Décision

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Veilleux et Fromage Côté SA

2008 QCCLP 902

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Montréal

17 février 2008

 

Région :

Montérégie

 

Dossier :

218615-62-0310-R2

 

Dossier CSST :

123172850

 

Commissaire :

Claude-André Ducharme

 

Membres :

André Chagnon, associations d’employeurs

 

Lucy Mousseau associations syndicales

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Martin Veilleux

 

Partie requérante

 

 

 

et

 

 

 

Fromage Côté S.A.

 

Partie intéressée

 

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

 

Partie intervenante

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

 

 

[1]                Le 4 juin 2007, monsieur Martin Veilleux (le travailleur) dépose une requête par laquelle il demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser une décision qu'elle a rendue le 20 avril 2007.

[2]                Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révision qu'il a déposée à l'encontre d'une décision qu'elle a rendue le 27 juillet 2004 par laquelle elle confirme une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 14 octobre 2003 à la suite d'une révision administrative et déclare qu'il n'a pas subi une lésion professionnelle le 6 novembre 2002.

[3]                La Commission des lésions professionnelles a tenu une audience à Longueuil le 9 janvier 2008 en présence du représentant de monsieur Veilleux. Ce dernier n'était pas présent. Fromage Côté S.A. (l'employeur) et la CSST n'étaient pas représentés à l'audience.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]                Monsieur Veilleux prétend que la décision rendue le 20 avril 2007 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider. Il demande de la réviser et de révoquer la décision rendue le 27 juillet 2004 afin de lui permettre de produire une preuve sur l'étiologie de la lésion cervicale dont il souffre.

LES FAITS

[5]                En décembre 2002, monsieur Veilleux présente à la CSST une réclamation pour faire reconnaître une lésion professionnelle survenue le 6 novembre 2002 dans l'exercice de son emploi de journalier chez l'employeur. Sa réclamation est fondée sur des rapports médicaux faisant état du diagnostic de cervicobrachialgie droite, de dérangement intervertébral mineur et de surmenage du trapèze droit. Il relie sa lésion au travail qu'il effectue, lequel consiste à empaqueter des sacs de fromage dans des boîtes.

[6]                Le 26 février 2003, la CSST refuse sa réclamation. Elle décide qu'il ne s'agit pas d'une lésion résultant d'un accident du travail ni d'une maladie professionnelle. Elle confirme sa décision le 14 octobre 2003 à la suite d'une révision administrative. Monsieur Veilleux en appelle à la Commission des lésions professionnelles.

[7]                Le 23 juin 2004, la Commission des lésions professionnelles tient une audience au cours de laquelle monsieur Veilleux est appelé à témoigner pour expliquer les tâches qu'il accomplit dans l'exercice de son travail et les circonstances dans lesquelles s'est manifestée sa lésion. Dans la décision qu'elle rend le 27 juillet 2004, la Commission des lésions professionnelles rejette son appel et confirme la décision de la CSST.

[8]                Après avoir écarté l'hypothèse d'un accident du travail, l'application de la présomption prévue à l'article 29 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles [1](la loi) et l'hypothèse qu'il s'agisse d'une maladie caractéristique de son travail, la commissaire (la première commissaire) conclut que la preuve n'établit pas que la maladie dont souffre monsieur Veilleux est reliée aux risques particuliers de son travail, au sens de l'article 30 de la loi. Elle motive sa conclusion par les considérations suivantes :

[32]      Reste donc à déterminer si le travail exercé par le travailleur comporte les risques particuliers de souffrir d’une cervico-brachialgie et/ou d’un DIM cervical et/ou surmenage du trapèze droit  Sur cette question, le travailleur n’offre aucune preuve de nature médicale, à l’exception d’une note écrite par le docteur F. Morin en date du 15 décembre 2002 et qui se lit comme suit : cervico-brachialgie D. surmenage trapèze, sec. gestes répétitifs.

 

[33]      Malgré son statut de tribunal spécialisé, la Commission des lésions professionnelles ne peut pallier à l’absence de preuve au soutien d’une réclamation.  En l’instance, la note du docteur Morin, n’explique pas la relation qui pourrait exister entre les gestes effectués au travail et la lésion diagnostiquée.   Le tribunal, à maintes reprises, a indiqué qu’une preuve de concomitance entre des tâches et une lésion ne constitue pas une preuve de relation médicale entre ces tâches et cette lésion. 

 

[34]      D’autant plus qu’en l’instance, il est particulièrement difficile de conclure à une telle relation médicale puisque le travailleur exerce les mêmes tâches depuis un an avant l’apparition de ses douleurs.  Aussi, même s’il est établi que la cadence a été augmentée, celle-ci l’a été en février 2002, soit huit mois avant l’apparition des douleurs.  Enfin, alors que le docteur Morin souligne un «surmenage du trapèze secondaire à des gestes répétitifs», comment expliquer que le travailleur continue à se plaindre d’une douleur dans le même territoire alors qu’il a cessé ses activités professionnelles depuis plus de dix-huit mois. 

 

[35]      La Commission des lésions professionnelles ne doute pas du témoignage du travailleur lorsque celui-ci explique ses symptômes.  Cependant, elle ne détient pas la preuve pour conclure que ces symptômes ont été causés par les gestes effectués chez l’employeur.

 

 

[9]                Le 9 septembre 2004, monsieur Veilleux dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il demande la révision de la décision. Pour différentes raisons, l'audience, qui était prévue, a dû être reportée et n'a finalement pas été tenue. Les représentants de monsieur Veilleux et de l'employeur ont transmis des argumentations écrites et la décision a été rendue sur dossier.

[10]           Au soutien de la requête, le représentant de monsieur Veilleux invoque différents arguments dont l'un concerne le paragraphe 33 de la décision initiale du 27 juillet 2004 où la commissaire écrit que « Malgré son statut de tribunal spécialisé, la Commission des lésions professionnelles ne peut pallier à l'absence de preuve au soutien d'une réclamation ». Il lui reproche d'avoir refusé « d'exercer les pouvoirs d'enquête dont elle est investie qui lui permettent de pallier les lacunes d'une preuve afin que justice soit rendue ».

[11]           Il réfère à deux décisions de la Commission des lésions professionnelles : Hydro-Québec et Gagné[2] et Aubut et S. Rossy inc. (Dollarama)[3].

[12]           En réponse à cet argument, la représentante de l'employeur soumet ce qui suit :

            L'article 378 L.A.T.M.P. a été souvent invoqué, discuté et même fait l'objet de procédures en révision. Il découle de la jurisprudence que la Commissaire à l'audience a les pouvoirs suivants :

 

a)    Avoir ou non un assesseur médical à l'audience;

b)    Intervenir fréquemment ou passivement à l'audience;

c)    Compléter la preuve par de la jurisprudence non déposée par les parties;

d)    Ordonner qu'un témoin se présente devant lui;

e)    Ordonner la production de documents existants après l'audience;

f)     Ordonner le dépôt de documents médicaux existants;

 

            Or, les Commissaires ont eu à se questionner à savoir si de « pallier à une preuve déficiente » allait même jusqu'à ordonner la production de documents inexistants. C'est l'objet de la demande de révision pour cause dans L'espérance et Montupet Ltée, car le Commissaire a ordonné que le travailleur fasse évaluer ses limitations fonctionnelles et dépose ladite expertise à la CLP. Le Commissaire Neuville Lacroix a renversé la décision du premier Commissaire en rappelant que les pouvoirs d'enquête n'allaient pas jusqu'à exiger une nouvelle preuve, mais uniquement une preuve existante.

 

            Lespérance et Montupet ltée, 197429-62C-0301, 04-03-31

 

            Me Danakas était sans aucun doute une jeune avocate, mais elle a fait un travail honnête pour le travailleur, et la Commission a bien sûr fait son travail d'enquête et posé plusieurs questions au travailleur pour en savoir plus sur sa demande devant le Tribunal. Me … a donc pallié au manque de preuve et a exercé son pouvoir d'enquête et obtenu du travailleur, par ses questions, les éléments qui lui étaient nécessaires pour rendre sa décision.

 

            C'est ce que nous comprenons également de la jurisprudence déposée par Me Bovet, car dans Aubut et Dollorama. Dans cette affaire, la Commissaire Desbois a du poser et même dirais-je interroger la travailleuse pour en savoir plus sur les mouvements faits au travail et sur ses tâches pour pouvoir se prononcer sur la possibilité de se causer un STC. Car malgré le fait qu'au paragraphe 7 elle mentionne que la preuve est incomplète quant aux facteurs de risque associés aux pathologies invoquées et qu'il n'y a aucune opinion médicale, on constate à la lecture de la décision qu'aucune opinion médicale n'est traitée, mais plutôt uniquement des facteurs de risques.

 

            De même dans Hydro-Québec, le Commissaire a ordonné une réouverture d'enquête à la demande du représentant du travailleur qui désirait faire entendre un nouveau témoin à la lumière de données de production « existantes ». Dans notre cas aucune demande de réouverture d'enquête n'a été déposée ou n'a été nécessaire dans les faits, car toutes les données de production, ainsi que les feuilles de temps du travailleur ont été déposées lors de l'audience par le témoin de l'employeur.

 

            Donc, malgré les pouvoirs généraux d'enquête des Commissaires découlant à la fois de l'article 378 L.A.T.M.P. et la Loi sur les commissions d'enquête, L.R.Q., c. C-37. Rien ne pourrait permettre à la Commissaire d'exiger que soit déposée devant elle une opinion médicale tel que le demande le travailleur. [sic]

 

 

[13]           En réplique, le représentant de monsieur Veilleux reconnaît que la première commissaire a exercé ses pouvoirs d'enquête en posant des questions à monsieur Veilleux, mais il réitère qu'elle ne les pas exercés jusqu'au bout. Selon lui, elle aurait dû signaler à monsieur Veilleux l'absence de preuve sur l'étiologie de sa lésion et lui permettre de produire une expertise pour y remédier ou combler l'absence de preuve en recourrant à sa connaissance « quasi-judiciaire ».

[14]           Enfin, il formule les commentaires suivant sur la décision Lespérance à laquelle réfère la représentante de l'employeur :

À l'appui de sa position voulant que la compétence de la CLP en matière de procédure inquisitoire se limite à poser des questions à un témoin pour clarifier certains éléments de preuve ou à obtenir d'une personne des documents qui sont déjà en sa possession, Me Lauzon invoque la décision que la CLP a rendue dans l'affaire François L'espérance et Montupet ltée.

 

À mon avis, la position de principe que la CLP soutient aux paragr. 76 à 79 de cette décision est mal fondée pour les motifs suivants :

 

1.    le commissaire ayant rendu cette décision passe complètement sous silence la jurisprudence dans la décision Hydro-Québec et Benoît Gagné à laquelle j'ai fait référence plus haut ; et

 

2.    il fait fi complètement de l'intention que le législateur a manifestée en cette matière lorsqu'il a rédigé l'article 429.40 de la LATMP.

 

            Cf. Y. Ouellette, op. cit. p. 109. Avant-dernier paragr.

 

 

[15]           Le 20 avril 2007, la Commission des lésions professionnelles rejette la requête en révocation de monsieur Veilleux. Le commissaire qui rend la décision (le deuxième commissaire) rejette l'argument concernant les pouvoirs d'enquête de la première commissaire par les considérations suivantes :

[44]      Le représentant du travailleur reproche à la première commissaire d’avoir refusé de signaler l’absence ou l’insuffisance de preuve quant à l’étiologie du dérangement intervertébral mineur cervical et qu’en affirmant qu’elle ne peut palier à l’absence de preuve, elle refuse d’exercer les pouvoirs d’enquête dont elle est investie et qui lui permettent de palier aux lacunes d’une preuve, afin que justice soit rendue.

 

[45]      À cet effet, tout comme l’a signalé l’employeur dans son argumentation, la Commission des lésions professionnelles réfère à la décision qu’elle a rendue dans l’affaire L’Espérance et Montupet ltée10, décision dans laquelle elle précise que selon l’article 378 de la loi et les articles 6 et 9 de la Loi sur les commissions d’enquête11, les pouvoirs du commissaire visent à obtenir les informations requises et les documents qui sont en possession d’une personne, mais cela ne va pas jusqu’à obtenir une preuve additionnelle.

 

[46]      La Commission des lésions professionnelles précise également qu’elle ne peut, sous prétexte de son pouvoir d’enquête, chercher à obtenir une preuve additionnelle ou d’ajouter de la preuve, parce que cela n’est pas son rôle.

__________

10             197429-62C-0301, 04-03-31, N. Lacroix, (03LP-305)

11             L.R.Q., c. C-37

 

 

[16]           Le 4 juin 2007, monsieur Veilleux demande la révision de cette décision et par le fait même, la révocation de la décision rendue le 27 juillet 2004. Son représentant soumet que le deuxième commissaire commet la même erreur que la première commissaire. Il expose ce qui suit dans la requête :

En affirmant que la CLP «ne peut, sous prétexte de son pouvoir d'enquête, chercher à obtenir une preuve additionnelle ou d'ajouter de la preuve, parce que ce n'est pas son rôle» le commissaire … a commis, selon moi, la même erreur que la commissaire … quant à une question relative à la compétence de la CLP.

 

En effet, le commissaire … soutient que la CLP n'a

 

- ni le pouvoir «de chercher à obtenir une preuve additionnelle» en signifiant à une partie l'absence ou l'insuffisance de preuve quant à un élément essentiel du litige ;

 

- ni le pouvoir «d'ajouter de la preuve en puisant dans sa connaissance quasi-judiciaire, en visitant un poste de travail ou en ordonnant une expertise.

 

Autrement dit, à l'instar de la commissaire …, le commissaire …. soutient que la CLP ne peut, en aucune circonstance, s'immiscer dans la preuve des parties et doit rester passive même face à une absence ou une insuffisance de la preuve manifeste quant à un élément essentiel du litige alors qu'il est reconnu que la nature rémédiatrice de la LATMP, la mission d'ordre public de la CLP et les vastes pouvoirs dont sont investis ses commissaires font en sorte que ces derniers ont un rôle plus ou moins actif à jouer, selon les circonstances propres à chaque affaire, dans la recherche de la vérité afin que justice soit rendue.

 

À mon avis, l'erreur que le commissaire … a commise quant à cette question relative à la compétence de la CLP constitue un vice de fond de nature à invalider sa décision du 20 avril 2007, tout comme celle que la commissaire … a commise constitue un vice de fond de nature à invalider sa décision du 27 juillet 2004.

 

 

[17]           Lors de l'audience, le représentant de monsieur Veilleux soumet que dans la mesure où il s'agit d'une question de compétence, c'est le critère de l'erreur simple qui est applicable pour déterminer s'il y a ouverture à la révision.

[18]           Il invoque de plus l'insuffisance de la motivation de la décision en soumettant que le deuxième commissaire ne fait que reprendre à son compte la position adoptée dans la décision Lespérance, sans discuter des commentaires qu'il a formulés à l'égard des deux décisions auxquelles il a référé et sans prendre en considération que la décision Lespérance est une décision isolée.

L’AVIS DES MEMBRES

[19]           Le membre issu des associations d'employeurs et la membre issue des associations syndicales sont d'avis que la requête doit être rejetée. Ils estiment que la décision est suffisamment motivée et qu'elle ne comporte aucune erreur qui justifie sa révision.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[20]           La Commission des lésions professionnelles doit décider s'il y a lieu de réviser la décision rendue le 20 avril 2007.

[21]           Le pouvoir de la Commission des lésions professionnelles de réviser ou de révoquer une décision qu'elle a rendue est prévu par l'article 429.56 de la loi, lequel se lit comme suit :

429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1°   lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2°   lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3°   lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[22]           Cet article apporte une dérogation au principe général énoncé par l'article 429.49 de la loi voulant qu’une décision de la Commission des lésions professionnelles soit finale et sans appel. Une décision ne peut être révisée ou révoquée que si l’un des motifs prévus par l’article 429.56 est établi.

[23]           Monsieur Veilleux invoque le troisième motif, soit que la décision rendue le 20 avril 2007 comporte un vice de fond qui est de nature à l'invalider

[24]           La notion de « vice de fond qui est de nature à invalider une décision » est assimilée par la jurisprudence à une erreur manifeste de fait ou de droit qui a un effet déterminant sur le sort du litige[4]. C'est ce critère et non celui de l'erreur simple, comme le plaide le représentant de monsieur Veilleux, qu'elle applique lorsque l'erreur alléguée concerne la compétence de la Commission des lésions professionnelles. Il va de soi cependant qu'une erreur qui affecte sa compétence constitue une erreur manifeste et déterminante qui justifie la révision ou la révocation de la décision.

[25]           La jurisprudence précise par ailleurs que le vice de fond qui donne ouverture à la révision d'une décision ne peut concerner une question d'appréciation de la preuve ni d'interprétation des règles de droit parce que le recours en révision n'est pas un second appel[5]. Enfin, elle demande de faire preuve de retenue dans l'exercice du pouvoir de révision[6].

[26]           Comme premier argument, le représentant de monsieur Veilleux reproche au deuxième commissaire d'avoir commis la même erreur que la première commissaire en retenant que les pouvoirs d'un commissaire ne lui permettent pas d'obtenir une preuve additionnelle, après qu'il ait signalé à une partie les lacunes de sa preuve, ou d'ajouter de la preuve en puisant dans sa connaissance spécialisée.

[27]           Il s'agit essentiellement du même argument que celui qui a été soumis à l'appui de la requête en révision de la décision rendue le 27 juillet 2004 par la première commissaire et qui n'a pas été retenu par le deuxième commissaire.

[28]           La jurisprudence a établi que l'exercice du recours en révision ne peut être répété ad infinitum. Il est possible qu'une requête en révision soit présentée à l'encontre d'une première décision en révision, mais les motifs invoqués au soutien de cette deuxième requête doivent être différents de ceux qui ont été rejetés dans la première décision. Si la partie demeure insatisfaite de la décision, c'est par une demande de révision judiciaire qu'elle peut tenter d'avoir gain de cause et non par une deuxième requête en révision[7]. Cet argument ne peut donc pas être retenu.

[29]           Comme deuxième argument, le représentant de monsieur Veilleux prétend que la décision n'est pas suffisamment motivée du fait que le deuxième commissaire se limite à reprendre à son compte la position adoptée dans la décision Lespérance, sans discuter des commentaires qu'il a formulés en regard de cette décision et sans prendre en considération qu'il s'agit d'une décision isolée.

[30]           L'absence de motivation d'une décision constitue un vice de fond qui justifie sa révocation. Ce n'est pas le cas de la motivation qui peut paraître insuffisante parce que brève et succincte, à moins que l'insuffisance soit telle qu'elle équivaille à une absence de motivation. Selon la jurisprudence, pour qu'une décision soit suffisamment motivée, il faut qu'on puisse en comprendre les fondements, et ce, en tenant compte de l'intégralité de la décision[8].

[31]           Monsieur Veilleux reprochait, à toutes fins utiles, à la première commissaire de ne pas lui avoir donné l'occasion de bonifier sa preuve par l'obtention d'une expertise après l'audience et le deuxième commissaire retient qu'un commissaire n'a pas le pouvoir d'obtenir une telle preuve additionnelle, en appuyant sa conclusion sur la décision que la Commission des lésions professionnelles a rendue dans l'affaire Lespérance.

[32]           Dans cette perspective, la décision est suffisamment motivée parce que le deuxième commissaire répond à la prétention de monsieur Veilleux en expliquant la raison pour laquelle il la rejette.

[33]           Il est possible qu'un autre commissaire en soit venu à une conclusion différente sur les pouvoirs de la Commission des lésions professionnelles, mais cela ne donne pas ouverture pour autant à la révision de la décision puisqu'il y a place à interprétation. Contrairement à ce que plaide le représentant de monsieur Veilleux, il ne s'agit pas à proprement parler d'une question de compétence de la Commission des lésions professionnelles qui justifierait la révision ou la révocation de la décision en cas d'erreur, mais plutôt d'une question qui concerne les pouvoirs dont elle dispose pour l'exercice de sa compétence.

[34]           À cet égard, le tribunal tient à préciser que le reproche qui est adressé par le représentant de monsieur Veilleux à la première commissaire n'est pas fondé. Si la loi confère au commissaire des pouvoirs d'enquête, qui lui permettent d'intervenir au niveau de la preuve en posant des questions ou encore en requérant le dépôt de différents documents, l'exercice de ces pouvoirs demeure discrétionnaire et de manière générale, le commissaire n'a pas l'obligation d'y recourir[9].

[35]           Dans la même veine, si un commissaire peut signaler à une partie qu'elle n'a pas soumis de preuve sur un des éléments de l'objet du litige, il n'a pas l'obligation de lui faire part, en cours d'audience, de l'appréciation qu'il fait de la preuve qu'elle lui a soumise. Comme l'indique la Cour d'appel dans l'arrêt Rivest et Bombardier inc. (Centre de finition)[10], c'est dans la décision qu'il rend qu'il consigne les conclusions qu'il retient de son appréciation de la preuve et il n'a pas à les révéler à qui que ce soit auparavant parce que cela relève du délibéré.

[36]           Dans le présent cas, monsieur Veilleux a soumis une preuve sur la relation existant entre sa maladie et son travail par son témoignage sur les tâches que comportait son travail et par le dépôt d'un rapport médical dans lequel son médecin établit une relation entre sa maladie et des mouvements répétitifs. La première commissaire a estimé que la preuve demeurait insuffisante pour démontrer l'existence de cette relation, ce qui est une conclusion qui résulte de son appréciation de la preuve qui lui a été soumise.

[37]           Accepter la prétention du représentant de monsieur Veilleux pourrait conduire à une situation absurde où un commissaire, à la limite, ne serait jamais en mesure de rendre sa décision parce que constamment appelé à signaler à une partie que la preuve qu'elle a soumise demeurait insuffisante pour lui donner raison.

[38]           Par ailleurs, si la Commission des lésions professionnelles dispose d'une connaissance spécialisée en matière de lésions professionnelles qui fait en sorte qu'elle est plus familière qu'un tribunal généraliste avec certaines notions qui lui permettent d'apprécier les éléments factuels et médicaux d'un litige qu'elle est appelée à trancher, cela n'a pas pour effet de dispenser le travailleur de son obligation de démontrer par une preuve prépondérante qu'il a subi une lésion professionnelle, comme semble le prétendre le représentant de monsieur Veilleux.

[39]           En l'espèce, la première commissaire ne fait pas que constater qu'il n'y a pas de preuve de relation médicale entre la maladie et le travail de monsieur Veilleux, elle indique les raisons pour lesquelles elle estime que cette relation n'est pas établie et elle retient notamment qu'il continue de se plaindre d'une douleur dix-huit mois après avoir arrêté de travailler, ce qui ne militait pas, à prime abord, en faveur de l'existence d'une relation.

[40]           Cela ayant été précisé, le tribunal ne voit pas en quoi le fait que le deuxième commissaire se soit limité à reprendre à son compte la position adoptée dans la décision Lespérance a pour effet de rendre la décision révisable, comme le prétend le représentant de monsieur Veilleux. La décision de la Cour supérieure Rodrigue c. Commission des lésions professionnelles[11] qu'il a déposée concerne une situation différente puisque dans cette affaire, la commissaire avait seulement reproduit avec approbation les motifs énoncés par le réviseur dans la décision de la CSST qui était contestée, sans faire aucune référence dans ses motifs à la preuve qui lui avait été soumise lors de l'audience.

[41]           Enfin, selon la jurisprudence[12], l'obligation de motiver suffisamment une décision n'implique pas que le commissaire doive discuter et tous les arguments soumis par une partie. Le fait que le deuxième commissaire n'ait pas répondu aux commentaires que le représentant de monsieur Veilleux a formulés en regard de la décision Lespérance n'a donc pas pour effet d'invalider la décision.

[42]           Après considération des arguments soumis par son représentant, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que monsieur Veilleux n'a pas démontré que la décision rendue le 20 avril 2007 comporte un vice de fond qui justifie sa révision et en conséquence, que sa requête doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE la requête en révision de monsieur Martin Veilleux.

 

 

__________________________________

 

Claude-André Ducharme

 

Commissaire

 

 

 

Me Claude Bovet

Représentant de la partie requérante

 

 

Me Michel Larouche

Groupe AST inc.

Représentant de la partie intéressée

 

 

Me Lucie Rouleau

Panneton Lessard

Représentante de la partie intervenante

 



[1]           L.R.Q. c. A-0003.

[2]           [2002] C.L.P. 59

[3]           C.L.P. 219156

[4]           Produits forestiers Donohue inc. et Villeneuve, [1998] C.L.P. 733 ; Franchellini et Sousa, [1998] C.L.P. 783 .

[5]           Sivaco et C.A.L.P., [1998] C.L.P. 180 ; Charrette et Jeno Neuman & fils inc., C.L.P. 87190-71-9703, 26 mars 1999, N. Lacroix.

[6]           Bourassa c. Commission des lésions professionnelles, [2003] C.L.P. 601 (C.A.); Commission de la santé et de la sécurité du travail et Fontaine, [2005] C.L.P. 626 (C.A.); Savoie et Camille Dubois (fermé), C.L.P. 224235-63-0401, 12 janvier 2006, L. Nadeau.

[7]           Industries Cedan inc. et CSST C.L.P. 75963-62-9512, 26 mai 1999, N. Lacroix; Zoom réseau d'affichage intérieur et CSST, [2000] C.L.P. 774 ; Rivard et C.L.S.C. des Trois vallées, C.L.P. 137750-64-0005, 31 juillet 2001, S. Di Pasquale.

[8]           Drouin et Goodyear Canada inc., C.L.P. 295637-62C-0608, 22 novembre 2007, J.-F. Clément; Lomex inc. et Gonzales, C.L.P. 254852-71-0502, 11 janvier 2008, S. Di Pasquale.

[9]           Deslandes et Plomberie Gaston Côté, C.A.L.P. 56088-62-9401, 25 octobre 1996, S. Di Pasquale (décision sur requête en révision), requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-026996-965, 14 mars 1997, j. Tessier.

[10]         C.A. 500-09-016759-060, 7 mai 2007, jj. Chamberland, Dutil, Côté.

[11]          C.S. Montréal, 500-17-035647-075, 18 décembre 2007, j. Léger.

[12]          Précitée, note 9

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