McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA) c. Bergeron |
2013 QCCS 1175 |
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JS 1335 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-066521-116 |
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DATE : |
20 mars 2013 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S. |
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McGILL UNIVERSITY NON ACADEMIC CERTIFIED ASSOCIATION (MUNACA) |
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Demanderesse |
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c. |
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ME ANDRÉ BERGERON |
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Et |
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UNIVERSITÉ MCGILL |
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Défendeurs |
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JUGEMENT |
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[1] McGill University Non Academic Certified Association (MUNACA) présente une requête en révision judiciaire d’une décision arbitrale[1] par laquelle l’arbitre décline sa juridiction pour statuer sur une série de griefs portant, premièrement, sur la réintégration par l’employeur, Université McGill, d’un salarié, M. Ron Zahorak, à la suite d’un congé invalidité de longue durée, deuxièmement, sur le refus de l’employeur de lui accorder certains postes et, finalement, sur son congédiement.
[2] M. Zahorak, employé comme technicien en communications à l’Université McGill (l’employeur), subit le 3 mars 2003 une lésion professionnelle qui lui cause certaines limitations fonctionnelles permanentes, lesquelles sont détaillées dans les notes de la Commission de la santé et sécurité du travail (CSST)[2] et reprises aux pages 11 et 12 de la décision de l’arbitre visée par la demande de révision judiciaire.
[3] L’Employeur conteste les diagnostics, l’existence de ces limitations et les liens entre elles et l’accident, et la Commission des lésions professionnelles statuera par la suite en faveur du travailleur[3].
[4] La CSST rend de son côté le 6 octobre 2006 une première décision à l’effet que l’employé n’est plus en mesure d’occuper son emploi pré-lésionnel. Elle décide aussi que si elle ne réussit pas à lui trouver un emploi convenable chez son employeur avant le 11 novembre de la même année[4], elle déterminera alors un emploi convenable que le travailleur sera susceptible d’occuper mais ailleurs sur le marché du travail, en évaluant et en prenant en compte, en outre et tel que le prévoit la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la Loi), sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles.
[5] Le 27 janvier 2006, la CSST complète ses démarches et son analyse et détermine que cet emploi convenable ailleurs sur le marché du travail est celui de « réparateur de commandes électriques ». Aucun appel ne sera logé de cette décision.
[6] La période qui suit, qui s’étend jusqu’au 26 novembre 2010, est ponctuée de retours au travail lors desquels l’employeur permet à l’employé d’effectuer des tâches légères, et d’un long congé de maladie en raison d’une dépression majeure non reliée à la lésion professionnelle. Aussi, certains postes qui ne sont pas en lien avec son emploi pré-lésionnel ni avec ses qualifications professionnelles sont affichés et sont attribués à d’autres personnes : M. Zahorak s’en plaint et MUNACA loge des griefs alléguant que ces postes auraient dû lui être attribués en vertu de dispositions de la convention collective.
[7] Finalement, peu après son retour en 2010, une fois encore assigné à des tâches légères, l’employeur congédie M. Zahorak au motif que, près de cinq ans après la détermination par la CSST de l’emploi convenable, ce poste n’existe toujours pas chez l’employeur. Le Syndicat conteste aussi ce congédiement par un grief[6] .
[8] Au début de l’audition des griefs, la question de la compétence de l’arbitre est soulevée par la partie patronale[7] et les parties conviennent de la traiter de façon préliminaire. La décision de l’arbitre visée par la demande de révision judiciaire est donc une décision partielle[8] qui ne porte que sur la seule question de sa compétence à décider des griefs dont il était saisi. Si le Tribunal fait droit à la demande de révision judiciaire et juge que l’arbitre possède la compétence requise, le dossier devra lui être retourné afin qu’une décision soit rendue sur le mérite des griefs.
La position des parties
La position du syndicat
[9] Bien qu’il critique la qualité des démarches accomplies par la CSST lors du déroulement du processus ayant conduit à la détermination de l’emploi approprié, le syndicat ne remet pas en question cette décision, contre laquelle aucun appel n’a d’ailleurs été logé en temps opportun, ni le fait que l’employeur n’ait pas d’emploi qui corresponde à celui de réparateur de commandes électriques.
[10] Le syndicat ne conteste pas plus le fait que seule la CSST est compétente pour évaluer les capacités résiduelles et autres critères utiles à la détermination de ce que sera l’ « emploi convenable » au sens de la Loi, ni que seul cet organisme peut décider si l’employeur est en mesure d’offrir un tel « emploi convenable » et ne conteste pas non plus si, au contraire, cet emploi convenable se situe ailleurs sur le marché du travail.
[11] En d’autres mots, le syndicat ne conteste pas les décisions de la CSST, ni le fait que l’arbitre ne peut pas revenir sur ce qui a déjà été décidé par la CSST, ni même qu’il ne pourrait pas se prononcer sur les éléments servant à déterminer ce qu’est l’ « emploi pré-lésionnel », l’ « emploi équivalent » ou l’ « emploi convenable » au sens de la Loi.
[12] Ce que le syndicat conteste, c’est le fait que l’arbitre ait décliné compétence afin de se prononcer sur ses griefs, et qu’en ce faisant, il ait refusé de se prononcer sur le mérite de son argument principal qui est que la convention collective régissant le retour au travail permet, non pas de contredire les décisions de la CSST, mais de permettre au travailleur victime d’une lésion professionnelle d’occuper chez ce même employeur un emploi qui n’entre dans aucune des définitions d’emploi telles que formulées par la Loi.
[13] En d’autres mots, le syndicat propose que la convention collective autorise le maintien d’un lien d’emploi à d’autres catégories de postes que celui déterminé par la CSST, soit un poste qui n’exige pas qu’on tienne en compte les qualifications professionnelles de l’employé, possiblement un poste qui nécessite moins de qualifications, lorsque l’ « emploi convenable » déterminé par la CSST ne peut être offert par l’employeur.
[14] Cette possibilité, ou ce droit, soumet le syndicat, serait spécifiquement prévu à la convention collective et serait permis par l’article 4 de la Loi qui permet aux parties « de prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi ».
[15] À propos de la norme de contrôle que doit appliquer le Tribunal, le syndicat propose que, puisque l’arbitre refuse de se prononcer sur le mérite de ses arguments parce qu’il se déclare sans compétence pour le faire, ce cas porte sur les limites de la compétence de l’arbitre et plus spécifiquement sur la délimitation des compétences de deux tribunaux spécialisés concurrents, l’arbitre et la CSST. Ainsi, c’est sous la lunette de la norme de la décision correcte que le litige doit être analysé.
La position de l’employeur
[16] L’employeur soumet que la Loi est d’ordre public et que celle-ci accorde en exclusivité à la CSST - et par conséquent retire à l’arbitre - la compétence de décider de toutes questions portant sur la détermination de l’emploi approprié qui permettra au travailleur victime d’une lésion professionnelle d’utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles.
[17] Partant, toute question portant sur l’évaluation de la capacité résiduelle du travailleur, de ses qualifications professionnelles, de la possibilité raisonnable d’embauche chez l’employeur ou ailleurs sur le marché du travail et de ses conditions d’exercice relèvent de la seule compétence de la CSST. L’arbitre de grief ne serait donc pas compétent pour analyser et pour décider de tout litige en relation avec la réintégration d’un salarié affecté d’une lésion professionnelle lorsque la CSST a déjà analysé sa capacité résiduelle et qu’elle a déjà déterminé quel est l’emploi approprié, ce qui couvre toutes les questions d’accommodement.
[18] Or, soumet l’employeur, ce que demande ici le syndicat de l’arbitre est une nouvelle évaluation des capacités résiduelles du travailleur et un jugement sur les exigences de l’emploi convoité, toutes des questions se situant dans le giron de la compétence de la CSST.
[19] En d’autres mots, puisque la CSST a déjà décidé que l’employeur n’est pas en mesure d’offrir l’emploi convenable déterminé par elle et qu’aucun appel n’a été logé à l’encontre de ces décisions, l’arbitre n’avait d’autre choix que de décliner compétence.
[20] À propos de la norme de contrôle, l’employeur propose que la norme de la décision raisonnable soit celle qui doit être utilisée étant donné que l’arbitre est un tribunal spécialisé ayant l’expertise pour analyser les dispositions de la convention collective applicable. L’arbitre était appelé à décider de sa compétence en interprétant les dispositions de la convention collective à la lumière de la Loi, analyse faisant appel à son expertise, ce qui oblige à une grande déférence envers sa décision.
Les questions en litige
[21] Les questions qui doivent recevoir réponse peuvent être formulées comme suit :
a) Quelle est la norme de contrôle appropriée?
b) Une convention collective peut-elle prévoir un régime de retour au travail d’un employé victime d’une lésion professionnelle plus avantageux que celui que prévoit la Loi? Si oui, qu’en est-il en l’espèce?
c) En l’espèce, l’arbitre pouvait-il décliner compétence et refuser de trancher les griefs?
Analyse
a) La norme de contrôle
[22] La Cour suprême dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick[9] enseigne que le processus devant mener à la détermination de la norme de contrôle qui sera appliqué à une décision se déroule en une ou en deux étapes, selon le cas.
[23] En premier, la Cour supérieure vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à la catégorie de question soulevée.
[24] Il ne fait pas de doute qu’en l’espèce, l’arbitre est un tribunal doté des compétences spécialisées pour apprécier les faits, pour interpréter les dispositions d’une convention collective et pour interpréter sa loi constitutive de même que celles dont il a le mandat d’appliquer, ce qui inclut évidemment la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le juge siégeant en révision d’une décision de l’arbitre de grief doit exercer une grande déférence lorsqu’il qui doit en faire l’analyse. La jurisprudence est on ne peut plus claire à ce sujet[10].
[25] Cela devrait normalement suffire à la détermination de la norme de contrôle.
[26] Toutefois, en l’espèce, l’arbitre conclut non pas que le travailleur n’a pas droit aux remèdes qu’il demande parce que ses griefs seraient sans fondements, mais bien qu’il ne peut examiner leur mérite puisqu’il ne possède pas la compétence utile à cette fin.
[27] La lecture de sa décision permet de constater que l’arbitre aborde la question qui lui est posée carrément en opposant sa compétence à celle de la CSST : il écrit à la page 33 :
Autoriser un arbitre à vérifier s’il existe chez l’employeur quelque emploi que ce soit permettant d’accommoder un salarié atteint de limitations fonctionnelles à la suite d’un accident de travail signifierait qu’il refasse l’évaluation des postes disponibles chez l’employeur à la lumière des capacités du salarié, évaluation déjà effectuée par la CSST qui a compétence exclusive en cette matière.
[28] Puis, l’arbitre conclut :
JE ME DÉCLARE sans compétence pour entendre les griefs du plaignant réclamant sa réintégration dans quelque poste que ce soit chez l’employeur.
[29] Dans Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 [11], la Cour suprême écrit au sujet de la norme de contrôle en semblable matière :
[30] (…) Suivant la jurisprudence, « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (Dunsmuir, par. 54; Smith c. Alliance Pipeline Ltd., 2011 CSC 7 , [2011] 1 R.C.S. 160 , par. 28, le juge Fish). Le principe ne vaut cependant pas lorsque l’interprétation de la loi constitutive relève d’une catégorie de questions à laquelle la norme de la décision correcte demeure applicable, à savoir les « questions constitutionnelles, [les] questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui sont étrangères au domaine d’expertise du décideur, [les] questions portant sur la “délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents” [et] les questions touchant véritablement à la compétence » (Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 , [2011] 3 R.C.S. 471 , par. 18, les juges LeBel et Cromwell, citant Dunsmuir, par. 58, 60-61).
(Nos soulignements)
[30] Quelques années auparavant, la Cour d’appel[12] se penchait sur la norme applicable à la révision d’une décision d’un arbitre de grief lorsque la question en litige portait sur sa compétence à décider d’un sujet :
[15] Ce qui est en jeu ici est la compétence stricto sensu de l’arbitre à l’égard de la lettre de garantie incluse dans la convention collective, à l’Annexe I-11, par les parties négociatrices.
[16] La nature de la question emporte que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de la décision correcte. Il s’agit d’un cas où au sens de l’arrêt Dunsmuir, de la Cour suprême, il faut appliquer la norme de contrôle de la décision correcte puisqu’il en va de la compétence du décideur dans le sens du « vires.
[31] En l’espèce, il appert que la question telle qu’abordée par l’arbitre portait sinon sur une stricte question de compétence, du moins sur la délimitation des compétences respectives de deux tribunaux spécialisés concurrents[13].
[32] Par conséquent, la norme de contrôle est ici celle de la décision correcte.
[33] Mais comme on le verra, le résultat aurait été identique même si la norme de la décision raisonnable avait été celle qui aurait dû être utilisée.
b) Une convention collective peut-elle prévoir un régime de retour au travail d’un employé victime d’une lésion professionnelle plus avantageux que celui que prévoit la Loi? Si oui, qu’en est-il en l’espèce?
[34] La réponse à cette question apparait à la lecture de l’article 4 de la Loi, qui prévoit que :
Art. 4. La présente loi est d’ordre public.
Cependant, une convention ou une entente ou un décret qui y donne effet peut prévoir pour un travailleur des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la présente loi.
[35] Ainsi, la Loi donne ouverture à la possibilité qu’une convention collective puisse prévoir des dispositions plus avantageuses que celles que prévoit la Loi. De plus, rien dans cette loi ne prohibe ni pose obstacle à ce que la convention collective puisse prévoir un régime de retour au travail d’un employé victime d’une lésion professionnelle plus avantageux que celui que lui accorde la Loi.
[36] Cette affirmation doit toutefois être encadrée.
[37] D’abord, la Loi attribue une compétence exclusive à la Commission :
Art. 349. La Commission a compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la présente loi, à moins qu'une disposition particulière ne donne compétence à une autre personne ou à un autre organisme.
[38] L’analyse des critères donnant ouverture au régime de protection et d’indemnisation qu’accorde la Loi au travailleur accidenté se situe parmi les questions qui relèvent de la compétence exclusive de la Commission. Voyons ce qu’est ce régime ainsi que les étapes qui doivent être suivies par la CSST et autres acteurs.
[39] Le droit de retour au travail accordé par la Loi au travailleur victime d’une lésion professionnelle est prévu à l’article 145 de la Loi :
Art. 145. Le travailleur qui, en raison de la lésion professionnelle dont il a été victime, subit une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique a droit, dans la mesure prévue par le présent chapitre, à la réadaptation que requiert son état en vue de sa réinsertion sociale et professionnelle.
[40] L’objet de la réadaptation professionnelle y est défini :
Art. 166. La réadaptation professionnelle a pour but de faciliter la réintégration du travailleur dans son emploi ou dans un emploi équivalent ou, si ce but ne peut être atteint, l'accès à un emploi convenable.
[41] L’expression « dans son emploi » mentionné à ce dernier article réfère bien entendu à l’emploi spécifique pré-lésion professionnelle. Les expressions « emploi équivalent » et « emploi convenable » utilisées dans cette loi sont quant à elles définies à l’article 2 :
emploi équivalent: un emploi qui possède des caractéristiques semblables à celles de l'emploi qu'occupait le travailleur au moment de sa lésion professionnelle relativement aux qualifications professionnelles requises, au salaire, aux avantages sociaux, à la durée et aux conditions d'exercice;
emploi convenable: un emploi approprié qui permet au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'utiliser sa capacité résiduelle et ses qualifications professionnelles, qui présente une possibilité raisonnable d'embauche et dont les conditions d'exercice ne comportent pas de danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur compte tenu de sa lésion;
[42] Le travailleur victime d’une lésion professionnelle qui redevient capable d’exercer son emploi bénéficie des droits suivants :
Art. 236. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle qui redevient capable d'exercer son emploi a droit de réintégrer prioritairement son emploi dans l'établissement où il travaillait lorsque s'est manifestée sa lésion ou de réintégrer un emploi équivalent dans cet établissement ou dans un autre établissement de son employeur.
[43] Si au contraire ce travailleur demeure incapable d’exercer son emploi pré-lésion, mais qu’il peut occuper un « emploi convenable » au sens de la Loi, il bénéficie alors des droits suivants :
Art. 239. Le travailleur qui demeure incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle et qui devient capable d'exercer un emploi convenable a droit d'occuper le premier emploi convenable qui devient disponible dans un établissement de son employeur.
Le droit conféré par le premier alinéa s'exerce sous réserve des règles relatives à l'ancienneté prévues par la convention collective applicable au travailleur.
[44] Dans ce dernier cas, la Loi spécifie le mécanisme que doit emprunter la Commission :
Art.169. Si le travailleur est incapable d'exercer son emploi en raison d'une limitation fonctionnelle qu'il garde de la lésion professionnelle dont il a été victime, la Commission informe ce travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.
Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est redevenu capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent.
Art. 170. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent, la Commission demande à l'employeur s'il a un emploi convenable disponible et, dans l'affirmative, elle informe le travailleur et son employeur de la possibilité, le cas échéant, qu'une mesure de réadaptation rende ce travailleur capable d'exercer cet emploi avant l'expiration du délai pour l'exercice de son droit au retour au travail.
Dans ce cas, la Commission prépare et met en oeuvre, avec la collaboration du travailleur et après consultation de l'employeur, le programme de réadaptation professionnelle approprié, au terme duquel le travailleur avise son employeur qu'il est devenu capable d'exercer l'emploi convenable disponible.
Art. 171. Lorsqu'aucune mesure de réadaptation ne peut rendre le travailleur capable d'exercer son emploi ou un emploi équivalent et que son employeur n'a aucun emploi convenable disponible, ce travailleur peut bénéficier de services d'évaluation de ses possibilités professionnelles en vue de l'aider à déterminer un emploi convenable qu'il pourrait exercer.
Cette évaluation se fait notamment en fonction de la scolarité du travailleur, de son expérience de travail, de ses capacités fonctionnelles et du marché du travail.
[45] Le législateur a doté la CSST de la compétence exclusive d’évaluer et de décider à chacune des étapes de ce processus. Il lui appartient, et à elle seule, d’évaluer la capacité résiduelle et les qualifications professionnelles du travailleur, de même que d’établir tous les autres critères qui lui permettront de déterminer l’existence d’un « emploi équivalent » et, au besoin, de déterminer quel sera l’ « emploi convenable », dans tous les cas après avoir consulté les personnes que mentionne la Loi.
[46] L’arbitre ne possède pas la compétence requise pour s’immiscer dans l’une ou l’autre de ces étapes.
[47] Cette loi est le résultat sinon d’un consensus, au moins d’un compromis qui participe à la paix sociale et aux règlements des conflits susceptibles de se produire entre employeurs et employés lorsque survient un accident de travail. Le législateur a voulu doter la Commission de ces vastes pouvoirs et ses décisions sont opposables à tous. La Loi prévoit un régime d’indemnisation, lequel spécifie la procédure de réclamation de même que les barèmes des indemnités et compensations susceptibles d’être versées. Tous les coûts de réadaptation sont assumés par la Commission[14] et un système de cotisation[15] et d’imputation[16] est mis en place. En contrepartie, le travailleur victime d’une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion[17].
[48] Que cette compétence ait été attribuée exclusivement à la CSST ne fait pas l’objet de débats et a été reconnue par la Cour d’appel dans Société des établissements de plein air du Québec c. Syndicat de la fonction publique du Québec[18], jugement qui a par la suite été appliqué à de nombreuses occasions[19].
[49] L’employeur soumet que ce jugement de la Cour d’appel constitue une fin de non-recevoir à l’argument de MUNACA. Tel n’est pas le cas.
[50] Dans cette affaire, la CSST avait décidé que le travailleur ne pouvait plus occuper son emploi pré-lésion ni occuper un autre « emploi convenable » chez l’employeur, bien qu’il était capable d’effectuer des travaux légers. Cette décision de la CSST n’avait pas été portée en appel. À l’étape de la révision judiciaire, le syndicat invoquait que malgré cette décision de la CSST, l’employeur devait tout de même mettre en place des accommodements raisonnables et que son refus donnait compétence à l’arbitre de se saisir du grief visant à forcer l’employeur à mettre en place de tels accommodements et à les établir.
[51] La Cour d’appel juge que l’arbitre avait pleinement raison de décliner compétence, puisque la compétence que lui confère l’article 244 de la Loi pour régler les difficultés apparaissant au moment de « l’exercice de son droit au retour au travail » n’incluait pas celle de reprendre à zéro l’analyse de la capacité du travailleur à exercer un emploi à la suite d’une lésion professionnelle, non plus que celle d’analyser ses limitations fonctionnelles, question réservée à la CSST.
[52] C’est dans ce contexte que la Cour écrit que :
[19] En effet, la CSST possède une compétence exclusive pour examiner et décider toute question visée dans la Loi, selon l'article 349 de cette dernière. L'arbitre ne pouvait se saisir de la demande du plaignant réclamant son emploi de journalier alors que la CSST avait déjà décidé qu'il n'est plus en mesure de l'occuper. La Cour suprême du Canada a statué que la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ne crée pas un régime parallèle d'indemnisation. Elle n'autorise pas non plus la double compensation pour une même situation factuelle.
[53] En l’espèce, et contrairement à la situation rencontrée dans ce dernier jugement, le syndicat ne demande pas à l’arbitre de statuer à nouveau sur les éléments déjà décidés par la CSST. Le syndicat propose plutôt que la convention collective accorde au travailleur accidenté un régime plus avantageux que celui offert par la Loi et ce, en tout respect des décisions de la CSST :
Art. 38.05 Le salarié qui redevient capable de travailler, mais qui demeure avec une limitation fonctionnelle permanente l’empêchant d’occuper le poste qu’il occupait antérieurement est replacé, sans affichage, à un autre poste que son état de santé lui permet d’occuper, compte tenu des postes disponibles à combler.
[54] En d’autres mots, le syndicat propose qu’en l’espèce, la convention collective offre plus au travailleur, en ce que ce dernier se fait offrir un plus large éventail d’emplois que ne peut le faire la Commission, puisque l’article 38.05 de la convention collective accorde au travailleur le droit d’occuper tout emploi permis par son état de santé alors que les seuls emplois analysés et donc couverts par la décision de la CSST sont ceux qui tiennent en compte les critères plus restrictifs compris à la définition de l’ « emploi convenable » dont elle a la charge de décider.
[55] Tel que le souligne l’arbitre à sa décision[20], il semble exister une controverse au sein du Tribunal d’arbitrage sur la question de savoir si en cette matière la convention collective peut être plus généreuse que la Loi et si l’arbitre possède juridiction afin de le déterminer. Récemment dans Montréal-Est (Ville de) c. Hamelin[21], la question de savoir si une convention collective pouvait être plus généreuse que le régime légal a été soulevée dans le cadre d’une requête en révision judiciaire, mais n’a pas été plus longuement discutée étant donné que la demande de révision judiciaire a été rejetée parce qu’interlocutoire, l’arbitre ayant déclaré sa juridiction pour entendre les parties et déterminer si certains articles de la convention collective prévoyaient des dispositions plus avantageuses que celles prévues à la Loi.
[56] En l’espèce, le Tribunal est d’avis que la position du syndicat doit prévaloir.
[57] La Loi accorde expressément aux parties le pouvoir de stipuler des dispositions plus avantageuses pour le travailleur que celles que prévoit la Loi, et les parties ont justement inscrit à la convention collective une telle disposition plus avantageuse pour le travailleur. Voici pourquoi.
[58] L’exercice que fait la Commission consiste d’abord à déterminer si le travailleur est victime d’une lésion professionnelle, puis à évaluer sa capacité résiduelle afin de déterminer si ce travailleur peut occuper un « emploi équivalent » chez ce même employeur.
[59] Si la Commission détermine que cela n’est pas possible, elle détermine un « emploi convenable » au travailleur, et décide si cet emploi convenable sera occupé chez le même employeur ou plutôt ailleurs sur le marché du travail.
[60] Comme on l’a vu plus haut et tel qu’il apparait de la définition de cette expression, cet « emploi convenable » tient compte des qualifications professionnelles du travailleur, ce qui fait que, à titre d’exemple, l’enseignant à McGill ne se verra pas attribuer par la CSST à titre d’ « emploi convenable » un emploi de préposé à l’entretien ménager, ce qui est logique et juste vu les objectifs du système compensatoire que vise la Loi.
[61] Or, cette alternative est précisément celle qu’autorise l’article 38.05 de la convention collective : la Loi étant d’ordre public, le travailleur pourra évidemment bénéficier du régime légal qui y est prévu, dans l’éventualité où il peut être replacé à son poste, qu’il puisse occuper un « emploi équivalent » ou encore qu’il puisse occuper un « emploi convenable », de façon à mettre à profit ses qualifications professionnelles (diplomation, expérience professionnelle, etc.).
[62] Le travailleur pourra en plus, si le régime légal lui est moins favorable, par exemple si la décision de la CSST ne lui permet pas d’occuper l’un ou l’autre de ces types d’emplois chez son employeur mais seulement un « emploi convenable » ailleurs sur le marché du travail, ce qui dans les faits peut vouloir dire rechercher en vain un tel emploi, choisir d’ « être replacé, sans affichage, à un autre poste que son état de santé lui permet d’occuper, compte tenu des postes disponibles à combler », et ce, sans égard à ses qualifications professionnelles, même si cela est susceptible d’entrainer une diminution de sa rémunération.
[63] L’article 38.05 lui accorde une alternative à la recherche d’un emploi, avec les aléas qu’une telle tâche comporte. Cette alternative ne s’oppose en rien au régime légal : elle s’y ajoute.
[64] L’employeur soumet que reconnaître en cet article 38.05 une disposition plus avantageuse que le régime prévu à la Loi emportera la reprise de l’évaluation des capacités résiduelles du travailleur, analyse qui relève de la compétence exclusive de la CSST en application de l’article 349 de la Loi.
[65] D’abord, il est utile de souligner qu’à cette étape, l’évaluation des capacités résiduelles du travailleur aura déjà été complétée et qu’elle gardera toute sa pertinence. Il ne sera alors pas question de recommencer cet exercice ni de tenter de contredire les conclusions de la Commission.
[66] Ensuite, il est à présumer que le travailleur devra évidemment rencontrer tous les critères du « poste que son état de santé lui permet[tra] d’occuper » et que l’évaluation qui sera alors faite sera du même type, sans être nécessairement plus lourde ou onéreuse, que l’évaluation qui sera faite des autres candidats à ce poste.
[67] Cette objection formulée par l’employeur ne peut donc pas être retenue.
c) L’arbitre pouvait-il décliner compétence et refuser de trancher les griefs?
[68] La Loi accorde expressément aux parties le pouvoir de stipuler des dispositions plus avantageuses pour le travailleur que celles qu’elle prévoit elle-même. En l’espèce, elles ont justement inscrit à la convention collective une telle disposition plus avantageuse pour le travailleur.
[69] Cela étant, et puisque le syndicat soulève en outre que M. Zahorak s’est vu refuser des postes qui, selon lui, seraient assujettis à l’article 38.05 de la convention collective, l’arbitre de grief possède la compétence requise afin de trancher les griefs. Dans ce sens, sa décision n’était pas une décision correcte au sens donné par la jurisprudence.
[70] Enfin, l’arbitre semble s’être prononcé spécifiquement sur la portée de l’article 38.05 de la convention collective lorsqu’il écrit :
[105] Je ne partage donc pas l’opinion de l’arbitre Nadeau selon laquelle, au chapitre des accidents de travail, la référence dans une convention collective à un « autre emploi » soit de portée plus large que l’expression « emploi convenable » que l’on trouve à la loi.
[106] En l’espèce, j’estime donc que les conditions relatives à la mise en application du droit de retour au travail prévues au paragraphe 38.05 de la convention collective ne sont pas plus avantageuses que celles prévues à la LATMP.
[71] Malgré que l’arbitre possède une expertise certaine en cette matière et malgré la grande déférence qui lui est due, le Tribunal ne peut considérer que son analyse et le résultat qu’il atteint est raisonnable au sens donné à ce mot par la Cour suprême du Canada. Lu dans le contexte des paragraphes qui la précèdent, et tenant particulièrement compte de ce que l’arbitre écrit aux paragraphes 103 et 104, il apparait que l’interprétation que fait l’arbitre de l’article 38.05 de la convention collective est donnée à la lumière de sa conclusion à l’effet qu’il ne possède pas compétence pour décider des griefs, et non le contraire, soit qu’après avoir décidé qu’il possède cette compétence, que l’article 38.05 de la convention collective n’est pas plus avantageuse que le régime prévu à la Loi.
Conclusion
[72] À l’instar de la décision de la Cour d’appel dans Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes c. Société canadienne des postes[22], le Tribunal conclut que l’arbitre possède la juridiction requise afin d’entendre et de décider des griefs et qu’il aurait simplement dû faire le constat que le régime que prévoit l’article 38.05 de la convention collective est plus généreux que le régime prévu à la Loi.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[73] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire;
[74] DÉCLARE que l’arbitre de grief a juridiction pour entendre les griefs au mérite;
[75] RETOURNE les griefs devant l’arbitre afin qu’il se prononce sur le mérite des griefs;
[76] LE TOUT, avec dépens.
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__________________________________ STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S. |
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Me Sibel Ataogul |
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Procureure de la demanderesse |
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Me André Baril |
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Procureur pour l’Université McGill |
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Dates d’audience : |
28 et 30 novembre 2012 |
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[1] Université McGill et MUNACA, T.A., 8 juin 2011, arbitre André Bergeron, D.T.E. 2011T-582 .
[2] Pièce P-4(S-13).
[3] Décision du 6 mars 2006 (Pièce P-5 (E-1)).
[4] Ce délai sera prolongé jusqu’en décembre de la même année.
[5] L.R.Q., c. A-3.001.
[6] Pièce P-4 (S-12).
[7] Voir l’exposé du déroulement de l’audition aux par. 13 à 20 de la décision du l’arbitre.
[8] Telle est la qualification qu’en donne l’arbitre à l’intitulé et au par. 20 de sa décision.
[9] [ 2008] CSC 9 , par. 62.
[10] Voice Construction Ltd. c. Construction & General Workers' Union, Local 92, [2004] 1 R.C.S. 609 , par. 28; Syndicat de l'enseignement des Moulins c. Commission scolaire des Manoirs, J.E. 2002-1593 (C.A.); Commission scolaire de Montréal c. Rondeau, J.E. 2004-1220 (C.A.).
[11] [2011] 3 R.C.S. 654 .
[12] Québec (Procureur général) c. Collège Édouard-Montpetit, [2009] QCCA 1566 .
[13] Comme l'énonce l'auteur Robert P. Gagnon, «eu égard à son statut, l'arbitre de grief du Code du travail est un tribunal «statutaire», à la fois parce que la loi l'impose aux parties comme forum exclusif pour disposer des griefs et en raison de la nature des pouvoirs et des devoirs que la loi lui confie», Robert P. GAGNON, «L'arbitrage de griefs» dans Collection de droit 2011-2012, École du Barreau du Québec, vol. 8, Droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 211, à la page 215.
[14] Art. 181.
[15] Art. 315.
[16] Art. 326.
[17] Art. 438.
[18] [2009] QCCA 329.
[19] Voir en outre Syndicat des travailleuses et travailleurs des centres jeunesses de la Montérégie (CSN) c. Centre jeunesses de la Montérégie AZ-50914112 , T.A., 16 août 2012; aussi Veilleux et Ste-Aurélie (Municipalité de), C.R.T., D.T.E. [2009] T-366.
[20] Aux par. 55 à 57 et 86 à 101.
[21] [2012] QCCS 1400, juge Mark Schrager; requête pour permission d’en appeler rejetée, [2012] QCCA 1118, juge Jacques A. Léger.
[22] [2006] QCCA 1655.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.