Labrecque et CHUQ |
2013 QCCLP 6700 |
______________________________________________________________________
DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION
______________________________________________________________________
[1] Le 11 avril 2013, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) dépose une requête en révocation d’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 22 février 2013.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles entérine l’accord intervenu entre la travailleuse, madame Anouk Labrecque et l'employeur, C.H.U.Q. En conséquence, la Commission des lésions professionnelles accueille la requête de la travailleuse, infirme la décision rendue par la CSST le 2 août 2012, à la suite d’une révision administrative, déclare que la CSST ne pouvait mettre fin le 1er avril 2012 au versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans le cadre du programme «Pour une maternité sans danger» pour le motif que la travailleuse a omis de renouveler sa licence auprès de son ordre professionnel, déclare que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à son accouchement et annule la décision rendue le 26 juin 2012, réclamant à la travailleuse un surpayé.
[3] À l’audience tenue à Québec le 10 octobre 2013, la CSST est représentée par sa procureure. La travailleuse est présente et représentée par sa procureure. L'employeur a avisé le tribunal de son absence à l’audience. L’affaire est mise en délibéré le 10 octobre 2013.
L’OBJET DE LA REQUÊTE
[4] La CSST demande à la Commission des lésions professionnelles de révoquer la décision du 22 février 2013 entérinant l’accord intervenu le 18 février 2013. Elle soumet qu’en rendant cette décision, la Commission des lésions professionnelles a, d’une part, excédé sa compétence et, d’autre part, a omis d’appliquer une règle de droit.
LES FAITS
[5] La travailleuse est infirmière. Le 8 mars 2012, son médecin émet un Certificat visant le retrait préventif et l’affectation de la travailleuse enceinte ou qui allaite.
[6] Le 20 mars 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que la travailleuse est admissible au programme «Pour une maternité sans danger» et qu’elle a droit de recevoir des indemnités du 15 mars 2012 au 18 août 2012.
[7] Il appert des notes évolutives du dossier que le 12 juin 2012, l'employeur communique avec la CSST et l’informe que la travailleuse n’a pas renouvelé sa licence, qui expirait le 31 mars 2012, auprès de l’Ordre des infirmières, sous prétexte qu’elle n’en a pas besoin, puisqu’elle bénéficie d’un retrait préventif.
[8] Toujours selon les notes évolutives, l'employeur mentionne qu’il aura bientôt une affectation de travail pour la travailleuse, mais qu’elle ne pourra pas travailler sans sa licence. La CSST indique à l'employeur que le versement des indemnités sera suspendu à compter du 1er avril 2012, s’il est confirmé que la travailleuse n’a pas renouvelé sa licence.
[9] Après avoir parlé à la travailleuse, l'employeur communique à nouveau avec la CSST et l’informe que selon l’Ordre des infirmières, la licence de la travailleuse sera renouvelée si elle est affectée à un travail. La CSST répond qu’elle estime toutefois que la travailleuse doit être disponible en tout temps pour une affectation.
[10] Le 13 juin 2012, la travailleuse s’entretient avec l’agente de la CSST. Elle lui explique qu’elle a été retirée du travail et qu’elle est pratiquement assurée de ne pas être affectée à un autre travail parce qu’il y a 11 infirmières avant elle en attente d’une affectation.
[11] Par ailleurs, la travailleuse renouvelle sa licence auprès de l’Ordre des infirmières. Il appert de l’attestation d’inscription au tableau de 2012-2013, émise au nom de la travailleuse, que la licence est valide du 13 juin 2012 au 31 mars 2013.
[12] Le 15 juin 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle informe la travailleuse qu’elle cesse le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012 parce qu’à cette date elle n’avait plus de permis d’exercice valide. La CSST ajoute que la travailleuse peut recouvrer le droit à l’indemnité de remplacement du revenu lors de la signature d’un permis en bonne et due forme.
[13] Le 22 juin 2012, la CSST communique avec la travailleuse et l’informe qu’elle recevra une lettre confirmant qu’elle doit 4 315,14 $ à la CSST pour les indemnités de remplacement du revenu versées du 3 avril au 2 juin 2012. La CSST lui confirme de plus qu’elle est de nouveau admissible au programme à compter du 13 juin 2012.
[14] Le 26 juin 2012, la CSST rend une décision intitulée Admissibilité au programme Pour une maternité sans danger par laquelle elle déclare que la travailleuse a droit de recevoir des indemnités à compter du 13 juin 2012, et ce, jusqu’au 18 août 2012.
[15] Le 26 juin 2012, la CSST rend une autre décision intitulée Sommes versées en trop par laquelle elle avise la travailleuse qu’elle a reçu des indemnités de remplacement du revenu alors qu’elle n’y avait pas droit. Il convient de reproduire un extrait de cette décision :
Nous vous avisons que des sommes vous ont été versées en trop dans le cadre du programme Pour une maternité sans danger. En effet, vous avez reçu des indemnités de remplacement du revenu pour la période du 3 avril 2012 au 2 juin 2012 alors que vous n’y aviez pas droit (voir la décision rendue le 15 juin 2012). Vous devez donc 4 315,14$ à la CSST.
Cependant, cette somme sera exigible seulement à la fin du délai de contestation. Nous vous informerons plus tard des modalités de remboursement.
[16] Le 28 juin 2012, la travailleuse produit une demande de révision. Sur le formulaire qu’elle signe, elle indique qu’elle conteste la décision rendue par la CSST le 26 juin 2012 dont l’objet est «sommes versées en trop».
[17] Le 2 août 2012, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle confirme la décision du 26 juin 2012 et déclare qu’elle est bien fondée de réclamer la somme de 4 315,14 $ à la travailleuse.
[18] La travailleuse conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.
[19] Un accord est intervenu entre la travailleuse et l'employeur. L’objet de cet accord est ainsi décrit:
[4] Le présent accord porte sur le droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger ».
[20] Par cet accord, les parties conviennent que la CSST a, le 20 mars 2012, reconnu à la travailleuse le droit au programme Pour une maternité sans danger du 15 mars au 18 août 2012.
[21] Les parties reconnaissant également que :
[7] S’étant vu reconnaître le droit aux prestations pour le programme « Pour une maternité sans danger » et puisqu’aucune affectation à un poste ne comportant pas de danger pour elle où son enfant à naître n’était disponible ou ne lui a été offert par l’employeur, sous les conseils de l’Ordre des infirmières, la travailleuse n’a pas renouvelé sa licence qui se terminait le 31 mars 2012.
[22] L’accord fait mention des décisions rendues par la CSST les 15 et 26 juin 2012 et de la contestation de la travailleuse du 28 juin 2012.
[23] Au paragraphe 10 de l’accord, les parties reconnaissent que «la contestation de la travailleuse du 28 juin 2012 regroupe les décisions rendues les 15 et 26 juin 2012.»
[24] Il est de plus reconnu par les parties que pour toute la période où la travailleuse s’est absentée en raison de sa grossesse, l'employeur n’a pas été en mesure de l’affecter à un poste de travail ne comportant pas de danger pour elle ou l’enfant à naître. Ainsi, à partir du 15 mars 2012 et jusqu’à son accouchement la travailleuse répondait aux critères, soit qu’elle était enceinte, qu’elle n’avait pas accouché, qu’elle était une travailleuse au sens de la loi, qu’il n’y a pas eu de coupure du lien d’emploi et qu’elle était apte au travail et disponible en tout temps pour une affectation. En conséquence, aucune condition n’était remplie pouvant amener l’arrêt du versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans le cadre du programme.
[25] Le 22 février 2013, la Commission des lésions professionnelles rend la décision suivante, par laquelle elle entérine cet accord intervenu entre les parties :
ENTÉRINE l’accord intervenu entre les parties;
ACCUEILLE la requête de madame Anouk Labrecque, la travailleuse;
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 2 août 2012 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST ne pouvait mettre fin, le 1er avril 2012, au versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans le cadre du programme « Pour une maternité sans danger » pour le motif que la travailleuse a omis de renouveler sa licence auprès de son ordre professionnel;
DÉCLARE que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à son accouchement;
ANNULE la décision rendue le 26 juin 2012 réclamant à la travailleuse un surpayé.
[26] Le 11 avril 2013, la CSST dépose une requête en révocation de cette décision. Elle adresse deux reproches au tribunal. D’une part, elle soumet que la Commission des lésions professionnelles ne pouvait pas se saisir de la question du droit de la travailleuse au versement de l’indemnité de remplacement du revenu puisque la décision rendue par la CSST le 15 juin 2012, par laquelle elle cesse le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012, n’a jamais été contestée par la travailleuse.
[27] De plus, la décision rendue le 26 juin 2012 par la CSST déterminant que la travailleuse a droit de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 13 juin 2012 jusqu’au 18 août 2012 n’a pas non plus été contestée par la travailleuse.
[28] La CSST plaide que ces décisions ont acquis un caractère final et irrévocable et ne peuvent pas être remises en question en l’absence d’un processus de contestation.
[29] Or, dans sa décision rendue le 22 février 2013, la Commission des lésions professionnelles se prononce sur le droit de la travailleuse de recevoir l’indemnité de remplacement du revenu, question dont elle ne pouvait pas se saisir.
[30] D’autre part, la CSST plaide que la Commission des lésions professionnelles a omis d’appliquer une règle de droit. En effet, en déclarant que la travailleuse a droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à son accouchement, le tribunal omet d’appliquer l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[1] qui se lit comme suit :
42.1. Une travailleuse n’est pas indemnisée en vertu des articles 40 à 42 à compter de la quatrième semaine précédant celle de la date prévue pour l’accouchement, telle qu’inscrite dans le certificat visé à l’article 40, si elle est admissible aux prestations payables en vertu de la Loi sur l’assurance parentale (chapitre A-29.011). La travailleuse est présumée y être admissible dès ce moment.
Toutefois, la date prévue pour l’accouchement peut être modifiée lorsque la Commission est informée par le médecin traitant de la travailleuse, au plus tard quatre semaines avant la date prévue au certificat mentionné au premier alinéa, d’une nouvelle date prévue pour l’accouchement.
2005, c. 13, a. 91; D. 374-2006, a. 1.
[31] À l’audience tenue le 10 octobre 2013, la procureure de la CSST reprend les arguments et les motifs exposés dans la requête en révocation.
[32] De façon plus particulière, elle plaide que la contestation présentée par la travailleuse le 28 juin 2012 vise clairement uniquement la décision rendue le 26 juin 2012 portant sur les sommes versées en trop. À son avis, la travailleuse conteste ainsi la dette et non la cause de la dette. Dans ces circonstances, la seule question dont pouvait se saisir la Commission des lésions professionnelles est celle du montant du trop perçu.
[33] Ainsi, en affirmant que l’accord intervenu entre les parties porte sur le droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu, la Commission des lésions professionnelles base sa décision sur une fausse prémisse.
[34] La procureure ajoute qu’au surplus, la CSST a été dans l’impossibilité d’intervenir dans le processus de règlement puisqu’elle n’a jamais été informée que la décision du 15 juin 2012 avait été contestée. Étant donné qu’aucune décision n’a été rendue à la suite d’une révision administrative sur le droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu, la Commission des lésions professionnelles ne peut se saisir de cette question.
[35] La procureure soumet enfin que les parties ne pouvaient reconnaître par accord que la contestation de la travailleuse du 28 juin 2012 visait les décisions des 15 et 26 juin 2012. En effet, la contestation du 28 juin 2012 est claire, elle ne vise que la décision du 26 juin 2012 portant sur les sommes trop perçues.
[36] La CSST dépose de la jurisprudence au soutien de ses prétentions et demande au tribunal de révoquer la décision du 22 février 2013.
[37] D’entrée de jeu, la procureure de la travailleuse reconnaît que la décision du 22 février 2013 entérinant l’accord intervenu entre les parties comporte un vice de fond, puisque la Commission des lésions professionnelles a omis d’appliquer une règle de droit, soit l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
[38] Elle soumet donc qu’il y a lieu de réviser la décision rendue le 22 février 2013 afin de déclarer que la travailleuse a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 18 août 2012 et non jusqu’à son accouchement.
[39] Plaidant sur le second motif soulevé par la CSST quant à l’objet de l’accord, la procureure de la travailleuse soumet qu’il faut tenir compte que la décision du 22 février 2013 entérine un accord intervenu entre les parties. Or, conformément à l’article 429.46 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] (la loi), le rôle du premier commissaire se limite à analyser la conformité de l’accord à la loi. Il n’a pas à analyser la preuve, mais doit plutôt se demander si les faits permettent les conclusions recherchées, si les faits admis par les parties justifient l’accord.
[40] À son avis, le premier commissaire disposait de la preuve, par admission de faits, que l’intention de la travailleuse était de contester les décisions des 15 et 26 juin 2012, soit son droit à l’indemnité de remplacement du revenu. La CSST ne peut donc pas affirmer, comme elle le fait au paragraphe 19 de sa requête, que la décision du 15 juin 2012 n’a pas été contestée.
[41] Par ailleurs, si la travailleuse n’était pas d’accord avec le fait qu’elle doive rembourser à la CSST les sommes versées entre le 3 avril et le 2 juin 2012, c’est qu’elle prétend avoir droit à l’indemnité de remplacement du revenu durant cette période. Dans le présent dossier, la CSST a rendu plusieurs décisions portant sensiblement sur le même sujet. Il est donc raisonnable de présumer que la travailleuse avait l’intention de contester autant son droit à l’indemnité de remplacement du revenu que le montant dû.
[42] Enfin, il appert du dossier que la travailleuse n’a pas été affectée à un autre travail et que si elle l’avait été, elle aurait obtenu le renouvellement de sa licence à temps pour exécuter ce travail. La Commission des lésions professionnelles pouvait donc conclure comme elle l’a fait quant à son droit à l’indemnité de remplacement du revenu.
[43] La procureure de la travailleuse dépose de la jurisprudence au soutien de ses prétentions.
L’AVIS DES MEMBRES
[44] Les membres issus des associations syndicales et des associations d’employeurs sont d’avis que la requête en révocation présentée par la CSST devrait être accueillie.
[45] D’une part, ils estiment que la Commission des lésions professionnelles pouvait conclure que la demande de révision de la travailleuse visait tant la décision du 15 juin (droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012) que celle du 26 juin 2012 (réclamation du trop payé). L’admission par les parties à cet effet consignée dans l’accord n’est pas fondée sur des faits manifestement faux ou inexacts.
[46] Ce faisant, la Commission des lésions professionnelles pouvait se saisir et statuer sur la question du droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012.
[47] Toutefois, d’autre part, les membres sont d’avis que la décision du 22 février 2013 comporte un vice de fond de nature à l’invalider. En effet, le premier commissaire a omis d’appliquer l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail. La décision doit donc être révoquée pour ce motif.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[48] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de révoquer la décision rendue le 22 février 2013.
[49] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel :
429.49. Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.
Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.
La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[50] La loi prévoit un recours en révision ou révocation dans certaines circonstances particulières :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[51] Conformément à l’article 429.57 de la loi, la requête en révision ou révocation doit être présentée dans un délai raisonnable suivant la décision visée et indiquer les motifs à son soutien.
[52] En l’espèce, le tribunal siégeant en révision juge que la requête présentée par la CSST le 11 avril 2013 respecte le délai raisonnable prévu par la loi, lequel est assimilé à un délai de 45 jours. De plus, la requête expose les motifs à son soutien.
[53] Le recours en révision ou révocation en est un d’exception, dans un contexte où les décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles sont finales et sans appel. Ainsi, une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs énumérés à l’article 429.56 est démontré.
[54] En l’espèce, la CSST prétend que la décision rendue le 22 février 2013 est entachée de vices de fond au sens du troisième paragraphe de l’article 429.56 de la loi.
[55] Les notions de «vice de fond» et «de nature à l’invalider» ont été interprétées par la Commission des lésions professionnelles. L’interprétation retenue par le tribunal a par la suite été confirmée par la Cour d’appel. Le tribunal retient des enseignements de la jurisprudence que le vice de fond de nature à invalider la décision est une erreur manifeste de droit ou de faits ayant un effet déterminant sur l’objet de la contestation[3], une erreur qui est déterminante dans les conclusions atteintes[4].
[56] L’interprétation d’un texte législatif ne conduit pas nécessairement au dégagement d’une solution unique. Ainsi, la simple divergence d’opinions quant à la façon d’interpréter une disposition législative ne constitue pas un vice de fond[5]. Par ailleurs, le fait d’écarter ou d’omettre une règle de droit applicable constitue une erreur de droit manifeste et déterminante[6].
[57] Il faut aussi retenir que le pouvoir de révision ne peut être une répétition de la procédure initiale ni un appel déguisé sur la base des mêmes faits et arguments[7]. Dans le cadre d’un recours en révision, le juge administratif ne peut non plus substituer son opinion ou son appréciation de la preuve à celle de la première formation. Ce n’est pas non plus une occasion pour une partie d’ajouter de nouveaux arguments[8].
[58] Dans l’affaire CSST c. Touloumi[9], la Cour d’appel écrit qu’une décision attaquée pour vice de fond ne peut faire l’objet d’une révision interne que lorsqu’elle est entachée d’une erreur dont la gravité, l’évidence et le caractère déterminant ont été démontrés par la partie qui demande la révision.
[59] Enfin, la Commission des lésions professionnelles siégeant en révision doit faire preuve d’une grande retenue puisque la première décision rendue fait autorité et ce n’est qu’exceptionnellement que cette décision pourra être révisée[10].
[60] Ces principes étant exposés, qu’en est-il en l’espèce.
[61] La CSST prétend que la décision du 22 février 2013 comporte des vices de fond de nature à l’invalider soit, d’une part, que la Commission des lésions professionnelles ne pouvait se saisir de la question du droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012 puisque la décision du 15 juin 2012 n’a pas été contestée et, d’autre part, que la Commission des lésions professionnelles a omis d’appliquer une règle de droit, soit l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail.
[62] Le premier reproche adressé à la décision du 22 février 2013 concerne la question du litige dont s’est saisie la Commission des lésions professionnelles. La compétence de la Commission des lésions professionnelles est prévue à l’article 369 de la loi :
369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :
1° sur les recours formés en vertu des articles 359, 359.1, 450 et 451;
2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
__________
1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
[63] Dans le cadre de l’exercice de sa compétence, la Commission des lésions professionnelles dispose des pouvoirs suivants :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
__________
1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[64] La Commission des lésions professionnelles agit de novo.
[65] Rappelons de plus que par sa décision du 22 février 2013, le premier commissaire entérine un accord intervenu entre les parties. Ce pouvoir est prévu à l’article 429.46 de la loi :
429.46. Tout accord est constaté par écrit et les documents auxquels il réfère y sont annexés, le cas échéant. Il est signé par le conciliateur et les parties et lie ces dernières.
Cet accord est entériné par un commissaire dans la mesure où il est conforme à la loi. Si tel est le cas, celui-ci constitue alors la décision de la Commission des lésions professionnelles et il met fin à l'instance.
Cette décision a un caractère obligatoire et lie les parties.
__________
1997, c. 27, a. 24.
[66] Selon cette disposition, la Commission des lésions professionnelles entérine un accord, dans la mesure où il est conforme à la loi.
[67] Les critères suivants sont reconnus par la jurisprudence pour déterminer si un accord est conforme à la loi : l’accord doit respecter la compétence du tribunal, c’est-à-dire ne pas déborder le cadre de l’objet en litige, ses conclusions ne doivent pas être contraires à l’ordre public, il doit respecter la législation et la réglementation pertinentes et, enfin, il ne doit pas être fondé sur des faits manifestement faux, inexacts ou qui ne sauraient supporter les conclusions recherchées[11].
[68] La Commission des lésions professionnelles pouvait-elle dans le cadre de l’entérinement de l’accord statuer sur le droit de la travailleuse à recevoir l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012?
[69] La CSST soutient que le tribunal ne pouvait pas se saisir de cette question puisque la travailleuse n’a pas contesté la décision rendue le 15 juin 2012. Son argument équivaut à plaider que l’accord déborde le cadre de l’appel.
[70] Pour les motifs ci-après exposés, le tribunal siégeant en révision est d’avis que le premier commissaire pouvait déterminer l’objet du litige dont il était saisi, circonscrire la question à trancher et se saisir de la question du droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012.
[71] Le tribunal siégeant en révision est d’avis qu’en décidant ainsi, le premier commissaire n’a pas commis d’erreur de droit manifeste et déterminante.
[72] Dans l’affaire Cantin c. Commission des lésions professionnelles et CSST[12], la Cour supérieure accueille la requête en révision judiciaire présentée par le travailleur à l’encontre d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.
[73] Dans cette affaire, la CSST avait rendu une première décision le 4 décembre 2008 faisant suite à l’avis du membre du Bureau d'évaluation médicale et déclarant qu’en raison de l’absence d’aggravation de son atteinte permanente et de ses limitations fonctionnelles, le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable de messager distributeur et qu’il n’a pas droit à des indemnités additionnelles. Le 5 décembre 2008, la CSST a rendu une autre décision déclarant que le 27 septembre 2007, le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle, sous la forme d’une récidive, rechute ou aggravation, en raison de l’absence de détérioration objective de son état de santé. Le 11 décembre 2008, le travailleur a demandé la révision de la décision du 4 décembre 2008, faisant suite à l’avis du Bureau d'évaluation médicale.
[74] Dans sa décision, la révision administrative note que le travailleur n’a pas contesté la décision du 5 décembre 2008. Elle se déclare liée par l’avis du Bureau d'évaluation médicale, décide que le travailleur ne conserve aucune atteinte permanente ni limitation fonctionnelle à la suite de la lésion professionnelle du 27 septembre 2007.
[75] Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. Dans sa décision, le tribunal est d’avis que cette contestation du travailleur porte uniquement sur la décision rendue par la CSST le 4 décembre à la suite de l’avis du Bureau d'évaluation médicale. La décision du 5 décembre 2008 refusant de reconnaître une récidive, rechute ou aggravation du 27 septembre 2007 est devenue finale et irrévocable. Le tribunal estime que la contestation du travailleur qui porte sur les questions médicales et le droit à l’indemnité de remplacement du revenu à la suite de cette lésion est sans objet.
[76] Le travailleur a demandé la révision judiciaire de cette décision. La Cour conclut que la décision de la Commission des lésions professionnelles n’appartient pas aux issues possibles en regard des faits et du droit. Pour la Cour supérieure, tant la décision du 4 décembre que celle du 5 décembre, malgré un libellé différent de leur objet, portent sur les mêmes deux items, soit le refus de reconnaître une aggravation de l’atteinte permanente du travailleur et de lui verser des indemnités supplémentaires en lien avec une récidive, rechute ou aggravation du 27 septembre 2007. Il est évident pour la Cour que malgré le libellé des contestations du travailleur, celles-ci couvraient, sur le fond, tous les aspects des décisions des 4 et 5 décembre 2008.
[77] La juge Ouellet estime que les objectifs de la loi commandent d’aller au-delà des technicalités et rappelle que la Commission des lésions professionnelles avait également le pouvoir de prolonger le droit ou de relever le travailleur des conséquences de son défaut d’avoir déposé sa contestation dans les délais prévus par la loi.
[78] Dans l’affaire Tremblay et Medias Transcontinental (Publi-Sac)[13], la Commission des lésions professionnelles est saisie d’une requête en révision. La CSST rend une décision le 27 février 2012 par laquelle elle déclare que le formulaire d’assignation temporaire émis le 15 août 2011 est valide. Le 28 février 2012, la CSST rend une autre décision par laquelle elle avise le travailleur qu’elle suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu au motif qu’il refuse d’exécuter le travail que son employeur lui assigne temporairement. Le 2 mars 2012, le travailleur écrit à la CSST qu’il demande la révision de la décision du 27 février 2012 concernant la suspension de son indemnité. La CSST, à la suite d’une révision administrative, déclare qu’elle confirme sa décision du 28 février 2012 et qu’elle est bien fondée de suspendre l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 27 février 2012.
[79] Le travailleur conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles. La commissaire estime qu’elle a le pouvoir de disposer autant de la décision du 28 février 2012 qui suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu que de la décision du 27 février 2012 qui valide le formulaire d’assignation temporaire signé le 15 août 2011. Au stade du recours en révision, la Commission des lésions professionnelles décide :
[39] Dans les circonstances, le présent tribunal estime que la première juge administrative ne commet pas d’erreur lorsqu’elle écrit au paragraphe 18 de sa décision que :
[18] En somme, avant de décider si la CSST avait raison ou non de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur à partir du 27 février 2012 parce qu’il ne se présentait pas à son assignation temporaire, la Commission des lésions professionnelles doit disposer de la décision du 27 février 2012 qui traite de la validité de l’assignation temporaire signée le 15 août 2011 par le docteur Charbonneau. La révision administrative ayant épuisé sa compétence, il serait contraire à la bonne administration de la justice d’ajouter des délais au présent débat.
[40] En effet, la première juge administrative a usé de son pouvoir de novo pour rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu et elle avait en main toutes les informations lui permettant de statuer sur la régularité du formulaire d’assignation temporaire signé six mois avant sa mise en œuvre.
[41] Il aurait été inapproprié de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle se prononce sur la régularité du formulaire d’assignation temporaire dans les circonstances et « une telle façon de procéder irait certes à l’encontre d’une saine administration de la justice administrative, laquelle est caractérisée par des principes fondamentaux de qualité, de célérité et d’accessibilité ».
[Notes omises]
[80] À la lumière de ces décisions, le tribunal siégeant en révision est d’avis qu’en l’espèce le premier commissaire n’a pas commis d’erreur manifeste et déterminante en retenant que la contestation de la travailleuse visait tant la décision du 15 juin que celle du 26 juin 2012.
[81] Dans le cas particulier sous étude, il n’apparaît pas déraisonnable de conclure, à partir des éléments de preuve disponibles, que l’intention de la travailleuse était de contester la décision de la CSST de cesser le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012.
[82] En contestant la décision du 26 juin 2012, la travailleuse conteste le fait que la CSST lui réclame plus de 4000 $ parce qu’elle n’avait pas droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012. D’ailleurs, la décision du 26 juin 2012 fait référence à la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu par la décision du 15 juin 2012. Les décisions des 15 et 26 juin 2012 portent sur des sujets interreliés.
[83] L’intention de la travailleuse apparaît des notes évolutives du dossier. C’est sur la foi d’éléments que l’on retrouve au dossier que les parties ont reconnu que sa demande de révision visait tant son droit à l’indemnité de remplacement du revenu que la réclamation d’un trop-perçu.
[84] L’admission de faits par les parties consignée au paragraphe 10 de l’accord n’est pas dénuée de fondement, au contraire. Cette admission n’est pas fondée sur des faits manifestement faux ou inexacts.
[85] Au surplus, dans le cadre de l’entérinement d’un accord, le commissaire n’a pas à analyser la preuve comme il le fait lors d’une audience[14].
[86] En l’espèce, l’admission des parties voulant que la travailleuse ait contesté le 28 juin 2012 tant le droit à l’indemnité de remplacement du revenu que la réclamation par la CSST du trop-perçu, constitue une preuve à cet effet.
[87] Dans ce contexte, la Commission des lésions professionnelles pouvait donc se saisir de la question du droit de la travailleuse à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 1er avril 2012.
[88] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles disposait de tous les éléments lui permettant de statuer sur cette question. En effet, selon le dossier, la travailleuse a été en mesure de s’inscrire au Tableau de l’Ordre des infirmières et d’obtenir une licence pratiquement sur demande et, de plus, elle n’a pas été réaffectée à un autre travail avant son accouchement.
[89] Il n’aurait donc pas été approprié de retourner le dossier à la CSST pour qu’elle tranche la question du droit à l’indemnité de remplacement du revenu en révision administrative. Cette façon de faire irait à l'encontre d'une saine administration de la justice, laquelle est caractérisée par les principes fondamentaux de qualité, de célérité et d'accessibilité de la justice.
[90] Le premier motif soulevé par la CSST n’est donc pas retenu.
[91] Le deuxième motif soulevé par la CSST est que le premier commissaire a omis d’appliquer une disposition de la loi. La travailleuse reconnaît que la décision du 22 février 2013 comporte une telle erreur de droit, laquelle constitue un vice de fond.
[92] En effet, en déclarant que la travailleuse peut recevoir l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à son accouchement, la Commission des lésions professionnelles omet d’appliquer l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail qui prévoit que l’indemnité de remplacement du revenu est versée jusqu’à quatre semaines avant l’accouchement, soit jusqu’au 18 août 2012, cette date n’étant pas contestée par les parties.
[93] L’accord et la décision du 22 février 2013 qui l’entérine comportent donc une erreur de droit, ce qui constitue un vice de fond de nature à invalider la décision.
[94] La décision du 22 février 2013 doit donc être révoquée.
[95] En l’espèce, le tribunal siégeant en révision estime qu’il ne peut réviser la décision et rendre celle qui aurait dû être rendue.
[96] En effet, la révision de la décision, pour tenir compte de l’article 42.1 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail implique la modification de l’accord auquel les parties ont donné leur consentement puisqu’au paragraphe 12 de cet accord, les parties reconnaissent qu’à partir du 15 mars 2012 et jusqu’à son accouchement, la travailleuse répondait à tous les critères d’admissibilité au programme, et qu’ainsi rien ne pouvait amener l’arrêt du droit au versement de l’indemnité de remplacement du revenu dans le cadre du programme Pour une maternité sans danger.
[97] En révisant la décision du 22 février 2013, le tribunal siégeant en révision se trouverait à entériner un accord modifié, lequel n’a pas été présenté ni signé par les parties, de sorte qu’elles n’ont pas pu consentir à cette nouvelle version. Le consentement à l’accord est essentiel pour qu’il soit jugé conforme à la loi.
[98] En conséquence, il y a lieu de révoquer la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 22 février 2013.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête en révocation de la Commission de la santé et de la sécurité du travail;
RÉVOQUE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 22 février 2013;
CONVOQUERA à nouveau les parties pour qu’elles soient entendues sur le fond du litige.
|
|
|
Diane Lajoie |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Hélène Côté |
|
F.I.Q. |
|
Représentante de la partie requérante |
|
|
|
|
|
Me Marie-Claude Jutras |
|
VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON |
|
Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. S-2.1.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733.
[4] Franchellini et Sousa [1998] C.L.P. 783.
[5] Tribunal administratif du Québec c. Godin [2003] R.J.Q. 2490 (C.A.); Amar c. CSST [2003] C.L.P. 606 (C.A.); CSST c. Fontaine [2005] C.L.P. 626 (C.A.).
[6] Champagne et Ville de Montréal, 236011-63-0406, 23 février 2006, S. Di Pasquale; Techno-Pro inc. (fermé) et A.C.Q. Mutuelle 3-R [2010] C.L.P. 587.
[7] Tribunal administratif du Québec c. Godin , citée note 5.
[8] Bourassa c. CLP [2003] C.L.P. 601 (C.A.) requête pour autorisation de pourvoi à la Cour suprême rejetée, 22 janvier 2004 (30009); CSST c. Fontaine, citée note 5.
[9] [2005] C.L.P. 921 (C.A.).
[10] Louis-Seize et CLSC-CHSLD de la Petite-Nation, 214190-07-0308, 20 octobre 2005, L. Nadeau (05LP-220).
[11] Services Matrec inc. et Ringuette, [2005] C.L.P. 1692 (décision accueillant la requête en révision).
[12] C.S. Québec 200-17-011649-092, 15 janvier 2010, j. S. Ouellet.
[13] 2013 QCCLP 3882.
[14] Goulet et Fabrique Saint-Romuald [2006] CLP 906 (décision sur requête en révision).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.