Ouellet et Couvrex-Pert inc. |
2010 QCCLP 6623 |
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[1] Le 3 février 2010, monsieur Bernard Ouellet (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles (le tribunal) une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 25 janvier 2010 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 novembre 2009. Elle déclare que suite à sa récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005, le travailleur est redevenu capable d’exercer l’emploi d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009 et qu’après cette date, il n’a droit qu’à une indemnité réduite de remplacement du revenu.
[3] Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue le 30 avril 2010 à Matane. Le dossier n’a toutefois été pris en délibéré que le 23 juin 2010, à l’échéance des délais accordés aux représentants pour déposer divers documents.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande au tribunal de déclarer qu’il a droit de continuer de recevoir une indemnité régulière de remplacement du revenu après le 12 novembre 2009, puisque sa récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005 n’est toujours pas consolidée.
L’AVIS DES MEMBRES
[5] Le membre issu des associations d’employeurs est d'avis que la requête du travailleur devrait être rejetée. Selon lui, la preuve confirme que la condition médicale du travailleur était stabilisée le 4 novembre 2009, que seuls des traitements de soutien étaient requis après cette date et qu’aucune séquelle permanente ne résulte de la récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005. Conséquemment, il considère que le travailleur est redevenu capable d’exercer l’emploi d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009 et qu’après cette date, il n’a droit qu’à une indemnité réduite de remplacement du revenu.
[6] Le membre issu des associations syndicales est plutôt d'avis que la requête du travailleur devrait être accueillie. Il souligne que le rapport d’évolution médicale rédigé par le médecin du travailleur le 16 novembre 2009 laisse planer un doute quant à la consolidation de la récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005. De ce fait, il estime que la décision portant sur la capacité de travail est prématurée et que le travailleur doit continuer de recevoir une indemnité régulière de remplacement du revenu après le 12 novembre 2009.
LES FAITS ET LES MOTIFS
[7] Au départ, il paraît opportun de faire un bref rappel des faits mis en preuve.
[8] Le 2 juillet 2002, le travailleur alors âgé de 44 ans et résidant à Laval subit un accident du travail dans l’exercice de son emploi de couvreur pour Couvrex-Pert inc. (l’employeur). Lors de cet accident, il perd l’équilibre en travaillant dans une échelle et chute d’une hauteur d’environ six mètres. Il tombe en position debout et se fracture la cheville et le pied gauche.
[9] À compter de ce moment, le travailleur est suivi par le docteur Garry Greenfield, orthopédiste. Ce dernier pose un diagnostic de fracture-luxation de l’astragale gauche et de fracture du calcanéum gauche. Il procède à une réduction ouverte et à une fixation interne des fractures.
[10] Le 11 mars 2003, le docteur Greenfield consolide la lésion.
[11] Le 3 mai 2003, le docteur Greenfield transmet un rapport d’évaluation médicale à la CSST. Il évalue le préjudice esthétique résultant de la lésion professionnelle à 8,9 % et le déficit anatomo-physiologique à 8 %, soit 5 % pour la fracture de l’astragale gauche avec séquelles fonctionnelles et 3 % pour une diminution de mobilité de plus de 50 % de l’articulation sous-astragalienne gauche. Voici ce qu’il indique en ce qui a trait aux limitations fonctionnelles :
Nous suggérons une rééducation. Il doit porter une botte 3D au besoin. Il ne doit pas utiliser les échelles. Il ne doit pas être debout plus de 30 minutes à la fois. Il ne doit pas marcher plus de 30 minutes à la fois. Il devrait accomplir un travail surtout en position assise et sédentaire. Le patient doit utiliser une canne au besoin. Nous suggérons également des semelles moulées.
[12] Dans les mois suivants, la CSST donne suite à ce rapport d’évaluation médicale. Ainsi, en novembre 2003, elle reconnaît que la lésion professionnelle entraîne une atteinte permanente à l’intégrité physique de 19,30 %, incluant 2,40 % pour douleurs et perte de jouissance de la vie, et en décembre 2003, elle admet le travailleur dans un programme de réadaptation.
[13] Au cours de l’hiver et du printemps 2004, le travailleur bénéficie de diverses mesures de réadaptation.
[14] Le 28 mai 2004, la CSST rend une décision par laquelle elle détermine que le travailleur est capable d’exercer l’emploi convenable d’estimateur en coûts de construction à compter du 19 mai 2004. La CSST informe également le travailleur qu’il pourra continuer de recevoir une indemnité régulière de remplacement du revenu jusqu’à ce qu’il occupe un emploi ou, au plus tard, jusqu’au 19 mai 2005, moment où l’indemnité sera réduite.
[15] Entre-temps, le travailleur déménage dans la région de Matane.
[16] Au printemps 2005, le travailleur effectue une brève tentative de retour au travail, occupant durant deux semaines un poste de commissionnaire et laveur d’autos chez un concessionnaire automobile. Durant cette période, il ressent une recrudescence de symptômes au pied gauche.
[17] Le 7 juin 2005, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale[1], causée en partie par l’apparition d’arthrose dans la région astragalienne gauche.
[18] Entre le printemps 2005 et l’hiver 2008, le travailleur consulte plusieurs médecins en raison de la persistance de douleurs au pied gauche. Les médecins consultés constatent la présence d’arthrose et recommandent divers traitements, dont le port d’une chevillière et la prise d’anti-inflammatoires. Un médecin, en l’occurrence le docteur Georges Sioufi, orthopédiste, suggère d’envisager une arthrodèse. Après consultation avec le docteur Greenfield en septembre 2005, le travailleur décide de ne pas subir une telle intervention chirurgicale à court terme.
[19] Durant toute cette période, le travailleur demeure en arrêt de travail.
[20] À partir du printemps 2008, le travailleur est suivi par le docteur Théodore Nault, orthopédiste. Ce dernier l’examine les 3 avril, 26 juin, 27 août et 30 octobre 2008 de même que les 30 janvier, 7 mai et 13 août 2009. À sa demande, le travailleur reçoit quelques infiltrations de corticostéroïdes qui n’apportent qu’un soulagement temporaire des symptômes.
[21] Lors de son examen du 13 août 2009, le docteur Nault note qu’il n’y a ni rougeur ni chaleur à la cheville, mais persistance d’une sensibilité articulaire et diminution de la mobilité à l’articulation tibio-astragalienne. Il signale que l’examen radiologique montre des signes d’arthrose modérée. Il note que le diagnostic final est une arthrose post-traumatique à la cheville gauche. Il dirige le travailleur vers un radiologiste pour que ce dernier effectue une infiltration de Synvisc et suggère de le revoir dans un délai de trois mois.
[22] Au début septembre 2009, le travailleur reçoit l’infiltration de Synvisc recommandée.
[23] Le 28 septembre 2009, le docteur Luc-Antoine Dugas, médecin régional de la CSST, transmet une demande d’information médicale complémentaire écrite au docteur Nault. Il lui demande de répondre à certaines questions au sujet de la période prévisible de consolidation, au plan de traitement établi et, s’il y a lieu, à la présence de séquelles permanentes et de limitations fonctionnelles. Il joint à sa demande une copie du rapport d’évaluation médicale du 3 mai 2003 du docteur Greenfield.
[24] Le 4 novembre 2009, le docteur Nault répond à la demande du docteur Dugas. Voici ce qu’il écrit à propos de la condition du travailleur :
1. Sa condition est stable. Il présente des douleurs articulaires de la tibio-astragalienne avec ↓ de la mobilité (idem Dr Greenfield).
2. Les limitations ne sont pas aggravées, mais persistent.
3. Il est consolidé, mais nécessite des infiltrations intra-articulaires de la tibio-astragalienne tous les 4 mois (Synvisc & stéroïdes).
[25] Le 11 novembre 2009, le docteur Dugas prend connaissance de la réponse du docteur Nault et note que les infiltrations recommandées sont des traitements de soutien en relation avec la lésion professionnelle.
[26] Le même jour, un intervenant de la CSST communique avec le travailleur et l’informe de l’opinion émise par le docteur Nault. Il lui transmet une copie du document reçu de ce médecin.
[27] Le 12 novembre 2009, la CSST rend une décision par laquelle elle déclare que suite à sa récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005, le travailleur est redevenu capable d’exercer l’emploi d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009 et qu’après cette date, il n’a droit qu’à une indemnité réduite de remplacement du revenu. Cette décision est ultérieurement confirmée à la suite d’une révision administrative, d’où le présent litige.
[28] Entre-temps, le 16 novembre 2009, le docteur Nault revoit le travailleur. Il note qu’il a été « soulagé » par la dernière infiltration et lui recommande d’en recevoir une autre. Il transmet un rapport d’évolution à la CSST dans lequel il inscrit ce qui suit : « arthrose post-trauma cheville gche; infilt. de Synvisc par radiologiste ». Il ne remplit pas la section Consolidation du rapport, dans laquelle le médecin indique habituellement si la période prévisible de consolidation est de 60 jours ou moins ou de plus de 60 jours.
[29] Le travailleur témoigne à l’audience. Il mentionne ne pas avoir rencontré le docteur Nault entre la mi-août et la mi-novembre 2009 et ne plus l’avoir rencontré par la suite. Il indique ne pas avoir reçu de nouvelles infiltrations après le mois de novembre 2009, le radiologiste étant en congé de maladie. Il explique que les infiltrations ne le soulagent que sur une base temporaire et qu’il devra possiblement subir une arthrodèse de la cheville. Il spécifie que la décision de subir cette intervention lui appartient et ajoute ne pas être décidé[2].
[30] Ce bref rappel des faits étant présenté, le tribunal doit décider si le travailleur est redevenu capable d’exercer l’emploi d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009. Pour ce faire, il doit d’abord vérifier si la CSST pouvait considérer que la récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005 était consolidée depuis le début du mois de novembre 2009 sans limitations fonctionnelles additionnelles à celles émises en 2003 par le docteur Greenfield.
[31] La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] (la loi) contient plusieurs dispositions traitant de la procédure d’évaluation médicale, dont les articles 202, 203, 212, 224 et 224.1 (1) :
202. Dans les 10 jours de la réception d'une demande de la Commission à cet effet, le médecin qui a charge du travailleur doit fournir à la Commission, sur le formulaire qu'elle prescrit, un rapport qui comporte les précisions qu'elle requiert sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 202; 1992, c. 11, a. 12.
203. Dans le cas du paragraphe 1° du premier alinéa de l'article 199, si le travailleur a subi une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique, et dans le cas du paragraphe 2° du premier alinéa de cet article, le médecin qui a charge du travailleur expédie à la Commission, dès que la lésion professionnelle de celui-ci est consolidée, un rapport final, sur un formulaire qu'elle prescrit à cette fin.
Ce rapport indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant :
1° le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur d'après le barème des indemnités pour préjudice corporel adopté par règlement;
2° la description des limitations fonctionnelles du travailleur résultant de sa lésion;
3° l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
Le médecin qui a charge du travailleur l'informe sans délai du contenu de son rapport.
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1985, c. 6, a. 203; 1999, c. 40, a. 4.
212. L'employeur qui a droit d'accès au dossier que la Commission possède au sujet d'une lésion professionnelle dont a été victime un travailleur peut contester l'attestation ou le rapport du médecin qui a charge du travailleur, s'il obtient un rapport d'un professionnel de la santé qui, après avoir examiné le travailleur, infirme les conclusions de ce médecin quant à l'un ou plusieurs des sujets suivants :
1° le diagnostic;
2° la date ou la période prévisible de consolidation de la lésion;
3° la nature, la nécessité, la suffisance ou la durée des soins ou des traitements administrés ou prescrits;
4° l'existence ou le pourcentage d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique du travailleur;
5° l'existence ou l'évaluation des limitations fonctionnelles du travailleur.
L'employeur transmet copie de ce rapport à la Commission dans les 30 jours de la date de la réception de l'attestation ou du rapport qu'il désire contester.
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1985, c. 6, a. 212; 1992, c. 11, a. 15; 1997, c. 27, a. 4.
224. Aux fins de rendre une décision en vertu de la présente loi, et sous réserve de l'article 224.1, la Commission est liée par le diagnostic et les autres conclusions établis par le médecin qui a charge du travailleur relativement aux sujets mentionnés aux paragraphes 1° à 5° du premier alinéa de l'article 212 .
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1985, c. 6, a. 224; 1992, c. 11, a. 26.
224.1. Lorsqu'un membre du Bureau d'évaluation médicale rend un avis en vertu de l'article 221 dans le délai prescrit à l'article 222, la Commission est liée par cet avis et rend une décision en conséquence.
[…]
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1992, c. 11, a. 27.
[32] Le législateur n’a pas défini la notion de « médecin qui a charge ». Cependant, dans l’affaire Marceau et Gouttière Rive-Sud Fabrication inc.[4], le tribunal a suggéré quatre critères permettant d’identifier le médecin ayant charge d’un travailleur, lesquels ont par la suite été réitérés dans de nombreuses autres décisions du tribunal. Voici un extrait de cette décision :
[33] Quant à la notion de médecin qui a charge, le législateur n'en a prévu aucune définition spécifique, laissant ainsi aux tribunaux spécialisés le soin d'en établir les principaux paramètres. Ainsi, la jurisprudence a dégagé plus ou moins quatre critères d'identification du médecin qui a charge du travailleur. Parmi ces critères retenons : 1) celui qui examine le travailleur; 2) celui choisi par le travailleur par opposition à celui qui lui serait imposé lors d'une expertise médicale demandée par la CSST ou l'employeur, par opposition également au médecin qui n'agit dans un dossier qu'à titre d'expert sans jamais suivre l'évolution médicale du patient; 3) celui qui établit un plan de traitement et enfin 4) celui qui assure le suivi du dossier du patient en vue de la consolidation de la lésion.
[33] En l’espèce, il est clair que le docteur Nault était le médecin qui avait charge du travailleur à l’époque où il a transmis une information médicale complémentaire écrite à la CSST, à savoir à l’automne 2009. En effet, il est celui qui a suivi le travailleur à compter du printemps 2008. Il l’a examiné à plusieurs reprises pendant cette période et a supervisé ses traitements. Le travailleur l’a d’ailleurs rencontré de nouveau à la mi-novembre 2009.
[34] Partant, conformément aux dispositions de l’article 202, la CSST était justifiée de s’adresser au docteur Nault pour obtenir certaines informations sur un ou plusieurs des sujets mentionnés aux paragraphes 1 à 5 du premier alinéa de l'article 212.
[35] Cela étant dit, selon la jurisprudence bien établie, le travailleur est lié par les conclusions du médecin l’ayant pris en charge et il n’existe aucune disposition législative lui permettant de les contester[5].
[36] Lors de son argumentation, le représentant du travailleur rappelle que le tribunal a mis de côté cet énoncé de principe à plusieurs reprises dans le passé. Au soutien de cet argument, il invoque les décisions rendues dans les affaires Mallet et Dépanneur C. Gauthier[6], Wetherall et Entreprises Renaud Rioux[7] et Gagné et Marmen inc.[8] À titre d’illustration, voici ce que mentionne le juge administratif Michaud dans cette dernière affaire :
[68] Dans le passé, la Commission des lésions professionnelles a considéré que certaines situations exceptionnelles ou des circonstances très particulières justifiaient de mettre de côté l’avis du médecin traitant sur des questions d’ordre médical liant la CSST en vertu de l’article 224 de la loi, comme, par exemple, dans le cas de rapport médical de complaisance7, de diagnostic manifestement faux8, lorsque le médecin se prononce avant d’avoir obtenu les résultats d’autres examens9, lorsque le travailleur a encore besoin de soins quand le médecin consolide la lésion10, lorsque le médecin consolide la lésion dans le futur tout en prescrivant des soins et traitements11, ou encore lorsque la date de consolidation porte à confusion12.
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7, 8, 9, 10, 11, 12 Références omises
[37] Le soussigné n’est pas en désaccord avec le fondement de ces décisions. En revanche, il constate qu’il y est spécifié que le principe général ne peut être mis de côté que dans des situations exceptionnelles ou dans des circonstances très particulières.
[38] Le représentant du travailleur soutient que de telles circonstances particulières sont ici présentes. Son argumentation sur le sujet repose sur divers éléments qui peuvent être regroupés sous les volets suivants :
1° en rédigeant un rapport d’évolution le 16 novembre 2009 et en recommandant une nouvelle infiltration de Synvisc, le docteur Nault laisse voir que la lésion professionnelle n’était pas consolidée à la date indiquée dans son information médicale complémentaire écrite et que des soins et traitements étaient toujours requis;
2° le travailleur n’a pas reçu du docteur Nault une copie du document transmis à la CSST le 4 novembre 2009;
3° la CSST n’a pas obtenu de rapport final ni de rapport d’évaluation médicale avant de rendre sa décision du 12 novembre 2009;
4° le docteur Nault n’a pas examiné le travailleur le 4 novembre 2009 et il ne l’avait pas vu dans les semaines précédentes.
[39] Pour les motifs énoncés dans les prochains paragraphes, le tribunal n’est pas d’accord avec ces arguments.
L’impact du rapport du 16 novembre 2009 et de la nouvelle prescription de Synvisc
[40] Contrairement au représentant du travailleur, le tribunal estime que le rapport médical du 16 novembre 2009 ne porte pas à confusion quant aux véritables intentions du docteur Nault au regard de la consolidation de la lésion et de la suffisance des soins et traitements. Il en est de même de la recommandation d’une nouvelle infiltration de Synvisc.
[41] Ce rapport médical et la recommandation qu’il comporte s’inscrivent plutôt dans la suite logique de l’information médicale complémentaire écrite.
[42] À ce stade-ci, rappelons que la notion de consolidation est définie comme suit à l’article 2 de la loi :
« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;
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1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.
[43] Cette définition ne fait pas de la guérison une condition essentielle à la consolidation d’une lésion professionnelle. Comme le mentionnait la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Soucy-Tessier et CSST[9], il y a consolidation lorsqu’il n’y a plus d’amélioration prévisible, que la lésion a atteint un seuil thérapeutique et qu’aucun traitement ne peut prévisiblement apporter une amélioration.
[44] Par ailleurs, les articles 188 et suivants de la loi stipulent qu’un travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à l’assistance médicale que requiert son état en raison de cette lésion.
[45] L’assistance médicale peut notamment prendre la forme de soins et de traitements de support ou de maintien. Ceux-ci n’ont pas pour objectif de guérir ou de stabiliser une pathologie, mais plutôt d’en contrôler les conséquences. C’est le cas, par exemple, des traitements prescrits pour contenir ou calmer les douleurs chroniques. Conséquemment, de tels soins ou traitements n’ont pas d’incidence sur la consolidation[10].
[46] C’est exactement ce que le docteur Nault transmet comme information le 4 novembre 2009 lorsqu’il écrit que la condition du travailleur « est stable » même s’il y a persistance de douleurs avec diminution de la mobilité de la cheville gauche et qu’il spécifie ensuite : « Il est consolidé, mais nécessite des infiltrations intra-articulaires de la tibio-astragalienne tous les 4 mois (Synvisc & stéroïdes) ».
[47] À ce stade-ci, rappelons que le docteur Dugas, lors de la réception du document du 4 novembre 2009, spécifie que les infiltrations recommandées sont des traitements de soutien en relation avec la lésion professionnelle.
[48] Le rapport médical du 16 novembre 2009 ne change rien à cet état de fait. Au contraire, le docteur Nault confirme qu’il est toujours approprié de procéder à l’infiltration de Synvisc recommandée deux semaines auparavant. Par ailleurs, rien ne suggère que c’est par inadvertance qu’il n’a pas rempli la section Consolidation du rapport. Son abstention laisse voir qu’il n’entendait pas remettre en question son opinion sur le sujet.
Le défaut par le docteur Nault d’aviser le travailleur de son opinion
[49] La loi n’oblige pas le médecin d’un travailleur à informer ce dernier des réponses qu’il transmet à la CSST en vertu de l’article 202.
[50] Seul l’article 203 impose une obligation de ce type, et ce, au regard du contenu du rapport final.
[51] Quoi qu’il en soit, le soussigné partage le point de vue exprimé par la juge administrative Desbois dans l’affaire Trudel et Transelec/Common inc.[11], lorsqu’elle écrit que le fait pour le médecin du travailleur de ne pas communiquer ses conclusions médicales directement et sans délai au travailleur n’invalide pas le contenu de son rapport. Voici certains extraits de la décision rendue dans cette affaire :
[53] La procureure du travailleur plaide en dernier lieu que le défaut par le docteur Nault d’avoir communiqué ses conclusions au travailleur comme le prévoit l’article 203 de la loi et d’avoir plutôt transmis son rapport à la CSST invaliderait son rapport.
[…]
[57] […] Avec respect pour l’opinion contraire, pourquoi […] punir de déchéance, d’invalidité totale, ce rapport et ses conclusions, uniquement parce qu’elles n’auraient pas été communiquées directement et sans délai au travailleur ? Le remède apparaît nettement excessif par rapport au mal.
[58] Il y a peu de jurisprudence sur cette question et elle est contradictoire. Le tribunal se range quant à lui du côté de la décision rendue dans l’affaire Raymond10 dans laquelle le commissaire conclut qu’il s’agit d’un aspect technique dont le non-respect ne peut donner de droits exorbitants au travailleur.
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10 Référence omise
[52] Cette position paraît justifier, d’autant plus qu’en l’espèce, le travailleur a été informé de l’opinion émise par le docteur Nault dès le 11 novembre 2009 et qu’il est retourné le consulter quelques jours plus tard.
L’absence de rapport final et de rapport d’évaluation médicale
[53] L’article 203 de la loi prévoit les circonstances dans lesquelles le médecin ayant charge d’un travailleur doit produire à la CSST un rapport final. De façon générale, un tel rapport est requis après la consolidation d’une lésion professionnelle.
[54] En pratique, le document produit par le médecin d’un travailleur sur le formulaire de la CSST intitulé Rapport final est accompagné d’un autre document produit sur le formulaire intitulé Rapport d’évaluation médicale. Ce dernier rapport n’est toutefois pas indispensable en l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles. C’est ce que rappelait la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles dans l’affaire Geoffroy et Coopérative fédérée de Québec[12], et ce, dans les termes suivants :
Le représentant du travailleur persiste dans sa prétention en soulevant que la décision rendue dans l’affaire Colgan (précitée) précisait que «l’affirmation ou la négation pure et simple de l’existence d’une atteinte permanente ou de limitations fonctionnelles, demandée au formulaire de «rapport final» par la Commission, ne correspond à aucune des étapes de la procédure d’évaluation médicale prévue à la loi», et que, selon lui, pour se conformer à l’article 203, le médecin du travailleur, même en niant l’existence d’une atteinte permanente et de limitations fonctionnelles, devait compléter un rapport d’évaluation médicale.
Avec respect pour l'opinion contraire, le soussigné est d'avis qu'une telle conclusion va au-delà de ce qui est exigé à l'article 203 de la loi puisque le législateur à cet article utilise l'expression «le cas échéant» et prévoit donc que le médecin ayant charge, dès que la lésion professionnelle est consolidée, complète un rapport final sur lequel il indique notamment la date de consolidation de la lésion et, le cas échéant, le pourcentage d'atteinte permanente, la description des limitations fonctionnelles, l'aggravation des limitations fonctionnelles antérieures à celles qui résultent de la lésion.
[55] Lors de l’argumentation, le représentant du travailleur insiste sur le fait que la CSST n’a reçu ni l’un ni l’autre des formulaires intitulés Rapport final et Rapport d’évaluation médicale.
[56] Le tribunal constate cependant que le docteur Nault a couvert dans son information médicale complémentaire écrite transmise à la CSST conformément à l’article 202 de la loi l’ensemble des sujets énoncés à l’article 203. Or, le fond doit l’emporter sur la forme.
[57] Sous cet aspect, il est utile de rappeler les termes de l’article 353 de la loi :
353. Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.
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1985, c. 6, a. 353; 1999, c. 40, a. 4.
[58] Dans le même ordre d’idées, le soussigné considère que la position suivante, adoptée par le tribunal dans l’affaire Savard et Industries FDS inc.[13], est applicable aux faits mis en preuve en l’instance en y apportant les adaptations nécessaires :
La question dont la Commission des lésions professionnelles doit disposer dans le cadre de la présente instance, consiste à déterminer si la décision rendue par la CSST en date du 19 juin 1996, est prématurée et donc illégale ou irrégulière, en raison du fait […] que, selon le travailleur, le médecin en ayant charge, le Dr Normand Gagnon, n’a jamais émis le «Rapport d’évaluation médicale» requis par la Loi […].
[…]
En l’espèce, la Commission des lésions professionnelles constate d’abord que la CSST a effectivement demandé au médecin ayant charge du travailleur, le Dr Normand Gagnon, les informations médicales pertinentes à la rechute, récidive ou aggravation en cause, dans le cadre d’une conversation téléphonique intervenue le 27 septembre 1995 entre le Dr Jacques Lefrançois, son médecin régional, et le Dr Normand Gagnon, médecin ayant charge du travailleur, en conformité avec les termes de l’article 202 précité.
La Commission des lésions professionnelles constate également que le médecin ayant charge du travailleur, le Dr Normand Gagnon, a exprimé dans le cadre de cette conversation téléphonique du 27 septembre 1995, les conclusions d’ordre médical requises par la loi, lesquelles ont été reproduites par le Dr Jacques Lefrançois, médecin régional de la CSST, dans un document dont le texte a été soumis au Dr Gagnon et confirmé par ce dernier.
[…]
Dans ces circonstances, la Commission des lésions professionnelles retient que le «rapport final» requis par la loi a bel et bien été émis par le médecin ayant charge du travailleur, le Dr Normand Gagnon, le 27 septembre 1995, à la demande de la CSST et dans une forme qui, si elle est différente de la forme usuelle du «rapport final» généralement utilisé, n’en satisfait pas moins aux exigences de l’article 203 précité.
[59] En accord avec cette position de principe et pour en reprendre les termes, le tribunal considère que même si le document rédigé le 4 novembre 2009 par le docteur Nault n’a pas la forme usuelle du rapport final, il satisfait néanmoins aux exigences de l’article 203 de la loi.
L’absence d’examen médical le 4 novembre 2009
[60] Le tribunal estime que l’opinion du docteur Nault ne doit pas être mise de côté simplement parce qu’il n’a pas procédé à un examen du travailleur de façon concomitante à la rédaction de son information médicale complémentaire écrite.
[61] D’une part, la demande faite par la CSST au docteur Nault s’inscrit dans le cadre de l’article 202 de la loi. La formulation de cet article ne prévoit pas que le médecin à qui la demande est transmise doive examiner son patient avant d’y répondre. Une telle obligation serait d’ailleurs difficilement conciliable avec le délai de dix jours qui lui est imposé pour transmettre l’information requise.
[62] D’autre part, la conclusion du tribunal demeure inchangée bien que le document rédigé par le docteur Nault soit l’équivalent d’un rapport final au sens de l’article 203 de la loi.
[63] Sur ce, il faut rappeler que la pathologie pour laquelle le travailleur consulte des médecins depuis sa récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005 est une arthrose post-traumatique à la cheville gauche. Il s’agit d’une pathologie de nature chronique pour laquelle le travailleur est indemnisé depuis plus de quatre ans lorsque le Dugas transmet une demande d’information médicale complémentaire écrite au docteur Nault.
[64] Cela étant dit, même si le docteur Nault, un expert en orthopédie, n’a pas revu le travailleur depuis près de trois mois au moment d’exprimer son opinion, il ne faut pas perdre de vue qu’il suivait sa condition arthrosique depuis plus d’un an et demi à cette époque et qu’il avait eu l’occasion de l’examiner à sept reprises dans l’intervalle. Il était donc bien au fait de la situation et pouvait donner une opinion éclairée sur son état, notamment en ayant recours à ses notes d’examens antérieurs, dont son examen de la mi-août 2009.
[65] Bien que la jurisprudence sur le sujet ne soit pas unanime, plusieurs décisions du tribunal ont conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire pour le médecin ayant charge d’un travailleur de procéder à un examen de façon concomitante à la production d’un rapport final[14]. Par exemple, la juge administrative Di Pasquale écrit ce qui suit dans l’affaire Charette et Transport GJY Piché 1984 inc.[15] :
[41] La Commission des lésions professionnelles conclut, dans ces circonstances, que chaque cas doit être analysé pour décider de la nécessité pour le médecin qui a charge d’évaluer le travailleur avant d’émettre son rapport final. Dans le présent dossier, il n’était pas nécessaire pour le docteur Maurais de procéder à un examen approfondi du travailleur avant d’émettre un rapport final puisqu’il suivait le travailleur régulièrement. Il pouvait donc se fier à ses notes antérieures pour compléter le rapport.
[66] Le soussigné adhère à ce courant jurisprudentiel et, tenant compte du contexte particulier du présent dossier, il estime que l’opinion du docteur Nault demeure valable même s’il n’a pas procédé à un examen du travailleur de façon concomitante à la rédaction de son information médicale complémentaire écrite.
[67] Cette conclusion s’impose, d’autant plus que le travailleur a consulté de nouveau le docteur Nault le 16 novembre 2009 et que ce dernier a alors maintenu son opinion.
[68] Bref, les faits mis en preuve se distinguent très nettement de ceux rapportés dans les décisions invoquées par le représentant du travailleur. Rien en l’espèce n’est assimilable aux « situations exceptionnelles » ou aux « circonstances très particulières » dont il y est fait mention.
[69] Conséquemment, le tribunal conclut que la décision de la CSST portant sur la capacité du travailleur à exercer son emploi n’est pas prématurée.
[70] Sur le fond de la question en litige, les articles 44, 46, 47 et 57 paragraphe 1 de la loi stipulent ce qui suit :
44. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.
Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.
__________
1985, c. 6, a. 44.
46. Le travailleur est présumé incapable d'exercer son emploi tant que la lésion professionnelle dont il a été victime n'est pas consolidée.
__________
1985, c. 6, a. 46.
47. Le travailleur dont la lésion professionnelle est consolidée a droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 tant qu'il a besoin de réadaptation pour redevenir capable d'exercer son emploi ou, si cet objectif ne peut être atteint, pour devenir capable d'exercer à plein temps un emploi convenable.
__________
1985, c. 6, a. 47.
57. Le droit à l'indemnité de remplacement du revenu s'éteint au premier des événements suivants :
1° lorsque le travailleur redevient capable d'exercer son emploi, sous réserve de l'article 48 ;
__________
1985, c. 6, a. 57.
[71] La lésion professionnelle du travailleur étant consolidée depuis le mois de novembre 2009, il ne peut donc pas, après cette période, bénéficier de la présomption prévue à l’article 46 de la loi.
[72] Par ailleurs, la capacité de travail du travailleur doit être analysée en fonction de l’emploi convenable préalablement déterminé, soit celui d’estimateur en coûts de construction. C’est ce qui résulte du cumul des deux constats suivants.
[73] Premièrement, la tentative de retour au travail du printemps 2005 s’est terminée après deux semaines. Cette tentative a été de trop courte durée pour considérer qu’il s’agit de « son emploi » au sens des articles 44, 46, 47 et 57 de la loi.
[74] Il est d’ailleurs révélateur que le travailleur relate cette expérience en faisant référence à une tentative de retour au travail. C’est ce qu’il semble avoir rapporté, à une époque contemporaine aux événements, à son agente d’indemnisation de la CSST et à son représentant. Ainsi, l’agente d’indemnisation note le 5 août 2005 : « Retour d’appel au T, […] T a tenté de travailler 2 semaines, a dû cesser car dlr +++ […] ». De même, il est écrit ce qui suit au paragraphe 35 de la décision rendue dans le dossier C.L.P. 281748-01A-0602 : « Selon le procureur du travailleur, celui-ci a tenté de recommencer à travailler, mais il a dû arrêter après une semaine et demie environ, les douleurs s’étant exacerbées ».
[75] Deuxièmement, et il s’agit ici d’un élément important, le travailleur devait savoir lors de sa tentative de retour au travail que les tâches de l’emploi de commissionnaire et laveur d’autos chez un concessionnaire automobile étaient incompatibles avec les limitations fonctionnelles émises en 2003.
[76] Il suffit de juxtaposer le titre de l’emploi aux limitations fonctionnelles pour constater à quel point cette incompatibilité est manifeste.
[77] À cet égard, rappelons que le travailleur ne doit pas être debout plus de 30 minutes à la fois, qu’il ne doit pas marcher plus de 30 minutes à la fois, qu’il devrait accomplir un travail surtout en position assise et sédentaire et qu’il doit utiliser une canne au besoin.
[78] Dans ce contexte, il était prévisible que la symptomatologie s’accentuerait dès les premiers jours de travail. C’est ce qui s’est produit. Voici d’ailleurs ce que rapporte le juge administratif Michaud dans le dossier C.L.P. 281748-01A-0602 au sujet des événements survenus durant cette période :
[21] Le travailleur mentionne à l’audience qu’il s’est trouvé un emploi de laveur d’autos et commissionnaire chez un concessionnaire automobile de Matane dans le courant du mois de mai 2005. Il dit que son travail consistait à aller chercher et conduire les clients de même qu’à aller porter et chercher différentes pièces ainsi qu’à laver des automobiles.
[22] Le travailleur témoigne avoir constaté dès le début de son emploi que sa cheville et son talon gauche enflaient. Il ressentait plus de douleur en après-midi. Il devait mettre de la glace le soir et prenait des comprimés d’Atasol afin de réduire la douleur. Il mentionne qu’avant de recommencer à travailler il n’avait aucune enflure au niveau de son pied gauche.
[23] Le 7 juin 2005, le travailleur consulte la docteure Julie Thériault, car son pied le fait trop souffrir. Celle-ci note au rapport médical qu’elle transmet à la CSST qu’il s’agit de « douleur chronique à la suite d’une fracture au talon gauche augmentée par un travail récent, car trop longtemps debout ». Elle lui recommande de ne pas travailler plus de 20 heures par semaine.
[24] Monsieur Ouellet mentionne n’avoir même pas pu effectuer 20 heures de travail durant la deuxième semaine, car la douleur est devenue trop intense. Son employeur a mis fin à son emploi, car il avait besoin d’un employé à temps plein comme commissionnaire.
[25] Le travailleur retourne voir la docteure Thériault qui le dirige vers le docteur Georges Sioufi, orthopédiste. Celui-ci examine le travailleur le 26 juillet 2005. Il note à son rapport qu’il s’agit de séquelles d’ancienne fracture de l’astragale qui a été opérée en 2002 et qui est consolidée. Il constate une douleur autour de la cheville, il diagnostique une arthrose talonaviculaire secondaire à une récidive de la douleur au pied gauche de type mécanique. Il prescrit un arrêt de travail et des anti-inflammatoires. Il mentionne que le travailleur devrait faire un travail plutôt sédentaire et pourrait bénéficier d’une arthrodèse.
[79] L’incompatibilité de l’emploi de commissionnaire et laveur d’autos chez un concessionnaire automobile avec les limitations fonctionnelles apparaît aussi de divers documents au dossier administratif. Par exemple :
- dans sa réclamation pour récidive, rechute ou aggravation déposée à la CSST à l’été 2005, le travailleur écrit : « Laveur d’autos et commissionnaire, après 2 semaines, incapable de continuer, enflure du pied »;
- le médecin consulté le 7 juin 2005, jour de la récidive, rechute ou aggravation reconnue, note sur son rapport médical : « Suivi Fx talon G; dlr chronique ↑ par travail récent car trop longtemps debout […] »;
- le conseiller en réadaptation écrit lors de sa rencontre initiale du 20 juillet 2007 : « Au moment de la RRA était commissionnaire chez Villeneuve Ford de Matane. Il a également lavé au maximum 3 voitures durant son travail. […] Aussitôt qu’il doit travailler debout, la douleur revient, des crampes et chocs électriques ».
[80] Dans l’affaire Lebrasseur et S.A.A.Q. Dir. Secrétariat Aff. Jur.[16], la juge administrative Carignan écrit ce qui suit dans une situation s’apparentant à celle mise en preuve en l’espèce, du moins en ce qui a trait à l’incompatibilité de l’emploi exercé lors de la récidive, rechute ou aggravation avec les limitations fonctionnelles antérieures :
[29] Le travailleur occupait un emploi de manœuvre lorsqu’il a subi sa rechute, récidive ou aggravation en 1999. La Commission des lésions professionnelles estime qu’on ne peut pas retenir cet emploi pour analyser la capacité du travailleur puisque, manifestement, cet emploi ne respectait pas les limitations fonctionnelles émises par le médecin du travailleur en 1993 lesquelles étaient sévères et de classe III.
[30] Le tribunal est d’avis que ce n’est pas la rechute, récidive ou aggravation de 1999 qui a rendu le travailleur incapable d’exercer l’emploi de manœuvre puisque cette incapacité existait bien avant.
[31] Compte tenu que le travailleur a déjà bénéficié du service de réadaptation à la CSST et qu’un emploi convenable de caissier de billetterie a été déterminé en 1995, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il y a lieu de retenir cet emploi pour analyser la capacité du travailleur, selon l’article 47 de la loi.
[81] Le soussigné souscrit au raisonnement développé dans cette affaire. Il constate que ce n’est pas la récidive, rechute ou aggravation de 2005 qui a rendu le travailleur incapable d’exercer l’emploi essayé chez un concessionnaire automobile, puisque cette incapacité existait bien avant.
[82] Somme toute, la conjonction de ces divers éléments est inconciliable avec la thèse voulant que la capacité de travail du travailleur s’effectue en fonction de l’emploi de commissionnaire et laveur d’autos chez un concessionnaire automobile. C’est plutôt en fonction de l’emploi convenable préalablement déterminé que l’analyse doit s’effectuer.
[83] Or, en l’absence de limitations fonctionnelles additionnelles à celles émises en 2003 et en tenant compte de la date de consolidation retenue, le tribunal conclut que le travailleur est redevenu capable d'exercer l’emploi convenable d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur Bernard Ouellet, le travailleur;
CONFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 25 janvier 2010 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que suite à sa récidive, rechute ou aggravation du 7 juin 2005, le travailleur est redevenu capable d’exercer l’emploi d’estimateur en coûts de construction à compter du 12 novembre 2009;
DÉCLARE que le travailleur n’a droit qu’à une indemnité réduite de remplacement du revenu au-delà du 12 novembre 2009.
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Raymond Arseneau |
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Me Denis Tremblay, avocat |
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TREMBLAY & TREMBLAY |
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Représentant de la partie requérante |
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Me Gaétan Gauthier, avocat |
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VIGNEAULT, THIBODEAU, GIARD |
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Représentant de la partie intervenante |
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[1] Cette nouvelle lésion a été reconnue par décision du tribunal (C.L.P.281748-01A-0602, 4 juillet 2007, N. Michaud).
[2] Selon les faits relatés dans la décision rendue dans le dossier C.L.P.281748-01A-0602, cette intervention chirurgicale est envisagée depuis l’été 2005.
[3] L.R.Q., c. A-3.001.
[4] C.L.P. 91084-62-9709, 22 octobre 1999, H. Marchand.
[5] Voir notamment : Chiazzese et Corival inc., [1995] C.A.L.P. 1168 ; Legault et C.H.V.O. Pavillon Gatineau, C.L.P. 124289-07-9910, 21 mai 2002, A. Vaillancourt.
[6] C.L.P. 340060-01A-0802, 14 septembre 2009, N. Michaud (décision entérinant un accord).
[7] C.L.P. 361173-01C-0810, 24 août 2009, J.-F. Clément.
[8] C.L.P. 360448-01A-0810, 3 février 2010, N. Michaud.
[9] [1995] C.A.L.P. 1434 .
[10] Galipeau et Bell Canada, [1995] C.A.L.P. 1689 (décision sur requête en révision); St-Pierre et Centres jeunesse de Montréal, C.L.P. 183891-61-0205, 19 juillet 2002, L. Nadeau. Degaris et Bétonnière Modernes, [2006] C.L.P. 1468 ; Beauchamp et Inspec-Sol Inc., [2009] C.L.P. 93 .
[11] C.L.P. 257302-01B-0502, 24 février 2006, L. Desbois, révision rejetée, 13 juillet 2007, C.-A. Ducharme.
[12] [1996] C.A.L.P. 643 ; voir au même effet : Fata et Pavage CCA inc., [1997] C.A.L.P. 1102 , révision rejetée, C.A.L.P. 84456-60-9612, 25 février 1998, T. Giroux.
[13] [1998] C.L.P. 1 .
[14] Voir notamment : Souligny et Marcel Baril ltée, C.L.P. 94765-71-9803, 31 mars 1999, Anne Vaillancourt ; Poulin et Manac inc., C.L.P. 125439-03B-9910, 9 juin 2000, R. Savard; Dupuis et Concordia restauration de béton ltée, C.L.P. 136446-03B-0004, 8 mai 2001, M. Cusson ; Bérubé et DJ Express (faillite), C.L.P. 244511-64-0409, 16 mars 2005, R. Daniel; Charette et Transport GJY Piché 1984 inc., C.L.P. 297051-64-0608, 5 avril 2007, M. Montplaisir; révision rejetée, 23 octobre 2007, S. Di Pasquale; requête en révision judiciaire accueillie (sur un autre point) C.S. Mont-Laurier 560-17-000885-076, 6 juin 2008, L.-P. Landry j.c.s.; requête pour permission d’appeler rejetée C.A.
[15] Précitée, note 14.
[16] C.L.P. 208251-09-0305-2, 29 novembre 2005, M. Carignan (décision rejetant une requête en révision). Voir au même effet : Hannouna et 91236463 Québec inc., C.L.P. 270374-62B-0508, 10 février 2006, A. Vaillancourt.
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