RECTIFICATION D’UNE DÉCISION
[1] La Commission des lésions professionnelles a rendu le 23 mai 2003, une décision dans le présent dossier;
[2] Cette décision contient une erreur de calcul qu’il y a lieu de rectifier;
[3] Au paragraphe 35 nous lisons :
[35] Selon la preuve au dossier, le contrat de travail du travailleur prévoit que la semaine normale de travail est de 45 heures par semaine au tarif horaire de 14,85 $. Cette somme doit être multipliée par 48 semaines par année et s’ajoute à ce montant, 11.5 % pour les vacances ce qui fait un revenu brut annuel de 37 215 $.
[4] Alors que nous aurions dû lire :
[35] Selon la preuve au dossier, le contrat de travail du travailleur prévoit que la semaine normale de travail est de 45 heures par semaine au tarif horaire de 14,85 $. Cette somme doit être multipliée par 48 semaines par année et s’ajoute à ce montant, 11.5 % pour les vacances ce qui fait un revenu brut annuel de 35 764,74 $.
[5] Dans le dispositif, nous lisons :
DÉCLARE que le revenu brut de monsieur Alain Rivest pour fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu s’élève à 37 215 $.
[6] Alors que nous aurions dû lire :
DÉCLARE que le revenu brut de monsieur Alain Rivest pour fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu s’élève à 35 764,74 $.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Commissaire |
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F.P.O.E. - LOCAL 1676 Mme Chantal Allard |
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Représentante de la partie requérante |
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BOURQUE, TÉTREAULT & ASS. Me Christian Tétreault |
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DÉCISION
[1] Le 3 mai 2002, les Entreprises d’Émondage LDL inc. (l’employeur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête afin de faire réviser une décision rendue par cette instance le 6 mars 2002, laquelle a été transmise par la Commission des lésions professionnelles à l’employeur le 27 mars 2002.
[2] Par cette décision, la Commission des lésions professionnelles relève monsieur Alain Rivest (le travailleur) de son défaut d’avoir contesté dans le délai légal une décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) le 25 janvier 2001.
[3] Sur le fond du litige, la Commission des lésions professionnelles infirme la décision rendue par la CSST à la suite de la révision administrative le 24 octobre 2001 et déclare que le revenu brut annuel du travailleur doit être déterminé tel que prévu à l’article 67 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi) sur la base du revenu brut prévu par sa convention collective qui constitue son contrat de travail.
L'OBJET DE LA REQUÊTE
[4] Au soutien de sa requête en révision, l’employeur fait valoir que la décision est entachée d’un vice de fond de nature à l’invalider pour les raisons suivantes :
« a) le commissaire a commis un vice de fond de nature à invalider la décision en relevant l’intimée du défaut d’avoir soumis sa demande de révision dans les délais prévus sans motif raisonnable pour expliquer ledit retard;
(...)
c) en décidant d’annualiser le revenu de l’intimée dans un contexte où la prestation de travail est irrégulière, le tout en fonction des contrats obtenus par la requérante, la CLP comment une erreur manifestement déraisonnable puisque l’article 67 auquel elle fait référence « ne fait aucune allusion à une projection mathématique » (C.A.500-09-006750-988 Rénald Héroux c. Groupe Forage Major et CLP et Me Gilles Robichaud ès qualités de commissaire à la Commission des lésions professionnelles et CSST. »
[5] À l’audience tenue par la Commission des lésions professionnelles, l’avocat de l’employeur a informé le tribunal qu’il retirait le motif mentionné à l’alinéa b) du paragraphe 16 de sa requête et qu’il ajoutait un motif supplémentaire voulant que le commissaire a commis une erreur manifeste de droit en incluant dans le salaire, la somme que l’employeur verse au régime de retraite.
[6] Le travailleur et l’employeur étaient représentés à l’audience tenue dans la présente affaire.
LES FAITS
[7] L’employeur a admis à l’audience que les faits étaient correctement rapportés dans la décision qu’il veut faire réviser. Afin de bien comprendre la présente décision, il y a lieu de reprendre les extraits suivants de cette décision :
« Le travailleur oeuvrait à titre d’émondeur pour l’employeur au dossier lorsque le 8 décembre 2000, il a été victime d’un accident du travail alors qu’il était dans un arbre et les pieds lui ont glissé, il s’est retenu à une branche supérieure et s’est occasionné une rupture de l’insertion humérale du muscle pectoral gauche. Il est resté avec une atteinte permanente de 9.6% et des limitations fonctionnelles qui l’empêchaient de reprendre son travail d’émondeur, c’est pourquoi il a pu bénéficier de la réadaptation à la CSST.
Dans une décision du 9 janvier 2001, la CSST accepte la réclamation du travailleur pour l’événement du 8 décembre 2000.
Le 12 janvier 2001, le travailleur reçoit un premier chèque de la CSST couvrant la période du 23 décembre 2000 au 11 janvier 2001. L’avis de paiement accompagnant le chèque fait mention que le salaire qui a servi à établir l’indemnité de remplacement du revenu est de 19,221$.
Il apparaît dans les notes évolutives du dossier que le 19 janvier 2001, le travailleur a fourni à la CSST la preuve de gain supérieur dans les 12 mois précédents, soit des gains d’assurance-emploi et des gains chez un autre employeur.
Tel qu’en fait état la copie d’un avis de paiement déposée à l’audience par le travailleur, la CSST a réajusté la base du revenu brut assurable à 28,908.79$ pour calculer le montant d’indemnité de remplacement du revenu auquel le travailleur avait droit. Il apparaît également sur cet avis de renseignements une note qui se lit comme suit :
« Il faut noter que les renseignements fournis sur cet avis ne le sont qu’à titre d’information et ne constituent pas une décision de la CSST. »
Au début de mai 2001, le travailleur a contacté son syndicat pour divers renseignements et c’est là qu’il a appris que la base salariale sur laquelle était calculée son indemnité de remplacement du revenu était inexacte.
Tel qu’il apparaît dans les notes évolutives, en date du 18 mai 2001, Mme Chantal Allard, représentante du travailleur, a communiqué avec l’agent d’indemnisation à la CSST pour l’informer que la base salariale à retenir devrait être de 37,558$ car le revenu brut du travailleur doit être établi à partir de l’article 67 de la loi puisqu’il n’est pas un travailleur sur appel ou un travailleur saisonnier mais bien un travailleur bénéficiant d’un contrat de travail.
Par ailleurs, tel qu’il apparaît au dossier, au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement », l’employeur précisait que le travailleur était un travailleur saisonnier. C’est d’ailleurs ce que l’employeur réaffirmait à l’agent d’indemnisation
selon les notes évolutives en date du 25 mai 2001.
À l’audience, le travailleur a témoigné qu’il s’était fié totalement à la CSST pour établir son indemnité de remplacement du revenu. Au début de mai 2001, lorsqu’il a constaté qu’il ne pourrait pas retourner à son travail d’émondeur et qu’il a été admis en réadaptation par la CSST, il a décidé de s’adresser à son syndicat afin qu’il l’assiste dans tout le processus de réadaptation. C’est là, à sa grande surprise, qu’il a appris que la base salariale sur laquelle était établie son indemnité de remplacement du revenu n’était pas la bonne et que sa représentante syndicale de même que lui-même ont demandé à la CSST de faire les réajustements nécessaires.
De son côté, la représentante du travailleur a demandé à la CSST de rendre une décision au sujet de la base salariale utilisée pour établir l’indemnité de remplacement du revenu afin que le travailleur puisse la contester. En effet, les avis de paiement précédents mentionnaient clairement que les renseignements fournis n’étaient qu’à titre d’information et ne constituaient pas une décision de la CSST.
Comme la CSST n’a pas rendu de nouvelle décision au sujet de la base salariale, elle s’est vue forcer de contester l’avis de paiement du 25 janvier 2001 qui, à son avis, n’est pas une décision. Elle demande donc à la Commission des lésions professionnelles de relever le travailleur du défaut d’avoir contesté en dehors du délai prévu par l’article 358 de la loi cet avis de paiement que la CSST considère comme une décision.
Concernant la base salariale, elle a fait valoir que le travailleur était régi par une convention collective de travail entre le syndicat des ouvriers en électricité et les différents entrepreneurs en arboriculture et élagage. Cette convention collective couvre 25 régions dans le Québec et le travailleur est régi par celle couvrant la région de Lanaudière et regroupant environ 10 entrepreneurs.
Elle a fait valoir que le travailleur ne pouvait être qualifié de travailleur saisonnier puisque les opérations d’élagage s’effectuent à n’importe quelle saison de l’année. Il ne peut non plus être considéré comme un travailleur sur appel puisque ses conditions d’embauche et de travail étaient précisées dans une convention collective qui précisait que l’employeur devait respecter une liste d’ancienneté fournie par le syndicat. Cette liste d’ancienneté accorde une préférence aux travailleurs qui ont exercé leur emploi le plus longtemps chez l’ensemble des employeurs accrédités par la convention collective et assure une certaine stabilité dans l’embauche. Elle a fait valoir que la plupart des élagueurs apparaissant sur la liste d’ancienneté pour la région de Lanaudière occupaient des emplois à plein temps 12 mois par année. Dans le cas de M. Rivest, son temps de travail s’établit à environ 10 mois sur 12 puisqu’il se situait presqu’à la fin de la liste d’ancienneté. Ainsi, plus le travailleur possède d’ancienneté, plus son temps de travail sera élevé. »
[8] Lors de la première audience tenue par la Commission des lésions professionnelles, seul le travailleur était présent et représenté à l’audience. Avant de rendre sa décision, le premier commissaire a reçu l’avis des membres, lesquels étaient tous deux d’avis de relever le travailleur des conséquences de son défaut d’avoir contesté dans le délai légal la décision de la CSST à cause de la note apparaissant sur l’avis de paiement ce qui pouvait induire le travailleur en erreur. Sur le fond du litige, les deux membres n’étaient pas du même avis.
[9] Le premier commissaire déclare que l’avis de paiement est une décision visée par l’article 358 de la loi. Il relève le travailleur des conséquences de son défaut d’avoir contesté dans le délai prévu à l’article 358 de la loi, pour les motifs suivants :
« En effet, sur cet avis de paiement, autant il est précisé qu’une demande de révision doit être faite dans les 30 jours depuis la date de réception de la décision de la CSST autant la dernière ligne de cet avis a pour effet d’induire le travailleur en erreur en précisant que les renseignements fournis sur cet avis ne sont qu’à titre d’information et ne constitue pas une décision de la CSST. Comment un travailleur peut-il s’y retrouver et comment en toute justice pourrait-on l’accuser de ne pas avoir contesté un document quand il est écrit clairement qu’il ne peut le contester? »
[10] Sur le fond du litige, le premier commissaire accueille la contestation du travailleur et déclare qu’en vertu de l’article 67, le revenu brut du travailleur est celui prévu à son contrat de travail et qu’il doit être annualisé. Le premier commissaire motive comme suit sa décision :
« Dans le présent cas, l’employeur, au formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement », à la rubrique nature du contrat de travail, a indiqué saisonnier et au salaire gagné au cours des 12 derniers mois 19,221$.
Selon les premiers calculs effectués par la CSST, il apparaît que celle-ci s’est basée sur l’article 68 de la loi pour établir le revenu brut du travailleur qu’elle a par la suite corrigé en ajoutant le salaire que le travailleur avait gagné pour un autre employeur ainsi que les montants qu’il avait reçus de l’assurance-emploi dans les 12 mois précédant l’accident pour établir finalement son revenu brut assurable à 28,908.79$.
Le travailleur prétend que la CSST devait utiliser l’article 67 de la loi pour établir son revenu brut en fonction de son contrat de travail, soit un taux horaire de 14,85$ multiplié par 45 heures par semaine, multiplié par 48 semaines par année, plus 11.5% pour les vacances ainsi que 0.95$ de l’heure pour le régime de retraite, pour un salaire annuel de 37,588.80$, soit le salaire annuel d’un élagueur de classe AEG (apprenti élagueur grimpeur).
Dans le présent cas, il faut se demander si le travailleur est un travailleur saisonnier. La Commission des lésions professionnelles est d’avis qu’un élagueur ne peut être considéré comme un travailleur saisonnier puisqu’il n’est pas limité à certaines périodes précises à l’intérieur de certaines saisons mais que son travail s’exerce 12 mois par année. La preuve c’est que le travailleur a été victime de son accident du travail le 8 décembre 2000.
Est-il un travailleur sur appel ? Dans le dossier Bouchard et Maçonnerie Godbout inc.1, la Commission d’appel avait ainsi défini un travailleur sur appel :
« (…) Un travailleur sur appel est un travailleur qui est lié par un employeur par un contrat de travail dont la particularité essentielle est que le travailleur assure l’employeur de sa disponibilité, selon les modalités préétablies, pour établir une prestation de travail qui comporte une alternance de périodes travaillées et de périodes non travaillées irrégulières et imprévisibles. »
Ainsi, dans cette décision, la Commission d’appel précise que le caractère occasionnel et temporaire d’un emploi et que le chômage intermittent ne signifie pas nécessairement qu’un salarié doit être considéré comme étant un travailleur sur appel au sens de l’article 68 de la loi.
Dans le présent cas, le travailleur avait été embauché par les Entreprises d’émondage LDL inc. pour exécuter un contrat en particulier. Son emploi était à plein temps pendant toute la durée de ce contrat.
Par la suite, il devenait disponible pour travailler pour une autre entreprise d’émondage, selon les conditions d’embauche et de travail prévues dans la convention collective qui stipule que les employeurs ou l’employeur doivent respecter une liste d’ancienneté qui accorde une préférence aux travailleurs qui ont exercé leur emploi le plus longtemps chez tous les employeurs accrédités. En contrepartie, le travailleur ne peut refuser, sans motif valable, un emploi qui lui est offert sous peine de perdre son ancienneté. Ainsi, on assure une certaine stabilité d’emploi aux travailleurs et une disponibilité de main-d’œuvre qualifiée aux employeurs.
D’ailleurs, la représentante du travailleur a témoigné que dans la liste de 33 travailleurs qualifiés en élagage pour la région de Lanaudière, la plupart travaillait à plein temps 12 mois par année. Quant au travailleur lui-même, étant le cinquième à la fin de la liste, il avait quand même travaillé 10 mois sur 12 l’année précédente.
Majoritairement, la jurisprudence est à l’effet que l’indemnité de remplacement du revenu vise à palier un manque à gagner, une incapacité de gain futur pour la durée d’une lésion professionnelle et non le remplacement d’un revenu réel antérieur sauf lorsque ce revenu des 12 mois précédents est supérieur au revenu projeté sur une base annuelle.
D’ailleurs, dans l’affaire Gérald Dorion et Forlini Démolition Québec ltée2, le commissaire Robichaud faisait un parallèle intéressant entre les articles de la nouvelle loi (LATMP) et de l’ancienne loi sur les accidents du travail (LAT). Il s’exprimait comme suit :
« C’est cette incapacité à exercer son emploi et le fait d’être privé de gains à venir que la nouvelle loi, entrée en vigueur le 19 août 1985, a voulu compenser contrairement à l’ancienne Loi sur les accidents du travail.
En effet, il n’y avait pas d’ambiguïté possible à l’article 46.2 de la Loi sur les accidents du travail (L.R.Q., c. A-3) :
46. […]
2. La commission détermine le revenu du travailleur en se basant sur ses gains pendant les douze mois précédant son accident si son emploi a duré au moins douze mois au service du même employeur, ou sur ses gains au cours de toute autre période moindre pendant laquelle il a été au service de son employeur, suivant la méthode qu’elle croit la mieux appropriée aux circonstances.
Une simple relecture en parallèle des articles 67 à 75 de la nouvelle loi fait voir de façon manifeste l’approche différente utilisée par le législateur. C’est cette approche différente qui a conduit, entre autres, le tribunal à interpréter comme il l’a fait à l’article 67. »
Dans l’affaire Bouchard et Maçonnerie Godbout3, le juge Roberge confirmait en quelque sorte la validité de cette interprétation :
« Avec respect pour l’opinion de la requérante qui soumet que la Commission d’appel ne pouvait calculer les revenus bruts mis en cause en se basant sur le salaire annuel calculé selon l’échelle salariale du Décret de la construction, le tribunal trouve que la Commission d’appel n’a rien ajouté à l’article 67. En effet, si on ne calcule pas le revenu d’un travailleur soumis au Décret de la construction de la façon indiquée par la Commission d’appel, on peut arriver à des illogismes graves ».
Ainsi, la Commission des lésions professionnelles en vient à la conclusion que le travailleur ne peut être considéré ni comme un travailleur saisonnier ni comme un travailleur sur appel et que son salaire doit être calculé selon l’article 67 sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail, soit 37,588.80$ tel que démontré par la représentante du travailleur. »
_______________
1 Louis-Georges Bouchard et Maçonnerie Godbout inc., CALP 03-00048-8608.
2 CLP 115305-72-9904, 22 décembre 1999.
3 Maçonnerie Godbout inc. c. C.A.L.P., (1989) C.A.L.P. 242 Cour supérieure.
L'AVIS DES MEMBRES
[11] Tant le membre issu des associations syndicales que celui issu des associations d’employeurs sont d’avis que le premier commissaire n’a commis aucune erreur manifeste de droit ou de faits en relevant le travailleur de son défaut d’avoir contesté tardivement la décision rendue par la CSST le 25 janvier 2001.
[12] Sur le fond du litige, ils estiment que la décision du premier commissaire qui déclare que le salaire doit être calculé selon l’article 67 sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et d’annualiser ce salaire ne comporte pas d’erreur manifeste de droit.
[13] Cependant, ils estiment que la décision comporte une erreur manifeste de droit parce que le revenu brut au sens de l’article 67 ne comprend pas la somme que l’employeur doit verser au régime de retraite. Par conséquent, ils sont d’avis qu’une partie de la décision doit être révisée afin de recalculer le revenu brut du travailleur.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[14] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il a été démontré un motif donnant ouverture à la révision de la décision rendue par cette instance le 10 mars 2002.
[15] L’article 429.49 de la loi prévoit qu’une décision rendue par la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel. Cependant, le législateur a prévu à l’article 429.56 que dans certains cas, la Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision qu’elle a rendue. Cette disposition se lit comme suit :
429.56. La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendue :
1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;
2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;
3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.
Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.
________
1997, c. 27, a. 24.
[16] La Commission des lésions professionnelles s’est prononcée à plusieurs reprises sur la portée des termes « vice de fond de nature à invalider la décision[2] ». Il a été établi qu’il faut entendre, par ces termes une erreur manifeste de droit ou de faits qui est déterminante sur l’issue de la contestation. Il doit être précisé que le recours en révision ne peut-être assimilé à un second appel au moyen duquel on voudrait faire réapprécier la preuve ou encore bonifier son argumentation afin d’obtenir ainsi une décision différente qui soit en sa faveur.
[17] L’employeur soulève que la décision comporte une erreur manifeste de droit et de faits parce que le travailleur n’a pas démontré de motif raisonnable lui permettant d’être relevé des conséquences de son défaut d’avoir contesté dans le délai légal la décision rendue par la CSST.
[18] Les dispositions pertinentes de la loi se lisent comme suit :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
(...)
________
1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
________
1997, c. 27, a. 15.
[19] Dans la décision que l’on veut faire réviser, la Commission des lésions professionnelles conclut que le travailleur a pu être induit en erreur par la mauvaise information donnée par la CSST sur l’avis de paiement, selon laquelle il ne s’agissait pas d’une décision. Le premier commissaire a considéré qu’il s’agissait là d’un motif raisonnable justifiant de relever le travailleur des conséquences de son défaut d’avoir contesté l’avis de paiement dans le délai prévu à la loi.
[20] Il est vrai comme le soulève l’employeur que le travailleur n’a pas déclaré comme tel avoir été induit en erreur. Il a en effet témoigné à l’audience qu’il faisait confiance à la CSST qui venait de réviser son revenu brut pour les fins du calcul de son indemnité de remplacement du revenu. Malgré cela, le premier commissaire a conclut que le fait pour la CSST de fournir une mauvaise information au travailleur sur l’avis de paiement a pu induire celui-ci en erreur et que cela constitue un motif raisonnable qui justifiait de relever le travailleur des conséquences de son défaut.
[21] On peut ne pas être d’accord avec le motif retenu par le premier commissaire mais la commissaire soussignée estime que les termes « motif raisonnable » peuvent donner lieu à diverses interprétations. Il revient au commissaire de décider dans chaque cas, à partir de l’ensemble de la preuve au dossier, s’il y a un motif raisonnable ou non qui permet de relever le travailleur des conséquences de son défaut. On peut ne pas être d’accord avec la décision du commissaire, toutefois, cela n’en fait pas une décision comportant une erreur manifeste de droit ou de faits.
[22] Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’une décision dans ce sens est rendue par la Commission des lésions professionnelles. Dans l’affaire Gérald Dorion c. Forlini Démolition Québec inc.[3], le commissaire Gilles Robichaud s’exprime comme suit :
« Le travailleur n’est pas un spécialiste de l’indemnisation et lorsque, suite à son accident du travail, il se retrouve en arrêt de travail et qu’on lui explique comment la loi fonctionne, hors la présence de son syndicat, il a tendance, comme le démontre les notes évolutives de la CSST, à faire confiance à sa conseillère qui affirme, relativement au calcul de son indemnité de remplacement du revenu, « avoir choisi la situation la plus avantageuse pour le travailleur ». Le travailleur n’a alors aucune raison de contester. Une relation de confiance s’est établi entre sa conseillère et lui-même. Au surplus, le travailleur n’est pas prévenu que, s’il n’est pas satisfait du mode de calcul, il peut contester, et ce, contrairement à une pratique bien répandue que l’on retrouve régulièrement dans les notes évolutives.
D’autre part, le premier avis de paiement qu’il reçoit le 3 juillet 1997, pour une période de 27 jours d’indemnité avec le mode de calcul retenu de même que le revenu brut assurable annuel de 31 122,56 $, ne semble pas contestable puisque, autant il est précisé qu’une demande de révision doit être faite dans les 30 jours « depuis la date de réception de la décision de la CSST », autant la dernière ligne précise que les renseignements « fournis sur cet avis ne sont qu’à titre d’information et ne constituent pas une décision de la CSST ». Un espèce de cul de sac. »
[23] Sur le fond du litige, l’employeur fait valoir que c’est effectivement l’article 67 qui doit s’appliquer pour établir le revenu brut du travailleur aux fins de calculer l’indemnité de remplacement du revenu auquel il a droit. Cependant, il soumet que la décision comporte une erreur manifeste de droit puisqu’on annualise le revenu brut du travailleur alors qu’il bénéficiait d’un contrat de travail à durée déterminée.
[24] Avec respect pour cet argument de l’employeur, la Commission des lésions professionnelles estime qu’il est mal fondé parce que pour conclure à la présence d’une erreur manifeste de droit, il faut que la règle de droit soit claire et ne porte pas à interprétation ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne l’annualisation du revenu brut du travailleur compte tenu de ses conditions de travail prévues à la convention collective. L’article 67 de la loi se lit comme suit :
67. Le revenu brut d'un travailleur est déterminé sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail et, lorsque le travailleur est visé à l'un des articles 42.11 et 1019.4 de la Loi sur les impôts (chapitre I - 3), sur la base de l'ensemble des pourboires que le travailleur aurait déclarés à son employeur en vertu de cet article 1019.4 ou que son employeur lui aurait attribués en vertu de cet article 42.11, sauf si le travailleur démontre à la Commission qu'il a tiré un revenu brut plus élevé de l'emploi pour l'employeur au service duquel il se trouvait lorsque s'est manifestée sa lésion professionnelle ou du même genre d'emploi pour des employeurs différents pendant les 12 mois précédant le début de son incapacité.
Pour établir un revenu brut plus élevé, le travailleur peut inclure les bonis, les primes, les pourboires, les commissions, les majorations pour heures supplémentaires, les vacances si leur valeur en espèces n'est pas incluse dans le salaire, les rémunérations participatoires, la valeur en espèces de l'utilisation à des fins personnelles d'une automobile ou d'un logement fournis par l'employeur lorsqu'il en a perdu la jouissance en raison de sa lésion professionnelle et les prestations en vertu de la Loi sur l'assurance‑emploi (Lois du Canada, 1996, chapitre 23).
________
1985, c. 6, a. 67; 1997, c. 85, a. 4.
[25] Le premier commissaire explique aux paragraphes 34 à 40 de sa décision les raisons pour lesquelles il applique l’article 67 de la loi pour établir le revenu brut du travailleur. Après avoir conclu ainsi, le premier commissaire se réfère à la décision rendue par la Cour supérieure dans l’affaire Bouchard et Maçonnerie Godbout inc. qui maintient la décision rendue par la Commission d’appel en matière de lésions professionnelles (la Commission d’appel) sur l’annualisation du revenu brut d’un travailleur de la construction. Dans sa décision, la Commission d’appel déclare ce qui suit :
« (...) pour établir le revenu net retenu que le travailleur tire annuellement de son emploi, qui sert de base au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu, on doit d’abord établir son revenu brut annuel d’emploi conformément à l’article 67, donc sur la base du revenu brut prévu par son contrat de travail, ce qui en implique nécessairement l’annualisation, et ce, peu importe la durée de ce contrat d’emploi.
(...) »
[26] Ainsi, même si le travailleur avait un contrat à durée déterminée avec l’employeur, le premier commissaire retient qu’à la fin du contrat, il était disponible pour un autre employeur lié par la convention collective, lequel doit respecter les employés sur la liste d’ancienneté. Le premier commissaire déclare que c’est le manque à gagner qui doit être indemnisé et non le remplacement du revenu réel gagné dans les 12 mois antérieurs à la lésion.
[27] En décidant d’annualiser le revenu brut du travailleur, la Commission des lésions professionnelles suit le courant jurisprudentiel établi dans la décision André Boudreault et Arbo service inc. et CSST[4]. Dans cette affaire, l’accidenté du travail et l’employeur étaient liés par la même convention collective que celle du travailleur. La Commission des lésions professionnelles, s’appuyant sur la décision rendue dans d’affaire Bouchard, conclut que la base du revenu brut prévu au contrat de travail du travailleur lié par la convention collective devait être projeté sur une base annuelle.
[28] L’employeur se réfère au jugement de la Cour d’appel dans Forage Major inc. et Héroux et CSST Salaberry[5] pour soutenir que la règle est maintenant établie et que l’on ne doit pas annualiser le revenu brut d’un travailleur qui bénéficie d’un contrat de travail à durée déterminée.
[29] Dans ce jugement de la Cour d’appel, la juge Marie Deschamps s’exprime comme suit faisant référence au texte de l’article 67 :
« (...) Cet article commande une évaluation qui tient compte des caractéristiques particulières de l’emploi du travailleur. Cet article ne laisse pas place à une application aveugle d’une méthode qui peut ne pas être manifestement déraisonnable dans certains contrats mais qui ne peut certes pas être extrapolée à un contrat à durée déterminée comme celui en l’espèce. »
[30] Ce que vient donc dire la Cour d’appel c’est que l’on doit toujours tenir compte des caractéristiques de chaque emploi avant de déterminer s’il y a lieu d’annualiser le revenu brut.
[31] Pour les motifs susmentionnés, la Commission des lésions professionnelles estime que l’employeur n’a pas démontré que la décision du premier commissaire d’annualiser le revenu brut du travailleur constitue une erreur manifeste de droit. On peut ne pas être d’accord avec cette décision, toutefois cela n’en fait pas une décision comportant une erreur manifeste de droit.
[32] Pour terminer, la Commission des lésions professionnelles retient le dernier argument de l’employeur voulant que la décision comporte une erreur manifeste de droit puisque le revenu brut d’un travailleur devant servir aux fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu ne comprend pas la participation monétaire d’un employeur au régime de retraite. Il n’est pas prévu à l’article 67 de la loi que la participation monétaire de l’employeur au régime de retraite doit être calculée dans le revenu brut du travailleur. Cette contribution de l’employeur au régime de retraite fait partie des avantages sociaux et non pas du revenu brut. La contribution de l’employeur telle que prévue à la convention collective est versée au fiduciaire qui administre le régime de retraite et non pas directement au travailleur.
[33] La loi prévoit également à l’article 235 l’obligation de l’employeur en regard de sa contribution au régime de retraite lorsque son travailleur est victime d’une lésion professionnelle. Cette disposition se lit comme suit :
235. Le travailleur qui s'absente de son travail en raison de sa lésion professionnelle :
(...)
2° continue de participer aux régimes de retraite et d'assurances offerts dans l'établissement, pourvu qu'il paie sa part des cotisations exigibles, s'il y a lieu, auquel cas son employeur assume la sienne.
(...)
________
1985, c. 6, a. 235.
[34] Cette partie de la décision de la Commission des lésions professionnelles doit donc être révisée parce qu’elle comporte une erreur manifeste qui a un effet déterminant sur le calcul du revenu brut du travailleur.
[35] Selon la preuve au dossier, le contrat de travail du travailleur prévoit que la semaine normale de travail est de 45 heures par semaine au tarif horaire de 14,85 $. Cette somme doit être multipliée par 48 semaines par année et s’ajoute à ce montant, 11.5 % pour les vacances ce qui fait un revenu brut annuel de 37 215 $.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE en partie la requête en révision déposée par les Entreprises d’Émondage LDL inc. le 3 mai 2002;
RÉVISE la décision rendue par la Commission des lésions professionnelles le 6 mars 2002;
ACCUEILLE la contestation déposée le 30 octobre 2001 par monsieur Alain Rivest;
INFIRME la décision rendue par la Commission de la santé et de la sécurité du travail le 24 octobre 2001 à la suite de la révision administrative;
DÉCLARE que le revenu brut annuel de monsieur Alain Rivest doit être déterminé selon l’article 67 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles sur la base du revenu brut prévu à son contrat de travail;
DÉCLARE que le revenu brut de monsieur Alain Rivest pour fins du calcul de l’indemnité de remplacement du revenu s’élève à 37 215 $.
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MICHÈLE CARIGNAN |
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Commissaire |
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F.P.O.E. - LOCAL 1676 Mme Chantal Allard |
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Représentant de la partie requérante |
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BOURQUE, TÉTREAULT & ASS. Me Christian Tétreault |
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Représentant de la partie intéressée |
[1] L.R.Q., c. A-3.001.
[2] Produits Forestiers Donohue inc. et Villeneuve [1998] C.L.P. 733 .
[3] 115305-72-9904, 99-12-22, Gilles Robichaud.
[4] 77637-63-9603, C.A.L.P., 97-09-11, F. Poupart.
[5] 67598-60-9503, 1997-05-12, G. C.A.L.P. Robichaud; 500-05-006750-988, 2001-08-16, Juges Thérèse Rousseau-Houle, Marie Deschamps, André Biron.
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