Montréal (Ville de) c. Lonardi |
2016 QCCA 1022 |
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COUR D’APPEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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GREFFE DE
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Nos : |
500-09-024582-140, 500-09-024584-146, 500-09-024590-143, |
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500-09-024591-141, 500-09-024624-140, 500-09-024625-147 |
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(500-22-169451-104, 500-22-169449-108, 500-22-179171-114, |
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500-22-179169-118, 500-22-179170-116, 500-22-179174-118) |
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DATE : |
Le 14 juin 2016 |
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No : 500-09-024582-140 |
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(500-22-169451-104) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE / INTIMÉE INCIDENTE - Demanderesse |
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c. |
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DAVIDE LONARDI |
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INTIMÉ / APPELANT INCIDENT - Défendeur |
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SIMON CÔTÉ BÉLIVEAU |
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JONATHAN FRANCO |
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JEAN-FRANÇOIS HUNTER |
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INTIMÉS - Défendeurs |
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No : 500-09-024584-146 |
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(500-22-169449-108) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE - Demanderesse |
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c. |
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ALI RASOULI |
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INTIMÉ - Défendeur |
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No : 500-09-024590-143 |
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(500-22-179171-114) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE - Demanderesse |
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c. |
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MOHAMED MOUDRIKA |
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JEAN-PHILIPPE FOREST MUNGUIA |
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JONATHAN BEAUDIN NAUDI |
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INTIMÉS - Défendeurs |
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No : 500-09-024591-141 |
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(500-22-179169-118) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE / INTIMÉE INCIDENTE - Demanderesse |
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c. |
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ÉRIC PRIMEAU |
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INTIMÉ / APPELANT INCIDENT - Défendeur |
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et |
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STEVE CHAPERON |
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ILLIASSE IDEN |
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JOHNNY DAVIN |
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NATNA NEGA |
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NATHAN BRADSHAW |
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MAXIME FAVREAU COURTEMANCHE |
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INTIMÉS - Défendeurs |
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No : 500-09-024624-140 |
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(500-22-179170-116) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE - Demanderesse |
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c. |
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NATNA NEGA |
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INTIMÉ - Défendeur |
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No : 500-09-024625-147 |
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(500-22-179174-118) |
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VILLE DE MONTRÉAL |
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APPELANTE - Demanderesse |
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c. |
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JEAN-FRANÇOIS BIDDINGTON CIAMPINI |
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BERARDINO CIPOLLONE |
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BENJAMIN KINAL |
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KOCEILA AITALI |
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JONATHAN BEAUDIN NAUDI |
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SIMON LÉGARÉ |
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DANIEL DAOUST |
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INTIMÉS - Défendeurs |
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[1] L’appelante, la Ville de Montréal se pourvoit contre six des dix jugements rendus le 19 juin 2014 par l’honorable Sylvain Coutlée, de la Cour du Québec, condamnant conjointement les intimés à lui payer une compensation pour les dommages causés par chacun d’eux à certaines auto-patrouilles du SPVM ainsi que des dommages exemplaires.
[2] Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent la juge en chef Duval Hesler et le juge Émond, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel de la Ville de Montréal dans chacun des dossiers et REJETTE l’ensemble des appels incidents, avec les frais de justice.
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MOTIFS DE LA JUGE HOGUE |
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[4] Celui qui endommage des biens, à l’occasion d’une émeute, doit-il être tenu solidairement responsable des dommages causés par les autres émeutiers sur ces mêmes biens, en plus des dommages causés par sa propre faute, ou chacun ne doit-il être tenu qu’aux dommages qu’il a lui-même causés lorsque ceux-ci sont identifiables et quantifiables? C’est la question principale soulevée par ce pourvoi.
[5] L’appelante, la Ville de Montréal (« la Ville ») se pourvoit contre six des dix jugements rendus le 19 juin 2014 par l’honorable Sylvain Coutlée, de la Cour du Québec, condamnant conjointement les intimés à lui payer une compensation pour les dommages causés par chacun d’eux à certaines auto-patrouilles du SPVM ainsi que des dommages exemplaires. Les jugements comportent tous une partie commune, en l’occurrence les motifs qui apparaissent aux paragraphes 1 à 50 de chacune des décisions, qui traite de la question principale se posant dans chacune de ces affaires. Ces dossiers ont été réunis pour une audition commune devant la Cour.
[6] Le juge de première instance reconnaît la responsabilité des intimés, mais refuse cependant de les condamner solidairement, sauf deux d’entre eux qui, ensemble, ont détruit une auto-patrouille. Dans ce cas, il les tient solidairement responsables de la valeur de l’auto-patrouille, ce qui, avec raison, n’est pas remis en question par les intimés. Quant aux autres, il retient plutôt qu’ils ne peuvent être condamnés solidairement puisque les dispositions législatives le permettant en certaines circonstances ne sont pas applicables, la preuve permettant, ici, d’établir le dommage spécifique causé par chacun d’eux. Il écrit[1] :
Or, dans le cas qui nous occupe, les faits de la cause démontrent que l’on peut identifier tous et chacun des auteurs des préjudices.
Le Tribunal est en accord avec l’interprétation des défendeurs. Il est donc possible pour les défendeurs d’écarter l’application de la solidarité prévue à l’article 1480 C.c.Q., pourvu que l’on puisse déterminer l’auteur de l’acte fautif qui a causé le préjudice.
[7] Les évènements qui donnent lieu aux réclamations de la Ville ont lieu en 2008 lors d’une émeute survenue à la suite d’une victoire des Canadiens de Montréal. Le juge décrit bien les faits pertinents :
[1] Au mois d’avril 2008, les séries éliminatoires dans la Ligue nationale de Hockey battent leur plein.
[2] Le club de hockey Canadien mène la série, huitième de finale, par trois matchs contre un pour l’équipe des Bruins de Boston. Une autre victoire et le Canadien élimine sa rivale pour passer en quart de final.
[3] Le cinquième match a lieu au Centre Bell le 21 avril 2008. À cette occasion, le Canadien élimine leur rivale de toujours, les Bruins de Boston.
[4] Vers 22 h, le Centre Bell se vide et s’en suit une période de festivité spontanée dans les rues avoisinantes. Tous décrivent l’atmosphère comme festive, voire même familiale.
[5] Afin de s’assurer du bon déroulement des festivités et fort d’expérience passée, le service de police de la Ville de Montréal (SPVM) assigne plusieurs policiers pour contenir la foule en cas de débordements. La police gare des autos-patrouilles dans des endroits stratégiques afin de faire sentir leur présence dans le but de prévenir les débordements.
[6] Malheureusement, la fête tourne en tempête. Comme c’est souvent le cas, une minorité de malfaiteurs s’en prennent au mobilier urbain, aux commerces ainsi qu’aux autos-patrouilles de la SPVM.
[7] Dans cette atmosphère d’émeute, les pillards ont brisé des vitrines, volé de la marchandise dans les magasins et ont vandalisé 15 autos-patrouilles du SPVM. Le visionnement des vidéos provenant de toute source a permis au Tribunal de constater le climat d’anarchie qui régnait lors de cette manifestation qui a tourné à l’émeute. Les vandales ont été sans pitié pour les véhicules de police. Coups de pied, projection de pierres, briques, bouteilles et tout autre projectile disponible étaient lancés sur les véhicules. On sautait à pieds joints sur le capot, valise et toit des véhicules. Sur certains véhicules on a tenté d’arracher les portières.
[8] Au lendemain de l’émeute (22 avril 2008), le SPVM constate que neuf véhicules ont été incendiés et six autres ont nécessité des réparations importantes.
[9] Le SPVM ouvre une enquête. C’est le sergent détective Renée Louise Fafard qui en est responsable. L’enquête a duré du 23 avril 2008 au 15 mai 2008. La police a fait paraître dans les journaux des photos d’individus et fait paraître des vidéos sur les différentes chaines de télévision. Avec l’aide du public, par le biais de dénonciation anonyme (info-crime), les enquêteurs ont procédé à 55 arrestations. Si l’on inclut les arrestations pour infractions aux règlements municipaux, c’est 73 personnes qui ont fait l’objet d’arrestation.
[10] En résumé, l’enquête qui aura duré 22 jours a permis de procéder à l’arrestation de 73 personnes.
[8] La Ville dépose six réclamations contre 18 personnes. Elle choisit d’instituer un recours par auto-patrouille détruite ou endommagée et assigne dans chacun de ces recours, à titre de défendeurs, tous les intimés ayant contribué à l’endommager ou à la détruire. Elle recherche contre chacun d’eux une condamnation solidaire pour la valeur totale des dommages causés à l’auto-patrouille ou pour sa valeur dépréciée lorsque celle-ci a été entièrement détruite.
[9] Les intimés, sauf Davide Lonardi et Benjamin Kinal, reconnaissent avoir commis un ou des actes de vandalisme, mais soutiennent que chacun d’eux ne doit être condamné que pour le dommage qu’il a causé puisque la preuve permet de l’établir.
[10] C’est à l’encontre du refus du juge d’imposer une responsabilité solidaire, pour l’entièreté des dommages causés à l’auto-patrouille que chacun des intimés a partiellement endommagée, que se pourvoit la Ville. Elle ne remet toutefois en question ni les conclusions de fait ni l’évaluation qu’a faite le premier juge des dommages causés par chacun des intimés.
[11] La question centrale qui se pose est donc de déterminer si chacun des intimés ayant causé des dommages à une auto-patrouille doit être tenu solidairement responsable, avec d’autres intimés l’ayant aussi endommagée, de l’entièreté du préjudice subi par la Ville. De façon plus spécifique, y a-t-il lieu ici d’appliquer l’article 1480 C.c.Q. ou l’article 1526 C.c.Q. qui, tous deux, prévoient la solidarité en certaines circonstances?
[12] Certains d’entre eux (Éric Primeau, Benjamin Kinal et Davide Lonardi) se portent appelants incidents et contestent leur condamnation à payer des dommages punitifs.
[13] Une fois la question principale résolue, il y aura lieu également d’examiner le bien-fondé des appels incidents et ainsi de déterminer si le juge a eu raison de condamner certains des intimés à payer des dommages punitifs.
[14] La Ville soutient que l’article 1480 C.c.Q. doit, ici, s’appliquer. Le juge, selon elle, a commis une erreur dans l’interprétation de la notion de fait collectif fautif qui y est contenue et aurait dû conclure à l’existence d’un lien de causalité entre ce fait collectif fautif, soit l’émeute, et le préjudice qu’elle a subi, soit la destruction des véhicules de police.
1480. Lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu’elles ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, sans qu’il soit possible, dans l’un ou l’autre cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé, elles sont tenues solidairement à la réparation du préjudice. |
1480. Where several persons have jointly participated in a wrongful act which has resulted in injury or have committed separate faults each of which may have caused the injury, and where it is impossible to determine, in either case, which of them actually caused the injury, they are solidarily bound to make reparation therefor. |
[15] Cet article, selon elle, s’applique dans les deux situations suivantes :
(i) lorsque plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice; ou
(ii) lorsque plusieurs personnes ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, sans qu’il soit possible, dans l’un ou l’autre cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé.
[16] Selon elle, ce sont les comportements, les gestes et les encouragements au cours de l’émeute qui, collectivement, constituent le fait collectif fautif et ceux qui y ont participé doivent être tenus solidairement responsables du préjudice qui en découle.
[17] Elle soutient que les fautes commises par les intimés sont toutes la cause logique, directe et immédiate de la destruction de l’auto-patrouille pour laquelle ils sont poursuivis. Selon elle, les intimés n’ont pas seulement fracassé un pare-brise, brisé un pare-choc, bosselé une portière, le toit ou le coffre d’une auto-patrouille, mais bien contribué d’une manière ou d’une autre à sa destruction complète. Chacun des intimés a ainsi participé à cette aventure commune que constitue l’émeute.
[18] Or, dit-elle, c’est ce concept d’aventure commune qui a été codifié sous la notion de fait collectif fautif à l’article 1480 C.c.Q. Le fait qu’il soit possible de déterminer le dommage ou la fraction du préjudice causé par chacun des participants ne fait pas en sorte, en présence d’un fait collectif fautif, que chacun doive uniquement être tenu responsable de la fraction du préjudice qu’il a causé. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire, contrairement à ce qu’affirme le premier juge, que ce fait collectif fautif ait été planifié ou que les participants se soient concertés.
[19] Elle ajoute, subsidiairement, que le premier juge a aussi commis une erreur en omettant d’appliquer l’article 1526 C.c.Q. à la suite de son refus d’appliquer l’article 1480 C.c.Q. S’il ne s’agit pas d’un fait collectif fautif, il s’agit, à tout le moins, selon elle, de fautes contributoires qui entraînent également une condamnation solidaire en vertu de l’article 1526 C.c.Q. Cette disposition est libellée ainsi :
1526. L’obligation de réparer le préjudice causé à autrui par la faute de deux personnes ou plus est solidaire, lorsque cette obligation est extracontractuelle. |
1526. The obligation to make reparation for injury caused to another through the fault of two or more persons is solidary where the obligation is extra-contractual.
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[20] Les intimés soutiennent que le juge a eu raison de conclure que l’existence d’une aventure commune nécessite la présence d’une concertation. Conclure autrement conduirait, selon eux, au résultat absurde où « toutes les personnes se trouvant sur les lieux et ayant commis une faute ayant causé un dommage seraient responsables solidairement de l’ensemble des dommages causés au centre-ville de Montréal, le soir du 28 avril 2008, et ce, même en l’absence d’un lien de causalité entre la faute et ces dommages.
[21] Ils sont également d’avis que l’expression « dans l’un ou l’autre cas » contenue à l’article 1480 C.c.Q. vise les deux situations envisagées soit le fait collectif fautif et les fautes distinctes qui causent un seul dommage. Ainsi, ce n’est que lorsqu’il n’est pas possible de déterminer quelle personne a effectivement causé le dommage ou une fraction de celui-ci que tous les participants doivent en être tenus solidairement responsables.
[22] Ici, chacune des fautes est la cause d’un dommage précis et les auteurs de ces fautes sont identifiables puisqu’ils ont, presque tous, reconnu leur faute. Il y a donc lieu, soutiennent-ils, d’appliquer le principe général de la responsabilité civile énoncé à l’article 1457 C.c.Q. et ainsi de ne les condamner qu’à hauteur du dommage causé par chacun. Le régime de responsabilité civile québécois ne vise pas à punir un comportement intempestif ou spontané, mais bien plutôt à compenser la victime d’un dommage.
[23] Finalement, ils soutiennent que l’article 1526 C.c.Q. est aussi inapplicable puisque la preuve permet de déterminer le dommage causé par chacune des fautes. La solidarité qui y est prévue ne s’applique pas, disent-ils, en présence d’actes fautifs distincts qui causent un dommage distinct ou une fraction du préjudice qui est identifiable. L’article 1526 C.c.Q. ne peut, à lui seul, être subsidiaire à l’article 1480 C.c.Q.
[24] La détermination du premier juge voulant que les fautes commises par chacun des intimés aient causé un dommage distinct et identifiable ainsi que la détermination et la quantification de chacun de ces dommages sont des conclusions de fait à l’égard desquelles la Cour n’a pas à intervenir en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante. Les conclusions du premier juge sont donc retenues aux fins de déterminer s’il y a lieu de tenir les intimés solidairement responsables de l’entièreté des dommages causés à l’auto-patrouille qu’ils ont, en partie, endommagée.
[25] Rappelons, d’entrée de jeu, que la solidarité ne se présume pas et ne peut être imposée, en matière extracontractuelle, que lorsque la loi le prévoit. L’article 1525 C.c.Q., tout comme le faisait son prédécesseur l’article 1105 C.c.B.-C., le dit clairement :
1525. La solidarité entre les débiteurs ne se présume pas; elle n’existe que lorsqu’elle est expressément stipulée par les parties ou prévue par la loi.
[…] |
1525. Solidarity between debtors is not presumed; it exists only where it is expressly stipulated by the parties or provided for by law.
(…) |
[26] En matière extracontractuelle, ce sont les articles 1526 C.c.Q. et 1480 C.c.Q. qui permettent de prononcer une condamnation solidaire en certaines circonstances. Tous s’entendent pour dire que l’article 1526 C.c.Q. reprend essentiellement l’article 1106 C.c.B.-C. et que l’article 1480 C.c.Q. est, quant à lui, une codification de la jurisprudence[2]. Ainsi, pour déterminer la portée de cette dernière disposition, il me paraît utile d’identifier les circonstances dans lesquelles les tribunaux ont, auparavant, tenu solidairement responsables les auteurs d’une faute ayant contribué à causer un dommage.
[27] Avant l’adoption du Code civil du Québec, c’est l’article 1106 C.c.B.-C. qui permettait de tenir les fautifs solidairement responsables du préjudice causé. Il prescrivait que « l’obligation résultant d’un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus est solidaire / The obligation arising from the common offense of two or more persons is joint and several ».
[28] Historiquement, les tribunaux ont utilisé cette disposition pour condamner, solidairement, les auteurs d’un dommage, dans un certain nombre de circonstances.
[29] Ils l’ont évidemment utilisée lorsqu’un dommage avait été causé par une faute commune[3] commise par plus d’une personne. Les termes « résultant d’un délit ou quasi-délit commis par deux personnes ou plus/ arising from the common offense of two or more persons » contenus à l’article 1106 C.c.B.-C. visaient d’ailleurs clairement ce cas de figure.
[30] Quoiqu’il semble, par ses termes, exiger la commission d’une faute commune, l’article 1106 C.c.B.-C. fut également utilisé par les tribunaux pour justifier la condamnation solidaire des auteurs de fautes contributoires lorsque celles-ci avaient causé l’entier préjudice[4]. Il ne s’agissait pas là de la commission d’un délit ou d’un quasi-délit par plus d’une personne, mais bien plutôt de la commission de plusieurs délits ou quasi-délits, contribuant, toutefois, à un seul et même préjudice. Le recours à la solidarité en de telles circonstances apparaissait néanmoins juste et nécessaire puisqu’il était alors généralement impossible, dans ces circonstances, de déterminer quelle fraction du dommage avait été causée par chacune des fautes.
[31] En dépit des termes des articles 1105 et 1106 C.c.B.-C. les tribunaux, par souci d’équité, ont également étendu la solidarité à des situations qui n’étaient pas visées par l’article 1106 C.c.B.-C. Ainsi, les auteurs de fautes distinctes ont aussi été tenus solidairement responsables lorsqu’un seul préjudice a résulté de fautes simultanées sans qu’il soit, néanmoins, possible d’identifier laquelle l’avait causé[5].
[32] L’exemple classique généralement utilisé pour illustrer une telle situation est celui où deux chasseurs tirent simultanément en direction d’une personne. Atteinte et blessée par une balle, celle-ci a clairement subi un dommage, mais elle ne peut établir laquelle des deux balles l’a causé.
[33] Les tribunaux étaient alors confrontés à un choix : priver d’un recours la victime qui ne pouvait faire la preuve du lien de causalité normalement exigé, compte tenu de son incapacité de prouver laquelle des fautes avait causé son dommage, ou condamner quelqu’un qui avait commis une faute alors que celle-ci n’était peut-être pas causale.
[34] Ils ont opté pour la seconde option et ont tenu solidairement responsables toutes les personnes fautives malgré que, ce faisant, ils passaient outre à la règle générale voulant qu’on ne soit tenu de réparer que le dommage que l’on a causé et à celle voulant que la solidarité ne puisse être imposée, en matière extracontractuelle, que lorsque la loi le prévoit.
[35] Les tribunaux ont aussi utilisé, à l’occasion, le concept d’aventure commune pour justifier le prononcé d’une condamnation solidaire[6]. Les circonstances prévalant dans les affaires où ils l’ont fait permettent toutefois de constater qu’ils auraient généralement pu ordonner la solidarité en recourant plutôt aux notions de faute commune ou de fautes contributoires ayant causé un seul dommage.
[36] Dans les cas où il n’y avait ni faute commune, ni fautes contributoires, mais plutôt des fautes distinctes, les tribunaux ont eu recours à ce concept d’aventure commune uniquement lorsqu’il était impossible de relier le dommage ou une fraction du dommage à une faute en particulier.
[37] Ainsi, il ressort de la jurisprudence que les tribunaux n’ont imposé la solidarité que lorsqu’un seul dommage a résulté de ces fautes ou qu’il n’était pas possible de déterminer quelle faute avait causé quel dommage ou fraction du dommage. Ils ont toujours refusé de le faire lorsqu’il était possible d’attribuer une fraction du dommage à une faute précise, privilégiant ainsi la règle générale voulant qu’on ne soit tenu responsable que du dommage que l’on cause.
[38] Tel que mentionné, le législateur, selon les auteurs, a voulu codifier cette jurisprudence lors de l’adoption du Code civil du Québec. Il a ainsi adopté l’article 1526 C.c.Q., qui est le successeur de l’article 1106 C.c.B.-C., et l’article 1480 C.c.Q., qui se veut une codification de la solution apportée par les tribunaux à certains problèmes qui se sont posés dans des circonstances particulières[7].
[39] Les termes de l’article 1526 C.c.Q. permettent d’imposer la solidarité lorsqu’une faute commune causant un dommage est commise par plusieurs personnes ou encore lorsque plusieurs personnes commettent des fautes distinctes qui contribuent à la création d’un même dommage. Dans l’un et l’autre des cas, il doit y avoir un dommage unique.
[40] L’article 1480 C.c.Q. quant à lui, envisage deux situations : 1) celle où plusieurs personnes ont participé à un fait collectif fautif, et 2) celle où plusieurs fautes distinctes susceptibles d’avoir causé le dommage sont commises par plus d’une personne sans qu’il soit possible de déterminer laquelle l’a effectivement causé.
[41] La première situation qui y est visée est celle pour laquelle les tribunaux ont, dans le passé, appliqué les règles de la solidarité afin de permettre une indemnisation de la victime qui ne pouvait établir laquelle des fautes avait causé son dommage. La seconde se veut plutôt la codification de la notion d’aventure commune développée par les tribunaux. Or, rappelons que cette notion d’aventure commune n’a été utilisée, pour justifier le prononcé d’une condamnation solidaire, que lorsqu’il n’était pas possible de relier la faute commise par chacun des participants à un dommage particulier ou à une fraction de dommage.
[42] Il est d’intérêt de souligner que dans chacune de ces situations (qu’il s’agisse d’une faute commune, de fautes contributoires ou de fautes simultanées) un seul préjudice est subi par la victime. L’article 1526 C.c.Q. qui impose la solidarité en cas de faute(s) commise(s) par deux personnes ou plus, utilise d’ailleurs l’expression le préjudice. Il en est de même de l’article 1480 C.c.Q. qui fait état d’un préjudice.
[43] La Ville soutient toutefois que le législateur, en adoptant l’article 1480 C.c.Q., est allé plus loin que ce que faisait jusqu’alors la jurisprudence. Selon elle, l’article 1480 C.c.Q. permet maintenant de tenir solidairement responsables de l’entièreté du préjudice subi par la victime tous ceux qui participent au fait collectif fautif et causent une partie du dommage alors même qu’il est possible d’identifier la fraction du préjudice ou le dommage particulier causé par chacun d’eux.
[44] Je ne peux souscrire à cette proposition. Voici pourquoi.
[45] Je rappelle que le régime de responsabilité civile québécois a un caractère compensatoire. Il vise à indemniser la victime du préjudice qu’elle subit. Celle-ci ne doit ni s’enrichir ni s’appauvrir, mais bien être intégralement indemnisée. Ce caractère compensatoire a aussi comme corollaire que la personne fautive est tenue de réparer le préjudice qu’elle a causé à la hauteur de celui-ci. Elle ne doit pas, règle générale et exception faite des dommages punitifs auxquels elle peut être condamnée, être tenue de verser plus que ce qui est nécessaire pour compenser le dommage qu’elle a causé.
[46] Ce régime ne vise ni à dissuader ni à punir celui qui commet une faute. Notre système de droit comporte d’autres règles qui ont cet objectif[8] :
Par essence, donc, la responsabilité civile ne vise pas à punir une personne pour avoir eu un comportement intempestif envers autrui mais à indemniser autrui pour le préjudice subi à cause du comportement juridiquement inacceptable d’une autre personne suivant les paramètres propres au droit commun de la responsabilité civile.
[47] La règle voulant qu’une personne fautive ne soit responsable que du dommage qu’elle cause est à la base même de ce régime et en traduit l’esprit. Certaines exceptions y sont toutefois apportées, principalement pour des raisons d’équité.
[48] Comme nous l’avons vu, l’article 1526 C.c.Q. constitue une de ces exceptions. En vertu de cette disposition, la victime qui a subi un dommage causé par la faute de deux personnes ou plus n’a pas à prouver l’importance relative du geste posé par chacune d’elles, ce qui pourrait être fort ardu, voire impossible. Chacune de ces personnes fautives peut, en effet, être condamnée à l’indemniser de la totalité du préjudice qu’elle a subi. Elles sont tenues solidairement responsables de l’entièreté du préjudice auquel elles ont contribué, et ce, qu’elles aient commis une faute commune ou des fautes distinctes ayant contribué, dans les deux cas, à causer un seul et même dommage individuel précis. Je rappelle que l’article 1526 C.c.Q. implique, en effet, qu’un seul préjudice est causé à la victime.
[49] Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, dans leur ouvrage portant sur la responsabilité civile, écrivent[9] :
Lorsque deux fautes séparées sont commises successivement et que chacune d’elles peut être reliée à un dommage individuel précis, il ne peut y avoir solidarité des auteurs en faveur de la victime. Il y a en effet deux actes distincts qui mettent en échec l’application de l’article 1526 C.c.Q. Toutefois les parties s’exposent à une condamnation in solidum.
[50] L’article 1480 C.c.Q. constitue une autre exception au principe général. Le législateur a-t-il par ailleurs, en l’adoptant, voulu aller plus loin que ne le faisait auparavant la jurisprudence?
[51] Je ne vois rien dans ses termes qui permette de le croire.
[52] La proposition de la Ville présuppose que le législateur a voulu étendre la solidarité à des situations où l’une ou l’autre des parties est en mesure de faire la preuve du lien de causalité entre chacune des fautes et une fraction du dommage, mais où il serait néanmoins commode ou plus avantageux pour la victime de bénéficier d’une condamnation solidaire à l’encontre de chacun des fautifs.
[53] Ce faisant, le législateur aurait ajouté une nouvelle exception à la règle générale et quoique rien ne l’empêche d’en décider ainsi, s’il le souhaite, je suis d’avis que l’on ne peut inférer du texte de l’article 1480 C.c.Q. une telle intention de sa part. Je ne crois pas qu’il ait voulu aller au-delà de ce qui est nécessaire pour pallier à l’iniquité auquel peut parfois conduire la règle générale.
[54] En adoptant l’article 1480 C.c.Q., le législateur a tout simplement voulu codifier la jurisprudence, incluant celle recourant au concept d’aventure commune qui est maintenant qualifié de fait collectif fautif. Or, rappelons que ce concept n’était utilisé par les tribunaux que lorsqu’un seul dommage avait été causé, sans possibilité de démontrer la fraction de ce dommage causée par chacun des participants.
[55] Le législateur a d’ailleurs pris soin de préciser, au dernier membre de l’article 1480 C.c.Q., que la solidarité peut être imposée lorsqu’il n’est pas possible de déterminer quelle faute a causé le préjudice (« sans qu’il soit possible, dans l’un ou l’autre des cas, de déterminer laquelle l’a effectivement causé/and where it is impossible to determine, in either case, which of them actually caused the injury »). Ce faisant, je suis d’avis qu’il a manifesté son intention de ne pas rompre avec la jurisprudence antérieure et de n’imposer la solidarité que lorsque cela est nécessaire pour éviter une injustice pour la victime.
[56] Commentant cette disposition, lors de son adoption, le ministre de la Justice indiquait d’ailleurs que[10] :
Cet article nouveau règle le problème que pose sur le plan du partage de responsabilité, la survenance d’un préjudice provoqué par le fait collectif fautif de plusieurs personnes, ou par plusieurs fautes dont on ignore laquelle est causale, en retenant la responsabilité solidaire des auteurs du préjudice.
[57] La Ville, de son côté, soutient que l’exigence voulant qu’il ne doive pas être possible de déterminer quelle faute a causé le dommage ne s’applique, grammaticalement, qu’aux situations où des fautes distinctes ont été commises dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice et non à la situation où un fait collectif fautif est survenu.
[58] Encore une fois, je ne peux souscrire à cette proposition.
[59] Comme je viens de le mentionner, le texte de l’article 1480 C.c.Q. suggère que cette exigence s’applique à l’une et l’autre des situations qui y sont envisagées. La version française, compte tenu de sa syntaxe, peut possiblement être lue de la façon proposée par la Ville, mais la version anglaise, quant à elle, ne laisse, selon moi subsister aucun doute. Cette exigence s’applique aux deux situations dont il est fait mention.
[60] Cette interprétation, de plus, me paraît davantage conforme à l’esprit de notre système de responsabilité civile qui vise à indemniser la victime plutôt qu’à punir la personne fautive. Les exceptions au principe général voulant que l’on ne soit responsable que du dommage causé doivent, selon moi, être limitées aux situations où elles sont nécessaires pour prévenir une injustice, à moins évidemment que le législateur en décide autrement et qu’il ne l’exprime expressément et de façon non équivoque.
[61] L’article 1480 C.c.Q. ne constitue pas, à mon avis, l’expression claire et non équivoque du législateur de permettre de tenir solidairement responsables ceux qui participent à un fait collectif fautif alors même qu’il est possible de démontrer le dommage ou la partie du dommage causé par chacun d’eux.
[62] La Cour suprême du Canada semble également interpréter l’article 1480 C.c.Q. de cette façon puisqu’en obiter, le juge Gonthier, au nom de la Cour, écrit[11] :
[118] L’appelant cite l’art. 1480 C.c.Q. dans son argumentation sur le lien de causalité. Selon cet article, lorsqu’ils ont participé à un fait collectif fautif qui entraîne un préjudice ou qu’ils ont commis des fautes distinctes dont chacune est susceptible d’avoir causé le préjudice, les défendeurs sont tenus solidairement à la réparation du préjudice. Pour que cet article s’applique, le demandeur doit démontrer qu’il est impossible d’établir le lien de causalité entre le préjudice subi et un auteur particulier. Le scénario classique est celui où des chasseurs font feu simultanément et blessent le demandeur. C’était le cas dans Labelle c. Charette,[1960] B.R. 770, et Massignani c. Veilleux, [1987] R.R.A. 541 (C.A.), ainsi que dans l’arrêt de common law Cook c. Lewis, [1951] R.C.S. 830, dans lequel notre Cour juge que si la faute même des défendeurs empêche le demandeur d’établir le lien de causalité nécessaire avec l’auteur particulier de la faute, il y aura imputation d’une responsabilité collective car il serait injuste de laisser la victime sans recours. (Voir aussi A. Mayrand, « L’énigme des fautes simultanées » (1958), 18 R. du B. 1, et Baudouin et Deslauriers, op. cit., p. 348 et 370-371, pour une analyse doctrinale de la question). C’est dans des cas comme ceux-ci qu’il y a un véritable renversement du fardeau de la preuve, non pas sur la question du lien de causalité entre la faute et le préjudice, mais plutôt sur la question précise du lien entre le préjudice et l’auteur particulier du délit.
[119] Je suis d’accord avec le juge Morin dans Stéfanik c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis, [1997] R.J.Q. 1332, p. 1354-1355, lorsqu’il dit que l’art. 1480 C.c.Q. porte sur les modalités de la responsabilité civile plutôt que sur la preuve; en conséquence, cet article n’est pas applicable aux situations ayant pris naissance avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec. Le juge Morin mentionne à bon droit cependant que cela n’a pas beaucoup d’importance puisque l’art. 1480 a tout simplement codifié la règle formulée par la jurisprudence, dont je donne quelques exemples ci-dessus.
[120] Il n’y a aucune raison d’appliquer cette règle en faveur de l’appelant. Elle ne devrait s’appliquer que dans les cas où il est véritablement impossible de déterminer l’auteur du délit. Ce n’est pas le cas en l’espèce : le préjudice est imputable à l’accident ou à l’intimé, ou encore à une combinaison des deux, selon certaines proportions.
[Je souligne]
[63] Ici, la preuve, selon le premier juge, permet d’associer chacun des gestes posés par les intimés à un dommage spécifique représentant une fraction du préjudice subi par la Ville. Elle permet aussi d’en quantifier la valeur. Elle ne le permettait pas, dans le cas des intimés Jean-François Biddington Ciampini et Berardino Cipollone qui, ensemble, ont détruit une auto-patrouille et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle le juge les a justement tenus solidairement responsables de sa pleine valeur.
[64] Il peut sembler ironique que ce soit la qualité de la preuve offerte par l’appelante, consistant principalement en des bandes vidéos provenant de caméras de surveillance, qui la prive de la possibilité de bénéficier d’une condamnation solidaire. C’est toutefois la règle qui prévaut en vertu de l’article 1480 C.c.Q. et il n’y a pas lieu d’en décider autrement au motif que les fautes commises par les intimés l’ont été intentionnellement dans un contexte que tous réprouvent. Notre régime général de responsabilité civile est un régime compensatoire et il n’est pas approprié de lui donner un caractère punitif ou dissuasif pour la simple raison que les fautes commises sont particulièrement graves ou encore parce qu’elles sont commises à l’occasion d’un évènement collectif déplorable. Les dommages punitifs qui peuvent être octroyés en de telles circonstances, et qui l’ont été ici, jouent ce rôle. Il faut d’ailleurs rappeler que, n’eût été ces bandes vidéos, il aurait également été possible, pour les intimés, de faire la preuve du dommage ou de la fraction du préjudice causé par chacun d’eux et d’ainsi éviter une condamnation solidaire.
[65] Il n’y a pas lieu non plus d’appliquer l’article 1526 C.c.Q. qui vise des situations où des fautes contributoires ont causé le dommage ou lorsque celui-ci a été causé par une faute commune. Qu’il s’agisse d’une faute commune ou de fautes contributoires, l’article 1526 C.c.Q. ne s’applique que lorsqu’un seul dommage a été causé. Lorsqu’il est possible de déterminer le dommage ou la fraction du préjudice causé par chacune des parties, il n’est pas question d’un dommage unique et, partant, il n’est pas possible, ni même approprié, d’imposer la solidarité.
[66] Le juge a donc eu raison de conclure qu’il n’y avait pas lieu de tenir les intimés solidairement responsables de l’entièreté des dommages causés à l’auto-patrouille que chacun d’eux a, en partie, endommagée. C’est à bon droit, également qu’il a fait une distinction en ce qui concerne les intimés Biddington Ciampini et Cipollone, qui ont détruit une voiture de police ensemble.
[67] Les intimés Benjamin Kinal, Davide Lonardi et Éric Primeau, en plus de contester l’appel de la Ville, se sont portés appelants incidents.
[68] Messieurs Lonardi et Primeau mettent de l’avant deux moyens : 1) le juge a erré en concluant qu’ils ont porté atteinte intentionnellement aux droits de la Ville, et 2) le juge n’a pas considéré l’ensemble des critères devant être pris en compte tant pour l’octroi de dommages punitifs que pour la détermination de leur quantum.
[69] Monsieur Kinal, qui n’a pas été condamné à payer des dommages compensatoires, mais uniquement des dommages punitifs, soutient, quant à lui, que le juge a omis de tenir compte de son historique personnel et de sa situation qui, à son avis, font en sorte qu’il n’était pas opportun de le condamner à payer de tels dommages. Son comportement exemplaire, son absence de criminalisation et son cheminement professionnel, depuis les évènements, font en sorte, ajoute-t-il, que cette condamnation, qui se veut essentiellement dissuasive et préventive, est inutile. Le juge a donc erré, dit-il, en omettant de tenir suffisamment compte de ces facteurs.
[70] Le juge de première instance a eu le bénéfice d’entendre et d’apprécier toute la preuve présentée par les parties. Son jugement démontre d’ailleurs qu’il s’est livré à un exercice rigoureux et minutieux. Le fait que certains des intimés ne furent pas condamnés à payer des dommages compensatoires, mais uniquement des dommages punitifs, au motif que la preuve ne permettait pas de conclure que leurs gestes avaient causé des dommages aux autos-patrouille, illustre bien les nuances qu’il a faites et la rigueur dont il a fait preuve.
[71] Or, Il est clairement établi que la Cour ne doit intervenir quant à l’appréciation de la preuve et quant aux conclusions qui en furent tirées par le juge d’instance qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante. Elle doit s’abstenir d’intervenir pour simplement substituer son appréciation à celle du juge[12].
[72] Ici, les appelants incidents ne pointent aucune erreur manifeste et déterminante qui aurait été commise par le juge dans l’appréciation qu’il a faite de la preuve qui lui a été présentée. Ils se contentent, parfois sous le couvert d’arguments de droit, d’inviter la Cour à procéder à une nouvelle évaluation de la preuve pour conclure différemment du juge d’instance. Ce n’est pas le rôle de la Cour. D’ailleurs, tel que déjà mentionné, tout indique que le juge a fait, ici, un travail minutieux.
[73] Cette règle doit aussi être rigoureusement appliquée lorsque l’appelant (incident) s’en prend au montant de dommages punitifs auquel le juge le condamne. Le juge jouit en effet d’une grande discrétion à cet égard[13].
[74] La Cour, ainsi, n’interviendra pour modifier le montant de dommages punitifs auquel une partie est condamnée qu’en présence d’une erreur de droit ou si le montant déterminé par le juge n’a pas de lien rationnel avec les objectifs poursuivis par la condamnation à payer de tels dommages.
[75] La Cour suprême s’est exprimée ainsi à cet égard[14] :
L’erreur d’évaluation sera jugée sérieuse lorsqu’il sera établi que le tribunal de première instance a exercé sa discrétion judiciaire d’une façon manifestement erronée, c.-à-d. lorsque le montant octroyé n’était pas rationnellement relié aux objectifs de l’attribution de dommages-intérêts punitifs dans l’affaire dont il était saisi (St-Ferdinand, par.129; Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., 1997 CanLII 10209 (QCCA), [1998] R.J.Q. 47 (C.A.)).
[76] Ce n’est clairement pas le cas ici.
[77] Dans les circonstances, il n’y a rien qui justifie la Cour d’intervenir dans l’évaluation de la preuve faite par le premier juge, qui l’a conduit à condamner les appelants incidents à payer des dommages punitifs et à en fixer les montants comme il l’a fait.
[78] Pour ces motifs, je suggère de rejeter l’appel de la Ville de Montréal dans chacun des dossiers et l’ensemble des appels incidents, avec les frais de justice.
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MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A. |
[1] Paragr. 40 et 41 des jugements rendus en première instance.
[2] Jean Pineau et Serge Gaudet, Théorie des obligations, 4e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2001, n° 388, p. 668; Vincent Karim, Les obligations, 4e éd., vol. 1, Montréal, Éditions Wilson & Lafleur, 2015, n° 3454, p. 1483; Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, n° 1-680, p. 719. Voir également Massignani c. Veilleux, [1987] R.R.A. 541 (C.A.).
[3] Royale du Canada, cie d’assurance c. Légaré, [1991] R.J.Q. 91 (C.S.); Cusson c. Laxton, [1975] C.A. 648; Laxton c. Sylvestre, [1972] C.S. 297.
[4] Larouche c. Gravel, [1990] R.R.A. 53 (C.A.); Martel c. Hôtel-Dieu Saint-Vallier, [1968] B.R. 389, [1969] R.C.S. 745; Nobert c. Morais, [1956] B.R. 740.
[5] Labelle c. Charrette, [1960] B.R. 770; Gauthier c. Bérubé, [1960] C.S. 23; Massignani c. Veilleux, supra, note 2; J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 2, n° 1-724 et 1-725, p. 747-748.
[6] Dumont c. Desjardins, [1994] R.R.A. 459 (C.S.); Royale du Canada, cie d’assurance c. Légaré, supra, note 3; Gagné c. Monzerolle, [1967] B.R. 899; Dallaire c. Trépanier, [1961] C.S. 619.
[7] J.-P. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 2, no 1-680 et 1-720, p.719 et 744.
[8] Me Pierre Deschamps, La responsabilité civile extracontractuelle, Collection de droit Responsabilité, 2015-2016, École du barreau.
[9] J.-L. Baudouin, P. Deslauriers et B. Moore, supra, note 2, no 1-722, p. 746.
[10] Jean-Louis Baudouin et Yves Renaud, Code civil du Québec annoté, 17e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, art. 1480, annotations - commentaires du ministre de la Justice.
[11] St-Jean c. Mercier, [2002] 1 R.C.S. 491.
[12] J.G. c. Nadeau, J.E. 2016-290 (C.A.), 2016 QCCA 167, paragr. 75-79; Air Canada c. Québec (Procureure générale), J.E. 2015-1775 (C.A.), 2015 QCCA 1789, paragr. 49 et s.
[13] Provigo Distribution inc. c. Supermarché A.R.G. inc., [1998] R.J.Q. 47 (C.A.), p. 97- 98; Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville de), [2015] 2 R.C.S. 3, 2015 CSC 16, paragr. 161.
[14] Richard c. Time inc., [2012] 1 R.C.S. 265, 2012 CSC 8, paragr. 190.
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