LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES
MONTRÉAL, le 21 juillet 1998
DEVANT LA COMMISSAIRE : Me Louise Boucher
RÉGION : ÎLE-DE-MONTRÉAL ASSISTÉE DES MEMBRES : Michel R. Giroux
DOSSIER : 69473-60-9505 Associations d'employeurs
Bertrand Perron
Associations syndicales
DOSSIER CSST : 003432580 AUDITION TENUE LE : 7 juillet 1998
DOSSIER BRP : 61696581 À : Montréal
DÉCISION RENDUE À LA SUITE D'UNE REQUÊTE PRÉSENTÉE EN VERTU DE L'ARTICLE 406 DE LA LOI SUR LES ACCIDENTS DU TRAVAIL ET LES MALADIES PROFESSIONNELLES (L.R.Q., C. A-3.001)
MONSIEUR GILBERT RODIER
10382, rue Verville
Montréal (Québec)
H3L 3E5
PARTIE APPELANTE-REQUÉRANTE
et
CANADIEN PACIFIQUE
Case postale 6042, succursale Centre-Ville
Bureau 344
Montréal (Québec)
H3C 3E4
PARTIE INTÉRESSÉE
D É C I S I O N
Le 4 janvier 1997, monsieur Gilbert Rodier (le travailleur) informe la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) qu’il est de son intention de demander la révision de la décision qu’elle a rendue le 4 novembre 1996. Par lettre datée du 14 avril 1998, le travailleur expose ses motifs au soutien de sa requête en révision.
Dans sa décision datée du 4 novembre 1996, la Commission d’appel rejette l’appel logé par le travailleur à l’encontre d’une décision du bureau de révision datée du 27 mars 1995.
Aux date et heure fixées pour l’audition de la présente requête, le travailleur est présent et représenté. Canadien Pacifique (l’employeur) est représenté.
Bien que la présente requête ait été déposée devant la Commission d’appel, la présente décision est rendue par la Commission des lésions professionnelles, conformément à l’article 52 de la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles et modifiant diverses dispositions législatives (L.Q. 1997, chap. 27) entrée en vigueur le 1er avril 1998. En vertu de cet article, les affaires pendantes devant la Commission d’appel sont continuées et décidées par la Commission des lésions professionnelles.
La présente décision est donc rendue par la soussignée en sa qualité de commissaire de la Commission des lésions professionnelles.
OBJET DE LA REQUÊTE
Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser ou révoquer la décision rendue par la Commission d’appel le 4 novembre 1996.
QUESTION PRÉLIMINAIRE
Avant la présentation des motifs au soutien de la requête en révision présentée par le travailleur, la représentante de l’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de rejeter ladite requête au motif qu’elle est présentée en dehors du délai raisonnable de soixante jours.
Le représentant du travailleur se déclare prêt à présenter sa preuve et ses arguments à l’encontre de cette question préliminaire.
LES FAITS
Vu le sort réservé à la question préliminaire, la soussignée n’estime pas pertinent de reproduire au long les faits au soutien du mérite de la requête. Seuls ceux concernant la question préliminaire sont rapportés.
Le 18 septembre 1996, le travailleur et son représentant, monsieur Benoit Grégoire, participent à l’enquête tenue par la Commission d’appel. Cette dernière dispose de l’appel logé par le travailleur par décision datée du 4 novembre 1996 et en fait parvenir copies aux parties ainsi qu’à leurs représentants respectifs.
Par lettre datée du 4 janvier 1997, le représentant du travailleur informe la Commission d’appel qu’il a l’intention de demander la révision pour cause de la décision rendue le 4 novembre 1996. Dans sa lettre, il écrit ce qui suit :
“A la demande de monsieur Rodier, et parce que les circonstances le justifient, nous demandons la révision pour cause de la décision rendue (..).
Nous aurions aimé vous donner, dès à présent, les motifs pour appuyer notre demande de révision pour cause mais malheureusement nous n’avons pas eu le temps de terminer l’écrit explicatif que nous entendons soumettre à l’appui de cette demande.
(...)
Nous entendons vous faire parvenir nos motifs reliés à cette demande dans les meilleurs délais possible, c’est-à-dire, au plus tard le lundi 27 janvier 1997.”
Le 15 janvier 1997, la Commission d’appel écrit au représentant du travailleur avec copie à ce dernier ainsi qu’à l’employeur. La Commission d’appel s’exprime ainsi :
“Nous avons bien reçu votre lettre de contestation de la décision rendue dans le dossier mentionné ci-dessus.
Nous tenons à vous aviser que les décisions de la Commission d’appel (..) sont finales et sans appel. Ainsi, conformément à l’article 405 de la Loi (..) toute personne visée par une décision de la Commission d’appel doit s’y conformer sans délai.
Il existe cependant certains cas où la Commission d’appel peut exercer un pouvoir de révision à l’égard d’une décision qu’elle a rendue. Toutefois, conformément à l’article 406 de la Loi et à la jurisprudence établie, cette révision n’est possible que pour une cause suffisante et grave telle, à titre d’exemples, la découverte d’une preuve nouvelle et pertinente depuis l’audience, le non-respect des règles de justice naturelle, la décision fondée sur une erreur manifeste de fait ou de droit.
Les règles de pratique de la commission d’appel exigent qu’une requête en révision pour cause faite en vertu de l’article 406 contienne un exposé des motifs invoqués au soutien de la demande ainsi que les conclusions recherchées. Puisque la lettre que vous nous avez transmise ne répond pas à ces exigences, nous ne pouvons donc procéder à la réouverture du dossier. C’est seulement sur présentation d’une demande de révision motivée que la commission d’appel pourra s’interroger sur l’opportunité de réviser une décision que la loi déclare finale et sans appel.
Pour toute information additionnelle, n’hésitez pas à communiquer (..)”
(nos soulignements)
Ce n’est que le 14 avril 1998 que le représentant du travailleur fait parvenir à la Commission des lésions professionnelles, les motifs au soutien de sa requête en révision de la décision de la Commission d’appel datée du 4 novembre 1996. Les motifs sont donc communiqués dix-sept (17) mois après la décision attaquée; quinze (15) mois après la lettre avisant de l’intention de demander la révision.
Le travailleur témoigne devant la Commission des lésions professionnelles. Il dit avoir rencontré son représentant après la réception de la décision du 4 novembre 1996 et lui avoir donné mandat d’en demander la révision. Il dit : “il était évident que le commissaire n’avait rien compris”. Il a reçu copie de la lettre de la Commission d’appel datée du 15 janvier 1997 et témoigne avoir téléphoné à son représentant à deux ou trois reprises entre cette date et celle du 14 avril 1998. À ces deux ou trois occasions il se faisait répondre par son représentant : “j’y verrai”.
AVIS DES MEMBRES
Les membres issus des associations syndicales et d’employeurs sont tous deux d’avis que la présente requête doit être rejetée parce que déposée en dehors du délai raisonnable de soixante jours. Ils sont par ailleurs d’avis que le travailleur ne démontre aucun motif pour être relevé de ce défaut.
MOTIFS DE LA DÉCISION
A ce stade-ci de l’enquête, la Commission des lésions professionnelles accueille la question préliminaire présentée par la représentante de l’employeur et rejette la requête en révision au motif qu’elle est présentée en dehors d’un délai raisonnable.
D’abord, la Commission des lésions professionnelles estime nécessaire de disposer du droit applicable. En effet, le 1er avril 1998 est entrée en vigueur la Loi instituant la Commission des lésions professionnelles déjà citée aux présentes. Depuis cette date, de nouvelles dispositions sont prévues en ce qui concerne la requête en révision cependant que jusqu’à cette date, l’article 406 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (L.R.Q. chap. A-3.001) (la loi) se lisait comme suit :
406. La Commission d’appel peut, pour cause, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu’elle a rendu.
C’est cet article qui s’applique aux présentes. En effet, la Commission des lésions professionnelles se prononçait en ce sens dans l’affaire G. Dilullo -et- Barils D&B Inc. -et- CSST dossier 63377-60-9410, Me Louise Thibault, 18 juin 1998 et la soussignée s’en remet aux motifs dégagés dans cette décision.
La loi permet la révision pour cause des décisions finales et sans appel rendues par la Commission d’appel. L’article 405 de la loi se lit comme suit :
405. Toute décision de la Commission d’appel doit être écrite, motivée, signée et notifiée aux parties et à la Commission.
Cette décision est finale et sans appel et toute personne visée doit s’y conformer sans délai.
Quant au délai pour présenter une requête en révision, la loi n’en mentionne aucun. Par contre, la jurisprudence unanime de la Commission d’appel reconnaît que le délai raisonnable pour présenter une telle requête est de soixante jours.
“(..) la jurisprudence de la Commission d’appel depuis 1991 a établit (sic) de façon constante qu’une requête en révision en vertu de l’article 406 de la Loi (..) doit être déposée au tribunal dans un délai raisonnable. Ce délai a été fixé à 60 jours qui correspond, par ailleurs, au délai d’appel.
Les tribunaux supérieurs se sont penchés sur cette jurisprudence et le juge Roland Durant, en février 1993, dans l’affaire Fortin c. Externat Sacré-Coeur de Rosemère a exprimé l’opinion que la Commission d’appel a compétence pour exiger qu’une demande en révision soit présentée dans un délai raisonnable.” (Hébert et CSST et Construction Hermes Ltée, dossier 315-60-9108, Me Bertrand Roy, 27 octobre 1995)
En l’instance, la décision de la Commission d’appel est rendue le 4 novembre 1996. Le délai raisonnable pour en demander la révision se situe aux environs du 4 janvier 1997. Or, c’est à cette date que le représentant du travailleur fait parvenir une lettre à la Commission d’appel l’informant qu’il a l’intention de demander la révision de sa décision. Dans cette même lettre, il écrit ne pas avoir le temps de présenter ses motifs mais s’engage à le faire au plus tard le 27 janvier suivant. La preuve est à l’effet qu’il ne le fera que quinze mois plus tard, soit dans une lettre datée du 14 avril 1998.
Dans la computation des délais, la Commission des lésions professionnelles doit-elle prendre en compte la lettre du 4 janvier 1997 ou celle du 14 avril 1998. Autrement dit, la lettre du 4 janvier 1997, qui ne mentionne aucun motif de révision ou révocation, peut-elle constituer une requête en révision au sens de la loi ?
Les Règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (Décret 540-86, 23 avril 1986), stipulent que toute requête présentée à la Commission d’appel doit être motivée. Les articles 8 et 9 se lisent comme suit :
SECTION IV
REQUÊTE
8. Une demande relative à un appel est formulée au moyen d’une requête écrite.
9. Une requête écrite contient les renseignements suivants:
1e le nom, et le prénom s’il s’agit d’une personne physique, ainsi que l’adresse des parties et de leurs représentants, le cas échéant;
2e le numéro de dossier assigné par la Commission d’appel, le cas échéant;
3e un exposé des motifs invoqués au soutien de la requête ainsi que des conclusions recherchées par le requérant.
La requête est signée et produite par le requérant ou son représentant.
Ce texte concernant la présentation des requêtes auprès de la Commission d’appel, est similaire à ce que la loi prescrit, à l’article 414, à l’égard des déclarations d’appel :
414. La déclaration doit:
1e identifier la décision, l’ordre ou l’ordonnance dont il est interjeté appel;
2e contenir un exposé des motifs invoqués au soutien de l’appel;
3e indiquer les nom et prénom du représentant de l’appelant, le cas échéant;
4e contenir tout autre renseignement exigé par les règles de preuve, de procédure et de pratique de la Commission d’appel.
De façon générale, la Commission d’appel a interprété libéralement l’article 414 de la loi, particulièrement en ce qui concerne l’exposé des motifs invoqués au soutien de l’appel. D’abord parce que le droit d’appel conféré par la loi est très large. Il suffit de se croire lésé par une décision. Ensuite parce que ce sont souvent les parties elles-mêmes qui déposent une déclaration d’appel, sans bénéficier des services de représentants qualifiés. L’application trop rigoureuse du paragraphe 2 de l’article 414 aurait pu stériliser le droit d’appel. C’est ce que rappelle le commissaire Yves Tardif dans l’affaire D. Thibeault -et- Dyne-A-Pak Inc., (1994) CALP 142 à 147.
Dans cette même affaire, le commissaire Tardif écrit à propos de la présentation des motifs au soutien d’une requête en révision :
“Il en va tout autrement pour la requête en révision pour cause. Contrairement au droit d’appel généreux conféré par le législateur, la révision est pour cause. Cette cause doit donc transparaître clairement dans la requête. Son absence ainsi que les expressions “la décision de la Commission d’appel est mal fondée en faits et en droit” et “je me sens lésé par la décision de la Commission d’appel” justifient son rejet.”
La soussignée partage ce que ci-haut rapporté lorsqu’il est écrit que les motifs au soutien d’une requête en révision pour cause doivent apparaître dans la requête, notamment parce qu’un tel recours est une procédure d’exception et que les décisions de la Commission d’appel sont finales et sans appel. La soussignée tient cependant à préciser qu’elle ne va pas jusqu’à dire que les expressions apparaissant dans l’extrait ci-haut justifient à elles seules le rejet d’une requête en révision. En l’instance, le travailleur, dans sa lettre du 4 janvier 1997, n’utilise aucune de ces expressions. Il ne fait que communiquer son intention de demander la révision d’une décision de la Commission d’appel et précise qu’il présentera ses motifs ultérieurement. La lettre datée du 4 janvier 1997 ne contient donc aucun motif à l’appui de la requête en révision et, pour cette raison, ne respecte pas les prescriptions de la loi et des Règles de preuve, de procédure et de pratique.
Les motifs au soutien de la présente requête ne seront communiqués par le travailleur que par lettre datée du 14 avril 1998. C’est donc à cette dernière date qu’il présente une requête en révision conforme à la loi.
Reconnaître au travailleur le droit de communiquer son intention de demander la révision d’une décision et de faire parvenir ses motifs au soutien de cette demande plusieurs mois après, c’est permettre au travailleur de contourner les délais pour la présentation d’une telle requête. Ce faisant, la Commission des lésions professionnelles adopterait une position inéquitable pour l’ensemble des requérants à une telle requête puisque plusieurs décisions du tribunal rejettent des requêtes en révision contenant des motifs mais présentées en dehors du délai raisonnable de soixante jours.
Au surplus, dans les circonstances particulières de la présente requête, le travailleur ne présente aucun motif le justifiant ou justifiant son représentant d’avoir présenté sa requête au-delà du délai de soixante jours.
En ce qui concerne le représentant, ce dernier n’a d’autre explication que celle d’être “bien occupé”. Quant au travailleur, malgré la teneur de la lettre de la Commission d’appel datée du 15 janvier 1997, l’informant que son dossier ne serait pas traité tant que des motifs ne seraient pas exposés, il s’est contenté de placer deux ou trois appels téléphoniques à son représentant entre le 15 janvier 1997 et le 14 avril 1998, soit pendant une période de quinze mois.
La soussignée ne considère pas qu’il s’agit là d’un comportement diligent de la part du travailleur et de son représentant. La Commission d’appel s’exprimait ainsi dans l’affaire Bessette -et- B.K. Fer ouvré inc., 31305-62-9107, Me Marie Lamarre, 31 janvier 1995 :
“Aussi, comme le confirmait le juge Roland Durand de la Cour supérieure dans l’affaire Fortin, précitée, un délai de soixante jours, délai prévu en vertu des articles 359 et 360 de la loi pour loger un appel devant la Commission d’appel à l’encontre d’une décision rendue soit par un bureau de révision ou par la Commission, apparaît un délai raisonnable pour soumettre une requête en révision pour cause en vertu de l’article 406 de la loi. Il appartient donc à la partie requérante qui initie une requête en révision pour cause au-delà de ce délai, d’exposer les motifs pour lesquels la requête n’a pas été initiée à l’intérieur de ce délai de soixante jours.
En l’espèce, le représentant du travailleur n’a invoqué aucun motif le justifiant d’avoir présenté sa requête au-delà du délai de soixante jours que la Commission d’appel estime raisonnable. Dans le but de préserver la stabilité juridique de ses décisions et le caractère final accordé à ses décisions par l’article 405 de la loi, la Commission d’appel est donc d’avis, comme dans les décisions précitées, qu’il y a lieu de rejeter la requête en révision pour cause pour ce seul motif, et de la déclarer irrecevable.”
En l’espèce, la question préliminaire présentée par la représentante de l’employeur est accueillie et la requête en révision du travailleur est rejetée, parce que présentée en dehors d’un délai raisonnable de soixante jours.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE le moyen préliminaire présenté par Canadien Pacifique;
REJETTE la requête en révision de monsieur Gilbert Rodier.
Me Louise Boucher
Commissaire
Monsieur Benoit Grégoire
(C.A.T.A.M.)
2570, rue Nicolet
Bureau 102
Montréal (Québec)
H1W 3L5
Représentant de la partie appelante-requérante
Me Jean Yoon
(Martineau, Walker)
800, Place Victoria
Bureau 3400, case postale 242
Montréal (Québec)
H4Z 1E9
Représentant de la partie intéressée
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.