Potvin et Centre de services partagés du Québec
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2017 QCCFP 50 |
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COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DOSSIERS Nos : |
1301681 et 1301715 |
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DATE : |
2 novembre 2017 |
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DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF : |
Mathieu Breton |
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ALEXANDRE POTVIN SUZANNE MICHAUD |
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Appelants |
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CENTRE DE SERVICES PARTAGÉS DU QUÉBEC |
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Intimé |
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DÉCISION |
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(Article 35, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1) |
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L’APPEL
[1] M. Alexandre Potvin et Mme Suzanne Michaud déposent chacun un appel à la Commission de la fonction publique, en vertu de l’article 35 de la Loi sur la fonction publique[1] (Loi), pour contester leur échec à la procédure d’évaluation du processus de qualification interministériel en vue de la promotion no 63004PS93470001 - Une ou un cadre, classe 4, administré par le Centre de services partagés du Québec (CSPQ).
[2] Le CSPQ considère que M. Potvin et Mme Michaud n’ont pas réussi la procédure d’évaluation puisqu’ils n’ont pas atteint le seuil de passage de 173/300. En effet, ils ont chacun obtenu une note finale arrondie à l’unité de 172/300, soit la somme de 50,77/120 à l’Exercice de gestion - cadre, classe 4[2] et de 121,50/180 au Test de jugement situationnel - cadre, classe 4[3] (50,77 + 121,50 = 172,27).
[3] Pour leur part, les appelants estiment qu’on doit arrondir à l’unité le résultat de chacun des examens avant de les additionner (51 + 122 = 173) et qu’ils ont donc atteint le seuil de passage.
LES FAITS
[4] M. Danny Belzile, conseiller en stratégie d’évaluation depuis bientôt dix ans, travaille à la Direction des stratégies d’évaluation et de la planification de la main-d’œuvre du Secrétariat du Conseil du trésor (SCT). Cette direction fournit notamment des conseils aux autorités du SCT en matière de stratégie d’évaluation et contribue à l’établissement d’orientations gouvernementales dans le domaine de l’évaluation.
[5] M. Belzile explique que depuis l’entrée en vigueur de plusieurs changements dans le cadre normatif en matière de dotation, en mai 2015[4], le SCT a établi les nouvelles règles en matière d’arrondissement de résultats obtenus par des candidats à des moyens d’évaluation. Ces règles obligatoires sont appliquées de manière uniforme pour tous les processus de qualification de la fonction publique.
[6] Un seul système informatique centralisé est utilisé par tous les ministères et organismes de la fonction publique qui tiennent des processus de qualification. Les résultats obtenus par un candidat à chaque examen sont entrés dans ce système qui calcule lui-même la note finale, en tenant notamment compte de la valeur relative des examens.
[7] Pour chaque examen, le système arrondit à la deuxième décimale après la virgule. Les résultats de chaque examen comportant deux décimales sont ensuite additionnés pour donner la note finale qui est arrondie à l’unité. Lorsque les décimales sont égales ou supérieures à 0,5, la note finale est arrondie à l’unité supérieure et, inversement, pour des décimales inférieures à 0,5, la note finale est arrondie à l’unité inférieure.
[8] Le SCT a décidé d’arrondir à l’unité uniquement la note finale pour assurer une plus grande « précision de la mesure », c’est-à-dire de présenter de manière plus fidèle la performance des candidats. Cette orientation n’est basée sur aucun article précis de loi ou de règlement, mais plutôt sur les principes de la Loi comme l’équité et l’impartialité.
[9] Auparavant, soit d’au moins 2003 jusqu’à mai 2015, l’autorité qui administrait un concours pouvait arrondir à l’unité le résultat de chaque examen ou la note finale, soit la somme de l’addition de chaque résultat comportant deux décimales après la virgule. L’autorité accordait alors la note finale la plus élevée au candidat.
[10] M. Belzile explique qu’il existe très peu de littérature concernant l’arrondissement puisque c’est une notion mathématique « banale » et « triviale » qui est apprise à la fin de l’école primaire. Dans ce domaine, il indique avoir consulté un document disponible sur le Web émanant de l’Institut de psychologie René Descartes à Paris, dont il ignore l’auteur, ainsi que le témoignage de M. Pierre Valois, professeur titulaire à l’Université Laval au Département des fondements et pratiques en éducation de la Faculté de l’éducation, qui est rapporté dans la décision Massicotte et Secrétariat du Conseil du trésor[5].
[11] M. Potvin et Mme Michaud ont tous deux obtenu exactement les mêmes résultats, soit 50,77/120 à l’Exercice de gestion - cadre, classe 4 et 121,50/180 au Test de jugement situationnel - cadre, classe 4. Leur note finale est donc la somme de ces deux nombres, soit 172,27/300, ce qui fait 172/300 une fois arrondie à l’unité.
[12] Le seuil de passage de la procédure d’évaluation est de 173/300.
LES ARGUMENTATIONS
L’argumentation du CSPQ
[13] Le CSPQ indique que le fardeau de la preuve repose sur M. Potvin et Mme Michaud. Ils doivent démontrer que le processus de qualification est entaché d’une illégalité ou d’une irrégularité.
[14] La Commission ne peut intervenir que si la décision du CSPQ est arbitraire, déraisonnable, abusive ou discriminatoire.
[15] Le CSPQ ne nie pas que l’on procédait différemment auparavant en matière d’arrondissement de résultats. Par contre, la nouvelle façon de faire a « corrigé une erreur » puisqu’elle assure une plus grande précision. Il est en effet préférable d’arrondir le moins possible.
[16] En arrondissant à l’unité chacun des deux examens, il est possible de donner à la personne plus de points. En arrondissant à l’unité uniquement la note finale, le candidat se voit appliquer une « tolérance » d’un maximum de 0,5 point. En effet, il s’agit du maximum qu’une personne se verra accorder grâce à l’arrondissement.
[17] Cette méthode peut avantager certains candidats en leur permettant d’atteindre un nombre entier supérieur. Pour d’autres candidats, ils peuvent obtenir une note finale plus basse que si on avait arrondi à l’unité le résultat de chaque examen. Pour d’autres, la note finale sera la même, peu importe la méthode d’arrondissement appliquée.
[18] Il n’y pas de disposition dans la Loi ou le Règlement concernant le processus de qualification et les personnes qualifiées[6] qui traite spécifiquement de cette question. Par contre, c’est en respect des principes de la Loi, énoncés à son article 3, comme l’impartialité et l’équité que la méthode d’arrondissement retenue est appliquée uniformément à tous les candidats.
[19] Il y aura toujours des candidats très près du seuil de passage, ce n’est pas une raison de l’abaisser.
[20] Le CSPQ cite des décisions de la Commission en matière d’arrondissement de résultats[7].
[21] Il conclut qu’aucune illégalité ni irrégularité n’entache la procédure d’évaluation de M. Potvin et de Mme Michaud dans le cadre du processus de qualification contesté. La décision d’arrondir à l’unité uniquement la note finale n’est pas arbitraire, déraisonnable, abusive ou discriminatoire.
[22] Le CSPQ demande donc à la Commission de rejeter les appels de M. Potvin et de Mme Michaud.
L’argumentation de M. Potvin
[23] D’abord, M. Potvin commente les décisions citées par le CSPQ. Il souligne notamment qu’on ne peut pas transférer la preuve rapportée dans un autre dossier à la présente affaire.
[24] Il estime qu’un groupe de personnes est avantagé par rapport à un autre puisqu’on arrondit à l’unité uniquement la note finale. Si on arrondissait à l’unité le résultat de chaque examen ainsi que la note finale, personne ne serait désavantagé. C’est ce qui était fait auparavant et le CSPQ n’avait aucune raison valable de changer cette pratique.
[25] L’arrondissement des résultats n’est pas visé par un article de loi ou de règlement. Selon la hiérarchie des sources de droit, il faut donc s’en remettre à la coutume ou à l’usage, soit la pratique antérieure.
[26] Actuellement, la façon de faire est partiale et inéquitable, ce qui contrevient à l’article 49 de la Loi et ce qui constitue une illégalité ou une irrégularité au sens de l’article 35 de la Loi.
[27] Les sources sur lesquelles s’appuie M. Belzile en matière d’arrondissement ne sont pas probantes, notamment le document, dont il ignore l’auteur, qui provient d’un site Web.
[28] M. Potvin souligne que la Commission n’a rendu aucune décision en matière d’arrondissement de résultats concernant la nouvelle méthode instaurée en 2015 pour les processus de qualification.
[29] Le CSPQ dit avoir « corrigé une erreur », mais en fait il en a créé une en abandonnant une méthode qui était équitable pour tous les candidats.
[30] La seule façon de ne pas être imprécis est de ne pas arrondir du tout. Dès qu’on arrondit à l’unité, il faut le faire pour le résultat de chaque examen ainsi que pour la note finale afin de ne pénaliser personne.
[31] La décision d’arrondir à l’unité uniquement la note finale est arbitraire et déraisonnable puisqu’elle n’est pas justifiée.
[32] Il cite quelques décisions de la Commission traitant d’arrondissement de résultats[8].
[33] M. Potvin demande à ce que, en plus de l’arrondissement à l’unité de la note finale, le résultat de chacun de ses examens soit arrondi à l’unité.
[34] Il demande donc à la Commission d’accueillir son appel.
L’argumentation de Mme Michaud
[35] Mme Michaud considère qu’il faut prendre en compte que l’on fait partie d’une société qui veut favoriser la réussite.
[36] Elle juge non équitable la méthode actuelle d’arrondissement des résultats qui lèse certains candidats, dont elle.
[37] Elle estime que l’on devrait utiliser les deux méthodes d’arrondissement comme par le passé afin de s’assurer d’être équitable, juste et raisonnable pour tous.
[38] Elle demande à la Commission d’accueillir son appel.
LES MOTIFS
[39] Les articles 35 et 49 de la Loi prévoient :
35. Un candidat peut interjeter appel devant la Commission de la fonction publique s’il estime que la procédure utilisée pour son admission ou pour son évaluation dans le cadre d’un processus de qualification visant exclusivement la promotion a été entachée d’une irrégularité ou d’une illégalité. […]
49. Le président du Conseil du trésor détermine la procédure d’évaluation; celle-ci doit être de nature à permettre de constater impartialement la valeur des candidats.
[40] Suivant l’article 35 de la Loi, la Commission doit décider si la procédure utilisée pour l’évaluation de M. Potvin et de Mme Michaud au processus de qualification contesté est entachée d’une illégalité ou d’une irrégularité. Il appartient aux appelants d’en convaincre la Commission selon la règle de la prépondérance de la preuve.
[41] M. Potvin et Mme Michaud estiment injuste la méthode d’arrondissement retenue par le CSPQ. Ils considèrent qu’on doit, en plus d’arrondir à l’unité la note finale, arrondir à l’unité le résultat de chacun des examens avant de les additionner et qu’ils ont donc atteint le seuil de passage.
[42] La Commission ne peut toutefois pas accueillir leur appel.
[43] En effet, les appelants n’ont pas convaincu la Commission de manière prépondérante que la décision d’arrondir à l’unité uniquement la note finale est déraisonnable ou arbitraire.
[44] La Commission a déjà considéré à quelques reprises qu’il était raisonnable pour l’autorité administrant un concours d’arrondir à l’unité la note finale ainsi que le résultat de chaque examen. Depuis l’entrée en vigueur d’importantes modifications au cadre normatif en matière de dotation en mai 2015, la Commission ne s’est pas prononcée quant à l’orientation retenue par le SCT qui est appliquée à tous les processus de qualification, soit d’arrondir à l’unité uniquement la note finale.
[45] La Commission considère que cette nouvelle pratique ne constitue pas une illégalité ou une irrégularité puisqu’elle n’est pas déraisonnable ou arbitraire.
[46] D’ailleurs, en 2002, dans l’affaire Hélie, la Commission a rejeté le motif d’appel d’une candidate qui demandait d’arrondir à l’unité le résultat de chaque examen alors que l’autorité ayant administré le concours avait uniquement arrondi à l’unité la note finale. La Commission a alors estimé qu’il n’y a eu aucune irrégularité ou illégalité à cet égard[9].
[47] En matière d’arrondissement, la Commission a établi que ce qui compte, c’est de respecter l’article 49 de la Loi[10] :
Établissons d’abord que ni la Loi sur la fonction publique ni le Règlement sur la tenue de concours ne prévoient spécifiquement la possibilité ou l’interdiction d’arrondir les résultats des candidats à un moyen d’évaluation. La preuve démontre qu’il s’agit d’une pratique courante dans la procédure d’évaluation des candidats, introduite par l’autorité responsable qui tient un concours afin d’éviter de devoir transmettre aux candidats des résultats comprenant une décimale. Bien que cette pratique ne fasse l’objet d’aucune norme légale ou réglementaire spécifique, il n’en demeure pas moins qu’elle ne doit pas être appliquée de manière telle qu’elle puisse faire obstacle au fait de constater impartialement la valeur des candidats, tel que le prescrit l’article 49 de la Loi […]
[48] Dans la présente affaire, la méthode d’arrondissement retenue a été appliquée uniformément à tous les candidats. La Commission estime donc que la procédure d’évaluation a permis de constater impartialement la valeur des candidats, conformément à l’article 49 de la Loi.
[49] Par ailleurs, la Commission juge raisonnable que la méthode d’arrondissement retenue ne permette d’accorder qu’un maximum de 0,5 point à un candidat par rapport à sa note finale non arrondie.
[50] En conséquence, la Commission ne décèle aucune irrégularité ou illégalité dans la procédure utilisée pour l’évaluation de M. Potvin et de Mme Michaud au processus de qualification contesté.
POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :
REJETTE l’appel de M. Alexandre Potvin;
REJETTE l’appel de Mme Suzanne Michaud.
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Original signé par :
__________________________________ Mathieu Breton |
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Me Christine Beaulieu Procureure de M. Alexandre Potvin |
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Appelant |
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Mme Suzanne Michaud |
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Appelante |
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Me Claire Lapointe |
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Procureure du Centre de services partagés du Québec |
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Intimé |
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Lieu de l’audience : Québec |
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Date de l’audience : 6 octobre 2017 |
[1] RLRQ, c. F-3.1.1.
[2] Moyen d’évaluation no EGC4-1411-01E.
[3] Moyen d’évaluation no TJSC4-1411-01E.
[4] Depuis le 29 mai 2015, la notion de « concours » a été remplacée par celle de « processus de qualification » en raison de l’entrée en vigueur de plusieurs articles de la Loi modifiant la Loi sur la fonction publique principalement en matière de dotation des emplois (LQ 2013, c. 25), conformément au Décret 368-2015 du 29 avril 2015.
[5] Massicotte et Secrétariat du Conseil du trésor, 2006 CanLII 60352 (QC CFP), p. 18-24.
[6] RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.1.
[7] Hélie et Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, 2002 CanLII 49206 (QC CFP); Massicotte et Secrétariat du Conseil du trésor, préc., note 5.
[8] Potvin et Ministère de la Sécurité publique, 2016 QCCFP 6, par. 5, 6 et 51; Massicotte et Secrétariat du Conseil du trésor, préc., note 6; L'Hérault et Commission des normes du travail, 2006 CanLII 60360 (QC CFP); Casandroiu et Ministère du Revenu, 2004 CanLII 59906 (QC CFP); Gélinas et Ministère du Revenu, 2003 CanLII 57272 (QC CFP).
[9] Hélie et Ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, préc., note 7, p. 25.
[10] Massicotte et Secrétariat du Conseil du trésor, préc., note 5, p. 50.
AVIS :
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