Kosoian c. Laval (Ville de) |
2015 QCCQ 7948 |
|||||
COUR DU QUÉBEC |
||||||
|
||||||
CANADA |
||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
||||||
DISTRICT DE |
LAVAL |
|||||
« Chambre civile » |
||||||
N° : |
540-22-013703-094 |
|||||
|
||||||
DATE : |
11 août 2015 |
|||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DU |
JUGE |
DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
|
||||||
BELA KOSOIAN, |
||||||
Demanderesse |
||||||
c. |
||||||
VILLE DE LAVAL, -et- FABIO CAMACHO, -et- SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE MONTRÉAL (STM), |
||||||
Défendeurs |
||||||
|
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
JUGEMENT |
||||||
______________________________________________________________________ |
||||||
|
||||||
[1] Bela Kosoian, ci-après désignée «Kosoian[1]», réclame 24 000 $ au policier Fabio Camacho, ci-après désigné «Camacho», et à la Ville de Laval, son employeur, pour dommages moraux, douleurs, souffrances, inconvénients et dommages exemplaires. Elle prétend avoir fait l’objet d’une arrestation illégale.
[2] Kosoian réclame aussi 45 000 $ de la Société de transport de Montréal, ci-après désignée «STM», pour dommages moraux et punitifs pour la faute commise par son préposé.
LES QUESTIONS EN LITIGE:
[3] Les principales questions en litige sont les suivantes:
- Quelle est l’interprétation à donner à un pictogramme installé devant les marches d’un escalier roulant de la station de métro Montmorency?
- S’agit-il d’une recommandation ou d’une interdiction?
- Kosoian a-t-elle été victime d’une arrestation abusive et illégale?
- Les défendeurs ont-ils commis une faute en regard des règles de la responsabilité civile?
- Quelles sont les règles du fardeau de preuve applicables?
- Y a-t-il lieu à indemnisation?
LE CONTEXTE:
[4] Les faits les plus pertinents retenus par le Tribunal sont les suivants.
[5] Au moment des faits pertinents, le 13 mai 2009, Kosoian est une femme de 38 ans d’origine arménienne, mariée et mère de deux enfants.
[6] Camacho est policier pour la Ville de Laval et chargé de patrouiller la station de métro Montmorency.
[7] Il est accompagné par Éric Alary, également policier pour la Ville de Laval.
[8] Kosoian décrit la trame factuelle comme suit.
[9] Le 13 mai 2009 à 17 h 05, elle descend l’escalier roulant de la station de métro Montmorency. Sa destination est l’Université du Québec à Montréal.
[10] Elle possède un sac à dos dans lequel sont, notamment, son ordinateur portable, ses livres, son portefeuille et ses pièces d’identité.
[11] Elle dépose ce sac au sol devant elle. À l’audience, elle indique que son sac à dos se retrouve soit sur ses pieds ou directement sur la marche devant elle, sans trop se souvenir exactement où il est.
[12] Elle se penche vers l’avant, y cherche un billet de 5 $, pour remettre ensuite son sac sur ses épaules.
[13] Un policier descend à sa gauche jusqu’au bas de l’escalier roulant. Cet escalier est très long, il faut compter environ une minute pour faire la course de haut en bas, où le guichet de paiement des droits de transport se trouve.
[14] Un deuxième policier passe à sa gauche à quelques centimètres d’elle.
[15] Lorsqu’il se situe tout juste à deux marches plus bas, il lui parle, mais elle ne comprend pas bien ce qu’il lui dit.
[16] Il regarde de son côté. Il s’agit de l’agent Camacho. Elle présume qu’il veut qu’elle tienne la main courante.
[17] Elle sait qu’il existe un pictogramme jaune où il est écrit «attention» tout juste en haut, à l’entrée de l’escalier roulant.
[18] Elle répond à Camacho qu’elle choisit de ne pas tenir la main courante. En fait, elle a peur d’être contaminée par les microbes, notamment par le virus de la grippe H1N1.
[19] Pour elle, il n’est pas obligatoire de tenir la main courante suivant ce pictogramme.
[20] C’est la seule chose que Camacho lui demande.
[21] Devant son refus, il exige ses pièces d’identité.
[22] Elle aperçoit l’agent Alary qui remonte à contresens les marches de l’escalier roulant en leur direction.
[23] Kosoian soutient que dès lors, les deux policiers la prennent de force par les bras en la dirigeant vers une porte blindée au bas de l’escalier.
[24] Elle ne comprend pas ce qui se passe, demande des explications sans en recevoir.
[25] Les discussions se déroulent à la demie de l’escalier. À l’audience, elle dit qu’elle ne se souvient pas si les policiers discutent d’autre chose avec elle jusqu’en bas.
[26] Elle soutient qu’on ne lui a jamais donné la raison de l’intervention.
[27] Dans le cadre de sa requête introductive d’instance ré-amendée, nous pouvons lire :
«12. Quand la Demanderesse s’aperçoit que les policiers veulent la séquestrer dans un coin hors de vue du public, elle les informe de sa volonté d’appeler un avocat tout en demandant les motifs de sa détention sans en recevoir la réponse;
13. Les policiers poussent ensuite violemment la Demanderesse dans la cellule et la restreignent physiquement pour s’emparer de son sac à dos;
14. Dans cette salle de détention, seuls la demanderesse et les deux policiers s’y trouvent;»
(Soulignements dans le texte)
[28] Au procès, elle dit qu’elle ne sait pas combien de temps les policiers l’ont prise de force par le bras, ni à partir quel endroit.
[29] Elle insiste sur le fait que les policiers ne répondent pas à ses demandes relativement aux raisons pour lesquelles ils agissent ainsi.
[30] Dès qu’elle se trouve à l’intérieur de la salle privée située au bas de l’escalier roulant, elle se sent comme en prison. Il y a des chaises, une table et même une cellule.
[31] Elle a très peur puisque les deux hommes ne s’identifient pas. Elle ne sait pas qu’il s’agit de policiers. Elle pense qu’ils sont vêtus de noir. Immédiatement, elle leur dit qu’elle veut appeler un avocat.
[32] Elle soutient que c’est à ce moment-là que le ton et la violence augmentent. Camacho met son pied sur le sien en appuyant fermement avec son soulier. Il la pousse, lui enlève son sac sans qu’elle ne comprenne pourquoi elle est traitée de cette façon. Il la menotte et la force à s’asseoir sur une chaise avec les bras croisés derrière le dos.
[33] Les policiers procèdent à la fouille de son sac sans son consentement. Elle soutient qu’à plusieurs reprises elle leur demande de connaître les motifs de cette détention sans jamais recevoir de réponse des agents.
[34] Ils ne l’informent pas pour quelle raison elle est en état d’arrestation. Les chaises sont vissées au sol et elle est dans une pièce exiguë.
[35] Les policiers l’informent finalement qu’elle est détenue pour ne pas avoir suivi la consigne d’un pictogramme de la STM l’obligeant à tenir la main courante de l’escalier roulant.
[36] Elle voit Camacho écrire des constats d’infraction et tente de se lever pour voir ce qu’il fait. Il lui indique qu’il y a une caméra vidéo au plafond de la pièce. Elle l’aperçoit du côté gauche. On lui dit que si elle se lève encore de sa chaise, elle sera placée dans la cellule.
[37] Après plus de 30 minutes de détention dans les locaux de la STM, les policiers la remettent en liberté. Elle reçoit deux constats d’infraction. Un premier de 100 $ pour avoir désobéi à un pictogramme et le second de 320 $ pour avoir dérangé le travail d’un inspecteur. Ce sont ses paroles.
[38] Pour Kosoian, il est déraisonnable et disproportionné de mettre une personne en état d’arrestation pour ne pas avoir tenu la rampe d’un escalier roulant, de la menotter et de la garder en détention pendant une période de temps prolongée.
[39] Pour elle, il s’agit d’un abus de droit flagrant des policiers qui ne l’ont pas informée de la raison pour laquelle ils l’ont prise de force et amenée dans une salle de détention, malgré ses multiples demandes pour savoir pourquoi ils agissaient ainsi.
[40] Elle ajoute que Camacho a utilisé une contrainte physique déraisonnable dans les circonstances, notamment en lui infligeant intentionnellement de la douleur principalement à son pied et ses poignets menottés.
[41] Il s’agit pour elle d’une détention arbitraire et d’une arrestation illégale qui doivent être financièrement compensées.
[42] Selon elle, la Ville de Laval est solidairement responsable puisqu’elle est l’employeur de Camacho. Elle reproche à la Ville de Laval de ne pas avoir donné suffisamment d’instructions et d’enseignements à ses policiers pour empêcher pareils incidents.
[43] Elle dit subir un stress psychologique important depuis l’incident. Elle soutient avoir été humiliée et traitée de façon déraisonnable et agressive vu la nature de la supposée infraction. On a ainsi porté atteinte à sa dignité et son honneur.
[44] Dès qu’elle est relâchée, elle se rend à l’Université du Québec à Montréal puisque ses cours y débutent à 18 heures.
[45] En route, elle téléphone à son époux, Richard Philip Church, pour lui raconter toute l’histoire.
[46] Elle prend aussitôt des photos de ses blessures.
[47] Dès la fin de ses cours, en soirée, elle se dirige à son domicile. Elle y reste quelques minutes avant de quitter pour rencontrer des amis. Elle a besoin de discuter de la situation. Elle ne réussit pas à dormir convenablement cette nuit-là.
[48] Le lendemain, 14 mai, elle consulte un médecin à la suite de l’incident en raison de son important traumatisme psychologique. Elle rencontre le docteur Pierre Leduc et lui décrit la situation.
[49] Elle estime avoir subi un stress post-traumatique. Le docteur Leduc lui prescrit, selon ses dires, un «puissant médicament contre l’anxiété».
[50] Ensuite, elle continue ses démarches médicales puisqu’elle est sous le choc et incapable de dormir les jours suivants.
[51] Elle retourne sur les lieux, au métro Montmorency, pour discuter avec des gens et tenter de trouver des témoins de la scène.
[52] Elle parle avec certains représentants des médias convoqués par son conjoint sur les lieux.
[53] Le 15 mai, elle discute encore avec des journalistes. Elle fait appel aux médias pour dénoncer cette situation épouvantable. Elle donne plusieurs interviews.
[54] Elle dit être traumatisée et ne plus vouloir prendre les escaliers roulants étant donné ce qu’elle a vécu.
[55] Elle reproche aux policiers d’avoir agi comme si nous vivions dans un état totalitaire.
[56] Elle consulte dans les jours suivants le docteur Giao Chi Nguyen (P-6). Elle a demandé la prise de radiographies de ses poignets. Heureusement, tout est normal.
[57] Le 27 juin 2009, elle demande à la STM une copie de la vidéo des événements. Le 30 juin 2009, elle reçoit une lettre de la STM indiquant (P-16) :
«[…] Pour faire suite à votre demande d’accès reçue à nos bureaux le 26 juin 2009, nous vous informons que nous sommes dans l’impossibilité de vous transmettre l’enregistrement car la demande de retrait de l’enregistrement a été faite hors délai.
En effet, le délai de conservation des enregistrements est de 120 heures (5 jours) […].»
[58] Elle fait d’autres démarches pour obtenir cette bande vidéo, mais en vain.
[59] Elle soutient aussi que lorsque les représentants tant de la Ville de Laval que de la STM répondent aux journalistes, elle se sent humiliée et que leurs paroles portent atteinte à sa réputation.
[60] Dans les notes du docteur Pierre Leduc, nous lisons (P-6) :
«Dans la matinée du 14 mai 2009 je vois, au sans rendez-vous du MédiCentre Chomedey, Madame Kosoian. Elle se présente car elle dit avoir été brutalisée par des policiers au Métro Montmorency.
Selon la cliente, elle descendait l’escalier mobile sans tenir la rampe. Les policiers l’auraient interpellée pour lui donner un billet d’infraction. La cliente me dit qu’on a appuyé fortement sur son pied gauche et qu’on l’aurait menotté. La cliente est en état de choc et pleure abondamment. Elle aurait reçu un billet de contravention au montant de 400,00$.
L’examen du pied gauche démontre une rougeur sans signe de fracture. Je note aussi des rougeurs aux poignets gauche et droit secondaires au port des menottes. La cliente est inquiète et craint avoir attrapé le virus de l’Hépatite suite au port des menottes. Je la rassure sur ce point.
Au congé, je lui prescrit 10 comprimés d’Ativen 0,5 mgr au coucher et je lui conseille de prendre rendez-vous avec son médecin de famille.
Diagnostic : Anxiété post arrestation et abrasions superficielles aux poignets gauche et droit ainsi qu’au pied gauche.» (sic)
[61] Le 19 mai 2009, elle voit le docteur Nguyen. Il écrit (P-7) :
«[…]
13 mai 2009 a été agressée par police dans métro
N’a pas tenu les rampes en descendant l’escalier
A voulu savoir la raison pourquoi elle a été arrêtée, n’avait pas entendu
l’appel du policier
A été menottée
pied G (gauche) écrasé par bottes du policier
a été retenue dans une cellule
contravention à payer
depuis 1-
pleure
stressée
se sent «sale»
injustice - a fait appel aux médias
a support des avocats publics
insomnie,
fatigue, déconcentrée
incapable de faire ses travaux de l’universite
pas d’idée suicidaire
2- dlr (douleur) aux deux poignets
Baisse de sensation au niveau du poignet D (droit)
Dlr (douleur) + œdème au pied G (gauche)
EXAMEN
PHYSIQUE : affect triste
pleure ++
douleurs aux mvts (mouvements) poignets x2
[…]
IMPRESSION :
état stress post traumatique
Entorse poignet
PLAN : écoute, support, RV (revoir) dans une
semaine
Naprosyn 500 mg […]
Référence psychologue, aide juridique» (sic)
[62] Le 26 mai 2009, elle revoit ce médecin. Ce dernier écrit (P-9) :
«[…] Pas de concentration
Pas d’émotion
Pas de pleurs
Devient irritable
Peur de sortir, évite d’aller au public sauf cours
baisse d’appétit
Douleur main, baisse de force au niveau doigts
Incapable de fermer poings
Na pas pris AINS (anti-inflammatoires non stéroide)
EXAMEN PHYSIQUE : affect N (normal)
Main D (droite) - baisse de flexion au
niveau doigt
IMPRESSION : ESPT (état stress post
traumatique)
tendinite
PLAN : support
psychologue à venir
RV (revoir) 11 juin» (sic)
[63] Le docteur Nguyen, dans son dossier du 11 juin 2009, ajoute (P-10) :
«[…]
HISTOIRE : mieux RV (rendez-vous) psychologue semaine prochaine
Moins anxieuse sommeil OK
Occupée par les examens
Baisse douleur poignet D (droit), pas de paresthésie
Migraines 5 jours/mois
Imitrex - pas efficace
Advil baisse légère
Déménagement début septembre en Ontario
[…]
IMPRESSION :
migraines
ESPT (état stress post traumatique) en voie améliorée
PLAN : Anaprox RV PRN (si besoin) pour examen annuel automne» (sic)
[64] Ce médecin est absent lors de l’audition de cette affaire tenue les 11, 12, 13 et 14 mai 2015. Les parties conviennent alors de procéder par affidavit du médecin dès son retour de vacances. C’est pourquoi il atteste dans sa déclaration solennelle du 28 mai 2015 de la véracité des propos et des rapports ci-avant décrits.
[65] Le délibéré débute donc le 4 juin 2015, après la réception de cet affidavit.
[66] Kosoian soutient être toujours incommodée par des souvenirs traumatisants de l’incident du 13 mai 2009 qui lui occasionnent énormément de stress et d’anxiété.
[67] Elle a également été humiliée par la Ville de Laval qui ne s’est pas excusée après l’incident. Cette dernière a porté atteinte à sa réputation en mentionnant notamment qu’elle était chanceuse de ne pas avoir eu d’accusations criminelles.
[68] Pour tous ses dommages moraux, elle réclame solidairement un montant de 12 000 $ à Camacho et à la Ville de Laval.
[69] Pour les sévices corporels aux pieds et aux poignets et parce qu’elle a dû prendre des anti-inflammatoires très puissants, elle leur réclame 7 000 $ pour douleurs, souffrances et inconvénients.
[70] Pour atteinte à son intégrité et à sa liberté de façon intentionnelle par les policiers, Kosoian réclame 5 000 $ en dommages exemplaires en vertu de l’article 49 de la Charte des droits et libertés de la personne.
[71] Quant à la STM, Kosoian précise qu’elle est une société de transport public exploitant du matériel roulant et des immeubles nécessaires au transport des usagers.
[72] C’est la STM qui a désigné les agents de la paix visés en l’instance responsables de l’application de certains règlements tels qu’adoptés.
[73] Par l’adoption des règlements, mais aussi par leur application et leur diffusion, la STM, par le biais de directives et de pictogrammes affichés, est responsable de l’application de ceux-ci.
[74] Elle reproche à la STM de ne pas lui avoir volontairement donné les bandes des enregistrements des caméras de surveillance pour l’incident du 13 mai 2009.
[75] Elle ajoute que la STM savait ou devait savoir dès le lendemain de l’incident, du moins par le biais des médias, que les bandes vidéo serviraient de preuve à l’une ou l’autre des parties et qu’elle devait prendre tous les moyens nécessaires pour conserver et rendre disponibles les images.
[76] Kosoian soutient que la STM sait que ces bandes vidéo montrent l’intervention des policiers et que par son action ou ses omissions, elle a intentionnellement fait disparaître cette preuve.
[77] En agissant ainsi, elle a commis une faute engageant sa responsabilité civile en la privant d’un élément de preuve qui lui était favorable.
[78] Parce que la STM a agi à titre de poursuivante devant la Cour municipale de Montréal pour les deux constats d’infraction en cause et que les procédures se sont étalées sur trois ans, elle conclut là aussi que la STM a engagé sa responsabilité civile.
[79] Notons qu’elle fut acquittée des accusations pour ses deux constats d’infraction à la Cour municipale de Montréal le 14 mars 2012.
[80] Selon elle, le juge a conclu que la version de Camacho n’était pas crédible et que le constat en lien avec le pictogramme n’établissait pas hors de tout doute raisonnable l’obligation pour Kosoian d’obéir à ce pictogramme.
[81] En somme, Kosoian soutient que la STM a commis trois fautes principales :
a) qu’elle est solidairement responsable de la faute commise par ses mandataires, Camacho et la Ville de Laval, le 13 mai 2009, en permettant d’émettre un constat d’infraction lié au pictogramme et à l’entrave de manière non fondée;
b) en ne prenant pas toutes les dispositions nécessaires pour conserver les bandes vidéo de l’incident, ce qui aurait favorisé la version en demande;
c) en pénalisant et en maintenant les constats d’infraction devant la Cour municipale.
[82] C’est pourquoi elle réclame de la STM 30 000 $ en dommages moraux pour ses souffrances morales, plus 15 000 $ en dommages punitifs pour sa faute intentionnelle.
[83] Richard Phillip Church témoigne. Il est marié à Kosoian depuis 1999.
[84] Il se souvient très bien des événements. Le soir du 13 mai 2009, Kosoian lui téléphone. Elle est très perturbée puisqu’elle vient d’être illégalement arrêtée et violentée.
[85] Elle lui dit qu’elle a été relâchée et qu’elle se dirige à l’université pour ses cours du soir.
[86] Church prend les choses en main dès ce moment-là.
[87] Avant même le retour à la maison de son épouse, il téléphone au poste de police de son quartier. Il veut des informations. On lui dit de téléphoner au 911, ce qu’il fait immédiatement.
[88] Après plusieurs recherches, son investigation ne mène nulle part. On lui dit que personne n’a rapporté d’élément ni d’arrestation dans le métro. Il est renversé.
[89] À l’audience, il dit : «J’étais vraiment frustré.» Il soutient qu’il a demandé à chacune des personnes à qui il a parlé que l’on conserve les bandes vidéo des événements.
[90] Il demande à l’agence de surveillance du métro qu’on lui achemine la preuve vidéo. On lui dit que cela dépasse leur juridiction. On lui suggère aussi de faire une demande auprès de l’«accès à l’information».
[91] Rappelons que c’est immédiatement après la conversation téléphonique qu’il a eue avec son épouse, alors qu’elle est encore à l’université, qu’il commence toutes ses démarches.
[92] Au retour de celle-ci, il prend des photos de ses bras, de ses pieds, photos qui furent mises en preuve.
[93] Il la décrit très agitée. Elle décide de sortir avec une copine sans attendre.
[94] Pour sa part, Church effectue d’autres démarches auprès des journalistes. Il écrit aux médias et une lettre à la STM où il décrit combien il est outré des événements.
[95] Il veut que l’on retire les constats d’infraction remis à son épouse.
[96] Il reçoit des réponses des journalistes le lendemain, le 14 mai. Il accompagne Kosoian chez le médecin et dans le métro pour y rencontrer les médias et tenter de trouver des témoins.
[97] Ce jour-là, il explique qu’il utilise son téléphone intelligent pour prendre des photos des lieux. Il se fait très discret puisqu’il a peur d’être arrêté lui aussi. Il a peur de représailles.
[98] Il utilise une lingette pour prendre des échantillons sur la rampe de l’escalier mobile afin de les faire analyser et démontrer les craintes justifiées de son épouse quant aux maladies possibles, notamment la grippe H1N1.
[99] Il fait des démarches pour obtenir la copie des bandes vidéo, mais en vain.
[100] Il explique la situation des heures suivantes comme un cirque journalistique. Il fait remarquer à plusieurs que les gens descendent sans tenir la rampe de l’escalier mobile.
[101] Les blessures aux poignets et au pied de Kosoian changent de couleur au fil des jours et il est très inquiet pour elle.
[102] Il soutient que l’état mental de Kosoian change, qu’elle est plus repliée sur elle-même et a peur de tout. Il la sent très vulnérable.
[103] Le 14 mai 2009 à 14 h 09, Church dépose une plainte auprès de la STM (D-STM-4). Nous pouvons y lire :
«Type : Comportement abusif / abus de pouvoir [Comportement non souh
Priorité : Moyenne
Reçu le : 14/05/2009 14:09 Provenance : Appel
Saisi par : pporlier
Survenu le : 13/05/2009 17:15 […]
Arrêt : 10288 Station Montmorency […]
Nom client : M. CHURCH, RICHARD […]
Nom tiers : Mme KOSOIAN, BELA […]
Description :
Stn Montmorency : La femme de monsieur descendait les escaliers mécaniques pour se rendre au guichet. Elle a sorti son porte-feuille pour trouver de l’argent pour payer son passage. Il y avait deux inspecteurs derrière elle dans l’escalier et ils lui ont dit de tenir la main courante. Les agents l’ont saisie et l’ont amenér dans une petite pièce. Les agents lui posaient des questions mais la femme de monsieur a refusé de s’identifier parce qu’elle jugeait qu’elle n’avait rien fait de mal. Madame leur a demandé pour quel motif ils l’arrêtaient mais ils ne voulaient pas répondre. Les agents l’ont menotté avec force. Il sont fouillé dans son sac. Ils ont marché sur son pied pour essayer de l’intimider. Ils lui ont donné un deuxième constat.
La femme de monsieur leur a demandé si c’était parce qu’ils ont un quota à respecter qu’elle recevait lel constat et ils ont dit qu’effectivemetn, ils avaient un quota à respecter.
#308450715 - Article 4e - désobéir à une directive ou un pictogramme
#308450726 - Entraver le travail d’un inspecteur dans l’exercice de ses fonctions - article 143
La femme de monsieur a demandé aux agents de s’identifier mais ils ont refusé. Monsieur vient de par ler avec le Lientenant Chauvette. Celui-ci a confirmé à monsieur que les agenst avaient l’obligation de lui dire pourquoi elle recevait le constat et de s’identifier.
Monsieur souhaiterait voir la bande vidéos.
Type : information notée ou transmise [Action prise]
Date : 17/05/2009 Heure : 10 :43
Effectué par : 018416 Crevier Sylvain […]
Jeudi le 14 jai fais retiré une demande de retrait vidéo, CA
[…]
Type : 1ere tentative d’appel au client [Suivi client]
Date : 17/05/2009 Heure : 10 :45
Effectué par : 018416 Crevier Sylvain […]
Je communique avec le cleint pour lui expliquer que le visionnement de casette s’effectue que pour les enquêtes
Type : Éléments de réponse fournis [Action prise]
Date : 17/05/2009 Heure : 10 :46
Effectué par : 018416 Crevier Sylvain […]
Suite aux articles de la Presse il est anoté qu’il s’agit des policiers de Laval» (sic)
[104] Le docteur Pierre Leduc est entendu au procès.
[105] Il est médecin depuis plus de 50 ans et il décrit sa rencontre du 14 mai 2009 avec Kosoian.
[106] Il estime qu’elle est dans un état de panique et d’anxiété important. Il reprend le contenu du rapport précité.
[107] La consultation dure une quinzaine de minutes. Il lui prescrit un relaxant en très petites doses pour l’aider à dormir. À l’audience, il dit : «Une dose de 0,5 mg, c’est pas un puissant médicament.»
[108] Il est très évident pour lui qu’il n’y a aucun signe de fracture aux blessures de Kosoian.
[109] Elle ne lui parle pas de ses peurs relativement à la grippe H1N1. Elle craint pour l’hépatite, mais il lui explique que cela est impossible de la contracter ainsi.
[110] Il s’agit là de l’essentiel de la preuve en demande.
[111] Sylvain Chevalier, ci-après désigné «Chevalier», est inspecteur-chef de la direction des opérations policières auprès du Service de police de la Ville de Laval.
[112] Dès 2007, il est mandaté pour vérifier les implications de l’ouverture du métro relativement au service de police.
[113] On procède à la formation des policiers de la STM et de la Ville de Laval sur les questions de sécurité particulières dans le métro.
[114] Les agents de la paix du Service de police de la Ville de Laval sont désignés par la STM pour agir comme inspecteurs sur le territoire afin de veiller à l’application de plusieurs règlements, dont :
1. le règlement R-036 de la STM concernant les normes de sécurité et de comportement des personnes dans le matériel roulant et les immeubles exploités par ou pour la STM;
2. le règlement R-037 de la STM concernant les conditions au regard de la possession et de l’utilisation de tout type de transport émis par la STM;
3. les chapitres 6 et 7 de la Loi sur la société de transport en commun;
4. tous les autres règlements adoptés en vertu de l’article 144 de la Loi sur les sociétés de transport en commun.
[115] Le 1er mai 2007, la Ville de Laval et la STM conviennent d’une entente afin d’établir les paramètres d’intervention du service de police à l’intérieur du matériel roulant et des immeubles de la STM situés sur le territoire de Laval.
[116] Le tout a pour but d’assurer la sécurité du réseau ainsi que la rétribution et la tarification.
[117] On prévoit au règlement R-036 ceci (D-2) :
«RÈGLEMENT R-036
«RÈGLEMENT CONCERNANT LES NORMES DE SÉCURITÉ ET DE COMPORTEMENT DES PERSONNES DANS LE MATÉRIEL ROULANT ET LES IMMEUBLES EXPLOITÉS PAR OU POUR LA SOCIÉTÉ DE TRANSPORT DE MONTRÉAL»
[…]
SECTION III - DISPOSITIONS GÉNÉRALES
3. Sous réserve de la loi et des règlements, toute personne a le droit d’utiliser le réseau de transport en commun de la Société dans le confort et la sécurité.
Sous-section I - Civisme
4. Dans ou sur un immeuble ou du matériel roulant, il est interdit à toute personne :
a) de gêner ou d’entraver la libre circulation de personnes, notamment en s’immobilisant, en rôdant, en flânant, en déposant ou en transportant un sac, un contenant ou un autre objet;
b) de mettre en péril la sécurité de personnes ou du matériel roulant, notamment en déposant ou transportant un sac, un contenant ou un autre objet;
[…]
e) de désobéir à une directive ou un pictogramme, affiché par la Société;
[…]
h) de retarder ou de nuire au travail d’un préposé de la Société;»
[118] La Ville de Laval soutient que ce type de règlement et ses normes d’application sont adoptés pour assurer notamment la sécurité des usagers, lesquels doivent s’y conformer, ce qui inclut toute directive ou pictogramme affiché par la STM.
[119] C’est pourquoi la STM affiche dans ses stations de métro des directives et des pictogrammes obligatoires, notamment ceux obligeant toute personne à tenir la main courante d’un escalier mobile. Voici d’ailleurs l’image du pictogramme dont il est discuté ici :
[120] À la station de métro Montmorency, il existe deux escaliers mobiles contigus : un pour accéder à la partie supérieure et l’autre pour descendre au métro.
[121] Chacun de ces deux escaliers mobiles comporte des pictogrammes et directives affichés par la STM. Cette dernière estime que le graphique ci-haut décrit oblige toute personne à tenir la main courante de l’escalier mobile.
[122] Pour sa part, Camacho, policier à la Ville de Laval depuis 12 ans, témoigne ainsi des événements.
[123] Les 13 octobre 2006, 11 mai 2007 et 17 octobre 2008, on l’a instruit quant aux critères de sécurité, la législation, les types d’interventions propres aux lieux et aux règlements applicables. En tout, il a reçu près de 20 heures de formation spécifique au métro.
[124] Il insiste sur la prévention et les méthodes à appliquer pour assurer tant la sécurité des usagers que la sienne et celle de ses collègues policiers.
[125] Les modèles d’interventions restent les mêmes qu’à l’extérieur. Ils doivent intervenir, mais la formation spécifique quant au métro vise notamment le matériel roulant, les rails, les wagons et les escaliers mobiles.
[126] Ce soir-là du 13 mai 2009, il est sur la relève de soir avec l’agent Éric Alary. Ils sont attitrés aux stations de métro Cartier, Concorde et Montmorency.
[127] De 16 h 15 à 17 heures, ils sont d’ailleurs en surveillance au métro Cartier, où ils ont remis un constat d’infraction.
[128] Vers 17 h 10, ils arrivent au métro Montmorency. En fait, ils y seront jusqu’à 18 h 55. Ils distribuent quatre constats d’infraction, dont deux à Kosoian.
[129] Camacho est particulièrement sensibilisé à cet escalier puisqu’il est très long. Il faut compter exactement 59 secondes entre le haut et le bas du trajet de cet escalier mobile.
[130] D’ailleurs, il a déjà vu une personne qui ne tenait pas la rampe tomber vers l’avant et s’infliger de sérieuses blessures au front.
[131] Vers 17 h 15, Alary et lui-même sont en uniforme et dans l’exercice de leurs fonctions dans l’enceinte du métro Montmorency. Ils sont vêtus également d’une veste pare-balles avec l’inscription «police» à l’avant et à l’arrière, ainsi que leur nom cousu sur le devant. Leur ceinturon est équipé de leur arme de service, des étuis pour les menottes, le poivre de cayenne, leurs clés et autres. Il est visuellement très évident qu’ils sont policiers.
[132] Alors qu’il est tout juste au haut de l’escalier mobile et se dirigeant vers la partie inférieure, Alary le précède sur une distance de cinq mètres. Ce dernier passe à côté de Kosoian.
[133] Bien sûr, ils ne connaissent pas cette dame à ce moment-là.
[134] Alary marche tout droit et ne parle pas à Kosoian. Camacho remarque aussitôt Kosoian se pencher à 90 degrés vers l’avant, la tête vers le bas. Elle semble chercher quelque chose dans son sac à dos déposé sur la marche inférieure en avant d’elle.
[135] Étant donné sa position précaire, l’importance de la pente de l’escalier mobile et pour des motifs de sécurité, il se sent obligé d’intervenir pour la protéger.
[136] Afin de prévenir tout accident, Camacho s’adresse à Kosoian. Il décrit son ton calme et poli. Il désire lui souligner le caractère potentiellement dangereux de sa position.
[137] Il s’approche de Kosoian, elle est à sa droite.
[138] Il descend une ou deux marches plus bas qu’elle. Il tient la rampe d’une main et de l’autre, il se tient aux aguets pour assurer la sécurité de Kosoian.
[139] Il se retourne vers le haut pour lui demander de tenir la rampe. Il lui dit : «Attention, vous pouvez tomber, c’est dangereux. Vous devriez tenir la rampe.»
[140] À ce moment, elle est encore penchée vers l’avant. Elle se relève brusquement. Elle est fâchée, contrariée et lui dit à haute voix «Tu vois pas, j’ai pas trois mains!»
[141] Camacho invite une deuxième fois Kosoian à tenir la main courante de l’escalier mobile. Sur le même ton arrogant et encore plus fort, elle répond à Camacho de faire son travail, pointe le haut de l’escalier vers l’extérieur et lui dit d’aller faire son travail dehors. Elle réfère à un événement où elle a été victime de vol de pneus non résolu sur son balcon. Elle ajoute qu’il n’a pas le droit de lui dire quoi faire dans le métro.
[142] Il lui explique que son statut de policier lui donne le droit d’appliquer la réglementation dans le métro, et notamment, celle de l’interdiction d’utiliser l’escalier mobile sans en tenir la rampe. Il fait référence aux affiches posées à divers endroits, notamment sur le haut de la balustrade de l’escalier mobile et le pictogramme clair qui y est installé.
[143] Il ordonne à Kosoian de tenir la rampe de l’escalier mobile, ce qu’elle refuse de faire une autre fois.
[144] D’un ton encore plus agressif, Kosoian lui répond qu’elle n’entend pas tenir la rampe de l’escalier.
[145] Camacho l’informe que si elle persiste dans son refus, il se verrait dans l’obligation de lui émettre un constat d’infraction.
[146] Elle réitère qu’elle ne le fera pas. Elle se croise les bras.
[147] Au bas de l’escalier mobile, Camacho demande à Kosoian de le suivre jusqu’au local de la STM situé à proximité de l’escalier pour la rédaction d’un constat d’infraction pour ne pas avoir tenu la rampe.
[148] Alary, son coéquipier, les rejoint. Kosoian, voyant les deux policiers en avant d’elle, tente de se faufiler et de les contourner en se dirigeant vers le tourniquet du métro.
[149] Camacho, à nouveau, lui demande de le suivre. Il lui touche à l’avant-bras.
[150] Kosoian tente à nouveau de s’esquiver. Elle recule son bras.
[151] Les deux policiers lui demandent de les suivre. Elle demande pourquoi et on lui dit qu’elle va recevoir un constat d’infraction pour ne pas avoir tenu la rampe.
[152] Alary se place devant elle pour l’empêcher de passer. Les deux policiers lui prennent les bras à la hauteur des coudes pour la diriger vers le local de la STM.
[153] Dès que Kosoian consent à suivre les policiers, ceux-ci la relâchent. Ils entrent tous trois dans le local sans que Kosoian ne soit tenue par les bras.
[154] Les policiers diront que si elle avait collaboré, ils n’auraient jamais dû utiliser cette technique d’intervention physique pour la forcer à les suivre.
[155] C’est seulement parce qu’elle ne collabore pas qu’on doit la diriger en lui tenant les coudes.
[156] C’est pour assurer la sécurité et la confidentialité des démarches à faire pour le constat que les gens sont amenés à l’intérieur du local de la STM.
[157] Dès son entrée dans le local, Camacho prend dans le pigeonnier le carnet des constats d’infraction. Ils ont l’habitude de le laisser là puisque tous les policiers peuvent l’utiliser.
[158] Il demande une pièce d’identité à Kosoian. Cette dernière refuse. Elle veut un avocat. Camacho lui explique que ce n’est pas requis lors d’un constat d’infraction et qu’elle sera libérée tout de suite après, de toute façon.
[159] Il lui dit que si elle n’est pas d’accord, elle peut le contester, voire même porter plainte en déontologie. C’est qu’elle n’est pas arrêtée ni détenue. On lui demande seulement de s’identifier pour émettre le constat d’infraction.
[160] Devant ses refus répétés, il lui explique qu’à défaut de s’identifier, ils devront cette fois l’arrêter pour défaut de s’identifier.
[161] Elle lui répète qu’elle connaît ses droits et qu’elle refuse de s’identifier. «Je ne suis pas obligée de m’identifier.» C’est ce que répète Kosoian à plusieurs reprises aux policiers.
[162] Après plusieurs tentatives, voyant que Kosoian ne collabore pas, qu’elle se désorganise, qu’elle est agitée, colérique et agressive et qu’elle injure et menace les policiers sans cesse, on décide de procéder à son arrestation pour défaut de s’identifier.
[163] Elle est en état d’arrestation en vertu du Code de procédure pénale pour refus de s’identifier. On lui donne ses droits constitutionnels et à l’avocat verbalement.
[164] On ajoute aussi que si elle change d’idée et qu’elle accepte de s’identifier, elle sera relâchée.
[165] Les policiers veulent procéder à une fouille accessoire à son arrestation, ce qu’elle refuse. Ils lui demandent son sac à dos. Camacho tend la main vers celui-ci. Il est sur le dos de Kosoian. Elle recule, prend son sac et le met devant elle sur sa poitrine. Elle crie et à plusieurs reprises refuse qu’on regarde à l’intérieur. Elle réagit agressivement. Les policiers ne comprennent pas cette réaction aussi forte et aussi intense.
[166] Étant donné qu’elle est alors déjà en état d’arrestation, on lui explique que si elle refuse, elle sera menottée parce qu’il est impératif qu’on puisse l’identifier.
[167] Devant le refus de Kosoian, on décide de la menotter. Chacun des policiers la retient par un bras qu’on lui ramène vers l’arrière pour la menotter. On applique une certaine pression, mais sans plus. On doit l’immobiliser face au mur pour ne pas qu’elle se blesse, puisqu’elle bouge sans arrêt. On procède en tous points selon les directives et la formation reçue par les policiers.
[168] Ainsi, Camacho décrit le Modèle national de l’emploi de la force (D-10). Celui-ci prévoit notamment que l’agent doit continuellement évaluer la situation et agir de manière raisonnable afin d’assurer sa propre sécurité et celle du public. Nous pouvons y lire :
«[…] L’évaluation de la situation.
Lorsqu’un agent est confronté à un incident, il doit évaluer divers aspects de la situation. Ainsi, une situation peut être caractérisée par au moins six facteurs dont l’agent doit le plus souvent tenir compte dans son évaluation et dans sa prise de décision :
· l’environnement;
· le nombre de personnes impliquées;
· la perception des capacités du sujet;
· la connaissance du sujet;
· le temps et la distance;
· les signes d’agression éventuelle.
Le comportement du sujet
La coopération
Le sujet réagit de façon appropriée à la présence et aux directives de l’agent ainsi qu‘à la façon dont il maîtrise la situation.
La résistance passive
Le sujet, avec peu ou pas de manifestations physiques, refuse d’obéir aux ordres de l’agent. Ce comportement peut se manifester par un refus verbal ou par une inertie physique intentionnelle.
La résistance active
Le sujet résiste de façon physique, ou manifeste physiquement son refus d’obéir aux ordres de l’agent, sans toutefois commettre une agression. Par exemple, il peut s’écarter brusquement pour empêcher ou échapper à la maîtrise de l’agent; Il peut aussi marcher ouvertement vers l’agent ou au contraire s’en éloigner. La fuite est un autre exemple de résistance active.»
[169] Ainsi, Camacho procède selon les paramètres et les enseignements reconnus pour les policiers en pareilles situations.
[170] Une fois Kosoian menottée les mains derrière le dos, on lui demande de s’asseoir. Ils vérifient si elle n’est pas armée. De même, ils fouillent son sac.
[171] Selon Camacho et Alary, ils étaient même tous deux justifiés d’amener Kosoian au poste de police puisqu’elle refuse obstinément de s’identifier. Ils ont fait preuve de «gros bon sens», selon eux, et simplement agi de manière à minimiser l’impact de toute cette situation.
[172] Ils prennent son sac, l’ouvrent et voient immédiatement son portefeuille sur le dessus. Ils prennent ses cartes d’identité, l’identifient et complètent les constats d’infraction.
[173] Pendant ce temps, Kosoian est toujours très agitée, parle fort et bouge sans cesse. Elle agite ses bras avec force et est souvent en déséquilibre.
[174] Afin de s’assurer que les menottes ne la blessent pas, on actionne le cran de sûreté pour ne pas qu’elles se resserrent trop sur ses poignets.
[175] Elle se relève à plusieurs reprises, tente de s’approcher de l’agent Camacho, de regarder ce qu’il écrit. On doit la retenir par les épaules sur sa chaise.
[176] Elle est de plus en plus agitée, les policiers sont tous deux unanimes pour décrire le comportement de Kosoian comme étant «hors normes».
[177] Afin d’éviter qu’elle ne tombe à la renverse avec la chaise, Camacho dépose son pied droit sur la patte gauche de la chaise. La situation est tendue et le tout se déroule très rapidement.
[178] Camacho finit par indiquer à Kosoian qu’elle ne devrait pas agir ainsi puisque tous ses faits et gestes sont captés par la caméra de surveillance située à l’intérieur du local juste derrière elle.
[179] Stupéfaite, elle se retourne et regarde la caméra. Elle se calme immédiatement. La situation change du tout au tout dès qu’il lui fait remarquer la présence de cette caméra.
[180] Elle lui demande s’il y en a d’autres dans l’escalier. Camacho lui répond que oui.
[181] Enfin, on lui enlève les menottes, elle prend les constats et quitte les lieux.
[182] C’est à 17 h 29 qu’on lui remet les constats. L’heure de l’infraction initiale est 17 h 17, soit dès sa prise en charge dans l’escalier roulant.
[183] Le premier constat d’infraction est remis à Kosoian relativement à l’infraction d’avoir désobéi à une directive ou un pictogramme à l’encontre de l’article 4 e) du règlement R-036 précité.
[184] Le deuxième constat d’infraction lui reproche l’entrave au travail d’un inspecteur dans l’exercice de ses fonctions à l’encontre de l’article 143 de la Loi sur les sociétés de transport en commun. C’est en vertu de son pouvoir d’inspecteur désigné par la STM dans l’application du règlement R-036 que Camacho est en droit d’interpeller toute personne dans l’escalier mobile lorsqu’il constate une infraction de ce genre.
[185] Pourtant, Camacho résume son intervention initiale auprès de Kosoian comme en étant une de sensibilisation.
[186] Il répète que si elle avait accepté dès sa première ou deuxième demande de tenir la rampe, nous n’en serions pas là. En fait, il n’y aurait même pas eu émission de constats d’infraction.
[187] Certes, elle avait désobéi au pictogramme, mais parce qu’elle aurait collaboré, ils ne seraient pas allés plus loin. Il ne lui aurait pas émis de constat.
[188] Dans les jours suivants, Camacho est en congé. Il reçoit un appel téléphonique de son lieutenant l’informant que cette intervention est maintenant discutée par les médias. On lui demande de sortir les bandes des caméras vidéo lorsqu’il sera de retour au travail. C’est le lundi matin qu’il contacte les responsables à ce sujet. Il rédige aussi un rapport d’événement.
[189] Le mardi 19 mai, suite à sa demande de la veille, l’enquêteur l’informe qu’il n’est plus possible d’obtenir les enregistrements vidéo. Il s’agit d’un système en boucle sur cinq jours et il est trop tard. Le système a déjà enregistré par-dessus les événements en litige.
[190] C’est la première fois que Camacho demande une copie des bandes vidéo. Habituellement, c’est un supérieur qui fait ce genre de démarche. C’est qu’on doit avoir un numéro de rapport d’événement pour en demander la transcription. C’est pourquoi il a complété cela dès son retour au travail.
[191] Il réitère que tout cela est allé beaucoup trop loin, qu’il n’aurait pas émis pareils constats d’infraction si Kosoian avait accepté de collaborer plutôt que de s’entêter à ne pas s’identifier.
[192] En contre-interrogatoire, Camacho précise certains faits.
[193] Il s’en souvient très bien puisqu’il les a racontés tellement souvent depuis, que son souvenir en est encore très présent.
[194] Le ton des réponses de Kosoian ne l’a pas énervé. En fait, il en a plutôt été surpris.
[195] Elle l’a pointé du doigt et le tutoyait sur un ton arrogant, agressif et injurieux.
[196] Au départ, lorsqu’il s’est approché d’elle, il n’avait pas l’intention de lui émettre de constat d’infraction. C’est plutôt en voyant qu’elle ne se conscientisait pas au danger et qu’elle refusait de tenir la rampe qu’il a décidé d’agir de manière un peu plus insistante.
[197] Malgré les tentatives de Camacho et d’Alary pour la rassurer, Kosoian n’en faisait qu’à sa tête et refusait sans raison valable de s’identifier.
[198] Pour Camacho, tous les pictogrammes sont des interdictions ou des obligations. Ce ne sont pas des suggestions, des possibilités ou des recommandations. Il peut émettre un constat si quelqu’un ne respecte pas les pictogrammes. C’est une question de sécurité.
[199] À de multiples reprises, il a avisé les gens de tenir la rampe. Chacun s’exécute et c’est la première fois qu’une personne agit ainsi.
[200] Enfin, l’agent Éric Alary est policier depuis décembre 2002 et pour la Ville de Laval depuis le 26 février 2007. Il a lui aussi suivi avec succès les formations particulières pour les stations de métro.
[201] Il corrobore en tous points les événements de son confrère Camacho. Il a entendu ce dernier discuter avec Kosoian pour la conscientiser à la dangerosité de sa position.
[202] Il est lui aussi très surpris de cette agressivité gratuite et de la non-collaboration de Kosoian.
[203] Il ne comprend toujours pas pourquoi elle a refusé de faire ce geste tout simple de tenir la rampe et, plus tard, de s’identifier.
[204] Malgré les nombreuses questions et les contre-interrogatoires, Alary confirme avec exactitude les événements décrits par Camacho.
[205] À plusieurs reprises, il lui demande de se calmer et de collaborer, ce qu’elle refuse obstinément. Elle répète : «J’ai le droit de refuser de m’identifier.»
[206] À plusieurs reprises, elle les menace qu’elle va leur faire perdre leur travail. Ce n’est que lorsque Camacho lui montre la caméra dans le local qu’elle se calme.
[207] La situation change alors radicalement du tout au tout.
[208] Toute l’intervention dure environ 15 minutes.
[209] Il confirme qu’une douzaine d’autres constats d’infraction semblables ont été émis à des tiers.
[210] Alary interprète lui aussi le pictogramme comme étant une obligation de tenir la rampe. C’est d’ailleurs ce qu’on leur enseigne.
[211] En résumé, le défendeur, Camacho, et les défenderesses, la Ville de Laval et la STM, soutiennent que Kosoian devait se conformer aux directives des pictogrammes lui enjoignant, entre autres, de tenir la main courante de l’escalier mobile.
[212] Les policiers étaient au surplus en droit d’exiger qu’elle s’identifie pour lui émettre un constat d’infraction.
[213] Vu son défaut de s’identifier, ses refus répétés et injustifiés à le faire, elle empêche les policiers d’effectuer leur travail.
[214] Kosoian est remise en liberté dès que possible, c'est-à-dire tout de suite après son identification.
[215] Elle l’aurait été avant si elle avait collaboré.
[216] Par ses agissements et ses refus, Kosoian cause et aggrave la situation.
[217] On prétend que les policiers n’ont pas violé les droits de Kosoian et aucunement fait preuve d’abus d’autorité ou d’abus de force.
[218] Tous les dommages allégués par Kosoian découlent uniquement de ses agissements et aucune faute n’est imputable aux défendeurs.
[219] La Ville de Laval ajoute que Camacho n’était pas tenu d’énoncer les paramètres juridiques constitutifs de l’infraction, ce que Kosoian exigeait et qui faisait en sorte que la prise de la main courante n’était pas que facultative.
[220] On ajoute que les échanges entre Camacho et Kosoian ne laissent aucun doute quant à son refus obstiné de tenir la main courante, de s’identifier et même de rester sur les lieux à cette fin. C’est une condition essentielle à la légalité de l’arrestation, sur laquelle Camacho ne pouvait qu’entretenir tant subjectivement qu’objectivement des motifs raisonnables et probables d’agir et de faire son travail de policier.
[221] Enfin, on prétend que Kosoian a été suffisamment informée de l’infraction. Les critères à retenir étant la substance de ce que l’échange lui permettait de comprendre plus que son formalisme.
[222] Kosoian était donc suffisamment informée de ce qu’on lui reprochait pour que son refus de s’identifier ne soit pas justifiable en vertu de l’article 73 du Code de procédure pénale et c’est à bon droit que Camacho a procédé à son arrestation.
[223] Aussi, la STM ajoute dans sa défense :
«37. Le 18 mai 2009, le défendeur Fabio Camacho formulait à la défenderesse STM, une demande de retrait des images captées par les caméras en place à la station de métro Montmorency en date du 13 mai 2009, tel qu'il appert du document intitulé «enregistrement de la demande de retrait» et du document «gestion vidéo» en liasse, pièce D/STM-6;
38. En réponse à cette demande, la STM a indiqué que les images ne pouvaient être retirées en raison de la tardivité de la demande, tel qu'il appert du document intitulé «gestion de vidéo», pièce D/STM-6;
[…]
40. En date du 30 juin 2009, la demanderesse était informée que la STM était «dans l'impossibilité de lui transmettre l'enregistrement, car la demande de retrait a été faite hors délai», tel qu'il appert de la pièce P-16;
41. Suivant la réception de cette correspondance datée du 30 juin 2009, pièce P-16 et jusqu'en date du 21 août 2012, la demanderesse n'a pas communiqué d'une quelconque manière avec un représentant de la STM quant au contenu de la correspondance;
42. La défenderesse STM ne peut être tenue responsable des dommages qu'auraient subi la demanderesse, si dommages il y a, en ce que :
a) Les agents de la paix du Service de protection des citoyens de la Ville de Laval et la défenderesse Ville de Laval sont entièrement autonomes, sur le territoire lavallois, quant à la détermination du mode opératoire assurant le respect et la sanction des règlements pour lesquels ils sont désignés et dont ils voient à l'application;
[…]
c) La poursuite pénale pour les constats d'infraction portant les numéros 308450715 et 308450726 a été maintenue par le procureur aux poursuites criminelles et pénales de la Cour municipale de Montréal alors qu'il exécutait sa fonction à l'intérieur de ses pouvoirs discrétionnaires dans le dossier 308-750-715 de la Cour municipale;
d) Le délai de traitement des dossiers pendants devant la Cour municipale relève de la gestion et des procédures de traitement de tels dossiers mis en place par la Cour municipale;
e) La STM a agi sans malice, sans intention malicieuse et ni dans le but d'utiliser le système dans un but illégitime ou de dénaturer le système de justice;
43. La défenderesse STM ne peut être tenue responsable des dommages qu'auraient subi la demanderesse puisque cette dernière a introduit un recours le 21 août 2012 réclamant des dommages moraux et punitifs à la défenderesse STM à la suite d'une intervention du défendeur Fabio Camacho agissant à titre d'agent de la paix du Service de protection des citoyens de la défenderesse Ville de Laval en date du 13 mai 2009;
44. Il n'y a aucun lien entre la défenderesse STM et le préjudice allégué par la demanderesse;
45. La demanderesse ne bénéficie d'aucune présomption légale de solidarité, tel qu'il appert des faits au présent dossier de la Cour;
46. La défenderesse STM ne peut être tenue responsable des dommages qu'auraient subi la demanderesse puisque cette dernière a introduit un recours le 21 août 2012 réclamant des dommages moraux et punitifs à la défenderesse STM puisque la demanderesse était informée, le ou vers le 29 juin 2009 que la STM était dans l'impossibilité de lui transmettre les images captées par les caméras en place à la station de métro Montmorency en date du 13 mai 2009 à la suite d'une intervention du défendeur Fabio Camacho agissant à titre d'agent de la paix du Service de protection des citoyens de la défenderesse Ville de Laval;
47. La défenderesse STM ne peut être tenue responsable des dommages qu'aurait subis la demanderesse, lesquels sont nettement et grossièrement exagérés puisque la défenderesse STM n'a commis aucune faute, tel qu'il appert des faits au dossier de la Cour et tel qu'il sera démontré lors de l'audience;
48. La défenderesse STM n'est pas l'assureur des usagers de ses services de transport en commun;»
[224] De plus, le constat émis en vertu de l’article 4 e) du règlement relativement à la désobéissance d’une directive ou d’un pictogramme, stipule :
«[…] LE 13 MAI 2009 VERS 17 H 15, LES AGENTS 903 ET 938 DESCENDAIENT L’ESCALIER ROULANT DE LA STATION MONTMORENCY LORSQUE NOUS AVONS CONSTATÉ QUE LA « CVT» ÉTAIT PENCHÉE VERS L’AVANT ET FOUILLAIT DANS SON SAC À DOS SANS TENIR LA RAMPE DE L’ESCALIER. L’AGT 903 A AVISÉ LA DAME QU’ELLE DEVAIT TENIR LA RAMPE ET QUE C’ÉTAIT DANGEREUX POUR QU’ELLE TOMBE.
LA «CVT» A DIT EN CRIANT À L’AGENT 903 «TU VA PAS ME DIRE QUOI FAIRE ET JE VAIS PAS TENIR LA RAMPE!»
L’AGT 903 A AVISÉ ENCORE UNE FOIS LA «CVT» QU’ELLE CONTREVENAIT À UN RÈGLEMENT EN NE TENANT PAS LA RAMPE ET QUE SI ELLE NE LA TENAIT PAS ELLE AURAIT UN CONSTAT D’INFRACTION.
LA «CVT» A CONTINUÉ À CRIER QU’ELLE N’ALLAIT PAS LA TENIR ET ELLE S’EST CROISÉ LES BRAS.
ARRÊT
NOUS AVONS INVITÉ LA «CVT» À NOUS SUIVRE DANS LE BUREAU POUR LUI ÉMETTRE UN CONSTAT D’INFRACTION, MAIS LA «CVT» A PERSISTÉ. NOUS AVONS DÛ APPLIQUER UNE TECHNIQUE D’ESCORTE EN LA TENANT PAR LE BRAS.
NOUS L’AVONS CONDUIT DANS LE BUREAU ET LA «CVT» REFUSAIT DE S’IDENTIFIER ET CRIAIT APRÈS NOUS.
NOUS L’AVONS AVISÉ QU’ELLE DEVAIT S’IDENTIFIER CAR ELLE AVAIT COMMIS UNE INFRACTION ET QUE SI ELLE S’IDENTIFIAIT PAS ON PROCÈDERAIT À SON ARRESTATION.
LA «CVT» A CONTINUÉ À REFUSER ET SE DÉBATTAIT. NOUS AVONS DÛ LA MENOTTER MAINS DAN LE DOS, CAR ELLE ÉTAIT AGRESSIVE.
PAR LA SUITE, NOUS AVONS TROUVÉ SON PERMIS DE CONDUIRE DANS SON SAC A DOS AUTRE CONSTAT ÉMIS #308450726 POUR ENTRAVE. DAME LIBÉRÉE AVEC CONSTATS ET EXPLICATIONS. AFFICHE INDIQUANT L’OBLIGATION DE TENIR LA RAMPE VISIBLE ET EN BON ÉTAT […].»
[225] L’autre constat stipule :
«[…] LE 13 MAI 2009 VERS 17 H 17, SUITE À UNE INFRACTION DE NE PAS TENIR LA RAMPE DE L’ESCALIER ROULANT COMME L’INDIQUE UNE AFFICHE, LA «CVT» A RÉSISTÉ À SON INTERPELLATION ET REFUSAIT DE S’IDENTIFIER.
NOUS AVONS DÛ CONTRÔLER LA DAME PHYSIQUEMENT EN APPLIQUANT UNE TECHNIQUE DE CONTRÔLE ARTICULAIRE AUX BRAS ET AVONS DÛ LA MENOTTER.
NOUS ÉTIONS DANS LE BUREAU LORSQUE NOUS AVONS DÛ LA MENOTTER. ELLE CRIAIT APRÈS NOUS ET REFUSAIT DE S’IDENTIFIER.
NOUS AVONS PROCÉDÉ À SON ARRESTATION POUR ENTRAVE POUR SON REFUS DE S’IDENTIFIER. NOUS AVONS TROUVÉ SON PERMIS DE CONDUIRE DANS SON SAC À DOS.
NOUS L’AVONS LIBÉRÉ EN LUI ÉMETTANT LE BILLET POUR AVOIR ENTRAVÉ NOTRE TRAVAIL SELON ART. 143 DU L.R.Q. C.S.30.01
AUTRE CONSTAT ÉMIS #308450715 POUR NE PAS AVOIR OBÉI À UN PICTOGRAMME SOIT L’OBLIGATION DE TENIR LA RAMPE DE L’ESCALIER ROULANT.
LA DAME N’A PAS ARRÊTÉ DE CRIER ET DE DIRE QUE NOUS ALLIONS PERDRE NOTRE TRAVAIL QU’ELLE ALLAIT PORTER PLAINTE CONTRE NOUS […].»
[226] Le Tribunal doit maintenant répondre aux questions en litige.
LE DROIT APPLICABLE :
[227] Kosoian réclame 24 000 $ de Camacho, la Ville de Laval et la STM solidairement pour dommages moraux, douleurs, souffrances, inconvénients et dommages exemplaires.
[228] Elle réclame à la STM une somme additionnelle de 45 000 $ pour souffrance morale et faute intentionnelle.
[229] Elle allègue avoir été détenue et arrêtée illégalement et avoir subi d’importants dommages, tant corporels, moraux, qu’à sa réputation.
[230] Les défendeurs la Ville de Laval et Camacho allèguent que ce dernier était légalement autorisé à agir dans l’exécution de ses fonctions au métro Montmorency ce jour-là du 13 mai 2009 et qu’il l’a fait avec prudence, diligence et compétence.
[231] Kosoian doit établir par preuve prépondérante les trois éléments générateurs de la responsabilité civile : soit la faute, le dommage et le lien causal entre ceux-ci.
Fardeau de la preuve :
[232] Le Tribunal considère important de décrire les règles et critères applicables dans le cadre du fardeau de la preuve.
[233] Le rôle principal des parties dans la charge de la preuve est établi aux articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec qui prévoient:
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[234] Les justiciables ont le fardeau de prouver l'existence, la modification ou l'extinction d'un droit. Les règles du fardeau de la preuve signifient l'obligation de convaincre, qui est également qualifiée de fardeau de persuasion. Il s'agit donc de l'obligation de produire dans les éléments de preuve une quantité et une qualité de preuve nécessaires à convaincre le Tribunal des allégations faites lors du procès.
[235] En matière civile, le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la partie demanderesse suivant les principes de la simple prépondérance.
[236] La partie demanderesse doit présenter au juge une preuve qui surpasse et domine celle de la partie défenderesse.
[237] La partie qui assume le fardeau de la preuve doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable.
[238] La probabilité n'est pas seulement prouvée par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences qu'il est raisonnablement possible d'en tirer.
[239] Le niveau d'une preuve prépondérante n'équivaut donc pas à une certitude, ni à une preuve hors de tout doute.
[240] La Cour suprême du Canada, dans la décision de Parent c. Lapointe[2], sous la plume de l'honorable juge Taschereau, précise:
«C'est par la prépondérance de la preuve que les causes doivent être déterminées, et c'est à la lumière de ce que révèlent les faits les plus probables, que les responsabilités doivent être établies.»
[241] Dans leur traité de La preuve civile, 4e Édition[3], les auteurs Jean-Claude Royer et Sophie Lavallée précisent:
«Il n'est donc pas requis que la preuve offerte conduise à une certitude absolue, scientifique ou mathématique. Il suffit que la preuve rende probable le fait litigieux.»
[242] Les auteurs rappellent la décision de la Cour d'appel du Québec dans l'arrêt Dubois c. Génois[4] où le juge Rinfret s'exprime comme suit:
«Il aurait pu également s'appuyer sur les décisions citées par M. le juge Taschereau dans Rousseau c. Bennett, pour appuyer la théorie que "les tribunaux doivent souvent agir en pesant les probabilités. Pratiquement rien ne peut être mathématiquement prouvé."»
[243] Ces mêmes auteurs écrivant quant à l'appréciation de la prépondérance mentionnent:
«Pour remplir son obligation de convaincre, un plaideur doit faire une preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. Le degré de preuve requis ne réfère pas à son caractère quantitatif, mais bien qualitatif. La preuve produite n'est pas évaluée en fonction du nombre de témoins présentés par chacune des parties, mais en fonction de leur capacité de convaincre. Ainsi, le plaideur doit démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable. Dans l'appréciation globale d'une preuve, il n'est pas toujours facile de tracer la ligne de démarcation entre la possibilité et la probabilité.»
[244] Pour les Tribunaux, plusieurs règles peuvent aider un juge à décider de la suffisance ou non de la preuve entendue lors d'un procès.
[245] Par exemple, une preuve directe est préférée à une preuve indirecte, la preuve d'un fait positif est préférée à celle d'un fait négatif. La corroboration est une preuve qui renforce un témoignage de façon à inciter le juge à le croire, et l'attitude d'un témoin lors d'un procès peut même influencer le Tribunal.
2845. La force probante du témoignage est laissée à l'appréciation du tribunal.
[246] Plus récemment, l'honorable juge Rothstein de la Cour suprême du Canada, dans l'affaire F.H. c. Mc Dougall[5], rappelle les critères applicables suivants de la preuve en matière civile:
«[45] […] Il n’existe qu’une seule règle de droit : le juge du procès doit examiner la preuve attentivement.
[46] De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. […]Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.»
[247] Le Tribunal doit, à la lumière de tous les éléments de la preuve, soit la preuve matérielle, documentaire et la preuve testimoniale reçue lors du procès, déterminer si la partie demanderesse a réussi à le convaincre selon la règle des probabilités.
[248] Le Tribunal souligne l'article 2811 C.c.Q. :
2811. La preuve d'un acte juridique ou d'un fait peut être établie par écrit, par témoignage, par présomption, par aveu ou par la présentation d'un élément matériel, conformément aux règles énoncées dans le présent livre et de la manière indiquée par le Code de procédure civile (chapitre C-25) ou par quelque autre loi.
[249] L'honorable Pierre Nollet, j.C.s., mentionne dans l'affaire El Jarmak c. Alimentation Pierre Côté inc.[6]:
«[31] Une récente décision de la Cour d'appel nous rappelle les diverses règles applicables quant au fardeau de preuve:
La partie qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention. Dans une affaire comme la nôtre, la partie demanderesse avait le fardeau de prouver la faute, le préjudice et le lien de cause à effet entre la faute et le préjudice. La règle de la prépondérance s'applique dans les causes civiles, c'est-à-dire que la preuve doit rendre l'existence d'un fait plus probable que son inexistence. Notre regretté collègue Vallerand écrivait à ce sujet :
[…] Et notre droit civil m'apparaît bien fixé : On ne retient de relations causales que celles qui sont directes; n'est prouvé que ce qui est certain, voire ce qui est probable, mais jamais ce qui n'est que possible et encore moins ce qui est imaginé.
La preuve peut être faite par présomption de faits, mais ces présomptions sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit considérer que celles qui sont graves, précises et concordantes. Le juge du procès possède un large pouvoir dans son appréciation des présomptions et des indices pertinents.»
(Références omises)
[250] Dans la décision Eustache c. La Cie d'assurance Bélair inc.[7], notre Cour écrit relativement à la qualité du témoignage:
«[40] Les critères retenus par la jurisprudence pour jauger la crédibilité, sans prétendre qu'ils sont exhaustifs, peuvent s'énoncer comme suit:
1. Les faits avancés par le témoin sont-ils eux-mêmes improbables ou déraisonnables?
2. Le témoin s'est-il contredit dans son propre témoignage ou est-il contredit par d'autres témoins ou par des éléments de preuve matériels?
3. La crédibilité du témoin a-t-elle été attaquée par une preuve de réputation?
4. Dans le cours de la déposition du témoin, y a-t-il quoi que ce soit qui tend à le discréditer?
5. La conduite du témoin devant le Tribunal et durant le procès révèle-t-elle des indices permettant de conclure qu'il dit des faussetés?
[41] Ces critères d'appréciation de la crédibilité doivent être utilisés pour l'appréciation d'un témoignage en tenant compte non seulement de ce qui est dit devant le Tribunal, mais aussi en regard des autres déclarations que le témoin a pu faire ailleurs.»
Notion de la faute civile :
[251] Ainsi, le Tribunal doit d’abord décider si l’un ou l’autre ou les défendeurs ont commis une faute suivant l’article 1457 C.c.Q. dans la détention et l’arrestation de Kosoian.
[252] De même, il faut déterminer si cette faute est de nature à engager la responsabilité civile de la Ville de Laval et/ou de la STM.
1457. Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.
Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.
Elle est aussi tenue, en certains cas, de réparer le préjudice causé à autrui par le fait ou la faute d'une autre personne ou par le fait des biens qu'elle a sous sa garde.
1463. Le commettant est tenu de réparer le préjudice causé par la faute de ses préposés dans l'exécution de leurs fonctions; il conserve, néanmoins, ses recours contre eux.
[253] Le Tribunal se doit d’apprécier les faits dans leur contexte général. En d’autres termes, les policiers, lors de cette intervention, ont-ils adopté un comportement qui s’écarte de celui qu’aurait eu habituellement un policier agissant avec prudence, diligence et compétence et placé dans les mêmes circonstances?
[254] Les articles 144 et 145 de la Loi sur les sociétés de transport en commun[8] se lisent ainsi :
144. Une société peut, par règlement approuvé par la ville qui adopte son budget, édicter:
1° des normes de sécurité et de comportement des personnes dans le matériel roulant et les immeubles qu'elle exploite;
2° des conditions au regard de la possession et de l'utilisation de tout titre de transport émis sous son autorité;
3° des conditions au regard des immeubles qu'elle exploite et des personnes qui y circulent.
Un règlement d'une société doit être publié dans un journal diffusé dans son territoire et peut déterminer, parmi ses dispositions, celles dont la violation constitue une infraction qui est sanctionnée par une amende dont le montant peut, selon le cas, être fixe ou se situer entre un minimum et un maximum.
Un montant fixe ou maximum ne peut excéder, pour une première infraction, 500 $ si le contrevenant est une personne physique ou 1 000 $ s'il est une personne morale. En cas de récidive, ces montants sont portés au double. Un montant minimum ne peut être inférieur à 25 $.
145. Un règlement édicté en vertu de l'article 144 s'applique même lorsqu'un véhicule d'une société circule hors de son territoire. Il s'applique également dans un immeuble qu'elle possède hors de son territoire. Un inspecteur visé à l'article 140 a compétence aux fins de l'application du présent article.
Pouvoir d’intervention :
[255] Le Règlement R-036 (Règlement concernant les normes de sécurité et de comportement des personnes dans le matériel roulant et les immeubles exploités par ou pour la société de transport de Montréal) édicte notamment :
«4. Dans ou sur un immeuble ou du matériel roulant, il est interdit à toute personne :
[…]
e) de désobéir à une directive ou un pictogramme, affiché par la Société;»
[256] Les articles 48, 49 de la Loi sur la police[9] édictent que :
48. Les corps de police, ainsi que chacun de leurs membres, ont pour mission de maintenir la paix, l'ordre et la sécurité publique, de prévenir et de réprimer le crime et, selon leur compétence respective énoncée aux articles 50, 69 et 289.6, les infractions aux lois ou aux règlements pris par les autorités municipales, et d'en rechercher les auteurs.
Pour la réalisation de cette mission, ils assurent la sécurité des personnes et des biens, sauvegardent les droits et les libertés, respectent les victimes et sont attentifs à leurs besoins, coopèrent avec la communauté dans le respect du pluralisme culturel. Dans leur composition, les corps de police favorisent une représentativité adéquate du milieu qu'ils desservent.
49. Les policiers sont agents de la paix sur tout le territoire du Québec.
Pour la détermination de sa responsabilité civile à l'égard des tiers, un policier ne cesse pas d'agir à titre de préposé lorsqu'il agit en qualité d'agent de la paix.
Toutefois, le policier municipal qui, à la demande du ministre ou de la Sûreté du Québec, agit en qualité d'agent de la paix est, pour la détermination de sa responsabilité civile à l'égard des tiers et pour l'application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), réputé le préposé du ministre.
[257] Les articles 72 et 73 du Code de procédure pénale[10] mentionnent :
72. L'agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis une infraction peut exiger qu'elle lui déclare ses nom et adresse, s'il ne les connaît pas, afin que soit dressé un constat d'infraction.
L'agent qui a des motifs raisonnables de croire que cette personne ne lui a pas déclaré ses véritables nom et adresse peut, en outre, exiger qu'elle lui fournisse des renseignements permettant d'en confirmer l'exactitude.
73. Une personne peut refuser de déclarer ses nom et adresse ou de fournir des renseignements permettant d'en confirmer l'exactitude tant qu'elle n'est pas informée de l'infraction alléguée contre elle.
[258] Le standard applicable au travail du policier n’en est pas un d’excellence. Il s’agit d’un comportement moyen qui n’est ni le meilleur, ni le pire. Il faut apprécier le contexte global dans lequel se trouve Camacho au moment des événements.
[259] A-t-il des motifs raisonnables et probables de croire que Kosoian a commis une entrave en refusant de s’identifier afin de permettre aux policiers de rédiger le deuxième constat d’infraction?
[260] En somme, l’arrestation sera considérée justifiée et légale si tel est le cas.
[261] Le policier a-t-il exercé ses pouvoirs discrétionnaires ou commis une faute dans son jugement professionnel selon la pratique établie dans le cadre de sa profession particulière?
[262] Les citoyens sont en droit de s’attendre à des normes particulièrement élevées de leurs policiers.
[263] Le Tribunal a eu la chance d’effectuer une lecture attentive de la décision Godin c. Montréal (Ville de)[11]de notre savant collègue, l’honorable Sylvain Coutlée.
[264] Alors saisi de l’affaire du groupe de manifestants qui ont occupé du 15 octobre au 25 novembre 2011 le Carré Victoria à Montréal, il a eu l’opportunité de rechercher et d’appliquer les critères applicables à une cause semblable à la nôtre.
[265] Il importe de référer ici à plusieurs passages de cette importante décision.
«[69] Il s’agit de déterminer si la conduite des policiers, en fonction des faits reprochés, peut entrainer leurs responsabilités civiles.
[70] Ainsi, la conduite des policiers doit s’évaluer en fonction de la norme du policier prudent et diligent placé dans les mêmes circonstances. On parle ici du critère du policier raisonnable.
[71] Comme le mentionne la Cour suprême dans l’affaire Hill :
« 68 Un certain nombre d’éléments étayent la conclusion selon laquelle la norme de diligence est celle du policier raisonnable eu égard à toutes les circonstances. Premièrement, il s’agit d’une norme à la fois générale et souple valant pour tous les aspects du travail d’enquête du policier et tenant dûment compte de sa réalité. La conduite qui s’impose dépend du stade de l’enquête et des considérations juridiques applicables. Il se peut qu’au début de l’enquête, les policiers n’aient qu’une preuve par ouï-dire, un soupçon et une intuition. Il leur faut alors agir comme le feraient des enquêteurs raisonnables placés dans la même situation. À l’étape ultérieure de l’inculpation, la norme est éclairée par l’exigence légale de motifs raisonnables et probables de croire à la culpabilité du suspect; puisque la loi lui fait obligation d’avoir de tels motifs, le policier raisonnable dans les circonstances s’assurera d’en avoir. La norme du policier raisonnable n’a pas pour effet de rendre les normes criminelles contradictoires entre elles (la juge Charron, par. 175). Au contraire, elle les intègre, tout comme elle intègre la latitude judiciaire nécessaire, elle écarte la responsabilité pour l’erreur sans gravité et elle rejette la responsabilité établie à l’issue d’une appréciation a posteriori. De la sorte, elle tient compte de la réalité du travail policier.
[72] La Cour suprême continue sur la norme du policier raisonnable :
« 72 Enfin, la jurisprudence appuie l’application de la norme du policier raisonnable placé dans la même situation. La majorité des décisions de justice visant des professionnels appliquent la norme du professionnel raisonnablement compétent placé dans la même situation (voir Klar, p. 349; jugement de première instance, par. 63). La Cour d’appel du Québec a confirmé à deux reprises l’application de la norme du policier normalement compétent placé dans les mêmes circonstances (Jauvin c. Procureur général du Québec, [2004] R.R.A. 37, par. 59; Lacombe c. André, 2003 CanLII 47946 (QC CA), [2003] R.J.Q. 720, par. 41). »
« 73 […] Tant que l’exercice du pouvoir discrétionnaire est raisonnable, la norme de diligence est observée. La norme ne commande pas une démarche parfaite, ni même optimale, lorsqu’on considère celle - ci avec le recul. La norme est celle du policier raisonnable au regard de la situation — urgence, données insuffisantes, etc. — au moment de la décision. Le droit de la négligence n’exige pas des professionnels qu’ils soient parfaits ni qu’ils obtiennent les résultats escomptés (Klar, p. 359). En fait, il admet qu’à l’instar des autres professionnels, le policier peut, sans enfreindre la norme de diligence, commettre des erreurs sans gravité ou des erreurs de jugement aux conséquences fâcheuses. Le droit distingue l’erreur déraisonnable emportant l’inobservation de la norme de diligence de la simple « erreur de jugement » que n’importe quel professionnel raisonnable aurait pu commettre et qui, par conséquent, n’enfreint pas la norme de diligence. (Voir Lapointe c. Hôpital Le Gardeur, 1992 CanLII 119 (CSC), [1992] 1 R.C.S. 351; Folland c. Reardon (2005), 2005 CanLII 1403 (ON CA), 74 O.R. (3d) 688 (C.A.); Klar, p. 359.) »
[73] Cela dit, quelles sont les fautes reprochées aux policiers ?
[…]
[76] Les demandeurs soutiennent que les policiers n’avaient pas de motifs pour procéder à leur arrestation.
[77] Le Tribunal ne partage pas cet avis. Les demandeurs contrevenaient à l’ordre donné par le directeur général de l’arrondissement Ville-Marie à l’effet que le parc était fermé (article 4 du règlement sur les parcs R.R.V.M. c. P-3). Un avis préalable avait été distribué à cet effet.
[78] Les demandeurs ont refusé d’obtempérer à un ordre d’un agent de la paix de quitter les lieux considérant que le parc était fermé au public (art. 5 R.R.V.M. C.P-1).
[79] Les demandeurs ont été invités à de nombreuses reprises à quitter les lieux. Ils ont aussi été informés à de nombreuses reprises que le refus d’obtempérer entrainerait leur arrestation. Malgré cela, les demandeurs ont persisté.
[80] Les demandeurs allèguent n’avoir jamais été informés des raisons qui ont mené à leur arrestation.
[81] Les demandeurs ne peuvent feindre l’ignorance des motifs qui ont conduit à leur arrestation. La preuve vidéo à cet effet est plus que convaincante. Sur la bande vidéo, on entend, à de nombreuses reprises, les mises en garde des policiers. Les demandeurs se savaient en infraction.
[82] Les demandeurs soutiennent que les policiers ont utilisé une force excessive.
[83] Après avoir visionné les vidéos dans lesquels on voit les arrestations et l’usage de la force utilisée par les policiers pour convaincre les demandeurs, messieurs Godin et O’Callaghan, de quitter les lieux, le Tribunal est d’avis que tout s’est déroulé conformément aux normes enseignées au policier en pareille circonstance
[…]
[86] Il est clair que l’attitude et les agissements des demandeurs visaient avant tout le coup d’éclat médiatique.
[87] Les demandeurs reprochent à la défenderesse de les avoir menottés, et de les avoir détenus illégalement dans un autobus.
[88] Les demandeurs savaient qu’en contrevenant à l’ordre d’éviction qu’ils seraient arrêtés. À partir de ce constat, une procédure est mise en place afin de contrôler et d’identifier les prévenus. Toutes ces mesures sont des mesures mises en place afin de faciliter le travail d’enquête des policiers et de minimiser l’impact sur la personne qui fait l’objet de l’arrestation. Les menottes sont probablement une des mesures de contention les plus connues. Une fois en état d’arrestation, deux des trois demandeurs ont été menottés. Ils sont emmenés dans l’autobus chauffé pour fins d’identification. Les trois demandeurs affirment qu’ils sont demeurés entre 20 et 60 minutes à l’intérieur de l’autobus. Le choix de menotter ou non les demandeurs appartient aux policiers eu égard aux évènements.
[89] Dans les circonstances, il n’y a rien de déraisonnable dans les moyens qui ont été mis en exécution par les forces policières lors des arrestations des demandeurs.
[…]
[100] La Cour suprême, dans l’affaire Mustapha c. Culligan du Canada ltée (2008) 2008 CSC 27 (CanLII), 2 R.C.S. 114, aborde la question de la suffisance des dommages en ces termes :
« Dans Mustapha c. Culligan du Canada Ltée, 2008 CSC 27 (CanLII), [2008] 2 R.C.S. 114, la juge en Chef McLachlin s’exprimant pour la Cour suprême du Canada aborde la question de la suffisance des dommages en ces termes :
[9] Cela dit, les troubles psychologiques constituant un préjudice personnel doivent être distingués d’une simple contrariété. En droit, un préjudice personnel suppose l’existence d’un traumatisme sérieux ou d’une maladie grave : voir Hinz c. Berry, [1970] 2 Q.B. 40 (C.A.), p. 42; Page c. Smith, p. 189; Linden et Feldthusen, p. 425-427. Le droit ne reconnaît pas les contrariétés, la répulsion, l’anxiété, l’agitation ou les autres états psychologiques qui restent en deçà d’un préjudice. Je n’entends pas donner ici une définition exhaustive de ce qu’est un préjudice indemnisable, mais seulement dire que le préjudice doit être grave et de longue durée, et qu’il ne doit pas s’agir simplement des désagréments, angoisses et craintes ordinaires que toute personne vivant en société doit régulièrement accepter, fût-ce à contrecœur. À mon sens, c’est cette nécessité d’accepter de telles contrariétés, au lieu de prendre action en responsabilité délictuelle pour obtenir réparation, qu’évoquait la Cour d’appel lorsqu’elle a cité Vanek c. Great Atlantic & Pacific Co. of Canada (1999), 1999 CanLII 2863 (ON CA), 48 O.R. (3d) 228 (C.A.) : [TRADUCTION] « [Et] la vie continue » (par. 60). Tout bonnement, les contrariétés mineures et passagères n’équivalent pas à un préjudice personnel et, de ce fait, ne constituent pas un dommage. »
[101] En regard de la définition donnée par la Cour suprême, force est de constater que les demandeurs ne rencontre pas les critères ci-haut décrits.
(Soulignements du juge Coutlée)
[266] Le Tribunal conclut que le travail de l’agent Camacho a été, eu égard à toutes les circonstances de cette affaire, exemplaire et irréprochable.
[267] Il a fait preuve d’une très grande patience et a agi conformément à l’application des normes de tout autre policier raisonnable placé dans la même situation.
[268] De même, il a respecté la conduite du «professionnel raisonnablement compétent» placé dans la même situation.
[269] Le Tribunal ajoute ici qu’il a fait preuve d’un professionnalisme suivant les plus hauts standards de la difficile profession de policier.
[270] Il n’a commis aucune faute, bien au contraire, il a en tous points suivi les directives et plans de formation prodigués aux policiers. C’est Kosoian qui a illégalement et obstinément refusé d’obtempérer à un ordre de l’agent de la paix, d’une part, en refusant de tenir la rampe de l’escalier mobile ce jour-là et, par la suite, de s’identifier.
[271] Pareil comportement est inconcevable, irresponsable et contraire aux règles élémentaires de civisme de notre société.
[272] Les policiers l’ont invitée à de nombreuses reprises à se conformer à leur demande d’identification, ce qu’elle a illégalement refusé de faire.
[273] Au départ, elle n’est pas détenue au sens légal du terme alors qu’on veut lui émettre un constat d’infraction relativement au non-maintient de la rampe de l’escalier mobile.
[274] Elle n’a pas droit à l’avocat à ce moment-là.
[275] Elle croit tout savoir du droit applicable en semblable matière, ce qui n’est pas le cas.
[276] Le Tribunal conclut que Kosoian n’a jamais été détenue illégalement. Au contraire, les policiers ont agi et ont tout fait dans les circonstances particulières de cette affaire pour minimiser l’impact sur Kosoian dans le cadre de cette intervention.
[277] Le fait de la menotter était nécessaire et justifié étant donné ses agissements à elle.
[278] Rappelons que le choix de menotter ou non une personne appartient au policier, eu égard aux événements. Ces derniers étaient totalement justifiés de le faire, notamment pour leur sécurité et celle de Kosoian.
[279] Le Tribunal a pu bénéficier de quatre jours pour l’audience de cette affaire et il n’y a pas le moindre soupçon de moyens déraisonnables utilisés par les policiers. Ceux-ci étaient totalement justifiés d’employer les gestes et la force policière pour intervenir auprès de Kosoian.
[280] Rien dans la preuve ne démontre que les policiers ont utilisé des méthodes invasives contre Kosoian.
[281] Le Tribunal ne retient pas non plus de faute de la part des autres défenderesses. Bien au contraire, les règles et directives sont claires. La réglementation très adéquate et sa mise en application sans reproche.
[282] Pour toutes ces raisons, le Tribunal conclut que Kosoian n’a pas démontré selon les standards de la preuve prépondérante de faute de la part des défendeurs.
[283] Sa réclamation est rejetée.
[284] Il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’apprécier tous les autres arguments, demandes ou réclamations en l’instance étant donné la conclusion à laquelle il en arrive.
[285] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[286] REJETTE la réclamation.
[287] LE TOUT avec dépens.
|
||
|
__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
|
|
||
Me Aymar Missakila |
||
Avocat de la demanderesse |
||
|
||
Me Natalia Sampaio |
||
ALLAIRE & ASSOCIÉS |
||
Avocate des défendeurs Fabio Camacho et Ville de Laval |
||
|
||
Me Daniel Maillé |
||
JOLY, GIULIANI & MAILLÉ |
||
|
||
Date d’audience : |
11, 12, 13 et 14 mai 2015 |
|
[1] L'emploi des noms de famille vise à alléger le texte pour plus de clarté et ne doit pas être vu comme un manque de courtoisie ou de respect envers les parties et autres intervenants au litige.
[2] [1952] 1 R.C.S., 376
[3] Jean-Claude ROYER et Sophie LAVALLÉE, La preuve civile, 4e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2008
[4] [1964] B.R. 637
[5] 2008 CSC 53
[6] 2012 QCCS 819
[7] [2003], CanLII 3294 (QCCQ)
[8] RLRQ, c. S-30.01
[9] RLRQ, c. P-13.1
[10] RLRQ, c. C-25.1
[11] 2015 QCCQ 5513
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.