Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Pommes Ma-gic inc.

2014 QCCLP 3309

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Saint-Hyacinthe

4 juin 2014

 

Région :

Yamaska

 

Dossier :

517955-62B-1307

 

Dossier CSST :

138911532

 

Commissaire :

Michel Watkins, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Pommes Ma-gic inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

 

 

[1]           Le 26 juillet 2013, Pommes Ma-gic inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 17 juillet 2013 lors d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme sa décision initiale du 18 juin 2013 et déclare que l’imputation au dossier de l’employeur du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 17 janvier 2012 demeure inchangée.

[3]           L’audience s’est tenue à Saint-Hyacinthe le 31 mars 2014 en présence de l’employeur et de sa représentante. Le dossier est mis en délibéré le même jour.


 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur invoque les dispositions de l’article 326 (2) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) et demande au tribunal de déclarer qu’il ne doit pas être imputé du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 17 janvier 2012, et ce, à compter du 13 juillet 2012, date à laquelle le travailleur est retourné vivre en France.

[5]           L’employeur soutient essentiellement que le départ du travailleur pour la France, en cours d’évolution de sa lésion professionnelle, l’a empêché de mettre en place diverses mesures de gestion prévues à la loi et que dans ce contexte, l’octroi de « prestations » au travailleur par la CSST, en vertu de l’application de l’Entente en matière de sécurité sociale entre le gouvernement du Québec et le Gouvernement de la République française (ci - après, « l’Entente »)[2], a pour conséquence de l’obérer injustement.

[6]           De façon subsidiaire, la représentante de l’employeur invoque l’application du premier alinéa de l’article 326 de la loi au soutien de sa position, citant de la jurisprudence traitant de cette disposition.

 

LES FAITS

[7]           De l’analyse du dossier, des documents produits et du témoignage de madame Madeleine Leroux, secrétaire à l’administration chez l’employeur, la Commission des lésions professionnelles retient les éléments pertinents suivants.

[8]           Le travailleur, d’origine européenne, vit au Québec depuis 1984. Au cours de cette période, le travailleur a occupé divers emplois, notamment un poste de gestionnaire d’entrepôt pendant quatorze ans au CRDI de Longueuil puis, durant trois ans, un poste semblable pour l’employeur Moisson Rive-Sud[3]. En novembre 2011, il débute un travail de responsable à la production chez l’employeur, Pommes Ma-gic inc., une entreprise faisant l’emballage et la transformation de pommes.

[9]           Le 17 janvier 2012, le travailleur subit un accident du travail alors qu’il perd l’équilibre lors de la manutention de boîtes de pommes.

[10]        Le 20 janvier 2012, le travailleur consulte le Dr Bouchard qui diagnostique une « entorse lombaire et sciatalgie droite ». Un arrêt de travail et des traitements sont prescrits.

[11]        Le 9 février 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que le travailleur a subi un accident du travail le 17 janvier 2012, retenant le diagnostic d’entorse lombaire avec sciatalgie. Cette décision sera maintenue en révision administrative le 16 mai 2012 et cette dernière décision est devenue finale, l’employeur s’étant désisté de sa requête au tribunal le 25 septembre 2012.

[12]        Le 14 février 2012, la Dre Marie Léonard diagnostique une entorse lombaire et soupçonne l’existence d’une hernie discale. Le médecin demande un CT scan.

[13]        Le 23 février 2012, le travailleur passe un examen par résonance magnétique du rachis lombaire qui révèle une hernie discale au niveau L5-S1, hernie provoquant des sténoses foraminales bilatérales légères et causant un effet de masse léger sur les racines nerveuses S1 bilatérales.

[14]        Par la suite, soit le 29 février 2012, le 8 mars 2012 et le 3 avril 2012, la Dre Léonard retiendra ce même diagnostic de hernie discale L5-S1 aux rapports médicaux produits pour la CSST.

[15]        Le 29 mars 2012, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare qu’il y a relation entre le nouveau diagnostic de hernie discale L5-S1 posé chez le travailleur et l’événement du 17 janvier 2012. Cette décision sera maintenue en révision administrative le 24 avril 2012, puis confirmée par la Commission des lésions professionnelles le 22 octobre 2012[4].

[16]        Entre-temps, le travailleur reçoit des traitements d’acupuncture, d’ergothérapie et reçoit également des blocs foraminaux.

[17]        Le 8 mai 2012, la Dre Léonard parle de « lombalgie sur hernie discale L5-S1 ». Elle procède à de nouveaux blocs foraminaux et ajoute de la médication Flexeril à celle déjà utilisée par le travailleur.

[18]        Le 5 juin 2012, la Dre Léonard remplit un formulaire « Information médicale complémentaire écrite » à la demande du Dr Gaudreau, médecin conseil à la CSST. La Dre Léonard rapporte que le travailleur a reçu un second bloc foraminal lombaire, qu’il est toujours souffrant et qu’un tel « problème de douleur peut durer plusieurs mois à un an ». Le médecin indique qu’elle doit revoir le travailleur le 19 juin 2012.

[19]        Le même jour, le travailleur est examiné par le Dr Pelletier à la demande de l’employeur. Au terme de son examen, le Dr Pelletier se dit d’opinion que l’entorse lombaire du travailleur est consolidée le jour de son examen, que la hernie discale est non consolidée, mais qu’elle n’est pas reliée à l’entorse.

[20]        Le 7 juin 2012, l’agente Belleville de la CSST discute avec le travailleur qui l’informe du fait qu’il songe à se rendre en France. L’agente note ceci :

Appel de T : déménagement en France ?

 

Aspect Psychosocial

Reçu appel de Monsieur; il songe très sérieusement à se rendre en France. Sa maison est en vente, car il se sépare; il dit qu’il n’aura plus de voiture et ne connaît pas vraiment de gens pouvant l’aider au Québec. Il songe donc à se rendre en France où est toute sa famille. Il y aurait du support et de bons soins. Il veut en parler avec moi et savoir quelles démarches faire.

 

J’explique que tant qu’il est indemnisé par la CSST, il a l’obligation d’aller à ses traitements et faire son suivi médical. Il dit qu’il le fera là-bas. J’explique que la CSST n’a aucune entente avec les associations professionnelles (médecins, physiothérapeutes, etc) à l’étranger. Il serait préférable de bien se guérir, puis s’il souhaite réorganiser sa vie en France, il pourra le faire. J’explique le lien avec son employeur, l’assignation temporaire éventuellement, la suspension des IRR que cela impliquerait s’il ne les fait pas.

 

Monsieur dit que son médecin lui aurait dit que ça pouvait se faire. Je confirme que certains médecins permettent parfois une ou deux semaines de vacances; en fait ces médecins se trouvent à nous confirmer que le travailleur ne se détériorera pas s’il ne fait pas ses traitements durant cette période. Mais on ne peut autoriser une période plus longue. S’il souhaite aller voir sa famille 2 semaines pour se ressourcer et réfléchir, je n’ai pas de problème, mais il ne peut partir sans savoir quand et s’il reviendra au Québec.

 

J’avance l’idée qu’il pourrait trouver un petit appartement non loin de sa clinique le temps de sa guérison, nous l’indemnisons, il a donc un revenu. Monsieur me dit qu’il trouve cela compliqué et n’a pas la tête à ça. Il me fait part que “tout le monde” lui dit que son stress, compte tenu de cette situation familiale difficile, n’aide pas à son dos. Je conviens que le stress ne favorise pas une prompte guérison, mais sa situation familiale lui est personnelle.

 

Monsieur insiste, je lui indique que je ne peux l’autoriser à quitter pour la France. Si tel est tout de même son intention, je l’invite à communiquer avec son médecin et à obtenir un RMF, ou encore à présenter une lettre de désistement.

 

Il dit qu’il va réfléchir à tout ça, attendra de revoir son médecin le 20 juin et me rappellera.

 

[Nos soulignements]

 

 

[21]        Le 19 juin 2012, le travailleur revoit la Dre Léonard. Au rapport médical produit pour la CSST, la Dre Léonard pose toujours le diagnostic de lombosciatalgie droite sur hernie discale L5-S1. Il est noté que la lésion sera consolidée dans « plus de 60 jours » et le médecin indique : « Arrêt de travail à poursuivre - repos en France dans sa famille à partir 13/07/12; réf. Md en France après 13 juillet 2012 ».

[22]        Le 21 juin 2012, l’agente Belleville de la CSST discute de nouveau avec le travailleur, ainsi qu’avec l’actuelle représentante de l’employeur à l’audience, madame Isabelle Cyr. L’agente Belleville note ceci :

Titre : Appel de E et T/déménagement France

- ASPECT MÉDICAL:

T nous contacte et nous fait part que suite à sa séparation et la vente de sa maison, il retourne vivre en France.

Il a déjà été avisé des contraintes que ceci implique pour son dossier CSST.

Il est avisé des motifs pouvant mener à une suspension des indemnités, mais malgré tout il part en France le 13 juillet, son billet d’avion est déjà acheté.

Il sera suivi là-bas par le médecin qui le suivait enfant et suit encore sa famille.

Son médecin actuel ne voit pas de contre-indication à ce qu’il fasse le voyage en avion.

T demande à ce que les communications soient faites auprès de son représentant, M. Michel Julien, 450-904-1777.

Lui expliquons que les communications doivent être faites auprès du T et ce dernier communiquera ce qu’il désire à son représentant.

Ce représentant lui aurait signifié qu’il existe des accords entre la France et le Québec au sujet des dossiers d’accidents du travail.

Validerons auprès de nos services juridiques et le recontacterons par la suite.

 

- ASPECT PROFESSIONNEL:

Appel de Isabelle Cyr, représentante de E (450-578-0939).

 

Elle explique avoir reçu le dernier rapport médical sur lequel est indiqué que le T part vivre en France. Elle souligne les différents éléments de complexités que ceci générera pour la gestion et le suivi médical du dossier.

 

Comprenons bien que ceci est inhabituel et lui indiquons que nous validerons avec notre service juridique avant de pouvoir lui donner des réponses claires.

 

De leur côté, ils ont fait voir le T en expertise et leur médecin consolide l’entorse, mais indique que la hernie pourra être consolidée dans 2 semaines. [sic]

 

[Nos soulignements]

 

 

[23]        Le 20 juin 2012, madame Isabelle Cyr, gestionnaire en santé et en sécurité du travail mandatée par l’employeur, écrit à la Dre Léonard, médecin traitant du travailleur, afin de lui demander d’autoriser pour celui-ci du travail dans le cadre d’une assignation temporaire (pièce E-1, produite à l’audience). La représentante de l’employeur joint à cette lettre un formulaire « assignation temporaire d’un travail » décrivant deux tâches que pourrait offrir l’employeur au travailleur à compter du « 25 juin 2012 et pour une durée indéterminée » et le formulaire porte une annotation à l’attention du médecin, soit : « Si refusé, svp expliquez pourquoi ». Cette demande d’autorisation d’un travail en assignation temporaire est expédiée le même jour au médecin, par télécopieur, et reçue par la clinique où pratique la Dre Léonard.

[24]        Le 22 juin 2012, l’employeur produit une demande à la CSST afin que le dossier du travailleur soit soumis à une évaluation du Bureau d’évaluation médicale.

[25]        Le 26 juin 2012, le travailleur écrit à la CSST pour l’informer de son départ pour la France le 13 juillet 2012. Le travailleur écrit ceci :

Mesdames Belleville et Turcot,

À la lumière des informations recueillies sur mon dernier rapport médical et suite au diagnostic de mon médecin de famille (date du dernier rendez-vous; 19 juin 2012), ainsi que suite à une conversation téléphonique à la mi-juin avec Madame Turcot, il s’avère que la guérison de mon hernie discale sera longue et prendra encore plusieurs mois.

 

Compte-tenu de ma situation personnelle actuelle, je me vois contraint de déménager dans ma famille en France, afin de me permettre d’obtenir les conditions idéales pour me soigner et arriver à un rétablissement de mon état de santé.

 

Je voulais donc, par cette lettre, vous aviser de mon changement d’adresse et vous informer qu’à compter du 13 juillet prochain, je vais demeurer chez mon frère, Fabian Pastor, dont l’adresse du domicile est le « […], Bibost, France. », No tél. : […].

 

Vous pourrez toujours communiquer avec moi, via mon adresse courriel : […]

 

J’aurai un suivi médical régulier, auprès du Docteur Jean Castaings, 40, avenue Europe, 69 140, Rillieux La Pape, no de téléphone 04 78 88 04 50.

Mes informations bancaires demeurent inchangées. [sic]

 

 

[26]        Le 3 juillet 2012, l’agente Belleville de la CSST communique avec la représentante de l’employeur et note :

- ASPECT PROFESSIONNEL:

Suite à un message laissé, communiquons avec Mme Isabelle Cyr, représentante de E.

 

Elle désire savoir ce que nous ferons vu le déménagement du T en France.

 

Lui expliquons avoir recueilli des informations à ce sujet et lui expliquons que nous avons des ententes avec la France et le dossier se poursuivra, ainsi que le versement des IRR.

 

Elle mentionne que ceci n’est pas gérable pour E et désire avoir une décision ou copie d’un document qui appui [sic] et explique les ententes que nous avons avec la France.

 

Tenterons de trouver un document explicatif à ce sujet.

 

Aussi, avons reçu demande de BEM. Si le T est parti, nous devrons demander au BEM de se prononcer sur dossier.

 

Convoquerons le T avant son départ prévu le 13 juillet.

 

[Nos soulignements]

 

 

[27]        Le 4 juillet 2012, la Dre Léonard remplit un « rapport complémentaire » en regard du rapport du Dr Pelletier, médecin désigné de l’employeur. La Dre Léonard y indique ceci :

Je maintiens le diagnostic d’hernie [sic] discale lombaire comme accident de travail, car aucune histoire de lombalgie préalable; le patient a donc droit au bénéfice du doute. De plus, il a entendu un craquement lombaire lors de l’incident. Le patient a toujours besoin de soins : médication, acupuncture et ergothérapie et ne peut travailler. Il a une douleur au repos diminuée depuis le bloc foraminal qui a été fait il y a un mois mais douleur augmente à l’effort ou même en éternuant. Il quitte pour la France le 13/07/12 et devra maintenir des soins là-bas.

 

[Nos soulignements]

 

 

[28]        Le 9 juillet 2012, la représentante de l’employeur écrit au travailleur en vue de « connaître ses intentions face à l’employeur ». La représentante de l’employeur écrit ceci :

Monsieur,

 

Nous représentons les intérêts de la compagnie Pommes Ma-gic apples dans votre dossier CSST 138 911 532.

 

Suite à une intervention que vous avez eue avec votre agente de CSST, Madame Virginie Belleville le 7 juin dernier, nous aimerions connaître vos intentions envers votre employeur. Lors de cette entretien, vous avisiez votre agente que vous songiez à vous rendre en France. Suite à votre séparation ainsi que la mise en vente de votre maison vous auriez plus de support et de bons soins près de votre famille en France, puisque vous n’avez pas vraiment de gens pouvant vous aider au Québec.

 

Tout d’abord, nous aimerions vous informer que votre employeur a des travaux légers de disponible et qu’une demande a été faite à votre médecin traitant. Comme vous le savez, vous êtes en arrêt de travail, et ce, depuis le 17 janvier 2012 et qu’une assignation temporaire vous permet de demeurer actif tout en permettant un prompt rétablissement tout en conservant un lien avec votre employeur. Sachez que votre employeur s’engage à respecter vos limitations fonctionnelles temporaires ainsi que de vous libérer pour vos suivis médicaux et traitements.

 

Par la présente, nous aimerions connaître vos intentions concernant votre lien d’emploi avec Pommes Ma-gic. Avez-vous l’intention de reprendre le travail pour votre employeur suite à votre guérison ? Êtes-vous disponible pour faire des travaux légers ? Nous aimerions être informés dans les plus brefs délais.

 

Espérant le tout conforme, nous vous prions de recevoir, monsieur, l’assurance de nos sentiments les meilleurs. [sic]

 

 

[29]        Le même jour, l’employeur convoque le travailleur à un examen médical auprès d’un médecin désigné, le Dr Dionne, le 11 juillet 2012.

[30]        Toujours le 9 juillet 2012, la représentante de l’employeur, madame Cyr, a un entretien téléphonique avec le travailleur. Tel qu’il appert des notes personnelles consignées par la représentante de l’employeur, notes produites à l’audience, celle-ci discute alors avec le travailleur de sa convocation à un examen auprès d’un médecin désigné de l’employeur et note que le travailleur l’informe qu’il ne pourra s’y présenter, étant convoqué par la CSST le 11 juillet au matin. La représentante note également que le travailleur l’informe qu’il retourne en France pour s’y établir, qu’il s’y trouvera un nouvel emploi lorsque sa lésion sera guérie et qu’il « ne retournera pas travailler pour l’employeur ». La représentante note également ceci :

[…]

Je l’informe que l’employeur a des travaux légers à lui suggérer, il n’est pas intéressé tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas guéri et que de toute façon son médecin traitant n’est pas d’accord. Je lui dis que les travaux suggérés ne sont pas plus exigeant que les tâches qu’il fait présentement à la maison. De toute façon, il n’a pas l’intention de revenir travailler chez l’employeur. J’informe le travailleur qu’il a un lien d’emploi avec son employeur et qu’il aurait dû informer son employeur de son départ, il répond qu’il ne le savait pas et que de toute façon il n’avait plus de contact avec son employeur, car il l’avait trop harcelé en début de dossier, qu’il était convoqué en audition en septembre. Je lui dis qu’il pourra se faire entendre lors de cette audition, il me répond qu’il verra s’il sera présent où s’il demandera une remise ! Je termine la conversation que je communiquerai avec son agente afin de confirmer son rendez-vous.  [sic]

 

[Notre soulignement]

 

 

[31]        Le 11 juillet 2012, la représentante de l’employeur discute de nouveau avec l’agente Belleville de la CSST pour lui faire part des difficultés rencontrées par l’employeur à l’égard du dossier du travailleur. L’agente Belleville note ceci :

Discussion avec Isabelle Cyr, représentante de E.

Elle se questionne sur la façon de gérer la situation vue le déménagement du T.

Demande de BEM sera tout de même acheminée. Le BEM devra se prononcer sur dossier.

Elle se demande comment procéder lorsqu’ils voudront faire expertiser le T.

Tenterons de trouver l’information et la recontacterons.

 

Elle indique qu’elle remet en question la crédibilité du T.

Des gens l’aurait vu, marchant avec sa conjointe et en ayant l’air en bon terme. Elle remet en question les dires du T sur sa séparation.

Elle ajoute que le T a 3 enfants, qu’il est étrange qu’il quitte le pays sans ses enfants.

 

Elle explique avoir parlé au T ce lundi et lui avoir demandé de se présenter en expertise le mercredi 11 juillet.

T aurait répondu qu’il ne pouvait pas en raison d’un rv, avec nous, le 11 au matin.

Mme Cyr n’a pas pris de chance vu le cours délai et a annulé son expertise.

 

Lors de cette conversation, elle a questionné le T sur son état de santé actuel.

Elle relève le fait que le T indique que sa médication n’est pas efficace, mais qu’il compte sur la médication pour arriver à faire le voyage en avion jusqu’en France.

Mme Cyr désirerait que nous validions ces informations lors de notre rencontre avec le T prévue ce matin.

 

ASPECT LÉGAL:

Mme Cyr indique qu’elle souhaite que le T ne demande pas de remise d’audition à la dernière minute, pour la CLP prévue en septembre.

T lui aurait mentionné qu’il ne serait peut-être pas présent, ce à quoi elle lui a répondu qu’il était convoqué et devait donc y être.[sic]

 

[Nos soulignements]

 

 

[32]        Le même jour, l’agente Belleville rencontre le travailleur et rapporte ceci :

Titre : Rencontre à nos bureaux/encadrement départ en France

- ASPECT MÉDICAL:

Rencontrons T à nos bureaux pour structurer le déroulement du suivi médical vu le départ pour la France prévu le 13 juillet.

 

- Expliquons que T qu’il devra conserver un compte bancaire au Québec, ce qu’il avait l’intention de faire.

- Expliquons le principe du BEM. Une demande est en cours dans son dossier. Vu qu’il ne sera pas au pays, nous demanderons au BEM de se prononcer sur dossier.

Conséquence de l’avis du BEM expliqué.

 

- Expliquons au T qu’il devra contacter sa caisse primaire d’assurance maladie en arrivant au pays pour la mise en place des traitements.

- Expliquons que la loi LATMP s’appliquera même si il est à l’étranger, son droit à l’IRR et à l’assistance médicale est le même. Les motifs de suspension d’IRR sont aussi les mêmes.

 

- Établissons clairement que nous nous attendons à un suivi médical à chaque mois. Le T communiquera avec nous par courriel pour nous faire son suivi vu le décalage horaire et nous postera les rapports médicaux.

- Un RMF vierge est remis au T. Lui expliquons ce qu’est atteinte et limitation.

 

- T nous donne l’autorisation de communiquer avec lui par courriel et ce tout en ayant été avisé que ce moyen de communication n’est pas sécurisé. Il considère qu’il s’agira du moyen le plus efficace et simple pour communiquer.

 

T a droit aux réclamations pour déplacement de son domicile à ses traitements. II aura accès au formulaire sur notre site Internet.

 

Tenterons d’acheminer copie de toutes correspondances à son représentant au Québec.

Pour les envois postaux, il sera préférable d’indiquer sur l’enveloppe, au nom du destinataire: Marc Pastor, chez Fabien Pastor. En France, lorsqu’une lettre est adressée à quelqu’un d’autre que ceux connu à l’adresse indiquée, la lettre n’est pas toujours distribuée.

 

Donc, à son arrivé le T prendra contact avec son médecin et sa caisse primaire d’assurance maladie. Il nous contactera ensuite pour nous informer du déroulement de ses démarches.

 

Lui posterons sa copie du formulaire Q-211, que notre secrétariat général a acheminé à sa caisse primaire. Il pourra donc avoir copie des demandes faites à sa caisse primaire. [sic]

 

[Nos soulignements]

 

 

[33]        Le 20 juillet 2012, l’employeur produit une demande de transfert de coûts à la CSST, invoquant l’article 326 de la loi. La demande repose sur les éléments suivants :

Nous représentons les intérêts de la compagnie Pommes Ma-gic dans le dossier identifié en rubrique.

 

Par la présente, nous demandons un transfert d’imputation des coûts du présent dossier, car les faits démontrent que monsieur Pastor a déménagé en France.

 

En effet, le travailleur a quitté le Québec le 13 juillet dernier. Monsieur Pastor a subi un accident de travail le 17 janvier 2012. Depuis, monsieur est en arrêt de travail. Toutefois l’employeur a suggéré des travaux légers à son médecin traitant. Nous n’avons eu aucune réponse de la part du médecin, évidemment il n’est pas dans l’intérêt du médecin traitant d’accepter les travaux légers, sachant que monsieur ne pourrait s’y présenter.

 

Une entente entre le Québec et la France permet au travailleur de conserver ses indemnités et celui-ci a le droit de s’y établir en autant qu’il poursuive ses traitements ainsi que son suivi médical. Toutefois, c’est un choix personnel que monsieur Pastor a fait en déménageant en France et ne garde aucun rattachement avec son employeur. L’employeur n’a aucun établissement en France. De plus, l’employeur n’a plus aucun droit sur le travailleur. Entre autres il ne peut utiliser son droit de convoquer le travailleur en expertise tel que le stipule l’article 209 de la LATMP, puisque celui-ci ne pourra se présenter.

 

Étant donné ces circonstances, nous demandons qu’aucun coût ne soit imputé au dossier de Pommes Ma-gic, et ce à compter du 13 juillet 2012 puisque nous croyons que notre client subit une injustice au sens de la loi.

 

[Nos soulignements]

 

 

[34]        Le 3 août 2012, le Dr Daniel Shedid, neurochirurgien et membre du Bureau d’évaluation médicale, procède à l’analyse du dossier médical du travailleur. Celui-ci étant absent à la suite de sa convocation à l’évaluation médicale, l’avis du Dr Shedid est donc émis sur la seule foi du dossier. Au terme de son analyse, le Dr Shedid écrit qu’il « est impossible de se prononcer sur la date de consolidation du travailleur étant donné que je ne l’ai pas évalué ». Le Dr Shedid conclut par ailleurs qu’une troisième infiltration pourrait être faite et, en cas d’échec, il suggère une résonance magnétique et une consultation en chirurgie.

[35]        Le 29 août 2012, le travailleur communique avec l’agente Léveillée de la CSST qui note ceci :

Titre : Appel du T - suivi

 

- ASPECT MÉDICAL:

Appel du T - dit qu’il nous avait expédié des documents médicaux mais que le courrier lui est revenu, car il n’avait pas suffisamment affranchi l’enveloppe.

Dit qu’il va nous le réexpédier.

 

Le médecin qui le suit chez lui est le Dr Pierre-Yves (généraliste)

Je demande au T de nous faire parvenir les coordonnés de ce médecin, avec qui nous communiquerons. T dit qu’il serait en attente de voir un neuro-chirurgien, cependant a des problèmes à obtenir la carte médicale qui lui permettra de rencontrer le médecin (?)

Dit que ça peut prendre encore un mois.

 

Dit qu’il fait 2 heures de piscine par jour. Ce sont les traitements adéquats pour lui en ce moment. Me parle d’un retour au travail chez son beau-frère. => voir sous la rubrique Aspect professionnel.

 

- ASPECT PROFESSIONNEL:

T dit que son beau-frère vient de se partir une compagnie de 4 X 4

T veut savoir si il pourrait y travailler. Son beau-frère lui offrirait un poste à 20-25 heures par semaine pour un poste dans l’administration. Ferait du travail de bureau.

Me dit que pour lui c’est une opportunité de reprendre lentement sur le marché du travail. Me précise que son beau-frère ne le payera pas.

 

Je demande au T pendant combien de temps “pratiquera-t-iI’ sa reprise sur le marché du travail. Le T me dit que ce serait pour une période de 8 mois à peu près. Et que par la suite il devrait être engagé si tout va bien.

 

Je mentionne au T qu’il peut travailler si son médecin mentionne sur un rapport médical qu’il n’y a pas médicalement” pas de problème.

De plus, je précise au T que si il reçoit des gains de salaire, doit absolument nous en informer, car autrement il s’agirait de fraude. [sic]

 

[Nos soulignements]

 

[36]        Le 30 août 2012, l’agente Belleville note ceci :

Titre: Message de T/neurochir

- ASPECT MÉDICAL:

T laisse un message indiquant qu’il nous a acheminé les documents médicaux de son médecin ainsi que sa référence en neurochir, mais le tout lui serait revenu en raison du poids de l’enveloppe.

Il aurait de la difficulté à avoir un rv dans cette spécialité, car il n’a pas encore sa carte de sécurité sociale.

Il nous rappellera plus tard.

 

 

[37]        Le 13 septembre 2012, la CSST rend une décision donnant suite à l’avis rendu par le Dr Shedid du Bureau d’évaluation médicale. La CSST déclare que le travailleur continuera de toucher des indemnités de remplacement du revenu, sa lésion n’étant pas consolidée, alors que des traitements et investigations sont suggérés. L’employeur conteste cette décision.

[38]        Le 19 septembre 2012, le conseiller en réadaptation Lemay procède à une première analyse des « possibilités professionnelles » du travailleur. Il prend connaissance, à partir du dossier, des compétences scolaires et professionnelles du travailleur et revient sur la visite de poste ayant été effectuée chez l’employeur en mars 2012. Au terme de son analyse, le conseiller Lemay s’interroge à savoir si l’emploi que le travailleur pourrait occuper au sein de l’entreprise de son frère en France pourrait être déterminé comme un emploi convenable pour le travailleur si celui-ci ne pouvait reprendre son emploi prélésionnel.

[39]        Le 3 octobre 2012, la représentante de l’employeur écrit de nouveau à la CSST pour lui demander de se prononcer sur le droit du travailleur de toucher des indemnités de remplacement du revenu alors qu’il n’est plus au Québec et qu’il n’a plus de lien de « rattachement » avec l’employeur. La représentante écrit ceci :

Nous représentons les intérêts de l’employeur dans le dossier identifié en rubrique.

 

Depuis le 13 juillet 2012, monsieur Marc Pastor a déménagé en France. Il a vendu sa résidence au Québec pour s’installer en Europe.

 

Le 10 septembre 2012, la CSST a versé des indemnités de remplacement du revenu au travailleur, et ce, depuis son départ du Québec, soit le 13 juillet 2012.

 

Par la présente nous désirons contester cette décision, car mal fondée en faits et en droit.

 

La CSST a accepté de poursuivre de verser les indemnités, car il y a une entente entre la

France et le Québec. De plus, le travailleur a été convoqué à rencontrer le Dr Daniel Shedid membre du BEM le 3 août dernier. Le travailleur ne s’est pas présenté et la CSST a quand même versé les indemnités à monsieur Pastor.

 

Voici un des extraits concernant l’entente entre le Québec et la France:

« Il est à noter que les ententes internationales en matière de sécurité sociale auxquelles la CSST participe n’ont pas préséance sur la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). En effet les dispositions de cette dernière demeurent incontournables. Par exemple, pour qu’un travailleur québécois soit protégé par la LATMP à l’extérieur du Québec, il doit notamment avoir son domicile au Québec au moment de son affectation et conserver un rattachement avec son employeur du Québec.

 

Ces conditions sont requises, que la CSST participe ou non à une entente avec un pays étranger. »[5]

 

Dans le cas présent, monsieur Pastor ne conserve aucun rattachement avec son employeur étant donné qu’il a déménagé en France et l’employeur n’a aucun établissement en France.

 

De plus, si on poursuit la lecture de cette entente on prévoit que le travailleur ou l’employeur doit demander un certificat d’assujettissement.

 

«  Certificats d’assujettissement (s’applique à toutes les ententes auxquelles la CSST participe, à l’exclusion de celle avec l’Italie)

Une entente internationale a aussi l’avantage de permettre à un employeur québécois de demander la délivrance d’un certificat d’assujettissement pour un employé domicilié au Québec qui ira travailler temporairement dans un pays signataire d’une entente à laquelle la CSST participe. Un tel certificat, délivré après avis favorable des organismes québécois de sécurité sociale (RRQ, CSST et, dans certaines ententes, RAMQ), atteste que le travailleur en question demeure assujetti à la législation québécoise visée par l’entente, mais le soustrait à la législation correspondante de l’autre pays. L’employeur québécois est ainsi exempté de cotiser au régime de sécurité sociale du pays concerné. Bien sûr, le travailleur ne peut dans ce cas demander d’indemnisation en vertu du régime de ce pays. Il peut néanmoins profiter de la collaboration entre les organismes. »[6]

 

Dans le présent dossier, monsieur Pastor ne conserve aucun rattachement avec son employeur et l’employeur n’a pas demander [sic] la délivrance d’un tel certificat.

Nous demandons donc que ce dossier soit analysé par un réviseur dans les plus brefs délais, afin que nous puissions faire valoir nos droits.

 

Je demeure disponible pour toute information supplémentaire et je vous prie d’agréer, madame, monsieur, mes salutations les plus distinguées.

 

 

[40]        Tel qu’il appert de la note de l’agente Léveillée du 17 octobre 2012, la CSST semble présenter certaines difficultés à joindre le travailleur au sujet de certains renseignements requis aux fins du dossier, notamment la preuve attendue que le travailleur ait ouvert son dossier auprès de la « Caisse Primaire ». Le 18 octobre 2012, l’agente fait parvenir un courriel au travailleur le sommant de communiquer avec elle.

[41]        Le 24 octobre 2012, l’agente Léveillée note ceci :

- ASPECT FINANCIER:

Avons tenté de rejoindre le T la semaine dernière.

Il s’est avéré que le numéro de téléphone que nous avait laissé le T n’était plus le sien.

Avons donc écrit au T (courriel) afin qu’il communique avec nous dans les plus brefs délais puisque que n’avons aucun document médical récent au dossier qui nous permette de faire un suivi adéquat de son dossier. Nous avons besoin d’information.

A ce jour, le T n’est pas entré en communication avec nous.

Nous suspendons les IRR et attendons un retour d’appel et les informations requises pour le suivi du dossier.

 

 

[42]        Le 25 octobre 2012, l’agente Léveillée donne suite à son analyse et rend une décision suspendant le versement des indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur.

[43]        Le même jour, le travailleur communique avec l’agente Léveillée qui note ceci :

Titre: Appel du T - suivi

 

-ASPECT MEDICAL;

T me dit qu’il verra un spécialiste le 5 novembre 2012.

Je demande au T si il a des traitements présentement.

Me dit que non. Il prend des médicaments et fait de la piscine.

Je demande au T si il a fait les démarches auprès de la Caisse Primaire.

Me dit que oui. Lui demande une confirmation ainsi que son numéro de dossier à la Caisse Primaire.

 

T dit qu’il ne l’a pas eu. Je lui demande de faire les démarches afin de l’obtenir. Nous avons besoin de cette information pour poursuivre le traitement de son dossier.

De plus je l’informe que je lui fais parvenir un document « autorisation de divulgation de renseignements » avec la République Française. Doit signer ce document et nous

le retourner dans les plus brefs délais.

 

-ASPECT LÉGAL:

T est informé que sur réception du rapport médical du médecin qu’il rencontrera le 5 novembre prochain, sur réception de document signé pour l’obtention de renseignements auprès de la République Française ainsi que la confirmation du dossier ouvert et du numéro de dossier de la Caisse Primaire nous poursuivrons le traitement de son dossier. [sic]

 

 

[44]         Le 19 octobre 2012, la CSST confirme, lors d’une révision, sa décision initiale du 13 septembre 2012 ayant donné suite à l’avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale. L’employeur a contesté cette décision auprès du tribunal (dossier 486029-62B-1210 du tribunal), mais s’est désisté de sa requête le 17 avril 2013.

[45]        Le 22 octobre 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision confirmant que la hernie discale L5-S1 diagnostiquée chez le travailleur est en relation avec l’événement accidentel du 17 janvier 2012 et que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi en regard de ce diagnostic.

[46]        Le 7 novembre 2012, le travailleur communique avec l’agente Léveillée pour l’informer qu’il lui a fait parvenir, la veille, les documents attendus. L’agente note également ceci :

Lui demande quelle est l’évolution de la lésion.

T dit que le neurochirurgien qu’il a rencontré lui a dit de se reposer et de faire de la piscine.

Lui aurait dit que le temps de guérison pourrait être long.

Doit revoir le médecin dans deux mois, soit vers le début janvier.

Monsieur Pastor dit que son dossier est ouvert à la Caisse Primaire mais qu’on n’a pas voulu lui donner un document le confirmant.

Il n’a que son numéro de dossier en note ainsi que le numéro de téléphone pour rejoindre la Caisse Primaire.

 

[47]        Informé que le travailleur sera au Québec à compter du 15 novembre 2012, l’employeur communique ce renseignement à la CSST. Le 14 novembre 2012, l’agente Léveillée communique par courriel avec le travailleur pour vérifier le bien-fondé de cette information et lui indiquer que si tel est le cas, la CSST profitera du passage du travailleur au Québec pour le faire examiner par un médecin.

[48]        Le même jour, le travailleur confirme à l’agente Léveillée qu’il sera au Québec à compter du 16 novembre 2012 pour y rencontrer ses enfants. Il demande également à l’agente si elle a reçu les documents qu’il lui a fait parvenir. Celle-ci lui répond ne pas avoir en main lesdits documents et suggère au travailleur de les apporter avec lui lors d’une rencontre à tenir la semaine suivante, soit le 20 novembre 2012. De plus, l’agente informe le travailleur qu’elle lui remettra alors une convocation à un examen médical devant se tenir le 28 novembre 2012.

[49]        Le 20 novembre 2012, le travailleur rencontre l’agente Léveillée ainsi que le conseiller en réadaptation Lemay. Le tribunal croit utile de reproduire intégralement la note de l’agente Léveillée à la suite de cette rencontre dans la mesure où on y rapporte un suivi pertinent et actualisé de l’évolution de la lésion du travailleur et des constats factuels quant à la capacité du travailleur. L’agente Léveillée rapporte ceci :

Titre: Suivi avec T - T est en visite au Québec. Étaient présents: Le T, l’AI et le CR

 

- ASPECT MÉDICAL:

T est présentement au Québec - Arrivé le 16 novembre pour une période de trois semaines

approximativement. Est venu voir ses enfants.

 

T a rencontré le neuro-chirurgien en France, le 5 novembre dernier.

N’a pas encore eu le rapport.

 

Avait aussi rencontré son médecin traitant Dr Pierre-Yves Douvier le 6 novembre. Ce dernier a émis un rapport médical indiquant:

 

« Le soussigné, certifie que l’état de santé de M Marc Pastor nécessite une prolongation de repose avec piscine comme thérapeutique, pour 2 mois, au terme desquels une réévaluation par Neurochirurgien sera nécessaire. »

 

Le T nous dit qu’il doit revoir son médecin en janvier 2013 et que son médecin lui a parlé de la possibilité qu’il lui prescrirait un corset.

 

Aucun autre événement CSST.

Serait toujours en douleur, sauf à quelques occasions.

Ne prend pas de médication.

Pour gérer ses douleurs; va marcher, se baigne ou prend un bain chaud.

T dit qu’il y a eu une certaine amélioration depuis l’événement, minime cependant.

Au début, lors de l’événement, la douleur au pire était à 8/10, maintenant il dit qu’elle se situe autour de 6/10.

 

Position debout bien toléré.

Position assise 30 à 45 minutes.

Difficulté à se pencher.

Son sommeil serait perturbé.

 

- ASPECT PROFESSIONNEL:

N’aurait jamais recommencé à travailler avec son frère; son md n’était pas d’accord pour un RAT même pour des tâches cléricales. Mentionne que son md aurait parlé de RAT pas avant 1 an. Son frère travaille seul et s’occupe de la vente de véhicules Land Rover et de l’organisation de voyages au Maroc sous forme de rallye. Son entreprise s’appelle AMICAL’ LAND. S’occupe de la planification du voyage, des réservations et de fournir et préparer les véhicules nécessaires aux rallyes.

Le T deviendrait le bras droit de son frère et pourrait faire ses tâches. En plus des tâches cléricales, la préparation des véhicules, consiste à aller les chercher en Espagne, faire de la mécanique légère comme changements d’huile et de plaquettes de freins et de faire la préparation esthétique du véhicule; soit la pose de décalques et le lavage des véhicules. Le T mentionne qu’on pourrait appeler le poste d’assistant-planificateur de voyages.

 

Lui mentionne que je ne vois pas pourquoi son md n’a pas autorisé un RAT progressif aux tâches cléricales. Va en discuter avec lui lors de sa prochaine rencontre.

Présentement, ce qui l’empêche de retourner sur le marché du travail, ce sont les douleurs, le manque d’endurance (doit se coucher après 3 hres debout) et les difficultés à demeurer assis plus de 30 à 45 minutes.

 

Ne pourrait refaire la partie physique de son emploi pré-lésionnel. Devait aller chercher, avec un lift électrique, une palette contenant 48 boites. Ensuite devait alimenter la chaîne de production avec les boîtes et ensuite, à l’autre bout de la chaîne, retirer les boîtes pleines de pommes (23 à 24 kg) et les empiler sur une palette jusqu’à une hauteur de plus de 6 pieds (6 boîtes de haut).

La cadence était d’environ 1 palette à l’heure. S’occupait aussi de l’étiquetage des produits et la gestion du personnel.

 

SCOLARITÉ:

Formation de maçon en France et certificat en administration et gestion d’organisme sans but lucratif à l’université de Sherbrooke en 2007.

Permis conduire Classe 1 et de conducteur de chariot élévateur.

Connaissance en mécanique de base.

 

EXPÉRIENCES:

nov 2011 à janv 2012: responsable de la production chez Pommes Ma-Gic à Rougemont

3 ans; gérant d’entrepôt chez Moisson Rive-Sud; son poste a été coupé. 14 ans; gestion d’entrepôt au CRDI de Longueuil; coupure de poste suite à un conflit avec l’E.

A voyagé beaucoup; faisait la cueillette de pommes, de raisin, etc..

1 1/2 an maçon en Europe.

 

Aime travailler physiquement; trouve maintenant difficile de gérer du personnel et n’est plus intéressé. Mentionne être fatigué de ne pas pouvoir travailler. Lui rappelle de discuter avec son md pour un RAT progressif dans du travail clérical chez son frère et de nous aviser par la suite.

 

- ASPECT PSYCHOSOCIAL:

Demeure chez son frère à Lyon; son ex-conjointe et ses 3 enfants de 16, 14 et 13 ans sont demeurés au Québec.

Garde un bon moral.

Se couche vers 23 hres et se lève vers 7 hres. Si se réveille dans la nuit, va prendre un bain chaud et peut se rendormir.

Se lève déjeune, lit, va sur INTERNET ou fait de la peinture sur toile. Après 3 ou 4 hres; doit faire une sieste de 30 min. à 2 hres. Aide aux repas, à la vaisselle et au ménage.

Marche 30 min à 1:30 hre à tous les 2 jrs.

L’été se baigne tous les jours.

 

- ASPECT LÉGAL:

Nous remettons au T une convocation pour expertise avec Dr Mario Giroux, 28 novembre 2012 à 12h00. T nous confirme qu’il s’y présentera. [sic]

 

[Notre soulignement]

 

[50]        Le même jour, l’agente Léveillée lève la décision de suspendre les indemnités de remplacement du revenu du travailleur, ayant reçu les informations administratives attendues.

[51]        Le 28 novembre 2012, le travailleur est examiné par le Dr Giroux, à la demande de la CSST. À son rapport, produit le 8 janvier 2013, le médecin fait état d’un rapport produit par le Dr Pierre-Yves Douvier, médecin consulté par le travailleur en France le 31 juillet 2012 et qui indique que le travailleur est référé en neurochirurgie en raison de sa hernie discale L5-S1, soit auprès du Dr Remond. De même, le Dr Giroux rapporte une note du Dr Douvier du 6 novembre 2012 indiquant que la condition du travailleur nécessite « une prolongation du traitement conservateur ». Il relate de plus que le travailleur indique avoir été évalué en neurochirurgie par le Dr Remond, lequel ne recommande pas de chirurgie, mais plutôt une consultation en rhumatologie.

[52]        À l’examen de la colonne dorsolombaire, le Dr Giroux rapporte des pertes d’amplitude de mouvement dans tous les axes et des douleurs à la palpation de toute la région dorsale et lombaire, sans spasme paravertébral. Son examen neurologique est normal.

[53]        Au terme de son examen, le Dr Giroux considère que la lésion professionnelle du travailleur est consolidée le jour de son examen, soit le 28 novembre 2012, sans nécessité de traitement additionnel. Le médecin est d’avis que le travailleur conserve de sa lésion un déficit anatomo-physiologique de 2 %, ainsi que des limitations fonctionnelles qu’il énonce.

[54]        Le 30 novembre 2012, la CSST donne suite à la demande présentée par l’employeur le 3 octobre 2012 relativement à un « Relevé des sommes portées au compte de l’employeur » du 10 septembre 2012. Ayant considéré la demande de l’employeur comme une contestation de ce « Relevé », la demande de l’employeur a été traitée par la CSST en révision administrative, qui déclare ladite demande irrecevable[7] :

Le 4 octobre 2012, l’employeur demande la révision du versement de l’indemnité de remplacement du revenu (IRR) au travailleur à partir du sommaire des sommes portées à son dossier, sommaire daté du 10 septembre 2012.

 

L’employeur s’oppose à la poursuite du versement de l’IRR parce que le travailleur a, le 13 juillet 2012, déménagé en France de façon permanente et a rompu tous ses liens avec son employeur.

 

Après examen de la preuve au dossier, la Commission en révision doit conclure que le relevé des sommes du 10 septembre 2012 ne constitue pas une décision au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la Loi) et ne comporte donc pas de droits d’appel.

 

En effet, le droit du travailleur à l’IRR fut établi au moment de l’acceptation de la réclamation et se poursuit depuis lors selon les dispositions prévues à la Loi et à l’Entente en matière de sécurité sociale entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française qui, à l’article 35, stipule qu’un travailleur victime d’un accident du travail ou atteint d’une maladie professionnelle sur le territoire de l’une des parties et admis au bénéfice des prestations dues pendant la période d’incapacité temporaire, conserve le bénéfice desdites prestations lorsqu’il transfère sa résidence sur le territoire de l’autre partie.

 

Par conséquent, la Commission en révision

DÉCLARE irrecevable la demande de révision de l’employeur du 4 octobre 2012.

 

[Notre soulignement]

 

 

[55]        Le 6 février 2013, le Dr Douvier, médecin du travailleur en France, remplit un formulaire « Rapport complémentaire », en réponse à l’opinion émise par le Dr Giroux. Le Dr Douvier indique : « opinion maintenue; symptômes persistent; consultation neurochirurgie comme prévu ».

[56]        Le 11 février 2013, le travailleur consulte un rhumatologue en France, lequel lui prescrit un corset de support.

[57]        Les notes de l’agente Léveillée des mois de février et mars 2013 révèlent que la CSST informe le travailleur que son dossier sera de nouveau soumis au Bureau d’évaluation médicale en raison des opinions divergentes des docteurs Giroux et Douvier. Le travailleur informe l’agente Léveillée que le Dr Remond l’a référé à un rhumatologue, le Dr Vuillard, lequel lui a prescrit une immobilisation avec corset, que le travailleur devra porter durant six semaines.

[58]        De plus, à cette même période, un échange de courriels et d’appels téléphoniques entre le travailleur et l’agente Léveillée montre que le travailleur communique les résultats du suivi médical dont il est l’objet en France et que le rapport du Dr Giroux a bien été reçu par le médecin du travailleur.

[59]        C’est dans ce contexte que la CSST écrit au travailleur, le 5 mars 2013, pour l’informer que son dossier sera de nouveau soumis au Bureau d’évaluation médicale, l’opinion des docteurs Giroux et Douvier s’infirmant, et que le travailleur « recevra sous peu une convocation pour un examen médical qui sera fait au Bureau d’évaluation médicale de Montréal ». On indique de plus au travailleur qu’il devra se présenter à l’examen, à défaut de quoi ses indemnités de remplacement du revenu pourraient être suspendues en vertu de l’article 142 de la loi. On précise également au travailleur qu’il pourra communiquer avec la CSST pour « prendre entente pour les frais de déplacement qui pourront être autorisés ».

[60]        Le 9 avril 2013, la représentante de l’employeur écrit à la CSST pour lui demander de « débuter le processus de réadaptation de façon précoce » :

Par la présente, nous désirons débuter le processus de réadaptation de façon précoce. Le 28 novembre 2012, le Dr Mario Giroux a évalué monsieur Marc Pastor. Dans ses conclusions, Dr Giroux émet des limitations fonctionnelles ainsi décrites:

 

Éviter d’accomplir de façon répétitive ou fréquente des activités qui impliquent de:

- Soulever; porter, pousser, tirer des charges de plus de 15 à 25 kg;

- Travailler en position accroupie ;

- Ramper, grimper;

- Effectuer des mouvements avec des amplitudes extrêmes de flexion, extension

  ou de torsion de la colonne lombaire;

- Subir des vibrations de basse fréquence;

- Subir des contrecoups à la colonne vertébrale (provoqués par du matériel roulant

  sans suspension).

 

Une demande a été faite au bureau d’évaluation médicale suite aux conclusions du Dr Giroux. Toutefois, nous aimerions évaluer la capacité de monsieur Pastor à refaire son emploi prélésionnel et d’évaluer différentes possibilité d’emploi convenable.

 

Veuillez noter que nous aimerions avoir une réponse à notre demande par écrit. Veuillez agréez, Monsieur, l’expression de nos sentiments distingués. [sic]

 

 

[61]        Le 10 avril 2013, le conseiller en réadaptation Lemay indique son accord avec la demande de l’employeur et note « qu’il est tout à fait d’accord pour aller vérifier les possibilités de RAT chez l’E, bien que le T soit déménagé en France. Réponse écrite acheminée à Mme Cyr; lui demande de me contacter pour convenir d’une date de rencontre chez l’E ».

[62]        Le 18 avril 2013, la CSST convoque le travailleur à un examen médical devant se tenir au Bureau d’évaluation médicale le 17 mai 2013. Un échange de courriels s’ensuit quant aux frais de déplacement autorisés, alors que le 8 mai 2013, le travailleur confirme à l’agente Léveillée qu’il sera présent à l’examen du 17 mai 2013. Celle-ci répond au travailleur qu’une « avance de 1700 $ lui sera acheminée » et l’agente ajoute que « lors de votre séjour au Québec, nous souhaitons vous rencontrer à nos bureaux ».

[63]        Le 30 avril 2013, la représentante de l’employeur communique avec l’agente Léveillée pour l’informer du fait que le travailleur se trouve au Québec. L’agente note :

Titre : Appel de Isabelle Cyr - rep de l’E

 

- ASPECT LÉGAL:

Appel de Madame Cyr, représentante de l’E. M’informe que le T serait présentement au Québec. Il aurait été vu à deux reprises dans la montagne de Rougemont. Une fois seul, et une autre fois avec sa famille. Se questionne donc sur les capacités du T.

 

Peut-il escalader une montagne avec un corset?

Me demande si nous pouvons obtenir des informations plus précises sur les déplacements au Québec du T.

Il n’a pas avisé qu’il faisait le voyage.

Passe-t-il son temps au Québec? Est-il revenu au Québec?

 

Il est vrai que lorsque nous avons communiqué avec le T pour l’informer d’un rendez-vous au BEM, ce dernier ne nous a pas fait part qu’il était ou devait venir au Québec ou qu’il avait un voyage en cours d’organisation.

 

 

[64]        Le 12 mai 2013, le travailleur communique par courriel avec l’agente Léveillée et lui fait parvenir une copie de sa réservation pour un vol de Lyon à Montréal, le 15 mai 2013, avec escale à Londres. Des copies des cartes d’embarquement pour ces vols sont également jointes.

[65]        Le 17 mai 2013, le Dr Jacques Demers, membre du Bureau d’évaluation médicale, examine le travailleur. Au terme de cet examen, le Dr Demers considère que la lésion professionnelle, une hernie discale L5-S1, est consolidée le même jour, avec suffisance de traitements. Le médecin est également d’avis que le travailleur conserve de sa lésion un déficit anatomo-physiologique qu’il évalue à 9 %, ainsi que des limitations fonctionnelles qu’il énonce.

[66]        Le même jour, le travailleur se rend à la CSST et participe à une rencontre avec la conseillère Bissonnette et le conseiller en réadaptation Lemay. L’agente Bissonnette note ceci :

- ASPECT MÉDICAL:

 

Accueil du T: il s’est présenté à nos bureaux suite à son rendez-vous au BEM de ce matin. Le médecin du BEM lui aurait dit qu’il devait se faire opérer, car les douleurs viendraient de l’instabilité. C’est pourquoi il n’a pas de douleurs quand il porte son corset. Il s’agit d’un traitement extérieur au corps alors qu’une chirurgie serait le traitement à l’intérieur du corps. Il a peur de cette chirurgie et il devrait arrêter de fumer pondant au-moins 6 mois auparavant. Il ne semble pas désirer passer par là. Il note une amélioration de son état depuis le début du port du corset il y a environ 3 mois. Il ne prend plus aucune médication, car il avait des problèmes d’estomac et les médicaments ne lui procuraient aucun soulagement. Il marche presqu’à tous les jours entre une heure et une heure trente. Il se rend taire de la natation dans une piscine 1 lois par semaine.

 

Il verra son rhumatologue en France le 8 juin et en discutera avec lui.

Nous communiquerons avec lui lors de la réception du rapport du BEM à nos bureaux et lui expliquerons la portée de la décision qui suivra cet avis.

 

- ASPECT PROFESSIONNEL:

T est informé de la démarche de réadaptation qui va suivre lorsqu’il sera consolidé ; soit visite chez l’E pour évaluation de sa capacité à refaire son emploi pré-lésionnel et disponibilités d’EC. Est avisé que si nous statuons qu’il est capable de reprendre son emploi pré-lésionnel ou un EC disponible chez son E; allons devoir mettre fin aux IRR puisque malgré la disponibilité de l’emploi, le T ne pourra l’occuper en raison de son déménagement.

Lui demande donc de commencer à regarder les possibilités de RAT en France. Lui demande ce qui arrive avec la possibilité d’emploi dans la cie de son frère. T mentionne en avoir déjà discuté avec son md qui n’avait pas autorisé la démarche. Lui demande d’en discuter à nouveau avec son md et de lui expliquer en détails les tâches qu’il aurait à faire. T mentionne que les tâches sont surtout cléricales et que son frère pourrait le former. Les tâches sont principalement reliées à l’achat des pièces pour véhicules Land Rover, la gestion de l’inventaire et de l’approvisionnement. Nous pourrions qualifier ce poste de DIRECTEUR DES ACHATS DU AGENT D’APPROVISIONNEMENT(ACHETEUR).

Mentionne au T qu’il pourrait débuter à son rythme et que nous allons poursuivre le versement des IRR tant qu’il ne recevra pas de salaire et que nous n’aurons pas statué sur sa capacité à retourner chez son E.

 

Est avisé de me contacter dès qu’il en aura discuté avec son frère, qui pourra me faire parvenir une confirmation du poste offert et de la démarche de formation en entreprise.

 

- ASPECT PSYCHOSOCIAL:

T repart en France demain. N’a pas l’intention de revenir vivre au Québec.

 

- ASPECT FINANCIER:

Il nous fera parvenir les factures finales pour le déplacement au Québec Il croit qu’il nous devra peut-être un remboursement, car il a eu un billet d’avion moins cher.[sic]

 

 

[67]        Le 31 mai 2013, la CSST rend des décisions donnant suite à l’avis rendu par le Dr Demers du Bureau d’évaluation médicale, notamment quant au pourcentage d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique retenu chez le travailleur et quant au montant d’indemnité pour préjudice corporel (7 869, 93 $) auquel le travailleur a droit[8].

[68]        Le 4 juin 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur a droit à la réadaptation que requiert son état[9].

[69]        Le 13 juin 2013, une visite de poste est réalisée par la CSST chez l’employeur. En tenant compte des limitations fonctionnelles établies par le Dr Demers du Bureau d’évaluation médicale, il est déterminé, après une analyse des tâches reliées au poste qu’occupait le travailleur, que celui-ci ne pourrait reprendre son emploi prélésionnel chez l’employeur. Il est ensuite déterminé qu’aucun emploi convenable correspondant à la capacité résiduelle du travailleur n’est disponible chez l’employeur et qu’il y a lieu de poursuivre l’analyse des possibilités professionnelles du travailleur.

[70]        Le 17 juin 2013, le conseiller Lemay informe le travailleur des conclusions tirées de la visite de poste du 13 juin précédent. L’agent note les propos suivants du travailleur :

- ASPECT PROFESSIONNEL:

Lui donne les résultats de ma visite chez son E; à savoir qu’aucune possibilité de RAT n’a pu être identifiée chez eux.

 

T mentionne être toujours intéressé par un emploi d’agent d’approvisionnement (acheteur); poste qu’il pourrait exercer dans l’entreprise de son frère AMICAL’LAND. Cependant, le T son md n’est pas d’accord avec un RAT pour le moment et le T mentionne ne pas pouvoir travailler pour le moment. Est avisé que nous sommes liés par l’avis du BEM. Le T comprend la situation.

 

Est cependant d’accord pour que l’emploi d’agent d’approvisionnement soit déterminé comme EC. Cet emploi respecte tous les critères de l’EC (voir grille) et le T a la capacité d’exercer cet emploi dès demain le 18 juin 2013. Est avisé de communiquer avec nous dès qu’un RAT sera fait et dès qu’il recevra un salaire. Mentionne que l’entreprise de son frère sera fermé [sic] pour l’été, jusqu’en septembre. Prévoit donc un RAT en septembre 2013.[10]

 

[Notre soulignement]

 

 

[71]        Le 18 juin 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle refuse la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur le 20 juillet 2012. Cette décision sera confirmée le 17 juillet 2013 lors d’une révision administrative, d’où le présent litige.

[72]        Le 20 juin 2013, le travailleur demande la révision de la décision du 3 juin quant au pourcentage d’atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique établi. Le 3 juillet 2013, la CSST rejette cette demande et confirme sa décision initiale du 3 juin.

[73]        Le 23 juillet 2013, l’agente Léveillée note :

Appel du T - veut infos sur décision de l’emploi convenable versus salaire accordé. Veut précisions sur le salaire. Jusqu’à quand recevra-t-il IRR. etc.., Infos données. L’ai avisé que les lRR qu’il reçoit dans le moment sont pour compenser pendant qu’il se cherche un emploi. L’ai informé qu’il devait faire de la recherche d’emploi et noter ce qu’il fait comme recherche.

 

Lui ai indiqué que nous communiquerons avec lui régulièrement pour faire le suivi de ses recherches d’emploi.

T s’informe aussi sur le montant de l’atteinte permanente. Veut savoir quand lui sera versé. Dit qu’il ne contestera pas la décision de la révision administrative.

L’ai informé qu’il y a un délai pour le deuxième pallier d’appel. Même si lui ne conteste pas, il est possible que son employeur conteste.

 

[Notre soulignement]

 

[74]        Madame Madeleine Leroux, secrétaire administrative chez l’employeur, a témoigné à la demande de la représentante de l’employeur. De ce témoignage, le tribunal retient les éléments pertinents suivants.

[75]        Madame Leroux indique que l’entreprise Pommes Ma-gic inc. fait l’emballage et la transformation de pommes. Elle explique que la période de l’automne est moins achalandée et consiste principalement en l’emballage de pommes. Les employés font à cette période une moyenne de 20 à 30 heures de travail par semaine. Lors des périodes plus achalandées, l’entreprise peut avoir recours à des agences de personnel pour suppléer à ses besoins en main-d’œuvre. Madame Leroux précise que le travailleur visé par le présent dossier a été embauché le 24 novembre 2011, directement par l’employeur.

[76]        Le témoin indique que l’employeur a proposé du travail léger au travailleur, verbalement, en mars 2012, et que celui-ci aurait décliné l’offre se disant incapable de travailler à ce moment.

[77]        Madame Leroux indique par ailleurs que le travailleur ne lui a jamais fait part de son intention de retourner vivre en France et qu’elle a appris cela par le biais de la CSST, peu avant qu’il ne quitte, en juillet 2012.

[78]        Le témoin ajoute qu’entre le 13 juillet 2012 et aujourd’hui, elle n’a pas revu ni parlé au travailleur, si ce n’est que vers le mois de septembre 2013[11], elle a vu le travailleur descendre de la montagne, accompagné de sa famille.

[79]        Par ailleurs, le témoin confirme que les démarches pour offrir du travail en assignation temporaire au travailleur en juin 2012 n’ont pas pu être validées, le médecin du travailleur n’ayant pas répondu à la demande d’autorisation dudit travail. De même, le témoin confirme que la tentative de convoquer le travailleur a une expertise médicale le 11 juillet 2012 a dû être annulée, le travailleur n’étant pas disponible ce jour-là.

 

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[80]        La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si l’employeur a droit au transfert du coût des prestations imputées à son dossier en raison de la lésion professionnelle subie le 17 janvier 2012 par le travailleur, et ce, à compter du 13 juillet 2012, date du départ du travailleur du Canada afin de retourner s’établir en France, son pays d’origine. Au soutien de sa demande, l’employeur invoque l’application des dispositions de l’article 326 de la loi qui énonce :

326.  La Commission impute à l’employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d’un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l’imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail attribuable à un tiers ou d’obérer injustement un employeur.

 

L’employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d’un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l’année suivant la date de l’accident.

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[81]        En l’espèce, la situation dans laquelle l’employeur s’est retrouvé à la suite du départ du travailleur, en cours d’évolution de la lésion professionnelle du 17 janvier 2012, alors que celle-ci n’était pas consolidée et que des litiges concernant l’admissibilité même de la lésion étaient en cours, n’est certes pas banale.

[82]        Aussi, le tribunal a cru nécessaire de relater dans le détail l’ensemble de la preuve  documentaire apparaissant au dossier et, particulièrement, toute la preuve disponible après le départ du travailleur pour la France, le 13 juillet 2012.

[83]        Cette longue narration a permis de constater qu’en définitive, le système d’indemnisation en cas de lésion professionnelle mis en place par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, y inclus les diverses mesures de contrôle de nature médicale ou administrative élaborées à la loi, fonctionnent adéquatement malgré l’éloignement du travailleur dans la mesure où, conformément à une entente intervenue entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française, ces mécanismes prévus à la loi continuent de s’appliquer par le biais de cette entente.

[84]        Ainsi, tel que le révèle la preuve au dossier, diverses démarches, prévues à la loi et permettant d’encadrer le droit à l’indemnisation d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle, ont pu être mises en place, malgré l’absence du travailleur :

1)   Une évaluation médicale auprès du Bureau d’évaluation médicale, le 3 août 2012;

2)La suspension, le 25 octobre 2012, des indemnités de remplacement du revenu versées au travailleur en vertu de l’article 142 de la loi en raison du défaut, par le travailleur, d’avoir fourni certains documents exigés;

3)    La convocation du travailleur à un examen médical auprès d’un médecin désigné de la CSST le 28 novembre 2012, lors de la présence du travailleur au Québec pour y revoir ses enfants;

4)    La transmission du rapport obtenu du médecin désigné de la CSST au médecin traitant afin que ce dernier remplisse un « rapport complémentaire », conformément aux dispositions de l’article 205.1 de la loi, et le traitement subséquent par la CSST dudit « rapport complémentaire », dûment rempli par le médecin du travailleur en France;

5)    La convocation du travailleur à une seconde évaluation médicale auprès du Bureau d’évaluation médicale, le 17 mai 2013.

 

 

[85]        En outre, chacune de ces démarches administratives a amené la CSST à rendre des décisions quant au droit du travailleur de toucher des indemnités de remplacement du revenu en fonction de l’évolution de sa lésion professionnelle et, notamment, en matière de réadaptation professionnelle où l’absence « physique » du travailleur n’a pas empêché la CSST de se prononcer quant à la détermination d’un emploi convenable pour le travailleur et quant à sa capacité à occuper un tel emploi.

[86]        Ceci étant, dans de telles circonstances, l’employeur a-t-il démontré avoir été « obéré injustement » par l’imputation à son dossier financier des coûts reliés à la lésion professionnelle du travailleur après son départ du Québec ?

[87]        Pour les motifs suivants, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas fait une telle démonstration.

[88]         La notion d’être « obéré injustement » apparaissant au paragraphe 2 de l’article 326 de la loi a fait couler beaucoup d’encre au fil des années[12]. Dans l’affaire Supervac 2000, précitée, le tribunal rapporte l’existence de deux courants jurisprudentiels en la matière, résumant la situation ainsi :

[87]      Depuis l’affaire Location Pro-Cam inc., la notion « d’obérer injustement » continue de faire l’objet de deux courants jurisprudentiels. La jurisprudence majoritaire requiert la preuve d’une injustice et d’un fardeau financier significatif, alors que la position minoritaire souscrit à une interprétation large et libérale selon laquelle cette notion doit être analysée sous l’angle de l’injustice et non en fonction de la situation financière de l’employeur. C’est d’ailleurs cette seconde approche que privilégie l’employeur en l’espèce.

 

[88] Concernant la preuve du fardeau financier, la plupart des décideurs qui adhèrent au courant majoritaire privilégient l’interprétation retenue dans l’affaire Location Pro-Cam inc.  Cependant, certains d’entre eux appliquent plutôt l’interprétation énoncée par l’honorable juge Tellier dans l’affaire Constructions E.D.B. inc.  réitérée dans l’affaire Gastier inc.  selon laquelle une preuve de nature financière moins restrictive est exigée, prenant en considération les circonstances propres du dossier.

 

[89]  Il appert de cette revue de la jurisprudence que bien qu’il existe un courant fortement majoritaire à la Commission des lésions professionnelles selon lequel il faut considérer la notion d’obérer injustement dans le sens d’une situation financière représentant une proportion significative des coûts de la lésion, la portée à donner à cette proportion significative des coûts a mené à des interprétations diverses sur le fardeau financier que doit démontrer l'employeur en vue de bénéficier du deuxième alinéa de l’article 326 de la loi.

 

[Références omises]

 

[89]        Le soussigné constate de cette analyse que chacun des courants jurisprudentiels a pour base la nécessaire preuve, de la part de l’employeur, du fait qu’il subisse une « injustice » en raison de l’imputation à son dossier de coûts reliés à un accident du travail.

[90]        Or en l’espèce, il est inutile pour le soussigné de s’interroger quant à savoir si l’employeur subit un fardeau financier significatif ou non du fait de l’imputation à son dossier des coûts reliés à l’accident du travail du travailleur puisque le tribunal est d’avis que l’employeur n’a tout simplement pas établi une « situation d’injustice » dont il pourrait avoir été l’objet.

[91]         Dans son argumentaire, l’employeur a principalement soutenu que le départ du travailleur pour la France, en juillet 2012, l’a empêché de mettre en place diverses mesures de contrôle prévues à la loi et qu’il résultait une injustice de cette situation. L’employeur a également plaidé que la CSST elle-même, dans l’application de « l’Entente » entre le Québec et la France permettant la poursuite de l’indemnisation du travailleur, avait fait preuve d’un certain laxisme, notamment en ne s’assurant pas du respect par le travailleur de son obligation de consulter un médecin en France au moins une fois par mois et de lui faire parvenir les documents médicaux obtenus.

[92]        Qu’en est-il exactement des allégués de l’employeur ?

[93]        Tout d’abord, l’employeur soutient que le départ du travailleur pour la France l’a empêché de lui offrir du travail en assignation temporaire ou du travail « léger ».

[94]        Il est vrai que la jurisprudence traitant de l’article 326 (2) de la loi a déjà reconnu qu’un employeur pouvait, selon les circonstances, être obéré injustement lorsqu’une assignation temporaire ne pouvait être offerte à un travailleur.

[95]        Toutefois, en l’espèce, la preuve révèle qu’une première tentative d’offrir du « travail léger » au travailleur lui aurait été faite « verbalement » en mars 2012, selon le témoignage de madame Leroux, mais que le travailleur aurait décliné cette offre, se disant incapable de travailler à ce moment. Avec égards, la preuve au dossier révèle que la condition médicale du travailleur à cette période ne lui permettait pas de reprendre le travail. Au surplus, si l’employeur désirait offrir un tel travail « léger » au travailleur, c’est auprès du médecin ayant charge de celui-ci qu’il convenait de vérifier la capacité du travailleur à occuper un tel travail léger et la preuve offerte ne révèle pas qu’une telle vérification a été faite.

[96]        Par la suite, le 20 juin 2012, alors que l’employeur a reçu l’information que le travailleur désirait quitter pour la France, l’employeur a écrit au médecin traitant, la Dre Léonard, pour lui demander d’autoriser un travail dans le cadre d’une assignation temporaire, travail décrit au formulaire joint à la demande. Or, le médecin ayant charge du travailleur n’a pas donné suite à cette demande de l’employeur, ne remplissant pas le formulaire soumis.

[97]        L’employeur a vu dans cette situation un refus de la part du médecin traitant et a même prêté certaines intentions au médecin du travailleur à cet égard, tel qu’il appert de la demande de transfert de coûts produite le 20 juillet 2012 alors que l’employeur écrit :

Toutefois l’employeur a suggéré des travaux légers à son médecin traitant. Nous n’avons eu aucune réponse de la part du médecin, évidemment il n’est pas dans l’intérêt du médecin traitant d’accepter les travaux légers, sachant que monsieur ne pourrait s’y présenter.

 

[98]        Avec égards, s’il peut être déploré que le médecin n’ait pas rempli le formulaire d’assignation temporaire qui lui a été soumis, la preuve au dossier montre par ailleurs que le médecin n’autorisait pas le travailleur à reprendre le travail à cette période en raison de sa condition médicale. En effet, le 19 juin 2012, la Dre Léonard mentionne que la lésion du travailleur n’est pas consolidée et que l’arrêt du travail est prolongé.

[99]        De même, le 4 juillet 2012, la Dre Léonard remplit un « rapport complémentaire » en regard du rapport du Dr Pelletier, médecin désigné de l’employeur, et y indique que «Le patient a toujours besoin de soins : médication, acupuncture et ergothérapie et ne peut travailler. Il a une douleur au repos diminuée depuis le bloc foraminal qui a été fait il y a un mois mais douleur augmente à l’effort ou même en éternuant. Il quitte pour la France le 13/07/12 et devra maintenir des soins là-bas ».

[100]     Avec égards, la preuve disponible ne permet pas de conclure que l’employeur aurait pu offrir au travailleur du travail en assignation temporaire, ou du travail léger, avant qu’il ne quitte pour la France le 13 juillet 2012, un tel travail n’étant tout simplement pas autorisé.

[101]     L’employeur a-t-il été empêché d’offrir un tel travail au travailleur après son départ du Québec ? L’employeur suggère que le retour en France du travailleur, sans intention de revenir vivre au Québec, suffit pour conclure qu’il s’en est trouvé dans l’impossibilité de l’assigner temporairement à un travail.

[102]     La jurisprudence enseigne qu’il revient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour obtenir l’autorisation d’assigner temporairement le travailleur et qu’il ne suffit pas de laisser écouler le temps et, après coup, de demander de ne pas être imputé pour le coût des indemnités versées[13].

[103]     En l’espèce, la preuve disponible ne démontre aucune nouvelle démarche de la part de l’employeur en vue de tenter d’offrir du travail léger ou en assignation temporaire au travailleur après le 13 juillet 2012.

[104]     Certes, l’employeur pouvait croire que le travailleur n’avait pas l’intention de revenir s’établir au Québec et, donc, qu’il n’y avait plus lieu de tenter de nouveau de lui offrir du travail en assignation temporaire. En ce sens, le soussigné est d’avis que le choix du travailleur de retourner vivre en France s’assimile à une démission de sa part à l’égard de son emploi chez l’employeur ou, encore, à une prise de retraite de sa part.

[105]     Toutefois, le soussigné considère qu’un tel choix par le travailleur ne peut être sanctionné d’aucune façon. Il est loisible à tout travailleur de mettre fin à son lien d’emploi dans le cadre de toute relation de travail et il peut être dit que ces situations ne sont pas directement reliées à la lésion professionnelle elle-même.

[106]     Ceci étant, dans un tel contexte, pour que l’employeur soit obéré injustement par le fait qu’une assignation temporaire n’est pas possible en raison de facteurs étrangers à la lésion professionnelle, l’assignation temporaire envisagée ne doit pas être une simple possibilité, mais bien une réalité concrète.

[107]     Or, en l’espèce, le soussigné est d’avis, tel qu’indiqué précédemment, que la preuve offerte ne permet pas de conclure qu’avant le départ du travailleur pour la France, du travail léger a été autorisé par le médecin ayant charge du travailleur et que ce travail n’a pu être continué par la suite en raison du départ du travailleur. À cet égard, le tribunal constate qu’au surplus, les médecins consultés par le travailleur à compter de son arrivée en France ont tous soutenu que le travailleur avait besoin de traitements et qu’il était incapable de reprendre quelque travail que ce soit. Le tribunal en retient que dans les faits, la possibilité pour l’employeur d’offrir du travail en assignation temporaire au travailleur, l’eut-il fait après son départ pour la France, serait demeurée manifestement hypothétique, en regard de la condition médicale documentée du travailleur.

[108]     Au surplus, la preuve offerte ne permet pas de conclure qu’après le départ du travailleur, un tel travail en assignation temporaire aurait même été offert ou qu’il aurait été disponible pour le travailleur, la preuve étant muette à cet égard. Et de l’avis du tribunal, il ne suffit pas d’alléguer qu’un travail léger aurait été disponible pour le travailleur, encore faut-il le démontrer.

[109]     Dans ce contexte, la position de l’employeur voulant qu’il ait pu offrir du travail léger au travailleur ne demeure que pure hypothèse et le tribunal considère plutôt qu’en réalité, l’employeur n’aurait justement pas pu offrir ce type de travail, précisément en raison du départ du travailleur. L’offre de travail, hypothétique, ne pouvait se réaliser concrètement[14].

[110]     D’autre part, outre le sujet précédemment traité de l’assignation temporaire, l’employeur a également soutenu qu’il vivait une injustice du fait de l’absence du travailleur en ce « qu’il n’a plus aucun droit sur le travailleur » et, entre autres, « qu’il ne peut utiliser son droit de convoquer le travailleur en expertise, tel que le stipule l’article 209 de la LATMP, puisque celui-ci ne pourra se présenter »[15].

[111]     Avec égards, cet argument de l’employeur est manifestement mal fondé.

[112]     La loi prévoit notamment qu’un employeur conserve un entier droit de regard quant au suivi médical d’un travailleur victime d’une lésion professionnelle, même si celui-ci n’est plus à son emploi, par le biais de la mécanique du médecin désigné, qui lui permet non seulement de faire transmettre à un tel médecin de l’employeur tout dossier médical en lien avec la lésion professionnelle, mais également de permettre à l’employeur de faire examiner le travailleur par ce médecin désigné :

38.  L'employeur a droit d'accès, sans frais, au dossier que la Commission possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime le travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Un employeur à qui est imputé, en vertu du premier alinéa de l'article 326 ou du premier ou du deuxième alinéa de l'article 328, tout ou partie du coût des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle, de même qu'un employeur tenu personnellement au paiement de tout ou partie des prestations dues en raison d'une lésion professionnelle ont également droit d'accès, sans frais, au dossier que la Commission possède au sujet de cette lésion.

 

Lorsqu'une opération visée à l'article 314.3 est intervenue, un employeur impliqué dans cette opération a également droit d'accès, sans frais, au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont le coût sert à déterminer sa cotisation à la suite de cette opération.

 

L'employeur peut autoriser expressément une personne à exercer son droit d'accès.

 

Cependant, seul le professionnel de la santé désigné par cet employeur a droit d'accès, sans frais, au dossier médical et au dossier de réadaptation physique que la Commission possède au sujet de la lésion professionnelle dont a été victime ce travailleur.

 

La Commission avise le travailleur du fait que le droit visé au présent article a été exercé.

__________

1985, c. 6, a. 38; 1992, c. 11, a. 1; 1996, c. 70, a. 4.

 

 

209.  L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut exiger que celui-ci se soumette à l'examen du professionnel de la santé qu'il désigne, à chaque fois que le médecin qui a charge de ce travailleur fournit à la Commission un rapport qu'il doit fournir et portant sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212.

 

L'employeur qui se prévaut des dispositions du premier alinéa peut demander au professionnel de la santé son opinion sur la relation entre la blessure ou la maladie du travailleur d'une part, et d'autre part, l'accident du travail que celui-ci a subi ou le travail qu'il exerce ou qu'il a exercé.

__________

1985, c. 6, a. 209; 1992, c. 11, a. 14.

 

 

[113]     Par ailleurs, le fait que le travailleur ait quitté le Québec en juillet 2012 n’a pas constitué, tel que l’a clairement montré le dossier, un empêchement pour la CSST d’assurer ce même contrôle médical du travailleur, tel que le permettent les articles 204, 205.1 et 215.1 de la loi.

[114]     De l’avis du tribunal, la situation était la même pour l’employeur que pour la CSST et l’employeur n’a jamais été empêché de convoquer le travailleur en expertise médicale en vue de l’application de l’article 209 de la loi, contrairement à ce qu’il a affirmé.

[115]     Par exemple, bien qu’informé de la visite du travailleur au Québec en novembre 2012, l’employeur n’a pas convoqué celui-ci à une expertise médicale auprès d’un médecin désigné, comme le lui permettait la loi, et l’employeur s’est contenté d’informer la CSST de cette visite du travailleur, laissant à celle-ci le soin d’entreprendre des démarches pour que le travailleur soit examiné par un médecin désigné de la CSST.

[116]     De la même façon, lorsque l’employeur « apprend que le travailleur aurait été aperçu avec sa famille » à la montagne de Rougemont, en avril 2013, il ne profite pas de cette occasion pour rencontrer le travailleur et le convoquer à une expertise médicale, mais se contente d’en informer la CSST.

[117]     Incidemment, le tribunal tient à préciser que l’information fournie par l’employeur à la CSST le 30 avril 2013 au sujet de cette présence du travailleur au Québec est loin d’être limpide, madame Leroux, secrétaire administrative chez l’employeur ayant témoigné avoir vu le travailleur à la montagne en septembre 2013.

[118]     Quoi qu’il en soit et même en tenant pour acquis que le travailleur ait pu être présent au Québec le 30 avril 2013, le tribunal est d’avis que rien ne s’opposait à une telle visite et qu’il n’avait par ailleurs aucune obligation d’informer l’employeur ou la CSST à cet égard, le travailleur s’étant par ailleurs engagé à être présent au Québec à compter du 15 mai 2013 pour y subir une évaluation médicale au Bureau d’évaluation médicale, à la suite d’une convocation. D’autre part, il est indubitable que si le travailleur a été présent au Québec en avril 2013, il était de retour en France par la suite, puisqu’il a pris un vol à partir de Lyon, le 15 mai 2013.

[119]     Dans les circonstances, le tribunal ne voit donc aucune injustice que pourrait avoir subie l’employeur sur ce plan, au sens de l’article 326 (2) de la loi.

[120]     L’employeur a au surplus plaidé que la CSST avait manqué dans son contrôle administratif du dossier du travailleur après qu’elle a imposé des conditions à celui-ci, avant son départ. L’employeur reproche notamment à la CSST le fait qu’elle n’ait pas exigé que le travailleur consulte un médecin tous les mois et lui fasse parvenir les documents médicaux obtenus.

[121]     Avec égards, l’employeur est bien mal venu de critiquer les actions prises par la CSST à la suite du départ du travailleur pour la France, l’employeur n’ayant lui-même fait que très peu de démarches auprès du travailleur.

[122]     Le tribunal constate plutôt que l’employeur a mis fin à certains des recours entamés avant le départ du travailleur, notamment en ce qu’il s’est désisté de plusieurs requêtes auprès de la Commission des lésions professionnelles, se privant de certains moyens de contrôle de décisions rendues et qui lui étaient défavorables jusqu’alors.

[123]     Sans présumer des résultats qui auraient pu être escomptés de ces démarches, le tribunal constate que l’employeur s’est désisté d’une requête qui visait l’admissibilité même de la réclamation du travailleur, avant même que la Commission des lésions professionnelles ne reconnaisse que la hernie discale L5-S1 du travailleur était en relation avec l’événement accidentel du 17 janvier 2012, et il s’est désisté d’une requête qui visait à déterminer la date de consolidation à retenir pour la lésion du travailleur.

[124]     Contrairement à ce que soutient l’employeur, le tribunal constate que la CSST a géré tout à fait convenablement le dossier du travailleur avant et après son départ du Québec, la CSST étant elle-même tributaire des difficultés engendrées par la distance, des moyens de communication et de la réorganisation de la vie du travailleur auprès des instances administratives françaises.

[125]     Tel que mentionné précédemment, dans le cadre de sa gestion du dossier après le départ du travailleur, la CSST a pu soumettre le dossier du travailleur à une première évaluation médicale au Bureau d’évaluation médicale; elle a assuré un suivi des démarches administratives et médicales du travailleur en France; elle a pu rendre une décision suspendant le versement des indemnités versées au travailleur lorsque celui-ci n’a pas fourni les documents demandés; elle a convoqué le travailleur à un examen médical auprès d’un médecin désigné; elle a soumis le dossier et convoqué le travailleur à un examen médical auprès du Bureau d’évaluation médicale; elle a donné suite à l’opinion émise par le médecin évaluateur du Bureau d’évaluation médicale, notamment en se prononçant sur l’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique du travailleur et, enfin, elle a rendu des décisions quant au droit du travailleur à la réadaptation, quant à la détermination d’un emploi convenable et quant à la capacité du travailleur à occuper cet emploi, avec corollaire, le droit du travailleur de toucher des indemnités de remplacement du revenu.

[126]     De l’avis du soussigné, l’employeur n’a démontré aucune injustice qui pourrait relever des agissements de la CSST dans la gestion médico-administrative de son dossier.

[127]     En fait, dit globalement, l’employeur soutient que le départ du travailleur du Québec l’a placé dans une situation « injuste » quant à la suite de son dossier et, en filigrane, l’employeur décrie le fait qu’il soit injuste que la CSST ait eu à continuer à indemniser le travailleur en vertu d’une « Entente » passée avec la France, et par le fait même, que l’employeur soit demeuré imputé des coûts reliés à la lésion du travailleur.

[128]     Lors de l’audience, la représentante de l’employeur a soutenu que « l’Entente » entre le Québec et la France, en vertu de laquelle le travailleur a pu continuer d’être indemnisé malgré son départ du Québec en juillet 2012, requiert un lien de « rattachement » avec l’employeur ce que, dit-elle, l’on ne retrouve plus dans la mesure où le travailleur est retourné vivre en France, sans intention de revenir au Québec pour y travailler.

[129]     De même, dans sa lettre du 3 octobre 2012, la représentante de l’employeur avait d’ailleurs repris ce même argument, citant directement des extraits du site Internet de la CSST expliquant en quelques mots la portée des ententes internationales conclues par la CSST.

[130]     Avec égards, cet argument de l’employeur n’a aucun fondement.

[131]     D’une part, le tribunal a pris connaissance de « l’Entente » appliquée dans le présent dossier et il est aisé de constater qu’aucun tel lien de « rattachement » avec l’employeur n’est requis pour qu’un travailleur, victime d’une lésion professionnelle reconnue avant son départ du territoire québécois, puisse continuer d’être indemnisé en vertu de cette « Entente ». Bien au contraire, au chapitre 5 de « l’Entente » traitant des « Prestations en cas d’accident du travail ou de maladies professionnelles », l’article 35  prévoit simplement ceci :

   Transfert de résidence temporaire ou définitif durant la période d’incapacité temporaire

 

« 1. Un travailleur victime d’un accident du travail ou atteint d’une maladie professionnelle sur le territoire de l’une des Parties et admis au bénéfice des prestations dues pendant la période d’incapacité temporaire, conserve le bénéfice desdites prestations lorsqu’il transfère sa résidence sur le territoire de l’autre Partie, à condition que, préalablement à son départ, le travailleur ait obtenu l’autorisation de l’institution québécoise ou française à laquelle il est affilié.

 

2. Cette autorisation n’est valable que pour la durée fixée par cette institution.

 

3. Si, à l’expiration du délai ainsi fixé, l’état de santé de la victime le requiert, le délai est prorogé jusqu’à guérison ou consolidation effective par décision de l’institution d’affiliation, après avis favorable de son contrôle médical ».

 

 

[132]     Manifestement, aucun lien de « rattachement » avec l’employeur n’est requis pour qu’un travailleur, dont le droit à l’indemnisation a été reconnu, puisse continuer à toucher une indemnisation alors même qu’il a choisi de cesser de résider au Québec et a « transféré sa résidence sur le territoire de l’autre Partie ».

[133]     La seule condition requise pour ce faire est que le travailleur ait obtenu une autorisation avant son départ, ici de la part de la CSST.

[134]     Or, il est manifeste de l’analyse du dossier, notamment des notes du 3 et du 11 juillet 2012 de l’agente Belleville de la CSST, que la CSST avait donné cette autorisation au travailleur.

[135]     De même, on retrouve au dossier (pages 275 et 276) une « attestation concernant les prestations relatives aux accidents du travail et aux maladies professionnelles », signée par une représentante autorisée de la CSST le 9 juillet 2012 et qui prévoit notamment que le travailleur « peut bénéficier des prestations en nature du 16 juillet 2012 au 16 janvier 2013 ».

[136]     En l’espèce, le soussigné est d’avis que « l’Entente » conclue, initialement en faveur du travailleur, a dans les faits été « prorogée » par la CSST après le 16 janvier 2013, tel que le révèle amplement le dossier, ce que pouvait faire la CSST en vertu de ladite « Entente ».

[137]     Par ailleurs, le tribunal tient à préciser que les passages cités par la représentante de l’employeur à sa lettre du 3 octobre 2012, tirés du site Internet de la CSST, sont cités hors contexte et n’ont pas pour effet d’amoindrir la portée de « l’Entente » s’appliquant expressément au travailleur.

[138]     Ainsi, il est vrai que sur le site Internet de la CSST l’on peut lire ceci :

Il est à noter que les ententes internationales en matière de sécurité sociale auxquelles la CSST participe n’ont pas préséance sur la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). En effet les dispositions de cette dernière demeurent incontournables. Par exemple, pour qu’un travailleur québécois soit protégé par la LATMP à l’extérieur du Québec, il doit notamment avoir son domicile au Québec au moment de son affectation et conserver un rattachement avec son employeur du Québec.

 

Ces conditions sont requises, que la CSST participe ou non à une entente avec un pays étranger.

 

[139]     Toutefois, il faut comprendre que l’exemple donné par la CSST dans ce passage ne vise qu’à illustrer une application potentielle d’une entente interprovinciale existant avec d’autres provinces au sens de l’article 8.1 de la loi et rappelle que dans le contexte d’application de cette entente, le travailleur doit nécessairement répondre aux exigences de l’article 8 de la loi :

8. La présente loi s'applique au travailleur victime d'un accident du travail survenu hors du Québec ou d'une maladie professionnelle contractée hors du Québec si, lorsque l'accident survient ou la maladie est contractée, il est domicilié au Québec et son employeur a un établissement au Québec.

 

Cependant, si le travailleur n'est pas domicilié au Québec, la présente loi s'applique si ce travailleur était domicilié au Québec au moment de son affectation hors du Québec, la durée du travail hors du Québec n'excède pas cinq ans au moment où l'accident est survenu ou la maladie a été contractée et son employeur a alors un établissement au Québec.

__________

1985, c. 6, a. 8; 1996, c. 70, a. 2.

 

 

8.1. Une entente conclue en vertu du premier alinéa de l'article 170 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1) peut prévoir des exceptions aux articles 7 et 8, aux conditions et dans la mesure qu'elle détermine.

__________

1996, c. 70, a. 3.

 

 

[140]     Cette situation n’est pas celle visée par « l’Entente » à laquelle le travailleur est assujetti au présent dossier et tel qu’indiqué précédemment, cette entente « ne requiert aucun lien de « rattachement » du travailleur à l’employeur ».

[141]     De même, à sa lettre du 3 octobre 2012, la représentante de l’employeur cite le passage suivant tiré du site Internet de la CSST :

Certificats d’assujettissement (s’applique à toutes les ententes auxquelles la CSST participe, à l’exclusion de celle avec l’Italie)

 

Une entente internationale a aussi l’avantage de permettre à un employeur québécois de demander la délivrance d’un certificat d’assujettissement pour un employé domicilié au Québec qui ira travailler temporairement dans un pays signataire d’une entente à laquelle la CSST participe. Un tel certificat, délivré après avis favorable des organismes québécois de sécurité sociale (RRQ, CSST et, dans certaines ententes, RAMQ), atteste que le travailleur en question demeure assujetti à la législation québécoise visée par l’entente, mais le soustrait à la législation correspondante de l’autre pays. L’employeur québécois est ainsi exempté de cotiser au régime de sécurité sociale du pays concerné. Bien sûr, le travailleur ne peut dans ce cas demander d’indemnisation en vertu du régime de ce pays. Il peut néanmoins profiter de la collaboration entre les organismes.

 

 

[142]     De nouveau, cet extrait cité par l’employeur laisse entendre que dans le présent dossier, pour que le travailleur puisse avoir droit d’être indemnisé en vertu de « l’Entente », il aurait dû être visé par un certificat d’assujettissement de la part de son employeur.

[143]     Or, il n’en est rien. Certes, comme l’indique la CSST sur son site, une telle possibilité pour un employeur québécois d’obtenir un certificat d’assujettissement pour un de ses travailleurs qui se rend travailler à l’étranger lui est offerte par certaines ententes internationales conclues par la CSST avec divers pays étrangers. Ce processus est d’ailleurs prévu à l’article 2 de « L’arrangement administratif d’application de l’entente entre le gouvernement du Québec et le gouvernement de la République française en matière de sécurité sociale ».

[144]     Une telle entente vise essentiellement à permettre à un employeur du Québec d’éviter de cotiser à la caisse ou au régime d’assurance du pays dans lequel le travailleur est affecté et empêche celui-ci, en corollaire, de réclamer une indemnisation au pays hôte en cas d’accident du travail.

[145]     Mais une telle possibilité n’a rien à voir avec la présente situation où le travailleur s’est blessé au Québec, alors qu’il y résidait, qu’il s’est vu reconnaître une lésion professionnelle et s’est vu indemnisé avant qu’il ne quitte pour « transférer sa résidence » en France.

[146]     Ceci étant, le tribunal constate que dans l’ensemble, ce que soutient l’employeur c’est que dans le contexte du présent dossier, l’application même par la CSST de « l’Entente » intervenue avec la France et l’imputation des frais reliés à la lésion du travailleur à son dossier ont pour conséquence de l’obérer injustement.

[147]     Avec égards, la jurisprudence du tribunal a maintes fois répété que la simple application d’une disposition législative ne pouvait en soi constituer une « injustice » au sens de l’article 326 de la loi[16].

[148]     Le soussigné partage cette position. En l’espèce, l’application de « l’Entente » est l’extension même de la loi quant au droit du travailleur d’être indemnisé par la CSST. Partant, le soussigné est d’avis que l’employeur n’a établi aucune injustice à son égard du fait que le travailleur ait pu bénéficier de l’application de « l’Entente » conclue par la CSST avec la République française.

[149]     En conséquence, et pour l’ensemble de ces motifs, le tribunal est d’avis que l’employeur n’a pas établi que l’imputation à son dossier des coûts reliés à la lésion professionnelle du travailleur a pour effet de l’obérer injustement au sens de l’article 326 (2) de la loi.

[150]     Qu’en est-il de l’application de l’article 326 (1) de la loi au présent cas ?

[151]     Dans l’affaire Supervac 2000[17], le tribunal a déterminé que seules les prestations dues en raison d’un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il était à son travail doivent être imputées au dossier de l’employeur et, en définitive, que les prestations qui ne sont pas « dues en raison de cet accident » peuvent donc être retirées du dossier financier de l’employeur.

[152]     Dans cette affaire, la preuve a révélé que l’employeur a dû interrompre l’assignation temporaire autorisée par le médecin du travailleur et qui venait de débuter en raison du fait qu’il a eu à congédier le travailleur à la suite d’un problème disciplinaire survenu dans le cadre du travail en question. La preuve révèle également que le travail en assignation temporaire était toujours disponible pour le travailleur au moment de la prise de décision de l’employeur.

[153]     Le tribunal, après analyse, conclut que l’interruption de l’assignation temporaire et, par conséquent, la reprise du versement d’indemnités de remplacement du revenu au travailleur sont reliées à une cause étrangère à l’accident du travail survenu chez l’employeur et que n’eut été cette situation étrangère qu’est le congédiement du travailleur pour insubordination, celui-ci aurait en toute probabilité continué d’exercer ses tâches en assignation temporaire et, donc, n’aurait pas reçu d’indemnité de remplacement du revenu par la CSST[18]. Le tribunal en conclut que lesdites indemnités ne sont pas, dans de telles circonstances, « dues à l’accident du travail » et, donc, que le coût de ces indemnités doit être retiré du dossier financier de l’employeur.

[154]     Le soussigné a lui-même déjà rendu quelques décisions[19] par lesquelles il a souscrit aux principes établis dans l’affaire Supervac 2000.

[155]     Toutefois, en l’espèce, le tribunal est d’avis que les principes établis dans l’affaire Supervac 2000 se distinguent clairement du présent cas dans la mesure où, contrairement à cette affaire, aucune assignation temporaire pour le travailleur n’avait été autorisée ni commencée avant que ne survienne un événement qui peut être dit « étranger à la lésion », soit le départ du travailleur pour la France.

[156]     En l’espèce le travailleur touchait, avec raison, des indemnités de remplacement du revenu au moment où il a annoncé son intention de quitter le Québec, sa lésion n’étant toujours pas consolidée et requérant toujours des traitements.

[157]     L’employeur a bien tenté de faire autoriser un travail en assignation temporaire pour le travailleur avant qu’il ne quitte la province. Toutefois, aucun tel travail n’a été autorisé. Par la suite, la preuve ne montre aucune nouvelle tentative de la part de l’employeur pour offrir un tel travail au travailleur.

[158]     De l’avis du soussigné, l’employeur n’a tout simplement pas démontré que le travailleur aurait pu effectuer du travail en assignation temporaire, n’eut-il pas quitté le Québec, et encore moins que l’employeur a été empêché de lui offrir un tel travail, malgré le départ du travailleur, ne serait-ce qu’au moment où le travailleur est revenu au Québec pour quelques semaines en novembre 2012. En fait, l’idée d’offrir du travail en assignation temporaire au travailleur dans le présent dossier est demeurée à l’état d’idée, d’hypothèse, sans réalisation concrète.

[159]     Il en découle, de l’avis du tribunal, que le travailleur a en tout temps conservé son droit de toucher les prestations prévues à la loi en raison de sa lésion professionnelle. Pour le tribunal, ces prestations ont toujours été « dues en raison de son accident du travail » subi le 17 janvier 2012 et, donc, doivent demeurer imputées au dossier de l’employeur.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête de Pommes Ma-gic inc., l’employeur, déposée le 26 juillet 2013;

CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 17 juillet 2013 lors d’une révision administrative;

DÉCLARE que l’imputation au dossier de l’employeur du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par le travailleur le 17 janvier 2012 demeure inchangée.

 

__________________________________

 

Michel Watkins

 

 

 

 

Mme Isabelle Cyr

GROUPE PENTAGONE

Représentante de la partie requérante

 



[1]        RLRQ, c.A-3.001

[2]        Note du tribunal : cette entente a été conclue entre les gouvernements du Québec et de la République française le 17 décembre 2003. L’Entente a également fait l’objet le même jour d’un « Arrangement administratif » entre les deux gouvernements aux fins de son application.

[3]        Note du tribunal : tel qu’il appert de la note du 31 mai 2013 de l’agente Virginie Belleville de la CSST.

[4]        Pommes Ma-gic inc. et Pastor, C.L.P. 471757-62B-1205, 22 octobre 2012, P. Champagne.

[5]        Note du tribunal : cet extrait de la lettre de l’employeur est tiré directement du site Internet de la CSST à la section traitant des ententes hors Québec et, plus précisément, des ententes internationales en matière de sécurité sociale.

[6]        Idem.

[7]        Note du tribunal : l’employeur a contesté cette décision du 30 novembre 2012 auprès du tribunal (dossier 491852-62B-1212 du tribunal), mais s’est désisté de sa requête le 17 avril 2013.

[8]        Note du tribunal «  on ne retrouve pas au dossier du tribunal les décisions écrites en question. Toutefois, deux notes de l’agente Léveillée du même jour font état de « décision en conséquence aux parties ».

[9]        Note du tribunal : « on ne retrouve pas au dossier du tribunal la décision écrite en question. Toutefois, la note du conseiller Lemay du même jour indique : « décision d’admissibilité ».

[10]       Note du tribunal : le tribunal n’a pas retrouvé au dossier la décision écrite de la CSST à cet égard. Toutefois, la note du conseiller en réadaptation Lemay du 17 juin mentionne : « décision EC ».

[11]       Note du tribunal : le tribunal a réécouté le témoignage de madame Leroux. Il est toutefois difficile de déterminer si celle-ci a affirmé « qu’elle n’avait pas revu ou parlé au travailleur depuis son départ pour la France en juillet 2012, si ce n’est en septembre 2013 » ou plutôt si le témoin a affirmé qu’elle « avait revu le travailleur en septembre 2013 alors qu’il redescendait de la montagne et qu’elle ne l’a pas revu ou ne lui a pas parlé depuis cette date ».

[12]       Voir à ce sujet l’excellente analyse de l’historique jurisprudentiel de cette disposition dans l’affaire Supervac 2000, 2013 QCCLP 6341 (requête en révision judiciaire pendante), décision produite par la représentante de l’employeur.

[13]       Premier horticulture ltée, C.L.P. 172008-01A-0111, 7 octobre 2002, M. Carignan.

[14]       Voir à ce sujet, par analogie, l’affaire C. H. régional Trois-Rivières, C.L.P. 272045-04-0509, 23 novembre 2005, (S. Sénéchal), dans laquelle il a été déterminé que l’employeur n’a pas droit à un transfert d’imputation en vertu de l’article 326 puisqu’il n’a pas pu offrir une assignation temporaire, le travailleur ayant pris sa retraite.

[15]       Tel qu’il appert de la demande de transfert de coûts du 20 juillet 2012.

[16]       Voir par exemple : Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 (décision accueillant la requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, [2004] C.L.P. 1856 (C.S.) (Application du salaire minimum, article 65 de la loi, ne crée pas une injustice); Manoir St-Patrice inc., [2002] C.L.P. 258 (assignation temporaire non autorisée par le médecin du travailleur); Groupe Jean Coutu (PJC) inc., C.L.P. 208306-62A-0305, 16 mars 2004, R. L. Beaudoin (Grève légale empêchant une assignation temporaire), voir aussi : La Brasserie Labatt ltée et CSST, C.L.P. 230582-64-0403, 16 janvier 2006, P. Perron; Bombardier Aéronautique inc., [2010] C.L.P. 434 (indemnité versée à la veuve d’un travailleur en vertu de l’article 58 de la loi); Voir également, dans le même sens : Ville de Montréal, C.L.P. 249567-04B-0411, 27 juillet 2006, L. Nadeau; Etalex inc., 2011 QCCLP 5398; Bombardier inc. aéronautique et CSST, [2004] C.L.P. 1817.

[17]      Supra note 12.

[18]       Paragraphes 137 et 138 de la décision Supervac 2000.

[19]       Voir par exemple : Rénovations Ja-Car inc., 2014 QCCLP 1935; Urgence Médicale Code Bleu, 2014 QCCLP 216, requête en révision pendante; Olymel Soc. en Commandite A.F., 2014 QCCLP. 365, requête en révision pendante; Sûreté du Québec, 2013 QCCLP 7004, requête en révision pendante; Olymel Soc. en Commandite A.F., C.L.P. 514985-62B-1306, 23 mai 2014, M. Watkins; Transport M et R Taillefer, C.L.P. 515419-62B-1307, 27 mai 2014, M. Watkins.

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