Procureur général du Québec c. Bagui | 2021 QCCQ 12225 |
COUR DU QUÉBEC | ||
| ||
CANADA | ||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |
« Chambre criminelle et pénale »
| |
N° : 500-21-104266-205 500-21-104258-202 500-21-104257-204 500-21-104260-208 500-21-104279-208 500-21-104277-202 500-21-104256-206 500-21-104255-208 | 500-21-104254-201 500-21-104263-202 500-21-104262-204 500-21-104264-200 500-21-104259-200 500-21-200610-023 500-21-104261-206 |
| |||||
DATE : | 23 novembre 2021 | ||||
| |||||
| |||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | YVAN POULIN[1] | |||
| |||||
| |||||
PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC |
| ||||
Requérant | |||||
c.
| |||||
Kamel BAGUI Myriam ECHALDI Fatima FERHANE Soheyb HAMMI Ilyes HARMALI Stanley Romi LOUIS-CHARLES Anis MEZARI
Ordy Chancard NZANYIMIGISHA Fares OUASSEL Akram MOHAMED-AHMED Mohamed MOHAMED-AHMED Tommy PHILDOR Mouad RASMI Sabrina TAZI Sarah Salma TAZI |
Intimés
|
|
JUGEMENT SUR UNE DEMANDE DE CONFISCATION DE BIENS SAISIS |
|
[1] À la suite d’une intervention policière menée en pleine nuit par le Groupe Tactique d’Intervention (« GTI ») du Service de police de la ville de Montréal (« SPVM ») dans le Vieux-Montréal, des armes à feu chargées ont été découvertes et saisies par les policiers dans un appartement où se déroulait une fête.
[2] L’intervention policière a été menée le 11 juin 2020 après qu’une information quant à la présence d’armes à feu ait été reçue par le SPVM. Elle faisait suite à une vidéo publiée sur Snapchat où l’on pouvait voir des hommes exhibant et pointant des armes à feu et montrant une somme considérable d’argent dans un sac de plastique.
[3] Vingt-cinq individus se trouvaient sur place au moment de l’intervention policière. En raison des préoccupations sécuritaires découlant de l’information en leur possession, le GTI a choisi d’intervenir de manière statique en déployant un plan d’intervention structuré.
[4] Vers 3h00 du matin, les policiers enfoncent la porte principale et s’identifient clairement en criant « Police! ». Les gyrophares et sirènes des véhicules de police se trouvant sur le périmètre sont actionnés et un ordre est donné aux occupants de sortir à tour de rôle. Cet ordre est répété à plusieurs reprises mais aucun n’accepte de sortir ou de donner accès aux lieux.
[5] Les occupants démontrent de l’hostilité plutôt que d’obtempérer. Ils sont non coopératifs et refusent de sortir. Certains confrontent les policiers dans les escaliers et démontrent une attitude agressive et provocatrice. La résistance et l’hostilité persistent malgré les explications du GTI quant à la raison de leur présence, l’existence d’un mandat de perquisition et le sérieux de la situation.
[6] Au cours de l’incident, le mandat est remis à l’un des occupants qui en nie la légitimité et communique avec un avocat criminaliste. Ce dernier discute ensuite avec les enquêteurs par téléphone qui lui expliquent davantage la nature de l’intervention. Plusieurs minutes s’écoulent sans que personne ne sorte. C’est à la suite d’épisodes répétés de provocation, d’hostilité et de résistance que les occupants se présentent éventuellement, par vagues, pour offrir leur reddition.
[7] L’exercice est long puisque certains occupants tardent à sortir. Tenant compte de l’ensemble des circonstances, ils sont fouillés par des membres du GTI au fur et à mesure de leur sortie. Ils sont placés en détention pour fins d’enquête et sont pris en charge par des agents du SPVM qui procèdent à leur arrestation pour possession d’arme. Ils sont placés dans des véhicules de police dans l’attente de la fin de l’opération.
[8] Le premier occupant sort vers 3h25 et le dernier un peu avant 5h00. Lors des fouilles accessoires individuelles, les policiers ne saisissent pas d’arme à feu sur eux. Ils découvrent toutefois des sommes d’argent très considérables sur quinze d’entre eux. Au total, un montant d’environ 118 000$ en argent comptant est saisi dans le cadre de l’opération policière. Il s’agit pour l’essentiel de coupures de 20$, 50$ et 100$ en devises canadiennes.
[9] Il est à noter que le sac d’argent tel qu’observé sur la vidéo Snapchat ne sera ni localisé ni récupéré par les policiers au cours de l’opération. Par ailleurs, bien qu’aucune arme ne soit découverte sur les occupants au moment des fouilles individuelles, trois armes à feu, des munitions et un sac de cannabis seront saisis dans l’appartement au moment de la perquisition subséquente.
[10] Au terme de l’opération, six sujets ont été accusés en lien avec les armes à feu trouvées sur place et trois d’entre eux - dont l’intimé Ilyes Harmali - ont plaidé coupable à l’infraction de possession.
[11] Le litige porte ici sur la confiscation de l’argent saisi sur les quinze intimés et la confiscation de bijoux observés sur la vidéo publiée sur Snapchat et saisis en possession des intimés Kamel Bagui et Anis Mezari. Il s’agit de déterminer s’il y a lieu de confisquer ces biens au profit du ministère public.
I - La position des parties et les actes de procédure
[12] Le Procureur général du Québec (ci-après « ministère public ») demande la confiscation des items en question en vertu du paragraphe 490(9) du Code criminel. Bien qu’aucune poursuite criminelle n’ait été intentée pour possession de ces biens, le ministère public soutient que leur confiscation doit être prononcée en vertu de cette disposition législative et des principes élaborés dans les arrêts R. v. Mac[2] et R v. West[3].
[13] À l’appui de sa demande, le ministère public a présenté une preuve étayant les circonstances dans lesquelles l’argent a été saisi sur chacun des intimés. Le ministère public plaide avoir démontré hors de tout doute raisonnable que ces biens sont « teintés par la criminalité » et que leur confiscation est justifiée. Le ministère public argue par ailleurs que la seule inférence raisonnable pouvant être tirée de la preuve est que l’argent a été séparé et réparti parmi les intimés durant la période de résistance faisant suite à l’intervention du GTI et qu’il ne leur appartient pas légitimement et individuellement.
[14] De leur côté, les intimés s’opposent à l’ordonnance de confiscation et soutiennent que leurs biens devraient leur être rendus. Ils plaident que le ministère public n’a pas établi hors de tout doute raisonnable qu’ils sont « teintés par la criminalité » au sens de la jurisprudence.
[15] Ils allèguent que le ministère public n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable qu’ils ne sont pas les possesseurs ou propriétaires légitimes de l’argent en question. Et ils soutiennent avoir été fouillés abusivement et privés de leur droit à l’avocat de sorte que leur argent devrait leur être rendu en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte, et ce, peu importe la conclusion du Tribunal sur la légitimité de leur propriété ou possession.
[16] Aux fins du présent jugement, le Tribunal abordera d’abord le cadre juridique applicable ainsi que la preuve qui a été produite à l’audience. Le Tribunal statuera ensuite sur la requête des intimés fondée sur l’article 24 de la Charte et déterminera, en dernier lieu, s’il y a lieu ou non de confisquer les biens saisis.
II - Le cadre juridique
[17] Le paragraphe 490(9) du Code criminel stipule que :
490(9) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi ou de toute autre loi fédérale :
a) le juge visé au paragraphe (7), lorsqu’un juge a ordonné la détention d’une chose saisie en application du paragraphe (3);
b) le juge de paix, dans tout autre cas,
qui est convaincu que les périodes de détention prévues aux paragraphes (1) à (3) ou ordonnées en application de ceux-ci sont terminées et que des procédures à l’occasion desquelles la chose détenue peut être requise n’ont pas été engagées ou, si ces périodes ne sont pas terminées, que la détention de la chose saisie ne sera pas requise pour quelque fin mentionnée au paragraphe (1) ou (4), doit :
c) en cas de légalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ordonner qu’elle soit retournée à cette personne;
d) en cas d’illégalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ordonner qu’elle soit retournée au propriétaire légitime ou à la personne ayant droit à la possession de cette chose, lorsqu’ils sont connus;
en cas d’illégalité de la possession de cette chose par la personne entre les mains de qui elle a été saisie, ou si nul n’en avait la possession au moment de la saisie, et lorsque ne sont pas connus le propriétaire légitime ni la personne ayant droit à la possession de cette chose, le juge peut en outre ordonner qu’elle soit confisquée au profit de Sa Majesté; il en est alors disposé selon les instructions du procureur général ou autrement en conformité avec le droit applicable.
[18] En vertu de cette disposition, un juge doit ordonner qu’une chose saisie soit restituée à la personne de qui elle a été saisie si la possession est légale. À défaut, cette disposition permet au juge de restituer la chose saisie à son propriétaire légitime ou de la confisquer au profit de l’État si le propriétaire légitime est inconnu ou que la chose est « teintée par la criminalité »[4].
[19] Dans R. v. West[5], au paragraphe 17, la Cour d’appel décrit le cadre applicable de la manière suivante :
[17] Section 490(9) authorizes a judge to order a "seized item" to be returned to the person from whom it was seized if possession of it is lawful. If the person from whom it was seized does not have lawful possession of the seized item, the provision authorizes the judge to return the item to the lawful owner or forfeit it to Her Majesty if the lawful owner is unknown. Section 490(9) envisages an application by the Crown for forfeiture and a cross-application for return of the seized property by the person lawfully entitled to possess it and, perhaps, by another person claiming an interest in it, pursuant to s. 490(10). (Nos soulignés)
[20] Selon la jurisprudence, le possesseur d’une chose saisie est présumé y avoir droit et il revient au ministère public de démontrer hors de tout doute raisonnable qu’elle ne doit pas lui être rendue[6].
[21] Dans Guimont c. R.[7], au paragraphe 20, la Cour d’appel du Québec énonce ce qui suit à ce sujet :
[20] Selon l’article 490 du Code criminel, la personne qui souhaite conserver la possession de biens saisis qui ne sont plus nécessaires aux fins d’enquête, doit établir qu’elle est soit le propriétaire légitime ou encore qu’elle a droit à la possession des biens. Si la personne parvient à établir qu’elle était en possession de la chose au moment de la saisie, la légitimité de cette possession est présumée. Le fardeau de preuve revient alors au ministère public de démontrer hors de tout doute raisonnable le caractère illégitime ou illégal de la possession.
[22] Plus loin, la Cour confirme l’ordonnance de confiscation prononcée en première instance en s’appuyant sur le fait que ni le propriétaire légitime ni la personne ayant droit à la possession de cette chose n’étaient connus. Aux paragraphes 30 et 31, la Cour indique :
[30] Ajoutons que le ministère public a établi que huit des neuf intensificateurs d’images saisis ont été manufacturés par ITT pour l’armée américaine. De toute manière, en application du paragraphe 490(9) du Code criminel, « lorsque ne sont pas connus le propriétaire légitime ni la personne ayant droit à la possession de cette chose, le juge peut en outre ordonner qu’elle soit confisquée au profit de Sa Majesté ».
[31] Le juge n’a donc commis aucune erreur en ordonnant la confiscation des objets saisis pour disposition conformément à la loi. (Nos soulignés)
[23] Dans son analyse de la preuve produite au soutien d’une demande fondée sur le paragraphe 490(9) C.cr., le juge doit soupeser la fiabilité et la crédibilité des éléments qui lui sont présentés. Son analyse doit se faire dans le contexte général de la preuve qui lui est présentée.
[24] Selon les circonstances, le juge peut retenir en tout, en partie ou aucunement un élément de preuve ou un témoignage qui lui est présenté. Il va de soi que l’analyse du juge doit se faire au vu de l’ensemble de la preuve et non en vase clos.
[25] Puisqu’il incombe au ministère public de prouver hors de tout doute raisonnable qu’une ordonnance de confiscation doit être prononcée, il s’ensuit que les intimés doivent bénéficier de tout doute raisonnable qui subsisterait sur cette question[8].
[26] Ce principe, qui constitue l’un des préceptes fondamentaux du droit criminel[9], s’applique avec la même vigueur[10] aux audiences de type in rem fondées sur le paragraphe 490(9) du Code criminel.
III - La preuve
A) Le contexte général de l’intervention policière
[27] En sus de ce qui est mentionné précédemment, certains éléments de preuve produits à l’audience permettent de mieux comprendre le contexte général de l’intervention policière. Entre autres, il est à noter :
Que l’analyse du téléphone portable saisi en possession de l’intimé Mouad Rasmi révèle qu’il a été utilisé pour publier la vidéo Snapchat où l’on peut observer les armes à feu et le sac d’argent;
Que le visionnement de la vidéo Snapchat révèle que le sac d’argent est tenu par l’intimé Anis Mezari; et
Que le visionnement de la vidéo Snapchat permet de voir des hommes manipulant et pointant des armes à feu sur un fond de musique rap.
[28] Réitérons par ailleurs que le sac d’argent tel qu’observé sur la vidéo Snapchat n’a été ni localisé ni récupéré par les policiers au cours de l’opération. De plus, une analyse approfondie du téléphone portable de l’intimé Mouad Rasmi étaye la participation de ce dernier à un stratagème de manœuvres frauduleuses en lien avec la Prestation Canadienne d’Urgence (« PCU »).
B) Les versions des intimés
[29] À l’audience sur confiscation, les quinze intimés ont été assignés à témoigner par le ministère public par le biais de subpoenas. La plupart étaient réticents à témoigner et à expliquer les circonstances de la saisie et l’origine de l’argent trouvé en leur possession. Il est à noter que leurs récits comportent des divergences sur des éléments au cœur de la présente affaire.
[30] Certains disent qu’une vidéo a été tournée et d’autres non. Certains disent que l’argent a été mis en commun et d’autres non. Et plusieurs rendent des témoignages évasifs, imprécis ou manquants de transparence. Ce qui suit constitue un résumé de leurs versions respectives.
1) Ilyes Harmali
[31] M. Harmali témoigne qu’il est un rappeur connu et qu’il se trouvait sur les lieux de l’incident pour y tourner un vidéoclip. Il dit ne pas connaitre le nom de celui qui avait loué l’appartement mais indique que c’est « sûrement un ami d’un de mes amis ».
[32] Il affirme qu’au cours de la soirée, il aurait travaillé sur son vidéoclip pendant deux à trois heures avec son manager, un dénommé « onze », dont il ne connait pas le vrai nom. Cet individu aurait quitté les lieux vers 23h00 ou minuit avec la caméra et les projecteurs utilisés lors du tournage. Soulignons que M. Harmali n’est pas en mesure de déposer d’extrait du vidéoclip qui aurait été produit par son manager.
[33] Lorsque questionné au sujet de la vidéo publiée sur Snapchat, M. Harmali affirme qu’elle est distincte du vidéoclip filmé avec le concours de son manager. Au regard de ses souvenirs d’avoir participé à la vidéo Snapchat, il répond « j’tais pas là, j’étais un peu trop saoul », mais se reconnait néanmoins sur les images où on le voit avec une arme à feu. Il confirme par ailleurs que le sac d’argent était bel et bien en possession de M. Mezari.
[34] Lorsqu’appelé à élaborer au sujet du sac d’argent, M. Harmali dit que son contenu provient « d’un peu tout le monde » sans pour autant être en mesure de préciser davantage. Il dit que chacun note « dans sa tête » combien d’argent il met en commun, et ce, afin de le récupérer plus tard. Il dit qu’il avait lui-même apporté entre 4 000$ et 4 500$ de ses économies qu’il conservait dans « sa petite cache » chez ses parents. Au moment de son arrestation, un montant de 4 155$ a été saisi dans ses poches.
2) Anis Mezari
[35] M. Mezari confirme qu’il est bel et bien celui que l’on peut voir avec le sac d’argent dans les mains sur la vidéo publiée sur Snapchat. Bien qu’il dise que le sac contenait « l’argent de plein de monde » et que « c’était pas juste mon argent », il ne se souvient ni du nombre de personnes qui ont contribué à mettre l’argent en commun, ni de leur identité, ni du contexte dans lequel cela s’est produit.
[36] Il dit ne pas se rappeler de la durée de temps durant laquelle il a eu le sac en sa possession non plus que du moment où la vidéo aurait été tournée. Il affirme qu’il n’était pas lui-même en charge de « redistribuer les sommes d’argent » après leur mise en commun et ne se souvient pas si quelqu’un avait la responsabilité de le faire.
[37] Il ne se rappelle pas non plus du contexte dans lequel la somme d’argent globale aurait été séparée pour être redistribuée. Lorsque questionné quant au moment où il aurait récupéré la somme lui appartenant, il dit ne pas s’en rappeler et ne peut dire si cela s’est produit avant ou après qu’il ait été informé de la présence du GTI.
[38] M. Mezari témoigne avec réticence au sujet des événements et affirme ne pas se rappeler de ses propres antécédents judiciaires, qui ne sont pourtant pas si éloignés dans le temps. Au sujet de sa présence sur les lieux, il dit s’être rendu sur place à la demande de son ami Ilyes Harmali qui devait tourner un vidéoclip. Il soutient qu’il avait apporté de l’argent à la demande de ce dernier et qu’il croit avoir récupéré la somme complète.
[39] Il dit que son argent provenait de la PCU et qu’il s’agissait de billets de 20$ et 50$. Un montant de 5 565$ a été saisi dans ses poches à sa sortie de l’appartement. Soulignons qu’il n’avait aucun billet de 50$ en sa possession.
3) Kamel Bagui
[40] M. Bagui témoigne s’être rendu sur place à la demande de son ami Ilyes Harmali qui devait tourner un vidéoclip. Il ne se rappelle pas de quelle manière il a été invité à la soirée et dit qu’il n’y avait pas de demande particulière de la part de son ami. Il était sorti de prison peu avant l’événement et soutient qu’il a apporté environ 5 000$ CAD et 100 USD à la soirée. Il dit que 4 000$ provenait de la PCU et le reste de ses économies.
[41] M. Bagui affirme qu’il s’agissait de la première fois où il avait un montant d’argent aussi considérable en sa possession mais répond avec difficultés aux questions recherchant des précisions au sujet de la description de la liasse en question. Lorsque questionné au sujet du vidéoclip, il hésite et mentionne qu’il ne peut dire comment cela se passe puisque « j’étais saoul, j’étais fini ».
[42] Il dit ne pas se rappeler avoir sorti l’argent pendant le party non plus que de l’avoir mis en commun. Il ne « croit pas » avoir assisté à la vidéo et dit qu’il était vraiment saoul et que « même si je m’en rappellerais je m’en rappellerais pas ». À sa sortie de l’appartement, il avait un montant de 5 815$ CAD ainsi que 100$ USD en sa possession. Les devises canadiennes étaient principalement en coupures de 20$.
4) Mouad Rasmi
[43] Il débute son témoignage en refusant de répondre aux questions du ministère public quant à la raison de sa présence sur les lieux le soir de l’événement. Il répond ensuite à certaines questions mais son témoignage est globalement caractérisé par des réponses évasives et un manque manifeste de transparence.
[44] Il dit qu’il arrive sur les lieux vers 17h00 ou 18h00 alors que l’on s’affaire à ranger de l’équipement servant au tournage d’un vidéoclip. Il relate qu’il y demeure jusqu’à la frappe du GTI. Il est très réticent à répondre aux questions en lien avec la vidéo publiée sur Snapchat mais se reconnait tout de même comme étant celui qui tenait le téléphone ayant capté la scène où l’on voit des armes à feu et le sac rempli d’argent.
[45] Il dit que la publication de la vidéo à partir de son téléphone constituait « une dérape » et prétend qu’il n’était pas conscient de la présence du sac rempli d’argent. Il dit ne pas avoir vu, au cours de la soirée, de gens avec de l’argent comptant. Au moment de son arrestation, il avait 1 710$ en sa possession provenant, selon lui, de la PCU. Ses réponses à propos de l’origine et de l’utilisation qu’il entendait faire de cet argent sont incertaines et nébuleuses.
[46] M. Rasmi répond de manière très évasive lorsque des questions lui sont posées en lien avec le contenu de son appareil portable et le fait qu’on y retrouve plusieurs des éléments étayant sa participation à un stratagème de manœuvres frauduleuses en lien avec la PCU, dont les données personnelles et profils de plusieurs tierces personnes. En réponse à ces questions, il répète à de multiples reprises, sans grande conviction, que ces éléments ne lui disent rien et qu’il ne sait pas ce que ça fait là. Ses explications sont dépourvues de crédibilité et manquent de transparence.
5) Ordy Chancard Nzanyimigisha
[47] Dans le cas de M. Nzanyimigisha, il affirme qu’il se rend sur les lieux vers 23h30 ou minuit, non pas pour le tournage d’un vidéoclip, mais plutôt pour aller chercher de la nourriture pour chien. Il relate qu’il reste sur les lieux pour prendre un verre et qu’il ne voit ni arme à feu, ni liasses d’argent, ni production ou tournage de vidéoclip. Il dit que le GTI intervient dans l’heure qui suit son arrivée, ce qui est incompatible avec la chronologie des événements.
[48] Au moment de son arrestation, M. Nzanyimigisha avait 14 480$ CAD, 200$ USD et 40 euros dans ses poches. Au regard de la provenance de l’argent, il témoigne que le 14 000$ proviendrait d’un héritage qu’il aurait reçu d’Afrique, en 2018 et 2020, par le biais de son père, de la part de sa grand-mère toujours vivante. Selon son récit, son père lui aurait remis l’argent en coupures canadiennes de 20$, 50$ et 100$ qu’il aurait gardé dans un tiroir de la résidence familiale.
[49] Selon M. Nzanyimigisha, il avait tout cet argent en sa possession puisqu’il avait planifié visiter des logements sur la rive-sud de Montréal au cours de la journée du lendemain. Il voulait déménager et réduire son loyer à environ 800$ par mois. Selon ses dires, il avait apporté tout cet argent pour être en mesure de payer le premier et le dernier mois de loyer si cela lui était demandé. Lorsque confronté au fait que le montant de plus de 14 000$ était exponentiellement incompatible avec ses affirmations, ses réponses s’avèrent évasives et dépourvues de toute crédibilité.
6) Myriam Echaldi
[50] Mme Echaldi affirme qu’elle se rend sur les lieux vers deux heures du matin avec plus de 10 900$ dans son sac. Elle relate qu’elle décide de s’y rendre après avoir été informée par une connaissance, une dénommée Sabrina, qu’il y avait un party.
[51] Mme Echaldi prétend qu’elle avait cet argent en sa possession depuis l’après-midi puisqu’elle voulait acquitter des contraventions impayées à la Cour municipale mais qu’elle est arrivée après la fermeture des bureaux. Selon ses dires, elle avait demandé à une amie de la conduire au centre-ville de Montréal mais avait choisi de descendre près du Musée des Beaux-Arts plutôt qu’à proximité de la Cour municipale.
[52] Bien qu’elle soit arrivée à la fête vers deux heures du matin, Mme Echaldi dit avoir vu des gens qui faisaient un vidéoclip en flashant de l’argent, ce qui est incompatible avec plusieurs témoignages entendus lors de l’audience à ce sujet. Elle prétend par ailleurs que son argent est demeuré en tout temps dans son sac et qu’elle ne le met pas en commun avec l’argent des autres.
[53] Elle dit que 9 900$ lui avait été donné par son père, en argent comptant, pour qu’elle acquitte ses contraventions impayées, et que 900$ lui avait été donné par sa mère, en argent comptant aussi, pour qu’elle s’achète des vêtements. Elle avait 10 905$ canadiens en sa possession à sa sortie de l’appartement.
7) Fatima Ferhane
[54] Mme Ferhane affirme avoir reçu une invitation pour se rendre à la fête via Snapchat. Elle ne se rappelle pas précisément de qui l’invitation émanait et ignore s’il y avait une occasion spéciale. Elle s’y rend avec un ami et prend part à l’événement. Elle relate que personne ne lui demande d’apporter de l’argent.
[55] Elle ne se rappelle pas exactement du montant qu’elle avait dans son sac à mains mais l’évalue à entre 6 000$ et 9 000$. Elle se présente au Tribunal et témoigne avec réticence. Elle affirme ne pas prendre son assignation à témoigner au sérieux. Elle dit que le montant en jeu est d’une importance banale. Son récit au regard de l’origine et l’étendue de ses revenus est évasif, imprécis, évolutif et nébuleux. Il en est de même de ses explications à propos de l’argent saisi en sa possession, qui s’élevait à 6 460$.
8) Soheyb Hammi
[56] M. Hammi témoigne qu’il se rend sur les lieux où se déroule la fête avec environ 4 200$ dans sa sacoche. Il explique qu’il vient alors tout juste de sortir de prison et qu’il est informé par Sarah Tazi qu’il y aurait un party à cet endroit. Il relate que c’est Sarah qui l’a amené, ce qui est incompatible avec le témoignage rendu par cette dernière à l’effet qu’elle s’y rend seule et qu’elle ne connait personne d’autre que sa sœur.
[57] M. Hammi relate qu’il avait cet argent sur lui parce qu’il avait trouvé un appartement à louer et devait payer deux mois d’avance. Il dit que son argent, qui lui avait été prêté par son frère environ une semaine avant, était principalement en coupures de 100$ et 50$. Il dit que personne ne lui avait dit d’apporter quoi que ce soit au party et que l’argent est demeuré en tout temps dans sa sacoche. Selon M. Hammi, le GTI est intervenu au maximum une heure après qu’il soit arrivé sur les lieux. Une somme de 4 180$ a été découverte dans son sac Gucci noir.
9) Stanley Romi Louis-Charles
[58] M. Louis-Charles témoigne s’être rendu sur place pour un vidéoclip avec environ 7 000$ de ses économies. Il relate qu’il conservait cet argent chez lui pour effectuer des rénovations à son domicile. Il témoigne avec très peu de conviction au sujet de l’endroit où il conservait son argent et des raisons pour lesquelles il le gardait de cette manière plutôt qu’à la banque. En cours de témoignage, il affirme qu’une partie de l’argent proviendrait d’un héritage sans pour autant être en mesure d’expliquer davantage. Son récit est évasif et intrinsèquement dépourvu de crédibilité.
[59] M. Louis-Charles ne sait pas qui lui demande d’apporter l’argent à la fête ni à quoi il allait être utilisé dans le cadre de la vidéo. Il dit ne pas connaitre le nom des amis qui l’invitent à se rendre à la fête mais se ravise lorsque ramené à l’ordre par le Tribunal en raison du caractère évasif de ses réponses. C’est avec beaucoup d’hésitation et de réticence qu’il identifie finalement M. Harmali.
[60] Au sujet du vidéoclip, M. Louis-Charles se limite à dire qu’il est tourné dans la pièce commune de l’endroit où se tient la fête. Lorsque questionné davantage à ce sujet, il est incapable de fournir plus de détails. Il ne se rappelle ni de l’équipement utilisé, ni de la personne en charge, ni de la durée approximative du tournage. Bien qu’il dise qu’il apporte son argent aux fins du vidéoclip, il témoigne qu’il le garde sur lui lorsque le tournage débute. Au moment de son arrestation, un montant de 7 450$ est saisi dans la petite sacoche noire qu’il avait en sa possession.
10) Fares Ouassel
[61] M. Ouassel dit qu’il se rend sur les lieux de la fête en fin d’après-midi avec environ 7 000$ dans sa sacoche parce qu’il est informé par son amie Sarah, via Snapchat, qu’il y aurait un party à cet endroit. Ayant l’information qu’il y aura un vidéoclip, il décide « instinctivement », selon ses dires, de retirer et d’apporter de l’argent comptant. Il ne peut toutefois se rappeler dans quel contexte et à quel endroit il avait retiré l’argent, mais soutient qu’il provenait de la PCU.
[62] M. Ouassel relate qu’aucune vidéo n’est tournée alors qu’il est sur place et qu’il n’observe personne avec de l’argent. Bien qu’il ait apporté son argent pour un vidéoclip, il relate qu’il ne le sort à aucun moment. Lorsque questionné quant aux circonstances de son arrestation, il témoigne qu’elles sont floues puisque « tout le monde était saoul ». Au moment de son arrestation, un montant de 7 085$ est saisi dans sa sacoche.
11) Akram Mohamed-Ahmed
[63] M. Akram Mohamed-Ahmed dit qu’il va rejoindre son frère à une fête dans le Vieux-Port où il y aura tournage d’un vidéoclip. Il affirme qu’il apporte 2 300$ en argent comptant qu’il conservait dans son tiroir à chaussettes. Il dit qu’il arrive seul et qu’il ne s’écoule que 40 ou 45 minutes entre son arrivée et la frappe du GTI.
[64] Bien qu’il ne se rappelle pas s’il y a eu tournage d’une vidéo, il relate qu’il prête tout de même son argent à un ami pour « probablement » faire des vidéos ou photos. Lorsque questionné quant à l’identité de cet ami, il n’est pas en mesure d’indiquer lequel. Il n’est pas non plus capable d’identifier celui qui lui aurait rendu son argent après que la police se soit annoncée et qu’il ne sorte. Au moment de son arrestation, un montant de 2 300$ a été saisi sur lui.
12) Mohamed Mohamed-Ahmed
[65] M. Mohamed Mohamed-Ahmed témoigne s’être rendu sur place pour un vidéoclip après avoir entendu parler de cela par des amis dans son quartier. Il s’y rend seul et rencontre son frère et M. Phildor sur place. Il ne peut dire à quelle heure il arrive mais affirme qu’il apporte plus de 11 000$ en argent comptant pour le montrer dans la vidéo.
[66] Il affirme que des scènes sont tournées en sa présence et qu’il sort son argent à cette fin. Il soutient qu’il y avait aussi l’argent d’autres personnes mais qu’il gardait toujours « un œil sur son argent ». Selon ses dires, il s’assurait de déposer et de reprendre son argent après chaque scène. Soulignons que son récit des circonstances entourant ces scènes est particulièrement évasif.
[67] Au regard de la source de son argent, il témoigne que 10 000$ était caché dans son garde-robe, chez lui, sous des vêtements. Il dit que ce montant provenait indirectement d’un héritage d’Égypte et était principalement composé de coupures de 20$ avec quelques billets de 50$. Quant au 1 000$ restant, il dit l’avoir retiré à la banque, en coupures de 20$, en chemin vers le Vieux-Port.
[68] Il est à noter que le récit de M. Mohamed-Ahmed sur cette question est incompatible avec les dénominations saisies en sa possession au moment de son arrestation. La preuve révèle en effet que le montant de 11 170$ CAD était composé de 219 billets de 50$ et 11 billets de 20$.
13) Tommy Phildor
[69] Dans le cas de M. Phildor, il témoigne s’être rendu sur place pour un vidéoclip après avoir été contacté par MM. Harmali et Bagui qui lui disent d’apporter de l’argent. Selon ses dires, il se présente sur les lieux vers 23h30 avec de l’argent provenant de son tiroir de bureau (5 000$) et d’un guichet de Mirabel (1 000$), qu’il avait placé dans un sac Gucci.
[70] M. Phildor relate qu’aucune vidéo n’est tournée alors qu’il est sur place et qu’il ne sort son argent à aucun moment. Malgré son affirmation à l’effet que « beaucoup de monde avait amené de l’argent », il est catégorique à l’effet que le vidéoclip n’a pas été tourné. Au moment de son arrestation, un montant de 6 525$ CAD et 18$ USD est saisi dans son sac.
14) Sabrina Tazi
[71] De son côté, Sabrina Tazi affirme qu’elle se rend sur les lieux avec plus de 20 000$ après avoir vu une invitation sur Snapchat. Elle dit avoir pris l’initiative d’apporter son argent sans pour autant avoir vu de demande à cet effet. Elle affirme qu’elle est « déjà saoule » avant même de partir de chez elle et répète ce propos tout au long de son témoignage. Elle témoigne qu’elle est travailleuse du sexe et prétend qu’il s’agit de ses économies. Elle dit qu’elle invite sa sœur à la rejoindre mais qu’elle ne connait personne d’autre sur place.
[72] Mme Tazi dit qu’elle passe « un bon six heures de temps » sur les lieux avant la frappe policière. Durant sa présence, elle n’observe ni vidéoclip ni liasse d’argent et ne sort pas l’argent de son sac à main. Elle ne voit pas non plus d’équipement de tournage tels des projecteurs et caméras.
[73] Elle prétend que son argent est dans sa sacoche qu’elle garde avec elle tout au long. Elle affirme que cette somme était principalement composée de coupures de 20$ puisqu’elle se fait généralement payer avec de telles coupures à titre de travailleuse du sexe.
[74] Soulignons que son récit est incompatible avec le fait que le montant saisi en sa possession (20 200$ CAD) était exclusivement composé de coupures de 50$. Dans son ensemble, son témoignage est dépourvu de toute crédibilité.
15) Sarah Salma Tazi
[75] Dans le cas de Sarah Salma Tazi, elle relate qu’elle se rend sur les lieux pour un vidéoclip de KBG et qu’elle y rejoint sa sœur Sabrina. Elle dit que des gens sur Snapchat disaient d’amener de l’argent pour le vidéoclip. Elle affirme qu’elle ne connait personne d’autre que sa sœur, ce qui est incompatible avec les dires de M. Hammi, et qu’aucun vidéoclip n’est tourné durant sa présence sur les lieux. Malgré cela, elle ne pose aucune question aux personnes se trouvant sur place concernant le moment où le vidéoclip serait tourné.
[76] Mme Tazi dit qu’elle arrive sur les lieux avec 10 000$ qu’elle place dans le sac de sa sœur. Elle dit qu’elle récupère son argent suivant la frappe policière juste avant de sortir. Au regard de la provenance de l’argent, elle témoigne qu’il s’agit principalement d’économies provenant de pourboires accumulés au fil des ans à titre de serveuse, lesquels étaient assez rarement composés de billets de 50$. Il est à noter que le récit de Mme Tazi, à l’instar de celui de sa sœur, est incompatible avec le fait que le montant saisi en sa possession (9 750$ CAD) était exclusivement composé de coupures de 50$.
[77] Il n’est pas inutile de noter qu’au début de son témoignage, Mme Tazi relate qu’elle se rappelle avoir transporté l’argent à l’intérieur de son short, mais qu’elle change sa version en cours de témoignage en affirmant que c’était plutôt dans ses poches de veste. Soulignons par ailleurs qu’elle est évasive lorsque questionnée à propos de l’épaisseur de la liasse qu’elle transportait, et qu’elle dit ne pas se rappeler des circonstances de son arrestation et de la fouille puisqu’elle avait bu.
C) L’inadmissibilité de la déclaration faite par Sarah Salma Tazi
[78] Dans le cadre de l’audition, le Tribunal a tenu un voir-dire de common law aux fins de déterminer l’admissibilité de la déclaration faite par Sarah Salma Tazi au policier Stéphane Reed lors de l’arrestation.
[79] Dans le contexte du présent dossier, le Tribunal conclut que le ministère public n’a pas établi que cette déclaration est volontaire au sens de la règle des confessions. D’une part, le policier ne peut déterminer si la déclaration a été faite de manière spontanée ou si elle résulte d’une question de sa part. D’autre part, il ne peut confirmer avec suffisamment de certitude la nature précise des propos qui auraient été tenus par Mme Tazi une fois dans le véhicule.
[80] Il appartient au ministère public de démontrer hors de tout doute raisonnable qu’une déclaration extrajudiciaire faite à une personne en autorité a été faite volontairement. Afin de déterminer si ce fardeau a été rencontré, le Tribunal doit procéder à une analyse contextuelle[11].
[81] En l’espèce, au vu de toutes les circonstances, le Tribunal conclut qu’il n’y a pas lieu de considérer la déclaration extrajudiciaire de Sarah Salma Tazi comme faisant preuve de son contenu.
IV - La requête fondée sur l’article 24 de la Charte
[82] Après analyse de toute la preuve, le Tribunal conclut que la requête fondée sur la Charte doit être rejetée.
[83] S’il est vrai qu’un juge agissant en vertu de l’article 490(9) C.cr. peut, dans les cas appropriés[12], octroyer un remède en vertu de l’article 24 de la Charte, il est acquis qu’une telle mesure est tributaire d’une atteinte à un droit protégé par la Charte.
[84] Bien que les intimés aient produits une requête invoquant des atteintes aux droits protégés par les articles 7, 8 et 10 de la Charte, force est de conclure que la preuve ne permet pas d’étayer les violations alléguées.
[85] Notons que la perquisition était ici autorisée par un télémandat valablement obtenu au cours de la nuit. Soulignons également que l’effet conjugué des éléments à la connaissance de l’équipe d’enquête rendait raisonnable la crainte de violence et justifiait d’avoir recours au GTI.
[86] Dans les circonstances spécifiques de l’espèce, les policiers étaient justifiés de procéder à la détention, l’arrestation et la fouille accessoire des individus sortant du lieu visé par la perquisition. Il est à noter que les fouilles ont été faites en vertu des pouvoirs de common law permettant les fouilles accessoires et non en vertu du télémandat.
[87] L’allégation de motif oblique ou de fouille abusive qui est avancée par les intimés dans leur requête n’est pas supportée par la preuve. Au vu de toutes les circonstances, les fouilles et saisies qui nous concernent ont été effectuées en conformité avec ces pouvoirs de common law et aucune violation de l’article 8 de la Charte n’en découle.
[88] De la même manière, les arguments reposant sur des violations alléguées des droits protégés par les articles 7 et 10 de la Charte doivent aussi être rejetés. La preuve présentée à l’audience ne supporte pas ces allégations et les intimés n’ont pas démontré de violation des droits constitutionnels en question selon la balance des probabilités.
[89] Soulignons aussi que l’argument reposant sur une destruction apparemment illégale des stupéfiants saisis à l’appartement est contredit par les dispositions de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances qui établissent un régime spécifique aux substances désignées et qui permettent, après un délai de 60 jours, la confiscation et disposition des drogues sans nécessité d’obtenir l’autorisation préalable du tribunal : voir article 25.
V - La confiscation de l’argent et des bijoux
[90] Cela dit, le Tribunal conclut que le ministère public s’est acquitté de son fardeau de démontrer que la confiscation de l’argent doit en l’espèce être ordonnée en vertu du paragraphe 490(9) in fine du Code criminel. Une analyse de la preuve présentée à l’audience permet d’inférer hors de tout doute raisonnable que l’argent en possession des intimés, qu’ils prétendent leur appartenir, n’est dans les faits pas leur propriété.
[91] Ce constat découle non seulement des circonstances générales de l’intervention policière, mais également de la chronologie spécifique des événements, du fait que le sac tel que montré sur la vidéo Snapchat n’a pas été retrouvé, du long délai pour évacuer les lieux, de la preuve matérielle produite à l’audience, du contexte dans lequel l’argent est individuellement saisi sur les quinze intimés, ainsi que de leurs témoignages respectifs en lien avec les événements et la question en litige.
[92] Aux yeux du Tribunal, la seule inférence raisonnable[13] pouvant être tirée de la preuve produite lors de l’audience sur confiscation est que l’argent a été séparé et réparti parmi les intimés durant la période de résistance faisant suite à l’intervention du GTI et qu’il ne leur appartient pas légitimement et individuellement.
[93] Dans ces circonstances, et à l’instar de la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Guimont[14], précité, le Tribunal conclut qu’il y a lieu de prononcer une ordonnance de confiscation puisque le ou les propriétaires légitimes de l’argent saisi sont inconnus.
[94] Le Tribunal souligne que l’analyse des témoignages des intimés, tant individuelle que globale, ne laisse subsister aucun doute raisonnable au regard de cette conclusion. Celle-ci découle clairement, manifestement et naturellement de l’ensemble de la preuve circonstancielle présentée au soutien de la demande de confiscation.
[95] En revanche, le Tribunal conclut que les bijoux saisis en possession des intimés Kamel Bagui et Anis Mezari doivent leur être restitués puisque la preuve présentée par le ministère public ne permet pas de soutenir une ordonnance de confiscation à leur égard. Notons à ce sujet que la demande de confiscation de ces items n’a été formulée qu’après l’instruction de l’affaire et que, en tout état de cause, la preuve est insuffisante pour justifier une telle ordonnance.
VI - Conclusion
[96] Pour tous ces motifs, le Tribunal ORDONNE la confiscation, au profit de Sa Majesté, des sommes d’argent suivantes :
20 200$ CAD saisi de Sabrina Tazi (500-21-104261-206);
14 480$ CAD, 200$ USD et 40 Euros saisis d’Ordy Chancard Nzanyimigisha (500-21-104277-202);
11 170$ CAD saisi de Mohamed Mohamed-Ahmed (500-21-104258-202);
10 905$ CAD saisi de Myriam Echaldi (500-21-104262-204);
9 750$ CAD saisi de Sarah Salma Tazi (500-21-104260-208);
7 450$ CAD saisi de Stanley Romi Louis-Charles (500-21-104256-206);
7 085$ CAD saisi de Fares Ouassel (500-21-104259-200);
6 525$ CAD et 18$ USD saisis de Tommy Phildor (500-21-104257-204);
6 460$ CAD saisi de Fatima Ferhane (500-21-104263-202);
5 815$ CAD et 100$ USD saisis de Kamel Bagui (500-21-104279-208);
5 565$ CAD d’Anis Mezari (500-21-104266-205);
4 180$ CAD saisi de Soheyb Hammi (500-21-200610-023, lot 12.001, item 1);
4 155$ CAD saisi d’Ilyes Harmali (500-21-104264-200);
2 300$ CAD saisi d’Akram Mohamed-Ahmed (500-21-104254-201); et
1 710$ CAD saisi de Mouad Rasmi (500-21-104255-208);
et ce, pour qu’il en soit disposé selon les instructions du Procureur général du Québec.
[97] ORDONNE la restitution à l’intimé Kamel Bagui des bijoux saisis en sa possession (500-21-200610-023 : lot 13.017 item 3 (montre), item 4 (chaine KBG)).
[98] Et ORDONNE la restitution à l’intimé Anis Mezari de la bague saisie en sa possession (500-21-200610-023 : lot 13.020 item 1).
| ||||
| _________________________________ HONORABLE YVAN POULIN | |||
| ||||
| ||||
Me Émilie Robert Me Sandra Tremblay |
| |||
Pour : Procureur général du Québec | ||||
| ||||
Me Günar Dubé | ||||
Pour : Ilyes Harmali, Anis Mezari, Kamel Bagui, Myriam Echaldi, Fatima Ferhane, Stanley Romi Louis-Charles, Fares Ouassel, Akram Mohamed-Ahmed, Mohamed Mohamed-Ahmed, Tommy Phildor, Sabrina Tazi et Sarah Salma Tazi
Me Serge Lamontagne Pour : Ordy Chancard Nzanyimigisha et Soheyb Hammi | ||||
Mouad Rasmi Non représenté pour les fins de cette procédure | ||||
| ||||
Dates d’audience : | 21, 22, 23 et 25 juin 2021 23 et 24 août 2021 | |||
[1] Le juge Poulin a été nommé à la Cour supérieure du Québec le 29 juin 2021 mais conserve compétence sur la présente affaire conformément à l’article 669.3 du Code criminel.
[2] R. v. Mac (1995), 97 CCC (3d) 115 (C.A. Ont.).
[3] R. v. West (2005), 199 CCC (3d) 449 (C.A. Ont.).
[4] Cette expression a été utilisée par la Cour suprême dans Fleming (Succession Gombosh) c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 415 dans le contexte de l’interprétation de la Loi sur les stupéfiants de l’époque. Elle a été reprise par la suite par certains tribunaux d’appel au regard de l’article 490 C.cr. : voir R. v. Mac (1995), 97 CCC (3d) 115 (C.A. Ont.), p. 125; Vellone c. R., 2020 QCCA 665, par. 28 et 62 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée : 2021 CanLII 15594); Desjardins c. R., 2010 QCCA 1947, par. 28.
[5] R. v. West (2005), 199 CCC (3d) 449 (C.A. Ont.).
[6] R. v. Mac (1995), 97 CCC (3d) 115 (C.A. Ont.), p. 125. Voir aussi R. v. West (2005), 199 CCC (3d) 449 (C.A. Ont.), par. 19.
[7] Guimont c. R., 2020 QCCA 1759 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée : 2021 CanLII 46947).
[8] R. c. Vuradin, 2013 CSC 38, [2013] 2 R.C.S. 639, par. 21; R. c. W. (D.), [1991] 1 R.C.S. 742.
[9] R. c. Lifchus, [1997] 3 R.C.S. 320, par. 13.
[10] R. v. West (2005), 199 CCC (3d) 449 (C.A. Ont.), par. 16-35.
[11] R. c. Oickle, [2000] 2 R.C.S. 3, par. 47. Voir aussi R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, 2007 CSC 48, par. 35.
[12] Voir notamment Vellone c. R., 2020 QCCA 665, par. 25-28 et 43-55, et R. v. Daley, 2001 ABCA 155, par. 36-37, où il a été mentionné que les critères pertinents à l’analyse en vertu de l’article 24 de la Charte ne sont pas pondérés de la même façon lorsqu’il s’agit d’une procédure in rem.
[13] R. c. Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 R.C.S. 1000, par. 30, 32-34 et 38.
[14] Guimont c. R., 2020 QCCA 1759 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée : 2021 CanLII 46947).
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.