Décision

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COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Drummondville

Le 25 août 2004

 

Région :

Mauricie

 

Dossier :

196052-04B-0212-2

 

Dossier CSST :

122007362

 

Commissaire :

Diane Lajoie

 

Membres :

Ginette Vallée, associations d’employeurs

 

Réjean Potvin, associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

Jean Sigouin

 

Partie requérante

 

 

 

Et

 

 

 

Bau-Val inc. (Fermé)

Carrelex inc.

Coffrage bionique ltée

Coffrages CCC ltée (Les)

Coffrages Roca inc. (Fermé)

Coffrage Ste-Foy inc. (Fermé)

Construction Del-Nor inc.

Constructions du St-Laurent ltée

Constructions Gagné et Fils inc.

Constructions Gart inc.

Constructions Trudel Pellerin (Fermé)

Delmont Construction ltée (Fermé

Demco Construction inc.

Échafaudage Falardeau inc.

Entreprises Kiewitt ltée (Les)

Herbé Pomerleau inc.

Installations G.E. Canada inc.

Janin Construction ltée (Fermé)

Koch Engineering Company ltd (Fermé)

Les entreprises Cementation (Fermé)

Les entreprises J.L. Le Noir (Fermé)

Matériaux économiques inc.

Maurecon inc.

Métallurgie Brasco enr.

Patrick Harrison cie ltée (Fermé)

Produits chimiques Triumph inc. (Les)

Rocois Construction inc.

Société ing.const. Stebbins can. ltée

St-Romuald Construction inc. (Fermé)

Solmax Construction (CTJC) inc.

Sablynx inc.

Terrazo Mosaique et Tuile (Fermé)

(144780) Coffrage bionique ltée

(284955) Carrelex inc.

Parties intéressées

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

[1]                Le 12 décembre 2002, le travailleur, monsieur Jean Sigouin dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 14 novembre 2002 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) à la suite d’une révision administrative.

[2]                Par cette décision, la CSST constate d’une part que le travailleur n’a pas produit sa réclamation dans le délai de six mois prescrit par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1](la loi) pour un accident du travail. D’autre part, elle confirme la décision initiale rendue le 3 mai 2002 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle.

[3]                La Commission des lésions professionnelles a, par sa décision du 27 octobre 2003[2], déclaré que la réclamation du travailleur a été déposée dans les délais prescrits par l’article 272 de la loi et qu’elle est donc recevable.

[4]                À l’audience tenue à Trois-Rivières le 28 juin 2004, le travailleur est présent et représenté. Les employeurs, Coffrage Bionique ltée, Constructions Gagné et fils inc., Entreprises Kiewitt ltée et Hervé Pomerleau inc., sont représentés. Les employeurs Matériaux économiques inc. et Métallurgie Brasco enr. sont présents et représentés. L’employeur Échafaudage Falardeau inc. a fait parvenir une argumentation écrite au tribunal.

[5]                Les autres employeurs dont les noms apparaissent dans l’en-tête de cette décision, bien que dûment convoqués, sont absents. Certaines de ces entreprises sont fermées.

[6]                L’affaire est prise en délibéré le 28 juin 2004.

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[7]                Étant donné la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles déclarant recevable la réclamation du travailleur, le présent tribunal doit maintenant se prononcer sur l’admissibilité de cette réclamation et le travailleur lui demande de reconnaître qu’il a subi un accident du travail le 20 septembre 2001, lequel a causé les hernies discales C4-C5 et C5-C6.

 

LES FAITS

[8]                Monsieur Sigouin travaille dans le domaine de la construction depuis 1978 comme manœuvre spécialisé. Différents contrats l’amènent, au fil des années, à exécuter différentes tâches pour différents employeurs.

[9]                Une liste de tous les employeurs de monsieur Sigouin pour la période comprise entre 1978 et 2001 est produite au dossier. Cette liste mentionne également le métier exercé pour le compte de chacun de ces employeurs et le nombre d’heures effectuées. Tous ces employeurs ont été dûment convoqués à l’audience.

[10]           Dans son témoignage, monsieur Sigouin passe en revue chacun des emplois, explique le genre de travail exécuté et les outils utilisés. De ce témoignage précis, crédible et non contredit, le tribunal retient ce qui suit.

[11]           D’abord, certaines des tâches exécutées, bien qu’elles apparaissent toutes exigeantes, le sont plus que d’autres. Au cours des années passées dans le domaine de la construction, monsieur Sigouin a fait des travaux de maintenance, a fait et défait des formes de coffrages, a opéré de la machinerie lourde, a mixé du ciment, a étendu du béton à sec avec des instruments fonctionnant sous pression, a conduit un chariot élévateur et a fait du nettoyage au jet de sable.

[12]           Monsieur Sigouin a aussi travaillé avec divers instruments vibratoires. Entre autres, il a utilisé le marteau piqueur pneumatique, plus particulièrement les modèles de 17 livres (T-3) et de 90 livres. Il a aussi travaillé avec une pilonette, un instrument servant à compacter du béton.

[13]           Ainsi, en 1978, il dit avoir effectué surtout de la maintenance. Sur les 1016 heures travaillées, il a utilisé une plaque vibrante durant environ 200 à 250 heures. En 1979, il fait des travaux d’injection de béton. En 1980 et 1981, les tâches exécutées n’impliquent pas d’outils vibratoires. En 1982, le travailleur occupe un poste de préposé aux bagages dans un aéroport.

[14]           En 1983, monsieur Sigouin a utilisé un outil vibratoire servant au coulage du béton. Aucun emploi n’est identifié pour l’année 1984. En 1985, pour un contrat de 305 heures, environ 80 heures sont consacrées à des tâches avec des outils causant des vibrations.

[15]           En 1986, il a compacté du béton à l’aide de la pilonette sur une période de quatre mois. En 1987, 108 heures sont consacrées au travail avec un outil causant des vibrations.

[16]           En 1988, monsieur Sigouin casse des tuiles avec un marteau piqueur de 90 livres. Ce marteau est utilisé en position debout. Le travailleur explique qu’il a dû travailler dans des conditions extrêmes étant donné la très grande chaleur.

[17]           En 1989, le travailleur évalue la durée du travail avec un outil vibratoire à 257 heures, chez deux employeurs différents. Le relevé indique que monsieur Sigouin a travaillé en tout 624,5 heures cette année-là, et ce, pour cinq employeurs différents. En 1990, 1156,9 heures sont consacrées au travail à la pilonette. En 1991, le travailleur est préposé à l’entretien du chantier, il conduit un chariot élévateur et ramasse le matériel.

[18]           En 1992, on recense 64 heures de travail avec des outils vibratoires. Le relevé ne contient aucune donnée pour les années 1993 et 1994.

[19]           En 1995, le marteau piqueur de 90 livres est utilisé. Monsieur Sigouin procède aussi à du cassage de béton avec le marteau piqueur de 17 livres. Il qualifie ce contrat d’extrêmement dur. Il doit travailler dans des positions contraignantes et inconfortables, souvent couché par terre vu l’espace restreint dans lequel doivent être exécutées les tâches. Ce contrat n’a duré toutefois que 29,5 heures réparties sur deux jours de travail.

[20]           En 1996, les marteaux piqueurs de 17 et 90 livres sont utilisés durant 685 heures. Monsieur Sigouin n’identifie pas de tâches impliquant une exposition aux vibrations en 1997.

[21]           En 1998 et 1999, monsieur Sigouin exécute des travaux au jet de maïs. Il explique que le boyau utilisé ne provoque pas de vibrations, mais que le travail est exécuté dans des positions contraignantes. Il appert de la liste des employeurs déposée au dossier que monsieur Sigouin a travaillé 722 heures en 1999.

[22]           En 2000, un contrat exige qu’il exécute ses tâches à genoux, le cou en extension. Ce contrat est évalué à 1085 heures.

[23]           À compter d’avril 2001, monsieur Sigouin travaille pour Constructions Gagné et fils inc. (Gagné). Il y est engagé pour travailler à la centrale hydroélectrique de Shawinigan. À compter du mois de juin 2001, il est assigné exclusivement au cassage de béton.

[24]            Monsieur Sigouin travaille alors dans un espace restreint, d’une hauteur de quatre pieds. Afin de casser le béton des murs et du plafond, béton particulièrement dur puisqu’il s’agit d’un barrage, il travaille avec le marteau piqueur de 17 livres, qu’il appuie sur son épaule et qu’il tient à deux mains. Monsieur Sigouin doit exercer une pression sur l’outil afin de casser le béton.

[25]           Le travail se fait toujours en position accroupie ou assise sur une chaudière. Le travailleur doit aussi toujours fléchir le cou de côté ou vers l’arrière pour casser le ciment des murs et du plafond.

[26]           La dernière heure de la journée de travail est consacrée à sortir les morceaux de béton cassé. Vu l’espace restreint, ce travail est aussi exécuté en position accroupie.

[27]           Au cours du dernier mois passé à travailler pour Gagné, monsieur Sigouin a également utilisé le marteau piqueur de 90 livres qui est manœuvré debout. À ce moment, le cou est maintenu en position de flexion antérieure.

[28]           Monsieur Sigouin travaille pour Gagné 552 heures, entre les mois d’avril et août 2001. Il estime qu’une centaine d’heures n’ont pas été consacrées au cassage du béton. Durant un mois et demi, il ne fait que du cassage de béton, à temps plein.

[29]           Alors qu’il est à exécuter ce contrat pour Gagné, le travailleur ressent graduellement des engourdissements aux mains. Il ressent aussi des douleurs au cou et dans les jambes. Il est d’avis que le travail exécuté chez Gagné est trop exigeant. À la fin du contrat, il offre ses services chez Matériaux économiques inc., qui l’engagent.

[30]           Malgré que le travail chez Matériaux économiques inc. soit moins exigeant, les symptômes ressentis par le travailleur augmentent, ce qui le décide à consulter un médecin.

[31]           Le dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles ne contient aucun rapport médical CSST. Il contient toutefois d’autres documents médicaux qui permettent de retracer l’histoire médicale du travailleur.

[32]           Ainsi, au mois de septembre 2001, le docteur Houde prescrit l’arrêt de travail et requiert des examens de la colonne cervicale.

[33]           Le 1er octobre 2001, le docteur Denis Couture, radiologiste, interprète la résonance magnétique et la radiographie. Les renseignements cliniques fournis sont « Éliminer S.E.P[3]. ou lésion dégénérative ».

[34]           À la radiographie, il conclut :

« On note beaucoup d’arthrose avec pincements intervertébraux entre C4, C5, C6 avec une légère uncarthrose à cette région, mais sans rétrécissement marqué des trous de conjugaison.

L’odontoïde est normale »

 

[35]           À la lecture de la résonance magnétique, il conclut :

« Volumineuse hernie au niveau de C4-C5 et hernie importante au niveau de C5-C6 en cervical en centro-latéral droit pour les deux niveaux avec signes de souffrance médullaire secondaires.

Une consultation en chirurgie est suggérée. »

 

 

[36]           Monsieur Sigouin explique que son médecin lui a téléphoné pour lui faire part des résultats de ces examens. Rapidement, une chirurgie est planifiée.

[37]           Le 9 octobre 2001, le docteur Alain Bilocq, neurochirurgien, procède à une discoïdectomie C4-C5, C5-C6 et à une greffe de crête iliaque. Il procède à une immobilisation par plaque et vis de Synthès de C4 à C6.

[38]           Le protocole opératoire révèle une hypertrophie importante du ligament longitudinal postérieur ainsi que des calcifications qui sont très adhérentes au sac dural. Le docteur Bilocq note également que le disque au niveau C5-C6 est très dégénéré. À ce niveau, il constate également une hypertrophie du ligament longitudinal, mais moindre qu’au niveau supérieur.

[39]           À la suite de la chirurgie, le docteur Bilocq envoie un compte rendu au médecin du travailleur. Il écrit :

« Il s’agit d’un patient âgé de 42 ans, travailleur manuel dans la construction. Il s’est plaint de douleur cervicale de longue date. Il présente des crampes musculaires aux membres supérieurs et aux membres inférieurs depuis 1997. Depuis 4 mois, il présente une cervico-brachialgie gauche évolutive et droite par la suite. Depuis l’été c’est-à-dire en juin 2001, il présente des engourdissements aux deux mains. Ses engourdissements ont été attribués à l’utilisation d’un marteau piqueur au travail. La progression de l’engourdissement s’est fait proximalement au niveau des membres supérieurs pour ensuite atteindre les membres inférieurs et l’abdomen. Il dit avoir une démarche spastique depuis environ 2 mois avec boiterie dans le membre inférieur droit. Il y a un Lhermitte positif depuis un mois.

 

L’examen révèle un patient qui présente un niveau sensitif de C5 à T1 et sous le niveau T6. Il y a une démarche nettement spastique avec une hyperréflexie aux deux membres inférieurs et des cutanées plantaires en extension. La proprioception est diminuée aux membres inférieurs. »

 

 

[40]           Le docteur Couture conclut, à la lecture de la tomographie du 10 octobre 2001, qu’il n’y a pas d’atteinte de la cavité médullaire secondaire à la chirurgie.

[41]           Des radiographies de contrôle sont prises le 16 novembre et le 21 décembre 2001. Elles révèlent un bon alignement des corps vertébraux.

[42]           Devant des signes de Lhermitte persistants, une résonance magnétique est faite le 28 février 2002. Le docteur Lacaille-Bel émet son opinion :

« Atrophie focalisée de la moelle cervicale avec stigmates de myélomalacie.

Nette amélioration de la taille du canal spinal malgré tout, en présence de modifications post-opératoires et persistance de complexe disco-ostéophytiques postéro-latéraux droits et uncarthrose plus marquée en C4-C5 et C5-C6 droit. »

 

 

[43]           La radiographie du même jour démontre qu’il n’y a pas de bris du matériel métallique et qu’il n’y a aucune mobilité appréciable entre C4-C5 et C5-C6.

[44]           Le 8 avril 2002, le docteur Bilocq signe la Déclaration du médecin traitant, destinée à l’assureur du travailleur. Il coche que l’affection de monsieur Sigouin est attribuable à une maladie professionnelle et ajoute « traumatismes cervicaux répétés ».

[45]           Le diagnostic principal qu’il retient est myélopathie cervicale et comme diagnostic secondaire, on retrouve hernie discale C4-C5 et C5-C6.

[46]           Le 23 avril 2002, le travailleur présente une réclamation à la CSST pour un événement du 20 septembre 2001 qu'il décrit ainsi :

« Je travaillais comme manœuvre spécialisé dans la construction avec marteau-piqueur, vibrateur, etc. chez plusieurs employeur depuis 1978 toujours comme manœuvre spéc. » [sic]

 

 

[47]           Le docteur Baril, médecin de la CSST, procède à l’analyse médicale du dossier le 1er mai 2002.

[48]           Il est d’avis que les volumineuses hernies discales cervicales de C4-C5 et C5-C6 avec signes de souffrances médullaires ne sont pas en lien avec le fait accidentel allégué du 20 septembre 2001.

[49]           Il justifie cet avis en alléguant qu’il n’y a pas eu de torsion ou d’hyperflexion ou d’hyperextension lors du fait décrit.

[50]           Il y a, à son avis, une disproportion nette entre la hernie qui est volumineuse et la nature de l’événement décrit. Le travailleur est plutôt porteur d’une condition personnelle, connue de longue date. Le docteur Baril affirme que les vibrations du marteau piqueur ne peuvent avoir engendré la lésion diagnostiquée chez monsieur Sigouin.

[51]           Le 3 mai 2002, la CSST refuse la réclamation du travailleur.

[52]           Le 20 août 2002, le docteur Bilocq produit un état de la situation du travailleur. Il rappelle qu’il a d’abord rencontré monsieur Sigouin au mois d’octobre 2001. Il souffrait alors d’une myélopathie cervicale importante secondaire à deux hernies discales calcifiées avec compression médullaire. Cette myélopathie était considérée comme sévère et c’est pourquoi le médecin a procédé à la chirurgie. Le docteur Bilocq affirme que le travailleur présente des séquelles de cette myélopathie cervicale qui pourraient entraîner pour lui des séquelles permanentes vu son travail dans la construction.

[53]           Le 10 octobre 2002, le travailleur est revu par le docteur Bilocq. Il conclut à la présence de myélomalacie résiduelle. Il tente un traitement avec Tégrétol pour diminuer les dysesthésies aux mains. À son avis, le travailleur présente des séquelles permanentes d’une myélopathie cervicale et est inapte à reprendre le travail. Le docteur Bilocq réfère monsieur Sigouin à Docteure Josée Fortier, physiatre.

[54]           Le 14 novembre 2002, la Révision administrative indique dans sa décision que le travailleur n’a pas respecté le délai de production de sa réclamation à la CSST. Elle confirme par ailleurs le refus de la réclamation. Monsieur Sigouin conteste cette décision devant la Commission des lésions professionnelles.

[55]           Le travailleur est revu le 10 janvier 2003 par le docteur Bilocq, pour une visite de contrôle.

[56]           Le 24 juillet 2003, le docteur Bilocq signe un billet médical sur lequel il écrit séquelles de myélopathie cervicale inapte au travail.

[57]           Le 27 octobre 2003, la Commission des lésions professionnelles déclare que le travailleur a respecté le délai de six mois prévu par l’article 272 de la loi et déclare en conséquence sa réclamation recevable.

[58]           Le 13 avril 2004, à sa demande, le travailleur est examiné par le docteur Robert Leroux, aux fins d’expertise médicale.

[59]           À la rubrique Historique de son expertise, le docteur Leroux mentionne que le travailleur a déjà consulté pour des douleurs cervicales en 1997. Il avait alors été traité avec des anti-inflammatoires et cette condition n’avait pas provoqué d’arrêt de travail.

[60]           En 1999, une situation semblable s’est présentée. Le médecin alors consulté diagnostique de l’arthrose cervicale et les anti-inflammatoires prescrits ont résolu le problème. Une radiographie de 1999 démontre une légère progression de l’arthrose.

[61]           D’ailleurs, le docteur Bilocq réfère aussi, dans son rapport postopératoire, à des douleurs cervicales de longue date.

[62]           À l’audience, le travailleur confirme qu’en 1995, il a souffert d’un torticolis. Devant la persistance de la douleur et ne pouvant plus soulever son bras gauche, il a consulté un médecin qui avait diagnostiqué de l’arthrose et prescrit des anti-inflammatoires.

[63]           Deux jours plus tard, tout était rentré dans l’ordre. Le travailleur s’était alors absenté du travail seulement deux ou trois jours. En 1997, il a aussi ressenti des douleurs au cou. On lui a prescrit à nouveau des anti-inflammatoires reliés à son arthrose.

[64]           Il appert aussi du dossier que le 26 mai 1997, le travailleur consulte le docteur Richard Delisle, neurologue, pour des problèmes de crampes musculaires. Devant un examen neurologique normal, le docteur Delisle conclut pour l’instant à des crampes musculaires d’étiologie imprécise. Il demande des examens sanguins complémentaires. Les résultats s’avèrent normaux et le 11 août 1997, le docteur Delisle conclut à des crampes musculaires d’étiologie indéterminée mais probablement bénignes.

[65]           Des notes de consultation médicale de 1999 font état de douleur dorsale au trapèze gauche. Le médecin parle d’arthrose cervicale symptomatique et de récidive de cervicobrachialgie gauche depuis cinq ou six mois, sans accident. Il note également une radiculopathie C7 à gauche sur arthrose.

[66]           Docteure Thérèse Fafard interprète ainsi la radiographie de la colonne cervicale du 7 juin 1999 :

« Redressement et discrète attitude scoliotique à droite.

Tout comme en 95, le niveau C6-C7 m’apparaît préservé.

En C5-C6, l’espace qui était déjà un peu diminué l’est un peu plus aujourd’hui et il y a eu progression des ostéophytes antérieurs, maintenant modérés. Apparition d’un peu d’uncarthrose et légère diminution du trou de conjugaison droit.

Également apparition d’un début de pincement de l’espace C4-C5 et d’un ostéophyte modéré en C4.

Pas de cote cervicale. »

 

 

[67]           Au moment de son examen par le docteur Leroux en avril 2004, le travailleur n’a pas repris le travail. Il dit présenter une amélioration de sa condition cervicale avec diminution marquée des douleurs. Il présente cependant toujours des engourdissements des deux mains.

[68]           Le docteur Leroux retient le diagnostic de hernies discales C4-C5 et C5-C6 opérées et séquelles permanentes de myélopathie cervicale.

[69]           Il exprime ainsi son opinion quant au lien de causalité entre la lésion et le travail exécuté par monsieur Sigouin :

« L’utilisation d’outils vibratoires puissants tels que le marteau piqueur que M. Sigouin a utilisé d’une manière régulière et prolongée entre le mois d’avril et le mois d’août 2001 a été associée par plusieurs auteurs avec la genèse de maladies musculo-squelettiques du rachis cervical et plus précisément de hernies discales cervicales.

Le fait de travailler dans une position contraignante de torsion du cou alors qu’il utilisait cet outil a lui aussi contribué à la causalité des hernies discales C4-C5 et C5-C6 et à la myélopathie subséquente. »

 

 

[70]           Le docteur Leroux affirme qu’il existe de la littérature médicale à l’appui de ses prétentions et dit la joindre à son expertise. En début d’audience, le représentant du travailleur dépose cette littérature (T-2)[4] qui n’apparaissait pas au dossier. Les représentants des employeurs présents ne s’objectent pas au dépôt de cette documentation.

[71]           Invité à commenter la condition d’arthrose présente chez le travailleur, le docteur Leroux écrit :

« Il est noté au dossier à partir de 1997 la présence d’arthrose du rachis cervical confirmée par des radiographies.

Cette arthrose, déjà en partie attribuable aux tâches que le travailleur effectue dans l’industrie de la construction depuis 1978, a une part de responsabilité, par l’affaissement qu’elle a occasionné aux disques cervicaux, dans la causalité des 2 hernies cervicales et ainsi on pourrait sûrement dire que le poste de travail a aggravé, par ses exigences sévères, une condition personnelle pré-existante. »

 

 

[72]           Monsieur Sigouin témoigne que le travail le plus difficile qu’il a eu à effectuer depuis 1978 est celui fait chez Gagné avec le marteau piqueur de 17 livres, et ce, compte tenu des positions contraignantes et inconfortables. Il admet avoir déjà travaillé auparavant en utilisant un marteau piqueur, mais normalement, il le faisait avec le marteau plus pesant, en position debout.

[73]           Avant 1995, il dit n’avoir jamais consulté de médecin pour des problèmes cervicaux. Jusqu’en 2001, hormis les crampes musculaires pour lesquelles il a consulté le docteur Delisle, les douleurs ressenties se situaient seulement au niveau du cou alors qu’au moment de son travail chez Gagné, il ressentait aussi des engourdissements aux deux mains et avait aussi des problèmes avec ses jambes.

[74]           Il ne peut identifier aucun événement précis qui aurait pu causer les douleurs cervicales et les engourdissements alors qu’il travaille chez Gagné. Les douleurs et les symptômes y sont apparus graduellement.

[75]           Le représentant du travailleur dépose, avant de clore sa preuve, un extrait du document produit par l’Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur de la construction (ASP) (T-4).

 

L’ARGUMENTATION DES PARTIES

[76]           Le représentant du travailleur soumet au tribunal que le travailleur a subi une blessure causée par un accident du travail survenu le 20 septembre 2001. Il prétend en effet que le travail inhabituel et particulièrement exigeant qu’a fait le travailleur chez Gagné est assimilable à un événement imprévu et soudain au sens de l’article 2 de la loi. À son avis, c’est cet événement imprévu et soudain qui a aggravé la condition personnelle du travailleur et causé les hernies discales C4-C5 et C5-C6.

[77]           Quant aux représentants des employeurs, ils soumettent tous au tribunal sensiblement les mêmes arguments. D’abord, ils sont d’avis que le travailleur ne peut prétendre à la survenance d’un accident du travail puisqu’il a prétendu devant la Commission des lésions professionnelles, au moment de plaider le hors délai, être atteint d’une maladie professionnelle. Au surplus, dans sa décision du 27 octobre 2003, la Commission des lésions professionnelles déclare que la réclamation du travailleur est recevable, et ce, parce que déposée dans le délai prescrit par l’article 272 de la loi, soit le délai applicable dans le cas d’une maladie professionnelle. Ils sont donc d’avis que la réclamation du travailleur doit être examinée sous l’angle de la maladie professionnelle.

[78]           Les employeurs, par leurs représentants, prétendent que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de l’article 29 de la loi, étant donné que la hernie discale n’est pas une maladie listée à l’annexe I. Ils soumettent également qu’aucune preuve ne permet de conclure que la hernie discale est caractéristique du travail exécuté par le travailleur, au sens de l’article 30 de la loi.

[79]           Enfin, les représentants des employeurs laissent au tribunal le soin d’apprécier si le travail exécuté par le travailleur comporte des risques particuliers susceptibles de causer la lésion diagnostiquée. Dans le cas où le tribunal en viendrait à cette conclusion, les représentants demandent à ce que les employeurs devant être imputés des prestations reliées à la lésion professionnelle soient clairement identifiés, et ce, en tenant compte du nombre d’heures travaillées et de la nature du travail exécuté chez chacun des employeurs convoqué en la présente instance[5].

 

L’AVIS DES MEMBRES

[80]           Le membre issu des associations syndicales et la membre issue des associations d’employeurs partagent le même avis à savoir que le tribunal ne peut maintenant analyser la réclamation du travailleur sous l’angle de l’accident du travail alors que la Commission des lésions professionnelles a déjà, dans sa décision portant sur le hors délai, considéré la lésion comme une maladie professionnelle et décidé de la recevabilité de la réclamation conformément aux dispositions applicables en cas de maladie professionnelle.

[81]           Les membres issus des associations partagent également le même avis en ce qui concerne l’admissibilité de la réclamation et sont d’avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Ils estiment en effet que les contraintes importantes de postures imposées au travailleur sur une période de temps suffisante ont favorisé la survenance des hernies discales, et ce, compte tenu de la condition personnelle d’arthrose déjà présente chez le travailleur. Ainsi, les membres issus des associations concluent que les hernies discales C4-C5 et C5-C6 constituent des lésions professionnelles, soit l’aggravation d’une condition personnelle par les risques particuliers du travail exécuté chez Constructions Gagné et fils ltée.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[82]           Le tribunal doit maintenant décider si le travailleur a subi une lésion professionnelle le 20 septembre 2001.

[83]           Devant le présent tribunal, le travailleur allègue que les hernies discales cervicales constituent une blessure causée par la survenance d’un événement imprévu et soudain alors qu’au moment de l’audience devant la Commission des lésions professionnelles le 9 juin 2003 qui ne portait, rappelons-le, que sur le hors délai de la réclamation, il prétendait être atteint d’une maladie professionnelle.

[84]           Dans sa décision du 27 octobre 2003, le commissaire décrit ainsi l’objet de la contestation :

« Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de reconnaître qu’il a respecté le délai prévu à l’article 272 de la Loi afin de déposer sa réclamation pour faire reconnaître l’existence d’une maladie professionnelle du 20 septembre 2001. »

 

 

[85]           Le commissaire établit d’abord que puisque le travailleur prétend être atteint d’une maladie professionnelle, c’est l’article 272 de la loi qui doit trouver application. Toute son analyse et son raisonnement sont donc basés sur le point de départ du délai de six mois prévu à l’article 272, soit le moment où il est porté à la connaissance du travailleur que sa lésion peut être due à son travail.

[86]           Dans le cas où il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle, la loi prévoit aussi un délai de six mois pour la production de la réclamation du travailleur à la CSST. Dans ce cas cependant, le point de départ de ce délai est la lésion subie, ce qui nécessite une analyse différente. En acceptant de considérer maintenant la survenance d’une blessure causée par un accident du travail, le tribunal ferait fi de la décision de la Commission des lésions professionnelles du 27 octobre 2003 et devrait, au surplus, dans ce nouveau contexte, s’interroger à nouveau sur la recevabilité de la réclamation du travailleur, eu égard à son délai de production.

[87]           Le tribunal est d’avis qu’il ne peut agir de la sorte sans causer une menace sérieuse à la stabilité des décisions. En effet, la décision rendue le 27 octobre 2003 n’a pas été contestée, elle est donc finale et elle lie le tribunal. Considérer la survenance d’un accident du travail impliquerait de rouvrir le débat sur la question du hors délai, question qui a été valablement décidée par le tribunal de dernière instance. Au surplus, au moment de plaider le hors délai, le travailleur soutenait être atteint d’une maladie professionnelle; il a donc implicitement renoncé à alléguer la survenance d’un accident du travail.

[88]           La Commission des lésions professionnelles ayant déjà statué dans sa décision du 27 octobre 2003 que la lésion devait, en l’espèce, être examinée sous l’angle de la maladie professionnelle, il convient donc de l’examiner sous cet angle afin de statuer sur son admissibilité.

[89]           La loi définit ainsi la maladie professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« maladie professionnelle » : une maladie contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui est caractéristique de ce travail ou reliée directement aux risques particuliers de ce travail;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27.

 

[90]           Afin de faciliter la preuve du travailleur, la loi prévoit, à l’article 29, une présomption de maladie professionnelle.

29. Les maladies énumérées dans l'annexe I sont caractéristiques du travail correspondant à chacune de ces maladies d'après cette annexe et sont reliées directement aux risques particuliers de ce travail.

 

Le travailleur atteint d'une maladie visée dans cette annexe est présumé atteint d'une maladie professionnelle s'il a exercé un travail correspondant à cette maladie d'après l'annexe.

__________

1985, c. 6, a. 29.

 

 

[91]           Pour bénéficier de cette présomption, le travailleur doit démontrer qu’il est atteint d’une maladie qui apparaît à l’annexe I de la loi. Le tribunal réfère ici à la section IV de cette annexe et, plus particulièrement aux paragraphes 2 et 6 :

ANNEXE I

 

MALADIES PROFESSIONNELLES

(Article 29)

 

SECTION IV

 

MALADIES CAUSÉES PAR DES AGENTS PHYSIQUES

 

MALADIES

GENRES DE TRAVAIL

 

 

1.       Atteinte auditive causée par le bruit:

un travail impliquant une exposition à un bruit excessif;

2.       Lésion musculo-squelettique se manifestant par des signes objectifs (bursite, tendinite, ténosynovite):

un travail impliquant des répétitions de mouvements ou de pressions sur des périodes de temps prolongées;

3.       Maladie causée par le travail dans l’air comprimé:

un travail exécuté dans l’air comprimé;

4.       Maladie causée par contrainte thermique:

un travail exécuté dans une ambiance thermique excessive;

5.       Maladie causée par les radiations ionisantes:

un travail exposant à des radiations ionisantes;

6.       Maladie causée par les vibrations:

un travail impliquant des vibrations;

7.       Rétinite:

un travail impliquant l’utilisation de la soudure à l’arc électrique ou à l’acétylène;

8.       Cataracte causée par les radiations non ionisante:

un travail impliquant une exposition aux radiations infrarouges, aux micro-ondes ou aux rayons laser.

[92]           En l’espèce, la preuve médicale prépondérante démontre que le travailleur est porteur de hernies discales cervicales, lesquelles sont démontrées par les examens paracliniques et confirmées par le docteur Bilocq qui a opéré le travailleur et assuré le suivi postopératoire. Le tribunal retient donc ce diagnostic de hernies discales C4-C5 et C5-C6, diagnostic non contesté posé par le médecin du travailleur[6].

[93]           Ce diagnostic n’apparaissant pas à l’annexe I, le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle.

[94]           À l’audience, il a été question du risque causé par l’exposition des travailleurs aux vibrations. Le paragraphe 6 de la section IV de l'annexe I vise les maladies causées par les vibrations. Cependant, de l’avis du tribunal, le travailleur n'a pas démontré, par une preuve prépondérante, que la hernie discale cervicale constituait une maladie causée par les vibrations.

[95]           En effet, le travailleur a soumis en preuve l'expertise médicale du docteur Leroux, dans laquelle il affirme que plusieurs auteurs associent les maladies musculo-squelettiques du rachis cervical, et plus précisément les hernies discales, à l’utilisation d’outils vibratoires puissants.

[96]           Le tribunal a pris connaissance de la littérature déposée à l’appui de cette expertise (T-2).

[97]           Le premier extrait concerne une étude sur les lésions musculo-squelettiques du cou et des membres supérieurs réalisée auprès de travailleurs forestiers utilisant des scies à chaîne, lesquelles provoquaient des vibrations. On a relevé chez ces travailleurs la présence de douleurs aux membres supérieurs, des syndromes associés aux muscles et aux tendons ainsi que des syndromes du tunnel carpien. Il n’est pas question cependant de lésions au cou ni de hernies discales cervicales.

[98]           Le deuxième extrait provient de NIOSH. On peut y lire :

« The epidemiologic data are insufficient to document relationship of vibration and neck disorders. »

 

 

[99]           On comprend de cet extrait que la relation n’est pas statistiquement significative pour établir une association causale entre les vibrations et les lésions du cou. Au surplus, la preuve n’a pas démontré l’ampleur des vibrations auxquelles a pu être exposé le travailleur.

[100]       Le représentant du travailleur a aussi déposé un extrait du document servant aux cours en santé et sécurité de l’ASP (T-4). Dans ce document, on affirme que l’exposition prolongée aux vibrations constitue un danger pour la santé du travailleur. Cette exposition peut causer des problèmes aux mains, aux bras, aux épaules et aux articulations ainsi que des maux de dos.

[101]       Dans son argumentation, le représentant du travailleur a prétendu que le cou pouvait être inclus dans le dos. Le tribunal ne partage pas cet avis et ne peut considérer le dos et le cou comme étant le même site anatomique.

[102]       Ce n’est pas parce que le document mentionne que la colonne vertébrale compte 24 vertèbres, dont 7 cervicales, que l’on peut conclure que les maux de dos incluent les maux du cou.

[103]       Aussi, on mentionne dans ce même document que la plupart des blessures au dos surviennent dans la région lombaire puisque cette portion de la colonne vertébrale est la plus sollicitée.

[104]       De cette littérature produite par le travailleur, le tribunal ne peut conclure de façon prépondérante que la hernie discale cervicale est une maladie causée par les vibrations.

[105]       Pour ces raisons, la Commission des lésions professionnelles en vient une fois de plus à la conclusion que le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de maladie professionnelle prévue à l'article 29 de la loi.

[106]       En conséquence, le travailleur a le fardeau de démontrer, par une preuve prépondérante, que les hernies discales C4-C5 et C5-C6 est une maladie professionnelle au sens de l’article 30 de la loi :

30. Le travailleur atteint d'une maladie non prévue par l'annexe I, contractée par le fait ou à l'occasion du travail et qui ne résulte pas d'un accident du travail ni d'une blessure ou d'une maladie causée par un tel accident est considéré atteint d'une maladie professionnelle s'il démontre à la Commission que sa maladie est caractéristique d'un travail qu'il a exercé ou qu'elle est reliée directement aux risques particuliers de ce travail.

__________

1985, c. 6, a. 30.

 

 

[107]       À la lumière de la preuve dont il dispose, le tribunal ne peut conclure que la hernie discale cervicale soit caractéristique du travail exécuté par monsieur Sigouin. En effet, aucune preuve statistique ou épidémiologique n'a été présentée qui permet d'en venir à cette conclusion. L'analyse de la littérature médicale faite un peu plus haut ne permet pas non plus cette conclusion.

[108]       Reste maintenant la question des risques particuliers reliés au travail.

[109]       Tel que déjà mentionné, il a été question à l’audience des risques que constitue l’exposition à des vibrations. Cependant, le tribunal réitère qu'il ne peut conclure, sur la base de la preuve disponible, que l’utilisation d’outils vibratoires dans le cadre du travail exécuté par monsieur Sigouin constitue un risque particulier susceptible de causer une hernie discale cervicale.

[110]       Cette preuve n’a pas non plus démontré que les vibrations pouvaient être la cause de l’arthrose cervicale constatée chez le travailleur.

[111]       Le tribunal ne retient donc pas la prétention du travailleur à savoir que l'exposition à des vibrations causées par les outils utilisés ait pu aggraver la condition du travailleur et être déterminante dans la survenance de la lésion.

[112]       Le travailleur soumet également que les positions contraignantes dans lesquelles il a dû travailler en 2001 chez Gagné sont aussi responsables de l'aggravation de sa condition.

[113]       Dans son expertise, le docteur Leroux invoque les positions contraignantes de torsion du cou lors de l’utilisation des outils vibratoires comme ayant pu contribuer à l’apparition des hernies discales cervicales et à la myélopathie subséquente.

[114]       Il est aussi d’avis que l’arthrose qui est, selon lui, en partie attribuable aux tâches de monsieur Sigouin dans la construction, est en partie responsable des hernies discales cervicales.

[115]       Il est indéniable que le travailleur est porteur d'une condition personnelle au niveau du cou. En effet, l'arthrose et la dégénérescence discale sont documentées depuis 1997. S'ajoute à cela un ligament longitudinal postérieur hypertrophié.

[116]       La jurisprudence a cependant reconnu que la présence d'une condition personnelle préexistante n'était pas un obstacle absolu à la reconnaissance d'une lésion professionnelle. En effet, il est maintenant acquis que l'aggravation d'une condition personnelle par les risques particuliers du travail constitue une lésion professionnelle[7].

[117]       Dans le présent cas, en application du principe de la thin skull rule, le tribunal est d’avis qu’il doit, dans son analyse, tenir compte de la condition du travailleur au moment où il prétend être victime d'une lésion professionnelle.

[118]       Il doit aussi s’en tenir au fardeau de preuve imposé au travailleur, soit celui de la balance des probabilités. Il ne s’agit donc pas de rechercher une preuve de nature scientifique, mais plutôt de s’interroger si le lien de causalité entre la lésion et le travail est démontré de façon prépondérante, soit à 50 % plus un.

[119]       Ainsi, en l’espèce, on a affaire à un travailleur dont la colonne cervicale est passablement atteinte.

[120]       Monsieur Sigouin explique dans son témoignage qu’en exécutant son travail chez Gagné, il devait maintenir son cou dans des positions de flexion latérale, de flexion antérieure ou d’extension, et ce, dépendant de la contrainte d’espace et de l’outil utilisé.

[121]       Selon son témoignage non contredit, ces postures devaient être maintenues alors qu’il tenait à deux mains un marteau piqueur de 17 livres appuyé sur son épaule ou encore qu’il manœuvrait un marteau piqueur de 90 livres, en position debout.

[122]       Au surplus, à compter du mois de juin 2001, le travailleur exécute à temps plein exclusivement les tâches reliées au cassage du béton, et ce, dans un endroit restreint qui lui impose ces postures contraignantes et inconfortables. Selon son témoignage, c’est le travail le plus difficile qu’il a dû exécuter au cours de toutes ces années passées dans le domaine de la construction.

[123]       Compte tenu de la condition personnelle de ce travailleur, le tribunal est d'avis que le travail exigeant et sollicitant pour la région cervicale fait chez Gagné de juin à août 2001 a pu aggraver cette condition personnelle préexistante et causer les hernies discales cervicales diagnostiquées de façon contemporaine à l'exécution de ces tâches.

[124]       C’est en effet en cours d’exécution de ces tâches que monsieur Sigouin ressent non seulement des douleurs cervicales, mais aussi des engourdissements aux mains et des malaises aux jambes. C’est aussi à la suite de l’exécution de ce contrat de travail qu’il décide de consulter un médecin qui prescrit immédiatement l’arrêt de travail et une investigation médicale plus poussée, laquelle a mené rapidement au diagnostic de hernies discales cervicales, et, finalement, à une chirurgie. Avant cela, les symptômes ressentis étaient limités à des douleurs au cou et n’ont jamais été incapacitants, si ce n’est que pour une période de quelques jours.

 

[125]       Dans l’extrait de NIOSH (T-2), on rapporte :

« There is strong evidence that working groups with high levels of static contraction, prolonged static loads, or extreme working postures involving the neck/shoulder muscles are at increased risk for neck/shoulder MSDs. »

 

 

[126]       L’association est ici faite entre des désordres musculo-squelettiques en général du cou et de l’épaule et des positions extrêmes, des positions statiques soutenues ou des charges statiques prolongées au niveau du cou et des épaules.

[127]       D’abord, le tribunal est d'avis que la hernie discale cervicale peut être incluse dans ces désordres du cou, d'autant plus qu'elle n'est pas spécifiquement exclue de cette appellation.

[128]       Ensuite, la preuve prépondérante a démontré qu’à compter du mois de juin 2001, le travail de monsieur Sigouin a comporté des positions statiques de la colonne cervicale en flexion latérale et antérieure et en extension, de même qu’une charge supportée par l’épaule.

[129]       Il est vrai qu'en l’espèce, il n’est pas démontré de positions d’hyperextension ou d’hyperflexion de la colonne cervicale ou encore de traumatisme violent et direct au niveau du cou. C'est d'ailleurs là un des éléments retenus par le médecin de la CSST pour refuser la réclamation du travailleur. Cependant, la preuve a démontré que les tâches exécutées chez Gagné de manière intensive, ont sollicité de façon importante et contraignante la colonne cervicale du travailleur, et ce, tout en maintenant un outil de 17 livres sur l'épaule. Le tribunal est d'avis que ces conditions de travail constituent un risque particulier suffisant pour aggraver la condition personnelle préexistante du travailleur.

[130]       Quant au docteur Bilocq qui a opéré et suivi le travailleur, bien qu'il n'ait pas fourni d'opinion motivée sur le lien de causalité qui pourrait exister entre la lésion du travailleur et son travail, il a tout de même coché, sur le formulaire destiné aux assureurs, la case maladie professionnelle, en lien avec le diagnostic de myélopathie cervicale et de hernies discales C4-C5 et C5-C6 et a ajouté traumatismes cervicaux répétés. Au surplus, le docteur Bilocq est d'avis que monsieur Sigouin ne pourra pas reprendre son travail dans la construction, sa condition entraînant des séquelles permanentes.

[131]       Et, finalement, le docteur Leroux conclut à un lien de cause à effet entre les postures contraignantes adoptées dans l’exécution des tâches chez Gagné et l’aggravation de la condition cervicale du travailleur.

[132]       Pour toutes ces raisons, le tribunal en vient à la conclusion que les hernies discales cervicales C4-C5 et C5-C6 constituent en l'espèce l'aggravation de la condition personnelle cervicale préexistante du travailleur, laquelle aggravation a été causée par les risques particuliers du travail exécuté en 2001 chez Constructions Gagné et fils inc. En conséquence, cette aggravation constitue en l’espèce une lésion professionnelle.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête du travailleur, monsieur Jean Sigouin;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 14 novembre 2002, à la suite d’une révision administrative, quant au refus de la réclamation;

DÉCLARE que le travailleur, monsieur Jean Sigouin, a subi une lésion professionnelle le 20 septembre 2001, soit l’aggravation d’une condition personnelle préexistante causée par les risques particuliers du travail exécuté chez l’employeur Constructions Gagné et fils inc.

 

 

________________________________

 

Diane Lajoie

 

Commissaire

JACQUES LAHAIE

C.S.N.

Représentant de la partie requérante

 

JEAN-SÉBASTIEN CLOUTIER

Bourque, Tétreault et Associés

Représentant des parties intéressées Entreprises Kiewit ltée, Hervé Pomerleau inc.

 

MICHEL LAROUCHE

Groupe AST inc.

Représentant de la partie intéressée Matériaux économiques inc.

 

KARINE PICHETTE

Leblanc, Lalonde et Associés

Représentante des parties intéressées Coffrage bionique ltée, Constructions Gagné et Fils inc., Métallurgie Brasco enr.

 



[1]          L.R.Q., c.A-3.001

[2]          Sigouin et Maurecon inc. , C.L.P. 196052-04B-0212, 27 octobre 2003, J.-F. Clément

[3]          Sclérose en plaques

[4]         BOVENDI, M., ZADINI A, FRANZINELLI A, BORGOGNI F. Occupational musculoskeletal            disorders in the neck and upper limbs of forestery workers exposed to hand-arm vibration,   Institute of Occupationnal Health University of Trieste, Italy, PubMed.;      Chap. 2: « Neck            Musculoskeletal Disorders: Evidence for Work-Relatedness », dans UNITED STATES,            DEPARTMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES, PUBLIC HEALTH SERVICE,       CENTERS FOR DISEASE CONTROL AND PREVENTION et P. BERNARD, Musculoskeletal       Disorders and Workplace Factors : A Critical Review of Epidemiologic Evidence for Work-Related    Musculoskeletal Disorders of the Neck, Upper Extremity, and Low Back, Washington, NIOSH,     1997, p. 4-1 - 4-48

 

[5]          Article 328 de la loi

[6]          Article 224 de la loi

[7]          P.P.G. Canada inc. c. Commission d’appel en matière de lésions professionnelles [2000] C.L.P. 1213 (C.A.) AZ-50084838 ; Côté et GTE Sylvania Canada ltée (Osram), C.L.P. 118052 - 04B‑9906, 13 juin 2001, L. Collin

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