Bissonnette estime que le demandeur a un état d’invalidité totale permanente qui l’empêche d’exercer tout emploi rémunérateur. Il souligne que malgré les multiples essais thérapeutiques, ceux-ci n’ont pas apporté un soulagement suffisant des douleurs et de la fatigue du demandeur, lui permettant de travailler. En raison de l’imprévisibilité et la sévérité des douleurs, il estime que le demandeur ne peut effectuer aucun travail.

[176]    Dr Bissonnette a chargé au demandeur 9 658,44 $ à titre de frais d’expertise, pour la confection des rapports P-6 et P-9 ainsi que pour son témoignage devant le Tribunal (2 759,94 $[9] + 6 898,50 $[10]).

[177]    Josée Truchon est conseillère aux affaires litigieuses de la défenderesse. Elle intervient dans les dossiers contestés. Dans le présent dossier, elle est intervenue après la réception de la mise en demeure du demandeur, soit le 5 mai 2015[11].

[178]    Elle explique que la demande de prestations d’assurance invalidité signée par le demandeur le 28 novembre 2012[12] a été envoyée par l’employeur du demandeur vers le 6 décembre 2012.

[179]    Madame Truchon explique que la défenderesse a versé des prestations au demandeur du 1er mars 2013 au 31 août 2014, et ce, après le délai de carence de 17 semaines prévu à la police D-1.

[180]    Madame Truchon explique que c’est à bon droit que la défenderesse a refusé de donner suite à la mise en demeure du demandeur, puisque, de l’avis de l’expert de la défenderesse, Dr Boulet, la situation du demandeur ne correspond pas à la définition d’invalidité totale de la police D-1.

[181]    Madame Truchon explique que dans la gestion de l’invalidité, la défenderesse s’assure aussi d’aider les assurés à se trouver un autre emploi.

[182]    C’est ainsi que le demandeur a été référé aux services de McKinnon inc.[13], et ce, après que le Dr Boulet ait conclu dans son expertise du 31 août 2014[14] que le demandeur était apte à travailler.

[183]    Le rapport d’évaluation d’employabilité D-6 est déposé sans objection du demandeur.

[184]    Ce rapport a comme prémisse le rapport du 12 août 2014 du Dr Boulet qui retient que le demandeur peut retourner et effectuer un emploi sans exigence physique.

[185]    Les auteurs de ce rapport ont rencontré le demandeur le 25 avril 2016 dans les bureaux de la défenderesse. Cette rencontre a eu une durée d’environ sept heures.

[186]    Le demandeur mentionne qu’il a un diplôme d’études professionnelles en électronique obtenu en 1984. Toutefois, il n’a jamais travaillé dans ce domaine.

[187]    À partir de la formation et l’expérience de travail du demandeur, ainsi que des informations contenues dans les rapports du Dr Boulet et Dr Bissonnette, McKinnon inc. retient que le demandeur présente un profil d’employabilité pour des emplois sédentaires, n’exigeant pas ou peu d’efforts physiques tels que : représentant des ventes interne, préposé au service à la clientèle, préposé au contrôle de la qualité, commis aux commandes, préposé au guichet, répartiteur et agent de sécurité.

[188]    Dr Daniel Boulet est détenteur d’un doctorat en médecine de l’Université Laval obtenu en 1969. Il a effectué sa résidence en médecine physique et en réadaptation (physiatrie) de 1972 à 1974. Depuis, il pratique comme physiatre.

[189]    Dr Boulet explique qu’il a été chef du service de physiatrie à l’Hôpital l’Enfant-Jésus de Québec, et ce, pour une durée de 23 ans. C’est lui qui a instauré le programme de résidence en physiatrie.

[190]    Sa qualité d’expert en physiatrie n’est pas contestée.

[191]    D’entrée de jeu, Dr Boulet explique que la physiatrie permet le diagnostic, le traitement et la réadaptation des maladies neuro-musculo-squelettiques.

[192]    Le Tribunal note que la physiatrie est définie comme étant[15] :

Branche de la médecine qui prévient et traite les troubles de l’appareil locomoteur.

[193]    Cette définition ne comporte aucunement l’aspect neurologique.

[194]    De plus, l’analyse du curriculum vitae du Dr Boulet ne fait état d’aucune formation particulière en neurologie.

[195]    Le Tribunal a remarqué que tout au long de son témoignage, lorsqu’il réfère à la physiatrie, Dr Boulet emploie parfois le terme maladie musculo-squelettique pour se corriger tout de suite après en ajoutant neuro-musculo-squelettique.

[196]    Dr Boulet a rencontré le demandeur le 12 août 2014, et ce, à la demande de la défenderesse.

[197]    Préalablement à la rencontre, Dr Boulet a effectué une analyse du dossier médical du demandeur.

[198]    La rencontre avec le demandeur a duré environ une heure et demie.

[199]    Lors de cette rencontre, Dr Boulet vérifie à valider le contenu de certaines notes apparaissant dans le dossier médical du demandeur.

[200]    Lors de la rencontre avec le demandeur, Dr Boulet souligne que le demandeur semble avoir une excellente mémoire quant aux examens qu’il a passés et qu’il suivait bien.

[201]    Dr Boulet explique que lors de son expertise il voulait voir s’il y avait une corrélation entre la douleur rapportée par le demandeur et les maladies musculo-squelettiques. Est-ce que ces douleurs découlent d’une condition médicale objective telle qu’une cause musculo-squelettique?

[202]    À la lumière du dossier médical du demandeur, ainsi que de la consultation du demandeur le 12 août 2014, Dr Boulet arrive à la conclusion que les douleurs du demandeur ont des caractéristiques mécaniques.

[203]    En effet, Dr Boulet trouve une corrélation entre les douleurs dont se plaint le demandeur et les différentes données apparaissant dans le dossier médical du demandeur. Ainsi, les douleurs ressenties dans la région lombaire s’expliquent par l’irradiation dans les membres des douleurs dues à l’arthrose facettaire. Les douleurs ressenties aux épaules s’expliquent par des irritations à la coiffe des rotateurs ou par une légère symptomatologie d’arthrose claviculaire.

[204]    Dr Boulet est d’avis que le demandeur n’a pas une bonne musculature, ce qui crée plus de pression sur les articulations, et accentue la courbure de la colonne dorsale et crée la douleur.

[205]    Le demandeur lui a décrit son fonctionnement au 12 août 2014.  

[206]    Il lui dit qu’il faisait la vaisselle et que deux ou trois fois par mois il pouvait faire la tonte de la pelouse avec un tracteur. Cette tonte lui prenait une durée de trois à quatre heures, et une partie de la pelouse il l’a faisait à l’aide d’une tondeuse autotractée, travail qui lui prenait environ deux ou trois heures.

[207]    Monsieur T... l’informe qu’il pouvait passer l’aspirateur une fois par semaine.

[208]    En utilisant les critères de classification de la fibromyalgie établis en 1990, Dr Boulet explique que le demandeur ne présentait qu’un seul point sur les 18 points de fibromyalgie qui était légèrement douloureux.

[209]    De plus, même en utilisant les critères décrits par l’ACR en 2010 ainsi que les Lignes directrices canadiennes de 2012, Dr Boulet est d’avis que le demandeur ne répond pas aux critères de fibromyalgie et qu’il ne présente pas ou peu de symptômes nécessaires pour le diagnostic de la fibromyalgie, puisque « …toutes les douleurs qu’il décrit sont des douleurs dont les caractéristiques sont mécaniques et expliquées par des problèmes localisés, bien qu’étant multiples chez lui »[16].

[210]    Par conséquent, Dr Boulet est d’avis qu’il y a absence d’évidence clinique quant à la fibromyalgie pour le demandeur et qu’il pouvait, dès le 12 août 2014, reprendre un emploi rémunérateur. Il estime, par ailleurs, que le demandeur aurait une « …perception faussée de son état physique »[17].

[211]    Dr Boulet insiste sur le fait qu’il n’y avait pas d’évidence clinique de problème de mémoire ou de concentration qu’il a constaté lors de sa rencontre avec le demandeur le 12 août 2014.

[212]    Pendant une bonne partie de son témoignage, Dr Boulet s’évertue à dénigrer l’expertise du Dr Bissonnette, auquel il reproche de ne pas avoir bien appliqué les critères établis par l’ACR et auquel il reproche une mauvaise lecture de la littérature scientifique sur le sujet.

[213]    De plus, Dr Boulet insiste sur le fait que le demandeur ne lui a pas parlé lors de la rencontre du 12 août 2014 du fait que son sommeil était perturbé, qu’il ne lui a pas parlé de fatigue, de problèmes de concentration ou de mémoire.

[214]    Dr Boulet est d’avis que tous les symptômes relatés par le demandeur ont une corrélation mécanique et ils sont corroborés par l’examen radiologique.

[215]    Le Dr Boulet insiste sur l’embonpoint du demandeur et sur le fait que celui-ci ne fait pas assez d’exercice.

[216]    Pourtant, le demandeur explique qu’il effectue des étirements et des exercices dès son réveil le matin.

[217]    Contrairement au Dr Bissonnette, Dr Boulet est d’avis que le Lyrica n’est pas un médicament utile ni indiqué pour le demandeur, et ce, malgré le fait que ce médicament a été prescrit au demandeur par Dr Roussel et que le demandeur explique que c’est le seul médicament qui soulage sa douleur.

[218]    En contre-interrogatoire, Dr Boulet reconnait qu’il n’est pas membre de l’Association canadienne de la douleur et qu’il n’a pas travaillé dans des cliniques de la douleur. Il ne possède pas le permis nécessaire pour la prescription de la méthadone.

[219]    Dr Boulet reconnait qu’il lui ait déjà arrivé de voir un ou deux patients qui souffrent potentiellement de fibromyalgie. Toutefois, il reconnait n’avoir jamais effectué de suivi auprès de patients souffrant de fibromyalgie.

[220]    Il souligne qu’à titre de physiatre, il n’effectue pas le suivi des patients. Il intervient plutôt en deuxième ou troisième ligne, comme spécialiste.

[221]    Dr Boulet est d’avis qu’il a développé une expertise dans l’évaluation des problèmes neuro-musculo-squelettiques. Il insiste sur le fait que son rôle consistait à déterminer s’il y avait une cause musculo-squelettique qui expliquait les douleurs du demandeur. À l’issue de son expertise, il est d’avis qu’il faut répondre par oui à cette question.

[222]    Il explique aussi que pour poser un diagnostic de fibromyalgie, il faut que la douleur ne puisse pas s’expliquer par une cause organique.

[223]    Dr Boulet explique qu’en ce qui concerne la fibromyalgie, on n’a pas réussi à prouver le mécanisme ou la lésion qui l’explique.

[224]    Tout au long de son témoignage, Dr Boulet défend avec vigueur les conclusions de son rapport du 12 août 2014. Il ne manque pas une occasion pour dénigrer l’expertise effectuée par le Dr Bissonnette. Il lui reproche la façon dont il a effectué l’examen du demandeur et ne pas avoir pris connaissance du rapport D-4 ou de ne pas l’avoir compris.

[225]    Dr Boulet reconnait avoir utilisé un questionnaire qui est utilisé pour le diagnostic de l’arthrose dans le cas du demandeur. Toutefois, lors de son contre-interrogatoire, il se corrige : ce questionnaire est utilisé aussi pour les maladies neuro-musculo-squelettiques.

[226]    La défenderesse communique au Tribunal, après la prise en délibéré du dossier, quatre factures d’honoraires professionnels du Dr Boulet : une première facture du 18 août 2014, représentant les frais de l’expertise réalisée le 12 août 2014 (3 068,68 $), une autre pour le rapport complémentaire D-7 (6 301,83$), une facture pour sa présence devant le Tribunal les 14 et 15 septembre 2017 (9 909,25 $) et enfin, une facture pour sa présence le 6 décembre 2017 (4 963,64 $).

[227]    Ces factures totalisent 24 243,40 $.

POSITION DES PARTIES

[228]    Le demandeur estime avoir prouvé qu’il souffre de fibromyalgie et qu’en raison de cette maladie, il est dans un état d’invalidité totale au sens de la police D-1.

[229]    Il souligne qu’il a rencontré de nombreux spécialistes, qu’il a essayé plusieurs traitements pharmacologiques et qu’il veut s’en sortir. Toutefois, malgré ses efforts, force est de constater à quel point le diagnostic de fibromyalgie est invalidant en ce qui le concerne.

[230]    Le demandeur souligne, quant au rapport d’employabilité de McKinnon inc., qu’on propose des emplois sédentaires pour lui alors qu’il a toujours effectué des travaux physiques. De plus, il estime que ces emplois ne correspondent pas à son expérience et à sa formation.

[231]    Par ailleurs, le demandeur soulève que les frais d’expertise du Dr Boulet sont déraisonnables. Alors que les frais d’expertise du Dr Bissonette sont de 9 658,44$, le Dr Boulet a chargé 24 243,40 $, alors que sa présence a été requise une journée de plus que celle du Dr Bissonnette.

[232]    Quant à la défenderesse, elle estime que son expert, Dr Boulet, a prouvé que l’état du demandeur ne correspond pas à la définition d’invalidité totale.

[233]    Elle est d’avis que l’opinion du Dr Boulet est objective et soumet que le Tribunal devrait retenir la version du Dr Boulet, puisqu’elle estime que le Dr Bissonnette fait une interprétation sélective du dossier médical du demandeur ainsi que des différentes citations de la littérature scientifique. Le haut niveau d’activité effectué par le demandeur appuie et donne plus de force au témoignage du Dr Boulet.

[234]    Enfin, la défenderesse estime qu’elle n’a pas commis de faute en refusant d’indemniser le demandeur. Ce refus s’est fondé sur une expertise médicale effectuée par la défenderesse.

ANALYSE ET DÉCISION

[235]    La seule question en litige est de déterminer si le demandeur était totalement incapable, en raison de son état de santé, d’exercer tout travail rémunérateur, au sens de la police D-1.

[236]    Tel que prévu à la police D-1, la défenderesse a indemnisé le demandeur pour la période du 1er janvier 2013 au 31 août 2014. Elle reconnaît ainsi que le demandeur était, pendant cette période, incapable de faire son travail habituel pendant cette période.

[237]    La période de 24 mois prévue au tableau des garanties de la police D-1 expire le 31 août 2014. À partir de cette date, le demandeur doit prouver qu’il était totalement incapable, en raison de son état de santé, d’exercer tout travail rémunérateur que son éducation, formation et expérience lui permettaient normalement d’accomplir.

[238]    L’existence d’une maladie ne donne pas automatiquement à l’octroi des prestations en vertu de la police D-1. Encore faut-il que le demandeur prouve que la maladie a des répercussions telles qu’il est devenu incapable de travailler selon la définition de la police.

[239]    Le Tribunal estime que le demandeur a fait cette preuve.

[240]    Le témoignage du demandeur et de sa conjointe, S... D... établissent par prépondérance de preuve une détérioration de l’état du demandeur depuis 2012.

[241]    En effet, le demandeur est affligé de plus en plus de douleurs qui, par sa récurrence et imprévisibilité, l’empêchent de faire même les activités domestiques auxquelles il s’adonnait avant 2012. Sa capacité de vaquer à ces activités domestiques a été réduite de façon drastique.

[242]    Certes, le demandeur s’adonne encore à des activités domestiques mais son témoignage établit que ça lui prend deux ou trois fois plus de temps qu’auparavant et qu’il doit prendre des pauses de façon fréquente.

[243]    En raison de ses douleurs, sa vie sociale et de couple sont affectées.

[244]    En raison de ses douleurs, il ne peut même plus pratiquer ses loisirs, dont le golf.

[245]    Le témoignage du demandeur est crédible lorsqu’il explique les douleurs qu’il ressent constamment. Il est aussi crédible lorsqu’il explique que ça lui est pénible dès le réveil pour effectuer des étirements et des réchauffements afin de faire un minimum d’activités pendant la journée.

[246]    Le demandeur a suivi les conseils de son médecin traitant et est allé rencontrer de nombreux spécialistes et a suivi les recommandations qui lui ont été données.

[247]    Pourtant, sa situation ne fait que se détériorer.

[248]    Le demandeur est crédible lorsqu’il explique ressentir des douleurs dans tout son corps et qu’il est désenchanté puisqu’il ne croit plus à l’efficacité d’aucun traitement.

[249]    Le demandeur est aussi crédible lorsqu’il explique qu’il ressent des douleurs 24 heures par jour et qu’en raison de ces douleurs, son sommeil est perturbé et il n’est pas réparateur.

[250]    Ces douleurs qu’il ressent à longueur de journée l’ont déterminé à aller se coucher au rez-de-chaussée dans un fauteuil La-z-Boy, plutôt que de monter et descendre, ce qui lui est de plus en plus difficile. Il n’est même plus capable de faire la vaisselle, car elle lui échappe des mains.

[251]    Le témoignage du demandeur est digne, crédible et transparent et ne comporte pas d’élément d’exagération.

[252]    La position de la défenderesse est motivée par l’opinion du Dr Boulet qui est d’avis que le demandeur ne souffre pas de fibromyalgie. Cette opinion contredit celle du Dr Bissonnette.

[253]    Le Tribunal retient l’expertise du Dr Bissonnette pour les motifs suivants :

[254]    Dès novembre 2012, Dr Roussel retient un diagnostic probable de fibromyalgie et lui administre la médication en conséquence.

[255]    D’ailleurs, Dr Roussel a rempli pour le demandeur des formulaires requis pour la défenderesse pour la période antérieure au 31 août 2014, et elle y mentionne toujours un diagnostic de fibromyalgie.

[256]    Sur la base de ces formulaires, la défenderesse a d’ailleurs indemnisé le demandeur jusqu’au 31 août 2014. Au 1er janvier 2014, la rente brute mensuelle du demandeur était de 2 307,95 $[18].

[257]    Le 24 février 2014, le Dr Michaud, à la Clinique de la douleur du CHUL, retient également un diagnostic de fibromyalgie probable.

[258]    Le demandeur a consulté des rhumatologues, dont Dr Mahjoub, qu’il a rencontré le 7 mars 2016[19].

[259]    Dr Mahjoub « …réitère au patient le diagnostic évoqué dans son dossier, à savoir un syndrome fibromyalgique. (…) »[20].

[260]    Ce même diagnostic est retenu également par le Dr Couture alors qu’il effectue l’expertise médicale P-11 pour la RRQ.

[261]    À l’instar du Dr Bissonnette, le Dr Couture a effectué une analyse minutieuse du dossier médical du demandeur et de son dossier pharmacologique, l’a consulté et lui a administré le questionnaire de l’ACR à la recherche des critères diagnostiques de fibromyalgie. Dr Couture retient que l’index des douleurs généralisées est de 12 sur 19 et le score de sévérité des symptômes est de 7 sur 12. En administrant les mêmes tests, Le Dr Bissonnette retient que l’index des douleurs généralisées est de 11 sur 19 et le score de sévérité des symptômes est de 8 sur 12.

[262]    Le Dr Boulet  n’a pas administré au demandeur le questionnaire de l’ACR, mais malgré ça il est d’avis que le demandeur ne répond pas aux critères de fibromyalgie.

[263]    Ceci affecte la crédibilité du Dr Boulet.

[264]    Mais il y a plus.

[265]    Le rôle de l’expert est d’éclairer le Tribunal dans sa prise de décision. Il doit accomplir sa mission avec objectivité, impartialité et rigueur. Cette mission prime l’intérêt de la partie qu’il représente[21].

[266]    Tout au long de son témoignage, Dr Boulet défend vigoureusement la position de la défenderesse. Son témoignage est inflexible et sans nuance. Il se décrit comme spécialiste dans les maladies neuro-musculo-squelettiques, alors que le sens commun de la physiatrie réfère aux maladies musculo-squelettiques et que le Dr Boulet n’a pas de formation en neurologie. Les corrections qu’il a apportées pendant son témoignage (ex : musculo-squelettique, qu’il s’est toujours empressé de corriger par neuro-musculo-squelettique) n’ont pas échappé au Tribunal et affectent aussi sa crédibilité.

[267]    Dr Boulet a rencontré à une reprise le demandeur et fait fi des symptômes que le demandeur décrit à l’audience, se bornant à prendre en considération uniquement ce qui lui a été décrit par le demandeur 3 ½ ans avant l’audience.

[268]    Il ne faut pas oublier que le mandat du Dr Boulet était, selon son aveu, de déterminer s’il y avait une cause musculo-squelettique pouvant expliquer les douleurs du demandeur, et c’est ce que son rapport établit.

[269]    La crédibilité du Dr Boulet est aussi affectée par ses attaques constantes, avec courroux, à l’égard du Dr Bissonnette.

[270]    Dr Boulet défend bec et ongles la position de la défenderesse et en ce faisant, il n’assume pas sa mission d’éclairer le Tribunal.

[271]    Le témoignage du Dr Bissonnette est plus crédible. D’abord, le Dr Bissonnette a traité, depuis 2000, 1 000 patients atteints de fibromyalgies. Il est expert en fibromyalgie et douleurs chroniques.

[272]    Le Tribunal retient du témoignage du Dr Bissonnette que la fibromyalgie est une maladie de nature neurophysiologique qui affecte les neurotransmetteurs et que par conséquent, les outils diagnostiques tels que l’IRM ou radiographies ne permettent pas de l’identifier. Elle débute par une douleur mécanique qui persiste et se transforme en douleur neuropathique.

[273]    Même si le demandeur peut présenter des symptômes mécaniques, tels que l’arthrose, ces symptômes n’expliquent pas toutes les douleurs qu’il ressent.

[274]    La dégradation de l’état du demandeur depuis 2012, telle qu’établie par la preuve, confirme le diagnostic du Dr Bissonnette. Le demandeur n’est même plus en mesure d’effectuer les travaux domestiques qu’il effectuait auparavant.

[275]    L’imprévisibilité et la chronicité de la douleur, le fait que le demandeur est constamment concentré sur cette douleur empêchent complètement le demandeur de se livrer à tout travail pour lequel il est raisonnablement qualifié.

[276]    Par conséquent, le demandeur a droit à recevoir les prestations qui lui sont payables en vertu de la police d’assurance D-1, et ce, à compter du 1er septembre 2014. Évidemment, il y a lieu de déduire la rente d’invalidité reçue par le demandeur de la RRQ.

[277]    Ainsi, le demandeur a droit de recevoir un montant de 47 100,52 $ correspondant aux prestations dues au demandeur du 1er septembre 2014 à la date de dépôt de la demande introductive (24 juillet 2015), avec indexation au 1er janvier 2015,  le tout selon les modalités de la police D-1. L’intérêt et l’indemnité additionnelle s’appliquent à compter de la mise en demeure (5 mai 2015).

[278]    Il a également droit de recevoir des prestations d’assurance longue durée à partir du 1er août 2015, selon les modalités prévues à la police D-1 et en déduisant la rente d’invalidité de la RRQ.

[279]    Le demandeur a par ailleurs droit de recevoir les frais d’expertise payés au Dr Bissonnette, dont le témoignage a éclairé le Tribunal dans sa prise de décision, soit 9 658,44 $.

[280]    Par ailleurs, le demandeur n’a pas prouvé avoir droit au montant de 5 000 $ résultant du refus de la défenderesse de l’indemniser.

[281]    En effet, la défenderesse a demandé une expertise médicale afin de l’aider dans le traitement de la demande de prestations du demandeur.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[282]    ACCUEILLE la demande;

[283]    CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur la somme de 47 100,52 $, avec indexation au 1er janvier 2015, selon les modalités prévues au contrat d’assurance collective portant le numéro Q1009, avec intérêt au taux légal, ainsi que l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., et ce, à compter de la date de la mise en demeure (5 mai 2015);

[284]    CONDAMNE la défenderesse à payer au demandeur des prestations d’assurance longue durée à partir du 1er août 2015, avec indexation, le tout selon les modalités prévues au contrat d’assurance collective portant le numéro Q1009 et en déduisant les sommes reçues pour la même période par le demandeur à titre de rente d’invalidité de la RRQ;

[285]    AVEC FRAIS DE JUSTICE, incluant 9 658,44 $ à titre de frais d’expertise.

 

 

__________________________________

HERMINA POPESCU, J.C.Q.

 

Me Francis Paradis

BTLP avocats inc.

Avocat du demandeur

 

Me Chantal Noor

Cholette Houle

Avocate de la défenderesse

 

Dates d’audience :

14, 15 septembre 2017 et 6 décembre 2017

 



[1]     Pièce D-2

[2]     Pièce P-4

[3]     Pièce P-12

[4]     Pièce D-8, p. 7

[5]     Pièce P-10

[6]     Pièce P-13

[7]     Pièce D-4

[8]     Pièce P-11, page 10

[9]     Pièce P-7

[10]    Pièce P-14

[11]    Pièce P-8

[12]    Pièce P-2

[13]    Pièce D-6

[14]    Pièce D-4

[15]    Le Petit Larousse Illustré, 2017

[16]    Pièce D-4, p. 17

[17]    Pièce D-4, p. 18

[18]    Pièce P-4

[19]    Pièce P-10

[20]    Pièce P-10, p. 2

[21]    Article 22 C.p.c.

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