Lachambre et Hôtel Classique |
2013 QCCLP 3223 |
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[1] Le 14 août 2012, monsieur Éric Lachambre (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 25 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme en partie celle qu’elle a initialement rendue le 29 mai 2012 et déclare que le travailleur est redevenu capable d’exercer son emploi le 28 mai 2012, après l’expiration du délai pour l’exercice de son droit de retour au travail. Ainsi, il conserve son droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour une période maximum d’un an, soit jusqu’au 28 mai 2013.
[3] Une audience est tenue à Lévis le 25 mars 2013, en présence du travailleur et de la procureure de la CSST. Bien que dûment convoqué, Hôtel Classique (l’employeur) est absent. Le dossier est mis en délibéré le même jour.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande de reconnaitre qu’il n’a pas la capacité de retourner à son travail pré-lésionnel, puisque sa lésion professionnelle n’est pas consolidée et qu’elle nécessite toujours des soins.
LES FAITS
[5] Le 13 mai 2009, le travailleur subit une lésion professionnelle alors qu’il se frappe le coude sur le coin d’une porte. Il consulte le jour même et un diagnostic de contusion à l’olécrâne est posé.
[6] Le 3 juin 2009, le diagnostic de contusion au coude droit est toujours retenu. Il y a présence de symptômes neurologiques intermittents au niveau de la main droite. Une investigation est demandée.
[7] Le 15 juin 2009, une tomodensitométrie du coude droit montre une petite excroissance osseuse millimétrique mesurant tout au plus 5 millimètres. Le radiologiste indique que cette formation « présente des rebords bien cortiqués laissant suspecter qu’il s’agisse d’un défaut de fusion d’un centre d’ossification plutôt que d’une souris intra-articulaire. L’existence d’une telle entité est démontrée au sein de l’atlas Keats des variantes anatomiques de la normale. ».
[8] Le 22 juin 2009, le médecin fait état d’une douleur au coude droit avec des paresthésies au pouce. Il prescrit un examen par résonance magnétique.
[9] Le 9 juillet 2009, l’examen par résonance magnétique démontre l’absence de fracture, de lésion osseuse, d’œdème et d’épanchement articulaire. Il démontre également :
Il avait été mis en évidence une petite excroissance osseuse rappelant un ostéophyte se projetant non loin de la gouttière du nerf cubital qui s’avère aujourd’hui un peu trop latérale pour entrer en contact avec ce dernier.
On avait aussi décrit un petit centre d’ossification accessoire non fusionné adjacent à l’épitrochlée, que nous revoyons, qui se projette en effet très près du nerf cubital. Ce petit centre d’ossification secondaire atteinte 6 mm de diamètre. Par contre, le signal du nerf cubital est normal ainsi que son calibre, et ce, dans toutes les pondérations. Il n’y a pas, non plus, d’œdème osseux en regard de ce centre d’ossification accessoire.
[10] Le 5 novembre 2009, le médecin fait état d’engourdissements diffus à l’avant-bras droit. Il prescrit un électromyogramme.
[11] Le 9 février 2010, le travailleur est examiné par le docteur Serge Desbiens, neurologue, qui procède à un électromyogramme. Son examen est dans les limites de la normale.
[12] Le 8 avril 2010, le médecin suspecte une souris articulaire. Il réfère le travailleur au docteur Pierre du Tremblay, orthopédiste.
[13] Le 12 juillet 2010, le docteur du Tremblay examine le travailleur. Il suspecte une souris ou une exostose au niveau de la gouttière olécranienne et suggère une exploration du coude.
[14] Le 25 mars 2011, le travailleur est opéré pour une décompression du nerf ulnaire au niveau du coude droit.
[15] Le 6 septembre 2011, le docteur du Tremblay indique à son rapport médical que la neurolyse a été efficace, mais qu’il demeure un déclic intra-articulaire au coude droit. À cet effet, il demande un nouvel examen par résonance magnétique.
[16] Le 13 septembre 2011, la CSST rend une décision reconnaissant le nouveau diagnostic de neuropathie cubitale post-contusion en relation avec la lésion professionnelle.
[17] Le 19 septembre 2011, un examen par résonance magnétique montre :
[…] une petite image compatible avec un centre d’ossification accessoire situé postérieurement à l’épitrochlée près du nerf cubital mais sans contact direct avec ce dernier. On revoit une petite excroissance osseuse située supérieurement près du centre d’ossification secondaire, sans contact avec le nerf ulnaire. Le tout est inchangé depuis les études de 2009.
[18] Le 1er novembre 2011, le docteur du Tremblay note que l’examen par résonance magnétique est normal, mais que le travailleur demeure avec des paresthésies. Il demande un électromyogramme.
[19] Le 14 décembre 2011, le travailleur est examiné par le docteur Ziad Nasreddine, neurologue. À la suite de son examen clinique et des résultats de l’électromyogramme, il conclut à une étude neurophysiologique normale.
[20] Le 10 janvier 2012, le docteur du Tremblay indique l’absence de dysfonction, que l’électromyogramme est normal et qu’il n’y a pas de clinique. Dans sa note de consultation, le docteur du Tremblay indique qu’il demande une évaluation par un autre médecin, ce que confirme d’ailleurs le travailleur à l’agente de la CSST lors d’une conversation téléphonique.
[21] C’est dans ce contexte que le travailleur est examiné par le docteur Jean-François Bégin, chirurgien orthopédiste, le 15 février 2012 à la demande de la CSST. À son examen objectif, il constate une petite proéminence au niveau de la pointe olécrânienne droite. Plus loin, il décrit son examen comme suit :
À la palpation, le patient décrit une douleur à la pointe olécrânienne et dans la gouttière paracubitale externe. Il y a une sensibilité également au pourtour de la tête radiale. Du côté interne, il ne ressent pas de douleurs ni à la gouttière para-olécrânienne interne ni à l’épitrochlée. Il décrit une perte de sensibilité que j’ai de la difficulté à mettre en évidence de façon reproductible dans le territoire C7.
L’examen en soit s’avère plutôt suboptimal compte tenu de la logorrhée du patient et de son discours constant tout au cours de l’examen. Il me décrit des symptômes en cours d’examen qu’il n’avait pas préalablement décrits lors du questionnaire. Les localisations sont assez variées et migratoires à nouveau selon les allégations du patient tout au cours de l’examen.
[22] Dans ses conclusions, le docteur Bégin retient comme diagnostic celui de contusion au coude droit. Il ajoute que l’ossicule identifié à l’examen par résonance magnétique ne peut, selon lui, avoir été causé par le traumatisme. Il consolide la lésion à la date de son examen, soit le 15 février 2012, sans atteinte permanente ni limitation fonctionnelle.
[23]
Le 19 mars 2012, la CSST achemine une copie de l’expertise médicale et
un rapport complémentaire au docteur du Tremblay lui demandant de fournir son
avis, conformément à l’article
[24] En l’absence de réponse du docteur du Tremblay, le dossier est acheminé au Bureau d’évaluation médicale. Toutefois, le 6 mai 2012, le docteur du Tremblay écrit à la CSST. Dans sa lettre, il indique qu’à la suite de la lecture de l’expertise médicale du docteur Bégin et à la révision de son propre dossier, il est d’accord avec les conclusions du docteur Bégin. La CSST annule la convocation au Bureau d’évaluation médicale puisqu’il n’y a plus de divergence.
[25] Le 29 mai 2012, la CSST rend une première décision où elle indique que le travailleur est capable d’exercer son emploi depuis le 28 mai 2012. Elle indique également que son droit de retour au travail est expiré depuis le 13 mai 2011. Elle demande au travailleur de lui indiquer si l’employeur veut le reprendre et de l’aviser pour vérifier la possibilité de prolonger son indemnité de remplacement du revenu.
[26] Dans une autre décision, la CSST donne le droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 28 mai 2013, vu l’expiration du droit de retour au travail.
[27] Le travailleur témoigne à l’audience. Il explique qu’à la suite de sa chirurgie, il est demeuré symptomatique au niveau de son coude. Il a encore deux doigts qui sont continuellement engourdis et qui n’ont pas de force. Il n’est pas non plus en mesure de déplier complètement son bras. Il indique ne plus être en mesure de faire plusieurs activités. Il ajoute qu’il a même essayé de retourner au travail et qu’il n’a été en mesure de travailler que quelques heures. Il trouve sa situation très difficile et cela l’affecte beaucoup. Il ajoute que le docteur du Tremblay lui avait dit qu’il enlèverait les « graines » au niveau de son coude, mais qu’il l’a seulement opéré au niveau du nerf. Il demande qu’on s’occupe de lui et qu’on puisse l’opérer afin que ses symptômes disparaissent.
L’AVIS DES MEMBRES
[28] La membre issue des associations d’employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête du travailleur. En effet, celui-ci n’a offert aucune preuve permettant de conclure que sa lésion n’est pas consolidée ou qu’il est incapable de reprendre son emploi pré-lésionnel.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[29] Le tribunal doit déterminer si le travailleur avait la capacité de reprendre son emploi pré-lésionnel le 28 mai 2012 et s’il avait droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an, soit jusqu’au 28 mai 2013 étant donné l’expiration de son droit de retour au travail.
[30]
Tout d’abord, le tribunal constate que c’est le docteur du Tremblay, médecin
qui a charge du travailleur, qui a demandé à ce que ce dernier soit examiné par
un autre médecin. C’est pour cette raison que la CSST a désigné à un médecin pour évaluer le travailleur, tel que le prévoit l’article
204. La Commission peut exiger d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle qu'il se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'elle désigne, pour obtenir un rapport écrit de celui-ci sur toute question relative à la lésion. Le travailleur doit se soumettre à cet examen.
La Commission assume le coût de cet examen et les dépenses qu'engage le travailleur pour s'y rendre selon les normes et les montants qu'elle détermine en vertu de l'article 115 .
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1985, c. 6, a. 204; 1992, c. 11, a. 13.
[31]
De plus, conformément aux dispositions de l’article
215. L'employeur et la Commission transmettent, sur réception, au travailleur et au médecin qui en a charge, copies des rapports qu'ils obtiennent en vertu de la présente section.
La Commission transmet sans délai au professionnel de la santé désigné par l'employeur copies des rapports médicaux qu'elle obtient en vertu de la présente section et qui concernent le travailleur de cet employeur.
__________
1985, c. 6, a. 215; 1992, c. 11, a. 17.
[32]
Ensuite, tel que le prévoit l’article
205.1. Si le rapport du professionnel de la santé désigné aux fins de l'application de l'article 204 infirme les conclusions du médecin qui a charge du travailleur quant à l'un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212, ce dernier peut, dans les 30 jours de la date de la réception de ce rapport, fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport complémentaire en vue d'étayer ses conclusions et, le cas échéant, y joindre un rapport de consultation motivé. Le médecin qui a charge du travailleur informe celui-ci, sans délai, du contenu de son rapport.
La Commission peut soumettre ces rapports, incluant, le cas échéant, le rapport complémentaire au Bureau d'évaluation médicale prévu à l'article 216 .
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1997, c. 27, a. 3.
[33] Cependant, avant que le rendez-vous n’ait lieu avec le membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST a reçu une lettre du docteur Du Tremblay indiquant qu’il était d’accord avec les conclusions de docteur Bégin. La CSST a donc annulé le rendez-vous avec le membre du Bureau d’évaluation médicale. Le travailleur prétend que la CSST n’aurait pas dû annuler le rendez-vous, puisque le rapport complémentaire a été envoyé après l’expiration du délai de 30 jours, celui-ci n’était pas valide.
[34]
Le tribunal ne peut retenir cette prétention. En effet, plusieurs
décisions du tribunal ont déjà conclu que le délai de 30 jours prévu à l’article
[40] Le tribunal est d’avis, tel que l’enseigne une
abondante jurisprudence, que le membre du Bureau d’évaluation médicale ne peut
pas se prononcer sur l’un des sujets énoncés à l’article
[41] Dans l’affaire Favre et Témabex inc.3, le juge administratif Prégent confirme la nécessité d’une contradiction entre l’avis du médecin désigné et celui du médecin qui a charge pour pouvoir transmettre le dossier au Bureau d’évaluation médicale :
[37] Dans deux décisions récentes3, la Commission des lésions professionnelles commente l’ensemble des dispositions relatives à la procédure d’évaluation médicale. Elle retient particulièrement que le rôle du Bureau d’évaluation médicale est de régler un conflit entre deux conclusions médicales contradictoires. Son pouvoir est d’infirmer ou de confirmer des conclusions d’ordre médical, ce qui implique l’existence d’une différence ou d’une contradiction entre deux opinions de nature médicale. De l’avis de la Commission des lésions professionnelles, cette interprétation du rôle du Bureau d’évaluation médicale respecte aussi le principe de la primauté de l’avis du médecin qui a charge du travailleur.
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3 Gaston Blanchette et Pétroles J. C. Trudel inc., CLP,
[42] Par ailleurs, la jurisprudence a mentionné à plusieurs
reprises que ce n’est pas parce que le membre du Bureau d’évaluation médicale
peut émettre son avis sur un sujet sur lequel le médecin traitant ou le médecin
désigné ne s’est pas prononcé, conformément à l’article
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2 Les
Aliments Vermont inc. et Guillemette,
C.L.P.
3 C.L.P.
4 Cie Britton Electrique ltée et Baptiste,
C.L.P.
[35] Par ailleurs, le travailleur n’a présenté aucune preuve médicale prépondérante permettant au tribunal de retenir ses prétentions. Malgré la persistance d’une symptomatologie décrite par le travailleur à l’audience, son seul témoignage n’est pas suffisant pour démontrer que sa lésion n’est pas consolidée et qu’il n’est ainsi pas capable de reprendre son emploi.
[36] Puisque le rapport complémentaire est régulier, l’avis du médecin qui a charge qui y est énoncé lie le tribunal. Il a été reconnu à plusieurs reprises[3] que le travailleur ne peut contester les conclusions du médecin qui l’a pris en charge.
[37] En l’absence de séquelle permanente, la CSST était justifiée de rendre une décision selon laquelle le travailleur était apte à exercer son emploi pré-lésionnel et de lui accorder le droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an, soit jusqu’au 28 mai 2013, étant donné l’expiration de son droit de retour au travail.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Éric Lachambre, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 juillet 2012, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le travailleur est apte à exercer son emploi depuis du 28 mai 2012;
DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu pour une période maximale d’un an, soit jusqu’au 28 mai 2013, étant donné l’expiration de son droit de retour au travail.
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Marie-Claude Lavoie |
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Madame Natalie Beaudoin |
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DEMERS, BEAULNE ET ASSOCIÉS |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Odile Tessier |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, BERGERON |
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Représentante de la partie intervenante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] C.L.P.
[3] Voir notamment : Lepage c. CSST,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.