Association pour la protection automobile (APA) c. Banque de Nouvelle-Écosse | 2022 QCCS 935 | |||||
COUR SUPÉRIEURE | ||||||
(Chambre des actions collectives) | ||||||
CANADA | ||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | ||||||
DISTRICT DE | MONTRÉAL | |||||
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No : | 500-06-000934-188 | |||||
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DATE : | 18 mars 2022 | |||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | STÉPHANE LACOSTE, J.C.S. | ||||
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ASSOCIATION POUR LA PROTECTION AUTOMOBILE (APA) et CATHY MEILLEUR | ||||||
demanderesses | ||||||
c. | ||||||
BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE et BANQUE DE MONTRÉAL et FÉDÉRATION DES CAUSSES DESJARDINS DU QUÉBEC | ||||||
défenderesses | ||||||
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JUGEMENT | ||||||
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[1] Ce dossier concerne une action collective intentée le 25 octobre 2021. Le Tribunal tient une audience pour trancher plusieurs questions. Il les traitera séparément.
[2] L’article
579. Lorsque l’action collective est autorisée, un avis est publié ou notifié aux membres, indiquant:
1° la description du groupe et, le cas échéant, des sous-groupes;
2° les principales questions qui seront traitées collectivement et les conclusions recherchées qui s’y rattachent;
3° le nom du représentant, les coordonnées de son avocat et le district dans lequel l’action collective sera exercée;
4° le droit d’un membre de demander à intervenir à l’action collective;
5° le droit d’un membre de s’exclure du groupe, les formalités à suivre et le délai pour s’exclure;
6° le fait qu’un membre qui n’est pas un représentant ou un intervenant ne peut être appelé à payer les frais de justice de l’action collective;
7° tout autre renseignement que le tribunal juge utile dont, entre autres, l’adresse du site Internet pour accéder au registre central des actions collectives.
Le tribunal détermine la date, la forme et le mode de la publication en tenant compte de la nature de l’action, de la composition du groupe et de la situation géographique de ses membres; le cas échéant, l’avis indique, en les désignant nommément ou en les décrivant, ceux des membres qui seront notifiés individuellement. Il peut, s’il l’estime opportun, autoriser la publication d’un avis abrégé.
[3] Le Tribunal jouit d’une large discrétion en cette matière. Cette discrétion doit être exercée en considérant les outils de communications existants, en faisant preuve de créativité, et de manière à rejoindre le plus de membres possibles tout en respectant le principe de proportionnalité[1].
[4] Les parties s’entendent sur le contenu des avis sauf quant à l’inclusion possible de pictogrammes et l’utilisation de la couleur. Elles ne s’entendent pas non plus quant au mode de diffusion ni quant au paiement des frais.
Inclusion de pictogrammes de couleur
[5] S’il n’est pas dans les habitudes d’utiliser des pictogrammes dans de tels avis, rien de l’empêche non plus. L’humanité utilise des pictogrammes ou d’autres formes d’images pour communiquer depuis des millions d’années, c’est une façon simple de communiquer et d’attirer l’attention.
[6] La preuve ne révèle pas qu’il soit particulièrement coûteux ou disproportionné d’utiliser des pictogrammes de couleur.
[7] Le Tribunal estime qu’il est préférable que l’avis inclue les pictogrammes proposés par les demandeurs. L’utilisation de tels pictogrammes est de nature à attirer l’attention des membres du groupe et de rejoindre ainsi un plus grand nombre d’entre eux. Il en est de même de l’utilisation de la couleur bleue proposée par les demandeurs.
Mode de diffusion de l’avis
[8] Les demandeurs présentent un plan de diffusion aux membres qui inclut ce qui suit :
1- « Les Défenderesses Banque de la Nouvelle-Écosse (« BNE »), Banque de Montréal (« BMO ») et Fédération des caisses Desjardins du Québec (« Fédération Desjardins ») notifieront les avis aux membres par courriel ou par la poste aux dernières coordonnées connues de tous les individus qui sont liés avec ces dernières par un contrat de vente à tempérament d’un bien mobilier et qui ont dû payer des frais d’administration sous quelque forme que ce soit en sus des droits exigés par le gouvernement pour l’inscription d’un droit de réserve de propriété au RDPRM et des frais raisonnables facturés par des tiers à la BNE ou à la BMO ou à la Fédération Desjardins »;
2- Une campagne d’une durée de 30 jours sur Facebook par le biais d’annonces incluant un hyperlien vers les avis longs publié sur les sites internet des procureurs des demanderesses, accompagnées d’une photo en lien avec le litige;
3- Un affichage des avis sur les sites internet des procureurs des demandeurs;
4- Un affichage au Registre des actions collectives;
[9] Les défenderesses objectent qu’il en coûterait plus de 1 000 000 $ en tout pour procéder par un envoi individuel et que cela serait non seulement disproportionné, mais aussi complètement inédit.
[10] Des déclarations sous serment sont déposées et convainquent le Tribunal qu’il en coûterait une somme clairement disproportionnée pour envoyer un avis par la voie postale à tous et chacun des membres du groupe. Rien dans le dossier n’indique qu’il soit nécessaire ou approprié de fonctionner ainsi. Ce mode de diffusion est écarté.
[11] Le Tribunal estime qu’il faut rejeter l’option de la diffusion des avis par envoi d’un courriel à la dernière adresse connue des membres. Ce mode de diffusion serait aussi couteux et créerait une disparité importante parmi les membres du groupe parce que les défenderesses n’ont pas connaissance des adresses courriel de tous les membres. Desjardins n’en a d’ailleurs aucune.
[12] Quant à la possible publication dans les journaux, elle apparait si peu utile en 2022 que le Tribunal ne la croit pas appropriée.
[13] Le Tribunal estime qu’il faut retenir les autres modes de diffusion proposés par les demanderesses.
[14] Les frais de publication
[15] Les demandeurs plaident que les défenderesses devraient payer les frais de publication. Ils plaident qu’elles sont des entreprises très riches qui ont largement les moyens d’assumer de tels frais, alors que ce n’est pas leur cas.
[16] Les défenderesses plaident qu’il est usuel que les demandeurs paient de telles dépenses qui font de toute manière partie des frais de justice dont il sera disposé par le jugement final. Selon elles, les demanderesses n’ont de toute façon pas fait la preuve de leur incapacité de payer. Elles plaident qu’il y a chose jugée sur cette question vu la décision rendue plus tôt dans ce dossier par la Cour supérieure et confirmée par la Cour d’appel.
[17] Dans le jugement d’autorisation, le Tribunal conclut : « FRAIS DE JUSTICE À SUIVRE ».
[18] Selon les défenderesses, il en résulte que les demanderesses doivent assumer les frais de diffusion des avis puisqu’ils font partie des frais de justice.
[19] Le Tribunal n’est pas d’accord avec cette lecture de la décision du jugement d’autorisation. La conclusion quant aux frais de justice ne s’applique qu’à l’égard de la demande d’autorisation; elle ne peut s’appliquer aux étapes suivantes et aux autres décisions que le Tribunal peut rendre par la suite. Il en est ainsi, par exemple, de la présente décision pour laquelle le Tribunal peut condamner une partie au paiement des frais de justice qui y sont reliés.
[20] C’est pour cette raison que le jugement d’autorisation ne se prononce pas sur la demande des demandeurs de condamner les défenderesses aux frais de justice « y compris les frais d’avis nécessaires à la publication des avis aux membres suite au jugement d’autorisation » mais conclut plutôt sans faire mention des frais reliés à la publication des avis.
[21] Il n’y a donc pas de chose jugée sur la question des frais de diffusion des avis.
[22] Les principes applicables à la détermination de la responsabilité de ces frais sont résumés dans la décision récente Huard c. Innovation Tootelo inc.[2] en ces termes :
[53] Le Tribunal a déjà fait état du droit applicable sur le paiement des avis d’autorisation dans la décision Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre[31]. Les frais de publication des avis d’autorisation font partie des frais de justice au sens des articles
1. Le degré d’apparence sérieuse de droit démontré au stade de l’autorisation;
2. L’impact du paiement des frais de publication sur la partie demanderesse et le déséquilibre que ces frais pourraient causer entre les parties au début du litige;
3. Les enjeux économiques du recours collectif pour les parties et le caractère raisonnable des frais de publication tenant compte du coût pour le représentant comparativement à son intérêt économique personnel.
[23] Le jugement d’autorisation et la DII démontrent que les demanderesses ont établi une apparence suffisamment sérieuse de droit. La réclamation individuelle de la demanderesse Cathy Meilleur est d’au plus 172,78 $ et n’est qu’une infime partie des sommes en jeu et il serait disproportionné de lui imposer le paiement de frais de diffusion. L’autre demanderesse est une association à but non lucratif qui ne tirera aucun bénéfice financier de l’action collective. Les défenderesses quant à elles, sont des entreprises riches qui ont amplement les moyens de payer les frais de diffusion sans que cela affecte sensiblement leurs revenus nets.
[24] Le Tribunal estime qu’il est proportionnel et juste d’imposer aux défenderesses le paiement des frais de diffusion, frais qui feront partie des frais de justice dont disposera le jugement final.
[25] Desjardins désire interroger des membres du groupe sur les sujets suivants :
25.1. Circonstances de conclusion du CVT [contrat de vente à tempérament], notamment choix de la FCDQ;
25.2. Expérience en matière d’inscription de CVT au RDPRM;
25.3. Caractère prétendument « disproportionné et abusif » ou autrement préjudiciable des frais en cause.
[26] Les membres que Desjardins désire interroger sont ceux dont les CVT sont déjà au dossier.
[27] BMO désire interroger des membres du groupe qui ont conclu un CVT avec elle « sur tous les faits pertinents se rapportant au litige ».
[28] BNE désire interroger des membres du groupe qui ont conclut un CVT avec elle pour :
12. Defendant BNE requires the examination of these two individuals in order to fully understand Plaintiffs’ claim pertaining to the alleged unjustified, disproportionate and abusive component of these fees in the contracts signed by Mses. Lapierre and Trottechaud;
13. Defendant BNE also requires the examination of Mses. Lapierre and Trottechaud in order to understand the information obtained by them prior, during and after the signature of the agreements Exhibits P-7 c) and d) and with regards to their knowledge and understanding of the services provided by BNE, of the cost of credit and of the administrative fees invoiced;
[29] La demanderesse Cathy Meilleur est liée par contrat avec la défenderesse BNE seulement.
[30] L’article
587. Une partie ne peut soumettre un membre, autre que le représentant ou un intervenant, à un interrogatoire préalable ou à un examen médical; elle ne peut non plus interroger un témoin hors la présence du tribunal. Le tribunal peut faire exception à ces règles s’il l’estime utile pour décider des questions de droit ou de fait traitées collectivement.
(Nos soulignés)
[31] Le législateur établit une règle claire : un défendeur ne peut interroger un autre membre que le représentant ou l’intervenant. Il accorde cependant au Tribunal la discrétion de permettre la tenue d’un interrogatoire d’un autre membre seulement « s’il l’estime utile pour décider des questions de droit ou de fait traitées collectivement. ». Il ne s’agit donc pas d’une discrétion complètement ouverte. Elle ne peut être exercée que si le Tribunal conclut qu’il est en présence d’une telle utilité[3]. Il faut bien sûr distinguer entre la nécessité et l’utilité. Le seuil de démonstration de l’utilité est moins élevé que celui de la nécessité, mais il demeure élevé et va au-delà de la seule pertinence. C’est le défendeur qui demande la permission de tenir un tel interrogatoire qui supporte le fardeau d’en prouver l’utilité[4]. Même si cette preuve est faite, le Tribunal conserve la discrétion de rejeter la demande. Dans son récent arrêt Samsung Electronics Canada Inc. c. Option Consommateurs[5], la Cour d’appel résume les principes applicables comme suit :
[6] When considering whether a judgment denying leave to conduct or limiting the scope of a pre-trial examination appears unreasonable in light of the guiding principles of procedure, one must remain mindful that whatever rights parties to civil proceedings may have to conduct pre-trial examinations do not amount to fundamental rights. Also important here is the fact that the legislature has made clear that parties to a class action have no right per se to conduct pre-trial examinations of class members: “[a] party cannot subject a class member other than the representative plaintiff […] to a pre-trial examination/[u]ne partie ne peut soumettre un membre, autre que le représentant […], à un interrogatoire préalable”. While it is true that the legislature has stated that such examinations may be held in exceptional circumstances, the language of article
(Références omises, nos soulignés)
[32] Aucun des motifs soulevés au soutien des demandes ne présente d’utilité au Tribunal. Il apparaît plutôt que les défenderesses tentent de détourner le litige vers des questions qui ne sont pas pertinentes à la lumière du jugement d’autorisation et de celui de la Cour d’appel ou de la DII. Le litige qui sera soumis au juge du fond porte sur l’interprétation de dispositions législatives et leur application objective aux pratiques des défenderesses (soit leurs procédures, coûts, frais chargés aux membres). Il ne dépend pas de la compréhension, de l’intention ou des moyens financiers des membres ni de la raison pour laquelle ils ont choisi de faire affaire avec les défenderesses; même si de telles questions étaient pertinentes, elles ne présentent pas le caractère commun exigé par l’article
[33] Le 25 février 2019, le Tribunal rend la décision suivante :
Suite aux représentations des procureurs et avec le consentement de ceux-ci, le Tribunal rend une ordonnance de mise sous scellé :
ORDONNE la mise sous scellé des pièces F-1 et F-2[6];
ORDONNE que l’accès auxdites pièces soit restreint aux avocats des parties ainsi qu’à madame Cathy Meilleur et à Monsieur George Iny, à titre de représentant de l’Association pour la protection automobile, sans droit de divulgation par ces personnes à des tiers.
La présente ordonnance devra demeurer en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit modifiée, le cas échéant.
[34] Les demanderesses demandent la levée des scellés parce qu’il n’est pas justifié de les maintenir, surtout à la lumière du récent arrêt Sherman (Succession) c. Donovan[7] (« Sherman ») prononcé par la Cour suprême le 11 juin 2021 portant sur la publicité des débats judiciaires.
[35] Desjardins plaide que la demande est irrecevable parce qu’il y a chose jugée et qu’elle est de toute manière mal fondée. Elle a tort.
[36] La règle de la chose jugée ne s’applique pas à des décisions de gestion qui sont par nature évolutives, bien qu’elles aient un effet certain. De telles décisions peuvent toujours être révisées ou modifiées en cas de changement suffisamment important au contexte factuel ou légal ou simplement lorsque des changements dans la preuve donne au Tribunal un portrait plus complet de la situation[8].
[37] Dans un récent arrêt Société Radio Canada c. Manitoba[9] la Cour suprême du Canada reconnaît d’ailleurs l’existence d’un tel pouvoir de modifier ou annuler une ordonnance d’interdiction de publication ou de mise sous scellés lorsque les faits ont changé, même à l’égard d’un dossier dans lequel une décision finale a été rendue.
[38] Au-delà de ces principes généraux, la décision du 29 février elle-même prévoit qu’elle demeurera en vigueur jusqu’à ce qu’elle soit modifiée. Le Tribunal n’entend pas alors rendre une ordonnance permanente, mais plutôt régler un problème immédiat tout en se réservant la possibilité de modifier son ordonnance plus tard. Ceci est d’autant plus pertinent qu’à l’époque de cette décision, le dossier était toujours à l’étape de la demande d’autorisation et que la décision ne peut lier le Tribunal à la présente étape.
[39] L’arrêt Sherman réaffirme l’importance de la publicité des débats judiciaire et restreint les exceptions à ce principe fondamental. La Cour nuance toutefois le test applicable selon la jurisprudence antérieure :
[38] Le test des limites discrétionnaires à la publicité présumée des débats judiciaires a été décrit comme une analyse en deux étapes, soit l’étape de la nécessité et celle de la proportionnalité de l’ordonnance proposée (Sierra Club, par. 53). Après un examen, cependant, je constate que ce test repose sur trois conditions préalables fondamentales dont une personne cherchant à faire établir une telle limite doit démontrer le respect. La reformulation du test autour de ces trois conditions préalables, sans en modifier l’essence, aide à clarifier le fardeau auquel doit satisfaire la personne qui sollicite une exception au principe de la publicité des débats judiciaires. Pour obtenir gain de cause, la personne qui demande au tribunal d’exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à limiter la présomption de publicité doit établir que :
1) la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;
2) l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et
3) du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.
Ce n’est que lorsque ces trois conditions préalables sont remplies qu’une ordonnance discrétionnaire ayant pour effet de limiter la publicité des débats judiciaires — par exemple une ordonnance de mise sous scellés, une interdiction de publication, une ordonnance excluant le public d’une audience ou une ordonnance de caviardage —pourra dûment être rendue. Ce test s’applique à toutes les limites discrétionnaires à la publicité des débats judiciaires, sous réserve uniquement d’une loi valide (Toronto Star Newspapers Ltd. c. Ontario,
[…]
[43] Le test énoncé dans Sierra Club continue d’être un guide approprié en ce qui a trait à l’exercice du pouvoir discrétionnaire des tribunaux dans des affaires comme en l’espèce. L’étendue de la catégorie d’« intérêt important » transcende les intérêts des parties au litige et offre une grande souplesse pour remédier à l’atteinte aux valeurs fondamentales de notre société qu’une publicité absolue des procédures judiciaires pourrait causer […] Parallèlement, cependant, l’obligation de démontrer l’existence d’un risque sérieux pour un intérêt important établit un seuil valable nécessaire au maintien de la présomption de publicité des débats. S’ils devaient tout simplement mettre en balance les avantages et les effets négatifs de l’imposition d’une limite à la publicité des débats judiciaires, les décideurs appelés à examiner les incidences concrètes pour les personnes qui comparaissent devant eux pourraient avoir du mal à accorder un poids suffisant aux effets négatifs moins immédiats sur le principe de la publicité des débats. Une telle pondération pourrait échapper à un contrôle efficace en appel. À mon avis, le cadre d’analyse fourni par les arrêts Dagenais, Mentuck et Sierra Club demeure approprié et devrait être confirmé.
[40] La Cour établit que la protection de la vie privée ne constitue une limite au principe de la publicité des débats que dans la seule mesure où elle soulève un intérêt public qui dépasse les seuls inconvénients et embarras d’une personne :
[63] Plus particulièrement, pour maintenir l’intégrité du principe de la publicité des débats judiciaires, un intérêt public important à l’égard de la protection de la dignité devrait être considéré sérieusement menacé seulement dans des cas limités. Rien en l’espèce n’écarte le principe selon lequel le secret en matière de procédures judiciaires doit être exceptionnel. Ni la susceptibilité des gens ni le fait que la publicité soit désavantageuse, embarrassante ou pénible pour certaines personnes ne justifieront généralement, à eux seuls, une atteinte au principe de la publicité des débats judiciaires (MacIntyre, p. 185; Nouveau‑Brunswick, par. 40; Williams, par. 30; Coltsfoot Publishing Ltd. c. Foster‑Jacques,
[…]
[73] Je suis donc d’avis que protéger les gens contre la menace à leur dignité qu’entraîne la diffusion de renseignements révélant des aspects fondamentaux de leur vie privée dans le cadre de procédures judiciaires publiques constitue un intérêt public important pour l’application du test.
[…]
[75] S’il porte essentiellement sur la protection de la dignité d’une personne, cet intérêt sera miné dans le cas de renseignements qui révèlent quelque chose de sensible sur elle en tant qu’individu, par opposition à des renseignements d’ordre général révélant peu ou rien sur ce qu’elle est en tant que personne. Par conséquent, les renseignements qui seront révélés en raison de la publicité des débats judiciaires doivent être constitués de détails intimes ou personnels concernant une personne — ce que notre Cour a décrit, dans sa jurisprudence relative à l’art. 8 de la Charte, comme le cœur même des « renseignements biographiques » — pour qu’un risque sérieux pour un intérêt public important soit reconnu dans ce contexte (R. c. Plant, 1993 CanLII 70 (CSC),
[41] Pour une application de cet arrêt en droit québécois, voir Mabarex inc. c. Ville de Vaudreuil-Dorion [10] et Douville c. St-Germain*[11] et Maison des femmes sourdes de Montréal c. Communauté des soeurs de Charité de la Providence[12].
[42] La Cour suprême impose un test très strict pour la protection de la confidentialité de renseignements personnels qui s’applique, avec les adaptations nécessaires, aux renseignements de nature commerciale d’une entreprise.
[43] Ces principes doivent être pris en considération dans l’interprétation et l’application de l’article
12. Le tribunal peut faire exception au principe de la publicité s’il considère que l’ordre public, notamment la protection de la dignité des personnes concernées par une demande, ou la protection d’intérêts légitimes importants exige que l’audience se tienne à huis clos, que soit interdit ou restreint l’accès à un document ou la divulgation ou la diffusion des renseignements et des documents qu’il indique ou que soit assuré l’anonymat des personnes concernées.
(Nos soulignés)
[44] L’expression « intérêts légitimes importants » peut certainement inclure certains intérêts commerciaux importants, mais doit être interprétée restrictivement. À cet égard, il faut rappeler ce que la Cour suprême écrit dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances)[13] :
54. Comme dans Mentuck, j’ajouterais que trois éléments importants sont subsumés sous le premier volet de l’analyse. En premier lieu, le risque en cause doit être réel et important, en ce qu’il est bien étayé par la preuve et menace gravement l’intérêt commercial en question.
55 De plus, l’expression « intérêt commercial important » exige une clarification. Pour être qualifié d’« intérêt commercial important », l’intérêt en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité. Par exemple, une entreprise privée ne pourrait simplement prétendre que l’existence d’un contrat donné ne devrait pas être divulguée parce que cela lui ferait perdre des occasions d’affaires, et que cela nuirait à ses intérêts commerciaux. Si toutefois, comme en l’espèce, la divulgation de renseignements doit entraîner un manquement à une entente de non‑divulgation, on peut alors parler plus largement de l’intérêt commercial général dans la protection des renseignements confidentiels. Simplement, si aucun principe général n’entre en jeu, il ne peut y avoir d’« intérêt commercial important » pour les besoins de l’analyse. Ou, pour citer le juge Binnie dans F.N. (Re),
[45] La jurisprudence[14] interprète l’article
[32] Sherman n’est pas parfaitement transposable à un litige commercial comme celui en l’instance où il est question de renseignements commerciaux plutôt que de la vie privée d’individus. Le Tribunal tire néanmoins les constats suivants :
32.1. Les renseignements commerciaux sensibles peuvent constituer un intérêt important au sens du premier critère de Sherman, mais l’interprétation restrictive qui prévalait avant Sherman demeure clairement d’actualité.
32.2. Puisque l’atteinte à la vie privée de l’individu ne suffit pas pour constituer un « intérêt légitime important » et qu’une atteinte à la dignité est requise pour justifier des ordonnances, à titre de corollaire, ce ne sont pas toutes données financières ou renseignements commerciaux qui constituent un intérêt public important, mais bien seulement les renseignements de grande valeur.
32.3. Pour paraphraser Sherman, le caractère sensible des renseignements doit toucher la partie la plus névralgique de l’entreprise, tout comme pour l’individu, les renseignements sur sa vie privée doivent toucher « l’aspect le plus intime » de cet individu.
32.4. Les renseignements « révélant peu » sur l’entreprise ne peuvent pas être protégés.
32.5. Les intérêts commerciaux qui sont à protéger doivent intéresser la société dans son ensemble et non seulement la partie qui cherche des mesures de protection.
[46] La barre est placée bien haute et il faut présenter une preuve pour convaincre le Tribunal[16].
[47] En l’espèce, les informations protégées par l’ordonnance du 25 février 2019 ne sont pas suffisamment sensibles pour atteindre le seuil élevé établi par la Constitution et la jurisprudence. Le simple fait que des informations commerciales soient divulguées ne suffit pas. Encore faut-il que la partie qui demande une ordonnance de confidentialité ou de mise sous scellé démontre qu’il est dans l’intérêt public d’y faire droit. Desjardins ne relève pas ce lourd fardeau.
[48] Le Tribunal estime qu’il n’est pas dans l’intérêt public de maintenir sous scellés les pièces F-1 et F-2.
[49] En conséquence, le Tribunal ordonnera la levée des scellés.
[50] Les demanderesses demandent la permission de modifier leur demande introductive d’instance (« DII ») pour modifier les groupes quant à la période visée.
[51] La demande d’autorisation d’intenter une action collective visait les groupes suivants :
Groupe principal
Toutes les personnes physiques, personnes morales de droit privé, sociétés ou associations ou autres groupes sans personnalité juridique (individuellement un « Membre » ou collectivement les « Membres ») ayant contracté au Québec qui sont liés par un contrat de vente à tempérament ou un contrat de location d'un bien mobilier avec l'une ou l'autre des Défenderesses et qui ont dû payer des frais d'administration sous quelque forme que ce soit en relation avec l'inscription d'un droit de réserve de propriété ou d'un droit résultant d'un bail au Registre des droits personnels et réels mobiliers et/ou en relation avec l’administration desdits contrats en vertu de tout tel contrat, et ce, pour la période (la « Période Visée ») allant du 11 juillet 2015 jusqu'à la date du jugement final au mérite inclusivement » ou tout autre groupe qui sera identifié par le Tribunal (« Groupe Principal »);
Groupe consommateur
Toutes les personnes physiques au Québec ayant contracté au Québec (individuellement un « Membre Consommateur » ou collectivement les « Membres Consommateurs ») qui sont liés par un contrat de vente à tempérament ou un contrat de location d'un bien mobilier avec l'une ou l'autre des Défenderesses et qui ont dû payer des frais d'administration sous quelque forme que ce soit en relation avec l'inscription d'un droit de réserve de propriété ou d'un droit résultant d'un bail au Registre des droits personnels et réels mobiliers et/ou en relation avec l’administration desdits contrats en vertu de tout tel contrat, et ce, pour la période (la « Période Visée ») allant du 11 juillet 2015 jusqu'à la date du jugement final au mérite inclusivement » ou tout autre sous-groupe qui sera identifié par le Tribunal (« Groupe Consommateur »);
(Nos soulignés)
[52] Dans son jugement du 29 avril 2019 le Tribunal modifie la description de la période visée et autorise l’institution d’une action collective pour les groupes suivants :
Groupe Principal :
Toutes les personnes physiques, personnes morales de droit privé, sociétés ou associations ou autres groupes sans personnalité juridique (individuellement un « Membre » ou collectivement les « Membres ») ayant contracté au Québec, qui sont liés par un contrat de vente à tempérament d’un bien mobilier avec la BNE ou la BMO et qui ont dû payer des frais d’administration sous quelque forme que ce soit en sus des droits exigés par le gouvernement pour l’inscription d’un droit de réserve de propriété au RDPRM et des frais chargés par des tiers à la BNE ou la BMO en vertu de tout tel contrat, et ce, pour la période allant du 11 juillet 2015 jusqu’au 29 avril 2019 (« Période Visée »).
Groupe Consommateur :
Toutes les personnes physiques ayant contracté au Québec (individuellement un « Membre Consommateur » ou collectivement les « Membres Consommateurs ») qui sont liés par un contrat de vente à tempérament d’un bien mobilier avec la BNE ou la BMO et qui ont dû payer des frais d’administration sous quelque forme que ce soit en sus des droits exigés par le gouvernement pour l’inscription d’un droit de réserve de propriété au RDPRM et des frais chargés par des tiers à la BNE ou la BMO en vertu de tout tel contrat, et ce, pour la période allant du 11 juillet 2015 jusqu’au 29 avril 2019 (« Période Visée »).
(le Groupe Principal et le Groupe Consommateur sont désignés collectivement le « Groupe ». Il est par ailleurs entendu que le Groupe Consommateur est constitué pour les fins de l’application de la Loi sur la protection du consommateur, RLRQ, c. P-40.1 (la « LPC ») et que les membres de ce sous-groupe font partie intégrante du Groupe Principal).
(Nos soulignés)
[53] Le 27 avril 2021, la Cour d’appel accueille partiellement l’appel des demanderesses et rejette ceux de BNE et BMO. Essentiellement, la Cour autorise l’action collective contre Desjardins (FCDQ). Elle ne traite pas de la période visée, mais rejette implicitement la position des demandeurs qui lui demandaient d’étendre la période visée « jusqu’à la date du jugement final au mérite inclusivement ».
[54] Le 27 octobre 2021, les demanderesses déposent une DII qui reprend la description des groupes établie par la Cour supérieure et la Cour d’appel.
[55] Les demanderesses veulent maintenant être autorisées à modifier leur DII pour changer la période visée afin de l’étendre au 15 février 2022 et faire des modifications accessoires.
[56] BMO et BNE ne s’objectent pas à cette demande de modification. Desjardins s’y objecte en invoquant principalement la chose jugée eu égard au jugement d’autorisation.
[57] Le jugement d’autorisation bénéficie de l’autorité de la chose jugée, mais avec une nuance importante. Comme l’écrit la Cour suprême dans son arrêt Desjardins Cabinet de services financiers inc. c. Asselin[17] :
[72] […] Rappelons que le présent stade des procédures ne fait qu’autoriser le dépôt de la requête introductive d’instance; le jugement sur requête pour autoriser le recours ne constitue « qu’une décision préliminaire susceptible d’être modifiée au cours du procès, voire avant, et qui ne préjuge pas du résultat de la contestation finale » (Lafond, p. 116-117 (notes en bas de page omises)).
[58] Dans Air Canada c. P.A.*[18] la Cour d’appel rappelle ce passage des motifs de la Cour suprême et applique l’article
[59] En effet, aussi large soit le droit de modifier une procédure, il n’est pas sans limites comme l’explique le Tribunal dans Brochu c. Société des loteries du Québec (Loto-Québec)*[20]:
[73] Le Tribunal n’a pas non plus le pouvoir de changer ou d’ajouter des causes d’action ou d’échapper au cadre juridique fixé par le jugement en autorisation ou le jugement subséquent en modification de celui-ci.
[74] D’ailleurs, dans l’arrêt Syndicat national des employés de l’hôpital St-Ferdinand, la Cour d’appel a précisé qu’il n’était pas possible de forcer « un nouveau débat sur les motifs d’autorisation » parce que, ce faisant, il s’agirait d’un appel déguisé et interdit par l’article
[75] Enfin, les principales questions en litige et les conclusions recherchées peuvent se retrouver dans le jugement en autorisation de façon implicite ou accessoire à la condition de ne pas être en présence d’un recours nouveau. De façon générale, les tribunaux veillent à ce que la procédure de recours collectif ne dérape pas ou qu’elle ne prenne une tournure différente de celle encadrée par le jugement en autorisation ou en révision.
(Références omises, nos soulignés)
[60] Plus récemment, le Tribunal écrit[21] :
[10] Les principes applicables à une demande de modification présentée après l’autorisation d’une action collective font l’objet d’une abondante jurisprudence. Ces principes peuvent se résumer comme suit :
• En matière d’actions collectives, la modification nécessite une autorisation du tribunal selon l’article
• Les critères de la modification prévus à l’article
• Le jugement autorisant l’action collective constitue le cadre de référence devant servir à l’analyse des conditions de recevabilité des modifications.
• Une partie ne peut réintroduire dans son action collective des conclusions qui lui ont été refusées par le jugement sur l’autorisation.
• Le tribunal doit s’assurer de la compatibilité entre la modification et le moyen procédural que constitue l’action collective. À cette fin, il doit s’assurer que la modification ne va pas à l’encontre des critères énoncés à l’article
• La modification qui ne vise qu’à modifier ou compléter l’action collective, sans en changer la nature ou l’objet, ne requiert pas la reprise du processus d’autorisation prévu à l'article
• Lorsque la demande de modification vise l’ajout de défendeurs ou de nouvelles questions, le tribunal doit s’assurer qu’il ne résultera pas en l’ajout d’une demande totalement différente ou incompatible avec la demande autorisée.
• La modification d’une action collective afin d’y ajouter une réclamation qui n’a aucune chance de succès ne devrait pas être accordée, puisqu’elle ne satisferait pas les critères d’autorisation et ne serait ni dans l’intérêt de la justice ni dans l’intérêt des membres.
• Le tribunal doit veiller en tout temps au respect de la règle de la proportionnalité édictée à l'article
(Références omises, nos soulignés)
[61] Le jugement d’autorisation se prononce expressément sur la question de l’étendue de la période visée en rejetant la proposition soumise par les demanderesses pour plutôt retenir soumises par les défenderesses. L’autorité de la chose jugée empêche le Tribunal de faire droit à la demande de modification car il s’agit d’une tentative de réintroduire des conclusions qui ont été refusées.
[62] L’absence d’objection de la BNE et de la BMO ne permet pas non plus d’écarter l’autorité de la chose jugée.
[63] La demande de modification sera rejetée.
[64] Des demandes ont été suspendues en attendant la présente décision. Le Tribunal demande aux parties de l’informer de leurs intentions à ces égards au plus tard 7 jours après le présent jugement.
[65] Le délai pour la mise en état du dossier est fixé au 25 octobre 2022.
Quant aux avis aux membres
[66] APPROUVE les avis aux membres reproduits en annexe au présent jugement;
[67] ORDONNE la diffusion des avis dans un délai de 30 jours du présent jugement selon les modalités suivantes :
67.1. Par le biais d’une campagne d’annonces sur Facebook contenant un hyperlien vers le site internet de Adams avocats inc., pendant une durée de 30 jours, au coût maximum de 4 000 $ en français et 1 000 $ en anglais, visant les résidents du Québec âgés de 18 ans et plus;
67.2. Sur le site internet de Adams avocats inc.
67.3. Par enregistrement au Registre des actions collectives;
[68] ACCUEILLE la demande de levée des scellés et ORDONNE que les pièces F-1, F-2, P-30 et P-31 ne soient plus gardées sous scellés;
[69] REJETTE la demande de permission de modifier la Déclaration introductive d’instance;
[70] REJETTE les demandes des défenderesses pour interroger des membres des groupes;
[71] FIXE au 25 octobre 2022 le délai pour la mise en état du dossier;
[72] FRAIS DE JUSTICE à suivre.
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| __________________________________stéphane lacoste j.c.s. | |
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Me Guy Paquette | ||
Me Annie Montplaisir | ||
Me Fredy Adams Paquette Gadler inc. Avocats des demanderesses | ||
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Me Karine Chênevert Me Alexander L. De Zordo Borden Ladner Gervais Avocats de Banque de Nouvelle-Écosse
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Me Yves Martineau Stikeman Elliott | ||
Avocat Banque de Montréal
Me Laurence Bich-Carrière Me Eugene Czolif Lavery De Billy Avocats de Fédération des Caisses Desjardins du Québec | ||
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Date d’audience : | 15 et 16 février 2022 | |
[1] Voir notamment Chevalier c. Air Transat AT inc.,
[2] Précitée note 1; voir aussi Conseil pour la protection des malades c. Centre intégré de santé et de services sociaux de la Montérégie-Centre,
[3] Samsung Electronics Canada Inc. c. Option Consommateurs,
[4] Blouin c. Parcs éoliens de la Seigneurie de Beaupré 2 et 3*, précitée note 3, au paragraphe 21; Union des consommateurs c. Bell Canada,
[5]
[6] Ces pièces sont aussi déposées sous les cotes P-30 et P-31. Elles ne concernent que Desjardins,
[7]
[8] St-Louis c. La Presse ltée,
[9]
[10]
[11]
[12]
[13]
[14] Gesca ltée c. Groupe Polygone Éditeurs inc. (Malcom Média inc.)*,
[15]
[16] Bouchard c. Banque de Montréal,
[17]
[18]
[19] Toure c. Brault & Martineau inc
[20]
[21] Middleton c. Mylan Specialty,
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