[1] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 5 mars 2013 par la Cour supérieure, district de Drummond (l’honorable David R. Collier), qui accueille le recours en congédiement abusif des intimés et condamne les appelants à leur verser une indemnité de départ équivalant à un préavis de 18 mois, avec boni et indemnité pour la perte de l’utilisation d’un véhicule automobile, ainsi que des dommages moraux.
[2] Pour les motifs de la juge Marcotte, auxquels souscrit le juge Chamberland :
[3] ACCUEILLE en partie l’appel, chaque partie payant ses frais;
[4] REMPLACE les paragraphes 78 à 81 du jugement par les paragraphes suivants :
[78] CONDAMNE les défendeurs Structures Lamerain inc. et 9007-7520 Québec inc. solidairement à payer à monsieur Alain Meloche la somme de 21 081 $ plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la date de l’assignation;
[79] CONDAMNE les défendeurs Structures Lamerain inc. et 9007-7520 Québec inc. solidairement à payer à monsieur Yvan Meloche la somme de 17 390 $ plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la date de l’assignation;
[80] CONDAMNE les défendeurs messieurs Yannick, Sébastien et Guillaume Gardner et madame Kathleen Gardner solidairement, de même que les défendeurs Structures Lamerain inc. et 9007-7520 Québec inc. in solidum avec les premiers, à payer à monsieur Alain Meloche la somme de 25 000 $ plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la date de l’assignation;
[81] CONDAMNE les défendeurs messieurs Yannick, Sébastien et Guillaume Gardner et madame Kathleen Gardner solidairement, de même que les défendeurs Structures Lamerain inc. et 9007-7520 Québec inc. in solidum avec les premiers, à payer à monsieur Yvan Meloche la somme de 25 000 $ plus les intérêts et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q. depuis la date de l’assignation;
[5] Pour d’autres motifs, le juge Vézina aurait accueilli l’appel avec dépens, cassé le jugement attaqué et rejeté l’action en dommages-intérêts des intimés, avec dépens.
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MOTIFS DE LA JUGE MARCOTTE |
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[6] Les appelants se pourvoient contre un jugement rendu le 5 mars 2013 par la Cour supérieure, district de Drummond (l’honorable David R. Collier), qui accueille le recours en congédiement abusif des intimés et condamne les appelants à leur verser une indemnité de départ équivalant à un préavis de 18 mois, avec boni et indemnité pour la perte de l’utilisation d’un véhicule automobile, ainsi que des dommages moraux.
[7] L’appelante Structures Lamerain inc. (« Structures ») est une entreprise de Drummondville qui œuvre dans la fabrication de structures d’acier. Les intimés Alain et Yvan Meloche y travaillent depuis l’âge de 18 ans. Ils en deviennent les actionnaires et dirigeants en novembre 2002, après avoir racheté les actions de leur père qui a cofondé l’entreprise en 1983. Jusqu’au 1er avril 2010, Alain Meloche agit comme directeur de la compagnie alors que son frère Yvan est responsable de l’installation des structures d’acier chez les clients.
[8] Les appelants Yannick, Kathleen, Sébastien et Guillaume Gardner sont administrateurs de Les Aciers Solider inc., une entreprise de Victoriaville qui fabrique également des structures d’acier. L’appelante 9007-7520 Québec inc. (« 7520 ») est une société administrée par Yannick et Kathleen Gardner, qui deviendra actionnaire de Structures à compter du 1er avril 2010.
[9] En 2009, Structures est en difficulté. Le 2 octobre 2009, elle dépose un avis d’intention de faire une proposition à ses créanciers en vertu de l’article 50.4 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
[10] Vers la fin du mois d’octobre, flairant une opportunité d’affaires, Yannick Gardner rencontre les frères Meloche et leur propose d’acheter l’entreprise, ce que ceux-ci refusent, souhaitant plutôt s’associer aux appelants.
[11] Leurs pourparlers mènent à la signature d’un protocole d’entente le 23 décembre 2009[1], qui prévoit l’acquisition par l’appelante 7520 de 80 % des actions de Structures en contrepartie d’une mise de fonds de 300 000 $ et d’une contribution maximale de 200 000 $ en faveur des créanciers de Structures. Le protocole d’entente, qui demeure sujet à l’approbation de la proposition par les créanciers, prévoit également l’embauche des frères Meloche par contrat à durée indéterminée au salaire annuel brut de 85 000 $, avec une possibilité de boni annuel de 30 000 $, en fonction des bénéfices nets de l’entreprise. En cas de congédiement sans cause, le protocole d’entente prévoit par ailleurs que les Meloche auront droit à une indemnité de congé équivalant à douze mois de salaire et qu’ils se verront racheter le solde de 20 % d’actions qu’ils détiennent dans l’entreprise.
[12] Le 22 février 2010, les créanciers de Structures votent sur la proposition et l’acceptent. Le 18 mars 2010, l’entente est homologuée par le tribunal.
[13] Selon les Gardner, la collaboration avec les Meloche se révèle difficile, au point où, lors d’une réunion tenue dans les bureaux d’Acier Solider, le 15 mars 2010, ils décident qu’ils iront de l’avant avec les transactions prévues au protocole d’entente, mais qu’ils congédieront les Meloche, une fois les ententes signées. Ils n’en préviennent toutefois pas les principaux intéressés.
[14] Le 17 mars 2010, les Gardner déposent la somme de 450 000 $ chez leur avocat, comprenant un investissement de 300 000 $ dans le capital-actions de Structures et une somme de 150 000 $ pour payer les créanciers aux termes de la proposition concordataire.
[15] Le 1er avril 2010, alors que les parties sont réunies à Victoriaville et viennent de terminer la séance de clôture de la transaction incluant la signature de la convention de vente d’actions et des contrats d’emploi des Meloche[2], Yannick Gardner annonce aux deux frères qu’ils sont congédiés.
[16] Encore sous le choc, ces derniers se rendent à Drummondville pour vider leurs bureaux. Arrivés à l’usine, ils constatent que les serrures ont été changées et que les appelants Guillaume et Sébastien Gardner, qui sont sur place, ont déjà informé les employés de leur congédiement.
[17] L’indemnité de départ de 85 000 $ prévue à l’entente est versée aux Meloche à compter du 9 avril 2010, à raison de 52 versements hebdomadaires.
[18] Le 9 juin 2010, les Meloche font parvenir une mise en demeure aux appelants les intimant de leur verser la somme de 750 000 $ comprenant une indemnité tenant lieu d’un préavis de 30 mois, ainsi qu’une indemnité pour la perte du bénéfice d’utilisation du véhicule automobile calculée sur la même période et des dommages exemplaires. Ils exigent par ailleurs le rachat de leurs actions au montant de 112 500 $, ce que 7520 fait dans les semaines qui suivent.
[19] Le 6 juillet 2010, les Meloche intentent un recours contre les appelants en congédiement abusif.
[20] Pour l’exercice financier se terminant le 31 juillet 2010, Structures affiche une perte nette de près de 350 000 $, tandis que l’année suivante, la perte sera moins considérable, se chiffrant à environ 55 000 $.
[21] En juillet 2012, Yannick Gardner décide de vendre l’usine sans consulter ses frères et sœurs, mettant ainsi fin à l’entreprise de manière définitive.
[22] Après avoir déterminé que l’employeur n’avait pas de motif sérieux de congédier les Meloche aux termes de l’article 2094 C.c.Q., le juge Collier conclut que le délai de congé de douze mois prévu à leur contrat d’emploi n’est pas raisonnable, au vu des circonstances de l’affaire.
[23] Considérant que les frères Meloche occupaient des postes de direction chez Structures, une compagnie par ailleurs fondée par leur père, où ils travaillaient depuis plus de 25 ans, et qu’ils n’ont pu se trouver des postes équivalents ailleurs, le juge conclut qu’un préavis de 18 mois s’impose.
[24] Il reconnait que les intimés ont chacun droit à une indemnité de départ équivalant à 18 mois de salaire calculée en fonction de revenus annuels de 85 000 $, additionnée d’une indemnité de 12 932 $ pour le bénéfice découlant de l’utilisation d’un véhicule et d’un boni de 45 000 $ calculé sur une période de 18 mois.
[25] Le juge ne déduit toutefois pas de ces indemnités les revenus d’emploi gagnés par les frères Meloche durant le délai de congé de douze mois puisque, conformément à leur contrat d’emploi, Structures leur a versé des indemnités de départ de 85 000 $ sans égard aux autres revenus qu’ils pourraient gagner pour cette période. Il condamne solidairement Structures et 7520 au versement des montants, déduction faite des revenus d’emploi gagnés par les intimés durant les six (6) mois additionnels de délai de congé qu’il leur a octroyés et tient également compte du montant de 85 000 $ déjà versé à chacun en vertu de leur contrat d’emploi.
[26] Il conclut par ailleurs au congédiement abusif des intimé, après avoir signalé que les obligations de 7520 étaient conditionnelles à sa vérification diligente des affaires de Structures et qu’elle n’était « pas obligée d’acheter les actions de la compagnie si elle jugeait que son administration était déficiente ou que toute collaboration avec les Meloche était devenu impossible ». Il ajoute :
[65] En tout état de cause, les Gardner auraient dû informer les Meloche en mars 2010 qu’ils ne voulaient plus travailler ensemble. Certes, un recul de la part des Gardner aurait provoqué une crise. Si la décision des Gardner était bien fondée, les Meloche auraient été mal pris. Structures aurait peut-être fait faillite. Possiblement, les parties seraient parvenues à une nouvelle entente. Mais dans tous les cas, les Meloche auraient agi en plein connaissance de cause.
[66] En l’espèce, les défendeurs ont agi de façon abusive. Les Meloche ont vendu 80 % des actions de Structures sur la foi d’une promesse qu’ils resteraient à l’emploi de la compagnie, un engagement que les Gardner n’entendaient pas respecter.
[27] Bien qu’il estime que l’octroi de dommages punitifs ne soit pas opportun puisque la preuve ne permet pas de conclure que les Gardner ont intentionnellement porté atteinte à la dignité des frères Meloche, le juge condamne solidairement l’ensemble des appelants, y incluant les Gardner personnellement, au paiement de 25 000 $ à titre de dommages moraux, en raison de leur manque de transparence, de l’humiliation qu’ils ont fait subir aux intimés du fait de leur mise à pied et de leur comportement abusif.
[28] Les appelants ne remettent pas en cause la détermination du délai de congé de 18 mois établie par le juge, non plus que l’attribution d’une indemnité pour la perte d’utilisation d’un véhicule automobile pour cette période. Ils soulèvent cependant les cinq moyens d’appel suivants :
1. Le juge de première instance a erré en écartant la clause de délai de congé équivalant à douze mois de salaire alors que les intimés n’ont pas requis sa nullité dans les conclusions de leur requête.
2. Il a erré en tenant compte du boni prévu aux contrats d’emploi dans son évaluation de l’indemnité pour le délai de congé de 18 mois.
3. Il a erré en écartant la clause prévoyant un délai de congé de douze mois de salaire au profit d’un délai de congé de 18 mois, sans toutefois déduire l’ensemble des revenus d’emploi gagnés pendant la période du délai de congé.
4. Il a erré en condamnant les appelants au paiement d’une somme de 25 000 $ à chacun des intimés à titre de dommages moraux.
5. Il a erré en condamnant personnellement les appelants Yannick, Kathleen, Sébastien et Guillaume Gardner au paiement de tels dommages moraux.
[29] Les appelants soutiennent que le juge ne pouvait écarter la clause de délai de congé comme il l’a fait au motif que le consentement des intimés avait été vicié, sans que les intimés aient d’abord réclamé la nullité de la clause et sans que cette nullité s’applique à l’ensemble des contrats conclus entre les parties. Ils invoquent à cet égard les articles 1420 C.c.Q. et 1438 C.c.Q.
[30] Or, contrairement aux prétentions des appelants, le juge pouvait réviser à la hausse le délai de congé contenu aux contrats d’emploi[3], sans pour autant conclure à la nullité des clauses d’indemnité de départ, puisqu’en vertu des articles 2091 et 2092 C.c.Q., le salarié a toujours droit à un délai de congé raisonnable.
[31] En effet, l’article 2091 C.c.Q. prévoit la résiliation unilatérale du contrat de travail à durée indéterminée moyennant un préavis raisonnable :
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l’autre un délai de congé. Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l’emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s’exerce et de la durée de la prestation de travail. |
2091. Either party to a contract with an indeterminate term may terminate it by giving notice of termination to the other party. The notice of termination shall be given in reasonable time, taking into account, in particular, the nature of the employment, the special circumstances in which it is carried on and the duration of the period of work. |
[32] Ce délai de congé prend généralement la forme d’une indemnité de départ tenant lieu de préavis. La résiliation du contrat de travail est alors immédiate et l’employé reçoit une somme équivalant à la rémunération à laquelle il aurait eu droit durant le délai de congé[4].
[33] L’article 2092 C.c.Q., qui s’avère une disposition de protection d’ordre public, prévoit que le salarié ne peut renoncer à l’indemnité à laquelle il a droit lorsque le délai de congé est insuffisant :
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu’il a d’obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu’il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive. |
2092. The employee may not renounce his right to obtain compensation for any injury he suffers where insufficient notice of termination is given or where the manner of resiliation is abusive. |
[34] Au vu des articles 2091 et 2092 C.c.Q., le premier moyen soulevé m’apparaît mal fondé et doit être rejeté.
[35] Les appelants soutiennent que le juge n’aurait pas dû établir le montant des indemnités de départ en y incluant un montant correspondant au boni contractuel (30 000 $ par année) puisque ce boni était conditionnel à la réalisation de profits et que Structures a plutôt encouru des pertes en 2010 en 2011.
[36] Ils plaident que les intimés n’ont pas été privés de ces bonis par l’effet de leur congédiement, puisqu’ils n’y auraient pas eu droit s’ils étaient demeurés à l’emploi de Structures durant cette période.
[37] Les intimés répondent qu’en les invitant à signer des contrats d’emploi qu’ils n’avaient pas l’intention de respecter, les appelants ont manqué à leur obligation de bonne foi aux termes des articles 6, 7 et 1375 C.c.Q., d’autant plus qu’ils avaient accepté de réduire leur rémunération annuelle de 115 000 $ à 85 000 $ en échange d’un boni de 30 000 $, leur permettant ainsi de récupérer cet écart moyennant l’atteinte de résultats qu’ils ont été privés d’atteindre. Ils soutiennent que les appelants ont manqué à leur obligation de bonne foi et ainsi provoqué un dol au sens des articles 1401 et 1407 C.c.Q., qui donne ouverture à l’octroi de dommages-intérêts pour le gain perdu équivalant à 18 mois de boni, à raison de 45 000 $ pour chacun des intimés.
[38] Dans l’arrêt Wallace c. United Grains Growers[5], la Cour suprême rappelle que les dommages-intérêts accordés dans le cadre d’une action pour congédiement injustifié correspondent au traitement que l’employeur aurait dû verser à l’employé durant la période de préavis raisonnable ou à titre de salaire tenant lieu de préavis. Elle précise que l’expression « traitement, salaire ou autre rémunération » contenue au paragraphe 68(1) de la Loi sur la faillite inclut tous les avantages pécuniaires dont bénéficient les employés telles la prestation de maladie, les primes, les vacances payées, etc.
[39] Comme le contrat se poursuit entre les parties durant la période du préavis, les tribunaux reconnaissent généralement que toutes les obligations de rémunération, incluant le versement du salaire et tous les avantages pécuniaires s’y rattachant, demeurent exigibles[6].
[40] L’opportunité d’ajouter la bonification du salaire prévue au contrat de travail à même l’indemnité versée ne fait toutefois pas l’unanimité en jurisprudence[7]. Le boni fait généralement partie de la rémunération globale de l’employé lorsqu’il est prévu à ses conditions de travail et que l’employeur l’attribue de manière continue et régulière au salarié. Dans ce cas, il doit être versé pour la période du délai de congé au prorata des mois de préavis[8]. Il en va cependant autrement lorsque le contrat de travail prévoit son attribution en fonction du rendement de l’entreprise. Il revient alors à l’employeur de démontrer, sur la prépondérance des probabilités, qu’en raison des mauvaises performances de l’entreprise, aucun boni n’aurait été autrement payé à l’employé durant la période de préavis, s’il était demeuré à son emploi[9].
[41] En l’espèce, la clause relative au boni contenue aux contrats d’emploi des frères Meloche est ainsi rédigée :
4. Boni
Tant et aussi longtemps que l’employé recevra un salaire annuel (incluant les vacances) brut inférieur à cent quinze mille dollars (115 000 $), il recevra un boni annuel, payable dans les cent vingt (120) jours de la fin de l’exercice annuel, pour lui permettre d’atteindre (avec son salaire) une rémunération jusqu’à un maximum de 115 000 $ suivant un barème basé sur le résultat des bénéfices nets avant impôts et sans boni de l’entité employeur, ce barème étant le suivant :
- si ces bénéfices sont inférieurs à 200 000 $, aucun boni ne sera versé;
- si ces bénéfices se situent entre 200 000 $ et 300 000 $, le boni versé sera de 10 000 $;
- si ces bénéfices se situent entre 300 001 $ et 400 000 $, le boni (total) versé sera de 15 000 $;
- si ces bénéfices se situent entre 400 001 $ et 500 000 $, le boni (total) versé sera de 20 000 $;
- si ces bénéfices se situent entre 500 001 $ et 600 000 $, le boni (total) versé sera de 30 000 $;[10]
[…]
[42] Dans la mesure où l’octroi du boni demeure conditionnel à l’atteinte d’un certain seuil de bénéfices et que les exercices financiers de Structures pour 2010 et 2011 démontrent que des pertes ont été encourues par l’entreprise durant la période de 18 mois correspondant à la période de préavis raisonnable établie par le juge, j’estime que ce dernier ne pouvait, dans les circonstances, leur accorder un boni.
[43] Même si les Gardner ont privé les Meloche de l’opportunité de travailler à la relance de Structures à la suite de la réorganisation de l’entreprise en les congédiant dans les minutes qui ont suivi la signature de la convention d’actionnaires autorisant la vente de 80 % des actions à 7520 et des contrats d’emploi en date du 1er avril 2010, il demeure que Structures était jusqu’alors insolvable et que la perspective d’atteindre le seuil de rentabilité au courant des deux années suivantes était loin d’être acquise.
[44] Quoique la détermination d’une indemnité de départ relève de l’exercice de l’appréciation des faits et du pouvoir discrétionnaire du premier juge[11], j’estime que celui-ci a commis une erreur révisable en faisant fi des conditions posées à la clause relative au boni et en accordant à chacun des intimés le bénéfice d’un boni calculé sur une période de 18 mois, au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire et plus particulièrement de l’état d’insolvabilité dans lequel se trouvait l’entreprise au moment de conclure la transaction.
[45] Selon les appelants, le juge de première instance a erré en refusant de tenir compte des revenus gagnés par les intimés durant les premiers douze mois du délai de congé. Ils soutiennent que le juge ne pouvait choisir d’appliquer les principes du droit commun pour établir un délai de congé raisonnable, sans appliquer la règle codifiée à l’article 1479 C.c.Q. qui prévoit l’obligation de minimiser les dommages :
1479. La personne qui est tenue de réparer un préjudice ne répond pas de l’aggravation de ce préjudice que la victime pouvait éviter. |
1479. A person who is liable to reparation for an injury is not liable in respect of any aggravation of the injury that the victim could have avoided. |
[46] La jurisprudence reconnait que l’obligation de mitigation des dommages commande généralement de soustraire les gains réalisés durant la période du délai de congé du montant de l’indemnité de départ à laquelle le salarié a droit[12].
[47] Il existe toutefois une exception à cette règle, qualifiée d’« avantage de non-mitigation », que notre Cour résume ainsi dans l’arrêt Aksich[13] :
136 À mon avis, l'ensemble de la preuve démontre que la politique de résiliation de l'intimée, notamment quant à la question de l'indemnité tenant lieu de délai de congé, constitue non pas une condition de travail à proprement parler mais un avantage lié à l'emploi, qui fait partie intégrante des termes du contrat de travail. D'une certaine façon, l'intimée a elle-même établi une sorte de norme minimale qui, pour être contractuelle, ne l'en oblige pas moins et à laquelle elle ne peut déroger. Je dis "norme minimale", car, en raison de l'article 2092 C.c.Q., cette politique ne peut empêcher l'appelant de réclamer (et d'obtenir) tout ce à quoi il peut avoir droit en vertu de l'article 2091 C.c.Q.
137 Il me semble par conséquent normal que, pour la période et le montant correspondant au délai de congé auquel l'appelant avait droit selon cette politique, aucune mitigation ne soit effectuée par soustraction des revenus que l'appelant a pu gagner pendant l'équivalent de ce délai. Le fait que l'offre ait été faite à l'appelant "without prejudice", comme l'indique la lettre de licenciement du 12 juillet 2001, ne peut exonérer l'intimée de respecter sa propre politique.
138 L'appelant ne serait donc tenu de mitiger ses dommages que pour l'excédent de cette somme, excédent qui s'explique à la fois par la durée plus grande du délai de congé auquel il avait droit selon la loi et par la prise en considération des avantages sociaux pendant toute cette période. Autrement dit, il ne doit pas y avoir de mitigation jusqu'à concurrence de 169 400 $, seule la portion résiduelle de l'indemnité devant être affectée, ce qui permet de tenir compte à la fois 1. de la différence de durée entre l'indemnité proposée par l'intimée à compter du 31 août 2001 et l'indemnité que je propose, à compter de la même date, et 2. de la différence entre le facteur salarial auquel l'appelant a droit en vertu du droit commun et le facteur salarial employé par l'intimée aux fins de son offre de 169 400 $.
[Je souligne]
[48] En l’espèce, la clause 7 relative à la fin d’emploi, telle qu’on la retrouve aux contrats d’emploi des frères Meloche, prévoit que :
7. Fin d’emploi
S’il était mis fin par Lamerain pour quelque raison que ce soit au contrat d’emploi, l’Employé continuera à recevoir chaque semaine pendant les douze mois (12) suivant ce licenciement un montant équivalant au salaire qu’il recevait immédiatement avant qu’il n’ait été mis fin à son emploi; les sommes ainsi versées représentant les dommages-intérêts liquidés pour fin d’emploi. Toutefois, si la mise à pied résulte d’une cause juste et suffisante (tel le vol ou la fraude) ou si le départ est initié par l’Employé, celui-ci n’aura droit à aucune indemnité[14].
[Je souligne]
[49] J’estime que le juge n’a pas erré en considérant qu’en vertu de ces contrats d’emploi, Structures avait accepté de verser des indemnités de départ de 85 000 $ sans égard aux autres revenus que les frères Meloche pourraient gagner pendant la période de douze mois. De ce fait, les appelants ont renoncé à réclamer la mitigation pour cette période en continuant de verser les indemnités sans jamais réclamer qu’elles soient réduites des montants gagnés ailleurs, et ce, même après réception de la mise en demeure et une fois la poursuite intentée, alors que les intimés leur réclamaient une indemnité de départ tenant lieu de préavis de 30 mois.
[50] Dans ce contexte et en l’absence de la démonstration d’une erreur révisable du juge d’instance, j’estime qu’il n’y a pas lieu d’intervenir pour modifier la conclusion du juge voulant que seuls les revenus gagnés par les intimés au cours de la période supplémentaire de six mois qui a suivi les premiers douze mois du délai de congé doivent être déduits des indemnités.
[51] Les appelants soutiennent que la preuve ne justifie pas l’octroi de dommages moraux puisque le congédiement des intimés n’a entraîné que les conséquences normales d’un congédiement. Ils ajoutent à titre subsidiaire que l’indemnité accordée à ce titre est exagérée.
[52] L’article 2092 C.c.Q prévoit deux types d’indemnité en cas de résiliation unilatérale d’un contrat de travail à durée indéterminée : l’une pour compenser un délai de congé insuffisant et l’autre pour le préjudice découlant de la manière abusive dont la résiliation s’est faite.
[53] Cet article doit être lu avec les articles 6, 7 et 1375 C.c.Q. qui codifient la théorie de l’abus de droit et donnent ouverture à une sanction par l’octroi de dommages, lorsque l’employeur exerce son droit de congédier de façon abusive[15] :
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction. |
6. Every person is bound to exercise his civil rights in good faith.
7. No right may be exercised with the intent to injuring another or in an excessive and unreasonable manner which is contrary to the requirements of good faith.
1375. The parties shall conduct themselves in good faith both at the time the obligation is created and at the time it is performed or extinguished. |
[Je souligne]
[54] L’article 2092 C.c.Q. s’ajoute à ces trois dispositions et précise qu’un salarié ne peut renoncer à son droit de réclamer des dommages en cas de résiliation faite de manière abusive[16].
[55] Dans le contexte d’un congédiement sans cause, il y aura abus de droit uniquement si une faute additionnelle a été commise et que cette dernière entraîne des dommages distincts de ceux qui découlent de la résiliation du contrat. Les dommages moraux résultant d’un abus de droit doivent par ailleurs être distincts de l’indemnité de délai de congé pour éviter une double indemnisation.
[56] Il n’y aura donc indemnisation supplémentaire pour abus de droit que dans les cas de négligence, de mauvaise foi ou de faute identifiable de l’employeur. Cette approche restrictive en matière d’abus de droit dans le contexte d’un congédiement se fonde sur le principe voulant que l’exercice du droit de résiliation unilatérale d’un contrat de travail par l’employeur cause inévitablement un préjudice au salarié, même si tout se fait dans le plus grand respect, et que le préjudice en découlant se trouve déjà compensé par l’indemnité du délai de congé[17].
[57] Par conséquent, pour avoir droit à des dommages moraux, l’employé congédié doit démontrer que les gestes de l’employeur dénotent une conduite déraisonnable par rapport à celle d’un employeur prudent et diligent dans des conditions semblables et que l’employeur a commis une faute caractérisée qui, sans être intentionnelle, engendre un préjudice allant au-delà de celui qui découle normalement de la résiliation : c'est en cela seulement que l'employeur peut agir de manière « excessive et déraisonnable » au sens de l'article 7 C.c.Q.[18].
[58] L’obligation de bonne foi implique, dans le contexte du congédiement, un devoir de transparence et d’honnêteté par opposition au comportement inéquitable, au mensonge, à la malice ou à la tromperie[19]. En vertu de l’article 2087 C.c.Q., l’employeur a aussi le devoir de protéger la dignité du salarié, et ce devoir existe toujours au moment de la résiliation du contrat de travail[20].
[59] Ayant eu le bénéfice d’entendre l’ensemble de le preuve, le juge conclut que le manque de transparence des appelants et l’humiliation vécue par les intimés justifient l’octroi de dommages moraux.
[60] Le comportement des appelants au moment du congédiement dénote, sinon de la mauvaise foi, à tout le moins un manquement non équivoque à l’obligation de bonne foi. D’abord, la preuve révèle qu’entre la signature de l’entente de principe en décembre 2009 et le congédiement des intimés le 1er avril 2010, les appelants n’ont jamais informé les frères Meloche des difficultés de collaboration qu’ils percevaient. Ils ont signé les documents de clôture de la transaction de vente d’actions de Structures le 1er avril 2010, après avoir décidé que, dans les faits et malgré les apparences, ils n’allaient pas respecter le protocole d’entente prévoyant l’embauche des intimés. De fait, ils les ont congédiés dans les instants suivant la signature des contrats d’emploi, non sans avoir d’abord fait changer les serrures de l’usine et avisé les employés de l’entreprise du congédiement. En agissant ainsi, ils ont trompé les intimés de même que porté atteinte à leur dignité par leur approche cavalière.
[61] À mon avis, les appelants n’ont su démontrer que le juge avait commis une erreur manifeste et déterminante en concluant qu’en de telles circonstances, le stress et l’humiliation subis par les intimés s’ajoutaient aux préjudices normaux découlant de la résiliation de leur contrat d’emploi et justifiaient l’octroi de dommages moraux au-delà de l’indemnité de départ raisonnable.
[62] De plus, en ce qui concerne l’argument subsidiaire voulant que le montant de 25 000 $ accordé par le juge soit démesuré, les appelants ne m’ont pas convaincue que ce montant était excessif dans les circonstances.
[63] J’estime que le quatrième moyen d’appel doit donc échouer.
[64] Les appelants plaident que le juge a erré en condamnant personnellement les administrateurs et dirigeants de Structures au paiement des dommages moraux, en l’absence d’un comportement abusif, malicieux ou fautif de leur part, d’autant plus que le juge a conclu au paragraphe 75 de son jugement qu’ils avaient agi dans les limites de leur mandat et ne devaient pas être tenus personnellement responsables du versement des indemnités de départ.
[65] Même si la condamnation d’un administrateur ou d’un dirigeant lors du congédiement sans cause d’un employé demeure rare en droit québécois, les tribunaux reconnaissent la pertinence de ce type de condamnation en présence d’un comportement abusif[21]. Dans un tel cas, l’administrateur ne peut espérer jouir d’une quelconque immunité à l’égard d’une poursuite en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 1457 C.c.Q.[22].
[66] Dans la mesure où le juge conclut, à la lumière de l’ensemble de la preuve qui lui a été soumise, que les appelants Gardner, à titre d’administrateurs-dirigeants de Structures, ont eu un comportement abusif qui a causé un préjudice moral aux intimés, il pouvait les condamner personnellement et solidairement à ces dommages, avec la réserve qui suit.
[67] Toutefois, en ce qui concerne les appelantes Structures et la compagnie 7520, qui est intervenue aux contrats d’emploi pour se porter solidairement garante des engagements souscrits par Structures, la condamnation aux dommages moraux ne pouvait être prononcée de manière solidaire avec les autres défendeurs et aurait plutôt dû être prononcée in solidum.
[68] Pour toutes ces raisons, je propose d’accueillir l’appel en partie afin, d’une part, de soustraire de l’indemnité de départ accordée à chacun des intimés la somme de 45 000 $ correspondant au boni auquel ils ne pouvaient avoir droit et, d’autre part, de préciser que la condamnation de Structures et de 7520 avec les membres de la famille Gardner est in solidum plutôt que solidaire. Chaque partie payant ses frais, vu le succès mitigé de l’appel.
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GENEVIÈVE MARCOTTE, J.C.A. |
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MOTIFS DU JUGE VÉZINA |
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[69] Le jugement attaqué est bien rédigé de sorte que, dès l’introduction, la table est mise et on voit venir les conclusions. Avant même de tout lire, on imagine facilement un scénario où les Appelants (les Gardner) dupent les Intimés (les Meloche) et leur ravissent l’entreprise familiale.
[70] Voici l’introduction en quatre paragraphes :
[1] Le 1er avril 2010, messieurs Alain et Yvan Meloche vendent 80 % des actions de Structures Lamerain inc. («Structures »), leur entreprise familiale, à 9007-7520 Québec inc. (« 7520 Québec »), une société contrôlée par messieurs Yannick, Sébastien et Guillaume Gardner et madame Kathleen Gardner.
[2] La vente d’actions à 7520 Québec est consentie par les Meloche à la condition que Structures les engage pour une durée d’au moins trois ans pour continuer la gestion de l’entreprise.
[3] Toutefois, les Gardner n'ont pas l'intention de retenir les services des Meloche, un fait qu'ils se gardent de dévoiler au moment de conclure les transactions avec les demandeurs. Ainsi donc, les Meloche sont pris par surprise le 1er avril lorsque, immédiatement après avoir vendu leurs actions et signé de nouveaux contrats d’emploi, monsieur Yannick Gardner leur annonce qu’ils sont congédiés sur-le-champ.
[4] Alléguant un congédiement abusif, les Meloche réclament des indemnités de départ de 24 mois ainsi que des dommages moraux et exemplaires. Ils poursuivent solidairement Structures, 7520 Québec et les quatre membres de la famille Gardner qui ont participé à la décision de les congédier.
[71] Et voici, sans surprise, les conclusions :
[66] En l’espèce, les défendeurs ont agi de façon abusive. Les Meloche ont vendu 80 % des actions de Structures sur la foi d’une promesse qu’ils resteraient à l’emploi de la compagnie, un engagement que les Gardner n’entendaient pas respecter.
[…]
[69] En l’espèce, les défendeurs ont manqué de transparence et leurs actions ont humilié et blessé les demandeurs. Monsieur Alain Meloche a exprimé son humiliation lorsqu’il a annoncé à sa femme le 1er avril : « d’un seul coup je suis passé d’entrepreneur, à salarié, à chômeur ». Dans les circonstances, il y a lieu d’accorder à chacun des demandeurs une compensation pour les dommages moraux au montant de 25 000 $.
[…]
[76] Toutefois, les Gardner ont eu un comportement abusif qui a causé un préjudice moral aux demandeurs. Il s’ensuit qu’ils sont solidairement responsables avec les autres défendeurs du paiement des dommages moraux.
[Référence omise]
Puis, suit le dispositif où les Appelants sont condamnés à payer aux Intimés, au total, 178 000 $[23].
[72] Pourtant, je suis d’avis que l’appel est bien fondé car le jugement recèle plus d’une erreur.
* * *
[73] Une première erreur. Si on revient à l’introduction, il y a un fait crucial qui en est occulté : toute l’affaire se déroule dans un contexte d’insolvabilité. Au 1er avril 2010, l’entreprise Lamerain est en difficulté financière depuis plus d’une année et elle s’est placée, cinq mois auparavant, sous la protection de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (L.f.i.).
[74] En pareille situation, il ne saurait être question de « vente » d’actions. La valeur du capital-actions d’une société insolvable est nulle et, d’ailleurs, les Intimés n’ont perçu aucun prix de vente. Ils ont simplement remis aux Appelants 80 % des actions moyennant un investissement en vue d’éviter la faillite et d’assurer la relance de l’entreprise. On verra comment chacun y trouvait son compte.
[75] Une seconde erreur. La « vente », pour continuer avec le terme du jugement, n’était pas conditionnelle à un engagement des Intimés pour trois ans. Les documents contractuels en font foi et les Intimés en étaient bien conscients.
[76] Une troisième. Le fait de situer toute l’action au 1er avril - la « vente » des actions, l’engagement des Intimés et leur congédiement sur-le-champ - fausse la perspective. Il faut revoir l’enchaînement des événements antérieurs pour comprendre ceux du 1er avril et les interpréter avec justesse.
[77] On peut regrouper les événements antérieurs autour de trois dates, les 2 octobre et 29 décembre 2009, et le 17 mars 2010.
* * *
[78] Qu’en est-il au 2 octobre 2009, soit cinq mois avant le 1er avril?
[79] La PME dirigée par les frères Meloche, Structures Lamerain inc., est en difficulté financière depuis six à huit mois. Son chiffre d’affaires annuel est passé de 15 M $ à 6 M $. Elle est devenue insolvable. Le banquier lui réclame 60 000 $ qu’elle est alors incapable de payer. Elle dépose, le 2 octobre, « un avis d’intention de faire une proposition » à ses créanciers dans le cadre de la L.f.i.
[80] Ses dettes s’élèvent à 2 100 000 $ dont 700 000 $ dues aux créanciers non garantis. Les Intimés sont cautions de la dette de 60 000 $ due à la banque. De plus, comme administrateurs, ils sont responsables envers les 40 salariés de l’entreprise de 113 000 $ de « vacances à payer ». Ils sont aussi cautions envers la Banque Fédérale de Développement et envers le Fonds Laprade pour environ 125 500 $.
[81] De plus, peu de temps après le dépôt de l’avis d’intention, Lamerain, avec la caution des Intimés, emprunte 500 000 $ pour demeurer en exploitation. Emprunter en situation d’insolvabilité n’est pas chose facile; le dossier ne permet pas de connaître le taux d’intérêt du prêt, mais on sait que le prêteur retient au départ une « commission » de 50 000 $.
[82] Un mois plus tard, au début de novembre, les Appelants, qui exploitent une entreprise dans le même domaine des structures d’acier, se montrent intéressés à la relance de Lamerain. La négociation s’engage avec les Intimés. À ce moment-là, les parties envisagent que les Intimés vont rester dans l’entreprise durant trois ans, laquelle passerait sous le contrôle des Appelants.
[83] La négociation progresse en vue d’une entente par laquelle les parties se lieraient mutuellement.
[84] Au 23 décembre, un projet écrit est mis sur la table. On y prévoit, entre autres, que :
5. À compter de l’acceptation du présent protocole et jusqu’à sa conclusion (ou le désistement de « 7520 »), « 7520 » et ses représentants seront les mandataires irrévocables de « Lamerain » pour négocier avec le syndic à la proposition les termes et conditions de la proposition à être soumise aux créanciers ainsi que pour régler les litiges dont il est fait état à l’article 2 qui précède.
[…]
8. « 7520 » se porte garant que MM. Alain Meloche et Yvan Meloche demeureront à l’emploi de la compagnie qui exploitera l’entreprise présentement exploitée par « Lamerain » suivant un contrat d’emploi pour chacun d’eux comportant notamment les termes suivants :
a) Durée d’un (1) an à compter de l’acceptation de la proposition;
[…]
f) S’il est mis fin avant terme par l’entité employeur au contrat d’emploi, l’employé continuera à recevoir le plein montant de son salaire jusqu’à la fin de son contrat, ces sommes représentant les dommages liquidés pour fin d’emploi […]
[…]
9. [non-concurrence] … dans l’activité de la fabrication, de la vente et de l’installation de structure d’acier. […]
[…]
[85] La clause la plus importante est la 8 a) : « Durée d’un (1) an ».
[86] Les Intimés comprennent bien en recevant ce projet qu’il n’est plus question de contrats d’emploi de trois ans tel qu’envisagé au départ. Interrogé à ce sujet, l’Intimé Alain Meloche relate leur réaction et, par la suite, leur demande d’une modification de la clause :
R. Moi puis mon frère on a réagi à notre façon en disant : « Écoutez, ç’a pas d’allure, on avait parlé de trois (3) ans. Pourquoi vous nous arrivez, vous dites là tout à coup c’est un an ». Et c’est suite aux discussions, là, qui ont suivi qu’on est revenu en disant : « Bon, d’accord, ce qu’on va écrire c’est une durée indéterminée avec douze (12) mois de salaire suivant la fin de l’emploi s’il était fait par Structures Lamerain ».
[87] De fait, la clause sera modifiée et les alinéas a) et f) deviennent dans le contrat a) et e) :
a) Durée indéterminée;
[…]
e) S’il était mis fin par l’entité employeur au contrat d’emploi, l’employé continuera à recevoir chaque semaine pendant les douze mois (12) suivant ce licenciement un montant équivalant au salaire qu’il recevait immédiatement avant qu’il n’ait été mis fin à son emploi; les sommes ainsi versées représentant les dommages-intérêts liquidés pour fin d’emploi. […]
[88] Les Intimés demandent deux autres modifications aux clauses ci-dessus citées qui sont acceptées.
[89] La clause 5 du projet prévoyait que les Appelants étaient les « mandataires irrévocables » de Lamerain pour négocier avec le syndic les termes de la proposition aux créanciers. La clause modifiée au contrat final prévoira plutôt que la négociation sera menée par deux représentants, l’un des Appelants et l’autre des Intimés, « qui agissent de concert ».
[90] Quant à la clause de non-concurrence, les Intimés obtiendront d’en exclure « l’installation de structure en acier ».
* * *
[91] Qu’en est-il au 29 décembre 2009, soit trois mois avant le 1er avril?
[92] Six jours après le projet du 23 décembre, les parties s’entendent et se lient par contrat, c’est le « Protocole d’entente » du 29 décembre.
[93] Une remarque - peut-être un truisme - s’impose ici. Jusqu’à la signature du Protocole, les parties n’ont contracté aucune obligation les unes envers les autres. Elles négociaient certes, mais, comme il arrive presque toujours en cours de négociation, les positions de départ sont modifiées en cours de route et le résultat final se révèle différent de ce qui avait d’abord été envisagé.
[94] C’est le cas ici pour la durée des contrats d’emploi. Envisagée au départ d’une durée de trois ans, elle est à la fin réduite à une « durée indéterminée » avec préavis de congédiement de 12 mois. Les Intimés sont conscients du changement : « Ils ont offert un an, on a demandé trois ans. On a fini avec une durée indéterminée. »
[95] Cette remarque fait voir la seconde erreur dans le jugement. Le Juge affirme et réitère que les Appelants se sont engagés envers les Intimés à les garder à l’emploi de l’entreprise durant trois ans. Il l’écrit dans le deuxième paragraphe de son introduction :
[2] La vente d’actions à 7520 Québec est consentie par les Meloche à la condition que Structures les engage pour une durée d’au moins trois ans pour continuer la gestion de l’entreprise.
Il y revient un peu plus loin :
[12] […]. Toutefois, il est entendu entre les parties que les Meloche resteront à l’emploi de Structures pour au moins trois ans afin de s’assurer la continuité de l’entreprise.
Et il prend en considération cet engagement pour fixer le délai-congé raisonnable :
[55] Un délai de congé raisonnable dépend des circonstances propres à chaque espèce. En l’occurrence, le Tribunal retient les éléments suivants :
[…]
· L’entente des parties était que les Meloche resteraient chez Structures pour une période d’au moins trois ans. Cependant, les Meloche ont refusé des contrats d’emploi d’une durée fixe de trois ans [sic], préférant des contrats de durée indéterminée;
[96] Les Intimés comprennent la portée de la clause « à durée indéterminée ». L’Intimé Alain Meloche en témoigne :
Q. … En décembre je veux dire quand vous avez signé le protocole vous êtes conscient que le contrat d’emploi, je veux dire l’employeur, que Lamerain pouvait y mettre fin en tout temps. C’est-à-dire qu’il aurait pu y mettre fin un (1) mois après, deux (2) mois après?
R. Tout à fait.
[97] C’est donc en connaissance de cause qu’ils acceptent et signent le Protocole où il n’est plus question d’un engagement pour trois ans.
[98] Revenons maintenant à la première des trois clauses modifiées, celle qui a trait à la négociation avec le syndic des termes de la proposition aux créanciers. La modification fait voir que les Appelants voulaient être maîtres de cette négociation alors que les Intimés ont obtenu qu’elle soit conduite « de concert ».
[99] Il résulte de cette clause, et c’est le point à retenir, que les Appelants interviennent dès le 29 décembre dans la gestion des affaires de Lamerain. Et ce, bien que le Protocole soit conditionnel à l’acceptation de la proposition par les créanciers.
[100] Cette intervention s’accentue dès les jours suivants. Un conseiller d’affaires, dont les services sont retenus par les Appelants, visite l’usine et « fait part de ses recommandations à messieurs Yannick Gardner et Alain Meloche »[24].
[101] L’Appelante Kathleen Garder vient à l’usine « pour former les employés [de Lamerain] au logiciel de soumission utilisé par [l’entreprise des Appelants][25]. L’Appelant Yannick Gardner fait diverses recommandations à l’Intimé Alain Meloche dont celle de toujours dénoncer au propriétaire leurs sous-contrats. Ce dernier est réticent à le faire, Gardner le fera lui-même.
[102] Le Juge décrit bien la situation durant cette période du 29 décembre au 1er avril : « Les Gardner préparent déjà le transfert de contrôle de l’entreprise », tel que prévu dans le Protocole d’entente.
[103] La troisième clause modifiée est celle de la non-concurrence. La modification montre le soin des Intimés à bien évaluer les effets du contrat sur leur avenir à moyen ou à court terme, compte tenu de la « durée indéterminée » de leurs contrats d’emploi.
[104] Les autres clauses du Protocole prévoient de façon précise les obligations réciproques des parties :
a) les Appelants doivent investir dans l’entreprise Lamerain un maximum de 500 000 $, incluant un montant pour la proposition aux créanciers : « 7520 s’engage à garantir au syndic le dépôt de la somme nécessaire au règlement de la proposition si celle-ci est inférieure à 200 000 $ »;
b) les Appelants souscriront 80 % du capital-actions de Lamerain au prix de 800 $ et les Intimés en souscriront 20 %, au prix de 200 $;
c) toutes les clauses des contrats d’emploi des Intimés y sont précisées, y compris le rachat de leur 20 % d’actions en cas de mise à pied.
[105] Comment chacune des deux parties au Protocole y trouve-t-elle son compte?
[106] Les Intimés ne « vendent » pas leurs actions, ils cèdent 80 % du capital-actions de la société sans contrepartie immédiate. Leur objectif est d’obtenir un investissement dans Lamerain pour relancer l’entreprise, éviter que le nom de leur père soit mêlé à une faillite et surtout pour que les 40 employés conservent leur gagne-pain.
[107] Il y a plus. Si la relance réussit, ils seront libérés de leurs cautionnements. En outre, leur 20 % du capital-actions prendra de la valeur - de fait, ils le vendront pour 112 500 $. Et, enfin, le Protocole leur assure à chacun une année de salaire de 85 000 $.
[108] Les Appelants n’agissent pas par altruisme. L’entreprise Lamerain possède un potentiel qui est d’une valeur marchande quasi inexistante en cas de liquidation dans une faillite, mais qui est tout de même réel, du moins pour un entrepreneur dans le même domaine, ce qui est le cas des Appelants qui escomptent bien sûr la relance de l’entreprise et un retour sur leur investissement moyennant la prise en main de l’administration de Lamerain.
* * *
[109] Qu’en est-il au 17 mars 2010, soit deux semaines avant le 1er avril?
[110] Deux mois et demi se sont écoulés depuis la signature du Protocole et la situation a évolué. Les Appelants ne sont plus intéressés à garder les Intimés dans l’entreprise. Divers incidents sont survenus qui font voir « l’existence d’une divergence d’opinions et d’une incompréhension entre les [Appelants] et les [Intimés] »[26].
[111] Bien que décidés à ne pas les garder, les Appelants n’en informent toutefois pas les Intimés. C’est là la faute que le Juge retient contre les Appelants, un manque de transparence.
[112] Puis les Appelants continuent la mise en œuvre du Protocole d’entente. Ils déposent chez leur avocat 300 000 $, plus les 150 000 $ pour la proposition convenue avec les créanciers.
[113] La proposition est votée et homologuée. À la fin de mars, le jugement d’homologation devient irrévocable. Le Protocole d’entente, conditionnel à la proposition, devient exécutoire.
* * *
[114] Qu’en est-il maintenant au 1er avril?
[115] Les parties signent les documents prévus au Protocole d’entente suivant les termes qui y sont stipulés. C’est une formalité importante, mais ce n’est qu’une formalité puisque les parties sont déjà liées depuis le 17 mars.
[116] Ainsi, les Appelants déposent 800 $ pour devenir détenteurs de 80 % du capital-actions émis de la société Lamerain et les Intimés, 200 $ pour le 20 % restant. Une convention d’actionnaires suit ainsi qu’un contrat d’emploi pour chacun des Intimés.
[117] Ces documents signés, les Appelants, maintenant administrateurs et dirigeants de Lamerain, mettent fin aux deux contrats d’emploi en informant les Intimés « qu’on ne peut travailler ensemble ».
[118] Si, comme le Juge, on retient qu’« immédiatement après avoir vendu leurs actions »[27] le 1er avril, les Intimés sont congédiés, ça ressemble fort à une manœuvre dolosive.
[119] Si au contraire, comme il se doit, on situe l’accord de volonté des parties, source des obligations - remise de 80 % du capital-actions et contrats d’emploi - au 17 mars, on comprend qu’il n’y a pas simultanéité entre la « vente » des actions et les congédiements. Ceux-ci surviennent après deux mois et demi de cohabitation et de frictions.
[120] Certes, le Protocole du 29 décembre était conditionnel à l’approbation de la proposition de Lamerain par ses créanciers, mais, une fois la condition accomplie, son effet est rétroactif, comme le prévoit le Code civil :
Art. 1506. La condition accomplie a, entre les parties et à l'égard des tiers, un effet rétroactif au jour où le débiteur s'est obligé sous condition. |
Art. 1506. The fulfillment of a suspensive condition obliges the debtor to perform the obligation, as though it had existed from the day on which he obligated himself under that condition. |
[121] Après le 1er avril, les Intimés reçoivent, comme prévu au Protocole, leur salaire durant 52 semaines, deux fois 85 000 $, et le prix de leur 20 % du capital-actions, 112 500 $, soit au total 282 500 $.
[122] Quant à ce dernier montant de 112 500 $, le contrat ne donnait pas le droit aux Intimés de le réclamer. La formule pour déterminer le prix de rachat de leur 20 % du capital-actions était « quatre fois (4x) le bénéfice net moyen pondéré […] du dernier exercice complet de l’année précédant la [mise à pied] ». En l’absence de bénéfice, comme c’était le cas, le prix de rachat est nul.
[123] Il semble que le montant de 112 500 $ a été calculé par une règle de trois. Les Appelants ont investi 450 000 $ pour 80 %, donc 20 % équivaut à 112 500 $.
[124] L’intérêt de ce point est dans la considération de la bonne foi au moment de la mise à pied. C’était équitable de payer 112 500 $, les Intimés ont été traités équitablement.
[125] Par la suite, les dettes de l’entreprise sont remboursées, y compris le solde de l’emprunt de 500 000 $ et les Intimés sont ainsi libérés de leurs cautionnements.
[126] Voilà pour l’enchaînement des événements.
* * *
[127] Le Juge en tire la conclusion que les congédiements du 1er avril étaient abusifs. Il écrit :
[63] Les Gardner plaident qu’en vertu du protocole d’entente P-5, ils étaient obligés de conclure les transactions en avril, même s’ils ne voulaient plus être associés aux Meloche. Ils ajoutent que leur décision de donner suite à l’entente P-5 était à l’avantage des Meloche, car autrement Structures aurait fait faillite.
[64] Cet argument ne peut être retenu. Selon l’entente P-5, les obligations de 7520 Québec étaient conditionnelles à sa « vérification diligente » des affaires de Structures. La défenderesse 7520 Québec n’était pas obligée d’acheter les actions de la compagnie si elle jugeait que son administration était déficiente ou que toute collaboration avec les Meloche était devenue impossible.
[65] En tout état de cause, les Gardner auraient dû informer les Meloche en mars 2010 qu’ils ne voulaient plus travailler ensemble. Certes, un recul de la part des Gardner aurait provoqué une crise. Si la décision des Gardner était bien fondée, les Meloche auraient été mal pris. Structures aurait peut-être fait faillite. Possiblement, les parties seraient parvenues à une nouvelle entente. Mais dans tous les cas, les Meloche auraient agi en pleine connaissance de cause.
[66] En l’espèce, les défendeurs ont agi de façon abusive. Les Meloche ont vendu 80 % des actions de Structures sur la foi d’une promesse qu’ils resteraient à l’emploi de la compagnie, un engagement que les Gardner n’entendaient pas respecter.
[Référence omise]
[128] C’est une erreur de conclure que les Appelants, au 17 mars, pouvaient se libérer des obligations auxquelles ils étaient tenus par la signature du Protocole du 29 décembre.
[129] Il est vrai que le Protocole contient la condition d’une « vérification diligente dont les résultats devront satisfaire [les Appelants] ». Mais ceux-ci ne pouvaient prétendre que les résultats de cette vérification leur avaient appris 1) « que l’administration [de Lamerain] était déficiente » ni que 2) « toute collaboration avec [les Intimés] était devenue impossible ».
[130] Quant au motif d’« une administration déficiente », c’est oublier la situation d’insolvabilité de l’entreprise qui le laissait déjà entrevoir. Et c’est oublier aussi que l’essentiel du Protocole était précisément de faire passer l’administration de Lamerain aux mains des Appelants, avec 80 % du capital-actions et quatre administrateurs sur cinq au bureau de direction.
[131] Quant au motif de la « collaboration impossible », il est sans rapport avec une « vérification diligente ». Bien que les acceptions de cette expression varient, elles ont en commun de viser le travail des professionnels, comptables, avocats, fiscalistes et autres, pour s’assurer que l’information fournie est exacte et éviter les mauvaises surprises. Je n’ai vu nulle part la mention d’une vérification par un professionnel (un psychologue?) de la compatibilité entre les anciens et nouveaux dirigeants d’une entreprise qui change de main.
[132] D’ailleurs, ici c’est l’aspect comptable qui intéressait les parties. L’avocat des Intimés explique lui-même ce qu’est une vérification diligente en interrogeant l’un des Appelants :
Q. Le « due diligence » c’est généralement un processus comptable de vérifications diverses pour évaluer la valeur d’une entreprise ou évaluer s’il peut être opportun d’acquérir ou pas une entreprise, les problèmes qui pourraient surgir, c’est généralement les firmes comptables qui font ça.
[133] Dans un contexte d’insolvabilité, il était prudent de s’assurer de l’exactitude des états remis par les Intimés au syndic à la proposition. D’ailleurs, l’exigence d’une « vérification diligente » prévue au Protocole était liée à celle de la somme requise pour l’acceptation de la proposition :
3. « 7520 » ne sera liée par les engagements auxquels elle souscrit par les présentes qu’à la condition expresse où, après une vérification diligente dont les résultats devront satisfaire « 7520 » et qu’une entente soit conclue avec tous les créanciers ordinaires de « Lamerain » impliquant une sortie de fonds maximum de DEUX CENT MILLE DOLLARS (200 000 $) pour régler en entier les créances ainsi que tous les litiges actuels ou appréhendés de « Lamerain » et ce, dans le cadre de la proposition concordataire.
[134] L’information fournie au syndic était exacte et les Appelants ne pouvaient s’en plaindre, d’autant plus qu’ils ont réglé les créanciers pour 150 000 $, soit 50 000 $ de moins que le maximum de 200 000 $ prévu.
[135] Au 17 mars, les Appelants sont liés contractuellement par le Protocole d’entente et ils ne peuvent se décharger de leurs obligations sous le couvert de la « vérification diligente ». Sans doute, s’ils avaient invoqué un tel prétexte, ils auraient été poursuivis par les Intimés pour l’échec de la proposition, les salaires perdus, les dettes cautionnées, la disparition de l’entreprise, etc. Pour les Intimés, il s’agit « d’un motif fallacieux » qui « aurait fourni aux Meloche des munitions pour les poursuivre ».
[136] De toute manière, il n’y a pas de faute de la part des Appelants de s’être estimés liés par le Protocole - c’était le cas - et d’avoir en conséquence avancé les sommes requises pour l’acceptation de la proposition et la mise en oeuvre de la relance de l’entreprise.
[137] Le Juge situe plutôt la faute des Appelants dans la non-révélation aux Intimés de leur intention de les congédier aussitôt la proposition acceptée. Je reproduis de nouveau son énoncé de cette faute :
[65] En tout état de cause, les Gardner auraient dû informer les Meloche en mars 2010 qu’ils ne voulaient plus travailler ensemble. Certes, un recul de la part des Gardner aurait provoqué une crise. Si la décision des Gardner était bien fondée, les Meloche auraient été mal pris. Structures aurait peut-être fait faillite. Possiblement, les parties seraient parvenues à une nouvelle entente. Mais dans tous les cas, les Meloche auraient agi en pleine connaissance de cause.
[66] En l’espèce, les défendeurs ont agi de façon abusive. Les Meloche ont vendu 80 % des actions de Structures sur la foi d’une promesse qu’ils resteraient à l’emploi de la compagnie, un engagement que les Gardner n’entendaient pas respecter.
[Référence omise]
[138] On constate encore ici que le Juge envisage la possibilité d’un « recul » de la part des Appelants au 17 mars, ce qui nous ramène au point précédent. Les Appelants étaient liés par le Protocole et ils n’avaient pas l’option d’un « recul ».
[139] Certes, les parties pouvaient d’un commun accord annuler le Protocole. Mais on ne peut attribuer une faute aux Appelants du fait qu’ils n’ont pas rouvert le contrat. Et c’est irréaliste de penser que les Intimés étaient dans une position pour renégocier une nouvelle entente plus avantageuse pour eux.
[140] Si les Appelants avaient informé les Intimés de leur décision de les congédier dès le 17 mars plutôt que le 1er avril, cela ne changeait rien à leurs obligations réciproques.
[141] Les Intimés étaient eux aussi liés par le Protocole et ils ne pouvaient obliger les Appelants à conclure une nouvelle entente ni refuser de leur remettre le 80 % du capital-actions de Lamerain par suite de leur investissement.
[142] La seule option réaliste pour les Intimés était de s’en tenir au Protocole, d’obliger les Appelants à remplir leurs obligations - avancer 450 000 $ - et d’espérer le succès de la proposition pour la survie de l’entreprise et la libération de leurs cautionnements personnels.
[143] Les Intimés n’avaient pas d’autres options à court terme. Leur entreprise est en difficulté financière depuis un an et le problème s’accentue avec le temps. La créance qui déclenche le recours à la L.f.i. de 60 000 $ est d’une importance bien relative. La somme de 500 000 $ empruntée à grands frais, et qui permet à l’entreprise de survivre, ne leur permet de maintenir l’exploitation que jusqu’au 9 avril. La faillite est menaçante.
[144] Les Intimés ont prétendu détenir une solution de rechange, un plan B. La preuve n’appuie aucunement cette prétention.
[145] Ils font allusion au fait que Lamerain est propriétaire d’une bâtisse commerciale qui, deux ans plus tard, s’est vendue 2 100 000 $. Dans le bilan de faillite, l’Intimé Yvan Meloche évalue la bâtisse à 1 400 000 $ alors qu’elle est hypothéquée pour un peu plus de cette somme. Rien dans la preuve ne permet de faire un lien entre le prix de vente de 2 100 000 $ et un surplus de valeur à celle de 1 400 000 $ estimée deux ans plus tôt. Une vente de liquidation permet rarement d’obtenir le prix d’un marché normal.
[146] Au 17 mars, il restait bien peu de temps aux Intimés pour tenter de vendre cette bâtisse pour laquelle ils cherchaient preneur depuis plusieurs mois.
[147] De plus, l’Intimé Alain Meloche fait allusion dans son témoignage à divers contacts dans les derniers mois, mais il demeure vague et imprécis, sans aucune promesse d’achat ni même un quelconque document pour étayer ses dires. Lors du procès, le seul élément de preuve provenant d’un tiers n’est guère convaincant. Il s’agit d’une déposition écrite :
À l’automne 2009, il a eu une conversation avec Alain et/ou Yvan Meloche concernant la possibilité d’investir dans l’entreprise. M. Richard dirige une entreprise dans un domaine similaire ou complémentaire (la structure de métal).
Les discussions sont demeurées au stade embryonnaire. Il s’était dit intéressé à étudier le projet, mais les Meloche ne l’ont pas relancé. Il ne peut dire aujourd’hui si une entente aurait pu survenir, mais il avait gardé sa porte ouverte.
[148] Même si les Intimés avaient appris au 17 mars leur congédiement prévu pour le 1er avril, la preuve démontre, de façon plus que prépondérante, qu’ils ne pouvaient rien changer au cours des choses. Parce qu’ils sont liés par le Protocole et ne peuvent l’ignorer. Parce qu’ils n’ont pas d’autre solution. Parce que les avantages pour l’entreprise et pour eux personnellement sont réels et importants.
[149] Quand le Juge évoque une possible « crise », j’y vois un euphémisme, ça aurait été plutôt une catastrophe pour les Intimés si la proposition échouait.
[150] À mon avis, les Appelants ne commettent pas de faute le 17 mars en n’informant pas les Intimés qu’ils ne travailleront pas ensemble une fois la proposition acceptée. Les Intimés n’ont perdu aucun droit de l’apprendre le 1er avril plutôt que le 17 mars.
[151] En terminant sur ce point, je constate que les Intimés font la même erreur de situer la faute des Appelants au 1er avril. Ils écrivent dans leur exposé :
34) Le 1er avril 2010, en invitant les Intimées à signer un contrat d’emploi qu’ils n’avaient nullement l’intention de respecter, les Appelants ont manqué à leurs obligations fondamentales de diligence précontractuelles.
[152] Ils le réitèrent à plusieurs reprises. Ils écrivent même que la durée d’emploi n’a été que de « cinq minutes », faisant abstraction de la période de cohabitation du 17 mars au 1er avril.
[153] À mon avis, les contrats d’emploi d’une durée indéterminée datent du 28 décembre 2009 et les congédiements, après deux mois et demi, vu les divergences de vues sur la façon de gérer l’entreprise, ne sauraient être qualifiés d’abusifs.
[154] En conséquence, il y a lieu de reconsidérer les conclusions du jugement.
[155] Un premier point. Le Juge décide que les Intimés ont droit aux bonis annuels de 30 000 $.
[156] Le Protocole d’entente, et les contrats d’emploi qui ont suivi, prévoient que « si les [bénéfices] nets sont inférieurs à 200 000 $, aucun boni ne sera versé ».
[157] Il n’y a pas de bénéfice, il y a eu perte. Aussi, suis-je d’accord avec ma collègue, la juge Marcotte, pour constater qu’il y a là une erreur à corriger.
[158] Un deuxième point. La rémunération annuelle des Intimés est de 85 000 $ en salaire, plus la valeur de l’usage personnel d’une automobile, soit 8 600 $ pour un total de 93 600 $.
[159] La question était d’établir l’indemnité à laquelle les Intimés avaient droit pour tenir lieu de « délai-congé ».
[160] Le Protocole et les contrats d’emploi prévoient :
7. Fin d’emploi
S’il était mis fin par Lamerain pour quelque raison que ce soit au contrat d’emploi, l’Employé continuera à recevoir chaque semaine pendant les douze mois (12) suivant ce licenciement un montant équivalant au salaire qu’il recevait immédiatement avant qu’il n’ait été mis fin à son emploi; les sommes ainsi versées représentant les dommages-intérêts liquidés pour fin d’emploi, […]
[161] Le Juge aurait pu simplement appliquer cette clause pénale et constater que la « peine » (C.c.Q., art. 1622) à payer par les Appelants était de 85 000 $, « représentant les dommages-intérêts liquidés » des Intimés.
[162] L’avantage de cette clause pour les Intimés, qui l’avaient demandée, est que chacun « a droit au montant de la peine stipulée sans avoir à prouver le préjudice qu’il a subi » (C.c.Q., art. 1623).
[163] En conséquence, les Appelants ne pouvaient exiger une réduction de la « peine » de 85 000 $ du fait que les Intimés ont trouvé un nouvel emploi et ont perçu du salaire durant l’année suivant leur mise à pied. Ainsi, l’Intimé Alain Meloche a touché 85 000 $ des Appelants plus son salaire d’un nouvel emploi, 51 500 $, pour un total de 136 500 $, soit presqu’une fois et demie sa rémunération annuelle de 93 600 $. Pour le second, le total est de 176 300 $, pas loin du double.
[164] Le Juge pouvait aussi écarter la clause du contrat s’il jugeait que le délai-congé n’était pas raisonnable. Il est établi que le salarié mis à pied a droit à « un délai de congé raisonnable » (C.c.Q., art. 2041). Il s’agit d’une disposition d’ordre public à laquelle il ne peut renoncer, comme l’édicte le Code civil :
Art. 2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive. |
Art. 2092. The employee may not renounce his right to obtain an indemnity for any injury he suffers where insufficient notice of termination is given or where the manner of resiliation is abusive. |
[165] Le Juge pouvait écarter la clause 7 s’il y voyait une « renonciation » à une indemnité raisonnable. Il ne pouvait toutefois la juger contraire à l’ordre public et en même temps la mettre en application, ce qu’il a fait.
[166] S’il tranchait que la clause était invalide, il devait alors revenir à la règle générale du Code civil :
Art. 2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail. |
Art. 2091. Either party to a contract for an indeterminate term may terminate it by giving notice of termination to the other party.
The notice of termination shall be given in reasonable time, taking into account, in particular, the nature of the employment, the specific circumstances in which it is carried on and the duration of the period of work. |
[167] Cet article donne droit au salarié mis à pied de recevoir son salaire durant une période de délai de congé raisonnable, mais il a l’obligation de mitiger son dommage, c’est-à-dire de rechercher un nouvel emploi et de déduire de l’indemnité réclamée le nouveau salaire perçu.
[168] Ici, le Juge a estimé le délai raisonnable à 18 mois pendant lesquels l’Intimé Alain Meloche a gagné 68 700 $ et l’intimé Yvan Meloche, 91 300 $.
[169] En application de la règle générale, l’Intimé Yvan Meloche avait donc droit à -93 600 $ X 1,5 - 140 400 $ moins 68 700 $, soit 71 300 $. Et l’autre Intimé à 140 400 $ moins 91 300 $, soit 49 100 $.
[170] Les Intimés avaient estimé avec justesse le 17 mars qu’une clause pénale de 85 000 $ en cas de mise à pied leur serait avantageuse. Les Appelants ont payé la « peine » et n’ont pas à payer plus.
[171] Quant aux dommages-intérêts moraux, le Juge explique :
[69] En l’espèce, les défendeurs ont manqué de transparence et leurs actions ont humilié et blessé les demandeurs. […]
[172] Le manque de transparence est le motif - non fondé - qui amène le Juge à conclure à des congédiements abusifs, il ne peut justifier quelques dommages-intérêts compensatoires que ce soit.
[173] Reste la façon de procéder à la mise à pied.
[174] Il n’y a pas de façon gentille de mettre un employé à la porte et c’est toujours une fort désagréable nouvelle pour l’intéressé, peu importe la manière de la lui annoncer.
[175] Le Juge retient la formule utilisée par l’Intimé Alain Meloche : « d’un seul coup, je suis passé d’entrepreneur, à salarié, à chômeur ». Encore là, c’est oublier le contexte de faillite.
[176] Certes, la déconfiture de l’Intimé appelle la sympathie, cette journée-là a dû être fort pénible pour lui. Mais, il n’était plus entrepreneur depuis le 17 mars et, la faillite évitée, il pouvait espérer le redevenir. Devenir valet où l’on a été maître ne doit pas être facile, mais cette réalité était présente depuis le 17 mars, sinon depuis plus longtemps. Enfin, chômeur, c’est beaucoup dire si l’on considère que, dans les douze mois suivants, il a gagné 85 000 $, plus 51 500 $, soit 136 500 $.
[177] Les Intimés ont aussi perçu 112 500 $ pour leurs actions, et ce, malgré les termes du contrat.
[178] Ce prix a été payé et il ne saurait être question d’y revenir. Mais il démontre que les Appelants ont traité les Intimés équitablement sans « s’asseoir » sur le contrat.
[179] À mon avis, il n’y a pas de faute qui puisse fonder l’octroi de dommages-intérêts moraux.
[180] Les Appelants, administrateurs de Lamerain, ont agi dans l’intérêt de la société. Leur décision de ne pas continuer avec les Intimés est une décision d’affaires et son opportunité ne peut faire l’objet d’un débat judiciaire. Leur condamnation personnelle est doublement mal fondée.
[181] Pour ces motifs, je suis d’avis que la Cour :
- accueille l’appel principal avec dépens;
- casse le jugement attaqué;
- rejette l’action en dommages-intérêts des Intimés, avec dépens.
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PAUL VÉZINA, J.C.A. |
[1] P-5.
[2] P-9 et P-10.
[3] Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, nos II-64 et II-171.
[4] Georges Audet, Robert Bonhomme et Clément Gascon, Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, no 5.1.7.
[5] [1997] 3 R.C.S. 701, paragr. 65-67.
[6] Robert P. Gagnon, Le droit du travail du Québec, 5e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2003, p. 125; Akisch c. Canadian Pacific Railway, 2006 QCCA 931, paragr. 128.
[7] Gaétan Lévesque, « Les autres avantages et bénéfices ayant une valeur pécuniaire versés par l’employeur à l’occasion d’une indemnité de départ sous l’article 2091 du C.c.Q. » dans Services de la formation continue, Barreau du Québec, L’A-B-C des cessations d’emploi et des indemnités de départ, vol. 276, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, sous-titre 2.4.
[8] Benoît c. Groupe DMR inc., [2004] J.Q. no 52 (C.S.). La durée du délai de congé incluant le boni est confirmée par la Cour d’appel, 2006 QCCA 1357; Drolet c. Re/Max Québec, 2006 QCCS 1990; Ciampanelli c. Syndicat du vêtement, du textile et autres industries, [2004] J.Q. no 8526 (C.S.). Désistement en appel, Syndicat du vêtement, du textile et autres industries c. Ciampanelli, C.A., 500-09-014895-049, 6 janvier 2005.
[9] Akisch c. Canadian Pacific Railway, supra, note 6, paragr. 60; dans le cas contraire, le boni sera inclut dans l’indemnité, Gravel c. Poulies Maska, D.T.E. 2006T-45 (C.S.); Transforce inc. c. Baillargeon, 2012 QCCA 1495.
[10] Pièces P-9 et P-10.
[11] Transforce inc. c. Baillargeon, supra, note 9, paragr. 73.
[12] G. Audet, R. Bonhomme et C. Gascon, supra, note 4, no 7-13, 7.2.1; voir aussi, Aksich c. Canadian Pacific Railway, supra, note 6, paragr. 119, 128.
[13] Aksich c. Canadian Pacific Railway, ibid., paragr. 136-138.
[14] Pièces P-9 et P-10.
[15] G. Audet, R. Bonhomme et C. Gascon, supra, note 4, no 2.1.55.
[16] Ibid.
[17] Stewart c. Standard Broacasting Corp., [1994] R.J.Q. 1751 (C.A.), p. 1763; voir aussi: Bristol-Myers Squibb Canada inc. c. Legros, 2005 QCCA 48, paragr. 31 à 35; Ponce c. Montrusco & Associés inc., 2008 QCCA 329, paragr. 18, 22; Aksich c. Canadian Pacific Railway, supra, note 6, para 160.
[18] Ponce c. Montrusco & Associés inc., ibid., paragr. 22.
[19] Wallace c. United Grain Growers Ltd., supra, note 5, p. 743; voir aussi G. Audet, R. Bonhomme et C., supra, note 4, no 2.1.21.
[20] F. Morin, J.-Y. Brière, D. Roux et J.-P. Villaggi, supra, note 3, no II-168.
[21] G. Audet, R. Bonhomme et C. Gascon, supra, note 4, no 9.1.1, 9.1.24.
[22] Paul Martel, La société par actions au Québec : Les aspects juridiques, Édition spéciale, Montréal, Wilson & Lafleur, 2012, nos 24-252 et 24-278.
[23] Les chiffres sont arrondis pour alléger l’exposé.
[24] Jugement de première instance, paragr. [17].
[25] Ibid., paragr. [19].
[26] Ibid., paragr. [49].
[27] Voir au paragraphe [70] des présentes.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.