Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Boucher et Goodyear Canada inc.

2015 QCCLP 1765

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Salaberry-de-Valleyfield

25 mars 2015

 

Région :

Richelieu-Salaberry

 

Dossiers :

525036-62C-1310   541741-62C-1405   544654-62C-1406

554045-62C-1410   554627-62C-1410   558174-62C-1411

558128-62C-1411

 

Dossiers CSST :

140166034   141939744

 

Commissaire :

Pascale Gauthier, juge administratif

 

Membres :

Gaétan Morneau, associations d’employeurs

 

Mario Benjamin, associations syndicales

 

 

Assesseur :

Jean-Marie Latreille, médecin

______________________________________________________________________

 

525036          554627          558128

541741          544654          554045

558174

 

 

François Boucher

Goodyear Canada inc.

Partie requérante

Partie requérante

 

 

et

et

 

 

Goodyear Canada inc.

François Boucher

Partie intéressée

Partie intéressée

 

 

et

 

 

 

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Commission de la santé

et de la sécurité du travail

Partie intervenante

Partie intervenante

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

Dossier 525036-62C-1310

[1]           Le 21 octobre 2013, monsieur François Boucher (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 10 octobre 2013 à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 3 septembre 2013, déclare qu’à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012, le travailleur est capable d’exercer son emploi le 30 août 2013, et déclare qu’il n’a plus droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter de cette date.

Dossier 541741-62C-1406

[3]           Le 14 mai 2014, Goodyear Canada inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 7 mai 2014 à la suite d’une révision administrative.

[4]           Par cette décision, la CSST infirme celle qu’elle a rendue initialement le 14 février 2014, déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014 pour un diagnostic d’entorse au genou droit, et déclare qu’il a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

Dossier 544654-62C-1406

[5]           Le 17 juin 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 11 juin 2014 à la suite d’une révision administrative.

[6]           Par cette décision, la CSST déclare irrecevable sa demande de révision du 4 avril 2014, visant une décision initiale du 27 mars 2014 par laquelle elle refuse de reconsidérer celle qu’elle a rendue le 26 février 2013. Cette décision du 26 février 2013 indique qu’il y a relation entre le nouveau diagnostic de syndrome fémoro-rotulien droit et l’événement du 13 octobre 2012.

 

Dossiers 554045-62C-1410 et 554627-62C-1410

[7]           Le 8 octobre 2014, l’employeur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 3 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative (dossier 554045-62C-1410). Le 15 octobre 2014, le travailleur effectue la même démarche (dossier 554627-62C-1410).

[8]           Par cette décision du 3 octobre 2014, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 5 septembre 2014 à la suite d’un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale, déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 6 janvier 2014, déclare qu’il n’a pas droit aux prestations prévues à la loi, et déclare qu’elle est bien fondée de lui réclamer la somme de 1 226,88 $ que lui a versée l’employeur pour les 14 premiers jours d’arrêt de travail.

[9]           Également par cette décision du 3 octobre 2014, la CSST déclare sans effet sa décision initiale du 5 septembre 2014 quant aux conséquences légales portant sur les autres sujets médicaux, et déclare par conséquent sans objet les demandes de révision de l’employeur et du travailleur quant aux conséquences légales portant sur les autres sujets médicaux.

Dossiers 558128-62C-1410 et 558174-62C-1411

[10]        Le 20 novembre 2014, le travailleur dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision rendue par la CSST le 19 novembre 2014 à la suite d’une révision administrative (dossier 558128-62C-1410). Le 24 novembre 2014, l’employeur effectue la même démarche (dossier 558174 - 62C-1411).

[11]        Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a rendue initialement le 4 juillet 2014 et déclare qu’elle est justifiée de ne pas appliquer l’article 51 de la loi concernant la lésion professionnelle du travailleur du 13 octobre 2012.

[12]        Le travailleur est présent et représenté à l’audience tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 17 décembre 2014. L’employeur est également présent par l’entremise de monsieur Jacques Plante et est représenté. La CSST, qui est intervenue dans les dossiers 525036-62C-1310, 544654-62C-1406 et 554627-62C-1410, a informé le tribunal de son absence à l’audience.

 

[13]        Ne les ayant pas en sa possession le jour de l’audience, la Commission des lésions professionnelles a demandé à la CSST de lui transmettre une copie des documents reliés aux dossiers 558128-62C-1410 et 558174-62C-1411. À leur réception, ces documents furent transmis aux parties et un délai leur a été accordé pour présentation de commentaires additionnels, le cas échéant. L’affaire est mise en délibéré à l’expiration de ce délai, soit le 11 mars 2015.

L’OBJET DES CONTESTATIONS

Dossier 525036-62C-1310

[14]        Le travailleur demande de déclarer qu’il est incapable d’exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012.

Dossier 541741-62C-1405

[15]        L’employeur demande de déclarer qu’en date du 6 janvier 2014, le travailleur a subi une aggravation temporaire de sa lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009 pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien au genou droit.

Dossier 544654-62C-1406

[16]        L’employeur demande de déclarer que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 13 octobre 2012 est une aggravation temporaire de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009 pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit, consolidé le 31 décembre 2012.

Dossiers 554045-62C-1410 et 554627-62C-1410

[17]        L’employeur et le travailleur demandent de déclarer que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014, soit une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009, pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit, consolidé le 29 juillet 2014, ayant entraîné les limitations fonctionnelles retenues par son médecin qui a charge.

Dossiers 558174-62C-1411 et 558128-62C-1410

[18]        L’employeur et le travailleur demandent de déclarer que ce dernier a droit à l’indemnité de remplacement du revenu après le 31 décembre 2012, c'est-à-dire après la date de consolidation de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012.

LES FAITS

[19]        Le travailleur est mécanicien chez l’employeur lorsqu’il est victime d’une lésion professionnelle le 14 mars 2009. Ce jour-là, il glisse sur le ciment et chute sur le genou droit (dossier CSST 134416890).

[20]        Le 7 décembre 2010, en lien avec cette lésion professionnelle du 14 mars 2009, le travailleur rencontre le chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale Pierre-Paul Hébert, qui est chargé de donner son avis sur le diagnostic à retenir.

[21]        À la revue du dossier, le docteur Hébert rapporte une imagerie par résonnance magnétique (IRM) effectuée le 8 juillet 2009, qui révèle la présence d’un début d’arthrose fémoro-patellaire. À l’état actuel, il indique que le principal problème du travailleur est la persistance d’une douleur sous la rotule droite à l’extension du genou après une position fléchie.

[22]        À l’examen physique, le docteur Hébert indique que le travailleur est incapable de s’accroupir ou de se mettre à genoux sans douleurs importantes. Une légère instabilité du ligament collatéral interne est constatée, et les gestes de torsion augmentent la douleur interne. La pression sur la rotule droite est douloureuse alors qu’elle est asymptomatique à gauche. La contraction isométrique du quadriceps est douloureuse à la pression sur la rotule droite, mais asymptomatique à gauche. À la discussion, le docteur Hébert indique :

Diagnostic :

 

Le docteur J.E. Johansson, orthopédiste traitante, retient le diagnostic de syndrome fémoro-patellaire.

 

Le docteur A. Quiniou, orthopédiste désigné par l’employeur, conclut à une arthrose fémoro-patellaire symptomatique.

 

Force est de constater que les deux diagnostics sont synonymes et que le litige m’apparaît plus au niveau de la relation, ce qui n’est pas le mandat du membre du BEM.

 

L’examen aujourd’hui révèle toujours un syndrome fémoro-rotulien droit.

 

Je retiens comme diagnostic un syndrome fémoro-rotulien droit.

 

 

 

 

 

 

[23]        Le 19 janvier 2012, la Commission des lésions professionnelles rend une décision dans le cadre de laquelle elle déclare notamment, pour la lésion professionnelle du 14 mars 2009, « que le diagnostic de syndrome fémoro-patellaire ou d’arthrose fémoro-patellaire du genou droit constitue une lésion professionnelle à titre d’aggravation d’une condition personnelle préexistante » (dossier CSST 134416890). Elle déclare en outre que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 23 décembre 2010 pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien (droit), aggravation d’une condition personnelle préexistante[2] (dossier CSST 137094264).

[24]        Selon une note évolutive consignée au dossier constitué par la CSST (le dossier)[3], ces dossiers antérieurs ont laissé chez le travailleur les limitations fonctionnelles suivantes :

- éviter la montée et descente répétitive et fréquente d’escalier;

- éviter de travailler dans les échelles, escabeaux ou échafaudages;

- éviter de travailler en position agenouillée ou accroupie;

- éviter de travailler sur terrains glissants ou accidentés;

- Ne pas soulever, porter ou pousser des objets de plus de 15 kg;

- éviter la marche prolongée.

 

 

[25]        Cette note indique également qu’aucun emploi convenable n’était disponible chez l’employeur pour le travailleur, et que l’emploi convenable de conducteur de chariot élévateur a été déterminé, pour ce dernier, ailleurs sur le marché du travail.

[26]        Le 9 octobre 2012, le travailleur revient chez l’employeur pour y occuper un emploi dont le titre est « receveur/expéditeur ». Un document faisant état des tâches de cet emploi est déposé à l’audience. On peut y lire qu’il s’agit essentiellement de décharger, de charger et de sangler des marchandises avec un camion à fourches (chariot-élévateur). On peut lire également que cet emploi implique de monter et de descendre dudit chariot entre 78 à 83 fois par quart de travail.

[27]        À l’audience, monsieur Jacques Plante, directeur des ressources humaines chez l’employeur, affirme qu’à son retour, le travailleur suit d’abord une formation en vue d’exercer cet emploi appelé « receveur », plus précisément les 9, 10 et 11 octobre 2012. Puis, il exerce son emploi convenable pour la première fois le 13 octobre 2012, mais doit quitter rapidement pour se rendre à l’hôpital.

[28]        Effectivement, le 13 octobre 2012, le travailleur consulte un médecin qui retient un diagnostic d’entorse du genou droit. Il prescrit un anti-inflammatoire, suggère l’arrêt de travail, et dirige le travailleur en orthopédie.

[29]        Le 1er novembre 2012, le docteur Charles Babin retient également le diagnostic d’entorse du genou droit. Il dirige le travailleur vers la chirurgienne orthopédiste Joyce Johansson, qui avait agi comme médecin qui a charge dans le cadre de la lésion professionnelle du travailleur du 14 mars 2009.

[30]        Selon une note au dossier, en date du 2 novembre 2012, la CSST reconnaît que le travailleur a été victime d’une lésion professionnelle le 12 octobre 2013 pour un diagnostic d’entorse du genou droit.

[31]        Le 5 décembre 2012, le travailleur rencontre le chirurgien orthopédiste Patrick Lavigne à la demande de l’employeur. À l’historique, le docteur Lavigne décrit ainsi l’événement du 13 octobre 2012:

[…] De façon spécifique, Monsieur affirme qu’il doit monter et descendre fréquemment de son chariot élévateur dans le cadre de son ouvrage. Monsieur décrit un épisode vers 10 h 00 (soit deux heures après le début du quart de travail) où il descend du chariot élévateur en effectuant un petit saut et atterrit sur le membre inférieur droit. Une douleur antérieure au genou droit apparaît et est considérée comme similaire aux douleurs que Monsieur a présentées suite à l’épisode de 2009. Il affirme alors avoir appliqué de la glace pendant sa pause, mais note la persistance des douleurs.

 

Il décrit ensuite un second événement alors qu’il doit soulever un réservoir d’essence pesant environ 65 livres. Le réservoir est localisé sur le sol et il doit fléchir les genoux pour le saisir. Monsieur me mime le mécanisme alors qu’il positionne ses genoux à environ 50 degrés de flexion et pivote sur le genou droit en soulevant le réservoir pour le mettre sur le lift. Il ressent alors une douleur aiguë avec craquement au niveau de la face antérieure du genou droit. Ses douleurs sont les douleurs que le patient présentait de façon plus aiguë lors de l’épisode de 2009. Il applique alors la glace et quitte avant la fin de son quart de travail pour consulter.

 

[…]

 

 

[32]        Le docteur Lavigne retient le diagnostic de « rechute d’un syndrome fémoro-rotulien droit sur arthrose fémoro-rotulienne préexistante », consolidé en date de son examen, soit le 5 décembre 2012, sans atteinte permanente supplémentaire et avec les limitations fonctionnelles déjà reconnues en lien avec les événements antérieurs.

 

[33]        Le 31 décembre 2012, la docteure Johansson rédige un rapport complémentaire sur lequel on peut lire ceci :

I agree with letter/expertise/Dr Partick Lavigne of syndrome douleur fémoro-rotulien genou droit - rechute avec restrictions - no lifting > 15 kilos no repetitive clutching movements Rt leg no squatting, kneeling only occasional stairs + no standing more than ½ hour at a time than 20 minutes rest each time. Patient needs retraining for work that respect the above work restrictions.

 

 

[34]        Toujours en date du 31 décembre 2012, la docteure Johansson rédige un rapport final sur lequel elle note un diagnostic de « patello femoral pain syndrome » consolidé ce jour-là, avec atteinte permanente et limitations fonctionnelles. Elle indique qu’elle ne rédigera pas le rapport d’évaluation médicale.

[35]        Le 12 février 2013, le médecin régional de la CSST consigne la note suivante au dossier:

Ce syndrome fémoro rotulien droit (ou fémoro-patellaire) sur arthrose fémoro-rotulienne préexistante est en relation médicale probable. Ce Dx de syndrome fémoro-patellaire a déjà été accepté en juin 2010.

 

 

[36]        Le 25 février 2013, l’agente d’indemnisation indique au dossier que la docteure Johansson est d’accord avec le syndrome fémoro-rotulien au genou droit mentionné par l’expert de l’employeur.

[37]        Le 26 février 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle reconnaît la relation entre le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien droit et l’événement du 13 octobre 2012. Elle ajoute que le travailleur a toujours droit aux indemnités.

[38]        Le 27 mai 2013, le chirurgien orthopédiste Antoine Gaspard procède à l’examen du travailleur et rédige le rapport d’évaluation médicale. À l’examen physique, il remarque une douleur à la palpation de la ligne articulaire interne du genou droit. Les tests de Rabot, de Clark et de Abbey sont positifs, et le test de McMurray est légèrement douloureux. Le docteur Gaspard retient une atteinte permanente de 2 % correspondant au code 103131 ainsi que les limitations fonctionnelles déjà reconnues, auxquelles il ajoute celles d’éviter de soulever, porter, pousser, tirer des charges dépassant environ 15 kg, et d’éviter de pivoter sur le membre inférieur droit.

 

[39]        Le 11 juin 2013, le travailleur rencontre le chirurgien orthopédiste et membre du Bureau d’évaluation médicale Hany Daoud, chargé de se prononcer sur les limitations fonctionnelles. À la discussion, le docteur Daoud rapporte une symptomatologie douloureuse péri et sous-rotulienne droite avec dérobement occasionnel du genou droit. Il retient les limitations fonctionnelles suivantes :

Le patient devrait :

 

- éviter la montée et descente répétitive ou fréquente d’escaliers;

- éviter de travailler dans les échelles, les escabeaux ou les échafaudages;

- éviter de travailler de façon fréquente ou répétitive en position agenouillée ou accroupie;

- éviter de travailler sur terrain glissant ou accidenté;

- éviter de soulever ou de transporter des charges de plus de 15 kilos à la fois;

- éviter le mouvement de pivot sur le membre inférieur droit.

 

 

[40]        Le 30 août 2013, une consultante en réadaptation et ergonomie rédige un rapport d’analyse à la demande de la CSST. Son mandat est d’analyser l’emploi de « receveur » du travailleur afin de déterminer s’il respecte la nouvelle limitation fonctionnelle émise par le docteur Daoud, soit d’éviter le mouvement de pivot sur le membre inférieur droit. Suivant son analyse, elle est d’avis que tel est le cas.

[41]        Le 3 septembre 2013, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut que, suivant sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012, le travailleur est capable de reprendre son emploi à compter du 30 août 2013. Le travailleur demande la révision administrative de cette décision.

[42]        Le 10 octobre 2013, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme sa décision initiale du 3 septembre 2013, d’où le litige dans le dossier 525036-62C-1310.

[43]        Le travailleur est de retour chez l’employeur en novembre 2013. Pendant quelques jours, il effectue les tâches de  conducteur de chariot-élévateur. Au retour du congé des fêtes, soit le lundi 6 janvier 2014, alors qu’il est au travail, en descendant de son chariot élévateur, ses fesses glissent vers la gauche. Il n’a pas le temps d’attraper la poignée de sécurité et atterrit sur le plancher. Il ressent alors un craquement à l’intérieur de son genou droit, qui commence à enfler.

[44]        Il cesse de travailler et consulte la docteure Geneviève Champoux le jour même. Cette dernière rédige une attestation médicale initiale sur laquelle elle mentionne le diagnostic d’entorse du genou droit, suggère l’arrêt de travail, et indique qu’il s’agit d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009.

[45]        Le 16 janvier 2014, le docteur Babin retient le diagnostic d’entorse du genou droit. Au rapport médical, il écrit : « référé au Dr. Johansson qui le suit », et indique qu’il s’agit d’une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009.

[46]        Le 20 janvier 2014, le travailleur rencontre le chirurgien orthopédiste David Baillargeon à la demande de l’employeur. Suivant son examen, ce dernier retient le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien sur arthrose sous-jacente et chondrocalcinose sous-jacente au genou droit. Il ajoute que le travailleur est porteur d’une condition personnelle qui sera toujours symptomatique, et qu’il est difficile d’identifier un phénomène lésionnel traumatique en relation avec l’événement allégué du 6 janvier 2014. Il consolide la lésion professionnelle du travailleur à cette date et considère qu’il est apte à reprendre son travail si ses limitations fonctionnelles sont respectées.

[47]        Le 14 février 2014, la CSST refuse la réclamation du travailleur visant la reconnaissance de l’événement du 6 janvier 2014, et lui réclame 1 226,88 $, soit la somme que l’employeur lui a versée pour les 14 premiers jours d’arrêt de travail. L’employeur demande la révision de cette décision.

[48]        Le 12 mars 2014, le docteur Babin indique que le rendez-vous du travailleur avec la docteure Johansson est remis.

[49]        Le 24 mars 2014, le représentant de l’employeur fait parvenir à la CSST une correspondance intitulée : « Demande de reconsidération de la décision du 26 février 2013 » sur laquelle on peut lire ceci :

Nous avons reçu copie du dossier colligé par la Commission des lésions professionnelles le 10 mars 2014. En prenant connaissance de ce dossier, nous nous sommes rendu compte que la décision du 26 février 2013 repose sur une erreur manifeste et nous vous demandons de la reconsidérer.

 

 

[50]        Le représentant de l’employeur fait en outre état du rapport complémentaire de la docteure Johansson du 31 décembre 2012, de la note évolutive consignée par le médecin régional de la CSST du 12 février 2013, et de l’expertise du docteur Lavigne du 5 décembre 2012. Il termine ainsi sa demande :

Considérant ce qui précède, nous vous demandons de reconsidérer la décision du 26 février 2013 et de déclarer que le syndrome fémoro-rotulien est en relation avec l’évènement du 14 mars 2009 selon la preuve consignée au dossier.

 

 

[51]        Le 27 mars 2014, la CSST refuse cette demande de l’employeur au motif que le délai de reconsidération est expiré. L’employeur demande la révision de cette décision.

[52]        Le 7 mai 2014, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle infirme celle qu’elle a rendue initialement le 14 février 2014, déclare que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014, soit une entorse au genou droit, et déclare qu’il a droit aux prestations prévues à la loi. Cette décision est à l’origine du litige dans le dossier 541741-62C-1405.

[53]        Le 12 mai 2014, le travailleur consulte la docteure Johansson. Elle rédige un rapport médical sur lequel elle indique que le diagnostic est celui de syndrome douloureux fémoro-rotulien au genou droit, et que le travailleur ne peut pas conduire un chariot-élévateur. Elle rédige également une note sur laquelle on peut lire ceci :

Limitations fonctionnelles actuelles :

 

Le patient devrait :

 

- Éviter la montée ou la descente répétitive ou fréquente d’escalier :

- Éviter de travailler dans les échelles, les escabeaux ou les échafaudages;

- Éviter de travailler de façon fréquente ou répétitive en position agenouillée ou accroupie :

- Éviter de travailler sur terrain glissant ou accidenté :

- Éviter de soulever ou de transporter des charges de plus de 15 kilos à la fois :

- Éviter le mouvement de pivot sur le membre inférieur droit.

 

Avec ces restrictions, le patient ne peut pas conduire un chariot-élévateur « lift-truck ».

Ces restrictions ne respectent pas un emploi convenable.

 

 

[54]        Monsieur Plante affirme à l’audience qu’en raison de cette note de la docteure Johansson, l’employeur n’a pas demandé au travailleur de revenir exercer les tâches de conducteur de chariot-élévateur.

[55]        Le 6 juin 2014, l’employeur demande par écrit à la CSST d’appliquer l’article 51 de la loi. Il fait référence aux dossiers CSST 134416890, 140166034 et 141939744.

[56]        Le 11 juin 2014, la CSST rend une décision à la suite d’une révision administrative et déclare irrecevable la demande de révision de l’employeur visant une décision initiale du 27 mars 2014. Cette décision est à l’origine du litige dans le dossier 544654-62C-1406.

[57]        Le 4 juillet 2014, la CSST rend une décision par laquelle elle conclut que l’article 51 de la loi ne peut trouver application dans le dossier relié à la lésion professionnelle du travailleur du 13 octobre 2012. L’employeur et le travailleur demandent la révision de cette décision.

[58]        Le 29 juillet 2014, le travailleur rencontre le chirurgien orthopédiste et membre du bureau d’évaluation médicale Michel Fallaha. Ce dernier est chargé d’émettre un avis portant sur le diagnostic, la date de consolidation, l’atteinte permanente et les limitations fonctionnelles.

[59]        À l’état actuel, le docteur Fallaha indique que l’état du travailleur est stable depuis plusieurs mois malgré les traitements de physiothérapie, mais que son tableau douloureux s’est aggravé depuis l’événement du 6 janvier 2014.

[60]        À la discussion, considérant notamment un examen objectif qui démontre une douleur palpatoire diffuse aux trois compartiments du genou droit ainsi qu’un pattern douloureux typiquement fémoro-rotulien, le docteur Fallaha retient un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien sur arthrose fémoro-patellaire préexistante. Considérant l’état de stabilité du travailleur malgré le traitement conservateur approprié, il recommande de consolider sa lésion professionnelle ce jour du 29 juillet 2014. Considérant le diagnostic, il retient l’atteinte permanente de 2 % correspondant au code 103131 déjà reconnue en 2011 pour une lésion professionnelle antérieure. En raison du tableau douloureux persistant et typique d’un syndrome fémoro-rotulien, il retient les mêmes limitations fonctionnelles que la docteure Johansson.

[61]        Le 5 septembre 2014, la CSST rend une décision à la suite de l’avis rendu par le membre du bureau d’évaluation médicale Fallaha. Elle conclut en l’absence de relation entre l’événement du 6 janvier 2014 et le diagnostic établi. Elle refuse donc la réclamation du travailleur pour cet événement. Le travailleur et l’employeur demandent la révision administrative de cette décision.

[62]        Le 3 octobre 2014, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme cette décision du 5 septembre 2014 et déclare que le travailleur n’a pas subi de lésion professionnelle le 6 janvier 2014, d’où les litiges dans les dossiers 554045-62C-1410 et 554627-62C-1410.

[63]        Le 19 novembre 2014, à la suite d’une révision administrative, la CSST rend une décision par laquelle elle confirme celle du 4 juillet 2014 et déclare qu’elle était justifiée de ne pas appliquer l’article 51 de la loi dans le dossier relié à la lésion professionnelle du 13 octobre 2012. Cette décision est à l’origine des litiges dans les dossiers 558174-62C-1411 et 558128-62C-1411.

[64]        À l’audience, le travailleur affirme que son emploi de conducteur de chariot-élévateur ne respecte pas ses limitations fonctionnelles, en ce qu’il doit régulièrement monter et descendre de l’appareil, et surtout, en ce qu’il doit faire un mouvement de pivot sur son membre inférieur droit lorsqu’il effectue une manœuvre de recul pour regarder vers l’arrière.

[65]        Les parties déposent à l’audience la liste d’admissions suivantes :

Il est admis par les parties :

 

1- Le poste de receveur et de conducteur de chariot élévateur sont identiques et est l’emploi convenable déterminé suite à la lésion professionnelle survenue le 14 mars 2009;

 

2- La lésion survenue le 13 octobre 2012 qui fut consolidée le 31 décembre 2012 et la lésion survenue le 6 janvier 2014 qui fut consolidée le 29 juillet 2014, dont le diagnostic est pour ces deux lésions un syndrome fémoro-rotulien du genou droit sont des aggravations temporaires de la condition du travailleur suite à sa lésion professionnelle survenue le 14 mars 2009;

 

3- Les limitations fonctionnelles actuelles du travailleur sont celles émises le 12 mai 2014 par le médecin traitant, la docteure Johansson;

 

4- L’emploi convenable déterminé de conducteur de chariot élévateur n’est pas convenable;

 

 

[66]        Les parties demandent en outre à la Commission des lésions professionnelles d’ordonner à la CSST de reprendre le processus de réadaptation et de déclarer que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu.

L’AVIS DES MEMBRES

Dossiers 525036-62C-1310, 541741-62C-1405, 544654-62C-1406, 554045-62C-1410, 554627-62C-1410 et 558174-62C-1411

[67]        Les membres issus des associations d’employeurs et syndicales partagent le même avis. Ils accueilleraient les requêtes de l’employeur et du travailleur. Ils estiment que la preuve médicale prépondérante démontre que le travailleur a aggravé son syndrome fémoro-rotulien au genou les 13 octobre 2012 et 6 janvier 2014.

[68]        Les membres constatent que le travailleur exerçait alors les tâches d’un conducteur de chariot-élévateur, soit l’emploi convenable déterminé pour lui par la CSST à la suite de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009.

 

[69]        Les membres sont également d’avis que le travailleur est incapable d’exercer son emploi convenable, en particulier parce que cet emploi requiert un mouvement de pivot sur le membre inférieur droit, ce que le travailleur doit éviter d’effectuer depuis sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012.

[70]        Les membres sont finalement d’avis que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi, y compris l’indemnité de remplacement du revenu, et que la CSST doit reprendre pour lui le processus de réadaptation.    

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

Dossiers 525036-62C-1310, 541741-62C-1405, 544654-62C-1406, 554045-62C-1410, 554627-62C-1410 et 558174-62C-1411

[71]        La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur plusieurs questions portant sur la survenance de lésions professionnelles, sur les conséquences médicales de celles-ci et sur le droit du travailleur aux prestations prévues à la loi. Des admissions ont été déposées à l’audience et, de part et d’autre, les conclusions recherchées ne font pas l’objet d’opposition.

[72]        Cependant, en pareille situation, comme l’a d’ailleurs déjà mentionné la soussignée dans d’autres affaires[4], la Commission des lésions professionnelles n’est pas liée par les conclusions de droits qui seraient admises conjointement par l’employeur et le travailleur. Les admissions de faits, quant à elles, ne seront pas considérées si elles sont contraires à la preuve déjà au dossier. En effet, la Commission des lésions professionnelles, qui est appelée à appliquer une loi d’ordre public[5], doit vérifier si la preuve est suffisante pour conclure au fondement d’admissions de faits[6].

[73]        Ceci étant, aux fins de rendre la présente décision, il y a lieu d’analyser la preuve et de répondre aux différents litiges tels qu’ils apparaissent de façon chronologique. Le présent tribunal se prononce donc, en premier lieu, sur le litige dans le dossier 544654-62C-1406.

 

Dossier 544654-62C-1406

[74]        Ce litige est né d’une requête de l’employeur à l’encontre d’une décision rendue par la CSST le 11 juin 2014 à la suite d’une révision administrative, par laquelle elle déclare irrecevable la demande de révision de l’employeur visant sa correspondance du 27 mars 2014.

[75]        Par cette correspondance du 27 mars 2014, la CSST informe l’employeur qu’elle refuse de reconsidérer sa décision du 26 février 2013 au motif que le délai est expiré, et que ce refus ne peut faire l’objet d’une demande de révision.

[76]        En matière de reconsidération d’une décision de la CSST, l’article 365 de la loi prévoit ce qui suit :

365.  La Commission peut reconsidérer sa décision dans les 90 jours, si celle-ci n'a pas fait l'objet d'une décision rendue en vertu de l'article 358.3, pour corriger toute erreur.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'une partie, si sa décision a été rendue avant que soit connu un fait essentiel, reconsidérer cette décision dans les 90 jours de la connaissance de ce fait.

 

Avant de reconsidérer une décision, la Commission en informe les personnes à qui elle a notifié cette décision.

 

Le présent article ne s'applique pas à une décision rendue en vertu du chapitre IX.

__________

1985, c. 6, a. 365; 1992, c. 11, a. 36; 1996, c. 70, a. 43; 1997, c. 27, a. 21.

 

 

[77]        L'article 358.3 de la loi, qui concerne une décision rendue par la CSST à la suite d’une révision administrative, se lit comme suit :

358.3.  Après avoir donné aux parties l'occasion de présenter leurs observations, la Commission décide sur dossier; elle peut confirmer, infirmer ou modifier la décision, l'ordre ou l'ordonnance rendue initialement et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu.

 

Les articles 224.1 et 233 s'appliquent alors à la Commission et celle-ci rend sa décision en conséquence.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

 

[78]        Tel qu’il appert de l’article 358 de la loi, on ne peut demander la révision du refus de la CSST de reconsidérer une décision antérieure, s’il s’agit d’un refus qui se fonde sur le premier alinéa de l'article 365 :

358.  Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.

 

Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.

 

Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.

 

Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.

__________

1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.

 

[Notre soulignement]

[79]        Dans la mesure où la correspondance du 27 mars 2014, par laquelle la CSST refuse de reconsidérer sa décision du 26 février 2013, fait référence au premier alinéa de l’article 365 (donc pour corriger toute erreur), elle ne peut faire l’objet d’une demande de révision, tel qu’il appert du second alinéa de l’article 358 de la loi. Il est à noter en outre qu’une telle reconsidération, le cas échéant, doit être effectuée dans les 90 jours de la décision visée.

[80]        Dans la mesure où la correspondance du 27 mars 2014 ferait référence au second alinéa de l’article 365 de la loi (donc suivant une demande de reconsidération effectuée dans les 90 jours de la connaissance d’un fait essentiel), elle pourrait faire l’objet d’une demande de révision. À noter que ce fait essentiel doit être inconnu de la CSST au moment où elle rend sa première décision[7].

[81]        En l’espèce, dans sa demande du 24 mars 2014, l’employeur reproche à la CSST ne pas avoir considéré le rapport complémentaire du 31 décembre 2012 sur lequel le médecin du travailleur indique être d’accord avec son expert quant à la présence d’une rechute du syndrome fémoro-rotulien droit. L’employeur mentionne également le rapport de cet expert du 5 décembre 2013 ainsi que la note évolutive du médecin régional du 12 février 2013 qui rapporte que ce syndrome a déjà été reconnu et est en relation médicale probable.

[82]        Or, non seulement ces trois éléments existent déjà au moment où la décision du 26 février 2013 est rendue, mais ils sont, alors, connus de la CSST. La note du 25 février 2013 est éloquente à cet égard. Aucun autre fait essentiel n’est invoqué. Dans ce contexte, le présent tribunal constate que la CSST ne pouvait pas reconsidérer sa décision du 26 février 2013 en vertu du second alinéa de l’article 365 de la loi.

[83]        Cependant, dans le contexte du présent dossier, nous sommes en présence d’un employeur qui, manifestement, est en désaccord avec cette décision du 26 février 2013. Il exprime clairement qu’à son avis, le syndrome fémoro-rotulien est en relation avec l’événement du 14 mars 2009. Or, l’article 358 de la loi précité prévoit qu’une personne, comme en l’espèce l’employeur, qui se croit lésée par une décision rendue par la CSST peut en demander la révision dans les 30 jours de sa notification. Pour sa part, l’article 353 de la loi prévoit ce qui suit :

353.  Aucune procédure faite en vertu de la présente loi ne doit être rejetée pour vice de forme ou irrégularité.

__________

1985, c. 6, a. 353; 1999, c. 40, a. 4.

 

 

[84]        Dans l’affaire Compagnie A et H.C.[8], la Commission des lésions professionnelles s’exprime ainsi :

[30]      Ainsi, même si le travailleur s’est engagé dans le processus permettant à la CSST de reconsidérer sa décision, il n’a pas renoncé pour autant à son droit de contestation devant l’instance de révision administrative, les deux démarches pouvant très bien coexister et étant même souhaitables pour solutionner la question litigieuse. Soit dit sans reproche, la CSST s’est arrogé l’exclusivité du litige en occultant complètement le droit de contestation du travailleur devant l’instance de révision administrative, laquelle avait acquis la compétence matérielle lui permettant de se prononcer sur la question principale touchant la base salariale.

 

[Notre soulignement]

 

 

[85]        Le présent tribunal souligne également le jugement rendu par la Cour Supérieure dans l’affaire Cormier et Commission des lésions professionnelles[9], dans le cadre duquel cette Cour indique, au paragraphe 57, qu’ « il faut que les organismes administratifs cessent d’être plus rigides que les tribunaux de droit commun quant à la procédure. Rarement devant un tribunal ordinaire, un justiciable perd un droit à cause de la procédure ».

[86]        Ainsi, le présent tribunal est d’avis que dans le présent dossier, la demande de l’employeur du 24 mars 2014, nonobstant son intitulé, peut être considérée comme étant une demande de révision administrative présentée en vertu de l’article 358 de la loi.

[87]        Cette demande a cependant été déposée à l’extérieur du délai de 30 jours prévu à cet article 358. Or, ce délai peut être prolongé ou une personne peut être relevée des conséquences de son défaut de l’avoir respecté si la présence d’un motif raisonnable est démontrée. L’article 358.2 de la loi prévoit en effet ceci :

358.2.  La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.

__________

1997, c. 27, a. 15.

 

 

[88]        Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, la notion de « motif raisonnable » est vaste et laisse une grande discrétion au décideur, qui doit apprécier l’ensemble des circonstances du cas dont il est saisi. Un motif raisonnable est crédible, non farfelu, et fait preuve de bon sens et de réflexion[10].

[89]        En l’espèce, dans sa correspondance du 24 mars 2014, l’employeur indique qu’il a reçu une copie du dossier colligé par la Commission des lésions professionnelles le 10 mars 2014, et qu’il a constaté, alors, que la décision rendue par la CSST le 26 février 2013 était erronée. Il fait état, notamment, du rapport complémentaire du médecin du travailleur et d’une note évolutive du 12 février 2013 qui sont consignés à ce dossier. Ceci n’est pas contredit. Également, la demande de l’employeur du 24 mars 2014 est déposée peu de temps après qu’il ait reçu ledit dossier.

 

[90]        Le présent tribunal conclut donc que l’employeur dispose d’un motif raisonnable lui permettant d’être relevé de son défaut d’avoir contesté la décision du 26 février 2013 dans le délai prévu à la loi, soit la réception du dossier colligé par la Commission des lésions professionnelles. Sa demande du 24 mars 2014 est déclarée recevable.

[91]        Il y a donc lieu de se prononcer sur la relation entre le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien droit et l’événement du 13 octobre 2012.

[92]        En l’espèce, le travailleur fut victime d’une lésion professionnelle le 14 mars 2009 (dossier CSST 134416819). Au cours du suivi médical qui s’ensuit, le membre du Bureau d’évaluation médicale Hébert signale notamment que le principal problème du travailleur est la persistance d’une douleur sous la rotule droite à l’extension du genou après une position fléchie. À l’instar de la docteure Johansson et de l’expert de l’employeur Quiniou, il retient le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien droit. Ainsi, avant même la survenance de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012, le travailleur est porteur de cette pathologie.

[93]         Ce diagnostic est d’ailleurs reconnu par la Commission des lésions professionnelles comme étant en lien avec les événements des 19 mars 2009 et 23 décembre 2010[11].

[94]        Ceci étant, ces événements ont laissé chez le travailleur des limitations fonctionnelles, dont celles d’éviter la montée et la descente répétitive et fréquente d’escaliers, et d’éviter de travailler dans les échelles, les escabeaux ou les échafaudages.

[95]        La CSST déterminera pour le travailleur un emploi convenable ailleurs sur le marché du travail, soit celui de conducteur de chariot élévateur. Il est embauché à ce titre chez l’employeur, comme il aurait pu être embauché à ce titre chez un autre employeur. En effet, le travailleur n’effectue alors ni son travail antérieur, ni un emploi autre que celui de conducteur de chariot-élévateur.

[96]        Dans les faits, et tel qu’il appert du témoignage de monsieur Plante, après une formation de quelques jours, le travailleur n’exerce l’emploi convenable déterminé par la CSST que pendant quelques heures avant de se blesser à nouveau au genou droit.

[97]        Hormis le premier médecin consulté, les médecins qui sont intervenus au dossier ont retenu le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit. En effet, tant le médecin expert de l’employeur, le docteur Lavigne, que le médecin qui a charge du travailleur, la docteure Johansson, retiennent ce diagnostic.

[98]        Ainsi, il est établi médicalement qu’en date du 13 octobre 2012, le travailleur est porteur d’un syndrome fémoro-rotulien du genou droit. Ce diagnostic avait été établi par la docteure Johansson dans le cadre du suivi médical postérieur à la lésion du 14 mars 2009.

[99]        De plus, le docteur Lavigne est d’avis que le 13 octobre 2012, le travailleur est porteur d’une rechute d’un syndrome fémoro-rotulien droit sur arthrose fémoro-rotulienne préexistante.

[100]     Il est donc médicalement établi que la lésion professionnelle du travailleur du 13 octobre 2012 est reliée à celle du 14 mars 2009.

[101]     Plus précisément, ce jour du 13 octobre 2012, le travailleur subit une aggravation de son syndrome fémoro-rotulien droit, par rapport à la consolidation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009. En effet, sa symptomatologie est alors exacerbée et il doit consulter. Il y a modification de sa condition depuis la consolidation de sa lésion professionnelle antérieure.

[102]     La loi prévoit qu’une récidive, rechute ou aggravation constitue une lésion professionnelle :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

« lésion professionnelle » : une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion d'un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l'aggravation;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[103]     La notion de récidive, rechute ou aggravation n’est cependant pas définie à la loi, mais selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, il s’agit d’une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion ou de ses symptômes[12]. La preuve doit démontrer de façon prépondérante la présence d’une modification de l’état de santé du travailleur depuis la consolidation de sa lésion professionnelle antérieure[13], ainsi que l’existence d’un lien de causalité entre cette modification et cette lésion[14].

[104]     Tel est le cas en l’espèce. La preuve médicale prépondérante démontre donc que le 13 octobre 2012, le travailleur fut victime d’une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009 (dossier CSST 134416890) pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit.

[105]     La requête de l’employeur est donc accueillie dans le dossier 544654-62C-1406.

[106]     Étant victime d’une lésion professionnelle en date du 13 octobre 2012 et placé en arrêt de travail, le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi, y compris l’indemnité de remplacement du revenu. À cet égard, l’article 44 de la loi prévoit ceci 

44.  Le travailleur victime d'une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu s'il devient incapable d'exercer son emploi en raison de cette lésion.

 

Le travailleur qui n'a plus d'emploi lorsque se manifeste sa lésion professionnelle a droit à cette indemnité s'il devient incapable d'exercer l'emploi qu'il occupait habituellement.

__________

1985, c. 6, a. 44.

 

 

[107]     Il est à noter que cette lésion professionnelle fut consolidée le 31 décembre 2012 par la docteure Johansson, médecin du travailleur, et que le dossier n’a pas été dirigé vers le bureau d’évaluation médicale sur ce point.

Dossier 525036-62C-1310

[108]     La Commission des lésions professionnelles doit se prononcer sur la capacité du travailleur d’exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012.

[109]     La preuve prépondérante démontre que ce jour-là, le travailleur exerce son emploi convenable de conducteur de chariot-élévateur. La description de son emploi porte certes le titre de « receveur/expéditeur », mais les tâches énumérées sont celles d’un conducteur de chariot-élévateur. Il s’agit essentiellement de décharger, de charger et de sangler des marchandises avec un tel chariot.

[110]     Le docteur Gaspard rédige un rapport d’évaluation médicale sur lequel il indique retenir une atteinte permanente de 2 % et des limitations fonctionnelles dont celles d’éviter d’accomplir, de façon répétitive ou fréquente, les activités qui impliquent de pivoter sur le membre inférieur droit. Le membre du Bureau d’évaluation médicale Daoud, dont l’avis lie la CSST, retient également cette limitation fonctionnelle.

[111]     La condition du travailleur lui commande donc d’éviter le mouvement de pivot sur le membre inférieur droit.

[112]     Étant sous l’impression que le travailleur exerçait un autre emploi que son emploi convenable de conducteur de chariot-élévateur, la CSST a analysé sa capacité d’exercer son emploi uniquement en fonction de cette nouvelle limitation fonctionnelle et a conclu que tel était le cas, rapport d’analyse en réadaptation et ergonomie à l’appui.

[113]     Selon le témoignage du travailleur, il doit effectuer un mouvement de pivot lorsqu’il conduit un chariot-élévateur. Même s’il ne s’agissait pas de son emploi convenable, cet emploi ne respecterait pas la nouvelle limitation fonctionnelle émise par les docteurs Gaspard et Daoud. En effet, le travailleur doit effectuer un mouvement de pivot de son membre inférieur droit lorsqu’il effectue une manœuvre de recul pour regarder vers l’arrière.

[114]     Ainsi, en date du 30 août 2013, principalement en raison de cette nouvelle limitation fonctionnelle d’éviter le mouvement de pivot sur le membre inférieur droit, le travailleur n’est pas capable d’exercer son emploi convenable de conducteur de chariot-élévateur. Sa requête est donc accueillie dans le dossier 525036-62C-1310.

[115]     Étant dans l’incapacité d’exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle, le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu prévue à l’article 44 de la loi à compter du 30 août 2013.

[116]     De plus, puisqu’en raison d’une conséquence de cette lésion professionnelle du 13 octobre 2012, le travailleur est incapable d’exercer son emploi, il a droit à la réadaptation que requiert son état prévue aux articles 145 et suivants de la loi.

Dossiers 541741-62C-1406, 554045-62C-1410 et 554627-62C-1410

[117]     La Commission des lésions professionnelles est appelée à se prononcer sur la survenance d’une lésion professionnelle en date du 6 janvier 2014 ainsi que sur ses conséquences. Étant saisie d’une contestation d’une décision rendue à la suite d’un avis rendu par un membre du Bureau d’évaluation médicale portant notamment sur le diagnostic, il y a lieu de se prononcer d’abord sur cette question.

[118]     Le jour de l’événement du 6 janvier 2014, le premier médecin consulté, soit la docteure Champoux, retient un diagnostic d’entorse du genou droit. Le docteur Babin est également de cet avis dix jours plus tard, mais il dirige le travailleur vers la docteure Johansson, c'est-à-dire l’orthopédiste qui le suit depuis sa lésion professionnelle du 14 mars 2009.

[119]     Or, le 12 mai 2014, la docteure Johansson retient le diagnostic de syndrome douloureux fémoro-rotulien au genou droit. Le médecin expert mandaté par l’employeur, soit le docteur Baillargeon, était d’ailleurs de cet avis le 20 janvier précédent. Il estimait alors que le travailleur était porteur d’un tel syndrome sur arthrose sous-jacente et chondrocalcinose sous-jacente au genou droit.

[120]      Le membre du Bureau d’évaluation médicale Fallaha retient également le diagnostic de syndrome fémoro-rotulien au genou droit, sur arthrose fémoro-patellaire préexistante. À son examen du 29 juillet 2014, il constate une douleur palpatoire diffuse aux trois compartiments du genou droit ainsi qu’un pattern douloureux typiquement fémoro-rotulien.

[121]     Les trois spécialistes en orthopédie intervenus au dossier sont d’avis que le travailleur est porteur d’un syndrome fémoro-rotulien au genou droit. Le présent tribunal conclut donc, à la lumière de la preuve médicale prépondérante, que ce diagnostic est celui qui doit être retenu.

[122]     Il appert qu’à la suite de la décision de la CSST concluant en sa capacité d’exercer son emploi, le travailleur revient au travail chez l’employeur dans son emploi convenable (qui ne respecte d’ailleurs pas l’une de ses limitations fonctionnelles, tel que mentionné précédemment).

[123]     Il effectue quelques jours de travail et, le lundi 6 janvier 2014, au retour du congé des fêtes, en glissant de son siège et en atterrissant sur le plancher avant d’avoir eu le temps d’attraper la poignée de sécurité, il ressent un craquement au genou droit et ce genou commence à enfler.

[124]     Dès la première consultation médicale qui a lieu ce jour-là, la docteure Champoux relie la pathologie du travailleur à l’événement qu’il a subi le 14 mars 2009. En effet, sur une attestation médicale initiale, elle indique qu’il est porteur d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009. Dix jours plus tard, le docteur Babin indique également que le travailleur est victime d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009.

[125]     Le diagnostic dont le travailleur est porteur, soit un syndrome fémoro-rotulien au genou droit, est déjà reconnu comme étant en lien avec l’événement du 14 mars 2009 et celui du 13 octobre 2012. Il est d’ailleurs reconnu comme étant en lien avec l’événement du 14 mars 2009[15].

[126]     Le docteur Baillargeon est d’avis que le travailleur est porteur d’une condition personnelle qui sera toujours symptomatique, et qu’il est difficile d’identifier un phénomène de lésion traumatique survenu le 6 janvier 2014.

[127]     Le travailleur est certes porteur d’une condition personnelle, mais un événement identifié ce jour-là rend plausible, voire probable, la survenance de la récidive, rechute ou aggravation constatée par les deux premiers médecins consultés.

[128]     Selon la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles, la présence d’une condition personnelle n’est pas un obstacle à la reconnaissance d’une lésion professionnelle, dans la mesure où les éléments constitutifs d’une telle lésion sont présents dans la preuve.

[129]     Or en l’espèce, le travailleur est au travail depuis quelques jours lorsqu’il ressent un craquement au genou droit en atterrissant sur le plancher après avoir glissé du siège de son chariot-élévateur et manqué la poignée de sécurité. Son genou droit commence à enfler. Le médecin consulté le jour même est d’avis qu’il est porteur d’une récidive, rechute ou aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009.

[130]     Il y a donc modification de son état de santé par rapport à la consolidation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009, et même du 13 octobre 2012. Le présent tribunal conclut donc que le 6 janvier 2014, le travailleur a subi une lésion professionnelle, soit une aggravation de son syndrome fémoro-rotulien au genou droit, de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009. La requête de l’employeur est donc accueillie dans le dossier 541741-62C-1406.

[131]     Puisqu’il a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014 et a été placé en arrêt de travail, le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi, y compris l’indemnité de remplacement du revenu prévue à son article 44. En effet, il est alors incapable d’exercer son emploi convenable en raison de l’aggravation de son symptôme fémoro-rotulien au genou droit. Il n’a donc pas à rembourser à la CSST la somme de 1 226,88 $ qu’il a reçue de l’employeur pour les 14 premiers jours d’arrêt de travail.

[132]     Il y a maintenant lieu de se prononcer sur la date de consolidation de cette aggravation du 6 janvier 2014.

[133]     Le terme « consolidation » est défini ainsi à la loi :

2. Dans la présente loi, à moins que le contexte n'indique un sens différent, on entend par:

 

[…]

 

« consolidation » : la guérison ou la stabilisation d'une lésion professionnelle à la suite de laquelle aucune amélioration de l'état de santé du travailleur victime de cette lésion n'est prévisible;

__________

1985, c. 6, a. 2; 1997, c. 27, a. 1; 1999, c. 14, a. 2; 1999, c. 40, a. 4; 1999, c. 89, a. 53; 2002, c. 6, a. 76; 2002, c. 76, a. 27; 2006, c. 53, a. 1; 2009, c. 24, a. 72.

 

 

[134]     La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles enseigne qu’une lésion professionnelle est « consolidée », notamment, lorsqu’elle ne peut s’améliorer et « qu’aucun traitement ne peut apporter une amélioration »[16].

[135]     En l’espèce, l’expert de l’employeur, le docteur Baillargeon, consolide la lésion professionnelle du travailleur au jour de sa survenance. Le membre du Bureau d’évaluation médicale Fallaha recommande de consolider cette lésion professionnelle le 29 juillet 2014, soit le jour de son examen, étant donné l’état de stabilité du travailleur malgré le traitement conservateur approprié. Le présent tribunal est également de cet avis. L’aggravation subie par le travailleur le 6 janvier 2014 est effectivement consolidée le 29 juillet 2014.

[136]     L’atteinte permanente retenue par le docteur Fallaha a déjà été reconnue antérieurement et n’est pas supérieure à celle-ci.

[137]     Le présent tribunal constate qu’en date du 29 juillet 2014, le docteur Fallaha retient les mêmes limitations fonctionnelles que celles retenues par la docteure Johansson le 12 mai précédent. D’ailleurs, il s’agit des limitations fonctionnelles déjà retenues en lien avec l’aggravation du 13 janvier 2012. La preuve médicale prépondérante démontre donc qu’il s’agit des limitations fonctionnelles dont le travailleur est porteur. Elles se détaillent comme suit :

- éviter la montée et descente répétitive et fréquente d’escaliers;

- éviter de travailler dans les échelles, escabeaux et échafaudages;

- éviter de travailler de façon fréquente ou répétitive en position agenouillée ou accroupie;

- éviter de travailler sur terrain glissant ou accidenté;

- éviter de soulever ou de transporter des charges de plus de 15 kg à la fois;

- éviter des mouvements de pivot sur le membre inférieur droit.

 

 

[138]     Le présent tribunal a déjà conclu que l’emploi de conducteur de chariot-élévateur n’est pas convenable pour le travailleur puisqu’il ne respecte pas l’une de ses limitations fonctionnelles, soit celle d’éviter les mouvements de pivot sur le membre inférieur droit, et qu’en conséquence, il a droit à la réadaptation que requiert son état.

[139]     Compte tenu de ce qui précède, les requêtes de l’employeur et du travailleur dans les dossiers 554045-62C-1410 et 554627-62C1410 sont accueillies.

558128-62C-1410 et 558174-62C-1411

[140]     Le 6 juin 2014, l’employeur demande à la CSST d’appliquer l’article 51 de la loi. Il fait référence aux dossiers CSST 134416890, 140166034 et 141939744.

[141]     Le 19 novembre 2014, à la suite d’une révision administrative, la CSST déclare qu’elle est justifiée de ne pas appliquer l’article 51 de la loi concernant la lésion professionnelle du travailleur du 13 octobre 2012.

[142]     La loi prévoit que la Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence :

377.  La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.

 

Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.

__________

1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.

 

 

[143]     Le présent tribunal a déjà décidé qu’en date du 6 janvier 2014, le travailleur a subi une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009.

 

 

[144]     De façon supplétive, le présent tribunal estime opportun de répondre à la demande de l’employeur et de rendre la décision qui aurait dû être rendue en premier lieu, c'est-à-dire sur l’application de l’article 51 en date du 6 janvier 2014. Cet article se lit comme suit :

51.  Le travailleur qui occupe à plein temps un emploi convenable et qui, dans les deux ans suivant la date où il a commencé à l'exercer, doit abandonner cet emploi selon l'avis du médecin qui en a charge récupère son droit à l'indemnité de remplacement du revenu prévue par l'article 45 et aux autres prestations prévues par la présente loi.

 

Le premier alinéa ne s'applique que si le médecin qui a charge du travailleur est d'avis que celui-ci n'est pas raisonnablement en mesure d'occuper cet emploi convenable ou que cet emploi convenable comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l'intégrité physique du travailleur.

__________

1985, c. 6, a. 51.

 

 

[145]     Ainsi, pour avoir droit à l’application de l’article 51 de la loi, le travailleur doit démontrer qu’il rencontre les conditions suivantes:

-       occuper à plein temps un emploi convenable;

-       abandonner cet emploi dans les deux ans suivant le début d’exercice;

-       abandonner cet emploi suivant l’avis du médecin qui a charge;

-       obtenir un avis du médecin qui a charge à l’effet que le travailleur n’est pas raisonnablement en mesure d’occuper l’emploi convenable ou que celui-ci comporte un danger pour la santé, la sécurité ou l’intégrité physique du travailleur.

[146]     En l’espèce, le travailleur débute son emploi convenable de conducteur de chariot-élévateur le 9 octobre 2012. Il l’occupe à temps plein le jour où il doit cesser de l’exercer, soit le 6 janvier 2014. Les deux premières conditions d’application de l’article 51 de la loi sont donc rencontrées.

[147]     Le 12 mai 2014, le médecin qui a charge du travailleur, soit la docteure Johansson, indique qu’il ne peut exercer cet emploi convenable parce qu’il ne respecte pas ses limitations fonctionnelles. En d’autres mots, elle est d’avis qu’il comporte un danger pour sa santé.

[148]     Le présent tribunal comprend que le travailleur n’a pu rencontrer la docteure Johansson avant cette date du 12 mai 2014, son rendez-vous ayant été remis. Il n’y a donc pas lieu en l’espèce de lui refuser l’application de l’article 51 de la loi parce que son médecin aurait émis cet avis tardivement.

[149]     De plus, la docteure Johansson agit comme médecin qui a charge du travailleur depuis la survenance de sa lésion professionnelle initiale du 14 mars 2009. Elle connaît sa condition physique et il n’y a pas lieu de remettre en question sa connaissance des tâches qu’il doit effectuer dans le cadre de son emploi convenable.

[150]     Le présent tribunal peut donc conclure dans le sens souhaité par l’employeur et le travailleur, soit qu’il a dû abandonner son emploi convenable le 6 janvier 2014 selon l’avis de son médecin qui a charge. La requête de l’employeur et du travailleur est donc accueillie dans les dossiers 558128-62C-1410 et 558174-62C-1411 pour l’abandon de son emploi convenable en date du 6 janvier 2014.

[151]     Pareille conclusion ne peut être retenue pour l’arrêt de travail du 13 octobre 2012, étant donné l’écart entre cet arrêt et l’avis de la docteure Johansson du 12 mai 2014. Cet écart ne peut être justifié, y compris par la remise du rendez-vous médical. En effet, le travailleur a consulté la docteure Johansson entre le 13 octobre 2012 et le 6 janvier 2014, notamment le 31 décembre 2013, et elle n’a pas indiqué alors que son emploi convenable ne respectait pas ses limitations fonctionnelles. Le libellé du rapport complémentaire qu’elle rédige ce jour-là ne permet pas d’extrapoler pareille conclusion.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

Dossier 525036-62C-1310

ACCUEILLE la requête de monsieur François Boucher, le travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 10 octobre 2013 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur est incapable d’exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2012;

DÉCLARE que le travailleur a droit à l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 30 août 2013;

DÉCLARE que le travailleur a droit à la réadaptation prévue à la loi.

Dossier 541741-62C-1405

ACCUEILLE la requête de Goodyear Canada inc., l’employeur;

MODIFIE la décision rendue le 7 mai 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014, soit une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009, pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit.

Dossier 544654-62C-1406

ACCUEILLE la requête de Goodyear Canada inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 11 juin 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE recevable la demande de révision de l’employeur du 24 mars 2014;

DÉCLARE que la lésion professionnelle subie par le travailleur le 13 octobre 2012 est une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009 pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit;

DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles en lien avec cette lésion professionnelle, y compris aux indemnités de remplacement du revenu.

Dossiers 554045-62C-1410 et 554627-62C1410

ACCUEILLE les requêtes de l’employeur et du travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 3 octobre 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 6 janvier 2014, soit une aggravation de sa lésion professionnelle du 14 mars 2009, pour un diagnostic de syndrome fémoro-rotulien du genou droit;

DÉCLARE que le travailleur a droit aux prestations prévues à la loi en lien avec cette lésion professionnelle, y compris l’indemnité de remplacement du revenu;

DÉCLARE que le travailleur a droit à la réadaptation prévue à la loi;

DÉCLARE que le travailleur n’a pas à rembourser à la CSST la somme de 1 226,88 $.

Dossiers 558128-62C-1410 et 558174-62C-1411

ACCUEILLE les requêtes de l’employeur et du travailleur;

INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 19 novembre 2014 à la suite d’une révision administrative;

DÉCLARE qu’en date du 6 janvier 2014, le travailleur récupère son droit à l’indemnité de remplacement du revenu et aux autres prestations prévues à la loi.

 

 

__________________________________

 

Pascale Gauthier

 

 

 

 

Daniel Cloutier

UNIFOR QUÉBEC

Représentant de monsieur François Boucher

 

 

Pierre Perron

SÉCURIGEST INC.

Représentant de Goodyear Canada inc.

 

 

Me Kevin Horth

VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON

Représentant de la partie intervenante

 



[1]          RLRQ, c. A-3.001.

[2]          Goodyear Canada inc. et Boucher, 2012 QCCLP 432.

[3]          En date du 1er mars 2013.

[4]          Séquin et Boulangerie Première Moisson inc., 2014 QCCLP 3456; Centre d’hébergement Champlain-Châteauguay et Canaan, 2011 QCCLP 5463.

[5]          Article 4 de la loi.

[6]          Toitures Trois Étoiles inc., et Boyer, C.L.P. 347240-62C-0804, 28 janvier 2010, P. Perron.

[7]          Dupuis et Électro Dynamique 2011 inc., 2012 QCCLP 4083.

 

[8]          2013 QCCLP 5637.

[9]          2009 QCCS 730.

[10]         Turmel et Transport Robert 1973 ltée, C.L.P. 361506-07-0810-R, 23 septembre 2010, L. Desbois; Bouchard et Groupe Fieldturf Tarkett Québec inc., C.L.P. 376938-63-0904, 2 septembre 2010, J.-P. Arsenault.

[11]         Goodyear Canada inc. et Boucher, précitée, note 2.

[12]          Lapointe et Cie minière Québec Cartier, [1989] C.A.L.P. 38.

[13]          Beauchamp et Inspec-Sol, [2009] C.L.P. 93; Richard et Scieries Chics-Chocs, [2002] C.L.P. 487.

[14]          Dubé et Entreprises du Jalaumé enr. (Les), C.L.P. 380599-01A-0906, 21 septembre 2009, G. Tardif.

[15]         Goodyear Canada inc. et Boucher, précitée, note 2.

[16]         2333-2224 Québec inc. et Thériault, C.L.P. 288408-31-0605, 26 octobre 2006, C. Lessard.

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