Dionne et Montréal (Ville de) |
2009 QCCLP 8549 |
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[1] Le 29 janvier 2007, madame Lise Dionne (la travailleuse) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle elle conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) rendue le 16 janvier 2007, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a initialement rendue le 16 novembre 2007 à l’effet de refuser de reconsidérer une décision rendue le 11 juillet 2003 au motif qu’aucun fait nouveau n’a été soumis pour y donner ouverture.
[3] L’audience s’est tenue le 1er décembre 2009 à Joliette en présence de la travailleuse et de sa représentante. Ville de Montréal (l’employeur) était également représentée. La CSST, pour sa part, a prévenu le tribunal de son absence.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Dionne demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer qu’il existe un fait essentiel permettant de reconsidérer la décision de la CSST rendue le 11 juillet 2003.
LES FAITS
[5] Madame Lise Dionne travaille à titre de contremaître de propreté et de travaux pour le compte de Ville de Montréal depuis 1992 lorsqu’elle victime d’une lésion professionnelle le 17 janvier 2001.
[6] Cette lésion d’ordre psychique fait suite à des menaces à l’intégrité physique de la travailleuse de la part d’un employé col bleu sous sa supervision.
[7] Le diagnostic posé lors de la première consultation médicale par le docteur Pouliot, médecin ayant charge de la travailleuse, est celui de stress post-traumatique. Ce dernier recommande un arrêt de travail immédiat et réfère sa patiente en psychologie auprès de madame Pascale Brillon.
[8] Concernant le suivi médical, le tribunal croit utile de référer in extenso à certains passages du résumé des faits exhaustifs rapportés par la juge administrative Morin dans une cause[1] antérieure concernant les mêmes parties en regard du même événement.
[10] Dans son rapport d’évolution thérapeutique du 24 avril 2001, madame Brillon indique qu’elle ne croit pas que madame Dionne pourra reprendre un emploi qui implique de côtoyer l’employé à l’origine de sa lésion psychique. Dans une expertise psychiatrique faite à la demande de l’employeur, le docteur Marc Guérin estime aussi qu’il faut selon lui « d’emblée prévoir un changement de service pour cette employée afin d’éviter qu’elle se retrouve à nouveau en contact avec cet individu qui a proféré des menaces à son endroit ».
[11] Le 25 septembre 2001, devant l’évolution favorable de l’état de madame Dionne, le docteur Pouliot recommande que cette dernière reprenne son emploi de manière progressive à compter du 1er octobre 2001. C’est à titre de contremaître en horticulture que madame Dionne effectue ce retour au travail, de sorte qu’elle n’a pas à côtoyer l’employé à l’origine de sa lésion.
[12] Dans son rapport d’évolution du 2 novembre 2001, madame Brillon fait état de certains comportements de quelques employés cols bleus et elle indique que cette situation a pour effet d’entraîner chez madame Dionne une réapparition de certains symptômes anxieux.
[13] À son rapport médical du 23 novembre 2001, le docteur Pouliot indique que madame Dionne doit continuer à travailler à raison de trois jours par semaine. Il indique aussi que cette dernière vit des problèmes de confrontation avec ses employés.
[14] À son rapport médical du 31 janvier 2002, le docteur Pouliot indique qu’il existe un « stress important venant du côté syndical » et qu’il observe chez madame Dionne un état anxio-dépressif. Il indique que cette dernière peut continuer à travailler à raison de trois jours par semaine, mais qu’il faut « envisager une réorientation ».
[15] Dans son rapport d’évolution du 10 février 2002, madame Brillon indique que la condition psychique de madame Dionne se détériore et que son travail de contremaître « agit carrément comme facteur de maintien et comme facteur aggravant de ses symptômes » puisqu’elle « doit faire face à des stresseurs tout à fait anormaux » en raison du comportement de certains employés. Elle indique que les facteurs de stress auxquels madame Dionne est confrontée comportent des similitudes avec l’événement traumatique et elle recommande que la CSST et l’employeur offrent à cette dernière le support nécessaire pour qu’elle puisse être réorientée vers un autre « genre d’emploi ». Madame Billon précise que madame Dionne pourrait s’adapter à un emploi qui n’exige pas un contact constant avec des employés éprouvant des difficultés avec l’autorité exercée par un contremaître.
[16] Dans un rapport médical qu’il remplit le 22 février suivant, le docteur Pouliot prescrit un arrêt de travail et il indique « qu’un changement de poste est à faire ».
[17] Dans une seconde expertise psychiatrique faite à la demande de l’employeur le 1er mars 2002, le docteur Guérin relate la nature des difficultés rencontrées par madame Dionne dans le contexte de son retour au travail à titre de contremaître et qui ont eu pour effet d’entraîner une détérioration de son état psychique. Le docteur Guérin estime qu’il faut maintenant rechercher « une solution de type administratif pour éviter que cette dame ait à nouveau à travailler en contact direct avec les clos bleus de la Ville de Montréal ».
[18] Dans son rapport médical du 12 mars 2002, le docteur Pouliot indique qu’il attend qu’une évaluation de poste de travail soit faite par la CSST et l’employeur.
[19] Dans une note qu’elle consigne au dossier le 19 mars 2002, madame Nathalie Gagnon, conseillère en réadaptation de la CSST, indique que madame Dionne lui explique que le docteur Pouliot attend de recevoir une copie de la nouvelle expertise médicale du docteur Guérin. Il ressort d’autres notes consignées au dossier par madame Gagnon que madame Dionne est devenue consciente à cette époque de la nécessité pour elle d’être réorientée vers un autre emploi que celui de contremaître.
[20] Dans un rapport médical qu’il remplit le 26 mars 2002, le docteur Pouliot indique que la condition de madame Dionne est stable et qu’il établit la limitation fonctionnelle suivante : « éviter contact avec cols bleus de façon permanente ». Dans le rapport médical qu’il remplit le 9 avril suivant, le docteur Pouliot indique que la condition de madame Dionne demeure stable et qu’il attend une réponse de la CSST et de l’employeur.
[21] Le 12 avril 2002, le docteur Zotique Bergeron, médecin conseil de la CSST, procède à un bilan médical téléphonique avec le docteur Pouliot. Dans un document qu’il rédige le même jour et qu’il lui fait signer, le docteur Bergeron résume ainsi les propos tenus par ce médecin :
« Le Dr Pouliot a vu sa patiente, la dernière fois, le 9 avril 2002. La patiente présente une importante amélioration. Le Dr Pouliot nous informe que sa patiente est prête à un retour au travail, en autant que l’on respecte la limitation suivante : Pas de contact direct avec les cols bleus de façon permanente. La patiente est suivie en psychothérapie et en pharmacothérapie. Il faudrait que notre conseillère en réadaptation rencontre l’employeur afin de réorienter la patiente en tenant compte de la limitation fonctionnelle précédemment mentionnée. Lorsque le nouveau poste de travail sera déterminé à la satisfaction de toutes les parties, le Dr Pouliot nous produira le rapport final, sans atteinte, mais avec limitation. »
[9] Le 12 juin 2002, le docteur Pouliot produit un Rapport final sur lequel il consolide le diagnostic de stress post-traumatique à la date de la visite. Il inscrit à titre de limitations fonctionnelles que la travailleuse ne doit pas avoir de contact avec des cols bleus. Il ajoute que madame Dionne doit maintenir sa médication et ses consultations en psychologie pour quelque temps encore.
[10] Deux semaines plus tard, ce même médecin complète un Rapport d’évaluation médicale. Il mentionne à l’intérieur de ce document qu’au jour de l’évaluation, madame Dionne va très bien et que ses symptômes surviennent seulement lorsqu’elle est en contact avec des employés cols bleus. Conséquemment, le docteur Pouliot réitère la limitation fonctionnelle voulant que madame Dionne ne soit plus en contact, dans le cadre de son travail, avec des employés cols bleus.
[11] À la réception de ce rapport, l’employeur, la CSST et la travailleuse entreprennent des démarches afin d’identifier un emploi convenable à la Ville de Montréal. Toutefois, devant la lenteur du processus, la CSST amorce également, de façon parallèle, un processus externe de réorientation professionnelle afin de cibler un emploi ailleurs sur le marché du travail.
[12] Au terme de cette intervention, la travailleuse informe sa conseillère en réadaptation de la CSST, le 10 juillet 2003, qu’elle souhaite retenir l’emploi convenable de directrice des ressources humaines.
[13] Dès le lendemain, la CSST rend une décision de capacité à exercer cet emploi convenable.
[14] Madame Dionne demeure cependant en attente d’une solution de retour au travail à la Ville de Montréal.
[15] En septembre 2003, la psychologue responsable du suivi de la travailleuse mentionne que madame Dionne souffre à nouveau de symptômes dépressifs et post-traumatiques en raison d’une situation particulièrement difficile qui est directement en lien avec les raisons de son arrêt de travail. Il faut attendre jusqu’au 31 mars 2004 afin que la condition psychique de la travailleuse se rétablisse. Malgré cela, la psychologue recommande une poursuite hebdomadaire de la thérapie.
[16] Le 7 juin 2004, le docteur Pouliot produit un second Rapport final pour l’événement du 17 janvier 2001. Il écrit sur le document qu’il s’agit d’un rapport qui modifie le Rapport final du 12 juin 2002 puisque la limitation fonctionnelle était temporaire pour une durée de deux ans. Il prescrit un retour progressif à partir de 8 juin 2004 et ajoute que madame Dionne ne doit pas cependant être en contact avec le travailleur à l’origine de son problème.
[17] Aux notes évolutives de la CSST du 17 juin 2004, la travailleuse mentionne à une conseillère en réadaptation que l’employeur ne lui a toujours pas trouvé d’emploi convenable et qu’un des cadres lui a dit qu’il serait plus facile de la réaffecter en l’absence de limitations fonctionnelles. C’est donc dans ce contexte que, de concert avec le médecin et la psychologue, elle a fait rédiger un nouveau Rapport final.
[18] Le 21 juin 2004, aux notes évolutives toujours, on peut lire que madame se sent guérie, qu’elle a réussi à aller à une réunion syndicale et qu’elle se sent protégée depuis l’entrée en vigueur d’une loi contre le harcèlement.
[19] Quelques jours plus tard, toutefois, la travailleuse apprend que l’employé qui l’avait menacé a récidivé auprès d’une autre employée et qu’il a fait mention au passage qu’il allait également régler le cas de madame Dionne. Une réaction dépressive de la travailleuse suit rapidement l’obtention de cette information et des idées suicidaires apparaissent. Cet épisode rentre toutefois dans l’ordre très rapidement grâce aux outils acquis en thérapie.
[20] Le 7 juillet 2004, la représentante de la travailleuse fait parvenir une lettre à la CSST lui demandant de reconsidérer sa décision du 11 juillet 2003 concernant la capacité à exercer l’emploi convenable de directrice des ressources humaines en raison des trois motifs qui suivent :
1) La limitation fonctionnelle déterminée sur le Rapport final du 12 juin 2002 était temporaire pour une durée de deux ans;
2) il y a un retour progressif à partir du 8 juin 2004;
3) la limitation fonctionnelle en date du 7 juin 2004 est d’éviter le contact avec le travailleur à l’origine de son problème.
[21] Le 16 septembre 2004, la CSST informe la travailleuse qu’elle refuse cette demande de reconsidération au motif que le délai prévu à l’article 365 de Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[2] est expiré et qu’un médecin traitant ne peut modifier son Rapport final. Cette décision est confirmée par la révision administrative.
[22] Le 21 septembre 2004, madame Dionne signe une entente avec la Ville de Montréal qui, dans le cadre de son devoir d’accommodement, accepte d’octroyer à la travailleuse le poste d’inspectrice en horticulture.
[23] Le 8 mars 2006, la Commission des lésions professionnelles[3] dispose à son tour du litige portant sur la reconsidération de la décision de la CSST du 11 juillet 2003.
[24] À l’occasion de cette audience, madame Dionne dépose un document dans lequel elle identifie 25 291 contacts indirects avec des cols bleus depuis son retour au travail du 22 septembre 2004. Elle précise lors de son témoignage que son emploi d’inspectrice en horticulture implique de côtoyer des cols bleus, soit des jardiniers et des émondeurs, mais pas de les gérer.
[25] Au cours de son analyse, la juge administrative saisie de l’affaire explique qu’il n’est pas nécessaire de trancher le débat portant sur les conditions d’ouverture à la reconsidération puisque la question de fond est de déterminer la légalité de la modification du Rapport final par le médecin qui a charge de la travailleuse.
[26] En conclusion, le tribunal estime que la preuve ne démontre pas de manière prépondérante que c’est en raison d’une évolution exceptionnelle et inattendue de la condition de madame Dionne que le docteur Pouliot juge indiqué de modifier la limitation fonctionnelle. La juge administrative retient au contraire que, même sans contact avec l’employé à l’origine de sa lésion, la condition de la travailleuse se détériore lors de sa tentative de retour au travail d’octobre 2001 dans une fonction impliquant la gestion de cols bleus. De même, l’état psychique de madame Dionne décline à l’automne 2003 et en mai 2004 en lien avec des événements connexes à celui de janvier 2001.
[27] La Commission des lésions professionnelles rejette par conséquent la requête de la travailleuse étant d’avis que le docteur Pouliot ne pouvait modifier le Rapport final valablement produit le 12 juin 2002.
[28] À l’été 2006, madame Dionne obtient un poste d’agente technique en horticulture et arboriculture
[29] Le 17 octobre 2006, la représentante de madame Dionne présente une seconde demande de reconsidération à la CSST de la décision rendue le 11 juillet 2003. Elle y mentionne qu’en date du 17 août 2006, la travailleuse reçoit un rapport d’enquête et une vidéocassette la montrant sur les lieux de son travail, le 1er août 2006, ayant des contacts directs avec les cols bleus et travaillant avec eux. Elle estime qu’il s’agit là de nouveaux faits essentiels reliés à la capacité physique de la travailleuse et qu’il y a lieu de s’y pencher à nouveau.
[30] Le 16 novembre 2006, la CSST rend une décision en vertu de laquelle elle refuse la demande de reconsidération au motif que les informations fournies au rapport de surveillance ne constituent pas des faits nouveaux. Cette décision est ultérieurement maintenue par la révision administrative.
[31] Le 31 janvier 2007, la Commission des lésions professionnelles[4] rejette la requête en révision présentée par madame Dionne de la décision rendue le 8 mars 2006.
[32] Le 14 mai 2008, la Cour supérieure[5] rejette à son tour la requête en révision judiciaire de la travailleuse et la requête ultérieure pour permission d’en appeler est rejetée par la Cour d’appel[6].
[33] Le 11 décembre 2008, la Commission des lésions professionnelles, saisie de la seconde demande de reconsidération de la travailleuse, est appelée dans un premier temps à disposer d’une requête préliminaire de la Ville de Montréal et de la CSST qui soulèvent tous deux l’autorité de la chose jugée, de même que la juridiction du tribunal. Ils estiment en effet que la contestation en cause porte sur le même objet que celui traité dans la décision de la Commission des lésions professionnelles du 8 mars 2006.
[34] À l’issu de son analyse, le juge administratif ne retient toutefois pas cet argument et rejette la requête préliminaire. À cet égard, il indique en premier lieu qu’il ne s’agit pas pour la travailleuse d’une simple question de principe puisqu’elle occupe un emploi temporaire découlant d’une entente, mais qu’advenant la fin de ses recours, la décision du 11 juillet 2003 rendue par la CSST sera appliquée. Il conclut ensuite que la demande de reconsidération déposée par la travailleuse en octobre 2006 ne constitue pas un recours identique à celui exercé en 2004 puisqu’il est maintenant question de contacts directs avec les cols bleus plutôt qu’indirects et que la notion d’admissibilité d’un nouveau Rapport final n’est pas en cause.
[35] Lors de l’audience sur le fond, la travailleuse dépose la description de tâches d’un agent technique en horticulture et arboriculture.
[36] Il y est notamment fait mention que la personne qui occupe cet emploi doit vérifier l’exécution de tous les travaux horticoles dans les parcs, les rues et autres espaces verts et qu’elle doit guider, orienter, ainsi que vérifier la qualité du travail de quelques employés affectés à des tâches connexes.
[37] Elle soumet également en preuve certains documents faisant état de recommandations ou directives qu’elle doit donner dans le cadre de son travail.
[38] Enfin, elle produit un relevé représentant des heures supplémentaires qu’elle a effectuées révélant qu’il lui arrive d’exercer certaines autres tâches telles que le soutien aux opérations.
[39] L’employeur admet pour sa part que madame Dionne exerce l’ensemble des tâches décrites dans ces documents et que dans ce contexte, elle est effectivement en contact direct avec des cols bleus.
[40] À la suite de ces admissions, il n’est pas jugé nécessaire de présenter quelqu’autre preuve que ce soit et les parties exposent directement leur argumentation en droit.
L’AVIS DES MEMBRES
[41] La membre issue des associations d’employeurs et celui issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête de la travailleuse. Ils estiment que le fait pour madame Dionne de travailler directement avec des cols bleus, à compter de l’été 2006, ne constitue pas un fait essentiel permettant de reconsidérer la décision d’emploi convenable rendue en juillet 2003.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[42] La Commission des lésions professionnelles doit décider si la CSST était justifiée de refuser de reconsidérer sa décision du 11 juillet 2003 statuant sur la capacité de madame Dionne à exercer un emploi convenable de directrice des ressources humaines ailleurs que chez son employeur à compter du 10 juillet 2003.
[43] La disposition pertinente en matière de reconsidération se retrouve à l’article 365 de la loi :
365. La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.
Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.
Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.
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1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.
[44] À la lecture du second alinéa, puisqu’il s’agit à l’évidence de celui en cause, il ressort clairement que deux conditions doivent être présentes afin d’en permettre l’application :
1) La première exige l’existence d’un fait inconnu au moment de la prise de la décision par la CSST.
2) La seconde requiert que le fait en question soit essentiel.
[45] Concernant l’ignorance du fait, deux courants jurisprudentiels s’affrontent au sein du tribunal. Le premier[7] considère que ce fait essentiel doit exister au moment de la décision. Le second[8] estime au contraire qu’une telle exigence ajoute au texte de loi.
[46] Avec respect pour l’opinion contraire, la soussignée se situe sur cette question parmi les tenants de la première thèse, et ce, en raison principalement du caractère exceptionnel de cette disposition.
[47] Tel que mentionné dans l’affaire Létourneau et Sitraco inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail[9], le principe de l’irrévocabilité a pour raison d’être d’empêcher que des procès perpétuellement recommencés ne viennent compromettre la sécurité et la stabilité des rapports sociaux et aussi le fonctionnement même de l’appareil quasi judiciaire.
[48] Ainsi, puisque l’article 365 de la loi est une disposition qui permet de porter atteinte à ce principe, il se doit, dans ce contexte, de s’interpréter de manière restrictive.
[49] Le tribunal considère à cet égard que la décision rendue par l’organisme se doit nécessairement d’être viciée de par l’absence de prise en considération d’un élément important qui ne lui a pas été soumis en temps opportun. Dans l’hypothèse où ce fait survient postérieurement, il est clair que la CSST ne commet aucun impair au moment où elle rend sa décision puisque celui-ci n’existe pas et ne peut donc influencer les paramètres de celle-ci.
[50] Conclure autrement ouvre la porte largement à la compromission du caractère définitif des décisions, et ce, tels que l’illustrent les quelques exemples suivants :
· La CSST rend une décision d’emploi convenable de gardien de sécurité. Dix ans plus tard, le travailleur concerné commet un acte criminel et se retrouve avec un casier judiciaire. Il ne rencontre alors plus les exigences de la profession.
· La CSST détermine la capacité d’un travailleur à exercer un emploi de chauffeur de camion. Vingt ans plus tard, ce dernier perd son permis de conduire en raison d’une baisse de vision.
· La CSST détermine qu’une travailleuse est à même d’occuper un emploi convenable chez son employeur. Trente ans plus tard, la compagnie en question fait faillite et la travailleuse perd son emploi.
· La CSST admet, sur la base des connaissances médicales du moment, qu’une pathologie xyz est en relation avec les risques particuliers du travail et conclut à l’existence d’une maladie professionnelle. Quarante plus tard, la science évolue et il appert qu’il n’existe aucun lien entre ladite lésion et le métier exercé.
[51] Il semble que le législateur n’a pu vouloir un tel résultat.
[52] Compte tenu de cette prise de position, la Commission des lésions professionnelles se doit donc de rejeter la demande de la travailleuse puisque la preuve révèle de façon non équivoque que le fait inconnu invoqué, à savoir l’exercice d’un travail exigeant des contacts directs auprès de cols bleus, survient près de trois ans après la décision ciblée de la CSST.
[53] Au surplus, même si le tribunal s’attarde à l’analyse du second critère, il en arrive inexorablement à la même conclusion de rejet de la requête puisqu’il estime ne pas être en présence d’un fait essentiel pour les motifs suivants.
[54] Le terme essentiel n’étant pas défini dans la loi, il est d’usage de recourir aux définitions courantes de dictionnaires et d’établir que ce mot réfère à ce qui est relatif à l’essence d’un être ou d’une chose, à ce qui est fondamental, indispensable ou nécessaire.
[55] Tel que mentionné dans l’affaire Commission scolaire de l’Or-et-des-Bois et Higgins[10], le fait essentiel doit être constitué d’éléments suffisamment graves, précis et concordants de nature à influencer le décideur et à modifier à la limite une décision rendue s’ils avaient été connus au moment de la prise de décision.
[56] Dans le présent dossier, le tribunal estime que le fait allégué, même s’il avait été connu le 11 juillet 2003, n’aurait pas modifié la décision de la CSST parce que s’il en avait été autrement, cet organisme aurait bafoué de façon notoire une de ses missions les plus intrinsèques, soit la prévention des lésions professionnelles.
[57] La limitation émise par le médecin ayant charge de madame Dionne ne porte aucunement à interprétation. La travailleuse ne doit pas être en contact, dans le cadre de son travail, avec des employés cols bleus.
[58] Pourtant, l’employeur, au nom, dit-il, de l’accommodement raisonnable, permet à madame Dionne d’obtenir un emploi qui contrevient on ne peut plus clairement à la limitation fonctionnelle émise et de s’exposer de la sorte à un risque de récidive, rechute ou aggravation des symptômes de la lésion d’origine. De ce fait, il ne respecte clairement pas l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[11] qui oblige tout employeur à prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l’intégrité physique d’un travailleur.
[59] La travailleuse pour sa part occulte complètement la possibilité que survienne une dégradation de son état psychologique malgré une exposition évidente au facteur de risque en cause. Elle insiste sur l’absence de modification significative de son état psychique depuis qu’elle occupe lesdites fonctions et allègue une guérison définitive et absolue.
[60] La preuve au dossier révèle toutefois une autre réalité alors que madame Dionne présente une certaine fragilité psychologique en lien avec sa lésion professionnelle de janvier 2001 et que la survenance d’événements connexes à la lésion d’origine peut faire basculer de façon abrupte l’équilibre de celle-ci, et ce, tels qu’en font foi certains épisodes de régression survenus en 2001, 2003 et 2004.
[61] En agissant de la sorte, madame Dionne, fait fi à son tour des obligations qui l’incombent en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, alors que l’article 49 spécifie qu’un travailleur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique.
[62] Dans un tel contexte, le tribunal juge inadéquat et même irresponsable d’avaliser une décision prise entre les parties qui précarise l’état de santé de la travailleuse et de qualifier cette situation de fait essentiel permettant une reconsidération. Il importe de rappeler que tant la Loi sur la santé et la sécurité du travail, que la Loi sur les accidents du travail et maladies professionnelles sont des lois d’ordre publique et que les parties ne peuvent à cet égard établir leurs propres règles.
[63] Pour faire une analogie peut-être plus patente de cet état de fait, il suffit d’imaginer le cas du travailleur de la construction qui, à la suite d’une lésion au dos, demeure avec certaines limitations fonctionnelles, dont celle de ne pas soulever de charges supérieures à cinq kilos.
[64] Cette dernière restriction l’empêche manifestement de refaire son travail prélésionnel. Il choisit cependant, avec l’accord de son employeur, de reprendre son même métier, convaincu que son dos est rétabli et tiendra le coup désormais.
[65] Même s’il y a lieu de croire que ce travailleur agira de façon prudente et appliquera les techniques ergonomiques adéquates de soulèvement de charges apprises, d’aucun ne peut prétendre qu’à un moment ou à un autre, dans un moment de plus grande fatigue par exemple, une dégradation de sa condition physique ne surviendra pas, dans le contexte où il contrevient précisément aux restrictions émises par son médecin traitant.
[66] La situation n’est pas différente parce qu’il s’agit d’une lésion d’ordre psychologique. L’émission de limitations fonctionnelles vise essentiellement un seul but, prévenir, dans la mesure du possible, d’éventuelles rechutes.
[67] Il y a lieu de rappeler également que les conclusions médicales émises par le médecin qui a charge sont liantes en vertu de l’article 224 de la loi. En l’instance, le docteur Pouliot a conclu à l’existence de séquelles permanentes et non à la résorption complète des conséquences de l’événement. Madame Dionne ne peut donc tenter de faire indirectement ce qui ne lui est pas permis directement, soit modifier la portée du contenu du Rapport final de son médecin traitant. Notons, au surplus, que cette tentative a déjà été déboutée par les tribunaux auparavant.
[68] Enfin, le tribunal tient à distinguer les circonstances du présent dossier du cas rencontré à quelques occasions où la CSST reconsidère une décision d’incapacité alors qu’elle apprend, par une preuve de filature par exemple, que le travailleur présente une condition physique fort différente de celle exprimée aux différents intervenants médicaux concernés.
[69] Dans cette situation précise, il est clair qu’au moment de rendre sa décision d’incapacité, la CSST ignore le véritable portrait physique du travailleur puisqu’il la lui cache volontairement. Cet état de fait, bien qu’inconnu, existe malgré tout au moment de la prise de décision et s’il avait été révélé en temps opportun aurait certes entraîné d’autres conclusions, d’où l’ouverture évidente à la reconsidération. Dans les faits à l’étude, les choses sont fort différentes puisque la CSST est informée avec justesse de la condition psychologique exacte de madame Dionne en juillet 2003, date où elle rend la décision d’emploi convenable en cause.
[70] En définitive, la Commission des lésions professionnelles estime donc que la CSST était justifiée de refuser de se reconsidérer en l’absence d’un fait inconnu essentiel existant au moment de la prise de décision.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de madame Lise Dionne, la travailleuse;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 16 janvier 2007, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que la CSST était justifiée de refuser de reconsidérer sa décision du 11 juillet 2003.
[1] C.L.P. 254014-61-0502, 8 mars 2006, G. Morin.
[2] L.R.Q., c. A-3.001.
[3] Précitée, note 1.
[4] 254014-61-0502, 31 janvier 2007, L. Boucher.
[5] C.S. Montréal, 500-17-0355530-073.
[6] C.A. Montréal, 500-09-018754-085, 2 juillet 2008.
[7] Turenne et Sako Electrique (1986) ltée, C.A.L.P. 52603-60-9307, 26 août 1994, L. Boucher; Marenger et Développement Minier Canada, C.A.L.P. 41337-08-9205, 31 mars 1995, T. Giroux; Hôtel-Dieu d’Arthabaska et Champagne, C.L.P. 117652-04B-9906, 20 mars 2000, P. Simard; Dafonte Couto et CGM Béton & Époxy inc., C.L.P. 196935-71-0212, 16 janvier 2004, L. Couture.
[8] La clef du Découpage inc. et Laflamme, C.L.P. 174768-31-0112, 26 avril 2002, J.-F. Clément; Les aliments Vermont inc. et Ferland, C.L.P. 157169-04B0103, 24 juillet 2002, L. Collin. Villeneuve et La Brasserie Labatt ltée, C.L.P. 164770-31-0107, 2 juin 2003, M. Beaudoin; Lizotte et F.D.L. cie ltée, [2005] C.L.P. 324 .
[9] C.L.P. 219456-03B-0310,17 novembre 2006, P. Brazeau.
[10] C.L.P. 316121-08-0704, 27 mars 2008, P. Prégent.
[11] L.R.Q. c. S-2.1.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.