Décision

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Gagnier et Tribunal administratif du logement

2022 QCCFP 5

 

COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE

 

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DOSSIER N° :

1302359

 

DATE :

22 février 2022

______________________________________________________________________

 

DEVANT LE JUGE ADMINISTRATIF :

Denis St-Hilaire, membre suppléant

______________________________________________________________________

 

 

ANDRÉ GAGNIER

Partie demanderesse

 

et

 

TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU LOGEMENT

Partie défenderesse

 

et

 

PATRICK SIMARD

Partie intervenante

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION INTERLOCUTOIRE

(Article 119, Loi sur la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1 et

article 81.20, Loi sur les normes du travail, RLRQ, c. N-1.1)

______________________________________________________________________

 

[1]               Le 16 octobre 2021, Me André Gagnier dépose à la Commission de la fonction publique (Commission) une plainte de harcèlement psychologique, en vertu de l’article 81.20 de la Loi sur les normes du travail[1], contre son employeur, le Tribunal administratif du logement (TAL).

[2]               La plainte fait notamment état du comportement de Me Patrick Simard, président du TAL qui serait à l’origine de cette situation de harcèlement.

[3]               Le 9 décembre 2021, Me Simard, identifié dans le recours comme un des prétendus auteurs du harcèlement, notifie à la Commission une demande d’intervention[2].

[4]               La Commission doit déterminer si Me Simard a un intérêt juridique suffisant pour permettre son intervention dans le débat concernant la plainte de harcèlement psychologique.

[5]               La Commission conclut qu’il détient cet intérêt juridique et l’autorise à intervenir au litige de manière circonscrite et uniquement pour les faits qui le concernent.

CONTEXTE ET ANALYSE

[6]               Le 17 décembre 2021, la Commission informe les parties de la demande d’intervention de Me Simard qui lui a été notifiée et les invite à soumettre leurs commentaires afin qu’une décision soit rendue sur dossier.

[7]               Le 7 janvier 2022, le TAL répond qu’il ne s’oppose pas à la demande et s’en remet à la décision de la Commission quant à la portée de l’intervention.

[8]               Le 19 janvier 2022, Me Gagnier répond pour sa part que la Commission ne doit reconnaitre à Me Simard que des prérogatives d’intervenant limitées à ce qui est utile et raisonnable dans les circonstances.

[9]               Plus précisément, l’intervention devrait se limiter au droit de participer aux audiences le concernant, d’être représenté par avocat, de témoigner et de plaider quant à la preuve le concernant.

[10]           Il spécifie également que la demande, telle que formulée, aurait pour effet d’alourdir le processus et de le transformer en litige entre les parties alors que c’est à l’employeur d’en répondre.

[11]           Il insiste enfin sur l’importance d’accorder une intervention comprenant uniquement les prérogatives dont Me Simard a strictement besoin pour protéger ses droits.

[12]           Pour Me Simard cette demande est fondée sur la nécessité de défendre ses droits fondamentaux tels que ses droits à la dignité, à l’honneur et à la réputation, des droits personnels que lui seul serait en mesure de faire respecter.

[13]           Me Simard mentionne que puisqu’il occupe la fonction de président du TAL, la défense de ses droits fondamentaux doit être assurée indépendamment des intérêts du TAL à titre d’employeur de Me Gagnier.

[14]           Considérant les allégations sérieuses contenues dans la plainte, qui le visent directement, notamment l’intimidation, les représailles et la diffamation dont aurait fait l’objet Me Gagnier, il anticipe des impacts potentiellement négatifs sur sa carrière professionnelle et même sur sa vie personnelle.

[15]           De façon plus précise, la demande suggère les conclusions suivantes :

[16]           La Commission a bien analysé la demande d’intervention de Me Simard, les commentaires des parties et la jurisprudence pertinente en cette matière.

[17]           La tierce intervention, bien qu’elle soit courante, demeure néanmoins une mesure exceptionnelle.

[18]           Lorsqu’elle est permise, elle est souvent limitée à l’exercice de certains droits qui peuvent différer selon les circonstances de chaque affaire.

[19]           Dans ses commentaires, Me Gagnier réfère la Commission à la décision Syndicat du transport de Montréal et Métromédia CMR Plus Inc.[3] en mentionnant que les critères de l’intervention en semblable matière ne sont pas larges, mais nécessitent une protection de la victime tout en accordant à celui qui se croit directement visé uniquement ce dont il a strictement besoin pour protéger ses droits.

[20]           Il mentionne également qu’il semble clair que le TAL a l’intention et le mandat de défendre les gestes posés par la haute direction du TAL dont ceux de son président Me Simard. Conséquemment, si l’intervention se fait comme président du TAL elle n’est pas nécessaire.

[21]           La commission aura à entendre la preuve du TAL au moment de l’audition sur le fond du litige. Par ailleurs, il demeure qu’il est tout à fait justifié que l’ensemble des droits fondamentaux de Me Simard soit surveillé et protégé de façon distincte, compte tenu de l’importance et de l’impact de ces droits pour sa vie professionnelle et personnelle.

[22]           La commission adhère tout à fait aux trois critères énoncés par le juge Dalphond rapportés par la Cour d’appel dans ce même jugement pour justifier une tierce intervention[4];

« À la lecture des motifs du juge Dalphond, le tiers qui désire intervenir doit premièrement démontrer un intérêt juridique, direct et personnel, né et actuel. L'arbitre doit ensuite constater l'existence de circonstances exceptionnelles justifiant l'intervention. Finalement, le tiers doit faire une démonstration suffisante de la nécessité de ladite intervention. Les trois critères cumulatifs  l'intérêt juridique, le caractère exceptionnel et la nécessité de l'intervention  doivent faire l'objet d'une démonstration claire avant qu'une intervention soit autorisée ».

[23]           Il demeure toutefois que le contexte est fort différent[5] puisqu’il ne s’agit pas d’un cas de harcèlement psychologique ou un plaignant dépose une plainte contre son employeur en visant spécifiquement un tiers par des allégations qui touchent manifestement ses droits fondamentaux.

[24]           Or, en matière de harcèlement psychologique, la jurisprudence appuie largement la position favorisant l’autorisation du tiers, présumé harceleur, à intervenir au litige qui oppose le plaignant à son employeur, dans la mesure où il justifie un intérêt suffisant, notamment la sauvegarde de sa réputation. En effet, une jurisprudence constante et abondante permet et justifie le droit d’intervention modulé d’une personne visée par une plainte de harcèlement comme une mesure raisonnable lui permettant de défendre sa réputation et sa dignité.

[25]           La décision Syndicat de l’enseignement de l’Estrie et Commission scolaire de la région de Sherbrooke[6] illustre bien cette position aux paragraphes 26 à 29 :

B) Le cas particulier du harcèlement psychologique

 

26. S’il faut convenir que la tierce intervention demeure « une situation particulière ou d’exception »[8], force est d’admettre que les cas d’exception tendent à se multiplier depuis la mise en place de la protection législative contre le harcèlement psychologique.[9]

 

27. Au moins deux facteurs me semblent pouvoir expliquer cette tendance. D’une part, la source du harcèlement psychologique en milieu scolaire n’est ni univoque, ni singulière. Le harcèlement subi par un salarié peut ainsi être le fait d’un supérieur, d’un collègue de travail, d’un élève, d’un parent d’élève, d’un fournisseur, etc. En outre, l’harceleur peut agir seul, certes, mais aussi de concert avec d’autres, accentuant ainsi les effets négatifs sur la personne ciblée. Dans ce contexte, le nombre de personnes susceptibles de s’adresser au Tribunal d’arbitrage afin d’être admis à intervenir demeure potentiellement appréciable.

 

28. D’autre part, le terme « harcèlement » est en lui-même fortement connoté, à tel point qu’un vocabulaire, habituellement réservé au droit criminel, est régulièrement employé pour en décrire la réalité dans les milieux de travail. Ainsi, même si l’approche retenue par le législateur ne se veut pas punitive mais en appelle plutôt à la responsabilité de l’employeur[10], on dira d’une personne qu’elle est « accusée » de harcèlement psychologique, « ce qui constitue une accusation très grave ».[11] Je note que dans ses observations écrites, le procureur de madame Bisaillon écrit : « Seule notre cliente est en mesure de se défendre à de pareilles accusations » (mes italiques). Certains n’ont d’ailleurs pas manqué d’évoquer « …les stigmates qui peuvent résulter du simple fait d’une allégation de harcèlement psychologique ».[12]

 

29. En somme, sans nier le caractère « exceptionnel » de la tierce intervention, il me semble qu’une demande en ce sens doit recevoir une attention toute particulière lorsqu’elle est formulée dans le contexte d’un grief mettant en cause une allégation de harcèlement psychologique.[13]

[Soulignements de la Commission]

[26]           La Cour d’appel, dans l’arrêt Syndicat de l’enseignement de Portneuf[7], nous convie cependant à une certaine prudence en prenant en considération certains éléments fort importants dont notamment d’éviter d’alourdir le processus et d’augmenter les délais, de désavantager une partie, de favoriser un deuxième procès entre le plaignant et le prétendu harceleur et également d’affecter un éventuel témoignage du prétendu harceleur qui sera appelé à témoigner alors qu’il aura assisté à l’audition comme partie intervenante.

[27]           Ainsi, l’intervention doit être modulée afin de permettre à la partie intervenante de défendre ses droits sans entraver la conduite saine et rigoureuse du dossier.

[28]           La Commission adhère aussi à ce passage de la commissaire France Giroux dans la cause Daniel Morin et Corporation municipale de la ville de Mercier[8] :

En résumé, la jurisprudence n’est donc pas unanime sur la question ou sur l’étendue de l’intervention du prétendu harceleur dans un recours pour harcèlement psychologique. Ce qui est clair, c’est que chaque situation est étudiée au cas par cas : certaines ont donné lieu à un rejet, peu ont accordé le statut de partie au litige, mais, majoritairement, on note que l’intervention d’un tiers a été limitée à l’exercice de certains droits procéduraux. Essentiellement, c’est le droit d’être entendu dans le cadre d’un recours risquant de porter atteinte à la réputation qui motive ce droit à une intervention variable, selon le cas.

[Transcription textuelle]

[29]           En l’espèce, la Commission estime que le contexte du litige peut effectivement mettre en cause la sauvegarde du droit fondamental[9] à la dignité, à l’honneur et à la réputation dont bénéficie Me Simard.

[30]           Il est aussi possible qu’une décision accueillant la plainte de Me Gagnier entraîne des conséquences néfastes pour Me Simard, notamment sur le plan professionnel et sur sa vie personnelle.

[31]           Ainsi, la Commission conclut qu’il a l’intérêt suffisant pour intervenir dans ce recours. Me Simard est effectivement le seul à pouvoir protéger ses droits fondamentaux tels que sa dignité, son honneur et sa réputation.

[32]           D’ailleurs, la demande de Me Simard est raisonnable. Il ne requiert pas l’obtention des droits dont bénéficient les parties au litige et ne désire pas se faire reconnaître comme tel. Son intervention ne vise que les faits qui le concernent.

[33]           La commission ne croit pas que cela aura pour effet d’alourdir le processus judiciaire ou de désavantager une partie compte tenu du droit d’intervention circonscrit et limité qui sera permis.

POUR CES MOTIFS, LA COMMISSION DE LA FONCTION PUBLIQUE :

ACCUEILLE la demande d’intervention de Me Patrick Simard;

AUTORISE Me Patrick Simard à intervenir dans le cadre de la plainte de harcèlement psychologique opposant Me André Gagnier au Tribunal administratif du logement;

ACCORDE à Me Patrick Simard les droits procéduraux suivants :

Qu’il soit convoqué afin d’assister aux audiences en étant représenté par l’avocat de son choix;

Qu’il obtienne l’ensemble de la preuve documentaire pertinente et qu’il ait la possibilité d’en produire sur permission de la Commission dans la seule mesure où cela est nécessaire pour défendre ses droits fondamentaux;

Qu’il lui soit permis d’être interrogé par son procureur sur les seuls faits et actes qui lui sont personnellement reprochés ou qui constituent une entrave à ses droits fondamentaux;

Qu’il puisse faire entendre des témoins et de contre-interroger des témoins, sur permission de la Commission, dans la mesure où cela est nécessaire pour préserver ses droits fondamentaux;

Qu’il puisse faire valoir ses arguments au moment des plaidoiries relativement aux faits et actes qui lui sont personnellement reprochés dans la mesure où cela est nécessaire pour préserver ses droits fondamentaux.

 

 

 

 

Original signé par :

 

__________________________________Denis St-Hilaire

 

 

 

Me Laurent Debrun

Spiegel Sohmer

Procureur de Me André Gagnier

Partie demanderesse

 

Me Sébastien Gobeil

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Procureur du Tribunal administratif du logement

Partie défenderesse

 

Me Simon-Pierre Hébert

BCF S.E.N.C.R.L.

Procureur de Me Patrick Simard

Partie intervenante

 

Date de la prise en délibéré :

20 janvier 2022

 


[1] RLRQ, c. N-1.1.

[2]  Article 12 du Règlement sur la preuve et la procédure de la Commission de la fonction publique, RLRQ, c. F-3.1.1, r. 3.01.

[3]  Syndicat du transport de Montréal c. Métromédia CMR Plus inc., 2010 QCCA 98 (CanLII).

[4]  Idem note 3, par. 34.

[5]  Il s’agit d’un grief qui allègue le non-respect des règles relatives à la sous-traitance.

[6]  Syndicat de l’enseignement de l’Estrie et Commission scolaire de la région de Sherbrooke, 2015, CanLII 6526 (QC SAT).

[7]  Syndicat de l’enseignement de Portneuf et Commission scolaire de Portneuf 2015 CanLII 23685 (QC SAT).

[8]  Morin c. Mercier (Ville), 2010 QCCRT 334 (CanLll).

[9]  Charte des droits et libertés de la personne, RLRQ, c. C-12, art. 4.

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