Décision

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Charbonneau c. Moreau

2014 QCCA 1425

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-09-021695-119

(705-17-003507-108)

 

DATE :

 Le 29 juillet 2014

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

BENOÎT MORIN, J.C.A.

PAUL VÉZINA, J.C.A.

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

 

CLAIRE CHARBONNEAU

et

MARTIAL TURCOTTE

APPELANTS - Demandeurs

c.

 

GEORGES MOREAU

INTIMÉ - Défendeur

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu oralement le 14 avril 2011 par la Cour supérieure, district de Joliette (l’honorable Chantal Corriveau), qui a accueilli en partie seulement leur requête pour jugement déclaratoire.

[2]           Pour les motifs du juge Fournier, auxquels souscrivent les juges Morin et Vézina, LA COUR :

[3]           ACCUEILLE l’appel;

[4]           INFIRME en partie le jugement de la Cour supérieure;

[5]           DÉCLARE que le « droit de passage de huit pieds de largeur » établi par l’acte de vente du 29 juin 1945 publié sous le numéro 77058 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette, constituait une servitude personnelle établie au seul bénéfice du Père Bisharas Thalge et que l’intimé ne bénéficie pas de ce droit de passage;

[6]           ORDONNE à l’intimé de démolir le quai qu’il utilise en bordure du Lac Pierre vis-à-vis du fonds désigné comme le fonds servant dans les motifs du juge Fournier et d’enlever tout objet lui appartenant et se trouvant sur ce fonds, et ce, dans les 60 jours du présent arrêt;

[7]           LE TOUT, sans frais, tant en appel qu’en première instance.

 

 

 

 

BENOÎT MORIN, J.C.A.

 

 

 

 

 

PAUL VÉZINA, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 

Me Isabelle Bourcier

Bourcier Robichaud

Pour les appelants

 

Me David Couturier

Dunton Rainville

Pour l’intimé

 

Date d’audience :

2 décembre 2013


 

 

 MOTIFS DU JUGE FOURNIER

 

 

[8]           Il s’agit de l’appel d'un jugement rendu oralement le 14 avril 2011 par la Cour supérieure, district de Joliette, qui accueille en partie la requête pour jugement déclaratoire des appelants, sans frais, déclare que l'intimé ne peut installer une clôture sur le fonds servant appartenant aux appelants, déclare que l'intimé ne peut y laisser des objets en permanence et déclare qu'il peut uniquement couper le gazon sur une largeur maximale d'un demi-mètre en bordure du Lac Pierre. La Cour supérieure permet, par ailleurs, à l'intimé de conserver son quai situé en bordure du fonds servant.

LE CONTEXTE

[9]           Il s'agit d'un litige entre les nouveaux propriétaires d'un fonds dit servant et le propriétaire d'un fonds dit dominant, si tant est qu’il y a servitude. Le tout se déroule au Lac Pierre, à Saint-Alphonse-de-Rodriguez dans la région de Lanaudière.

[10]        Le fonds servant est un petit terrain riverain au Lac Pierre. Il mesure environ 30 pieds par 30 pieds. Il est bordé d'un côté par la rive du lac et de l’autre par le chemin du Lac Pierre Nord. Il est aussi limitrophe à deux autres propriétés riveraines qui sont étrangères au litige. Il appartient à Claire Charbonneau et à Martial Turcotte, les appelants, depuis 2004[1].

[11]        Voici comment est désigné le terrain dans l’acte de vente du 5 avril 2004 :

Un terrain situé en la municipalité de Saint-Alphonse-Rodriguez, de figure irrégulière, connu et désigné comme étant une partie du lot originaire numéro VINGT-QUATRE B (Ptie 24 B) du RANG 1 du Canton Cathcart, au cadastre officiel de la Paroisse de St-Alphonse de Rodriguez, circonscription foncière de Joliette; cette dite partie de lot est bornée au Nord-Ouest par le Chemin du Lac Pierre Nord (montré à l’originaire), au Nord-Est et au Sud-Ouest par des parties dudit lot 24B, et généralement au Sud-Est par le Lac Pierre, le tout au premier rang du Canton Cathcart au cadastre officiel de la Paroisse de Saint-Alphonse de Rodriguez, circonscription foncière de Joliette, mesurant dans sa ligne Nord-Est, du point A jusqu’au point B, une distance de neuf mètres et quatre-vingt-treize centièmes (9,93 m. soit 32.59 pieds) suivant un gisement de 23555’ 58"; dans sa ligne généralement Sud-Est mesurée suivant la courbe sinueuse du Lac Pierre, du point B jusqu’au point C, une distance de neuf mètres et soixante-six centièmes (9,66 m. soit 31,69 pieds); dans sa ligne Sud-Ouest, du point C jusqu'au point D, une distance de dix mètres et vingt et un centièmes (10,21 m. soit 33.50 pieds) suivant un gisement de 54o 36’ 56"; dans sa ligne Nord-Ouest, du point D jusqu'au point A, une distance de neuf mètres et trente-six centièmes (9,36 m. soit 30.70 pieds) suivant un gisement de 145o 55’ 58", et contenant quatre-vingt-sept mètres carrés et deux dixièmes (87,2 m.c. soit 938.6 pieds carrés en superficie).

Rattachement : - Le coin Nord dudit terrain ou point A, point de départ de la présente désignation apparaissant au plan de la description technique ci-après mentionnée, est situé à une distance de vingt-deux mètres et vingt-sept centièmes (22,27 m. soit 73.07 pieds) du coin Ouest du lot 24B-5 rang 1 Canton Cathcart du cadastre officiel de la Paroisse de St-Alphonse de Rodriguez, circonscription foncière de Joliette, ou point M de ladite description technique, suivant un gisement de 336o 29’ 43".

Sans bâtisse.

Tel que décrit et montré à une description technique et plan y joint préparés par Monsieur Sylvain Gadoury, arpenteur-géomètre, en date du dix-neuf (19) février deux mille quatre (2004) sous le numéro 6385 de ses minutes, dossier numéro : G-9361, plan numéro : FG-6385, dont copie conforme demeure annexée à la minute des présentes après avoir été reconnue véritable et signée pour identification par les parties en présence du notaire soussigné.

[12]        Les appelants possèdent aussi un terrain situé à proximité du fonds servant et n'ayant pas d'accès direct au lac[2]. Ils y vivent de manière permanente depuis 2007. Ce terrain est acheté au même moment que le fonds servant qui doit leur servir de plage et d'accès au lac.

[13]        Le fonds dominant est un terrain situé de l'autre côté du chemin du Lac Pierre Nord, directement en face du fonds servant. L'intimé Georges Moreau est le propriétaire depuis 1978[3].

Les faits

[14]        Je dresse en premier lieu la chaîne des titres de propriété du fonds servant et du fonds dominant. Ensuite, je passerai en revue la preuve testimoniale.

[15]        En 1945, Émélie Marchand Payette est propriétaire du fonds servant et du fonds dominant.

[16]        Le 29 juin 1945, elle vend le fonds dominant au Père Bisharas Thalge. Voici les passages pertinents de l’acte de vente concernant la description du terrain vendu et les droits s’y rattachant[4] :

Un TERRAIN connu et désigné comme faisant partie des lots numéros VINGT-TROIS B et VINGT-QUATRE B (p. 23b & p. 24b) du premier rang du Canton Cathcart, aux plan et livre de renvoi officiels de la paroisse de St-Alphonse de Rodriguez, mesurant trente-quatre pieds de front sur le chemin public et cent cinquante pieds de largeur à la profondeur, qui est de deux cent soixante-cinq pieds dans la ligne nord-est et de trois cent quarante pieds dans la ligne sud-ouest et borné comme suit : en front par le chemin public, en profondeur par le terrain restant appartenir à Blanche Payette et Albert Payette, d’un côté par un chemin existant entre le terrain présentement vendu et celui appartenant à Origène Renaud et de l’autre côté par le terrain de Léo Ouellette, avec les bâtisses y érigées.

Avec droit de passage en commun avec les autres y ayant droit dans le chemin privé ci-dessus mentionné.

Ladite Dame Émélie Marchand accorde en outre audit acquéreur un droit de passage de huit pieds de largeur sur le terrain lui appartenant entre le chemin public et le Lac Pierre pour communiquer au Lac Pierre.

[17]        Il y a lieu de préciser que c’est le dernier alinéa cité ci-dessus qui vise la servitude faisant l’objet du litige.

[18]        Ni l'assiette de la servitude ni le fonds servant ne sont précisés. Cependant, les parties semblent s'entendre que c'est le fonds servant en litige.

[19]        Le 7 octobre 1948, le Père Thalge vend le fonds dominant à Jean-Baptiste Chevrier, avec la mention « Tel que le tout se trouve actuellement, avec les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes, attachées audit immeuble »[5].

[20]        Le 31 mai 1955, Jean-Baptiste Chevrier vend le fonds dominant à Gilberte Laporte, épouse de J.A. Xavier Brisebois. La servitude est décrite en référence à l'acte de 1945[6] :

 

Avec droit de passage dans une lisière de huit pieds de largeur entre le chemin public et le Lac Pierre pour communiquer au Lac Pierre, tel que mentionné dans l'acte de vente par Dame Émélie Marchand Payette et autres à Père Bisharas Thalge en date du 29 juin 1945, enregistré à Joliette sous No. 77058.

[21]        L'acte prévoit aussi la vente d'un puits situé sur cette lisière de huit pieds de largeur[7].

[22]        Le 15 août 1968, à la suite du décès d'Émélie Marchand Payette, ses héritiers vendent le fonds servant à l'un d'entre eux, Blanche Payette. L'acte publié contient une mention générale de servitude[8] :

Tel que le tout se trouve présentement avec toutes les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes attachées auxdits immeubles, sans exception ni réserve et notamment avec tout droit de passage auxdits immeubles qu'ont ou peuvent avoir les vendeurs ou certains d'entre eux, pour communiquer les dits terrains au chemin public.

[23]        Le 12 octobre 1978, J.A. Xavier Brisebois succède à son épouse et la propriété du fonds dominant lui est transférée. Le titre publié décrit ainsi la servitude[9] :

Avec droit de passage dans une lisière de huit pieds de largeur entre le chemin public et le Lac Pierre pour communique [sic] au Lac Pierre, tel que mentionné dans l'acte de vente par Dame Émilie [sic] Marchand Payette et autres à Père Bisharas Thalge en date du vingt-neuf juin mil neuf cent quarante-cinq, enregistré au bureau d'enregistrement de Joliette sous le numéro 77,058.

[24]        Le même jour, J.A. Xavier Brisebois vend le fonds dominant à son gendre, l'intimé. La servitude est décrite de la même manière que dans l'acte précédent[10]. L'acte de vente prévoit aussi la vente du puits existant dans cette lisière de huit pieds. Il prévoit aussi le transfert des droits du vendeur dans le quai : « Inclus dans cette vente, les droits du vendeur dans un bail ou convention avec le ministère des Richesses naturelles pour l'utilisation d'un quai sur le bord du Lac en face du terrain vendu »[11]. C’est la première fois dans les titres que l’existence d’un quai est mentionnée.

[25]        Finalement, le 5 avril 2004, les appelants achètent de Blanche Payette le fonds servant. Voici le texte de la servitude de cet acte publié[12] :

Tel que le tout se trouve présentement avec les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes, inhérentes audit immeuble, et notamment sujet aux droits et/ou servitudes de passage et de plage publiés au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Joliette et notamment, sujet à la servitude réelle et perpétuelle de passage et de plage à l'encontre de ladite partie du lot 24B rang 1 sur une lisière de quinze pieds (15') afin de communiquer au Lac Pierre en commun avec ceux y ayant droit et à frais communs créée et tel que plus amplement mentionnée en l'acte publié au bureau de la publicité des droits de la circonscription foncière de Joliette sous le numéro : 290246 et mentionnée en l'acte publié audit bureau de Joliette sous le numéro : 311046, et également sujet ladite partie du lot 24B rang 1 à un droit de passage d'une largeur de huit pieds (8') pour communiquer au Lac Pierre avec droit de se raccorder au puits s'y trouvant créé et tel que plus amplement mentionné en l'acte publié audit bureau de Joliette sous le numéro:-77058 et mentionné en l'acte publié audit bureau de Joliette sous le numéro:-206314.

[Je souligne]

[26]        En effet, le fonds servant est possiblement affecté de plusieurs droits de passage, dont celui de quinze pieds et l’autre de huit pieds en litige. L’acte de vente précise toutefois et immédiatement à la suite de la description de la servitude que c’est :

Sans admission ni renonciation de la part des parties au bénéfice de la prescription ou à tous les droits et recours qu’ils pourraient être habilités à faire valoir à l’encontre des servitudes, droits et conventions possibles ci-dessus relatés.

[27]        Le propriétaire du fonds dominant utilise un quai situé dans la continuité du fonds servant depuis des décennies. Jean-Baptiste Chevrier, J.A. Xavier Brisebois et l'intimé l'ont utilisé à tour de rôle. L'intimé et ses proches l'utilisent toujours.

[28]        Durant l'été 1967, un représentant du ministère des Richesses naturelles du Québec détecte la présence du quai situé dans la continuité du fonds servant et identifie J.A. Xavier Brisebois comme étant l’utilisateur de ce quai. Une représentante du Centre d'expertise hydrique du Québec témoigne à l'audience que c'est lui qui a été identifié comme étant le propriétaire riverain en 1967 par le représentant du gouvernement. En effet, le gouvernement du Québec voulait délivrer des permis d'occupation pour l'utilisation de quais sur les rives des lacs de la région. Brisebois n’est pas, du moins au sens strict, un propriétaire riverain.

[29]        À ce sujet, Monique Brisebois Moreau, épouse de l’intimé et fille de J.A. Brisebois, témoigne qu'elle était présente lors d'une visite du représentant du gouvernement à l'été 1968. Elle a été témoin d'une rencontre entre son père, le représentant du gouvernement et Blanche Payette. Elle rapporte que son père lui a expliqué qu'étant donné que le quai lui appartenait, Blanche Payette lui a demandé de payer pour le permis. En conséquence, parce que le chalet était au nom de la mère de Monique Brisebois Moreau, c'est cette dernière qui a payé le permis.

[30]        Ce permis consenti à perpétuité est, en quelque sorte, l’ancêtre du bail hydrique alors que le gouvernement concède à des riverains un droit d’occupation sur des parties de lac appartenant au domaine public.

[31]        Le permis d'occupation nécessaire au maintien du quai est délivré le 2 décembre 1968. Il est donc à perpétuité. Il a été envoyé à J.A. Brisebois et délivré au « propriétaire du/des lot(s) riverain(s) 24-B, rang 1, canton de Catheart ».

[32]        Comme expliqué précédemment, les appelants acquièrent le fonds servant en 2004. C'est à compter de 2007 qu'ils s'établissent de manière permanente sur un terrain proche du fonds servant. C'est aussi à compter de 2007 qu'ils s’intéressent à la présence du quai.

Procédures

[33]        Les appelants déposent une requête introductive d'instance en jugement déclaratoire le 25 mai 2010. Ils demandent notamment au tribunal de déclarer que l'intimé ne peut ni installer d'ouvrage sur le fonds servant ni y installer un quai. Ils cherchent aussi à définir l'assiette du droit de passage.

[34]        L'intimé répond qu'en achetant le fonds dominant, il a acquis le droit d'avoir un quai suivant le permis d'occupation, que ce droit est dûment publié et que la servitude et le quai sont utilisés depuis 1955.

[35]        Au procès, on convient que le litige concerne la détermination de l'assiette de la servitude de passage et la présence du quai. Les appelants reconnaissent le droit de passage d'une lisière de huit pieds de largeur à l'intimé.

JUGEMENT DONT APPEL

[36]        La juge présente d'abord la chaîne des titres de propriété, en signalant que l’acte de vente du 7 octobre 1948 n’a pas été déposé en preuve, mais qu’on en fait mention dans l’acte de vente du 31 mai 1955.

[37]        Ensuite, elle infère des témoignages que Blanche Payette (l'ancienne propriétaire du fonds servant) a autorisé J.A. Xavier Brisebois (l'ancien propriétaire du fonds dominant) à obtenir un permis pour conserver un quai de façon perpétuelle.

[38]        Elle explique ensuite qu'elle doit se rapporter à l'acte créant la servitude. Elle indique que l'acte de vente du fonds dominant de 1945 crée la servitude de passage. Elle identifie aussi l'acte de 1978 comme étant le seul titre publié faisant référence à un quai.

[39]        La juge estime que le fonds servant, selon l'acte de vente de 2004, est assujetti aux servitudes décrites aux actes de vente du fonds dominant de 1945 et de 1978, car le titre de 2004 renvoie à ces deux actes. Elle est d'avis que Blanche Payette en assujettissant ainsi l'acte de vente aux actes du fonds dominant et en permettant en 1968 au propriétaire du fonds dominant d'acquérir le permis a exprimé l'intention de couvrir le quai par le droit de passage. Pour elle, dans ce « cas très particulier », le quai est couvert par le droit de passage[13].

[40]        La cause est inscrite en appel le 12 mai 2011.

LES MOTIFS D’APPEL

[41]        Les appelants énoncent huit reproches :

1.         La juge a omis de prendre en considération la présence d'un droit de passage devant s'exercer en commun avec les autres y ayant droit dans l'appréciation des faits et du droit.

2.         La juge a omis d'analyser s'il s'agissait d'un droit personnel ou réel.

3.         La juge a erré en ne distinguant pas le droit de passage sur une largeur     de huit pieds du droit de passage devant s'exercer en commun et du droit    de passage dans un chemin privé.

4.         La juge a erré en mentionnant que le permis pour y laisser un         débarcadère avait été émis à madame Gilberte Brisebois.

5.         La juge a erré en statuant que madame Blanche Payette avait autorisé      monsieur Brisebois en 1967 et en 1968 à obtenir un permis pour y      conserver un quai de façon perpétuelle.

6.         La juge a erré en statuant que l'acte publié sous le numéro 206314             donnait un droit réel et un maintien de son droit au quai.

7.         La juge a erré en statuant que l'intention de madame Payette était claire     quant à l'utilisation du droit de passage en litige.

8.         La juge a erré en concluant que puisque le droit de passage en litige          s'exerçait depuis 55 ans au même endroit, il n'y avait pas lieu de le     déplacer.

PRÉTENTIONS DES PARTIES

Les appelants

[42]        Comme moyen principal, les appelants prétendent que la servitude réelle de passage n’existe pas. Se référant à l’acte constitutif de 1945, ils plaident que le droit en question n’est qu’un droit personnel ou qu’une servitude personnelle. Ce droit aurait été octroyé au Père Thalge en 1945 à titre personnel et n’aurait pas été transmis aux propriétaires subséquents du fonds dominant. Selon les appelants, l’utilisation des termes « audit acquéreur » milite en faveur de l’existence d’une obligation personnelle. Le fait que le Père Thalge ait vendu son fonds en 1948 sans y mentionner le droit de passage indiquerait qu’il s’agissait d’une obligation personnelle dont lui seul était titulaire.

[43]        Les appelants avancent l’hypothèse que ce droit aurait été octroyé au Père Thalge pour puiser de l’eau et que la créancière agissait ainsi « en bonne chrétienne ». En outre, l’acte de 1945 n’identifie pas clairement le fonds servant.

[44]        Ils plaident qu’un geste de tolérance de la propriétaire antérieure du fonds servant ne peut conférer une servitude.

[45]        Comme moyen subsidiaire, les appelants font valoir que le droit se limite à un droit de passage ou d’accès au lac. Selon eux, la juge de première instance aurait erré en interprétant les actes et les faits autrement. En outre, ils plaident que le quai n’est pas un accessoire nécessaire à l’exercice du droit de passage. Ils plaident aussi que la juge erre en accordant de l’importance au permis conféré par le Ministère.

[46]        Ils demandent donc à la Cour de déplacer l’assiette de la servitude pour que tous puissent bénéficier d’un accès décent au lac.

L'intimé

[47]        L’intimé fait valoir que les appelants ont admis l’existence d’un droit de passage d’une largeur de huit pieds vers le lac. Selon eux, les seuls éléments en litige en première instance étaient de déterminer si l’intimé avait droit au quai et si on devait déplacer l’assiette de la servitude. En conséquence, l’intimé plaide qu’il ne faut pas déterminer si la servitude était une servitude réelle ou personnelle.

[48]        À cet égard, il estime que l’acte de 1945 et les actes subséquents sont clairs et que la juge a eu raison de ne pas les interpréter. En outre, il plaide que le droit de passage a toujours été exercé au même endroit depuis plus de 50 ans.

[49]        Pour ce qui est du droit au quai, l’intimé rappelle que la juge a retenu la preuve concernant la rencontre en 1967-1968 entre Blanche Payette, le propriétaire du fonds dominant et l’agent du gouvernement. Selon lui, Blanche Payette a permis ainsi l’utilisation du quai. Il s’agirait d’un acte récognitif. D’ailleurs, l’inscription du permis du ministère des Richesses naturelles pour l’utilisation du quai serait l’expression d’un droit dûment inscrit au registre foncier.

ANALYSE

[50]        Le pourvoi pose essentiellement une question d’interprétation de l’acte constitutif de la servitude. À mon avis, le nœud du litige est de qualifier le droit octroyé dans l’acte de 1945. S’agit-il d’une servitude réelle ou plutôt d’une servitude personnelle ou d’un autre droit personnel? La preuve permet-elle de conclure qu’une servitude réelle a été octroyée subséquemment au propriétaire du fonds dominant? Si la servitude réelle existe, emporte-t-elle l’utilisation d’un quai? Cette servitude est-elle opposable aux appelants?

[51]        Si j’en viens à la conclusion que l’acte de vente de 1945 ne conférait aucun droit réel, la discussion des autres questions devient inutile. Je m’explique.

[52]        Le quai est situé dans la continuité de ce que les parties ont considéré comme étant l’assiette de la servitude alléguée. S’il n’y a pas de servitude, alors la question du quai devient sans objet.

[53]        À l’audience, les avocats en ont convenu.

[54]        À mon avis et avec respect, le jugement contient des erreurs qui le rendent sujet à révision en appel.

[55]        Dans un premier temps, je dirai qu’en application de l’article 2 de la Loi sur l’application de la réforme du Code civil[14], c’est le Code civil du Bas-Canada qui s’applique :

2. La loi nouvelle n'a pas d'effet rétroactif : elle ne dispose que pour l'avenir.

 

Ainsi, elle ne modifie pas les conditions de création d'une situation juridique antérieurement créée ni les conditions d'extinction d'une situation juridique antérieurement éteinte. Elle n'altère pas non plus les effets déjà produits par une situation juridique.

 

2. The new legislation has no retroactive effect; it applies only to the future.

 

It does not, therefore, change the conditions for creation of a previously created legal situation, nor the conditions for extinction of a previously extinguished legal situation, and it does not alter the effects already produced by a legal situation.

 

[56]        Cette précision n’a pas d’impact sur le sort de l’appel, mais je tiens à la faire.

Dispositions législatives

[57]        L’article 499 du Code civil du Bas-Canada définissait ainsi la servitude :

499. La servitude réelle est une charge imposée sur un héritage pour l'utilité d'un autre héritage appartenant à un propriétaire différent.

[58]        L’article 549 du Code civil du Bas-Canada prévoit qu’une servitude ne peut s’établir sans titre et ne peut s’acquérir par prescription :

549. Nulle servitude ne peut s'établir sans titre; la possession, même immémoriale, ne suffit pas à cet effet.

[59]        Ces articles ont été remplacés par les articles 1177 et 1181 du Code civil du Québec :

1177. La servitude est une charge imposée sur un immeuble, le fonds servant, en faveur d'un autre immeuble, le fonds dominant, et qui appartient à un propriétaire différent.

 

Cette charge oblige le propriétaire du fonds servant à supporter, de la part du propriétaire du fonds dominant, certains actes d'usage ou à s'abstenir lui-même d'exercer certains droits inhérents à la propriété.

 

La servitude s'étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice.

 

1181. La servitude s'établit par contrat, par testament, par destination du propriétaire ou par l'effet de la loi.

 

Elle ne peut s'établir sans titre et la possession, même immémoriale, ne suffit pas à cet effet.

1177. A servitude is a charge imposed on an immovable, the servient land, in favour of another immovable, the dominant land, belonging to a different owner.

 

Under the charge the owner of the servient land is required to tolerate certain acts of use by the owner of the dominant land or himself abstain from exercising certain rights inherent in ownership.

 

A servitude extends to all that is necessary for its exercise.

 

1181. A servitude is established by contract, by will, by destination of the owner or by operation of law.

 

It may not be established without title, and possession, even immemorial, is insufficient for this purpose.

Analyse

[60]        La servitude réelle est une charge imposée sur un immeuble (le fonds servant) en faveur d’un autre immeuble (le fonds dominant) (art. 499 C.c.B.-C.).

[61]        Le professeur Pierre-Claude Lafond identifie ainsi les six attributs de la servitude dans son ouvrage Précis de droit des biens[15] :

À partir de ces conditions, on peut dégager les caractères suivants de la servitude. Il s’agit d’un droit immobilier (A.), accessoire d’un fonds (B.), perpétuel (C.), indivisible (D.), qui confère un usus non exclusif (E.) et une charge passive (F.). Les conditions de Cardinal s’y retrouvent toutes, sous une forme ou sous une autre. Cette liste d’attributs révèle toute son importance lorsqu’on a à qualifier un acte ou une convention entre voisins.

[62]        La servitude réelle est donc créée dans l’intérêt d’un fonds et pour l’avantage du propriétaire de ce fonds[16]. Ce droit suit le bien, c’est-à-dire le fonds, qu’importe en quelle main il passe. Il est donc perpétuel en raison de son caractère d’accessoire au droit de propriété, lui-même étant un droit de nature perpétuel[17]. Depuis la réforme du Code civil, la perpétuité de la servitude est reconnue à l’article 1182 C.c.Q.

[63]        L’établissement d’une servitude nécessite un titre, tel un contrat (article 549 C.c.B.-C., maintenant article 1181 al. 1 C.c.Q.). Celui-ci peut être écrit ou verbal. Dans ce dernier cas, il s’établit par présomption de fait. En conséquence, la servitude ne s’établit pas par possession ou par tolérance du propriétaire du fonds servant[18].

[64]        À noter que la survie d’une servitude ne dépend pas de son inscription dans des actes subséquents[19]. Ainsi, pour qualifier la nature d’une servitude et en connaître la véritable portée, il est nécessaire d’examiner l’acte constitutif[20].

[65]        Étant un droit réel immobilier, la servitude est soumise à la publicité. Sa publication la rend opposable aux tiers (art. 2116 C.c.B.-C., maintenant 2941 C.c.Q.).

[66]        La jurisprudence et la doctrine distinguent la servitude réelle de la servitude personnelle. Toutes deux sont des droits réels, c’est-à-dire des droits s’exerçant sur un bien. Toutefois, la servitude personnelle est au bénéfice d’une personne désignée. À cet égard, le professeur Lafond, dans l’ouvrage précité, cite les auteurs Maleville et Pothier et explique ceci :

1967 - Maleville décrit en ces termes très généraux la distinction entre les servitudes personnelles et les servitudes réelles :

On appelle (servitudes) personnelles, celles qui sont attachées à la personne, et réelles, celles qui sont dues à la chose, ou à la personne en raison de la chose qu’elle possède.

[…]

Pothier les distingue à sa manière des servitudes réelles :

Les droits de servitudes personnelles sont ceux attachés à la personne à qui la servitude est due, et pour l’utilité de laquelle elle a été constituée, et finissent par conséquent avec elle.

[…]

1969 - La servitude personnelle impose elle aussi un droit réel sur un bien appartenant à autrui - meuble ou immeuble, à la différence de la servitude réelle strictement immobilière -, mais au bénéfice individuel et pour l’utilité d’une personne désignée et, selon le cas, de ses ayants cause. La charge est bien réelle si on la considère par son objet, mais personnelle par son sujet.[21]

[67]        Denys-Claude Lamontagne présente une définition similaire de la servitude personnelle :

[570] Principe. - La servitude personnelle (au sens large) se situe à mi-chemin de la servitude réelle et de l’obligation personnelle : il s’agit d’une charge (droit réel) imposée sur un bien corporel en faveur d’une personne seulement, propriétaire ou non d’un autre bien corporel.[22]

[68]        En somme, ces deux auteurs identifient essentiellement trois attributs à la servitude personnelle[23] :

-       il s’agit d’un droit grevant un fonds;

-       au bénéfice d’une personne désignée indépendamment de sa qualité de propriétaire (il n’y a donc pas de fonds dominant);

-       dont la durée est temporaire ou limitée.

[69]        Cette distinction entre la servitude réelle et la servitude personnelle est importante sur le plan juridique. La servitude personnelle n’est pas transmise au nouveau propriétaire du fonds[24]. Elle s’éteint alors à l’arrivée d’un terme ou au décès de son titulaire[25]. Elle ne comporte pas un droit de suite. Cependant, elle peut être opposable au nouvel acquéreur du fonds servant si elle est publiée selon les dispositions du Code civil du Québec.

[70]        Ensuite, les appelants semblent ne pas faire de distinction entre une servitude personnelle et une obligation personnelle. Il suffit de noter ici que l’obligation personnelle concerne une obligation qui ne nécessite pas le service d’un fonds servant (art. 1177, al. 1 C.c.Q.)[26]. En conséquence, je crois qu’en l’espèce nous sommes en présence, soit d’une servitude réelle, soit d’une servitude personnelle, car il est acquis que c’est l’immeuble des appelants qui est grevé d’un droit.

[71]        La clause constituant la servitude peut, dans la mesure où elle comporte une ambigüité, être susceptible d’interprétation.

[72]        La juge de première instance ne s’est pas livrée à cet exercice alors qu’elle s’est contentée, malgré la clarté des termes qui précisent que le texte créait un droit de passage en faveur de l’acquéreur, de constater la servitude sans toutefois la qualifier de réelle ou personnelle.

[73]        J’ajouterais que, même si le texte soulevait une ambigüité, le doute devrait se résoudre en faveur du fonds servant.

[74]        La jurisprudence et la doctrine s’accordent. Les servitudes sont d’interprétation restrictive c’est-à-dire, qu’en cas de doute, les actes constitutifs s’interprètent en faveur du fonds servant[27]. À ce sujet, Denys-Claude Lamontagne explique ceci : « Pour la même raison, si l’ambigüité porte sur la nature de la servitude, par ailleurs prouvée, le tribunal devrait reconnaître une servitude personnelle plutôt qu’une servitude réelle »[28].

[75]        L’intimé plaide que les appelants ont admis l’existence d’une servitude de passage s’exerçant sur une largeur de huit pieds. En effet, une telle admission apparaît à la transcription des plaidoiries en première instance. Si l’interprétation de contrat constitue une question de fait, la qualification juridique du droit qui découle de la clause d’un contrat en est une de droit. Une admission en droit ne lie pas son auteur.

[76]        Je reviens sur le texte de la clause, même si j’estime au départ qu’il n’y a pas d’ambigüité donnant ouverture à interprétation.

[77]        L’utilisation de l’expression « audit acquéreur » au texte constituant la servitude indique qu’elle est au bénéfice d’une personne désignée. Il y est écrit : « Ladite Dame Émélie Marchand accorde en outre audit acquéreur un droit de passage de huit pieds de largeur sur le terrain lui appartenant entre le chemin public et le Lac Pierre pour communiquer au Lac Pierre » [Je souligne]. La formulation ne dit pas que le droit de passage est dû à un lot ou est une charge en faveur d’un lot. L’avantage est clairement pour une personne, c’est-à-dire pour le Père Thalge, propriétaire du fonds dominant. Cette première étape, à mon avis, suffit à écarter l’ambigüité.

[78]        Cette observation est soutenue par le fait que le fonds servant n’est pas clairement identifié. Il est uniquement écrit où s’exerce le droit : « sur le terrain lui appartenant entre le chemin public et le Lac Pierre pour communiquer au Lac Pierre ». Cet élément milite pour l’existence d’une obligation personnelle, ou au plus, d’une servitude personnelle.

[79]        La construction grammaticale de ce paragraphe indique aussi qu’il se distingue du paragraphe précédent. Je crois que l’utilisation de l’adverbe « en outre » signifie que l’objet et le sujet de ce paragraphe sont différents du paragraphe précédent. Il s’agit certainement d’un élément qui a pour effet d’isoler ce paragraphe des précédents[29].

[80]        Le paragraphe précédent renvoie à une première servitude de passage : « Avec droit de passage en commun avec les autres y ayant droit dans le chemin privé ci-dessus mentionné ». Ici, les mots employés sont différents de ceux de la servitude en litige. Aucune personne n’y est expressément désignée. De plus, ce paragraphe suit la description du lot. Pourquoi la vendeuse aurait-elle utilisé des termes susceptibles d’engendrer des conséquences juridiques différentes si son intention avait été d’octroyer uniquement des servitudes réelles? À mon avis, l’avantage prévu à ce premier paragraphe est donc conféré en faveur du fonds dominant contrairement à celui prévu au paragraphe en litige.

[81]         Également, le texte ne renferme aucun indice laissant croire que le droit est perpétuel, comme il le serait pour une servitude réelle. La notion de perpétuité est inexistante. À l’inverse, la désignation de l’acquéreur a pour effet de rendre temporaire le droit octroyé. Pour conférer au droit un caractère de perpétuité, il aurait suffi de préciser « audit acquéreur et à ses ayants droit ».

[82]        Le comportement des parties offre aussi un indice de la nature de cette servitude. Le Père Thalge, lorsqu’il revend sa propriété en 1948, précise dans l’acte de vente l’existence de la servitude de passage dans le chemin privé, mais pas celle lui permettant de se rendre au lac. Il n’utilise que cette forme générale « Tel que le tout se trouve actuellement, avec les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes, attachées audit immeuble ». En effet, pourquoi ne pas avoir reproduit la servitude d’accès au lac si ce n’est parce que l’avantage lui avait été conféré personnellement?

[83]        En outre, le fonds servant a été vendu à Blanche Payette à la mort de sa mère. Précisément, les héritiers de Dame Émélie Marchand, y compris Blanche Payette, ont vendu à cette dernière, en 1968, le fonds servant et d’autres immeubles. L’acte contient une mention générale de servitude et prévoit précisément la servitude de passage sur le chemin privé, sans plus :

Tel que le tout se trouve présentement avec toutes les servitudes actives et passives, apparentes ou occultes attachées auxdits immeubles, sans exception ni réserve et notamment avec tout droit de passage auxdits immeubles qu'ont ou peuvent avoir les vendeurs ou certains d'entre eux, pour communiquer lesdits terrains au chemin public.

[Je souligne]

[84]        Pourquoi avoir précisé la servitude de passage sur le chemin privé et non pas celle sur le lot menant au lac?

[85]        Il n’y a aucune preuve de l’intention commune des parties en 1945. Blanche Payette, la fille de la vendeuse, n’a pas témoigné au procès. Qui plus est, les parties ne font qu’exprimer des hypothèses, comme celle que la vendeuse aurait agi en bonne chrétienne en octroyant un droit personnel au Père Thalge. Cependant, il est possible d’imaginer que pour favoriser la vente du fonds dominant, la propriétaire du fonds servant lui a accordé un avantage. On ne sait pas non plus s’il était nécessaire d’avoir un accès au lac pour avoir de l’eau dans la résidence située sur le fonds dominant.

[86]        En conséquence, même dans le doute, je suggèrerais de retenir une interprétation en faveur du fonds servant, c’est-à-dire de conclure que la servitude créée en 1945 est une servitude personnelle au bénéfice du Père Thalge.

[87]        Ayant déterminé que l’acte de 1945 a constitué une servitude personnelle, je suis aussi d’avis que l’intimé ne peut en bénéficier, car elle ne peut lui avoir été transmise. Elle n’a été constituée qu’au bénéfice personnel du Père Thalge. Les auteurs de l’intimé ne pouvaient consentir plus de droits qu’ils n’en avaient et la mention ajoutée aux actes successifs ne peut constituer un titre qui leur aurait permis d’acquérir le droit par prescription. Je l’ai mentionné précédemment, une servitude ne peut s’acquérir par prescription.

[88]        Qu’en est-il de l’utilisation du quai depuis plus de 50 ans?

[89]        L’intimé plaide que Blanche Payette a reconnu la servitude permettant l’usage d’un quai. La permission qu’elle aurait accordée en 1968 pour l’émission d’un permis d’utilisation d’un quai perpétuel serait un acte récognitif, c’est-à-dire un titre établissant la servitude. Voici ce que le professeur Lafond écrit au sujet de l’acte récognitif[30] :

2017 - Lorsque le titre original de la servitude a été perdu ou détruit ou qu’il est impossible de produire un document écrit valable, il est permis d’en faire la preuve par tous moyens, notamment par un autre titre émanant du propriétaire du fonds servant, appelé acte recognitif (art. 2860, al. 2 et 2861 C.c.Q.).

[90]        Je dirai d’emblée que Blanche Payette ne peut consentir de servitude pour le quai alors que cette construction repose sur le domaine public.

[91]        Tout au plus dans la mesure où le quai se trouve dans la continuité de l’emprise de ce qui aurait constitué un droit de passage, la présence du quai viendrait qualifier l’étendue de la servitude, si tant est qu’il y en avait une.

[92]        Avec respect, je suis plutôt d’avis que la juge commet une erreur en interprétant la permission de Blanche Payette pour obtenir un permis comme la preuve de l’existence d’une servitude réelle permettant un quai.

[93]        La preuve est ténue. Il s’agit du témoignage de Monique Brisebois Moreau qui était présente lors de la visite du représentant du gouvernement en 1968. Elle a été témoin d'une rencontre entre son père, le représentant du gouvernement et Blanche Payette. Elle rapporte uniquement que son père lui a expliqué qu'étant donné que le quai lui appartenait, Blanche Payette lui a demandé de payer pour le permis. Il n’existe donc aucune preuve de la permission donnée par Blanche Payette. Monique Brisebois Moreau ne pouvait témoigner que des faits dont elle a eu personnellement connaissance (art. 2843 C.c.Q.), c’est-à-dire qu’il y a eu une rencontre et ce que son père lui a expliqué. Son témoignage prouve que son père lui a dit qu’il a obtenu la permission, non pas qu’il l’a effectivement obtenue.

[94]        En l’espèce, Blanche Payette n’a pas permis à l’intimé d’utiliser un quai sur le fonds servant, mais bien à Gilberte Laporte, la propriétaire du fonds dominant à cette époque. La juge de première instance commet donc une erreur lorsqu’elle dit que Blanche Payette a autorisé l’intimé à acquérir le permis[31].

[95]        Le fait que le Ministère ait délivré un permis « au propriétaire riverain » ne permet pas de conclure à l’existence de la servitude, car ce n’est pas le Ministère qui peut ainsi grever d’un droit le fonds servant. D’autant plus que, ni l’intimé ni ses auteurs ne sont propriétaires riverains.

[96]        Même en retenant l’hypothèse que Blanche Payette ait assujetti le fonds servant à la servitude de passage en question dans l’acte de vente intervenu entre elle et les appelants en 2004, elle réfère à la servitude de 1945. La servitude devant s’exercer sur une lisière de huit pieds et le droit de se raccorder au puits y sont décrits.

[97]        Le droit d’utiliser un quai ne s’y trouve pas. La servitude de passage vers le lac ou d’accès au lac n’emporte pas l’usage du quai. La servitude s’étend à tout ce qui est nécessaire à son exercice selon l’article 1177 C.c.Q. L’installation d’un quai n’est pas nécessaire à l’exercice d’une servitude de passage[32]. Rien dans le titre octroyant le droit de passage n’indique l’intention de permettre un quai.

[98]        Ayant conclu que la servitude était de nature personnelle, je ne vois pas qu’il soit nécessaire de traiter du déplacement de l’assiette.

CONCLUSION

[99]        Pour résumer, je suis d’avis que le droit de passage en litige est une servitude personnelle dont l’intimé ne peut se prévaloir.

[100]     À la lumière de ce qui précède, je propose d’accueillir l’appel afin - 1) d’infirmer en partie le jugement de la Cour supérieure, - 2) de déclarer que le « droit de passage de huit pieds de largeur » établi par l’acte de vente du 29 juin 1945 publié sous le numéro 77058 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette, constituait une servitude personnelle établie au seul bénéfice du Père Bisharas Thalge et que l’intimé ne bénéficie pas de ce droit de passage, et - 3) d’ordonner à l’intimé de démolir le quai qu’il utilise en bordure du Lac Pierre vis-à-vis du fonds désigné comme le fonds servant et d’enlever tout objet lui appartenant et se trouvant sur ce fonds, et ce, dans les 60 jours du présent arrêt.

[101]     Vu que le débat en appel a pris une tout autre tournure qu’en première instance, aucuns frais ne seront adjugés ni en appel ni en première instance.

 

 

 

 

JACQUES R. FOURNIER, J.C.A.

 



[1]     Acte de vente daté du 5 avril 2004, publié sous le numéro 11203240 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[2]     Acte de vente daté du 5 avril 2004, publié sous le numéro 11203242 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[3]     Acte de vente daté du 12 octobre 1978, publié sous le numéro 206314 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[4]     Acte de vente daté du 29 juin 1945, publié sous le numéro 77058 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[5]     Acte de vente daté du 7 octobre 1948, publié sous le numéro 83921 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[6]     Acte de vente daté du 31 mai 1955, publié sous le numéro 99916 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[7]     Ibid.

[8]     Acte de vente daté du 15 août 1968, publié sous le numéro 148257 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[9]     Déclaration de transmission du 12 octobre 1978, publiée sous le numéro 206313 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[10]    Acte de vente du 12 octobre 1978, publié sous le numéro 206314 du cadastre du Québec, circonscription foncière de Joliette.

[11]    Ibid.

[12]    Supra, note 1.

[13]    Jugement dont appel, p. 18.

[14]    L.Q. 1992, c. 57.

[15]    Pierre-Claude Lafond, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, n° 1934, p. 845 et 846.

[16]    Alves c. Hakim, 2012 QCCS 2538, paragr. 28.

[17]    P.-C. Lafond, supra, note 15, n° 1947, p. 852.

[18]    Ibid., n° 2003, p. 877 et 878.

[19]    G.M. Développement inc. c. Société en commandite Ste-Hélène, [2003] R.J.Q. 2525 (C.A.), paragr. 84.

[20]    Beauchamp c. Baroni, 2006 QCCS 4006, paragr. 18.

[21]    P.-C. Lafond, supra, note 15, nos 1967 et 1969, p. 861-863.

[22]    Denys-Claude Lamontagne, Biens et propriété, 6e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009, n° 570, p. 390.

[23]    Ibid., nos 572 et 573, p. 391 et 392; P.-C. Lafond, supra, note 15, n° 1969, p. 862 et 863.

[24]    Fournier c. Lamonde, [2004] R.D.I. 267, paragr. 29.

[25]    D.-C. Lamontagne, supra, note 22, n° 573, p. 392.

[26]    Ibid., n° 576, p. 393.

[27]    P.-C. Lafond, supra, note 15, n° 2022, p. 887 et 888; Sawdon c. Dennis-Trudeau, 2006 QCCA 553, paragr. 40; Marie Galarneau, « Servitudes », dans JurisClasseur Québec, coll. « Droit civil », Biens et publicité des droits, fasc. 15, Montréal, LexisNexis Canada, feuilles mobiles, octobre 2013, p. 27, paragr. 24.

[28]    D.-C. Lamontagne, supra, note 22, n° 580, p. 394 et 395.

[29]    Beauchamp c. Baroni, supra, note 20, paragr. 47, où un juge a retenu une interprétation similaire du mot « et ».

[30]    P.-C. Lafond, supra, note 15, n° 2017, p. 885.

[31]    Jugement dont appel, p. 17.

[32]    Arsenault c. Léonard, 2005 QCCA 344, paragr. 26-32; Green c. Biron, 2007 QCCA 724, paragr. 38.

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