Transport Lyon inc. |
2020 QCTAT 818 |
______________________________________________________________________
______________________________________________________________________
APERÇU
[1] La Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail refuse à l’employeur, Transport Lyon inc., un transfert partiel de l’imputation du coût des prestations résultant de la lésion professionnelle subie par une de ses travailleuses en avril 2017.
[2] Cette travailleuse, manutentionnaire et aide-camionneuse, se blesse alors qu’elle effectue la collecte de pneus usagés. Le diagnostic initial est celui d’une épicondylite bilatérale et s’ajoute ensuite celui de syndrome douloureux régional complexe (SDRC) du membre supérieur droit.
[3] Dès la fin avril 2017, l’employeur propose une assignation temporaire que le médecin traitant refuse. L’employeur réitère sa demande en juin et en août 2017, que le médecin de la travailleuse refuse à nouveau.
[4] Le 17 décembre 2017, l’employeur demande au médecin traitant si la travailleuse peut faire une assignation temporaire consistant à recevoir et effectuer des appels téléphoniques, à domicile, et lui offre un casque d’écoute afin de minimiser l’utilisation de son membre supérieur droit.
[5] Le médecin refuse, et précise que la travailleuse ne peut écrire et prendre des notes ou taper sur un clavier et que pour l’instant, elle est en arrêt complet. Le 22 décembre, le médecin précise que la travailleuse suit un cours de camionnage pour obtenir un permis de classe I de conduite, avec l’accord de la Commission.
[6] Le 18 janvier 2018, le médecin traitant ajoute que la travailleuse effectue un « DEP » en conduite de camion lourd à temps plein et qu’il ne peut la mettre en travaux légers avant le 28 février suivant.
[7] L’employeur soutient que c’est de sa propre initiative que la travailleuse s’est inscrite au cours de conduite de camion, ce qui a empêché l’assignation temporaire. Comme ce cours ne fait pas partie d’un processus de réadaptation auquel la Commission a participé, il est injuste que l’employeur supporte le coût des prestations à compter du 17 décembre 2017.
[8] Le Tribunal estime que la situation empêchant l’assignation temporaire ne découle pas de la lésion professionnelle, mais d’un choix personnel de la travailleuse et si elle n’avait pas été en formation, elle aurait vraisemblablement pu effectuer l’assignation temporaire proposée. Par conséquent, la Commission n’aurait pas versé d’indemnité de remplacement du revenu et l’employeur n’aurait pas été imputé de ces sommes. Cela a donc pour effet d’obérer injustement l’employeur, mais à compter du 18 janvier 2018.
ANALYSE
[9] Suivant le principe général en matière d’imputation prévu à l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la Loi), l’employeur est imputé du coût des prestations versées à un travailleur en raison d’un accident du travail survenu alors qu’il était à son emploi.
[10] Certaines exceptions sont toutefois prévues au deuxième alinéa de cette disposition et peuvent donner lieu à un transfert du coût des prestations lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou encore d'obérer injustement un employeur :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
[11] Les demandes de transfert de coûts visant une imputation partielle ou totale doivent être analysées en vertu du deuxième alinéa de l’article 326 de la Loi, tel que l’a clarifié la Cour d’appel récemment dans ce qu’on appelle l’affaire « Supervac 2000 »[2].
[12] Dans le présent dossier, l’employeur soutient qu’il est obéré injustement en raison de l’indisponibilité de la travailleuse pour une assignation temporaire, celle-ci, à son initiative, s’étant inscrite à un DEP en conduite de camion lourd.
[13] Le Tribunal retient que le 18 janvier 2018, le médecin traitant explique de façon non équivoque pourquoi il refuse l’assignation proposée en décembre 2017:
Pte fait actuellement un DEP en conduite camion lourd à 4jours/semaine et 7hres/jour et ce, jusqu’à la fin février 2018. Je ne peux donc la mettre en travaux légers d’ici ce temps et il y a une amélioration notée depuis le début du DEP. Après la fin du cours, il sera alors possible de faire des travaux légers tel que proposé par l’employeur. Donc poursuivre arrêt de travail du 18/01/2018 au 28/02/20/18
Poursuivre physiothérapie
Poursuivre suivi en physiatrie
[Transcription textuelle]
[14] Le 27 février 2018, l’employeur propose de nouveau l’assignation, le médecin traitant répond en indiquant, le 13 mars suivant, que la lésion est consolidée et que la travailleuse peut retourner à ses tâches régulières[3]. La travailleuse avise alors l’employeur de sa démission.
[15] Il y a lieu de préciser que ce n’est pas la Commission qui a initié la mise en marche de la formation, mais la travailleuse elle-même, qui n’en avait pas informé la Commission, cette dernière l’ayant appris alors qu’elle tentait de joindre la travailleuse et précisant qu’elle n’est pas impliquée dans le processus[4].
[16] D’autre part, aux notes évolutives de la Commission, on peut constater que la travailleuse omet de se rendre à certains traitements en raison de ses cours qui finissent trop tard, et celle-ci estime qu’elle ne pourrait faire des travaux en assignation temporaire parce que sa condition ne le permettrait pas, vu l’état de sa main, elle ne peut travailler à l’ordinateur. Surprise de cette affirmation, l’agent demande comment elle fonctionne pour ne pas avoir à utiliser sa main droite pendant ses cours, et la travailleuse répond qu’elle n’a qu’à écouter, qu’elle n’a pas à prendre de notes.
[17] Quant au cours pratique de conduite de camion, la travailleuse mentionne « qu’elle peut utiliser seulement une main… ». Le Tribunal croit que l’on peut considérer de connaissance d’office que la conduite de véhicule lourd nécessite d’avoir les deux mains sur le volant, à tout le moins pendant la formation. Il semblerait surprenant qu’un formateur le moindrement sérieux puisse permettre qu’il en soit autrement.
[18] Le Tribunal estime que la travailleuse aurait tout aussi bien pu prendre des appels avec un casque d’écoute et ainsi exécuter l’assignation temporaire proposée. Il s’agit, de l’avis du Tribunal, d’une situation que l’on peut qualifier d’injuste pour l’employeur.
[19] Pour ce qui est d’être obéré injustement, quant au fardeau de preuve, le Tribunal s’exprimait ainsi dans l’affaire Sécurité-Policiers Ville-de-Montréal[5] :
[79] Ainsi, après avoir considéré ces différents courants jurisprudentiels, la soussignée est d’avis qu’imposer à l’employeur une preuve de situation financière précaire ou de lourde charge financière, pour conclure qu’il est obéré injustement au sens de l’article 326 de la Loi, a pour effet de rendre cet article inapplicable à la majorité de ceux-ci. En effet, plusieurs employeurs prospères auront peine à prétendre que l’imputation de coûts à leur dossier, même exorbitants, les conduit à une situation financière précaire ou leur impose une lourde charge. Or, une Loi doit être interprétée de façon à favoriser son application. C’est pourquoi la soussignée ne peut retenir une interprétation aussi restrictive. Il faut toutefois se garder de généraliser et prétendre que toute lésion professionnelle générant des coûts élevés obère injustement l’employeur. L’imputation au dossier d’expérience de ce dernier doit également être injuste. Dans un tel contexte, l’employeur doit non seulement démontrer qu’il assume certains coûts, mais il doit également démontrer qu’il est injuste qu’il les assume dans les circonstances. La soussignée ne retient donc pas les critères plus restrictifs ou l’encadrement proposé dans l’affaire Location Pro-Cam. Elle préfère laisser ouvertes ces questions d’injustice et de coûts afin de les adapter aux faits particuliers de chaque espèce.
[Notre soulignement]
[20] Le Tribunal considère que c’est à compter 18 janvier 2018, date où le médecin traitant indique clairement que la travailleuse aurait pu faire l’assignation proposée par l’employeur, mais qu’elle ne le peut en raison de sa formation à temps plein, que la situation d’injustice se cristallise. Il est donc démontré qu’il est injuste que l’employeur assume les coûts à compter de cette date.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE en partie la contestation de l’employeur, Transport Lyon inc.;
INFIRME la décision rendue par la Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail le 28 mai 2019 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le coût des prestations versées à la travailleuse à compter du 18 janvier 2018 doit être imputé aux employeurs de toutes les unités.
|
|
|
Luce Boudreault |
|
|
|
|
|
|
|
|
Me Sylvain Pelletier |
|
MORNEAU SHEPELL |
|
Pour la partie demanderesse |
|
|