Décision

Les décisions diffusées proviennent de tribunaux ou d'organismes indépendants de SOQUIJ et pourraient ne pas être accessibles aux personnes handicapées qui utilisent des technologies d'adaptation. Visitez la page Accessibilité pour en savoir plus.
Copier l'url dans le presse-papier
Le lien a été copié dans le presse-papier
Gabarit de jugement pour la cour d'appel

Ruiz Gomez c. Ministre de la Justice du Canada

2017 QCCA 1562

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

MONTRÉAL

N° :

500-10-005941-156

 

 

DATE :

 Le 10 octobre 2017

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

 

FERNELLY RUIZ GOMEZ

DEMANDEUR

c.

 

MINISTRE DE LA JUSTICE DU CANADA

INTIMÉE

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           Le demandeur a déposé une demande de révision judiciaire d’une décision ministérielle d’extradition (article 57 de la Loi sur l’extradition, L.C.1999, c.18).

[2]           Pour les motifs de la juge Hogue, auxquels souscrivent les juges Vauclair et Marcotte :

LA COUR :

[3]           ACCUEILLE en partie le pourvoi;


[4]           CASSE l’arrêté d’extradition contre M. Gomez et retourne le dossier à la ministre de la Justice afin qu’elle le revoie à la lumière des présents motifs.

 

 

 

 

MARTIN VAUCLAIR, J.C.A.

 

 

 

 

 

GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A.

 

 

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 

Me Anthony Karkar

Pour le demandeur

 

Me Claudine Dib

Ministre de la Justice du Canada

Pour l’intimée

 

Date d’audience :

15 novembre 2016

 


 

 

MOTIFS DE LA JUGE HOGUE

 

 

[5]           Le demandeur Fernelly Ruiz Gomez requiert la révision judiciaire de l’arrêté d’extradition pris contre lui le 15 juillet 2015 par le ministre de la Justice d’alors (l’honorable Peter MacKay).

[6]           Il a été déclaré coupable de accesso carnal violento [rapport sexuel violent avec une personne de moins de seize ans] (art. 205 et 211.2 du Código Penal [Code pénal de la Colombie] et art. 14 de la Ley 890 de 2004 [Loi 890/2004]) par la Cour pénale de circuit 5 à Medellín. L’appel de ce verdict a été rejeté par le tribunal supérieur de Medellín.

[7]           L’arrêté contesté vise son extradition vers la Colombie pour y purger une peine d’emprisonnement de 170 mois et 20 jours, soit un peu plus de 14 ans.

[8]           Le demandeur soutient que cet arrêté d’extradition est injuste, tyrannique et de nature à choquer la conscience des Canadiens et qu’il est contraire à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés[1].

[9]           Il invoque plus particulièrement que son procès a été injuste et inéquitable, que la peine qui lui a été infligée est excessive, que ses ressources financières limitées l’ont privé des services d’un avocat lors du procès et empêché de se pourvoir en appel de la décision du tribunal supérieur de Medellín. Il ajoute que la Colombie est un pays où sévit la corruption et qu’il a été victime d’agissements arbitraires, inadéquats et corrompus dans le cadre du processus judiciaire. Le ministre, ajoute-t-il devant la Cour, a commis une erreur fondamentale en considérant que le système de justice colombien est juste et équitable.

[10]        Il a formulé des représentations au ministre avant que celui-ci ne rende sa décision, mais celui-ci a déterminé qu’elles ne justifiaient pas qu’il refuse l’extradition demandée.

[11]        Quoique je sois d’avis que les moyens invoqués ne permettent pas d’accéder à la demande du demandeur d’empêcher définitivement son extradition, j’estime que le cadre d’analyse du ministre est erroné et que le dossier doit être retourné à la ministre de la Justice actuelle. Il semble, en effet, que le ministre d’alors s’est essentiellement appuyé sur la présomption reconnue, et en principe adéquate, pour partir de la prémisse que le système de justice criminelle colombien est fondamentalement juste et équitable. Dans le contexte particulier de la présente affaire, j’estime qu’il devait d’abord décider si la présomption, qui n’est pas irréfragable, trouvait application au vu de la preuve soumise par le demandeur. La ministre actuelle devra s’y pencher et, par la suite, évaluer de nouveau la demande d’extradition et les observations du demandeur à la lumière de sa conclusion.

[12]        Je rappelle le contexte, puis j’exprimerai les raisons qui sous-tendent ma conclusion.

LE CONTEXTE

[13]        Citoyen colombien, le demandeur est marié. Deux filles sont issues de cette union. Soucieux d’offrir à leurs enfants un milieu de vie sécuritaire, lui et sa femme entreprennent des démarches en vue d’immigrer au Canada.

[14]        Ils obtiennent leur Certificat de sélection du Québec le 23 mai 2007 et présentent une demande de résidence permanente le 22 août 2007.

[15]        Les faits reprochés au demandeur seraient survenus en Colombie le 4 juillet 2007.

[16]        La fille de la sœur de son épouse, sa nièce par alliance, alors âgée de 14 ans, dort chez lui pendant la fin de semaine. Elle est très proche de la famille, particulièrement de sa fille aînée.

[17]        Quelques jours plus tard, elle se fait prendre en possession de cartes bancaires appartenant au demandeur, qu’elle aurait utilisées pour s’approprier quelques centaines de dollars.

[18]        Confrontée par sa mère, elle lui indique alors avoir voulu se venger de son oncle compte tenu d’une agression qu’il aurait commise. Elle lui confie que celui-ci, alors qu’elle dormait chez lui la fin de semaine précédente, serait entré dans sa chambre, aurait fermé la porte et l’aurait agressée sexuellement. Il l’aurait aussi menacée de tuer sa mère si elle ne gardait pas le silence.

[19]        La mère de la victime en informe immédiatement sa sœur, l’épouse du demandeur.

[20]        Elle l’informe également qu’elle entend porter plainte contre lui. Le père de la victime, quant à lui, est furieux et, prétendument, menace le demandeur de mort.

[21]        Celui-ci décide de se rendre avec sa femme au poste de police pour informer les policiers de l’accusation qu’on s’apprête à porter contre lui et des menaces proférées contre lui par le père.

[22]        Le 16 mai 2008, des accusations de rapport sexuel violent aggravé et augmenté sont portées contre le demandeur.

[23]        Le procès débute le 11 août 2008 devant la Cour pénale de Medellín. Il appert toutefois qu’un différend survenu entre la juge et le représentant du Ministère public le retarde et entraîne un report de plusieurs mois.

[24]        La Cour pénale ne s’y opposant pas, le demandeur et sa famille quittent néanmoins la Colombie pour s’établir au Québec, étant toutefois entendu que le demandeur participera aux procédures criminelles depuis son nouveau lieu de résidence.

[25]        Le procès a lieu en 2009 et le demandeur y assiste par vidéoconférence à partir de l’ambassade de la Colombie à Ottawa. Il nie les faits allégués de façon véhémente et soutient qu’il était au salon mortuaire en compagnie de sa femme et de membres de la famille tout au long de la soirée lors de laquelle l’évènement qui lui est reproché serait survenu.

[26]        Il maintient être rentré à la maison alors que sa fille et sa nièce se trouvaient au salon à regarder la télévision et s’être immédiatement couché, sans se relever de la nuit.

[27]        Il est trouvé coupable le 19 juin 2009 et condamné à 170 mois et 20 jours d’emprisonnement. Le verdict et la peine sont confirmés par le tribunal d’appel compétent le 13 novembre 2009.

[28]        Le 6 juin 2011, la République de Colombie demande par note diplomatique son extradition afin qu’il purge sa peine en Colombie conformément au Traité d’extradition entre la Grande-Bretagne et la Colombie (le Traité) conclu le 27 octobre 1888 et entré en vigueur au Canada le 16 décembre 1899[2]. Ce traité a été conclu par la Grande-Bretagne avant que le Canada n’acquière sa pleine souveraineté par la proclamation du Statut de Westminster en décembre 1931[3]. Le Canada demeure lié par celui-ci à moins de le répudier ou d’y mettre autrement fin.

[29]        Tel que permis aux termes de l’article 43 de la Loi sur l’extradition[4], le demandeur présente ses observations au ministre en vue de le convaincre de refuser de l’extrader. Il dépose de nombreux affidavits et de multiples lettres d’appui, des avis juridiques faisant état du caractère inéquitable du procès qui a eu lieu et divers documents faisant état de l’importance du risque d’erreurs judiciaires et de la corruption existant en Colombie. Je reviendrai sur ceux-ci.

[30]        Sa fille aînée dépose également une déclaration assermentée dans laquelle elle affirme avoir toujours été en présence de la victime le soir et la nuit en question et déplore ne pas avoir été autorisée par la juge à témoigner lors du procès. Elle était âgée de 15 ans à ce moment.

[31]        Le demandeur transmet également au ministre une évaluation psychologique qui conclut qu’il ne présente pas de difficultés ou de déviance au niveau sexuel et n’a pas de besoins spécifiques au niveau psychologique.

[32]        À ce jour, il clame toujours son innocence.

LA DÉCISION DU MINISTRE

[33]        Le ministre ordonne son extradition et s’en explique dans une décision datée du 15 juillet 2015.

[34]        Il y analyse les arguments soulevés par le demandeur dans ses observations et s’interroge quant à savoir s’il serait injuste ou tyrannique et/ou contraire aux principes de justice fondamentale (art. 7 de la Charte) d’ordonner son extradition.

[35]        Après avoir revu la chronologie et le contexte ayant conduit à la demande d’extradition, il souligne, citant l’affaire Canada c. Schmidt[5], que lorsqu’un traité existe, il doit partir de la prémisse que le système de justice criminelle du pays requérant est fondamentalement juste. Il évalue ainsi l’entièreté des observations présentées par le demandeur à la lumière de cette prémisse. Il écrit :

I further note that, when there is an extradition treaty in place, I must begin with the notion that the executive has already determined that the extradition partner’s criminal justice system is fundamentally fair (Canada v Schmidt, (1987) 1 SCR 500). The assumption that a state will treat the person sought for extradition fairly may only be successfully challenged by clear and convincing evidence to the contrary (Argentina v Mellino, (1987) 1 SCR 536).

[36]        Il indique avoir requis de la Colombie des clarifications quant aux droits accordés à un accusé et à une personne condamnée et être satisfait de la réponse reçue. Il souligne parmi ces droits, le droit à un procès juste et équitable devant un tribunal impartial, le droit à la présomption d’innocence, le droit à l’avocat ainsi que celui d’être jugé dans un délai raisonnable, de contester la preuve et de ne pas s’incriminer.

[37]        Il retient du dossier qui lui est présenté que le demandeur a bénéficié de ces droits et que les décisions du juge d’instance et du tribunal d’appel démontrent qu’il a eu l’opportunité de présenter de la preuve et de contester celle offerte par le Ministère public.

[38]        Sa lecture des motifs de la décision prononcée par la juge d’instance l’amène à conclure que celle-ci a fait une analyse complète de la preuve et que rien ne suggère qu’elle a manqué d’impartialité.

[39]        Il souligne ne pas avoir le pouvoir de revoir ses conclusions, incluant l’appréciation qu’elle fait de la crédibilité des témoins.

[40]        Il rejette aussi le grief du demandeur voulant que la juge ne lui ait pas permis de faire témoigner sa fille, un témoin pourtant crucial à sa défense, et que la femme de ménage, qui était dans la maison et à proximité de la victime, n’ait pas non plus été appelée à témoigner. Ces moyens, selon lui, relevaient de l’instance d’appel colombienne, qui les a rejetés.

[41]        Il reconnaît que la corruption existe en Colombie, tel que le démontrent les nombreux documents déposés par le demandeur, mais ajoute que rien de ce qui lui est présenté ne suggère qu’il y a eu de la corruption dans ce cas précis.

[42]        Ainsi, il conclut qu’en l’absence d’une telle preuve il est justifié de tenir pour acquis que les procédures judiciaires ont été menées de façon juste et que le demandeur sera traité équitablement s’il est extradé. Il écrit :

Although I recognize that corruption has been found to exist in Colombia, there is nothing before me to suggest that any corruption was involved in Colombia’s investigation and prosecution of Mr. Ruiz-Gomez. There is no information to suggest that the trial or appeal courts in Columbia acted in any arbitrary, improper or corrupt manner, nor do you make this specific assertion. In the absence of any such evidence, I am entitled to assume that Mr. Ruiz-Gomez’s court proceedings were conducted fairly and that he will be treated fairly if surrendered to face his sentence in Colombia.

[…]

Moreover, I note that Colombia has made significant efforts in addressing the issue of corruption. In one of the supporting documents that you provided to me, the Anti-Corruption Resource Centre’s report “Colombia: Overview of Corruption and Anti-Corruption” , it is stated that while Columbia received its worst score in the last decade in Transparency International’s 2012 Corruption Perception Index, in that same decade, the government made efforts to improve the rule of law.

[…]

While Columbia is still facing structural corruption challenges, it would appear that the government is cognizant of the issues and is actively trying to build a robust sociopolitical framework devoid of corruption and other vulnerabilities.

In all of the circumstances, I find that it would not be unjust or oppressive or shocking to the Canadian conscience to surrender Mr. Ruiz-Gomez to Colombia, notwithstanding the country’s ongoing problems with corruption. As I noted previously, there is nothing in the record before me to suggest that Mr. Ruiz-Gomez was personally subjected to acts of corruption or other human rights abuses during the criminal investigation in Columbia, or the trial and appellate court proceedings that followed. Nor is there information before me to suggest that Mr. Ruiz-Gomez will be subjected to any inequities in the event that he is surrendered to Colombia.

                                                                                    [Soulignements ajoutés]

ANALYSE

[43]        Je rappelle d’abord que la Cour doit faire preuve d’une grande déférence lorsqu’elle analyse la décision du ministre de prendre un arrêté d’extradition compte tenu de la dimension politique que revêt une telle décision[6].

[44]        Dans Lake c. Canada (ministre de la Justice), le juge LeBel rappelle l’attitude que les tribunaux saisis d’un pourvoi en contrôle judiciaire doivent adopter à l’endroit d’une décision du ministre en cette matière:

[34]      Notre Cour a confirmé à maintes reprises que la déférence s’imposait à l’endroit de la décision du ministre de prendre ou non un arrêté d’extradition une fois le fugitif incarcéré. Elle doit aujourd’hui déterminer quelle norme de contrôle judiciaire s’applique à l’appréciation ministérielle des droits constitutionnels du fugitif. Cette norme demeure celle de la raisonnabilité, même lorsque le fugitif fait valoir que l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Il ressort de la jurisprudence de notre Cour que pour assurer le respect de la Charte dans le contexte d’une demande d’extradition, le ministre doit tenir compte de considérations opposées et possède à l’égard de bon nombre de celles-ci une plus grande expertise. L’affirmation selon laquelle les tribunaux n’interviendront que dans les cas exceptionnels où cela « s’impose réellement » traduit bien la portée du pouvoir discrétionnaire du ministre. La décision ne doit en effet être modifiée que si elle est déraisonnable (Schmidt) (voir l’analyse de la norme de la décision correcte et de la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9).

[…]

[37]      Deuxièmement, la supériorité de l’expertise du ministre à l’égard des obligations internationales et des affaires étrangères du Canada doit également être prise en compte lors du contrôle judiciaire de sa décision sur l’allégation d’un individu selon laquelle l’extradition porterait atteinte à ses droits constitutionnels. Le ministre doit certes exercer son pouvoir discrétionnaire en conformité avec la Charte, mais son appréciation de toute atteinte aux droits constitutionnels qu’entraîne un arrêté d’extradition reste étroitement liée à son obligation de veiller au respect par le Canada de ses obligations internationales. L’extradition porte à première vue atteinte au droit que le par. 6(1) confère à un citoyen canadien de demeurer au Canada. Toutefois, cette atteinte est généralement susceptible de justification en vertu de l’article premier (arrêt Cotroni). Pour déterminer si la violation est justifiée, le ministre doit prendre en compte non seulement « la possibilité d’intenter des poursuites au Canada, mais également l’intérêt de l’État étranger à poursuivre sur son propre territoire le fugitif demandé » : Kwok, par. 93. Par conséquent, lorsqu’il se prononce sur la justification de la violation du droit garanti au par. 6(1), le ministre se fonde en grande partie sur sa décision de reconnaître ou non la priorité de l’intérêt de l’État requérant. Il s’agit essentiellement d’une décision politique, et non juridique. Au regard du droit, cette décision devient inacceptable lorsqu’il est établi que la décision de ne pas poursuivre au Canada s’appuie sur des motifs irréguliers ou arbitraires. Pour ces raisons, la conclusion du ministre selon laquelle la violation du droit conféré au par. 6(1) est justifiée commande un degré élevé de déférence.

[38]      De même, l’examen de la conformité de la procédure d’extradition aux droits reconnus au fugitif par l’art. 7 suppose lui aussi une pondération. Le ministre doit en effet soupeser les facteurs favorables et défavorables à la mesure pour déterminer si elle « choquerait la conscience » dans le cas considéré. Dans l’arrêt Suresh c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, 2002 CSC 1, notre Cour s’est penchée sur la norme de contrôle applicable à la décision du ministre à propos de l’existence d’un risque sérieux de torture en cas d’expulsion d’un réfugié. La décision tient en grande partie aux faits, et le ministre doit soupeser divers facteurs dont l’« aspect juridique est négligeable » (par. 39). Notre Cour a donc conclu que la décision du ministre commandait la déférence judiciaire.

[39]      La question de savoir si l’extradition « choquerait la conscience » suppose une démarche semblable. Le ministre doit soupeser, d’une part, la situation de l’intéressé et les conséquences de son extradition et, d’autre part, des éléments comme la gravité de l’infraction à l’origine de la demande d’extradition ainsi que l’importance de veiller à ce que le Canada respecte ses obligations internationales et, de manière générale, à ce qu’il ne devienne pas un refuge pour les fugitifs recherchés par la justice. L’appréciation englobera souvent en outre les garanties offertes au fugitif dans l’État requérant et la réalité à laquelle il devra faire face dans ce pays. L’appelant affirme en l’espèce que déterminer si l’extradition porterait indûment atteinte à ses droits constitutionnels demeure foncièrement une question de droit. Il oublie que toutes les décisions de l’exécutif et de l’Administration touchant aux droits d’une personne sont essentiellement des « questions de droit ». Or, elles ne sont pas toutes susceptibles de contrôle judiciaire suivant la norme de la décision correcte. Dans l’affaire Suresh, la décision en cause portait clairement sur une question de droit. Notre Cour a conclu que la déférence s’imposait parce que la décision du ministre reposait principalement sur son appréciation des faits. En règle générale, la réévaluation de son appréciation des faits ne se justifie pas. Il en va de même en matière d’extradition.

[…]

[41]      La norme de la raisonnabilité n’exige pas l’adhésion aveugle à l’appréciation ministérielle. Au contraire, elle admet la possibilité de plus d’une conclusion. Il n’appartient pas à la cour de révision de substituer sa propre appréciation des considérations pertinentes. Cette cour doit plutôt déterminer si la décision du ministre se situe dans le cadre des solutions raisonnables possibles. La cour qui applique cette norme dans le contexte d’une demande d’extradition doit alors déterminer si le ministre a tenu compte des faits pertinents et tiré une conclusion susceptible de se justifier au regard de ces faits. À l’instar du juge Laskin de la Cour d’appel, j’estime que le ministre doit se prononcer en appliquant la norme juridique appropriée. Sans l’analyse voulue, la conclusion ministérielle n’est ni rationnelle ni justifiable. Or, lorsque le ministre a choisi le bon critère, sa conclusion devrait être confirmée par la cour à moins qu’elle ne soit déraisonnable. Cette approche ne diminue pas la protection offerte par la Charte. Elle signifie tout simplement que les évaluations des droits et intérêts protégés par le par. 6(1) et l’art. 7 en matière d’extradition supposent des pondérations essentiellement dépendantes de l’appréciation des faits en cause. L’expertise du ministre en la matière et son obligation de veiller au respect des obligations internationales du Canada le rendent plus apte à déterminer si les facteurs pertinents militent ou non en faveur de l’extradition.[7]

                                                                                 [Soulignements ajoutés]

[45]        Le pouvoir du ministre, aussi grand soit-il, doit toutefois s’exercer conformément aux dispositions de la Loi sur l’extradition et à la Charte canadienne des droits et libertés[8].

[46]        À ce stade, le ministre doit se demander « s’il est approprié, sur le plan politique, et non fondamentalement injuste, pour le Canada, d’extrader l’intéressé »[9]. L’extradition qui sera fondamentalement injuste est celle qui « choquera[it] la conscience »[10].

[47]        Il doit agir conformément aux principes de justice fondamentale, « ce qui englobe à la fois les droits sur le fond et les droits sur le plan de la procédure »[11], considérer tous les faits pertinents et, en appliquant une norme juridique appropriée, en tirer une conclusion susceptible de se justifier[12].

[48]        Qu’en est-il ici?

[49]        La décision rendue par le ministre est très détaillée et permet de constater qu’il a tenu pour acquis ne pas avoir le pouvoir d’évaluer la qualité du système de justice criminelle colombien. Il s’est au contraire estimé lié par le fait que l’exécutif l’a déjà jugé fondamentalement juste puisqu’un traité liant les deux états existe. Ses propos ne laissent, selon moi, aucun doute :

I further note that, when there is an extradition treaty in place, I must begin with the notion that the executive has already determined that the extradition partner’s criminal justice system is fundamentally fair (Canada . Schmidt, (1987) 1 SCR 500). The assumption that a state will treat the person sought for extradition fairly may only be successfully challenged by clear and convincing evidence to the contrary (Argentina v Melino, (1987) 1 SCR 536).

                                                                                             [Soulignements ajoutés]

[50]        Ainsi, quoiqu’il ait regardé la preuve déposée par le demandeur, il ne l’a pas fait en vue de déterminer si elle était suffisante pour écarter cette présomption et lui permettre d’évaluer ses griefs sans tenir pour acquis que le système de justice criminelle colombien est fondamentalement juste. Il s’est plutôt limité à déterminer si elle démontre que le demandeur a été lui-même victime des problèmes qui semblent affecter le système judiciaire colombien.

[51]        J’estime qu’en ce faisant le ministre a commis une erreur importante qui l’a conduit à ne pas exercer une partie de la compétence qui lui est conférée. N’ayant pas exercé cette compétence, la Cour, par le truchement des paragraphes 57(7) de la Loi sur l’extradition et 18.1(4)a) et f) de la Loi sur les Cours fédérales est justifiée d’intervenir et de retourner le dossier à la ministre actuelle pour qu’elle procède à une nouvelle évaluation en s’interrogeant d’abord sur l’à-propos d’appliquer ou non la présomption.

[52]        Je m’explique.

[53]        Comme l’indique le ministre, les tribunaux ont affirmé à plusieurs reprises que l’existence d’un traité d’extradition fait en sorte que le système de justice criminelle du partenaire étranger doit être présumé juste et équitable. Il s’agit là d’une présomption importante, mais leurs propos, contrairement à ce que le ministre en a compris, ne s’appliquent pas à lui dans l’exercice du rôle qui lui est confié par la Loi sur l’extradition.

[54]        Ainsi, cette présomption semble avoir été affirmée pour la première fois dans l’affaire Re Burley[13], dans laquelle il est dit :

The treaty is based on the assumption that each country should be trusted with the trial of offences committed within its jurisdiction. 

[55]        De façon plus contemporaine, elle a été réitérée par la Cour suprême dans l’affaire Canada c. Schmidt[14]. C’est d’ailleurs cette décision que le ministre cite au soutien de son affirmation voulant qu’il doive partir de la prémisse que le système de justice criminelle de la Colombie est fondamentalement juste.

[56]        Une lecture de l’arrêt permet toutefois de constater que la Cour y fait cette affirmation en regard du rôle des tribunaux et non pas de celui du ministre. On y lit :

[…] Sur le plan des principes, comme le juge Hagarty nous l’a rappelé il y a longtemps, il faut avoir confiance, pour ce qui est du procès, dans le pays qui demande l’extradition en vertu d’un traité […] On ne doit pas non plus perdre de vue qu’il y a la bonne foi du Canada dans le respect de ses obligations internationales. 

[…]

La question à trancher est de savoir si, dans les circonstances particulières de l’espèce, l’extradition d’un fugitif en vue de son procès va à l’encontre des exigences fondamentales de la justice. Pour répondre à cette question, les tribunaux doivent partir de l’idée que l’exécutif a dû d’abord décider que le système général d’administration de la justice existant dans le pays étranger présentait une correspondance suffisante avec notre conception de la justice pour justifier la conclusion du traité au départ et a dû reconnaître qu’il a lui aussi une obligation de s’assurer de la conformité de ses actes avec les normes constitutionnelles. Bien sûr, on ne peut pas s’attendre à ce que les tribunaux

défèrent aveuglément au jugement du pouvoir exécutif. Il incombe aux tribunaux de faire respecter la Constitution.[15] 

 

                                    [Soulignements ajoutés; références omises]

[57]        Les propos semblables qu’elle a tenus, la même année, dans l’arrêt Argentine c. Mellino[16], l’ont également été dans un contexte où elle traitait du rôle des tribunaux, quoiqu’il s’agisse alors plutôt de celui du juge d’extradition. La Cour y écrit:

Le traité met le Canada dans l’obligation de livrer le fugitif en vue d’un procès dans le pays requérant où ces questions devront être examinées. La présomption que l’état requérant accordera au fugitif un procès équitable en conformité avec ses lois sous-tend toute la théorie et la pratique de l’extradition et les tribunaux canadiens ont dit très clairement depuis bien des années qu’un juge d’extradition doit écarter tout argument alléguant que les procédures seront oppressives ou que le fugitif n’aura pas un procès équitable ou qu’on ne donnera pas à la preuve l’importance qu’elle mérite.[17] 

                                                                                             [Soulignements ajoutés]

[58]        Cette présomption, aussi justifiée soit-elle lorsqu’il s’agit de délimiter l’étendue des pouvoirs dont bénéficient les tribunaux en cette matière, ne lie pas le ministre de la même manière. À ce stade, puisque la décision ministérielle est essentiellement politique, la présomption peut certainement, et en principe, le conforter raisonnablement que le système de justice du pays requérant présente une correspondance suffisante avec notre conception de la justice.  

[59]        Cela dit, les raisons qui justifient d’imposer cette présomption aux tribunaux ne sont pas présentes au même degré lorsque le ministre exerce sa compétence. D’abord, comme procureur général du Canada et membre de l’exécutif, le ministre connaît les motifs ayant pu justifier la conclusion d’un traité avec un pays étranger en matière d’extradition et les raisons de son maintien. Il dispose également de toutes les ressources utiles pour déterminer, lorsque nécessaire, si la présomption est toujours justifiée tout comme il est, à l’étape suivante, le mieux placé pour décider si les divers facteurs à considérer militent ou non en faveur de l’extradition[18].

[60]        Dans ce rôle, rappelons-le, les considérations qui guident les devoirs du ministre sont doubles : politiques certes, mais dans le respect des droits enchâssés dans la Constitution canadienne.

[61]        Il m’apparaît conséquemment essentiel que le ministre ait cette compétence puisque plusieurs évènements peuvent survenir entre le moment où un traité est conclu et celui où l’extradition d’un individu est demandée en vertu de celui-ci.

[62]        On peut imaginer que le régime politique de l’état étranger ait changé radicalement, la règle de droit peut avoir perdu de son importance ou encore son système de justice peut être devenu dysfonctionnel. On peut même aisément imaginer une situation où un coup d’État aurait entraîné l’abolition de plusieurs institutions judiciaires. Les raisons pour lesquelles un système de justice fondamentalement juste lors de la conclusion d’un traité pourrait ne plus l’être au moment où une demande d’extradition est formulée en vertu de celui-ci ou au moment où un procès est tenu sont nombreuses.

[63]        Sous ce rapport, la présente affaire réunit trois considérations cumulatives créant, à n’en pas douter, une situation rarissime qui, a priori, exige qu’on s’y attarde et peut justifier de remettre en cause la présomption: un traité plus que centenaire, l’absence d’une expérience d’extradition continue et contemporaine avec le pays en question, une preuve de corruption généralisée qui affecterait le système judiciaire de ce même pays.

[64]        Le fait que le traité ait été signé en 1899 ne signifie rien de négatif en soi, bien que l’on puisse en conclure sans se méprendre que les sociétés impliquées ont évolué. L’avocate du ministre n’a pas été en mesure de nous renseigner sur l’existence d’expériences passées en la matière et sans prétendre qu’il s’agit ici d’une première, on peut certes affirmer que les extraditions vers la Colombie sont rares. L’absence d’expérience en matière d’extradition complique ainsi l’évaluation de cette évolution. Les antécédents de l’État requérant étant un facteur pertinent que le ministre peut considérer lorsqu’il évalue les assurances qui lui sont données par celui-ci[19], la rareté ou l’absence d’antécédents peut certainement l’être aussi lorsqu’il décide s’il y a lieu ou non d’écarter la présomption. Compte tenu des informations soumises au ministre par le demandeur, il s’agissait d’un cas où le ministre pouvait remettre en cause la présomption et devait expliquer sa conclusion à cet égard.

[65]        Pour paraphraser la Cour suprême dans l’arrêt Canada c. Schmidt si les tribunaux ne peuvent aveuglément déférer au jugement du pouvoir exécutif, le ministre ne peut aveuglément appliquer la présomption au motif qu’il y est obligé.

[66]        On ne peut ignorer que le Canada a requis l’extradition de la Colombie dans au moins une affaire R. c. Nicolucci[20], et il faut reconnaître également que la Colombie est, depuis 1994, un État désigné à la Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle[21]. Nos deux pays ont donc maintenu certaines relations en matière criminelle, tout comme dans d’autres domaines, notamment le domaine commercial et celui de l’environnement. Tout ceci pourrait bien témoigner, je l’ignore, de liens suffisants entre le Canada et la Colombie, mais j’estime que le dossier présenté par le demandeur était suffisamment sérieux pour que le ministre évalue l’à-propos d’appliquer ou non la présomption. Il ne pouvait se contenter d’affirmer avoir l’obligation de le faire.

[67]        Laisser entendre que le ministre doit lui aussi, au même titre que les tribunaux et les juges, toujours présumer que le système judiciaire étranger est fondamentalement juste entraînerait, selon moi, un risque important que des individus soient extradés vers des états dont le système de justice criminelle a pu être juste et équitable à une certaine époque, mais ne l’est plus maintenant. Ceci pourrait choquer la conscience des Canadiens.

[68]        En se réfugiant derrière la présomption, le ministre a commis une erreur et abdiqué une partie de son devoir de vérifier si l’extradition demeure conforme à la Constitution. Il ne s’agit pas ici d’évaluer la raisonnabilité d’une décision qu’il a prise mais bien plutôt de constater une erreur dans le cadre d’analyse qu’il a suivi faisant en sorte que, se croyant lié par la présomption, il n’a pas exercé une discrétion dont pourtant il bénéficiait.

[69]        Dans ce cas bien particulier, il était déraisonnable d’imposer au demandeur de démontrer des actes corrompus dans son dossier. L’argument qu’il présente ne s’appuie pas sur un geste corrompu posé dans le cadre d’un système qui répond autrement à la conception canadienne de la justice, mais bien plutôt sur le fait que la corruption qui sévit généralement fait en sorte que le système ne correspond pas à cette conception.

[70]        Alors que la Cour a plusieurs fois rejeté de telles prétentions dans le premier cas de figure[22], elle a rarement été confrontée au second. La Cour suprême, quant à elle, a récemment reconnu que le ministre peut tenir compte d’éléments de preuve portant sur la situation générale d’un pays :

Dans le contexte de l’extradition, lorsqu’on décide s’il existe un risque sérieux de torture ou de mauvais traitements dans l’État requérant, il s’ensuit logiquement que le ministre peut tenir compte d’éléments de preuve portant sur la situation générale de ce pays en matière de respect des droits de la personne et notamment des rapports établis par des organismes gouvernementaux et des organisations non gouvernementales dignes de confiance.[23]

[71]        Le problème de la corruption allégué par le demandeur relève bien de ce second cas de figure puisque c’est le système dans son ensemble qui en serait affecté. Il implique d’ailleurs des difficultés qui ne sont pas présentes dans le premier. Quoiqu’il soit possible de démontrer qu’un système judiciaire est aux prises avec un problème important de corruption, souvent à l’aide de rapports d’organismes spécialisés en la matière, il est beaucoup plus difficile pour un individu de démontrer l’impact qu’a pu avoir cette corruption dans une situation précise. Les actes de corruption sont par essence occultes et les ressources nécessaires pour démontrer qu’ils sont à la source de certaines décisions sont souvent hors de portée des individus.

[72]        C’est pourquoi je n’affirme pas que le ministre doive systématiquement se demander s’il y a lieu d’appliquer la présomption. Il n’a l’obligation de le faire que lorsque celui qui s’oppose à l’extradition soutient qu’elle doit être écartée et offre, à cette fin, une preuve qui, à sa face même, paraît sérieuse.

[73]        La présomption, dans la mesure où le ministre est concerné, est donc réfragable et il a commis une erreur ici en estimant qu’il ne pouvait l’écarter et devait partir de la prémisse que le système de justice criminelle colombien est fondamentalement juste.

[74]        Cette erreur n’est pas sans conséquence. Elle peut avoir teinté son appréciation des griefs du demandeur et de la preuve qu’il a offerte tout comme elle peut avoir influencé le fardeau qu’il lui a imposé de démontrer, par une preuve convaincante, que ce système a failli dans son cas spécifique. Pour les motifs expliqués ci-devant, c’est une erreur dans la présente affaire.

[75]        Le ministre peut choisir d’écarter la présomption, après une évaluation raisonnable des faits, ce qui, le cas échéant, pourrait l’amener à évaluer autrement les griefs formulés i.e. sans que son appréciation soit teintée par la prémisse voulant que le système de justice étranger soit fondamentalement juste. Il sera également libre de se montrer moins exigeant quant à la preuve nécessaire pour le convaincre que l’extradition serait injuste et choquerait la conscience des Canadiens en ne demandant pas nécessairement la preuve d’une défaillance du système dans ce cas spécifique.

[76]        Ceci n’irait certainement pas à l’encontre du Traité lui-même qui n’impose pas l’extradition dans tous les cas, mais prévoit plutôt à son article III que chacun des deux gouvernements aura pleine et entière liberté de refuser à l'autre l'extradition de ses propres sujets[24].

[77]        Ici, le demandeur a déposé de nombreux documents afin de démontrer que la corruption est très présente au sein du système de justice colombien. Il a produit deux avis juridiques d’avocats qui, tout en traitant d’autres sujets, en font état. Il a aussi déposé de nombreux rapports émanant d’organismes divers.

[78]        Il n’appartient pas à la Cour d’évaluer la force probante de ces documents ou la crédibilité des organismes qui les ont produits, sauf pour affirmer que la preuve offerte est suffisamment sérieuse, à sa face même, pour que le ministre puisse la considérer et déterminer si elle le convainc qu’il y a lieu d’écarter la présomption voulant que le système de justice colombien soit fondamentalement juste. La qualité de ses motifs et de ses vérifications, le cas échéant, permettront de déterminer la raisonnabilité de sa conclusion.

[79]        L’eût-il fait que le ministre aurait peut-être conclu qu’il y avait lieu de l’écarter, ce qui aurait pu l’amener à évaluer d’une façon différente les griefs formulés par le demandeur quant au déroulement de son procès et à amoindrir ses exigences quant à la preuve qu’il a exigée de lui.

[80]        Le demandeur plaide que ses nombreux griefs prennent une couleur différente si la présomption est écartée, comme le fait que les tribunaux colombiens aient interdit à sa fille de témoigner à son procès, un motif jugé insuffisant par le ministre pour refuser son extradition. Selon lui, il en aurait peut-être été autrement si le ministre avait apprécié ce même grief sans partir de la prémisse que le système colombien est juste puisqu’un tel refus peut, selon les circonstances, constituer une atteinte au droit à une défense pleine et entière.

[81]        Je ne suggère aucunement que la ministre doit ipso facto refuser l’extradition lorsqu’elle juge la preuve offerte suffisante pour écarter la présomption, mais plutôt qu’elle ne doit alors prendre sa décision qu’après une analyse complète de l’ensemble des circonstances, lesquelles commandent ici que la ministre se prononce d’abord sur le bien-fondé de la présomption voulant que le système de justice criminelle du pays requérant soit fondamentalement juste.

[82]        Dans un tel cas, elle doit se demander si l’extradition serait injuste ou tyrannique compte tenu de toutes les circonstances, incluant les faiblesses ou les lacunes du système de justice de l’état requérant[25]. Les tribunaux pourront ensuite exercer leur pouvoir de révision si requis, mais bénéficieront pour ce faire de l’analyse et des conclusions complètes du ministre.

[83]        Dans les circonstances, je suggère donc que l’affaire lui soit retournée pour qu’elle revoie les observations du demandeur et les documents qu’il a déposés, détermine s’il y a lieu d’écarter la présomption voulant que le système de justice criminelle colombien soit fondamentalement juste et, selon sa conclusion à cet égard, évalue ensuite les griefs du demandeur à la lumière de cette détermination.

 

 

 

MARIE-JOSÉE HOGUE, J.C.A.

 



[1]     Art. 7 : « Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. »

[2]     Statutes of Canada 1890, p. vi; C. Gaz. XXXIX, p. 58.

[3]     22 & 23 Geo. V, c. 4 (U.K.).

[4]     L.C. 1999, ch. 18.

[5]     Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500.

[6]     M.M. c. États-Unis d’Amérique, 2015 CSC 62; Idziak c. Canada (ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631, 659; Lake c. Canada (ministre de la Justice), 2008 CSC 23, paragr. 34; Bouarfa c. Canada (Procureure générale), 2015 QCCA 1970.

[7]     Lake c. Canada (ministre de la Justice), 2008 CSC 23, paragr. 34, 37-39 et 41; Canada (Procureur général) c. Barnaby, 2015 CSC 31, paragr. 13.

[8]     Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, c. 11.

[9]     Canada (Justice) c. Fischbacher, 2009 CSC 46, paragr. 36.

[10]    Kindler c. Canada (ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779.

[11]    Idziak c. Canada (ministre de la Justice), [1992] 3 R.C.S. 631.

[12]    Lake c. Canada (ministre de la Justice), 2008 CSC 23.

[13]    Re Burley, (1865) 1 C.L.J. 34, p. 50. 

[14]    Canada c. Schmidt, [1987] 1 R.C.S. 500.

[15]    Canada c. Schmidt,  [1987] 1 R.C.S. 500, p. 516 et 523.

[16]    Argentine v Mellino, [1987] 1 R.C.S. 536.

[17]    Id., p. 554.

[18]    Inde c. Badesha, 2017 CSC 44.

[19]    Inde c. Badesha, 2017 CSC 44, paragr.48.

[20]    R. c. Nicolucci, [1997] Q.J. No. 4517 (C.S.).

[21]    Loi sur l’entraide juridique en matière criminelle, L.R.C. (1985), ch. 30 (4e suppl.).

[22]    Chan Chui-Mei v. Director of Maison Tanguay (1996), 113 C.C.C. (3d) 270, 303-304 (C.A.Q.); De Arrilucea c. Royaume d'Espagne, 195 C.C.C. (3d) 55 (C.A.Q.), paragr. 69; Sheppard v. Canada (Procureure générale) (États-Unis d'Amérique), (2016) 339 C.C.C. (3d) 482 (C.A.Q.).

[23]    Inde c. Badesha, 2017 CSC 44, paragr.44.

[24]    Traité entre le Royaume-Uni et la Colombie pour l'extradition mutuelle des criminels fugitifs, 16 décembre 1889.

[25]    Art. 44(1)a) de la Loi sur l’extradition.

AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.