R.T. c. Centre de la petite enfance La Grande Ourse

2014 QCCAI 274

 

Commission d’accès à l’information du Québec

Dossier :             1007187

Date :                   Le 26 novembre 2014

Membre:             Me Christiane Constant

 

R... T...

 

Demanderesse

 

c.

 

centre de la petite enfance la grande ourse

 

Entreprise

DÉCISION

OBJET

DEMANDE D’EXAMEN DE MÉSENTENTE en vertu de l’article 42 de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[1].

[1]          Le 4 avril 2013, la demanderesse s’adresse à la directrice du Bureau coordonnateur du Centre de la petite enfance La Grande Ourse (l’entreprise) afin d’obtenir une copie intégrale des documents contenus dans un dossier qui la concerne. Ce dossier aurait été constitué dans le cadre de sa demande visant l’octroi d’une reconnaissance pour devenir responsable d’un service de garde en milieu familial.

[2]          N’ayant pas obtenu de réponse de l’entreprise, la demanderesse sollicite le 14 mai suivant l’intervention de la Commission d’accès à l’information (la Commission) en soumettant à celle-ci une demande d’examen de mésentente.

[3]          L’audience de la présente cause se tient à Montréal, le 18 septembre 2014, en présence des parties.

LES FAITS

[4]          Me Julie Bourgeois, avocate de l’entreprise, fait témoigner Mme Isabelle Provost, actuellement directrice adjointe de l’une des deux installations de l’entreprise, mais au moment de la demande d’accès, elle était directrice adjointe des deux bureaux coordonnateurs de l’entreprise.

[5]          Elle précise que le Bureau coordonnateur provincial est mandaté par le ministère de la Famille et des Aînés afin de coordonner toutes les activités des responsables de services de garde en milieu familial qui sont reconnus par ce dernier. Ce Bureau verse des subventions aux services de garde en milieu familial. Il leur offre un soutien au niveau pédagogique et s’assure du respect des lois et règlements par des visites de conformité à divers centres de la petite enfance.

[6]          Lorsque la demanderesse a formulé sa demande de reconnaissance au mois de février 2012, l’entreprise avait deux bureaux coordonnateurs : un couvrait les Villes de Varennes, Verchères, Calixa-Lavallée et Contrecœur, alors que l’autre couvrait les Villes de Sainte-Julie et St-Amable. Plus de deux cents responsables de services de garde en milieu familial y travaillaient pour un peu plus de 1 300 places d’enfants.

[7]          L’entreprise est administrée par un conseil d’administration composé en majorité de parents utilisateurs, d’un membre de la communauté et d’un membre des services de garde en milieu familial.

[8]          Au moment de la demande de reconnaissance de la demanderesse, beaucoup de places étaient disponibles et l’entreprise devait les combler. Pour cette raison, elle a procédé à l’ouverture d’une dizaine de dossiers de demandes de reconnaissance à la fois. Pour ce faire, les candidats remplissent un formulaire prévu à cette fin, auquel sont jointes des copies de pièces d’identité et autres documents, tels les actes de naissance et les copies de documents démontrant leur expérience de travail. Lorsque l’analyse de ces dossiers est complétée, ils sont transférés au conseil d’administration afin que ce dernier prenne une décision quant à ces demandes de reconnaissance.

[9]          Le conseil d’administration prend la décision d’accepter ou de refuser une telle demande, à la suite de laquelle une lettre est immédiatement transmise au candidat pour l’en aviser. Pour les personnes dont la candidature a été refusée, l’entreprise inscrit sur une liste leurs noms et les motifs de refus. Par la suite, les dossiers de tous ces candidats sont détruits le jour même.

[10]       Selon Mme Provost, l’entreprise décide de procéder à la destruction de ces dossiers afin d’éviter toute confusion, puisqu’elle reçoit beaucoup de demandes de reconnaissance. À l’ouverture d’une dizaine d’autres demandes de reconnaissance, l’entreprise refait le même processus que celui mentionné aux paragraphes 9 et 10 de la présente décision.

[11]       Mme Provost explique que l’entreprise ne conserve pas les dossiers des candidats dont la candidature a été refusée, mais elle inscrit sur une liste les noms et les motifs de refus. Elle ne conserve que les dossiers de ceux qui ont été reconnus.

[12]       Elle fait remarquer que dans le cas de la demanderesse, le processus habituel a été respecté, puisque le conseil d’administration a décidé de ne pas autoriser la reconnaissance de cette dernière à titre de responsable en service de garde, tel qu’il appert d’une copie élaguée du procès-verbal daté du 16 février 2012 produit à l’audience (pièce E-1). Les noms des personnes physiques ont préalablement été masqués.

[13]       Le 21 février 2012, Mme Provost transmet une lettre à la demanderesse, indiquant à cette dernière que lors d’une séance régulière tenue le 19 février précédent, les membres du conseil d’administration ont décidé de ne pas autoriser sa demande de reconnaissance, et ce, en vertu de l’article 61 du Règlement sur les services de garde éducatifs à l’enfance[2], en raison du fait qu’elle ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 51 du Règlement, notamment aux alinéas 3, 5 et 7 (pièce E-2).

[14]       Mme Provost fait remarquer qu’à la suite de la réception de la demande d’accès aux documents de la demanderesse, elle a fait parvenir une lettre à cette dernière le 12 septembre 2012, lui rappelant que le Bureau du coordonnateur ne conserve pas les dossiers des personnes n’ayant pas été reconnues responsables d’un service de garde en milieu familial, mais plutôt une liste qui contient leurs noms et les motifs de refus.

[15]       Pour faire suite à l’avis de convocation que la Commission a fait parvenir aux parties dans la présente cause, Mme Provost signale que Mme Claire Vaillancourt, directrice générale de l’entreprise, a transmis à la demanderesse une lettre le 20 août 2014, rappelant à celle-ci qu’elle a formulé quatre demandes visant l’accès aux mêmes documents pour lesquels l’entreprise a déjà répondu, à savoir essentiellement que son dossier avait été détruit depuis le 21 février 2012 pour les motifs déjà énoncés. L’entreprise ne détient plus aucun document la concernant (pièce E-4).

[16]       Contre-interrogée par la demanderesse, Mme Provost réitère l’essentiel de son témoignage. Elle ajoute cependant que lorsque le dossier de mise en candidature de reconnaissance à titre de responsable en service de garde est complété, un délai d’environs de trois mois est nécessaire pour le traitement de cette demande. Il est remis par la suite au conseil d’administration qui prendra la décision d’accepter ou de refuser la demande de reconnaissance.

[17]       Quant à la question relative à l’application de l’article 48 du Règlement, Mme Provost réitère que la lettre du 21 février 2012 adressée à la demanderesse satisfait aux critères mentionnés à cet article.

Témoignage de la demanderesse

[18]       La demanderesse affirme qu’elle a besoin des documents, particulièrement le formulaire qu’elle a rempli, contenus dans le dossier de demande de reconnaissance à titre de responsable de service de garde en milieu familial, dans le but de s’améliorer lors d’éventuelles autres demandes auprès de l’entreprise.

ARGUMENTS DE L’ENTREPRISE

[19]       L’avocate de l’entreprise fait un résumé de l’ensemble de la preuve recueillie à l’audience, à savoir le témoignage de Mme Provost concernant la demande de la demanderesse afin d’obtenir une copie des documents contenus dans un dossier qui a été ouvert par l’entreprise lors de sa demande afin d’être reconnue responsable d’un service de garde en milieu familial.

[20]       L’avocate rappelle que, selon la preuve, il a été établi que selon les termes de l’article 61 du Règlement, l’entreprise a l’obligation de rendre une décision écrite d’accepter ou de refuser une personne pour être responsable d’un service de garde en milieu familial. Elle ne devait conserver que les documents indiqués à l’article 48 de ce Règlement.

[21]       Dans le cas de la demanderesse, le conseil d’administration a décidé de ne pas la reconnaître responsable des services de garde en milieu familial, puisqu’elle ne satisfait pas aux critères de l’article 51 du Règlement, notamment aux paragraphes 3, 5 et 7. S’en est suivie une lettre du 21 février 2012 à cet effet et tous les documents constituant son dossier ont été détruits le jour même de l’envoi de cette lettre. L’avocate fait remarquer, par ailleurs, que le Règlement n’exige pas à l’entreprise de conserver les documents concernant des personnes dont la demande de reconnaissance a été refusée.

[22]       Selon l’avocate, la preuve démontre que l’entreprise ne détient plus les documents concernant la demanderesse, pour les motifs déjà  énoncés, de sorte qu’elle demande que la Commission cesse d’examiner cette affaire, son intervention n’étant plus utile[3] au sens de l’article 52 de la Loi sur le privé.

ANALYSE

[23]       L’article 1 de la Loi sur le privé confère à un demandeur le droit d’avoir accès aux renseignements personnels qui le concernent et qui sont détenus par une entreprise. À cet égard, les articles 1 et 2 de cette loi prévoient que :

1.   La présente loi a pour objet d’établir, pour l’exercice des droits conférés par les articles 35 à 40 du Code civil en matière de protection des renseignements personnels, des règles particulières à l'égard des renseignements personnels sur autrui qu'une personne recueille, détient, utilise ou communique à des tiers à l’occasion de l'exploitation d'une entreprise au sens de l'article 1525 du Code civil.

Elle s’applique à ces renseignements quelle que soit la nature de leur support et quelle que soit la forme sous laquelle ils sont accessibles: écrite, graphique, sonore, visuelle, informatisée ou autre.

Elle s’applique aussi aux renseignements personnels détenus par un ordre professionnel dans la mesure prévue par le Code des professions (chapitre C-26).

La présente loi ne s'applique pas à la collecte, la détention, l’utilisation ou la communication de matériel journalistique, historique ou généalogique à une fin d'information légitime du public.

Les sections II et III de la présente loi ne s'appliquent pas à un renseignement personnel qui a un caractère public en vertu de la Loi.

2. Est un renseignement personnel, tout renseignement qui concerne une personne physique et permet de l'identifier.

[24]       Dans le cas à l'étude, la demanderesse souhaite obtenir tous les documents contenus dans le dossier constitué à son sujet par l’entreprise relatif à sa candidature afin d’être reconnue par cette dernière personne responsable d’un service de garde en milieu familial. Elle a formulé une demande selon les termes de l’article 27 de la Loi sur le privé.

27.       Toute personne qui exploite une entreprise et détient un dossier sur autrui doit, à la demande de la personne concernée, lui en confirmer l'existence et lui donner communication des renseignements personnels la concernant.

Lorsque le requérant est une personne handicapée, des mesures d'accommodement raisonnables doivent être prises, sur demande, pour lui permettre d'exercer le droit d'accès prévu par la présente section.

[25]       Par ailleurs, il est important de préciser que l’article 39 du Code civil du Québec[4] prévoit un droit d’accès qui s’apparente à celui prévu à l’article 1 de la Loi sur le privé. Il indique que :

39. Celui qui détient un dossier sur une personne ne peut lui refuser l'accès aux renseignements qui y sont contenus à moins qu'il ne justifie d'un intérêt sérieux et légitime à le faire ou que ces renseignements ne soient susceptibles de nuire sérieusement à un tiers.

[26]       Sans réponse, la demanderesse s’est adressée à la Commission, en vertu de l’article 42 de la Loi sur le privé, afin que soit examinée la mésentente contre l’entreprise.

42. Toute personne intéressée peut soumettre à la Commission d'accès à l'information une demande d'examen de mésentente relative à l'application d'une disposition législative portant sur l'accès ou la rectification d'un renseignement personnel ou sur l'application de l'article 25.

[27]       L’ensemble de la preuve démontre que lors de l’envoi de la lettre, le 21 février 2012, informant la demanderesse que sa demande de reconnaissance n’avait pas été acceptée, l’entreprise avait détruit tous les documents qui la concernent le jour même. De plus, il a été établi que cette destruction a eu lieu avant même que la demanderesse ait formulé une demande d’accès qui, elle, date du 4 avril 2013, soit plus d’un an suivant leur destruction. D’ailleurs, selon l’article 48 du Règlement, il est mentionné que :

48. Un bureau coordonnateur doit conserver, à l'adresse de son principal établissement, les renseignements et documents à jour suivants:

  1° le registre prévu à l'article 59 de la Loi;

  2° les documents attestant que les personnes visées aux articles 46 et 47 remplissent les exigences de l'article 4;

  3°  une liste des personnes qu'il a refusées de reconnaître et de celles dont la reconnaissance n'a pas été renouvelée ou a été suspendue ou révoquée ou qui ont cessé leurs activités, ainsi que les motifs de ce refus, ce non-renouvellement, cette suspension ou cette révocation;

  4° un registre des plaintes reçues concernant les responsables qu'il a reconnues, ainsi que les documents relatifs au suivi de ces plaintes;

  5° un dossier sur chacune des responsables qu'il a reconnues comprenant:

  a)  les documents exigés d'elle en vertu de l'article 60 et, selon le cas, ceux attestant que la remplaçante occasionnelle désignée en vertu de l'article 81 remplit les exigences prescrites aux articles 5 et 82;

  b)  les documents attestant la décision du bureau coordonnateur à la suite de l'analyse d'une déclaration de renseignements pouvant révéler un empêchement;

  c)  une copie des avis, des décisions, des demandes et des réponses qu'elle doit faire parvenir au bureau coordonnateur ou que ce dernier lui fait parvenir en vertu de la Loi ou des articles 61, 62, 64, 65, 67, 68, 71, 72, 74, 76 à 79, 84, 86 et 97.1;

  d)  les rapports visés aux articles 53, 66, 70, 73, 80 et 86;

  e)  les documents attestant qu'elle remplit les exigences prévues aux articles 57 et 59;

  6 °une copie du dossier de la responsable qu'il a reconnue et qui a cessé ses activités sur son territoire pour établir son service dans un autre.

[28]       Dans le cas en l’espèce, l’entreprise a démontré qu’elle conserve une liste comportant les noms des personnes qu’elle a refusé de reconnaître.

[29]       La demanderesse, pour sa part, considère qu’elle devrait avoir accès aux documents, particulièrement au formulaire qu’elle a rempli pour formuler sa demande de reconnaissance, afin qu’elle puisse revoir les renseignements qu’il contient, dans le but de s’améliorer pour d’éventuelles demandes. Or, la preuve démontre que ces documents ont été détruits bien avant qu’elle ait adressé une demande d’accès auprès de l’entreprise.

[30]       Conséquemment, considérant l’ensemble de la preuve, la Commission considère que la demande d’examen de mésentente de la demanderesse doit être rejetée puisque l’entreprise a établi que les documents faisant l’objet du présent litige avaient été détruits depuis le 21 février 2012, soit la date à laquelle elle lui a transmis une lettre indiquant que sa demande de reconnaissance n’a pas été retenue.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION :

[31]       REJETTE la présente demande d’examen de mésentente.

CHRISTIANE CONSTANT
Juge administratif

Kathleen Gélinas avocate inc.

(Me Julie Bourgeois)

Avocats de l’entreprise



[1]    RLRQ, c. P-39.1, la Loi sur le privé.

[2]    2006 G.O. II, 3125, D. 582-2006, le Règlement.

[3]    M. L. c. Centre de la petite enfance Carosse-citrouille, 2010 QCCAI 16

[4]    RLRQ.

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