Groupe CRH Canada inc. (Demix Construction) c. Montréal (Ville de)

2016 QCCS 1183

 

JG 2270

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

 MONTRÉAL

 

 

N° :

500-17-093117-169

 

 

DATE :

Le 21 mars 2016

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

______________________________________________________________________

 

GROUPE CRH CANADA INC. (FARS DEMIX CONSTRUCTION)

Demanderesse

c.

VILLE DE MONTRÉAL

Défenderesse

et

LES ENTREPRISES MICHAUDVILLE INC.

Mise en cause

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

1.         MISE EN CONTEXTE

[1]           Le Tribunal est saisi d’une «Demande introductive d’instance en injonction interlocutoire provisoire, en injonction interlocutoire et en injonction permanente» (la «Demande»), présentée par Groupe CRH Canada inc. (FARS Demix Construction) («Demix»)[1] aux termes des articles 509 et ss. du Code de procédure civile.

[2]           Essentiellement, Demix demande au Tribunal d’ordonner à la Ville de Montréal (la «Ville») de surseoir, provisoirement, à la prise de décision d’attribuer un contrat à Les Entreprises Michaudville inc. («Michaudville»), prévue lors de la réunion du conseil municipal de la Ville convoquée pour lundi le 21 mars 2016 à 13h00 (la «Réunion du C.M.»).

[3]           La Demande de Demix est appuyée de la déclaration sous serment de Carl Hudon, directeur général chez Demix Construction, une division du Groupe CRH Canada inc., et datée du 17 mars 2016.

[4]           La Ville a répliqué à la Demande par le dépôt de l’affirmation solennelle d’Yvan Péloquin, chef de division au Service des infrastructures, de la voirie et des transports de la Ville, et datée du 18 mars 2016.

[5]           Le Tribunal a aussi entendu le même jour, soit vendredi le 18 mars 2016, une demande de même nature de Construction Bau-Val inc. («Bau-Val»), dans le dossier 500-17-093140-161 (le «Dossier Bau-Val»), et il y référera à l’occasion.

[6]           Afin d’avoir le portrait global de la situation, les Jugements dans la présente affaire et dans le Dossier Bau-Val doivent être lus en parallèle.

2.         PRINCIPAUX FAITS ET CERTAINES CONSTATATIONS DU TRIBUNAL

[7]            Le 16 décembre 2015, la Ville lance l’appel d’offres public no 293601, modifié par l’Addenda no 1 du 22 janvier 2016 et l’Addenda no 2 du 27 janvier 2016 (l’«Appel d’offres»)[2], demandant des soumissions pour le 3 février 2016, aux fins d’effectuer des :

 «Travaux de reconstruction des conduites d’égout, d’eau potable, des toits de chambre de vannes, de réhabilitation de regard d’égout, de bases et conduits, d’éclairage, de feux de circulation, de réaménagement géométrique, de bordures en granite, de trottoirs, de trottoirs armés et de la chaussée dans l’avenue Papineau [de la rue Jacques-Casault à l’avenue Charland]. Arrondissements : Ahuntsic-Cartierville et Villeray-Saint-Michel.»[3] (le «Projet Papineau»)

[8]           L’article 15 des «Clauses administratives particulières» de l’Appel d’offres (l’«Article 15») est au cœur du litige opposant Demix à la Ville. Il prévoit ce qui suit :

«Le soumissionnaire doit avoir exécuté au cours de [sic] cinq (5) dernières années, un minimum de deux (2) contrats de même nature et d’une valeur de 10 000 000 $ et plus, en coût des travaux. Pour chaque contrat exécuté, il doit indiquer l’année de réalisation, la description de la nature des travaux, le nom de la rue et de la municipalité, la valeur du contrat, le nom de l’ingénieur responsable de la surveillance des travaux et ses coordonnées. Un contrat de même nature est défini comme étant un projet de construction ou de reconstruction d’égout, d’aqueduc et de voirie dans un milieu urbain et sur une artère fortement achalandée. [l’«Expérience»]

Le soumissionnaire doit joindre à sa soumission une lettre incluant l’information décrite dans le paragraphe précédent et cocher la case prévu [sic] à cet effet dans la «Liste de rappel» [la «Liste de rappel») de la formule de soumission. Le défaut de joindre cette information à sa soumission entraînera automatiquement le rejet de celle-ci

(le Tribunal souligne)

[9]           Il est évident qu’il n’est pas nécessaire que ces contrats impliquent la Ville, d’autant plus que le soumissionnaire doit préciser le nom de la municipalité impliquée.

[10]        Essentiellement, la Ville cherche à vérifier le niveau d’expérience du soumissionnaire dans des contrats d’envergure reliés à la construction ou reconstruction d’égout, d’aqueduc et de voirie, et ce, dans un milieu urbain et sur une artère fortement achalandée.

[11]        Aussi, l’article 6.2 des «Instructions au soumissionnaire» de l’Appel d’offres (l’«Article 6») prévoit la flexibilité et la discrétion nécessaires à la Ville aux fins d’obtenir des informations additionnelles d’un soumissionnaire :

«6.2      S’il est de l’intérêt de la Ville, elle peut passer outre à tout vice ou défaut que peut contenir la soumission et permettre, à sa discrétion, à tout soumissionnaire de corriger sa soumission dans la mesure où cette correction n’affecte pas le prix de sa soumission, sous réserve de ce qui est indiqué à l’article 4.4 de la présente section [lequel traite des «Prix, quantités, correction, reconstitution d’un prix unitaire et recours]».

[12]        Parallèlement, les articles 5.1.2 et 7.1 des «Instructions au soumissionnaire» de l’Appel d’offres (les «Articles 5.1.2 et 7.1») donnent aussi à la Ville une certaine marge de manœuvre pour obtenir les informations nécessaires à la bonne évaluation d’une soumission:

«5.1.2   […] Le Directeur peut, après l’ouverture des soumissions, requérir du soumissionnaire tout document lui permettant de vérifier l’identité de ce dernier ainsi que toute information supplémentaire lui permettant d’évaluer ladite information. Le défaut du soumissionnaire de lui transmettre les documents et informations demandés dans les cinq (5) jours suivants une telle demande peut entraîner le rejet de la soumission. […]»

«7.1      Le soumissionnaire doit fournir, à la demande du Directeur, les renseignements et documents supplémentaires concernant sa soumission.»

[13]        Par ailleurs, l’article 573.7 de la Loi sur les cités et villes[4] L.c.v.») prévoit ce qui suit :

«Sous réserve des articles 573.1.0.1 et 573.1.0.1.1, le conseil ne peut, sans l’autorisation préalable du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire, accorder le contrat à une personne autre que celle qui a fait, dans le délai fixé, la soumission la plus basse.»

[14]        Le 3 février 2016, en réponse à l’Appel d’offres, Demix dépose une soumission pour le Projet Papineau, proposant un prix total, avant taxes, de 16 225 000 $ (la «Soumission Demix»)[5], incluant la Liste de rappel[6].

[15]        Dans la Soumission Demix, il est référé, au chapitre des informations reliées à l’Expérience de Demix, aux deux contrats suivants avec la Ville :

Ville de Montréal

$ 13 167 373

Projet : 282901 : Réalisation 2015

Travaux de voirie, d’éclairage et de feux de circulation sur la rue Hickmore, de la 23e Avenue, à la Montée de Liesse, de la rue Hickmore aux bretelles situées au nord de l’A-520. (le «Projet Hickmore»)

Ville de Montréal

$   9 877 160

Projet : 228004 : Réalisation 2014-2015

Réaménagement des infrastructures routières rues Viau et Saint-Clément entre les rues Notre-Dame et Pierre-de-Coubertin. Travaux d’apaisement de la circulation pour le quartier vert Hochelaga-Maisonneuve, Phase 1. (le «Projet Viau-Saint-Clément»)

[16]        Toujours le 3 février 2016, tel que prévu dans l’Appel d’offres, l’ouverture des soumissions a lieu, et le résultat[7] est comme suit :

Rang

Entrepreneur

Montant soumissionné

Écart (%)

1

Demix Construction

16 224 999 $

 

2

Pavage  Bauval inc.

16 829 213 $

(3.72 %)

3

Allia Infrastructures

17 368 127 $

(7.05 %)

4

Ent. Michaudville

17 847 358 $

(10.00 %)

5

Groupe TNT

17 975 031 $

(10.79 %)

 

Moyenne

17 248 946 $

(6.31%)

[17]        Le 11 mars 2016, la Ville avise par courriel Demix que la Soumission Demix n’est pas retenue au motif d’une non-conformité avec l’Article 15, soit que «Le soumissionnaire doit avoir exécuté au cours de [sic] cinq (5) dernières années, un minimum de deux (2) contrats de même nature et d’une valeur de 10 000 000 $ et plus, en coût des travaux»[8].

[18]        Aussi, étant donné que les soumissions de Pavage Bauval inc. et Allia Infrastructures mentionnées au paragraphe [16] ci-haut ne seraient pas conformes à l’Appel d’offres, la Ville s’apprêterait alors à retenir la 4ième soumission reçue, soit celle de Michaudville pour un montant de 17 847 358 $ (la «Soumission Michaudville»), c’est-à-dire un prix de 10% de plus que le prix proposé dans la Soumission Demix.

[19]        Ce n’est que le 15 mars 2016 que Demix apprend que la Ville entend effectivement procéder ainsi[9], et il est prévu que l’attribution à Michaudville du contrat relié au Projet Papineau (le «Contrat») sera effectivement soumise pour décision lors de la Réunion du C.M. du lundi le 21 mars 2016, à 13h00.

[20]        Demix s’empresse alors, dès le 16 mars 2016, de faire parvenir à la Ville une lettre de mise en demeure[10], suivie, le 17 mars 2016, de la signification de la Demande à la Ville, avec avis de présentation au Tribunal pour le 18 mars 2016, à 9h00.

[21]        Par ailleurs, il semble qu’il n’y ait pas d’urgence à ce que le Contrat soit immédiatement mis à exécution, vu que l’Appel d’offres[11] prévoit une durée maximale des travaux reliés au Projet Papineau de 44 semaines et qu’ils doivent être complétés au plus tard le 31 août 2017.

[22]        Aussi, quant aux détails fournis par Demix relativement à son Expérience, la Ville et Demix reconnaissent que seulement 20% à 25% du Projet Hickmore n’avait été réalisé en date du dépôt de la Soumission Demix, soit l’équivalent d’un montant approximatif de 2 500 000 $, et que le Projet Viau-Saint-Clément était alors complètement réalisé, impliquant, au mieux, un montant de 8 000 000 $, ce qui, dans chacun de ces deux projets, est en deçà du montant de 10 000 000 $ de l’Article 15.

[23]        Or, il semblerait que Demix a réalisé d’autres projets[12], de même nature et de plus grande envergure, auprès d’autres entités que la Ville, mais, tel que mentionné précédemment, Demix a limité la description de son Expérience à ces deux seuls projets/contrats avec la Ville, lesquels, au départ, étaient prévus pour des montants avoisinant ou excédant chacun 10 000 000 $.

[24]        Par ailleurs, tel qu’il appert du site Internet[13] de la Ville, Demix a aussi réalisé, au cours des dernières années, d’autres contrats pour la Ville, quoique chacun pour des montants inférieurs à 10 000 000 $.

[25]        L’expertise et l’expérience de Demix ne semblent donc pas inconnues de la Ville, Demix faisant partie du paysage économique de Montréal et du Québec depuis plusieurs décennies.

[26]        Il est probable que si Demix avait détaillé son Expérience en faisant aussi référence aux contrats[14] effectués auprès d’autres entités, alors la Soumission Demix aurait pu ne pas être considérée comme étant non-conforme à l’Article 15 et ainsi être retenue, vu qu’elle proposait le prix le plus bas.

3.         DÉBAT

[27]        Tout le débat consiste donc, essentiellement, à déterminer si le défaut de Demix de fournir, lors du dépôt de la Soumission Demix, toutes les informations reliées à son Expérience, même celles connues de la Ville, lui est fatal au sens de l’Article 15.

[28]        S’agit-il d’une irrégularité mineure pouvant être mise de côté ou régularisée à la seule discrétion de la Ville, ou s’agit-il d’une irrégularité majeure[15], tel que le prétend la Ville, et à laquelle la Ville ne peut passer outre sans, par le fait même, porter atteinte au principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires?

[29]        De plus, l’Article 15 prévoit, in fine, ce qui suit :

«Le défaut de joindre cette information à sa soumission entraînera automatiquement le rejet de celle-ci».

[30]        Il n’est pas contesté que la Liste de rappel et l’information reliée à l’Expérience furent fournies, le problème étant plutôt relié au fait que cette information était finalement incomplète.

[31]        Autrement dit, si effectivement Demix a l’Expérience requise, ce qu’elle prétend, est-ce que des informations pertinentes additionnelles pouvaient et peuvent être demandées par la Ville et fournies par Demix après le dépôt de la Soumission Demix, afin qu’elles puissent être considérées et évaluées dans l’analyse complète de la Soumission Demix?

[32]        Certes, aux termes de l’Article 6.2 et des Articles 5.1.2 et 7.1 la Ville a l’entière discrétion d’ainsi demander des informations additionnelles, mais peut-elle le faire à l’égard de l’Expérience mentionnée à l’Article 15, et ce, tant à la lumière du principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires, qu‘à la lumière du fait qu’elle gère des fonds publics et les fonds des contribuables montréalais ce qui, dans la présente situation, permettrait d’économiser plus de 1 622 359 $, si effectivement la Soumission Demix était retenue comparativement à la Soumission Michaudville?

[33]        Le Tribunal n’a pas à décider, à ce stade-ci, du mérite au fond de ces questions, l’objet de la Demande, au stade provisoire, étant, suivant les critères mentionnés ci-après, de préserver, pendant la durée de l’instance, le statu quo entre les parties et, pour ce faire, surseoir temporairement, soit jusqu’au 29 mars 2016 (date convenue entre les parties, le cas échéant), à la prise de décision de la Ville d’attribuer le Contrat à Michaudville, prévue pour cet après-midi, lors de la Réunion du C.M.

[34]        Demix ne demande donc pas, au stade provisoire, que le Contrat lui soit octroyé, mais uniquement que la Ville ne pose pas des gestes qui affecteraient ses droits durant l’instance.

4.         DROIT

[35]        Pour obtenir une ordonnance d’injonction provisoire, le Tribunal doit appliquer avec rigueur les critères suivants[16] :

a.            Le demandeur doit démontrer une urgence réelle et immédiate;

et

b.            Le demandeur doit démontrer une apparence de droit clair, ainsi qu’un préjudice sérieux ou irréparable, ou qu’il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace,

ou

c.             Le demandeur doit démontrer une apparence de droit possible, ainsi qu’un préjudice sérieux ou irréparable, ou qu’il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace, mais tout en prenant alors en considération aussi le préjudice pouvant être subi par le défendeur, et ce, en fonction de la prépondérance des inconvénients[17].

[36]        Par ailleurs, l’analyse du Tribunal, au stade provisoire, se limite aux allégations de la Demande et de la déclaration sous serment à son soutien, et des pièces qui l’accompagnent.

5.         DISCUSSION

5.1       Urgence

[37]        Le Tribunal est d’avis que le critère de l’urgence est rencontré du seul fait que la Ville décidera, lors de la Réunion du C.M. de cet après-midi, d’attribuer le Contrat à Michaudville.

[38]        Tel que mentionné précédemment, ce n’est que le 15 mars 2016 que Demix fut informée par la Ville de son intention de procéder ainsi.

[39]        Demix s’est alors empressée, dès le 16 mars 2016, de mettre en demeure la Ville et de rédiger sa Demande, signifiée à la Ville le 17 mars 2016, pour présentation au Tribunal le 18 mars 2016.

[40]        Il est définitivement approprié pour le Tribunal d’intervenir, du moins sur une base provisoire, avant qu’il soit décidé par la Ville d’attribuer le Contrat à Michaudville, d’autant plus, tel que mentionné précédemment, qu’il n’y a pas urgence à ce que le Contrat soit immédiatement mis à exécution.

[41]        Le défaut d’ainsi surseoir à une telle prise de décision par la Ville, complexifiera davantage le dossier, ou encore rendra le débat plutôt académique pour Demix, vu que le Contrat aura alors été attribué à Michaudville.

5.2       Apparence de droit

[42]        Le Tribunal est d’avis que Demix a une apparence de droit possible et la prépondérance des inconvénients penche en sa faveur.

[43]        Pour le Tribunal, un débat au fond s’impose afin de clarifier et bien établir les droits de la Ville et de Demix aux termes de l’Appel d’offres et de la Soumission Demix, et ce, dans le contexte où la Ville gère des fonds publics et les fonds des contribuables montréalais, tout en préservant le principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires.

[44]        Qui plus est, la disposition de l’Appel d’offres reliée à l’Expérience ne date que de la fin de 2015, et il s’avère donc plus qu’approprié de clarifier les règles du jeu afin de s’assurer qu’une telle disposition soit appliquée dans le meilleur intérêt de toutes les parties impliquées, y inclus les autres soumissionnaires, sans oublier, dans la mesure du possible, les contribuables montréalais.

[45]        La Ville insiste pour signaler que, jusqu’à date, ce libellé de l’Article 15 n’a soulevé aucune question de la part de soumissionnaires.

[46]        Or, la Demande de Demix et celle de Bau-Val dans le Dossier Bau-Val sont la preuve éloquente que tel n’est pas le cas, et elles permettent de mettre en évidence les conséquences fiscales désavantageuses pour les contribuables montréalais.

[47]        Tel que prévu à l’article 573.7 L.c.v., le principe directeur lors de l’analyse de soumissions est d’accepter la soumission la plus basse, dans la mesure, bien entendu, qu’elle soit conforme aux termes et conditions de l’appel d’offres.

[48]        Cette «conformité» signifie-t-elle «rigidité», sans aucune marge de manœuvre,  au point où le bon sens ne peut entrer en ligne de compte?

[49]        L’Article 6.2 n’est-il pas là pour donner la marge de manœuvre nécessaire, suivant les circonstances?

[50]        Les circonstances de la présente affaire ne militent-elles pas en ce sens, surtout à la lumière de l’expérience reconnue de Demix?

[51]        La Ville parle d’un «carcan juridique» imposé par l’Article 15 et à respecter strictement au motif du principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires.

[52]        Mais faut-il qu’un tel carcan devienne une «camisole de force», sans distinction aucune de ce qui est dans l’intérêt de la Ville et, directement ou indirectement, des contribuables montréalais qui fournissent à la Ville les fonds nécessaires pour effectuer des projets tel que le Projet Papineau.

[53]        L’Article 6.2 semble donner à la Ville la discrétion et la flexibilité nécessaires pour demander à un soumissionnaire de compléter, à certains égards, sa soumission.

[54]        Dans le cas présent, l’ajout d’expériences existantes[18] de Demix permettrait de compléter les informations reliées à l’Expérience de Demix, et ce, afin de considérer, à sa juste valeur, la Soumission Demix, laquelle propose le prix le plus bas pour le Projet Papineau.

[55]        D’ailleurs, tel qu’expliqué dans le Jugement de ce jour relié au Dossier Bau-Val, la Ville a communiqué avec Bau-Val, dans le cadre du projet de «travaux de reconstruction de conduite d’eau secondaire (là où requis), et raccordement des drains à l’égout unitaire dans la rue Saint-Paul entre la Place Jacques-Cartier et la rue Bonsecours (Phase 1-Lot 2A-Projet Saint-Paul)» (le «Projet Saint-Paul»), afin que Bau-Val remédie à son défaut de fournir les informations demandées au niveau de son Expérience.

[56]        Bau-Val a alors fourni les informations requises et elle fut le soumissionnaire retenu, et le contrat relié au Projet Saint-Paul lui fut octroyé.

[57]        Il semble donc que la Ville soit plutôt flexible et, d’une certaine façon, imprévisible dans son interprétation d’une irrégularité majeure et dans son application du principe d’égalité et équité entre les soumissionnaires.

[58]        Dans ces circonstances, le Tribunal est d’avis que Demix a démontré un droit possible à ce que les informations reliées à son Expérience soient complétées afin que la Soumission Demix soit évaluée à sa juste valeur, le cas échéant, et que la décision de la Ville, quant à l’attribution du Contrat, soit alors prise en pleine connaissance de cause.

[59]        Le Tribunal est donc d’avis qu’un débat au fond s’impose, afin de considérer tous les tenants et aboutissants d’une telle situation.

5.3       Préjudice sérieux ou irréparable

[60]        Il va de soi que si l’injonction provisoire n’est pas accordée et que le Ville décide d’attribuer le Contrat à Michaudville lors de la Réunion du C.M., alors il sera créé un état de fait ou de droit de nature à rendre le jugement au fond inefficace.

[61]        La Ville soumet que le préjudice de Demix, le cas échéant, pourra être compensé par l’octroi de dommages.

[62]        Le Tribunal est d’avis qu’un recours éventuel en dommages sera plus ardu vu qu’il impliquera un débat relié, après le fait, à l’exercice de la discrétion de la Ville aux termes de l’Article 6.2.

[63]        Aussi, tel que mentionné précédemment, la L.c.v, une loi d’intérêt public, prévoit à son article 573.7 que la soumission la plus basse doit être retenue, sauf avec l’autorisation préalable du ministre des Affaires municipales, des Régions et de l’Occupation du territoire.

[64]        Il ne peut être dit, à ce stade-ci, qu’il s’agit d’une violation d’une loi d’intérêt public[19], mais il est préférable que ce débat se fasse aussi maintenant, et que les règles du jeu soient claires dès à présent, et pour l’avenir.

[65]        Dans ces circonstances, il n’y a pas de doute pour le Tribunal que la prépondérance des inconvénients au niveau du préjudice sérieux ou irréparable penche en faveur de Demix.

6.         CONCLUSION

[66]        Le Tribunal accueillera donc, au stade provisoire, la Demande.

[67]        Par ailleurs, vu que la Réunion du C.M. pour décider de l’attribution du Contrat a lieu dans quelques heures, le Tribunal ordonnera l’exécution provisoire de ce jugement nonobstant appel.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[68]        ACCUEILLE au stade provisoire la Demande de Groupe CRH Canada inc. (FARS Demix Construction);

[69]        ÉMET une injonction interlocutoire provisoire pour valoir jusqu’au 29 mars 2016 à 17h00;

[70]        ORDONNE à la Ville de Montréal, suite à l’appel d’offres public no 293601, de surseoir à sa prise de décision d’attribuer le contrat relatif aux «Travaux de reconstruction des conduites d’égout, d’eau potable, des toits de chambre de vannes, de réhabilitation de regard d’égout, de bases et conduits, d’éclairage, de feux de circulation, de réaménagement géométrique, de bordures en granite, de trottoirs, de trottoirs armés et de la chaussée dans l’avenue Papineau [de la rue Jacques-Casault à l’avenue Charland]. Arrondissements : Ahuntsic-Cartierville et Villeray-Saint-Michel»;

[71]        DISPENSE Groupe CRH Canada inc. (FARS Demix Construction) de fournir caution;

[72]        ORDONNE l’exécution provisoire de ce Jugement nonobstant appel;

[73]        AUTORISE Groupe CRH Canada inc. (FARS Demix Construction) à faire signifier ce Jugement en dehors des heures légales de signification, même les jours non-juridiques, et par tout mode de signification, y inclus la transmission par télécopieur;

[74]        LE TOUT avec frais de justice à suivre.

 

 

__________________________________

LOUIS J. GOUIN, J.C.S.

 

Mes Suzie Lanthier et Alexandre Sami

Gowling WLG (Canada)

Procureurs de la Demanderesse

 

Me Éric Couture

Dagenais Gagnier Biron

Procureurs de la Défenderesse

 

Date d’audience :

18 mars 2016

 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièces P-3 et P-4; N.B. : l’Addenda no 2 n’a pas été déposé, la Pièce P-5 correspondant plutôt à la «Liste de rappel» mentionnée aux par. [8] et [14] de ce Jugement.

[3] Pièce P-3, p. vii, Descriptif.

[4] RLRQ, c. C-19.

[5] Pièce P-6.

[6] Pièce P-5.

[7] Pièce P-7.

[8] Pièce P-8.

[9] Pièce P-12.

[10] Pièce P-13.

[11] Pièce P-3, art. 2 des «Clauses administratives particulières».

[12] Pièce P-11.

[13] Pièce P-9.

[14] Pièce P-11.

[15] R.P.M. Tech inc. c. Gaspé (Ville de), 2004 CanLII 20541 (C.A.), par. [27], [32] et [34]; EBC inc. c. Matane (Ville de), 2014 QCCS 5067, par. [49] - [52]; Tapitec inc. c. Blainville (Ville de), 2015 QCCS 2380, par. [39] - [45].

[16] Société de développement de la Baie James c. Kanatewat, [1975] C.A. 169, p. 183 - 184; Grand Council of the Crees (Eeyou Istchee) c. Québec (Procureur général), 2009 QCCA 810, par. 27; Zaria c. Gignac, 2016 QCCS 85, par. [11] - [13].

[17] Manitoba (P. G.) c. Metropolitain Stores Ltd., (1987) 1 R.C.S. 110, p. 129.

[18] Pièces P-9 et P-11.

[19] Carrier c. Québec (Procureur général), 2011 QCCA 1231, par. [66] - [67]; Orthofab inc. c. Régie de l’assurance maladie du Québec, 2012 QCCS 1876, par. [76] - [77].

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.