Ferreira c. Tavares |
2015 QCCA 844 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-024942-146 |
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(500-11-047437-146) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 8 mai 2015 |
CORAM : LES HONORABLES |
JULIE DUTIL, J.C.A. |
APPELANTS |
AVOCAT |
CARLOS FERREIRA 4422970 CANADA INC.
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Me FRANÇOIS BEAUDRY (présent) (BCF s.e.n.c.r.l.)
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INTIMÉ |
AVOCAT |
MARINO TAVARES
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Me ANGELIKI PAPADIMITROPOULOS Me ROBERT PANCER (présent) (Phillips Friedman Kotler s.e.n.c.r.l.)
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MIS EN CAUSE |
AVOCAT |
F.M. RESTO DESIGN INC.
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Me BENOÎT BYETTE (Miller Thomson SENCRL / LLP)
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4144104 CANADA INC.
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En appel d'un jugement rendu le 19 novembre 2014 par l'honorable Guylène Beaugé de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL : |
Jugement interlocutoire - moyen déclinatoire rejeté |
Greffière d’audience : Marcelle Desmarais |
Salle : Antonio-Lamer |
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AUDITION |
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Suite de l'audition du 4 mai 2015. |
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Arrêt formel déposé ce jour - voir page 3. |
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Marcelle Desmarais |
Greffière d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] Les appelants Carlos Ferreira et 4422970 Canada inc. « 970 » se pourvoient contre un jugement de la Cour supérieure du district de Montréal rendu le 19 novembre 2014 (honorable Guylène Beaugé) qui rejette son moyen déclinatoire visant à renvoyer les parties devant un arbitre.
[2] Le contexte procédural qui donne lieu à ce jugement est, somme toute, relativement simple.
[3] Il a, comme toile de fond, un litige entre actionnaires. Celui-ci oppose un actionnaire minoritaire et ancien employé de la mise en cause F.M. Resto Design inc. « FM Resto », l’intimé Marino Tavares, à son actionnaire majoritaire, en l’occurrence 970 et le seul administrateur de FM Resto, Ferreira.
[4] Voici ce contexte.
[5] Le 8 octobre 2014, Tavares intente un recours en oppression fondé sur l’article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions « L.c.s.a. ».
[6] Dans le cadre de ce recours, Tavares adresse de nombreux reproches à Ferreira et 970. Ces blâmes couvrent un large éventail : harcèlement dont il aurait été victime à titre d’employé, malversations de Ferreira et de 970, non-respect des règlements corporatifs, appropriation non autorisée de ses droits sur des recettes, etc.[1]
[7] Quant aux remèdes recherchés, ils sont eux aussi nombreux et variés[2].
[8] Par exemple, il demande au tribunal d’ordonner à Ferreira de rembourser à FM Resto des prêts que celle-ci lui a consenti ou des avances effectuées à la société 970, de rembourser les dividendes de près de 2.5 millions $ qui lui ont été déclarées au cours de l’année 2012-2013, des dommages-intérêts de 250 000 $, le rachat de ses actions, etc.
[9] Plus encore, à titre subsidiaire, Tavares demande au tribunal de liquider la société.
[10] Le 19 novembre 2014, Ferreira et la société 970 présentent un moyen préliminaire en exception déclinatoire. Ils font valoir que le différend les opposant à Tavares est couvert par la clause compromissoire contenue à la convention unanime des actionnaires de FM Resto. Cette clause est rédigée ainsi :
26.1 Arbitrage
Les Parties reconnaissent que tout différend qui puisse survenir dans l’interprétation ou l’application de cette Convention doit être soumis à l’arbitrage conformément aux dispositions des articles 2638 et suivants du Code civil du Québec et des articles 940 et suivants du Code de procédure civile du Québec, à l’exclusion des tribunaux sauf dans les cas où le recours en injonction est permis par la loi. Les Parties doivent par ailleurs convenir d’un seul arbitre.
[soulignement ajouté]
[11] Le même jour, à l’issue de l’audience, la juge rejette cette demande.
[12] Elle estime que le litige dépasse le cadre de l’interprétation et de l’application de la convention unanime des actionnaires de FM Resto. À l’examen de la clause d’arbitrage, elle constate que les parties n’ont pas convenu de confier à un arbitre les pouvoirs dévolus au tribunal en vertu de l’article 241 L.c.s.a. :
[12] Il ressort clairement de la requête introductive d'instance amendée que le recours du demandeur est mixte. Il y allègue des faits qu'il qualifie à tort ou à raison de comportements oppressifs portant atteinte à ses droits comme actionnaire de la mise en cause. Il reproche également son congédiement. Cela ne suffit pas à donner juridiction à l'arbitre même si la Convention traite du retrait de l'actionnaire, car tout le litige survient sur un fond de conflit d'actionnaires. En effet, en substance, le demandeur estime s'être retrouvé écarté des affaires et des décisions de la société en sa qualité d'actionnaire minoritaire. Ainsi, les défendeurs réduisent erronément la portée du recours.
[13] En outre, un autre aspect important du litige concerne, de l'aveu même des défendeurs, une matière non couverte par la clause d'arbitrage, soit la question de la propriété intellectuelle du livre.
[13] La juge fonde sa décision sur les arrêts rendus par la Cour dans Camirand c. Rossi[3] et Acier Leroux inc c. Tremblay[4]. Rappelons que dans ces arrêts, la Cour a reconnu qu’un arbitre pouvait exercer les pouvoirs énoncés à l’article 241 L.c.s.a. dans les cas où la clause d’arbitrage lui accorde une telle compétence.
[14] Elle estime qu’en l’espèce, la clause d’arbitrage contenue à la convention d’actionnaires ne précise pas que les parties ont eu l’intention de renoncer à leur droit à l'obtention d'un redressement en cas d'oppression en vertu de l'article 241 L.c.s.a. et ainsi, d’accorder à un arbitre les pouvoirs prévus à cet article :
[14] Le Tribunal fait sienne la jurisprudence constante voulant que les parties ne puissent saisir un arbitre d'un recours en oppression qu'en présence d'une clause compromissoire explicite dénotant leur intention claire de renoncer à leur droit à l'obtention d'un redressement en cas d'oppression en vertu de l'article 241 de la Loi canadienne sur les sociétés par actions. En l'instance, l'article 26 de la Convention ne comporte pas une telle renonciation.
[15] En appel, Ferreira et la société 970, avec l’appui de FM Resto, font valoir que la juge aurait erré en refusant de renvoyer les parties devant l’arbitre, afin que celui-ci tranche la contestation portant sur sa compétence. Ils fondent leur position sur l’arrêt Dell Computer c. Union des consommateurs[5] de la Cour suprême.
[16] Ils rappellent qu’aucune règle d’ordre public n’empêche un arbitre de trancher un litige mettant en cause l’application de l’article 241 L.c.s.a., si la convention lui accorde un tel pouvoir[6]. Ils soutiennent qu’en l’espèce, la clause d’arbitrage applicable est suffisamment large pour couvrir une telle situation.
[17] Eu égard au contexte de la présente affaire, la Cour estime qu’il n’y pas lieu de renvoyer les parties devant l’arbitre afin qu’il se prononce sur sa compétence. Il y a plutôt lieu de trancher immédiatement cette question, et ce, à la lumière des pièces déposées au dossier.
[18] Voici pourquoi.
[19] Dans l’arrêt Dell Computer, la Cour énonce le principe général voulant qu’en présence d’une clause d’arbitrage, le tribunal doit renvoyer à l’arbitre toute contestation portant sur sa compétence au terme d’une telle clause, afin qu’il décide lui-même de cette question[7] :
84 Tout d’abord, il convient de poser la règle générale que, lorsqu’il existe une clause d’arbitrage, toute contestation de la compétence de l’arbitre doit d’abord être tranchée par ce dernier. […]
[20] Toutefois, cette règle n’est pas absolue.
[21] La Cour suprême prend soin de préciser que le tribunal peut, en certains cas, déroger à cette règle. Il en est ainsi lorsque cette contestation porte exclusivement sur une question de droit ou encore, sur des questions mixtes de droit et de fait qui n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier[8] :
84 […] Le tribunal ne devrait déroger à la règle du renvoi systématique à l’arbitrage que dans les cas où la contestation de la compétence arbitrale repose exclusivement sur une question de droit. Cette dérogation se justifie par l’expertise des tribunaux sur ces questions, par le fait que le tribunal judiciaire est le premier forum auquel les parties s’adressent lorsqu’elles demandent le renvoi et par la règle voulant que la décision de l’arbitre sur sa compétence puisse faire l’objet d’une révision complète par le tribunal judiciaire. De cette façon, l’argument de droit relatif à la compétence de l’arbitre sera tranché une fois pour toutes, évitant aux parties le dédoublement d’un débat strictement juridique. De plus, le risque de manipulation de la procédure en vue de créer de l’obstruction est amenuisé du fait que la décision du tribunal quant à la compétence arbitrale ne doit pas mettre en cause les faits donnant lieu à l’application de la clause d’arbitrage.
85 Si la contestation requiert l’administration et l’examen d’une preuve factuelle, le tribunal devra normalement renvoyer l’affaire à l’arbitre qui, en ce domaine, dispose des mêmes ressources et de la même expertise que les tribunaux judiciaires. Pour les questions mixtes de droit et de fait, le tribunal saisi de la demande de renvoi devra favoriser le renvoi, sauf si les questions de fait n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier.
86 Avant de déroger à la règle générale du renvoi, le tribunal doit être convaincu que la contestation de la compétence arbitrale n’est pas une tactique dilatoire et ne préjudiciera pas indûment le déroulement de l’arbitrage. Cette dernière exigence signifie que, même si le tribunal est en présence d’une des situations d’exception, il peut décider qu’il est dans l’intérêt du processus arbitral de laisser l’arbitre se prononcer en premier lieu sur sa propre compétence.
[soulignement ajouté]
[22] En somme, lorsque la contestation de la compétence de l’arbitre ne soulève que des questions de droit ou encore, des questions mixtes de droit et de fait peu complexes, la présentation d’un moyen déclinatoire constitue l’occasion propice de trancher, une fois pour toutes, la contestation portant sur la compétence de l’arbitre.
[23] En pareilles situations, l’expertise des tribunaux judiciaires peut justifier une dérogation à la règle générale.
[24] Cette dérogation à la règle générale présente un net avantage. Elle permet aux parties d’éviter le dédoublement d’un débat strictement juridique, lequel peut se produire lorsque la partie insatisfaite de la décision de l’arbitre sur la question de compétence en demande la révision au tribunal.
[25] Il faut en effet garder à l’esprit que le tribunal conserve, dans tous les cas, le pouvoir exclusif de réviser la décision d’un arbitre portant sur sa propre compétence, et ce, à la demande d’une partie (article 943.1 C.p.c.). Plus encore, les parties ne peuvent renoncer à ce droit d’appel ou de révision (article 940.2 C.p.c.).
[26] Le respect de la volonté des parties implique de déterminer rapidement l’étendue de la compétence de l’arbitre. Si la question surgit à l’occasion de la présentation d’un moyen déclinatoire, comme c’est le cas ici, et qu’un examen superficiel de la preuve documentaire suffit, le tribunal peut déroger à la règle générale.
[27] D’ailleurs, une telle dérogation respecte le principe de la proportionnalité prévu à l’article 4.2 C.p.c., lequel, faut-il rappeler, constitue l’un des principes directeurs de la procédure civile au Québec.
[28] En l’espèce, la contestation relative à la compétence de l’arbitre soulève des questions mixtes de droit et de fait. Par ailleurs, ces questions n’impliquent qu’un examen superficiel de la preuve documentaire au dossier, dont la convention unanime d’actionnaires. D’où l’intérêt de trancher les questions de compétence dès à présent.
[29] Comme l’a noté la juge, la clause d’arbitrage en litige ne confère pas à l’arbitre une compétence pour déterminer s’il y a eu des abus ou des injustices au sens de l’article 241 L.c.s.a. De même, elle ne lui accorde pas le pouvoir de rendre des ordonnances de redressement de nature injonctive, comme le requiert Tavares[9].
[30] Également, elle n’accorde aucune compétence à l’arbitre pour se saisir de la demande relative aux droits d’auteurs que Tavares prétend détenir sur les recettes, non plus qu’à l’égard de l’indemnité de 250 000 $ qu’il réclame à titre de délai congé pour la terminaison de son contrat de travail.
[31] Seule la question relative au rachat de ses actions est couverte par la clause d’arbitrage.
[32] Et encore, l’application de la convention d’actionnaire, et par voie de conséquence, la clause d’arbitrage, sur cet aspect du contentieux soulève une difficulté puisqu’aucune preuve documentaire ne démontre que la société 970 soit formellement partie à la convention d’actionnaires.
[33] En bref, pour conclure, la Cour est d’avis qu’il y a lieu de rejeter l’appel.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
[34] REJETTE l’appel, avec dépens.
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JULIE DUTIL, J.C.A. |
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JACQUES J. LEVESQUE, J.C.A. |
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JEAN-FRANÇOIS ÉMOND, J.C.A. |
Me François Beaudry
BCF s.e.n.c.r.l.
Procureur des appelants.
Me Angeliki Papadimitropoulos
Me Robert Pancer
Phillips Friedman Kotler s.e.n.c.r.l.
Procureurs de l'intimé.
Me Benoît Byette
Miller Thomson SENCRL / LLP
Procureur de la mise en cause
[1] Ces reproches sont plus amplement énoncés au paragraphe 118 de sa requête en oppression.
[2] Ces reproches sont plus amplement énoncés au paragraphe 119 de sa requête en oppression.
[3] Camirand c. Rossi, [2003] R.J.Q. 1081 (C.A.).
[4] Acier Leroux Inc. c. Tremblay, [2004] R.J.Q. 839 (C.A.).
[5] Dell Computer Corp. c. Union des consommateurs, [2007] 2 R.C.S. 801, 2007 CSC 34.
[6] Ibid, notes 3 et 4.
[7] Id., paragr. 84.
[8] Ibid., paragr. 84-86.
[9] Dans la requête en oppression, la majorité des conclusions recherchées par Tavares sont de nature injonctive. Il en est ainsi des ordonnances visant à forcer Ferreira et 970 à rembourser à FM Resto des avances, des prêts et des dividendes qui, en ce dernier cas, totalisent près de 2.5 millions $.
AVIS :
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