Décision

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Modèle de décision CLP - avril 2013

Boutique la Vie en Rose

2015 QCCLP 341

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Laval

21 janvier 2015

 

Région :

Montréal

 

Dossier :

516155-71-1307

 

Dossier CSST :

137878062

 

Commissaire :

Bernard Lemay, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Boutique la Vie en Rose

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION RELATIVE À UNE REQUÊTE EN RÉVISION OU EN RÉVOCATION

______________________________________________________________________

[1]        Le 17 février 2014, l’employeur, Boutique la Vie en Rose inc., dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête en révision ou révocation à l’encontre d’une décision que celle-ci a rendue le 12 février 2014.

[2]        Par sa décision, la Commission des lésions professionnelles confirme la décision rendue le 27 mai 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative, et déclare que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail de madame Caroline Montreuil (la travailleuse) survenu le 1er juin 2011 doit être imputée à l’employeur.

[3]        L’employeur n’a pas demandé d’être entendu sur sa requête. Il a toutefois transmis une argumentation écrite le 23 septembre 2014. La présente décision est donc rendue sur dossier conformément à l’article 429.57 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi). L’employeur a été informé que sa requête serait traitée sur dossier le 14 janvier 2015 et c’est à cette date que l’affaire a effectivement été mise en délibéré.

L’OBJET DE LA REQUÊTE

[4]        L’employeur demande à la Commission des lésions professionnelles de réviser sa décision du 12 février 2014 et de déclarer qu’il a droit à un transfert de l’imputation du coût des prestations reliées à l’accident du travail subi par la travailleuse le 1er juin 2011, au motif que cet accident est attribuable à un tiers, et qu’il est injuste de lui faire supporter le coût des prestations.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION EN RÉVISION ET RÉVOCATION

[5]        La Commission des lésions professionnelles doit décider en l’instance s’il y a matière à réviser ou révoquer la décision qu’elle a prononcée le 12 février 2014.

[6]        Les articles 429.49 et 429.56 de la loi prévoient ce qui suit :

429.49.  Le commissaire rend seul la décision de la Commission des lésions professionnelles dans chacune de ses divisions.

 

Lorsqu'une affaire est entendue par plus d'un commissaire, la décision est prise à la majorité des commissaires qui l'ont entendue.

 

La décision de la Commission des lésions professionnelles est finale et sans appel et toute personne visée doit s'y conformer sans délai.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

429.56.  La Commission des lésions professionnelles peut, sur demande, réviser ou révoquer une décision, un ordre ou une ordonnance qu'elle a rendu :

 

1° lorsqu'est découvert un fait nouveau qui, s'il avait été connu en temps utile, aurait pu justifier une décision différente;

 

2° lorsqu'une partie n'a pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre;

 

3° lorsqu'un vice de fond ou de procédure est de nature à invalider la décision.

 

Dans le cas visé au paragraphe 3°, la décision, l'ordre ou l'ordonnance ne peut être révisé ou révoqué par le commissaire qui l'a rendu.

__________

1997, c. 27, a. 24.

 

 

[7]        L’article 429.49 de la loi énonce clairement le caractère final, exécutoire et sans appel des décisions de la Commission des lésions professionnelles. Par cet article, le législateur a voulu assurer la stabilité et la sécurité juridique des décisions rendues par la Commission des lésions professionnelles.

[8]        Toutefois, l’article 429.56 de la loi permet la révision d’une décision de la Commission des lésions professionnelles.

[9]        L’employeur n’invoque pas ici la découverte d’un fait nouveau existant lors de l’audition mais qu’il aurait été dans l’impossibilité de fournir et qui serait de nature à modifier la décision rendue. Il ne soulève pas non plus le fait que la décision serait entachée d’un vice de fond ou de procédure de nature à l’invalider.

 [10]     L’employeur allègue plutôt le deuxième paragraphe de l’article 429.56 de la loi. Il soutient qu’à la suite d’une erreur administrative, la décision du 12 février 2014 a été rendue sans tenir compte de l’argumentation écrite qu’il avait été autorisée à produire et qu’il a effectivement déposée au greffe du tribunal dans le délai demandé.

[11]      Les faits mis en preuve lui donnent raison.

[12]      Une audience a tout d’abord été convoquée le 8 novembre 2013. Comme il appert au dossier tel que constitué, l’employeur fait parvenir le 28 octobre 2013 une lettre autorisant le tribunal à prononcer une décision sur dossier, mais demandant un délai supplémentaire pour la production d’une argumentation écrite. Le 31 octobre 2013, le tribunal confirme la prolongation de délai demandée pour le dépôt de cette argumentation et ce, jusqu’au 9 décembre 2013.

[13]      Le 9 décembre 2013, la Commission des lésions professionnelles reçoit l’argumentation de l’employeur, comme en fait foi une estampille du tribunal portant cette date, de même que son plumitif.

[14]      Pour des raisons qui relèvent probablement d’une erreur administrative, cette argumentation n’a manifestement jamais été acheminée à la première juge administrative puisque celle-ci écrit au paragraphe 3 de sa décision qu’ « après avoir laissé du temps supplémentaire à l’employeur, et sans réception de l’argumentation écrite, le dossier a été mis en délibéré le 17 décembre 2013 ».

[15]      Comme le prétend à juste titre l’employeur dans son argumentation du 23 septembre 2014, il n’a conséquemment pu, pour des raisons jugées suffisantes, se faire entendre. Il s’agit manifestement d’une erreur administrative commise par le tribunal qui constitue un accroc aux règles de justice naturelle et pour laquelle il ne doit pas être pénalisé, et ce, en application du paragraphe 2 de l’article 429.56 de la loi.

[16]      La Commission des lésions professionnelles siégeant en révision révoque donc la décision du 12 février 2014 et procède maintenant à rendre la décision qui aurait dû être rendue en tenant compte de l’argumentation écrite de l’employeur du 9 décembre 2013.

LES FAITS ET LES MOTIFS DE LA DÉCISION SUR LE FOND DU LITIGE

[17]      La Commission des lésions professionnelles doit décider de l’imputation du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail qu’a subi la travailleuse le 1er juin 2011.

[18]      L’article 326 de la loi prévoit ce qui suit :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[19]      La règle générale en matière d’imputation du coût des prestations dues en raison d’un accident du travail est donc que c’est l’employeur chez qui œuvre le travailleur au moment de l’accident qui en est imputé.

[20]      Les coûts peuvent toutefois être imputés aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités si l’employeur supporte injustement le coût des prestations dues en raison d’un accident du travail qui est attribuable à un tiers. Le présent employeur fait valoir cette exception.

[21]      Pour s’en prévaloir, l’employeur doit donc satisfaire aux conditions suivantes, à savoir : démontrer que l’accident du travail est attribuable à un tiers et qu’il supporte injustement le coût des prestations qui y sont reliées.

[22]      Qu’en est-il en l’espèce?

[23]      Une jurisprudence bien établie[2] au sein du tribunal enseigne que le « tiers » est toute personne physique ou morale qui est toute personne autre que le travailleur lésé, son employeur et les autres travailleurs exécutant un travail pour ce dernier.

[24]      Cette même jurisprudence retient également que l’expression « attribuable à un tiers », dans le contexte de l’article 326 de la loi, doit être interprétée dans le sens d’une contribution majoritaire du tiers à la survenance de l’accident du travail.

[25]      À cette étape[3], le rôle du tribunal n’est pas de se prononcer sur la responsabilité civile des intervenants concernés. Il doit cependant déterminer si la tierce partie, par son action ou son omission d’agir, a majoritairement contribué aux événements qui sont à l’origine de l’accident du travail qu’a subi le travailleur, et ce, dans le seul but de dégager l’employeur de ce travailleur de l’imputation à son dossier financier du coût des prestations reliées à l’accident du travail.

[26]      La preuve offerte en l’espèce démontre que la travailleuse qui occupe un poste de gérante chez l’employeur exerce ses fonctions à l’extérieur de la boutique le 1er juin 2011, en raison d’une « vente trottoir ». En raison de forts vents, l’auvent d’un autre magasin, auvent qui n’est pas solidifié au sol, tombe sur les étagères de la boutique et sur la travailleuse. Celle-ci sera traitée pour une contusion et une luxation au pouce gauche, une entorse au poignet gauche et une entorse à l’épaule gauche.

[27]      Dans l’analyse qu’elle a faite de la demande de transfert faite par l’employeur et dans sa décision initiale du 26 avril 2013, confirmée par celle rendue le 27 mai 2013 à la suite d’une révision administrative, la CSST a reconnu que l’accident est majoritairement attribuable à un tiers. Le tribunal partage cette conclusion, pour les mêmes raisons que celles avancées par la CSST et l’employeur dans son argumentation écrite du 9 décembre 2013.

[28]      Reste maintenant à déterminer si l’employeur satisfait la deuxième condition d’ouverture pour obtenir un transfert d’imputation, à savoir qu’il supporte injustement le coût des prestations.

[29]      À cet égard, l’employeur doit démontrer que l’accident du travail ne résulte pas d’un risque se rattachant ou inhérent à la nature de l’ensemble des activités qu’il exerce[4].

[30]      Sur ce sujet, la CSST a estimé qu’il n’est pas injuste pour l’employeur de supporter le coût des prestations puisque cet accident fait partie des risques inhérents à la nature de l’ensemble des activités exercées par l’employeur. C’est ce désaccord qui constitue le fond de la contestation de l’employeur.

[31]      La jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles enseigne que l’analyse de cette condition d’ouverture ne doit pas s’arrêter à celle des risques inhérents. Dans la décision rendue dans l’affaire Ministère des Transports et C.S.S.T.[5], une formation de trois juges administratifs du tribunal souligne que ce critère ne permet pas, à lui seul, la résolution de toutes les situations. « En effet, » énonce la décision, « lorsqu’une lésion professionnelle survient dans des circonstances inhabituelles, exceptionnelles ou anormales, la stricte application des risques inhérents aux activités de l’employeur est inadéquate et même injuste ».

[32]      Dans cette même décision, le tribunal précise ce qu’il faut entendre par « circonstances inhabituelles » :

« […]  - les circonstances ayant joué un rôle déterminant dans la survenance du fait accidentel, en fonction de leur caractère extraordinaire, inusité, rare et/ou exceptionnel, par exemple les cas de guet-apens, de piège, d’acte criminel ou autre contravention à une règle législative, réglementaire ou de l’art; […] »

 

 

[33]      En l’instance, l’activité même de l’employeur implique qu’il peut en résulter des risques d’accident comme celui, pour un de ses employés, de subir un accident lorsqu’il exploite son commerce à l’extérieur lors d’une « vente trottoir » et qu’il doit les assumer, et ce, même si celui - ci n’exerce pas de contrôle sur tous les aléas d’être à l’extérieur (par exemple, les risques associés aux intempéries) et ne peut prévenir des accidents comme celui du 1er juin 2011.

[34]      Le présent employeur fait valoir que l’accident du travail du 1er juin 2011 résulte toutefois de circonstances exceptionnelles et inusitées et qu’il ne s’agit en aucun cas d’un risque inhérent à ses activités. Il reconnaît qu’à l’occasion, ses activités peuvent s’exercer à l’extérieur de la boutique comme c’était le cas le 1er juin 2011. Toutefois, il soulève que le fait pour la travailleuse d’avoir été heurtée par l’auvent d’un commerce voisin ne saurait en aucun cas être relié aux activités de l’entreprise. Ce genre d’accident n’est ni habituel, ni prévisible et conclure qu’il s’agirait d’un risque inhérent équivaudrait à priver de toute application l’exception prévue par l’article 326 de la loi. Au soutien de ses prétentions, l’employeur réfère le tribunal aux décisions rendues dans les affaires Magasin Coop de Havre-aux-Maisons[6] et Transport TFI 5, S.E.C[7].

[35]      De l’avis du tribunal, l’accident du travail du 1er juin 2011 ne s’est pas produit dans des circonstances inusitées et exceptionnelles et relève des risques inhérents à l’ensemble des activités du commerce de l’employeur.

[36]      En effet, l’employeur ne fait aucunement la preuve probante que l’accident du travail du 1er juin 2011 résulte d’une situation rare, inusitée, anormale ou exceptionnelle. Certes, le commerce voisin a fait preuve de négligence mais le tribunal ne saurait ici conclure que cette négligence constitue une circonstance exceptionnelle telle que définie par la jurisprudence précitée. On ne saurait parler ici de piège, de guet-apens, d’acte criminel, etc. L’employeur allègue une telle situation mais il n’en fait pas la preuve probante qu’il puisse s’agir d’une situation aussi exceptionnelle qu’il le prétend. C’est une chose de l’affirmer, c’en est une autre de le démontrer.

[37]      Le tribunal retient plutôt que l’employeur exploite un commerce de vente au détail et que dans le cadre de l’exercice de ses affaires, il est appelé à participer à des « ventes trottoir », comme il l’a fait le 1er juin 2011. Ses employés, dont la travailleuse qui est gérante, peuvent donc être exposés aux intempéries et aux conséquences qui peuvent en résulter. Ainsi, le coup de vent qui a soulevé l’auvent mal fixé du commerce voisin et l’a fait tomber sur la travailleuse est un risque inhérent à son travail de gérante et, par extension, aux activités de l’employeur.

[38]      Il n’y a donc pas lieu de procéder à un transfert du coût des prestations engendrées par l’accident du travail du 1er juin 2011.

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête en révision et révocation de l’employeur, Boutique la Vie en Rose inc.;

RÉVOQUE la décision rendue le 12 février 2014 par la Commission des lésions professionnelles; 

REJETTE la requête de Boutique la Vie en Rose inc.;

CONFIRME la décision rendue le 27 mai 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail à la suite d’une révision administrative;


 

DÉCLARE que la totalité du coût des prestations dues en raison de l’accident du travail du 1er juin 2011 de la travailleuse, madame Caroline Montreuil, doit être imputée à Boutique la Vie en Rose inc.

 

 

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Bernard Lemay

 

 

 

 

Me Ève St-Hilaire

RAYMOND CHABOT GRANT THORNTON

Représentante de la partie requérante

 



[1]           RLRQ, c. A-3.001.

 

[2]          Aliments Lesters ltée, C.L.P. 157950-61-0103, 15 mars 2002, G. Morin.

[3]          Ville de Montréal et Purolator Courrier, C.L.P. 94612-61-9802, 1er février 2000, S. Di Pasquale.

[4]          Dumas Canada inc. et CSST, C.L.P. 372186-03B-0903, 4 mars 2010, M. Langlois.

[5]          [2007] C.L.P. 1804.

[6]          C.L.P. 456536-01B-1112, 18 janvier 2013, L. Desbois.

[7]          C.L.P. 464902-64-1203, 23 août 2012, D. Martin.

 

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