Société de transport de Montréal |
2012 QCCLP 4486 |
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[1] Le 13 septembre 2011, la Société de transport de Montréal (l’employeur), dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 30 août 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 27 juin 2011 et déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par monsieur Zakaria Taleb (le travailleur) le 20 avril 2011 doit être imputée à l’employeur.
[3] L’employeur a renoncé à l’audience qui devait se tenir à Montréal le 19 avril 2012 et a transmis au tribunal, le 18 avril 2012, une argumentation écrite au soutien de ses présentions.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de lui accorder un transfert de l’imputation du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi par le travailleur, invoquant le deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) puisque l’accident est attribuable à un tiers.
LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[5] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit à un transfert de l’imputation suivant les dispositions du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.
[6] Cette disposition prévoit ce qui suit en matière d’imputation :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[7] Tel qu’il appert du libellé de l’article 326 de la loi, cette disposition prévoit la règle générale en matière d’imputation. Ainsi, et de façon générale, la CSST impute le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail à l’employeur chez qui œuvre le travailleur au moment de l’accident. Cette disposition prévoit également, à son deuxième alinéa, des exceptions à la règle générale qui permettent d’effectuer une imputation différente lorsque l’employeur doit supporter injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou que l’employeur est obéré injustement. Dans de tels cas, le coût des prestations pourra être imputé aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités.
[8] La Commission des lésions professionnelles retient, de l’ensemble de la preuve, les éléments suivants en vue de solutionner le présent litige.
[9] Il appert du dossier que le travailleur exerce les fonctions de chauffeur d’autobus pour l’employeur. Le 20 avril 2011, il est au volant de son autobus et est arrêté dans la voie de gauche à une intersection où il attend le feu de circulation pour effectuer un virage à gauche. Lorsque le feu de circulation devient vert, il amorce son virage vers la gauche et, alors qu’il ne l’a pas terminé, un véhicule arrive à vive allure dans la voie de gauche sur la rue perpendiculaire et percute l’essieu central gauche de l’autobus articulé. L’impact est important et la conductrice du véhicule décède.
[10] Il appert du rapport d’enquête consigné au dossier que la conductrice du véhicule qui a percuté l’autobus ne s’est pas arrêtée au feu de circulation qui était rouge. Il est spécifié dans le rapport d’accident complété chez l’employeur que l’automobiliste a percuté l’autobus sans freinage. Il est également indiqué que l’enquête des policiers verra à déterminer les causes qui ont amené la conductrice à ne pas s’arrêter au feu rouge.
[11] À la suite de cet événement, le travailleur présente une anxiété situationnelle qui est diagnostiquée par le médecin consulté le 20 avril 2011.
[12] Le 19 mai 2011, la CSST reconnaît que le travailleur a subi un accident du travail le 20 avril 2011 entraînant une anxiété situationnelle.
[13] L’employeur veut obtenir un transfert de l’imputation dans ce dossier, car l’accident survenu le 20 avril 2011 est attribuable à un tiers et dépasse le cadre normal, habituel et prévisible du travail de conducteur d’autobus. L’employeur soumet, dans son argumentation écrite, qu’il ne s’agit pas, en l’espèce, d’une collision usuelle puisque la conductrice de l’automobile a fait preuve d’insouciance, de négligence et de conduite dangereuse en omettant de s’arrêter à un feu de signalisation et de faire son arrêt obligatoire en vertu du Code de la sécurité routière[2]. L’employeur soumet qu’il était impossible pour l’employeur et pour le travailleur d’éviter cet accident puisque la conductrice n’a pas ralenti sa course et, par le fait même, l’impact a été d’une grande violence. Les circonstances de cet accident sont, de l’avis de l’employeur, inhabituelles.
[14] La CSST, dans sa décision initiale d’imputation rendue le 27 juin 2011, de même que dans sa décision rendue à la suite d’une révision administrative le 30 août 2011, reconnaît que l’automobiliste est un tiers au sens de la loi et que cette automobiliste a une responsabilité majoritaire dans la survenance de l’événement. La CSST retient que n’eût été l’accident causé par la conductrice du véhicule qui a percuté l’autobus, le travailleur n’aurait pas subi de lésion professionnelle.
[15] Toutefois, la CSST refuse d’accorder un transfert de l’imputation à l’employeur puisqu’elle conclut que l’employeur n’est pas obéré injustement au sens de l’article 326 de la loi. La CSST indique que la notion d’injustice s’apprécie en fonction des risques particuliers ou inhérents qui se rattachent à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. La CSST retient que le fait de conduire un véhicule sur la voie publique peut impliquer des risques d’accident de la route avec d’autres véhicules, ce qui est le cas dans le présent dossier.
[16] La Commission des lésions professionnelles partage l’opinion émise par la CSST dans sa décision du 30 août 2011 et conclut qu’il n’y a pas lieu de faire droit à la requête de l’employeur.
[17] La notion de l’accident attribuable à un tiers a fait l’objet d’une décision de principe par une formation de trois juges administratifs de la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[3]. Dans cette affaire, le tribunal a procédé à une revue exhaustive et une analyse approfondie de la jurisprudence sur le sujet.
[18] Il ressort de cette décision que, pour obtenir un transfert du coût des prestations d’un accident du travail au motif que cet accident est attribuable à un tiers, l’employeur doit démontrer les éléments suivants :
- l’existence de l’accident du travail;
- la présence d’un tiers;
- le fait que l’accident est attribuable à un tiers;
- le fait que l’imputation au dossier de l’employeur aurait pour effet de lui faire supporter injustement le coût des prestations dues en raison de cet accident.
[19] Concernant le dernier élément, la formation de trois juges administratifs dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[4], précise les différents facteurs qui peuvent être pris en considération dans la détermination du caractère injuste de l’imputation du coût des prestations :
[339] Il ressort de ce qui précède qu’en application de l’article 326 de la loi, plusieurs facteurs peuvent être considérés en vue de déterminer si l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers, soit :
- les risques inhérents à l’ensemble des activités de l’employeur, les premiers s’appréciant en regard du risque assuré alors que les secondes doivent être considérées, entre autres, à la lumière de la description de l’unité de classification à laquelle il appartient ;
- les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, comme par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, règlementaire ou de l’art;
- les probabilités qu’un semblable accident survienne, compte tenu du contexte particulier circonscrit par les tâches du travailleur et les conditions d’exercice de l’emploi.
[20] En l’espèce, il n’est pas remis en question qu’il y a existence d’un accident du travail survenu le 20 avril 2011, cela a été que reconnu par la CSST. De plus, la présence d’un tiers et le fait que l’accident est attribuable à ce tiers, a été reconnu par la CSST et n’est pas remis en question. D’ailleurs, les faits de la présente affaire démontrent que le tiers a joué un rôle déterminant dans les circonstances qui ont provoqué l’accident. Le travailleur n’a pas posé d’action particulière pouvant être à l’origine ou ayant pu contribuer à la survenance de sa lésion professionnelle.
[21] Par ailleurs, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur n’a pas réussi à démontrer, par une preuve prépondérante, qu’il est injuste de lui faire supporter le coût des prestations reliées à cet accident.
[22] En effet, bien que l’accident ait été reconnu comme étant attribuable à un tiers, il faut déterminer si ce genre d’événement fait partie des risques inhérents aux activités de l’employeur et, dans l’affirmative, déterminer s’il y a des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales permettant d’accorder à l’employeur un transfert de l’imputation.
[23] La Commission des lésions professionnelles retient que, lors de l’événement du 20 avril 2011, le travailleur exerçait l’emploi de chauffeur d’autobus. Le travailleur exerce ses fonctions dans le cadre des activités de l’employeur qui sont, entre autres, d’offrir des services de transport par autobus. Il s’agit d’une des activités principales de l’employeur. Or, les chauffeurs d’autobus circulent sur la voie publique régulièrement et sont donc exposés aux risques liés à cette activité, dont les accidents de la route.
[24] Bien que ces risque soient reliés de manière étroite et nécessaire aux activités de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles doit poursuivre son analyse pour déterminer si la lésion professionnelle est survenue dans des circonstances ayant un caractère extraordinaire, exceptionnel ou inusité ce qui serait alors injuste pour l’employeur et permettrait de lui accorder le transfert d’imputation demandé.
[25] L’employeur plaide qu’il s’agit d’une situation inhabituelle au cours de laquelle la conductrice de l’automobile a fait preuve d’insouciance, de négligence et de conduite dangereuse et a omis de s’arrêter à un feu de circulation, contrevenant au Code de la sécurité routière.
[26] Malgré les éléments soumis par la représentante de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles ne peut faire droit à sa requête.
[27] Dans un premier temps, la Commission des lésions professionnelles estime que les allégations de l’employeur au sujet du fait que la conductrice de l’automobile aurait fait preuve d’insouciance, de négligence et de conduite dangereuse n’ont pas été démontrées. Il est vrai que celle-ci ne s’est pas arrêtée à l’arrêt obligatoire, mais aucun élément du dossier ne permet de retenir que c’est de façon intentionnelle que la conductrice de l’automobile a provoqué l’accident. Il est mentionné, dans le rapport d’enquête, que les policiers détermineront la cause qui a amené l’automobiliste à ne pas s’arrêter au feu rouge. Toutefois, aucune suite n’apparaît à ce commentaire. La seule information au dossier est que l’automobiliste arrivait à vive allure.
[28] Également, la Commission des lésions professionnelles retient que même si l’automobiliste a contrevenu au Code de la sécurité routière, cet élément ne permet pas d’établir que l’automobiliste a eu une conduite dangereuse ou un comportement négligent. Aucune preuve d’infraction criminelle n’a été apportée dans ce dossier. La contravention au Code de la sécurité routière ne constitue pas nécessairement la preuve d’une circonstance extraordinaire, inusitée ou exceptionnelle.
[29] La même formation de trois juges administratifs qui a rendu la décision de principe dans l’affaire Ministère des transports et CSST[5] a également rendu d’autres décisions analysant les différents facteurs énoncés dans cette décision de principe pour traiter de la notion d’injustice. L’affaire Ville de Montréal et CSST[6] et l’affaire Ministère des Transports et CSST[7] sont des cas similaires à celui de l’instance puisqu’il s’agissait de travailleurs dont les fonctions les amenaient à passer une partie importante de leur temps de travail sur la route et que leur véhicule fut frappé par un autre véhicule ayant omis de s’arrêter à un feu rouge. Dans ces deux affaires, la Commission des lésions professionnelles conclut que rien ne démontre que les circonstances de l’accident sont exceptionnelles, rares ou inusitées et exprime qu’il n’a pas été démontré que de brûler un feu rouge constitue une infraction ayant un caractère inédit.
[30] D’autres décisions du tribunal ont, par la suite, exprimé des conclusions similaires dans les cas d’accident de la route survenus en raison du fait que le tiers en cause avait omis de s’arrêter à un feu rouge[8].
[31] En l’instance, le tribunal est d’avis que les probabilités qu’un accident semblable ne survienne sont grandes et peuvent avoir pour origine l’inattention, une manœuvre interdite ou une mauvaise évaluation de la situation. Il demeure que de nombreux accidents de la route ne résultent pas de comportements malintentionnés ou négligents et arrivent plutôt de manière fortuite et imprévisible, d’où la qualification d’accident.
[32] Le contexte de l’accident décrit en l’espèce ne correspond pas à des circonstances hors du commun et ne sort pas suffisamment de l’ordinaire pour conclure qu’il s’agit de circonstances inusitées, exceptionnelles ou rares.
[33] Quant à l’argument soulevé par la représentante de l’employeur sur le fait que ni l’employeur ni le travailleur n’a pu prévenir ou contrôler les causes de l’accident, cet élément n’est pas déterminant pour solutionner le présent litige.
[34] Dans l’affaire Ministère des Transports et CSST[9] la formation de trois juges administratifs a écarté cet élément de contrôle de l’employeur sur l’intervention préventive pour conclure qu’il ne s’agit pas d’un critère pertinent à l’analyse de la notion d’injustice en vue de l’application du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi. Cette approche est maintenant suivie de façon majoritaire par le tribunal et la Commission des lésions professionnelles en l’espèce n’a pas de raison de s’en écarter.
[35] Considérant l’ensemble de ces éléments et bien que l’accident survenu le 20 avril 2011 soit malheureux et ait comporté des conséquences, la Commission des lésions professionnelles ne peut reconnaître que cet événement revêt un caractère extraordinaire, exceptionnel, rare ou inusité et estime que l’employeur n’a pas démontré être imputé injustement dans cette affaire.
[36] La Commission des lésions professionnelles conclut que la requête de l’employeur doit être rejetée et qu’il doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 20 avril 2011.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête du 13 septembre 2011 de la Société de transport de Montréal, l’employeur;
CONFIRME la décision rendue le 30 août 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations dues en raison de l’accident du travail subi le 20 avril 2011 par monsieur Zakaria Taleb, le travailleur, doit être imputé au dossier de l’employeur.
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Francine Juteau |
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Mme Charlyse Roy |
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Les Consultants C. Roy inc. |
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Représentante de la partie requérante |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] L.R.Q., c. C-24.2.
[3] C.L.P. 288809-03B-0605, 28 mars 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel.
[4] Id.
[5] Précitée note 3.
[6] C.L.P. 286037-61-0604, 1er avril 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel.
[7] C.L.P. 289138-31-0605, 1er avril 2008, J.-F. Clément, D. Lajoie, J.-F. Martel.
[8] U.A.P. inc. et Réfrigération Thermo King Montréal, C.L.P. 291046-31-0606, 23 juillet 2008, P. Simard; Les Grillades Geno inc., C.L.P. 339705-07-0802, 22 décembre 2008, M. Langlois; Société de l’assurance automobile du Québec, C.L.P. 351109-31-0806, 23 février 2009, M. Racine; Servir + Soins Soutien à Domicile, C.L.P. 327089-62B-0708, 25 février 2009, L. Collin; Kia Chomedey, C.L.P. 370480-61-0902, 26 mars 2010, G. Morin.
[9] Précitée note 3.
AVIS :
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