Paradis et PNS-Tech inc. |
2015 QCCLP 4001 |
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Dossier 560240-03B-1412
[1] Le 17 décembre 2014, monsieur Raynald Paradis (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) à la suite d’une révision administrative le 12 décembre 2014.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue le 23 juillet 2014 reconsidérant une décision du 11 juin 2014. Elle annule celle-ci et déclare que le travailleur ne peut bénéficier des prescriptions prévues à l’article 53 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
Dossier 567104-03B-1503
[3] Le 2 mars 2015, le travailleur dépose au tribunal une requête à l’encontre d’une décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative le 12 février précédent.
[4] Par cette décision, la CSST déclare irrecevable la demande de révision du travailleur, le 17 décembre 2014, d’une décision qu’elle a rendue le 28 juillet 2014, déterminant l'emploi convenable de livreur de pièces automobiles que le travailleur peut exercer ailleurs sur le marché du travail à compter du 23 juillet 2014, tout en conservant le droit à l’indemnité de remplacement du revenu pendant au plus un an, avec indemnité réduite par la suite.
[5] Le travailleur est présent et représenté par procureur à l’audience qu’a tenue le tribunal à Lévis le 8 juillet 2015. L'employeur, par une lettre de sa représentante, a informé le tribunal qu’il ne serait pas présent et ne ferait aucune représentation.
L’OBJET DES CONTESTATIONS
[6]
Le travailleur demande au tribunal d’infirmer la première décision en
litige et de déclarer qu’il a droit à la poursuite de l’indemnité de
remplacement du revenu en application de l’article
L’AVIS DES MEMBRES
[7]
Les membres issus des associations d’employeurs ainsi que des
associations syndicales considèrent bien fondée la première requête du
travailleur. La preuve non contredite ayant révélé qu’il est incapable de
refaire son emploi en raison des limitations fonctionnelles résultant de la
lésion professionnelle qu’il a subie alors qu’il était âgé de 60 ans, le 7 juin
2012, l’article
[8] Bien que la seconde requête du travailleur demeure irrecevable à défaut de preuve établissant qu’il n’a pu contester dans le délai pour un motif raisonnable, force est de constater que la décision rendue par la CSST le 28 juillet 2014 établissant la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail devient sans effet. Compte tenu de l’application de l’article 53 au présent dossier, seul un emploi convenable chez l'employeur pouvait être déterminé au travailleur, ce qui s’est avéré impossible en l’espèce.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[9] L’historique du dossier figure déjà à la décision finale qu’a rendue le tribunal le 20 janvier 2014 dans le cadre d’un litige portant sur une première décision qu’a rendue la CSST au sujet de la capacité au retour au travail du travailleur[2].
[10] Rappelons cependant que le travailleur est âgé de 60 ans lorsqu’il est victime d’un accident du travail le 7 juin 2012. C’est lors d’une chute qu’il subit un traumatisme pénétrant par corps étranger au fémur distal droit avec entorse au genou droit.
[11] Le travailleur étant évalué à la demande de l'employeur par le docteur Fradet, ce chirurgien orthopédiste retient, sur le plan du diagnostic, un corps étranger au niveau du fémur distal droit et une entorse au genou droit dont la consolidation est établie en date du 26 avril 2013, sans autre nécessité de traitement. Le docteur Fradet conclut à des séquelles résiduelles correspondant à un déficit anatomo-physiologique totalisant 4 % pour une atteinte des tissus mous avec séquelles fonctionnelles ainsi qu’une perte de 15 degrés de flexion du genou droit. Les limitations fonctionnelles qu’il émet consistent pour le travailleur à ne pas faire de mouvements répétitifs au niveau du genou droit. Il ne doit pas non plus travailler dans les hauteurs ni dans des positions instables.
[12] Dans un rapport d'évaluation médicale du 10 mai 2013, le docteur Garneau, orthopédiste ayant charge du travailleur, conclut, sur le plan du diagnostic, à un syndrome fémororotulien résiduel post-traumatique au genou droit de même qu’à un corps étranger à ce niveau. Un déficit anatomo-physiologique de 2 % est octroyé par le docteur Garneau pour un syndrome fémororotulien à titre de séquelles actuelles de la lésion professionnelle. Les limitations fonctionnelles du travailleur consistent à éviter les échelles et la position accroupie de même que la marche prolongée. Alors qu’il est âgé de 61 ans, le travailleur peut reprendre son travail en respectant ses limitations. À défaut, il devra être réorienté vers un autre type de travail.
[13] L’opinion divergente des docteurs Garneau et Fradet en ce qui a trait au diagnostic de la lésion professionnelle donne lieu à un avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale le 24 juillet 2013.
[14] Cet avis est en faveur d’un diagnostic de traumatisme pénétrant par clou au genou droit et d’entorse à ce niveau. Le travailleur accuse également une arthrose patellofémorale à titre de condition personnelle.
[15] À la lumière de l’avis rendu par le Bureau d'évaluation médicale au sujet du diagnostic de la lésion professionnelle, le docteur Garneau révise à la demande de la CSST, le 5 septembre 2013, son rapport d'évaluation médicale du 10 mai précédent. Au regard d’un diagnostic de traumatisme pénétrant par clou au genou droit avec entorse à ce niveau, le docteur Garneau réitère ses conclusions antérieures, sauf en ce qui a trait au déficit anatomo-physiologique qui passe de 2 % à nil en l’absence de syndrome fémororotulien post-traumatique au genou droit retenu tant par le Bureau d'évaluation médicale que par la CSST.
[16]
Les conclusions précitées n’ont fait l’objet d’aucune contestation. Le
travailleur a cependant contesté la capacité à exercer son emploi établie par
la CSST en 2013. Dans une décision finale qu’il a rendue le 20 janvier 2014[3],
le tribunal a accueilli la requête du travailleur et rétabli son droit à
l’indemnité de remplacement du revenu en application de l’article
[75] Après la consolidation de sa lésion professionnelle en date du 10 mai 2013, le travailleur en conservait des limitations fonctionnelles qui devaient être respectées et, à défaut, il devait être réorienté sur le plan professionnel suivant les conclusions non contestées du docteur Garneau.
[76] Si la preuve présentée au tribunal sur la nature et les exigences des tâches prélésionnelles du travailleur, à la lumière des limitations fonctionnelles non contestées émises par le docteur Garneau, semble encore moins favorable à la capacité au retour au travail établie par la CSST peu avant l’établissement des limitations fonctionnelles en cause, il reviendra à celle-ci d’évaluer le besoin de réadaptation du travailleur afin de lui permettre de refaire son emploi ou, à défaut, un emploi convenable.
[17] Le 4 juin 2014, le conseiller en réadaptation de la CSST s’entretient avec la représentante de l'employeur. Ils constatent que l’emploi prélésionnel ne respecte pas les limitations fonctionnelles émises par le docteur Garneau. L'employeur n’ayant pas d’emploi convenable à proposer au travailleur, il n’y a pas de possibilité de réintégration chez ce dernier. Compte tenu de la situation, la CSST conclut avec l’assentiment de l'employeur à l’application de l’article 53 au présent dossier.
[18] Le 11 juin 2014, la CSST statut sur l’impossibilité pour le travailleur de reprendre l’emploi prélésionnel chez l'employeur qui ne peut non plus lui offrir un emploi convenable. En conséquence, la CSST poursuit le versement de l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’à ce que le travailleur ait 68 ans, avec réduction de cette indemnité à compter de son 65e anniversaire comme le prévoit la loi. Cette décision n’a fait l’objet d’aucune contestation.
[19]
Le 23 juillet 2014, la CSST reconsidère, en vertu du 1er
alinéa de l’article
[20] Le jour même, soit le 23 juillet 2014, la CSST rencontre le travailleur afin de déterminer un emploi convenable qu’il pourrait exercer ailleurs sur le marché du travail.
[21] Le 28 juillet 2014, la CSST rend une décision par laquelle elle établit la capacité du travailleur à exercer un emploi convenable de livreur de pièces automobiles qui pourrait lui procurer un revenu annuel estimé à 21 585,96 $. Le travailleur est apte à exercer cet emploi à compter du 23 juillet 2014. Celui-ci n’étant toutefois pas disponible, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu jusqu’au 23 juillet 2015 au plus tard, puis à une indemnité réduite qui sera révisée à compter du 23 juillet 2016.
[22] Le 7 août 2014, le travailleur, par l’intermédiaire de son procureur, demande la révision de la décision du 23 juillet 2014 que confirme la CSST à la suite d’une révision administrative, le 12 décembre suivant, dans le cadre de la première décision en litige.
[23] Ce n’est que le 17 décembre 2014 que le travailleur, par l’intermédiaire de son procureur, demande la révision de la décision rendue par la CSST le 28 juillet 2014 en précisant ne pas avoir reçu cette décision. À défaut de motif raisonnable pour expliquer la contestation tardive, celle-ci est déclarée irrecevable par la CSST en révision le 12 février 2015, d’où la seconde requête dont le tribunal est saisi.
[24]
Le tribunal doit statuer, en premier lieu, sur le bien-fondé de la
reconsidération par la CSST, le 23 juillet 2014, de sa décision du 11 juin 2014
reconnaissant au travailleur le droit à la poursuite de l’indemnité de
remplacement du revenu en application de l’article 53 et aussi de l’article
53. Le travailleur victime d'une maladie professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 55 ans ou celui qui est victime d'une autre lésion professionnelle alors qu'il est âgé d'au moins 60 ans et qui subit, en raison de cette maladie ou de cette autre lésion, une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique qui le rend incapable d'exercer son emploi a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il n'occupe pas un nouvel emploi ou un emploi convenable disponible chez son employeur.
Si ce travailleur occupe un nouvel emploi, il a droit à l'indemnité prévue par l'article 52; s'il occupe un emploi convenable chez son employeur ou refuse sans raison valable de l'occuper, il a droit à une indemnité réduite du revenu net retenu qu'il tire ou qu'il pourrait tirer de cet emploi convenable, déterminé conformément à l'article 50.
Lorsque ce travailleur occupe un emploi convenable disponible chez son employeur et que ce dernier met fin à cet emploi dans les deux ans suivant la date où le travailleur a commencé à l'exercer, celui-ci récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.
__________
1985, c. 6, a. 53; 1992, c. 11, a. 3.
56. L'indemnité de remplacement du revenu est réduite de 25 % à compter du soixante-cinquième anniversaire de naissance du travailleur, de 50 % à compter de la deuxième année et de 75 % à compter de la troisième année suivant cette date.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 56.
[25]
La reconsidération de cette décision se fonde sur les prescriptions du 1er
alinéa de l’article
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.
[26]
La CSST invoque, dans le délai prévu à l’article précité, devoir
reconsidérer sa décision rendue le 11 juin 2014 au motif que celle-ci est
entachée d’une erreur. La CSST conclut que l’article
[27] Force est de constater que ce sont plutôt les motifs de reconsidération invoqués par la CSST qui sont erronés et non sa décision initiale rendue le 11 juin 2014, laquelle doit être rétablie en conséquence.
[28] Si le travailleur n’est plus porteur d’une atteinte permanente quantifiable selon le Règlement sur le barème des dommages corporels[4] (le barème), à la lumière du bilan des séquelles actuelles révisé par le docteur Garneau à la demande de la CSST le 5 septembre 2013, cet orthopédiste ayant charge du travailleur maintient les limitations fonctionnelles résultant de la lésion professionnelle qu’a subie le travailleur devant être réorienté sur le plan professionnel advenant que son emploi prélésionnel ne respecte pas ses limitations.
[29] Or, l’état de la preuve que confirme l'employeur à la CSST révèle, sans contredit, que l’emploi du travailleur ne respecte pas les limitations fonctionnelles dont il demeure porteur à la suite de sa lésion professionnelle. En outre, aucun emploi convenable n’est disponible chez l'employeur, lequel ne peut donc réintégrer le travailleur à la suite de l’accident du travail dont il a été victime le 7 juin 2012 alors qu’il était âgé de plus de 55 ans, voire même de 60 ans.
[30] Comme l’a déjà précisé la soussignée dans le cadre de la décision finale qu’a rendue le tribunal au dossier le 20 janvier 2014, la capacité du travailleur à exercer son emploi prélésionnel devait être évaluée à partir des limitations fonctionnelles dont il demeure porteur à la suite de la consolidation de sa lésion professionnelle.
[31] L’atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique qui rend le travailleur incapable d’exercer son emploi doit être appréciée en fonction non pas seulement d’un pourcentage d’atteinte permanente, mais surtout des limitations fonctionnelles qu’il conserve à la suite de sa lésion professionnelle. Dès lors, même en l’absence d’un déficit anatomo-physiologique selon le barème, l’existence de limitations fonctionnelles incapacitantes implique la présence d’une atteinte permanente au sens de l’article 53 de la loi[5].
[32]
L’article
[33] En ce qui a trait à la seconde requête du travailleur, le seul témoignage de ce dernier ne saurait confirmer l’allégation voulant qu’il n’ait pas reçu la décision rendue par la CSST le 28 juillet 2014 établissant un emploi convenable qu’il est capable d’exercer ailleurs sur le marché du travail. Les notes évolutives au dossier suggèrent, au contraire, que le travailleur et son épouse ont communiqué avec l’agent de la CSST afin de s’enquérir des modalités se rapportant à cette décision ainsi qu’à celle rendue le 23 juillet 2014. Le tribunal conçoit difficilement que le travailleur ait reçu la décision de la CSST du 23 juillet 2014 et non celle du 28 juillet suivant.
[34]
La preuve tend plutôt à démontrer que le travailleur a omis de contester
la décision du 28 juillet 2014 dans les 30 jours de sa notification, comme le
prévoit le 1er alinéa de l’article
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
[…]
__________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
[35]
Le travailleur n’a pas établi qu’il n’a pu déposer dans le délai sa
demande de révision pour un motif raisonnable. Il ne peut donc être relevé de
son défaut d’avoir contesté dans le délai légal en vertu des prescriptions de
l’article
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
__________
1997, c. 27, a. 15.
[36] Bien que la demande de révision du travailleur du 17 décembre 2014 à l’encontre de la décision qu’a rendue la CSST le 28 juillet 2014 demeure irrecevable, une telle décision devient sans effet à la suite des conclusions du présent tribunal rétablissant la décision rendue par la CSST le 11 juin 2014 quant à l’application de l’article 53 au présent dossier.
[37]
En vertu de l’article
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
Dossier 560240-03B-1412
ACCUEILLE la requête de monsieur Raynald Paradis, le travailleur;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative le 12 décembre 2014;
ANNULE la décision en reconsidération rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 23 juillet 2014;
RÉTABLIT la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 juin 2014;
DÉCLARE que le travailleur a droit à la
poursuite de l’indemnité de remplacement du revenu en application des articles
Dossier 567104-03B-1503
REJETTE la requête de monsieur Raynald Paradis, le travailleur;
DÉCLARE irrecevable sa demande de révision du 17 décembre 2014 à l’encontre d’une décision qu’a rendue la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 28 juillet précédent;
CONSTATE cependant que cette décision est devenue sans effet à la suite de celle rendue par le tribunal dans le dossier précité portant le numéro 560240-03B-1412.
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Geneviève Marquis |
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Me Jérôme Carrier |
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Représentant de la partie requérante |
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Mme Réjeanne Drouin |
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GROUPE CONSEIL NOVO SST |
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Représentante de la partie intéressée |
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[1] RLRQ, c. A-3.001.
[2] Paradis et PNS-Tech inc.,
[3] Précitée, note 2.
[4] [1987] 119. G.O. II, 5576.
[5] Lessard et Denis Boulet Meubles,
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans
appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.