[1] LA COUR; -Statuant sur l’appel d’un jugement rendu le 20 janvier 2005 par la Cour du Québec, chambre criminelle, district de Québec (l’honorable Michel Babin), qui a condamné l’intimé à une peine d’un an d’emprisonnement avec sursis, assortie d’une ordonnance de probation de deux ans, sur les chefs d’accusation suivants :
1. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, s'est livré à plusieurs reprises à des voies de fait contre Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 266a) du Code criminel.
2. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, s'est introduit par effraction dans une maison d'habitation située au [...], et y a commis une acte criminel, soit : des voies de fait, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 348(1)(b)(d) du Code criminel.
3. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a)(2)(a) du Code criminel.
[…]
5. Entre le 29 mars 2004 et le 31 mars 2004, à Québec et à Charny, district de Québec, a agi à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
6. Le ou vers le 31 mars 2004, à Québec, district de Québec, s'est livré à des voies de fait contre Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 266a) du Code criminel.
7. Entre le 7 mai 2004 et le 31 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré à plusieurs reprises une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a) du Code criminel.
8. Entre le 2 mai 2004 et le 21 mai 2004, à Lévis et Québec, district de Québec, a agi à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
9. Entre le 26 mai 2004 et le 27 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré à plusieurs reprises une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a)(2)(a) du Code criminel.
10. Entre le 26 mai 2004 et le 27 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a agi, à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
11. Le ou vers le 26 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a volontairement tenté d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, en persuadant Lucie Tremblay de retirer sa plainte, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 139(2) du Code criminel.
[2] Après avoir étudié le dossier, entendu les parties et délibéré;
[3] Pour les motifs de la juge Bich auxquels souscrivent les juges Pelletier et Morin;
[4] ACCUEILLE l’appel;
[5] ANNULE la peine d’un an d’emprisonnement avec sursis et y substitue une peine d'emprisonnement ferme d'une durée de douze (12) mois, tout en maintenant les autres conclusions et ordonnances de la sentence du juge de première instance;
[6] ORDONNE à l'intimé de se livrer aux autorités dans les quarante-huit (48) heures de la date du présent arrêt.
|
|
MOTIFS DE LA JUGE BICH |
|
|
[7] Le 20 janvier 2005, la Cour du Québec a imposé à l'intimé, coupable de plusieurs infractions commises dans un contexte de violence conjugale, ou plus exactement paraconjugale, une peine que l'appelante estime d'une clémence excessive.
I. Contexte factuel et jugement de première instance
[8] L'intimé n'en est pas à sa première condamnation en matière de violence conjugale. Ainsi, le 28 mars 2003, l'intimé est condamné à plusieurs peines d'emprisonnement, peines concurrentes de six ou douze mois, qui sanctionnent des infractions (introduction par effraction, voies de fait, menaces de causer la mort ou des lésions corporelles) commises à l'endroit de son « amie de cœur », Mme Lucie Tremblay. Parallèlement, l'intimé est condamné à diverses peines pour d'autres infractions (vol de plus de 5 000 $ - douze mois d'emprisonnement; possession d'une substance interdite en vue d'en faire le trafic - soixante jours d'emprisonnement; avoir été en liberté illégale - deux jours d'emprisonnement).
[10] Or le 29 mars 2004, quelques jours à peine après être sorti de prison, l'intimé s'en prend de nouveau à Mme Tremblay, et cela à plusieurs reprises, ce qui lui vaut finalement d'être arrêté, détenu et accusé des infractions suivantes :
1. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, s'est livré à plusieurs reprises à des voies de fait contre Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 266a) du Code criminel.
2. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, s'est introduit par effraction dans une maison d'habitation située au [...], et y a commis une acte criminel, soit : des voies de fait, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 348(1)(b)(d) du Code criminel.
3. Le ou vers le 29 mars 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a)(2)(a) du Code criminel.
4. Le ou vers le 29 mars 2004, à Québec, district de Québec, a volontairement tenté d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, en persuadant Lucie Tremblay de retirer sa plainte, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 139(2) du Code criminel;
5. Entre le 29 mars 2004 et le 31 mars 2004, à Québec et à Charny, district de Québec, a agi à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
6. Le ou vers le 31 mars 2004, à Québec, district de Québec, s'est livré à des voies de fait contre Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 266a) du Code criminel.
7. Entre le 7 mai 2004 et le 31 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré à plusieurs reprises une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a) du Code criminel.
8. Entre le 2 mai 2004 et le 21 mai 2004, à Lévis et Québec, district de Québec, a agi à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
9. Entre le 26 mai 2004 et le 27 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a sciemment proféré à plusieurs reprises une menace de causer la mort ou des lésions corporelles à Lucie Tremblay, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264.1(1)(a)(2)(a) du Code criminel.
10. Entre le 26 mai 2004 et le 27 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a agi, à l'égard de Lucie Tremblay, dans l'intention de la harceler ou sans se soucier qu'elle se sente harcelée, en posant un acte interdit prévu à l'alinéa 264(2) du Code criminel, ayant pour effet de lui faire raisonnablement craindre pour sa sécurité ou celle d'une de ses connaissances, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 264(1)(3)(a) du Code criminel.
11. Le ou vers le 26 mai 2004, à Lévis, district de Québec, a volontairement tenté d'entraver, de détourner ou de contrecarrer le cours de la justice, en persuadant Lucie Tremblay de retirer sa plainte, commettant ainsi l'acte criminel prévu à l'article 139(2) du Code criminel.
[11] Le 23 décembre 2004, au terme d'un procès d'une journée et demie, l'intimé est trouvé coupable de tous ces chefs, à l'exception du quatrième, dont il est acquitté.
[12] Le 20 janvier 2005, le juge de première instance impose une peine dont voici les composantes (sans parler d'une suramende de 900 $, en vertu de l'article 737 C.cr.) :
- un an d'emprisonnement à être purgé dans la collectivité, aux conditions suivantes :
garder la paix, avoir une bonne conduite et répondre, le cas échéant, aux convocations du tribunal;
demeurer dans le ressort du tribunal, sauf permission écrite d'en sortir par le tribunal ou l'agent de surveillance;
prévenir le tribunal ou l’agent de surveillance de tout changement d’adresse, d’emploi ou d’occupation (des délais sont prévus);
pour les quatre premiers mois d'emprisonnement dans la collectivité, demeurer à son domicile de 22h30 à 6h, sauf pour exercer un travail légitime, pour des raisons d’urgence médicale ou sur permission écrite de l’agent de surveillance;
interdiction de communiquer directement ou indirectement avec Lucie Tremblay ou avec les parents de cette dernière ou de se trouver au lieu de résidence, de travail ou d’étude de Lucie Tremblay ou de s’approcher à moins de 300 mètres de sa résidence;
respecter toutes les directives de l’agent de surveillance et toutes les ententes écrites signées avec ce dernier;
- à l'échéance du terme d'emprisonnement dans la collectivité, une ordonnance de probation d'une durée de deux ans, aux conditions suivantes : garder la paix et avoir une bonne conduite, interdiction de communiquer avec Lucie Tremblay, interdiction d'aller à sa résidence ou de s'en approcher à moins de 300 mètres, interdiction de communiquer avec ses parents.
[13] Pour fixer cette peine, le juge d'instance tient compte des éléments suivants : gravité objective des infractions; gravité subjective des infractions (utilisation de la force, contexte de violence conjugale répétée à l’endroit de la même victime, fait que l’intimé a déjà été condamné pour avoir tenté d'entraver la justice, confiance de la victime qui se trouve dans la situation typique de celle qui aime celui qui abuse d’elle, nombreux antécédents judiciaires); fait qu’au moment où la peine est prononcée, l’intimé est en détention présentencielle depuis sept mois et demi (le juge considère que cette détention équivaut à un emprisonnement de quatorze mois); jeunesse de l'intimé et fait que ce dernier lui semble avoir une « bonne tête », une « bonne éducation » et être « récupérable »[1]; principes énoncés par les articles 718 et s. C.cr. (auxquels le juge renvoie de façon générale). Ayant énuméré et brièvement analysé l'ensemble de ces facteurs, le juge conclut que :
J’en viens à la conclusion, considérant tout ce que j’ai mentionné jusqu’à maintenant et considérant en particulier le temps fait en provisoire, qu’un sursis dans la collectivité serait une sentence qui peut être imposée à l’accusé.
Et je vous condamne, Monsieur, à un (1) an à être purgé dans la collectivité aux conditions que je vais énumérer.
[…]
Quand vous aurez terminé le sursis dans la collectivité, vous serez soumis à une ordonnance de probation pour une période de deux (2) ans aux conditions suivantes : […] »[2].
[14] Le juge de première instance prononce en outre une ordonnance de prélèvement de substances corporelles de l'intimé pour fins d'analyse génétique et une ordonnance d'interdiction de posséder des armes à feu, munitions et substances explosives pour une période de dix ans. Ces dernières ordonnances ne sont pas en cause dans le présent dossier.
II. Moyens d'appel
[15] Pour l'essentiel, l’appelante fait valoir que la peine imposée à l’intimé est manifestement déraisonnable en ce que :
1) elle ne tient pas compte de la gravité subjective des infractions et notamment des lourds antécédents de l’intimé en matière de violence conjugale, en particulier à l’égard de la victime Lucie Tremblay;
2) le juge de première instance a ignoré l’enseignement de la Cour suprême dans R. c. Proulx, [2001] 1 R.C.S. 61, et omis de considérer le risque de danger associé au fait de permettre à l’intimé de bénéficier de l’emprisonnement dans la collectivité;
3) le juge de première instance a tenu compte de facteurs non prouvés, à savoir le fait que l’accusé vient d’une bonne famille et qu'il est récupérable;
4) le juge a tenu compte du fait que la victime aurait visité l'intimé en prison ce qui est d’une part contraire à la preuve et d’autre part, non pertinent;
5) la seule mesure véritablement punitive que le juge de première instance a imposée est un couvre-feu inefficace, pour une durée de quatre mois seulement, ce qui n'est pas conforme à l'arrêt R. c. Proulx, précité, qui décide que l'assignation à domicile est la règle en matière d'emprisonnement dans la collectivité;
6) aucune preuve n’a été présentée au sujet du domicile de l’intimé, ce qui rend futile l'assignation à domicile.
[16] Pour sa part, l'avocat de l'intimé soutient que celui-ci, qui a repris ses études, fait des efforts de réhabilitation réels et substantiels : il a ainsi terminé son cours secondaire pendant sa détention présentencielle et il a récemment été accepté dans un programme de niveau collégial. La peine imposée par le juge de première instance est tout à fait adéquate car elle renforce cette prise en main de l'intimé et, en interdisant à ce dernier d'entrer en contact avec Lucie Tremblay, suffit à résoudre le problème de ses relations avec elle.
III. Analyse
a. Norme d'intervention d'une cour d'appel en matière de peine
[17] Rappelons d'abord brièvement qu'en matière de peine, une cour d'appel ne doit intervenir que si le juge a commis une erreur de droit ou si la peine est nettement déraisonnable, c'est-à-dire clairement excessive ou, au contraire, inadéquate, franchissant ainsi les limites acceptables. À ce propos, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Shropshire écrit que :
46 Il s'agit donc de savoir si l'examen de la «justesse» d'une peine comporte le contrôle très interventionniste de la cour d'appel, que préconise le juge Lambert. En toute déférence, je conclus que non. Une cour d'appel ne devrait pas avoir toute latitude pour modifier une ordonnance relative à la détermination de la peine simplement parce qu'elle estime qu'une ordonnance différente aurait dû être rendue. La formulation d'une ordonnance relative à la détermination de la peine est un processus profondément subjectif; le juge du procès a l'avantage d'avoir vu et entendu tous les témoins, tandis que la cour d'appel ne peut se fonder que sur un compte rendu écrit. Il n'y a lieu de modifier la peine que si la cour d'appel est convaincue qu'elle n'est pas indiquée, c'est-à-dire si elle conclut que la peine est nettement déraisonnable.
47 Je ferais mien le point de vue adopté par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans les arrêts R. c. Pepin (1990), 98 N.S.R. (2d) 238, et R. c. Muise (1994), 94 C.C.C. (3d) 119. Dans l'arrêt Pepin, à la p. 251, la cour conclut:
[TRADUCTION] [...] pour décider s'il y a lieu de modifier une peine, il ne s'agit pas de savoir si nous aurions infligé une peine différente; nous devons décider si le juge qui a prononcé la peine a appliqué des principes erronés ou [...] [si] [...] la peine est nettement ou manifestement excessive.
48 En outre, dans l'arrêt Muise, la cour tire la conclusion suivante, aux pp. 123 et 124:
[TRADUCTION] Chaque fois que notre cour a été appelée à examiner la justesse d'une peine infligée par un juge du procès, elle a constamment décidé de ne pas intervenir, sauf si la peine était nettement excessive ou inadéquate [...]
[…]
La règle de droit applicable aux appels interjetés contre une peine n'est pas complexe. Si la peine infligée n'est pas clairement excessive ou inadéquate, elle est indiquée à supposer que le juge du procès ait appliqué les bons principes et tenu compte de tous les faits pertinents. [...] Mon point de vue repose sur le fait que la détermination de la peine n'est pas une science exacte, tout au contraire. C'est un exercice de jugement qui tient compte des principes juridiques pertinents, des circonstances de l'infraction et du contrevenant. Tout au plus peut-on s'attendre à ce que le juge qui prononce la peine en arrivera à une peine qui respectera des limites acceptables. À mon sens, c'est la vraie raison pour laquelle des cours d'appel examinent des peines quand il s'agit seulement de savoir si la peine est inadéquate ou excessive.
49 Pour un point de vue semblable, voir R. c. Émond, C.A. Qué., no 200-10-000173-893, 6 février 1990, J.E. 90-557 .
50 Pour être considérée comme déraisonnable, l'ordonnance relative à la détermination de la peine doit tomber en dehors des «limites acceptables», ce qui n'est clairement pas le cas en l'espèce. Une erreur de droit suppose une situation comme celle en cause dans l'affaire R. c. Chaisson, [1995] 2 R.C.S. 1118 , où le juge qui a prononcé la peine a, en rendant, en vertu de l'art. 741.2 du Code, une ordonnance enjoignant de purger la moitié de la peine avant de pouvoir bénéficier de la libération conditionnelle, inclus par erreur dans le calcul de la durée totale de l'incarcération deux infractions qui n'étaient pas énumérées dans la liste des infractions auxquelles s'appliquent les ordonnances fondées sur l'art. 741.2[3].
[18] On pourra consulter également les affaires suivantes : R. c. M. (C.A.)[4], Morielli c. R.[5] et Gagnon c. R.[6]. La même norme d'intervention prévaut en matière d'emprisonnement dans la collectivité : R. c. Proulx[7], R. c. L.W.F.[8] et R. c. R.N.S.[9].
b. Règles régissant l'emprisonnement avec sursis
[19] Les principes régissant la peine d’emprisonnement dans la collectivité (ou emprisonnement avec sursis) sont établis par les articles 742.1 et s. C.cr., tels qu’interprétés par l’arrêt de la Cour suprême dans R. c. Proulx, précité, et, plus récemment, dans l'arrêt R. c. Fice[10].
[20] L'article 742.1 C.cr. énonce que :
742.1 Lorsqu'une personne est déclarée coupable d'une infraction - autre qu'une infraction pour laquelle une peine minimale d'emprisonnement est prévue - et condamnée à un emprisonnement de moins de deux ans, le tribunal peut, s'il est convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci et est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2, ordonner au délinquant de purger sa peine dans la collectivité afin d'y surveiller le comportement de celui-ci, sous réserve de l'observation des conditions qui lui sont imposées en application de l'article 742.3 C.cr.
(Les italiques sont de la soussignée.)
[21] L'arrêt Proulx analyse longuement cette disposition et en préconise une méthode d'application reposant sur un certain nombre de règles que le juge en chef Lamer, au nom de la Cour suprême, résume ainsi :
1 Le projet de loi C-41 en général et les dispositions créant la peine d'emprisonnement avec sursis en particulier ont été adoptés à la fois pour réduire le recours à l'incarcération comme sanction et pour élargir l'application des principes de la justice corrective au moment de la détermination de la peine.
2 L'emprisonnement avec sursis doit être distingué des mesures probatoires. La probation est principalement une mesure de réinsertion sociale. Par comparaison, le législateur a voulu que l'emprisonnement avec sursis vise à la fois des objectifs punitifs et des objectifs de réinsertion sociale. Par conséquent, une ordonnance de sursis à l'emprisonnement devrait généralement être assortie de conditions punitives restreignant la liberté du délinquant. Des conditions comme la détention à domicile devraient être la règle plutôt que l'exception.
3 Aucune infraction n'est exclue du champ d'application du régime d'octroi du sursis à l'emprisonnement à l'exception de celles pour lesquelles une peine minimale d'emprisonnement est prévue. De plus, il n'existe pas de présomption d'applicabilité ou d'inapplicabilité du sursis à l'emprisonnement à certaines infractions données.
4 L'exigence, à l'art. 742.1, que le juge inflige une peine d'emprisonnement de moins de deux ans ne signifie pas que celui-ci doit d'abord infliger un emprisonnement d'une durée déterminée avant d'envisager la possibilité que cette même peine soit purgée au sein de la collectivité. Bien que le texte de l'art. 742.1 suggère cette démarche, elle n'est pas réaliste et pourrait entraîner des peines inappropriées dans certains cas. Il faut plutôt donner une interprétation téléologique à l'art. 742.1. Dans un premier temps, le juge appelé à déterminer la peine doit avoir conclu que ni l'emprisonnement dans un pénitencier ni des mesures probatoires ne sont des sanctions appropriées. Après avoir déterminé que la peine appropriée est un emprisonnement de moins de deux ans, le juge se demande s'il convient que le délinquant purge sa peine dans la collectivité.
5 Comme corollaire de l'interprétation téléologique de l'art. 742.1, il n'est pas nécessaire qu'il y ait équivalence entre la durée de l'ordonnance de sursis à l'emprisonnement et la durée de la peine d'emprisonnement qui aurait autrement été infligée. La seule exigence est que, par sa durée et les modalités dont elle est assortie, l'ordonnance de sursis soit une peine juste et appropriée.
6 L'exigence, à l'art. 742.1, que le juge soit convaincu que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger si le délinquant y purgeait sa peine est un préalable à l'octroi du sursis à l'emprisonnement, et non le principal élément à prendre en considération pour décider si cette sanction est appropriée. Pour évaluer le danger pour la collectivité, le juge prend en compte le risque que fait peser le délinquant en cause, et non le risque plus général évoqué par la question de savoir si l'octroi du sursis à l'emprisonnement mettrait en danger la sécurité de la collectivité en ne produisant pas un effet dissuasif général ou en compromettant le respect de la loi en général. Deux facteurs doivent être pris en compte: (1) le risque que le délinquant récidive; (2) la gravité du préjudice susceptible de découler d'une récidive. L'examen du risque que fait peser le délinquant doit inclure les risques créés par toute activité criminelle, et ne doit pas se limiter exclusivement aux risques d'atteinte à l'intégrité physique ou psychologique de la personne.
7 Dans tous les cas où les préalables prévus par l'art. 742.1 sont réunis, le tribunal doit envisager sérieusement la possibilité de prononcer l'emprisonnement avec sursis en se demandant si pareille sanction est conforme à l'objectif et aux principes de la détermination de la peine visés aux art. 718 à 718.2. Cette conclusion découle du message clair que le législateur a lancé au tribunaux, savoir qu'il faut réduire le recours à l'incarcération comme sanction.
8 L'emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dénonciateur et dissuasif appréciable. En règle générale, plus l'infraction est grave, plus la durée de l'ordonnance de sursis devrait être longue et les conditions de celle-ci rigoureuses. Toutefois, il peut survenir des cas où le besoin de dénonciation ou de dissuasion est si pressant que l'incarcération est alors la seule peine qui convienne pour exprimer la réprobation de la société à l'égard du comportement du délinquant ou pour décourager des comportements analogues dans le futur.
9 L'emprisonnement avec sursis est généralement plus propice que l'incarcération à la réalisation des objectifs correctifs de réinsertion sociale des délinquants, de réparation par ceux-ci des torts causés aux victimes et à la collectivité et de prise de conscience par les délinquants de leurs responsabilités, notamment par la reconnaissance du tort qu'ils ont causé aux victimes et à la collectivité.
10 Lorsqu'il est possible de combiner des objectifs punitifs et des objectifs correctifs, l'emprisonnement avec sursis sera vraisemblablement une sanction plus appropriée que l'incarcération. Lorsque des objectifs tels que la dénonciation et la dissuasion sont particulièrement pressants, l'incarcération sera généralement la sanction préférable, et ce en dépit du fait que l'emprisonnement avec sursis pourrait permettre la réalisation d'objectifs correctifs. Cependant, selon la nature des conditions imposées dans l'ordonnance de sursis, la durée de celle-ci et la situation du délinquant et de la collectivité au sein de laquelle il purgera sa peine, il est possible que l'emprisonnement avec sursis ait un effet dénonciateur et dissuasif suffisant, même dans les cas où les objectifs correctifs présentent moins d'importance.
11 Le sursis à l'emprisonnement peut être octroyé même dans les cas où il y a des circonstances aggravantes, quoique la présence de telles circonstances augmente le besoin de dénonciation et de dissuasion.
12 Aucune partie n'a la charge d'établir si l'emprisonnement avec sursis est une sanction appropriée ou non dans les circonstances. Le juge doit prendre en considération tous les éléments de preuve pertinents, peu importe qui les a produits. Toutefois, il est dans l'intérêt du délinquant de faire la preuve des éléments militant en faveur de l'octroi du sursis à l'emprisonnement.
(Les italiques sont de la soussignée.)
[22] En l'espèce, ce sont les règles 4, 5 et 6 ci-dessus qui nous intéressent.
1. Application des règles 4 et 5 et prise en considération de la période de détention présentencielle
[23] Dans R. c. Fice[12], arrêt prononcé après la sentence du juge de première instance dans le présent dossier et après l'audition du pourvoi, la Cour suprême complète les règles 4 et 5 de l'arrêt Proulx en précisant l'interprétation de l'article 742.1 C.cr., en rapport avec l'éligibilité à l'emprisonnement avec sursis, lequel ne peut être ordonné que dans le cas où le délinquant est condamné à un emprisonnement de moins de deux ans. La Cour suprême décide que, pour statuer sur la possibilité de surseoir à l'emprisonnement, le juge doit envisager la durée totale de l'emprisonnement qui doit à son avis être imposé au délinquant, incluant la période de détention présentencielle. Dans Fice, la Cour suprême considère que n'est pas éligible à l'emprisonnement avec sursis l'individu qui a été condamné à quatorze mois d'emprisonnement, tenant compte d'une détention présentencielle de seize mois environ, considérée comme équivalant à trois ans d'emprisonnement. Au nom de la majorité, le juge Bastarache écrit que :
21 Si j’applique le raisonnement suivi dans Wust à la question litigieuse en l’espèce, j’arrive à la conclusion que la réduction de peine accordée au délinquant pour tenir compte de la période qu’il a passée sous garde avant le prononcé de sa peine doit être considérée comme faisant partie de la durée totale de l’emprisonnement plutôt que comme un facteur atténuant susceptible d’avoir une incidence sur la fourchette des peines applicables et, partant, sur l’admissibilité à l’emprisonnement avec sursis. Si la réduction de peine accordée en l’espèce par le tribunal est considérée comme faisant partie de la durée totale de la peine de l’intimée, il est clair que ce total de 50 mois d’emprisonnement (trois ans de détention présentencielle plus 14 mois de détention après le prononcé de la peine) se situe dans la fourchette des peines d’emprisonnement dans un pénitencier, d’où l’impossibilité d’octroyer un sursis. Le fait de considérer la détention présentencielle comme faisant partie de la durée totale de la peine infligée s’accorde également avec le fait que, en tant que précédent, la « peine » infligée à l’intimée pour l’infraction qu’elle a commise sera généralement perçue comme constituée du total de 50 mois, plutôt que des 14 mois infligés dans les faits par le tribunal ayant déterminé la peine[13].
2. Règle 6 et évaluation du danger que présente le fait que le délinquant purge sa peine au sein de la collectivité
[24] La règle 6 de l'arrêt Proulx impose au juge du procès, avant de décider d'une peine d'emprisonnement avec sursis, d'examiner la question du danger que l'emprisonnement de l'individu dans la collectivité fait peser sur celle-ci. La Cour suprême fait de la prise en considération de cet élément un préalable essentiel au prononcé de tout emprisonnement avec sursis, préalable qu'elle explique en ces termes :
63 Comme condition préalable au prononcé de toute condamnation à l'emprisonnement avec sursis, le tribunal doit être convaincu que le fait de purger la peine au sein de la collectivité ne met pas en danger la sécurité de celle-ci : voir Brady, précité, au par. 58; R. c. Maheu, [1997] R.J.Q. 410 , à la p. 415; Gagnon, précité, à la p. 2641; Pierce, précité, à la p. 39; Ursel, précité, aux pp. 284 à 286 (le juge Ryan). Le tribunal qui n'est pas convaincu que la sécurité de la collectivité peut être sauvegardée ne peut en aucun cas prononcer l'emprisonnement avec sursis.
64 En toute déférence, la Cour d'appel du Manitoba a eu tort, dans la présente affaire, de juger que la sécurité de la collectivité était le principal élément à prendre en considération pour décider de l'opportunité de prononcer l'emprisonnement avec sursis. Comme l'a souligné la Cour d'appel de l'Alberta dans Brady, précité, au par. 58 :
[TRADUCTION] Il est par conséquent tendancieux de prétendre que le danger pour la sécurité est le principal élément à prendre en considération. Cette proposition suppose à tort que l'absence de danger prime les autres principes de détermination de la peine. Soit que le délinquant satisfait au critère de l'absence de danger, soit qu'il n'y satisfait pas. S'il y satisfait, l'examen de ce facteur est terminé et il faut alors se pencher sur les autres principes et objectifs de la détermination de la peine.
65 Je suis d'accord. Ce n'est que lorsque le tribunal est convaincu que la sécurité de la collectivité ne serait pas mise en danger - conformément aux explications données aux par. 66 à 76 qui suivent - qu'il peut se demander si le prononcé de l'emprisonnement avec sursis «est conforme à l'objectif et aux principes visés aux articles 718 à 718.2». En d'autres mots, le critère du danger pour la sécurité de la collectivité n'est pas le facteur prédominant pour décider s'il convient de prononcer l'emprisonnement avec sursis, mais il doit plutôt être considéré comme un préalable à l'examen de la question de savoir si cette peine est une sanction juste et appropriée dans les circonstances[14].
(Le soulignement est dans le texte original.)
[25] Selon le même arrêt, le danger en question s’attache uniquement « au risque que poserait le délinquant en cause s’il purgeait sa peine au sein de la collectivité »[15]. Le juge d’instance doit sous ce rapport envisager deux éléments : d'une part, le risque de récidive et, d'autre part, la gravité du préjudice susceptible de résulter d'une récidive[16].
[26] Qu'en est-il de l'application de ces règles par le juge de première instance, dans la présente affaire?
c. Application à l'espèce
1. Prise en considération de la détention présentencielle aux fins de la détermination de l'éligibilité à l'emprisonnement avec sursis
[27] Considérant l'arrêt Fice, précité, il appert, en rétrospective, que l'intimé n'avait pas droit au régime de l'emprisonnement avec sursis, le total de sa peine d'emprisonnement s'élevant à vingt-six mois, soit : sept mois et demi de détention présentencielle équivalant à quatorze mois d'emprisonnement (selon la détermination du juge de première instance) plus douze mois d'emprisonnement (à purger dans la collectivité). Or l'article 742.1 C.cr. ne peut être appliqué qu'à un délinquant condamné à un emprisonnement d'une durée inférieure à deux ans.
2. Évaluation préalable du danger pour la collectivité
[28] Si l'on ne peut évidemment pas reprocher au juge de première instance d'avoir ignoré l'arrêt Fice, qui est postérieur au jugement visé par le présent appel, on doit par contre constater qu'il a, semble-t-il, négligé la règle relative à l'évaluation préalable du danger pour la collectivité, règle bien établie depuis l'arrêt Proulx. Or, à mon avis, s'il avait procédé à cette évaluation, les éléments de preuve dont il disposait l'auraient amené à conclure que l'emprisonnement de l'intimé dans la collectivité risque de mettre en péril la sécurité de cette dernière.
[29] Nulle part le jugement de première instance ne fait-il état, même de façon sommaire, du raisonnement prôné par la Cour suprême dans l'arrêt Proulx ou ne renvoie-t-il aux critères et conditions d'application qu'énoncent les articles 742.1 et s. C.cr. Par ailleurs, sa facture est telle qu'il n'est pas possible de s'assurer que le juge a, implicitement, appliqué ces règles, critères et conditions.
[30] Je ne veux pas sous-entendre ici que les juges d'instance doivent, dans tous les cas où ils ordonnent l'emprisonnement avec sursis, étayer leurs conclusions de considérations aussi substantielles que celles de la Cour suprême dans Proulx. Ce n'est bien sûr pas ce dont il s'agit et il ne s'agit pas non plus de bannir la concision. Comme l'a signalé la Cour suprême dans R. c. Burns[17], à propos de la motivation d'un verdict, les juges d'instance n'ont pas l'obligation d'indiquer tous les facteurs qu'ils ont considérés pour en arriver à une décision et ils n'ont pas non plus l'obligation de faire état de chacune des règles de droit applicables. Il suffit que l'on puisse constater que leurs conclusions s'appuient sur la preuve et résultent, le cas échéant, d'une application correcte du droit. Cependant, comme le précise la Cour suprême dans R. c. Sheppard[18], l'arrêt Burns ne doit pas être interprété comme « une invitation lancée aux juges de première instance à soustraire leurs décisions à l'examen en appel en révélant le moins possible les motifs de leur jugement »[19]. Au contraire, tout en adoptant une approche souple dictée par les circonstances de chaque espèce, la Cour suprême reconnaît dans Sheppard que le juge d'instance doit rendre une décision explicite en fait et en droit, qui « fournit matière à un examen valable en appel de la justesse de la décision de première instance »[20].
[31] Cette approche est transposable au processus décisionnel de détermination de la peine. Il faut que le juge d'instance en dise ou en écrive assez pour que l'on puisse comprendre sa démarche et constater qu'implicitement ou explicitement elle respecte les principes établis.
[32] Or, avec égards, ce n'est pas le cas du jugement en cause, qui énumère et analyse les divers facteurs propres au processus de détermination des peines sans toutefois se pencher sur ce préalable indispensable et essentiel qu'est l'évaluation du danger que l'intimé fait potentiellement courir à la sécurité de la collectivité au sein de laquelle il serait emprisonné, danger qui doit être envisagé, comme on l'a vu, sous l'angle du risque de récidive et de la gravité du préjudice résultant d'une telle récidive.
[33] Peut-être le juge du procès s'est-il posé la question de ce danger mais, malheureusement, son jugement ne le montre pas. La considération déterminante de sa décision d'ordonner l'emprisonnement avec sursis paraît plutôt être le fait que l’intimé a purgé sept mois de détention présentencielle, qui lui sont comptés en double pour un total de quatorze mois. La lecture de la transcription du jugement donne l’impression nette que c'en fût là l'élément décisif, jumelé au fait que l'intimé paraît, pour reprendre les mots du juge, avoir une « bonne tête », une « bonne éducation » et être « récupérable » (voir supra, parag. [13]).
[34] Or le fait que l'intimé ait été détenu depuis son arrestation et jusqu'au prononcé de la peine ne justifie pas, à lui seul, l'emprisonnement avec sursis et ne dispense pas le juge de procéder à l'évaluation du danger qu'un tel emprisonnement fait peser sur la collectivité. Par ailleurs, même si elles étaient par hypothèse fondées, les impressions du juge sur le caractère de l'intimé ne peuvent remplacer le processus d'évaluation de ce danger. En omettant cette évaluation, le juge de première instance a commis une erreur qui justifie, à elle seule, l'intervention de notre Cour[21].
[35] Cette omission est d'autant moins compréhensible que la preuve comporte de nombreuses indications du danger que l'emprisonnement de l'intimé dans la collectivité fait courir à celle-ci, danger qui doit être mesuré à l'aune du risque de récidive et de la gravité du préjudice susceptible de résulter de la récidive. Or, en l'espèce, tout indique que, sous ce double rapport, l'intimé est dangereux pour la collectivité et qu'il l'est particulièrement pour l'une de ses membres, Mme Lucie Tremblay.
[36] Le risque de récidive à l'endroit de cette dernière est en effet important, comme le montrent les paragraphes qui suivent.
[40] On doit constater aussi la gravité du préjudice susceptible de résulter d'une éventuelle récidive de l'intimé à l'endroit de Mme Tremblay. Le fait que les gestes de l'intimé se produisent dans un cadre de violence conjugale (ou paraconjugale), contre une victime que le juge de première instance décrit comme amoureuse de celui qui abuse d'elle n'atténue en rien la gravité de ce préjudice mais au contraire l'aggrave. Mme Tremblay court le risque sérieux d'une atteinte substantielle et violente à son intégrité physique et psychologique, atteinte dont notre Cour, à l'instar de la Cour suprême, a reconnu les conséquences intrinsèquement dévastatrices[22].
[41] Cela étant, je conclus que l'emprisonnement de l'intimé dans la collectivité ferait peser sur celle-ci un danger réel et important. Par conséquent, une telle forme d'emprisonnement ne peut pas être considérée et le juge de première instance aurait dû prononcer une peine d'emprisonnement ferme.
3. Peine appropriée
[42] Quelle doit être la durée de cette peine d'emprisonnement?
[43] En première instance, le ministère public suggérait une peine d'emprisonnement ferme d'un minimum de vingt-quatre mois. En appel, il suggère maintenant un emprisonnement ferme d'une année. La défense suggérait plutôt un emprisonnement dans la collectivité assorti d'une probation et elle demeure, on ne s'en étonnera pas, du même avis.
[44] L'emprisonnement dans la collectivité étant exclu pour les raisons expliquées plus haut, une peine de douze mois d'emprisonnement ferme est-elle adéquate?
[45] Selon R. c. M. (C.A.)[23], le juge d’instance doit fixer une peine juste et appropriée, qui soit proportionnée à la culpabilité générale et morale du contrevenant et tienne compte des principes du châtiment, de la dissuasion et de la réinsertion, le tout dans le cadre établi par le législateur.
[46] Considérant les principes énoncés par l'article 718 C.cr. et les facteurs énumérés aux articles 718.1, 718.2 et 719, parag. 3, C.cr., je crois qu'en l'espèce, une peine d'incarcération de douze mois est appropriée et reflète tout à la fois les considérations rattachées à la punition, à la dissuasion et à la dénonciation du comportement criminel de l'intimé et les considérations rattachées à sa réinsertion sociale et à sa responsabilisation.
[47] Comme le signale le juge de première instance, l'intimé a été trouvé coupable de dix infractions dont la gravité objective, mesurée selon les peines prévues par le législateur, est variable. Le juge de première instance en fait la revue et je m'en remets à lui sur ce point.
[48] Quant à la gravité subjective des infractions, elle est indéniable : l'intimé, comme le note également le juge de première instance, a utilisé la force contre Mme Tremblay, cherchant à se venger d'elle et à la forcer à se plier à ses volontés. Le fait que Mme Tremblay ait visité l'intimé en prison après les événements du printemps 2004 ne constitue pas, à mes yeux, un facteur atténuant. Au contraire, cela témoigne plutôt de la dépendance affective et de la vulnérabilité de Mme Tremblay, facteurs aggravants.
[49] Il faut également tenir compte de l'ensemble des antécédents judiciaires de l'intimé, qui n'est pas qu'un récidiviste de la violence conjugale mais également un récidiviste tout court (voir supra, parag. [39]), qui a déjà purgé plusieurs peines d'emprisonnement et qui est coutumier des ordonnances de probation. Je rappelle en outre que l'intimé, en 2003, a déjà été condamné à des peines d'emprisonnement de six et douze mois (peines concurrentes) pour des infractions semblables à celles de l'espèce (voir supra, parag. [37]). Une peine moindre est difficilement envisageable.
[50] Je note qu'aucun rapport présentenciel n'a été confectionné ou déposé au dossier.
[51] Les documents qui nous ont été remis à l'audience par l'intimé démontrent par ailleurs que ce dernier a repris le cours de ses études : il a terminé son secondaire pendant sa détention présentencielle et il vient d'être admis au programme de commerce international du Collège Bart. C'est une initiative louable, certes, qui montre que l'intimé entend s'amender. Malheureusement, elle ne suffit pas à contrebalancer les facteurs négatifs qui ressortent de la preuve. L'intimé a eu, dans un passé encore récent, l'occasion de modifier son comportement, notamment à la faveur de la peine fort clémente qui lui a été infligée en mars 2004 (voir supra, parag. [9] et [37]) : il ne l'a pas fait, commettant plutôt une série de dix infractions contre Mme Tremblay. La dimension punitive, dissuasive et dénonciatrice de la peine (qui demeure essentielle[24]) milite ici en faveur d'un emprisonnement ferme et je crois que seul cet emprisonnement permettra de responsabiliser pleinement l'intimé à l'égard de ses actes et de favoriser ainsi sa réinsertion sociale.
[52] Le juge de première instance a décidé que la détention présentencielle de l'intimé, détention d'une durée de sept mois, devait être considérée aux fins d'établir la durée de la peine et devait lui être comptée en double. Il n'y a pas lieu de modifier cette détermination dont je tiens compte également pour fixer la peine.
[53] Conjuguant à l'ensemble de ces facteurs le principe de l'harmonisation des peines et la jurisprudence en matière de violence conjugale, dans des cas analogues ou apparentés à celui de l'espèce[25], je conclus qu'un emprisonnement ferme de douze mois est adéquat, pour l'ensemble des chefs. J'aurais même été encline à imposer un emprisonnement d'une durée plus longue, de dix-huit mois par exemple, mais je retiens néanmoins la suggestion du ministère public, qui est raisonnable, surtout si l'on veut encourager l'intimé dans ses efforts de réhabilitation.
[54] L'ordonnance de probation de deux ans prononcée par le juge de première instance doit être maintenue de même que l'ensemble des conditions qui l'assortissent.
[55] Je recommande donc d'accueillir le pourvoi, de substituer à la peine d'emprisonnement avec sursis une peine d'emprisonnement ferme d'une durée de douze mois à compter de l'arrêt de la Cour, tout en maintenant les autres conclusions et ordonnances de la sentence.
|
|
|
|
MARIE-FRANCE BICH J.C.A. |
[1] Les propos du juge à ce sujet sont les suivants : « L'accusé est jeune et malgré ses antécédents, il me semble avoir une bonne tête, je pense qu'il a eu une bonne éducation et je pense qu'il est récupérable. Je suis convaincu que si l'accusé le veut, il peut devenir un élément positif dans la société et il peut respecter les lois. ». Voir la transcription sténographique du jugement, à la p. 5, telle qu'elle est reproduite dans le dossier de l'appelante, vol. 1, à la p. 13.
[2] Id., aux p. 5-8 de la transcription, p. 13-18 du dossier de l'appelante.
[3] R. c. Shropshire, [1995] 4 R.C.S. 227 , aux parag. 46-50.
[4] [1996] 1 R.C.S. 500 , au parag. 90.
[5] [2000] R.J.Q. 364 (C.A.).
[6] J.E. 2003-410 (C.A.).
[7] [2000]1 R.C.S. 61, aux parag. 123-125 et 130.
[8] [2000] 1 r.c.s. 132 , au parag. 19.
[9] [2000] 1 R.C.S. 149 , notamment au parag. 23.
[10] 2005 CSC 32 (20 mai 2005).
[11] R. c. Proulx, précité, note 7, au parag. 127.
[12] Précité, note 10.
[13] Id., au parag. 21.
[14] Id., aux parag. 63-65.
[15] Id., au parag. 68.
[16] Id., au parag. 69.
[17] [1994] 1 R.C.S. 656 , à la p. 664.
[18] [2002] 1 R.C.S. 869 .
[19] Id., au parag. 35.
[20] Id., au parag. 55, notamment au sous-parag. 8.
[21] R. c. G. B., J.E. 2005-262 (C.A.).
[22] R. c. Chénier, J.E. 2004-1950 (C.A.), aux parag. 34 à 36.
[23] Précité, note 4, parag. 72 à 82.
[24] Voir là-dessus : R. c. M. (C.A.), précité, note 4, aux parag. 77 à 82; R. c. Proulx, précité, note 7, aux parag. 102 et 107; R. c. Chénier, précité, note 22, particulièrement aux parag. 37 et 38.
[25] Voir par exemple : R. c. Chénier, précité, note 22, où une peine de trente mois d'emprisonnement ferme a été substituée à une peine d'emprisonnement de deux ans moins un jour à être purgée dans la collectivité, pour une série d'infractions analogues à celles de l'espèce quoique plus graves au chapitre des voies de fait (voies de fait graves, harcèlement, deux introductions par effraction, menaces de mort ou de lésions corporelles); R. c. Firingstoney, [2002] S.J. no 87 (Sask. C.A.), où une peine de 21 mois d'emprisonnement ferme est substitué à un emprisonnement de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité, l'accusé, un récidiviste (antécédents en matière de violence conjugale et en d'autres matières), ayant été trouvé coupable de deux chefs d'accusation de voies de fait graves à l'encontre de sa conjointe de fait; R. c. A.R., J.E. 2005-19 (C.Q.), où une peine de deux ans d'emprisonnement assortie d'une ordonnance de probation de trois ans est imposée à l'accusé, trouvé coupable de diverses infractions analogues à celles de l'espèce (voies de fait, menaces de causer la mort ou des lésions corporelles, introduction par effraction, harcèlement, bris de probation) mais auxquelles s'ajoute une agression sexuelle.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.