Raymond c. Municipalité régionale de comté de Portneuf | 2022 QCCQ 7349 | ||||||||||||||||||
COUR DU QUÉBEC | |||||||||||||||||||
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CANADA | |||||||||||||||||||
PROVINCE DE QUÉBEC | |||||||||||||||||||
DISTRICT DE | QUÉBEC | ||||||||||||||||||
LOCALITÉ DE | QUÉBEC | ||||||||||||||||||
« Chambre civile » | |||||||||||||||||||
No: | 200-22-087869-202 | ||||||||||||||||||
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DATE: | 30 SEPTEMBRE 2022 | ||||||||||||||||||
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE | L’HONORABLE | CHANTAL GOSSELIN, J.C.Q. | |||||||||||||||||
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JUGEMENT | |||||||||||||||||||
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L’APERÇU | |||||||||||||||||||
[1] Le 2 juin 2005, monsieur Yves Raymond achète un immeuble situé dans une zone commerciale de la Ville de Donnacona (ci-après la Ville).
[2] Selon l’acte de vente, l’usage de l’immeuble à des fins résidentielles représente 33 % de la valeur de l’immeuble et l’usage commercial, 67 %.
[3] Le logement à l’étage est alors loué. Le rez-de-chaussée est vacant, mais un équipement de restauration s’y trouvant est inclus dans la vente. Le sous-sol sert d’atelier et de lieu d’entreposage tant pour le logement que pour le local commercial.
[4] Afin d’obtenir le financement nécessaire à l’achat, monsieur Raymond s’adresse à son institution financière habituelle qui le recommande aux Services financiers aux entreprises de la Caisse Desjardins (ci-après SFE). Il y contracte un emprunt hypothécaire commercial de 55 250 $.
[5] Au départ de son locataire en 2005, monsieur Raymond s’installe dans le logement à l’étage de l’immeuble. Le rez-de-chaussée de l’immeuble continue à être utilisé à différentes fins commerciales au fil du temps.
[6] L’immeuble est inscrit au rôle de l’évaluation foncière dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 8 en 2005, 2006 et 2007, c’est-à-dire à usage principalement non résidentiel (à 85 % commercial et à 15 % résidentiel). L’immeuble reste inscrit dans la catégorie des immeubles non résidentiels en 2008, mais de la classe 7, c’est-à-dire à usage principalement non résidentiel (à 60 % commercial et à 40 % résidentiel) et le restera jusqu’en 2019.
[7] En 2008, 2012, 2016 et 2019, monsieur Mario Noël, technicien en évaluation de la Ville, procède à des visites d’inspection de l’immeuble afin de tenir à jour le rôle d’évaluation foncière. En 2008 et 2011, madame Nancy Brassard, à titre d’évaluatrice agréée et directrice du Service d’évaluation de la municipalité régionale de comté de Portneuf (ci-après MRC) chargée de l’évaluation foncière des immeubles situés sur son territoire dont fait partie l’immeuble de monsieur Raymond à Donnacona, signe les certificats d’évaluation foncière avec avis de modification aux rôles d’évaluation foncière 2008-2009-2010 et 2011-2012-2013. L’inscription de l’immeuble dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 7, c’est-à-dire à usage principalement commercial, est maintenue.
[8] Le mercredi 1er mai 2019, monsieur Raymond se rend à l’hôtel de ville afin d’obtenir des informations au sujet d’une éventuelle demande de permis pour des travaux relatifs à une maison que sa belle-fille envisage d’acheter. En discutant avec monsieur Patrick Lévesque, employé de la Ville à l’urbanisme, il réalise que son propre immeuble est possiblement inscrit erronément au rôle d’évaluation foncière dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 7 alors qu’il est plutôt un immeuble à usage principalement résidentiel. La classe erronément inscrite au rôle rend plus difficile selon lui la vente de son immeuble et augmente plusieurs charges financières. Comme recommandé, il se rend sur-le-champ au bureau de la MRC pour clarifier la situation et discute avec monsieur Yanick Savard. Ils constatent que 10 % de la superficie du sous-sol est incluse dans le calcul de l’usage commercial de l’immeuble alors qu’il n’y a aucun usage commercial selon monsieur Raymond. Ce dernier est informé que l’inscription de son immeuble dans la catégorie des immeubles non résidentiels sera modifiée au prochain rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022 pour tenir compte de cette information.
[9] À la demande de monsieur Raymond, la MRC lui transmet le 28 mai 2019 une lettre confirmant que son immeuble passera de la classe 7 à la classe 6 au prochain rôle d’évaluation foncière puisque la superficie à usage commercial de l’immeuble est établie à 33,16 %. Le dossier hypothécaire de monsieur Raymond est ainsi transféré aux Services financiers aux particuliers de la Caisse Desjardins (ci-après SFP) puisque l’emprunt n’est plus éligible aux SFE et lui permet de bénéficier d’un taux hypothécaire moindre.
[10] La MRC inscrit effectivement l’immeuble de monsieur Raymond au rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022 dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 6.
[11] Monsieur Raymond considère que son immeuble aurait dû être inscrit aux rôles d’évaluation foncière de la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 6 depuis qu’il l’a acquis.
[12] Avec une telle classification, monsieur Raymond affirme qu’il aurait payé des taxes moins élevées et aurait obtenu un emprunt hypothécaire résidentiel (plutôt que commercial) lui permettant de bénéficier d’un taux d’intérêt réduit à 2,89 % l’an, de l’absence de frais de gestion annuels et de la levée de la condition imposée par le SFE à tout éventuel acheteur de l’immeuble exigeant une mise de fonds minimale de 35 % du prix vente.
[13] Le 28 novembre 2019, monsieur Raymond dépose au dossier de la Cour une Demande introductive d’instance en dommages et intérêts contre la MRC et la Ville qu’il considère comme responsables des inscriptions erronées de son immeuble aux rôles d’évaluation foncière depuis son achat.
[14] Le 19 mai 2020, monsieur Raymond se désiste de sa demande à l’encontre de la Ville[1].
[15] Par sa Demande introductive d’instance en dommages et intérêts modifiée, déposée le 6 août 2020 au dossier de la Cour, monsieur Raymond réclame 38 270,42 $[2] en dommages-intérêts solidairement à la MRC et à madame Brassard à titre d’évaluatrice agréée et directrice du Service de l’évaluation à la MRC, qu’il considère comme responsables des inscriptions erronées de son immeuble aux rôles d’évaluation foncière depuis son achat. Les postes de la réclamation se détaillent ainsi :
Description | Montants réclamés[3] |
Perte d’opportunité | 20 000,00 $ |
Paiement de taxes excédentaires supplémentaires | 2 920,42 $ |
Pertes de profits | 9 450,00 $ |
Paiement de frais annuels de gestion supplémentaires | 900,00 $ |
Inconvénients, troubles, et ennuis | 5 000,00 $ |
[16] La MRC et madame Brassard contestent la demande en soulevant les principaux motifs suivants :
LES QUESTIONS EN LITIGE
1re question : La Cour du Québec peut-elle être saisie de la demande en responsabilité civile extracontractuelle de monsieur Raymond à l’encontre de la MRC et de madame Brassard alors qu’il aurait pu exercer un recours en révision du rôle d’évaluation foncière prévu à l’article 124 de la Loi sur la fiscalité municipale?
[17] Le Tribunal conclut que oui.
2e question : Le recours est-il prescrit?
[18] Le Tribunal conclut que oui à l’égard de la MRC, mais non à l’égard de madame Brassard.
3e question : Le cas échéant, la MRC et/ou madame Brassard ont-elles commis des fautes dans la confection des rôles d’évaluation de l’immeuble justifiant l’indemnisation de monsieur Raymond?
[19] Au-delà de la prescription extinctive retenue qui met fin au litige à l’encontre de la MRC, le Tribunal précise toutefois que ni la MRC ni madame Brassard n’ont commis de fautes qui auraient pu engager leur responsabilité.
[20] Voici pourquoi.
L’ANALYSE
[21] Dans le cadre d’une demande en rejet présentée à la Division des petites créances dans un autre dossier de la Cour[6] ayant un contexte similaire au présent dossier où une partie avait déposé une demande en responsabilité civile extracontractuelle à l’encontre de madame Nancy Brassard en raison d’une erreur d’inscription d’un immeuble au rôle d’évaluation foncière, le Tribunal[7] a déjà eu l’occasion de trancher des questions semblables aux première et deuxième questions.
[22] Par contre, les jugements rendus en Division des petites créances ne lient que les parties concernées[8].
[23] Le Tribunal s’est évidemment dit ouvert à analyser les questions en litige qui lui sont soumises avec toute l’ouverture d’esprit requise et sans préjugé ni jugement préconçu.
1re question : La Cour du Québec peut-elle être saisie de la demande en responsabilité civile extracontractuelle de monsieur Raymond à l’encontre de la MRC et de madame Brassard alors qu’il aurait pu exercer un recours en révision du rôle d’évaluation foncière prévu à l’article 124 de la Loi sur la fiscalité municipale?
[24] Monsieur Raymond avait un intérêt à contester l’exactitude d’une inscription au rôle relative à son immeuble par le dépôt d’une demande de révision à la MRC s’il considérait que la classe de la catégorie des immeubles non résidentiels inscrite ne correspondait pas à la réalité de son réel usage[9].
[25] La Loi sur la fiscalité municipale (ci-après LFM)[10] établit en effet un processus de demande de révision administrative requérant la modification du rôle d’évaluation foncière qui peut s’exercer en tout temps au cours de l’exercice financier pendant lequel survient un événement justifiant une modification du rôle, au cours de l’exercice suivant, si l’évaluateur n’effectue pas la modification demandée ou à la suite du dépôt du rôle, mais avant le 31 mai de chaque année[11].
[26] L’évaluateur peut notamment modifier le rôle d’évaluation foncière pour :
[27] La Loi sur la fiscalité municipale prévoit également des recours en cassation ou en nullité du rôle d’évaluation à exercer dans des délais stricts[12].
[28] N’ayant formulé aucune demande de révision des rôles 2002-2003-2004, 2005‑2006-2007, 2008-2009-2010, 2011-2012-2013, 2014-2015-2016, 2017-2018-2019 ni entrepris des recours en cassation ou en nullité, monsieur Raymond ne peut plus respecter les délais de prescription prévus à la loi pour ce faire, qui sont en principe des délais de déchéance.
[29] Les rôles antérieurs à l’inscription de la classe 6 de son immeuble pour les années 2020-2021-2022 ne peuvent donc plus être modifiés par la MRC ni par le Tribunal administratif du Québec et bénéficient d’une présomption de validité de leurs inscriptions.
[30] Par le présent recours, monsieur Raymond ne demande pas une révision du rôle d’évaluation foncière relatif à son immeuble pour ces années antérieures. Il ne réclame pas davantage le remboursement des taxes qu’il considère avoir payées en trop, mais bien des dommages compensatoires.
[31] Monsieur Raymond réclame plutôt une indemnisation pour des fautes prétendument commises par la MRC et par madame Brassard dans l’exercice de ses fonctions d’évaluatrice agréée et de directrice du Service d’évaluation de la MRC. Il s’agit d’un recours en responsabilité civile extracontractuelle en raison de fautes alléguées ayant causé un préjudice dont il souhaite obtenir réparation[13].
[32] Les conclusions recherchées par la demande de révision et le présent recours sont de nature différente[14].
[33] Aucun texte législatif n’empêche l’exercice d’un tel recours en responsabilité civile contre la MRC ou madame Brassard.
[34] La Cour du Québec peut ainsi être saisie de la demande en responsabilité civile extracontractuelle de monsieur Raymond à l’encontre de la MRC et de madame Brassard et la trancher, même si monsieur Raymond aurait pu exercer en temps utile le recours en révision du rôle d’évaluation foncière prévu à l’article 124 LFM. Cette omission d’exercer un tel recours pourrait toutefois porter à conséquence lors de l’évaluation des efforts de monsieur Raymond à mitiger ses dommages[15].
2e question : Le recours est-il prescrit?
[35] La MRC est régie par le Code municipal du Québec (ci-après CM) [16] de la Loi sur l’organisation territoriale municipale[17]. Elle est une personne morale de droit public dont ses représentants, fonctionnaires et employés posent des actions pouvant entraîner sa responsabilité. Ces dernières personnes peuvent également agir de façon telle à engager leur propre responsabilité.
[36] Les auteurs Jean-Louis Baudouin, Patrice Deslauriers et Benoît Moore reconnaissent que le droit civil ne fait aucune distinction entre les personnes physiques et les personnes morales quant à l’imputabilité de leur faute[18], bien que les droits et obligations de la municipalité sont exercés par son conseil et ses officiers[19].
[37] La MRC et madame Brassard invoquent la prescription extinctive du recours de monsieur Raymond puisqu’il a été intenté contre elles dans un délai de plus six mois après la date à laquelle la cause d’action a pris naissance.
[38] Le fondement d’une telle prescription extinctive est la sanction d’une inaction à faire valoir un droit dans le délai requis[20].
[39] La MRC et madame Brassard appuient leur motif de prescription sur l’article 1112.1 CM qui se lit :
1112.1. Nulle action en dommages-intérêts n’est intentée contre la municipalité à moins qu’un avis préalable de 15 jours n’ait été donné, par écrit, de telle action au greffier-trésorier de la municipalité, et à moins qu’elle n’ait été intentée dans un délai de six mois après la date à laquelle la cause d’action a pris naissance. Cet avis peut être notifié par poste recommandée, et il doit indiquer les noms et résidence du réclamant, ainsi que la nature du préjudice pour lequel des dommages-intérêts sont réclamés, et il doit être donné dans les 60 jours de la cause d’action.
[40] Le Code civil du Québec (ci-après C.c.Q.) établit pour sa part la règle générale de la prescription extinctive en son article 2925 qui énonce :
2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
[41] L’article 1112.1 CM est ainsi une exception à la règle de la prescription triennale puisqu’il a pour effet de restreindre l’exercice d’un droit d’action contre la MRC. Il s’applique pour le recours entrepris à l’encontre de la MRC. Par contre, la courte prescription prévue par l’article 1112.1 CM est-elle applicable dans le cadre d’un recours en responsabilité civile extracontractuelle pris à l’encontre de madame Brassard, une employée de la municipalité, pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions?
[42] On retrouve l’équivalent de l’article 1112.1 CM à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes (ci-après LCV)[21] :
586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l’un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d’action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.
[Ajout du soulignement]
[43] L’article 586 LCV indique explicitement que les employés et les fonctionnaires de la municipalité sont soumis au même délai de prescription que la municipalité elle-même, alors que l’article 1112.1 CM est muet à cet égard.
[44] Certaines différences entre l’article 1112.1 CM et l’article 586 LCV ont fait l’objet de commentaires par différents auteurs[22]. Cependant, la question de la détermination des personnes à qui la courte prescription de six mois est applicable ne fait pas partie des différences relevées par ceux-ci.
[45] La question du délai de prescription applicable aux employés municipaux est directement abordée par certains auteurs. Néanmoins, cela se fait dans le cadre de l’examen de l’application de l’article 586 LCV et non pas de l’article 1112.1 CM.
[46] Un seul ouvrage de doctrine aborde le délai de prescription applicable aux employés des municipalités régies par le CM comme étant le même que celui des municipalités régies par la LCV, en entrefilet, sans discuter de la différence rédactionnelle entre ces articles[23].
[47] La très grande majorité des jugements qui mettent en jeu l’applicabilité du délai de prescription de l’article 1112.1 CM ont été rendus dans des affaires où la municipalité était elle-même poursuivie et non pas l’un de ses employés potentiellement fautifs. En effet, très peu de jugements ont été rendus concernant des cas où l’employé était lui‑même poursuivi. De ces quelques décisions concernant un employé fautif, aucune ne soulevait la question du délai de prescription applicable à son égard.
[48] La jurisprudence ne fournit donc aucune réponse non plus à cette question[24].
[49] La Cour d’appel a établi que les dispositions législatives qui prévoient de courtes prescriptions au sujet des recours contre les municipalités (que ce soit en vertu du CM ou de la LCV) doivent recevoir une interprétation restrictive[25].
[50] Le législateur a retenu une rédaction différente à ces deux articles du CM et de la LCV. Il s’agit de l’expression d’un choix législatif.
[51] Le Tribunal ne peut, par son jugement, corriger la rédaction de l’article 1112.1 CM au motif que l’article actuel produit des effets indésirables pour la municipalité puisqu’il permet à un citoyen d’éluder la prescription extinctive d’exception dont bénéficie la municipalité en poursuivant plutôt le fonctionnaire ou l’employé dans le délai de la règle générale de la prescription extinctive. Les considérations faisant en sorte que la MRC devrait dans un tel contexte assumer la défense du fonctionnaire ou de son employé ne peuvent être déterminantes pour le Tribunal dans l’application qui doit être donnée à l’article 1112.1 CM puisque le législateur ne pouvait les ignorer lorsqu’il a fait ce choix de rédaction législative[26].
[52] Ce n’est pas le rôle du Tribunal de réécrire l’article 1112.1 CM comme il aurait pu ou dû l’être afin d’y inclure les fonctionnaires ou les employés de la municipalité, et ce, même si les effets du présent jugement peuvent être considérés comme exorbitants au sein du « monde municipal ».
[53] Le Tribunal retient qu’en l’absence de mention spécifique à l’article 1112.1 CM de « l’un de ses fonctionnaires ou employés », la courte prescription dont bénéficie la MRC en vertu du Code municipal du Québec ne bénéficie pas à madame Brassard même si elle a exercé ses fonctions à titre d’employée de la MRC.
[54] C’est ainsi la prescription de trois ans à compter du jour où le droit d’action a pris naissance qui doit recevoir application en l’espèce la concernant[27].
[56] Selon la preuve prépondérante, le Tribunal retient que c’est à tout le moins le mercredi 1er mai 2019[28], que monsieur Raymond a réalisé que l’inscription au rôle d’évaluation foncière de la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 7 ne correspondait pas au réel usage de son immeuble lorsqu’il a discuté avec monsieur Yanick Savard au bureau de la MRC. Il est informé alors que l’inscription de la classe de la catégorie des immeubles non résidentiels sera modifiée au prochain rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022. Il est conscient des enjeux puisqu’il mentionne spontanément que « C’est … c’est… c’est… vous le faites là, "pis" ç’aurait dû être "faite" ben avant ça, hein! "Moé", ce que j’ai dit, c’est comme si l’ouvrage a pas été "faite" parce qu’il y en a pas eu d’inspection, "pis" il y a jamais personne qui a descendu dans mon sous-sol chez nous, pour voir si c’était un sous-sol fini ou ben pas fini… ça, je peux vous dire ça, t’sais, j’ai… j’ai … j’ai dit ça, c’est sûr! »[29]. Les trois éléments constitutifs de la responsabilité civile sont alors réunis.
[57] Cette date du 1er mai 2019 correspond à la date où le droit d’action a pris naissance[30].
[58] La demande à l’encontre de la MRC a été déposée au dossier de la Cour le 28 novembre 2019, alors que le recours se prescrivait à son égard le 1er novembre 2019. En effet, l’action en dommages-intérêts devait être intentée contre la MRC dans un délai de six mois après la date à laquelle la cause d’action a pris naissance en l’absence de preuve prépondérante de la part de monsieur Raymond justifiant une suspension ou une interruption de la prescription. Ce défaut entraîne la déchéance du droit d’action envers la MRC[31].
[59] De plus, monsieur Raymond n’a pas donné au secrétaire-trésorier de la MRC l’avis préalable requis dans les 60 jours de la cause d’action. Ce défaut entraîne la déchéance du droit d’action envers la MRC[32].
[60] La demande à l’encontre de la MRC est rejetée pour ces motifs.
[61] La Demande introductive d’instance en dommages et intérêts modifiée, ajoutant madame Brassard comme partie défenderesse, a été déposée au dossier de la Cour le 6 août 2020. Le recours en responsabilité civile extracontractuelle se serait prescrit à son égard le 1er mai 2022. En effet, l’action en dommages-intérêts devait être intentée contre madame Brassard dans un délai de trois ans après la date à laquelle la cause d’action a pris naissance.
[62] La Demande introductive d’instance en dommages et intérêts modifiée à l’encontre de madame Brassard n’est pas prescrite.
3e question : Le cas échéant, la MRC et/ou madame Brassard ont-elles commis des fautes dans la confection des rôles d’évaluation de l’immeuble justifiant l’indemnisation de monsieur Raymond?
[63] Il reste à trancher le recours en responsabilité civile extracontractuelle entrepris par monsieur Raymond à l’encontre de madame Brassard alléguant qu’elle a commis des fautes dans la confection des rôles d’évaluation de l’immeuble depuis son achat justifiant son indemnisation[33]. Il lui reproche la signature des certificats d’évaluation foncière avec avis de modification aux rôles d’évaluation sans procéder aux vérifications préalables nécessaires.
[64] Il appartient à monsieur Raymond, à titre de demandeur, de prouver de façon prépondérante le bien-fondé de sa réclamation. Il doit donc démontrer que le fait litigieux est non seulement possible, mais probable, par une preuve directe, mais aussi par les circonstances et les inférences graves, précises et concordantes qu'il est raisonnablement possible d'en tirer[34].
[65] Dans le cadre de la présente demande en responsabilité civile extracontractuelle, monsieur Raymond doit démontrer, selon les mêmes règles de preuve, la faute de madame Brassard, le préjudice subi et le lien de causalité entre la faute et le préjudice comme déjà mentionné.
[66] Analysons le fil des événements retenus par le Tribunal.
[67] Madame Hélène Groleau est propriétaire d’un immeuble situé dans une zone commerciale de la Ville occupé par une pharmacie au rez-de-chaussée et une clinique médicale à l’étage. En octobre 2002, elle obtient l’autorisation de la Ville d’aménager un logement dans le local commercial antérieurement occupé par la clinique médicale qui n’avait pas reconduit son bail[35]. Le logement y est aménagé et mis en location.
[68] Le 2 juin 2005, monsieur Raymond achète cet immeuble de madame Groleau au prix de 88 000 $[36]. Selon l’acte de vente, l’usage de l’immeuble à des fins résidentielles représente 33 % de la valeur de l’immeuble et l’usage commercial, 67 %[37]. Le logement à l’étage, d’une superficie de 1 656 pieds carrés, est loué. Le rez‑de‑chaussée est d’une moindre superficie que l’étage puisque l’entrée est positionnée dans un renfoncement en forme de pentagone[38]. Il est vacant lors de l’achat, mais un équipement de restauration s’y trouvant est inclus dans la vente. Le sous-sol non fini, d’une superficie de 1 656 pieds carrés, comme à l’étage, sert d’atelier et de lieu d’entreposage tant pour le logement que pour le local commercial. Il est accessible par le local commercial au rez-de-chaussée. Afin d’obtenir le financement nécessaire à l’achat, monsieur Raymond s’adresse à son institution financière habituelle, la Caisse populaire Desjardins de Pont-Rouge, qui le recommande aux Services financiers aux entreprises de la Caisse Desjardins. Il y contracte un emprunt hypothécaire commercial de 55 250 $ avec intérêts de 9,05 % l’an, impliquant 60 remboursements mensuels de 562,03 $ avec un amortissement de 25 ans et des frais de gestion annuels[39].
[69] Au départ de son locataire en 2005, monsieur Raymond s’installe dans le logement à l’étage de l’immeuble.
[70] Le 4 août 2006, voulant bénéficier du plan de revitalisation de la Ville lui permettant de recevoir une subvention, il consolide le premier emprunt avec un nouvel emprunt hypothécaire commercial de 96 000 $ au taux de 9,5 % l’an, impliquant 60 remboursements mensuels de 875,07 $ avec un amortissement de 25 ans et des frais de gestion annuels[40].
[71] Le rez-de-chaussée de l’immeuble continue à être utilisé à différentes fins commerciales au fil du temps[41].
[72] Au rôle de l’évaluation foncière, l’immeuble est inscrit dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 8[42] en 2005, 2006 et 2007 c’est-à-dire d’usage principalement non résidentiel (à 85 % commercial et à 15 % résidentiel)[43].
[73] L’inscription de l’immeuble au rôle d’évaluation foncière reste de la catégorie des immeubles non résidentiels en 2008, mais devient de la classe 7[44], c’est-à-dire d’usage principalement non résidentiel (à 60 % commercial et 40 % résidentiel) et le restera jusqu’en 2019[45].
[74] En 2008[46], 2012[47], 2016[48] et 2019[49], monsieur Mario Noël, technicien en évaluation foncière de la Ville, procède à des visites d’inspection de l’immeuble afin de tenir à jour le rôle d’évaluation foncière[50].
[75] Madame Brassard, évaluatrice agréée, devient directrice du Service d’évaluation de la MRC en avril 2008 alors que le rôle d’évaluation foncière 2008 est déjà déposé.
[76] Madame Brassard signe les certificats d’évaluation foncière avec avis de modification aux rôles d’évaluation foncière 2008-2009-2010 et 2011-2012-2013[51]. L’inscription de la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 7, c’est-à-dire à d’usage principalement commercial, est maintenue.
[77] En 2011, monsieur Raymond demande un permis à la Ville en vue de subdiviser le logement à l’étage pour y ajouter un autre logement. Finalement, il fait plutôt le choix de rénover ce logement et de continuer à l’occuper.
[78] En 2013, monsieur Raymond quitte le logement puisqu’il s’est acheté une maison et le loue. Après l’exploitation du local commercial en bureau thérapeutique et en salle de yoga, il le convertit en brocante.
[79] À plusieurs occasions depuis 2009, monsieur Raymond tente de vendre cet immeuble par l’intermédiaire de courtiers immobiliers, mais en vain.
[80] En 2017, monsieur Raymond obtient l’autorisation de la Ville d’aménager un logement à l’arrière du rez-de-chaussée afin de tenter de rentabiliser l’immeuble, mais le financement lui est refusé par le SFE[52].
[81] En mars 2018, madame Brassard quitte la MRC pour un autre emploi.
[82] Le 30 avril 2018, monsieur Raymond fait une proposition de consommateur en raison de ses difficultés financières, étant incapable de rentabiliser cet immeuble ou d’en utiliser l’équité comme levier financier[53].
[83] Le mercredi 1er mai 2019, monsieur Raymond se rend à l’hôtel de ville afin d’obtenir des informations au sujet d’une éventuelle demande de permis pour des travaux relatifs à une maison que sa belle-fille envisage d’acheter. En discutant avec monsieur Patrick Lévesque, employé de la Ville à l’urbanisme, il réalise que son propre immeuble est possiblement inscrit erronément au rôle d’évaluation foncière dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 7 alors qu’il est plutôt un immeuble principalement résidentiel. La classe erronément inscrite au rôle rend selon lui plus difficile la vente de son immeuble et augmente plusieurs charges financières. Comme recommandé, il se rend sur-le-champ au bureau de la MRC de Portneuf pour clarifier la situation et discute avec monsieur Yanick Savard. Ils constatent que 10 % de la superficie du sous-sol est incluse dans le calcul de l’usage commercial de l’immeuble alors qu’il n’y a aucun usage commercial selon monsieur Raymond. Ce dernier est informé que l’inscription de son immeuble dans la catégorie des immeubles non résidentiels sera modifiée au prochain rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022 pour tenir compte de cette situation.
[84] À la demande de monsieur Raymond, la MRC lui transmet le 28 mai 2019 une lettre confirmant la nouvelle classification de son immeuble qui passera de la catégorie d’immeubles non résidentiels de la classe 7 à la classe 6[54] au prochain rôle d’évaluation foncière puisque la superficie à usage commercial de l’immeuble est établie à 33,16 %[55]. Le dossier hypothécaire de monsieur Raymond est transféré aux Services financiers aux particuliers de sa Caisse Desjardins puisque l’emprunt n’est plus éligible aux SFE[56].
[85] À l’automne 2019, monsieur Raymond aménage un loft occupant environ 32 % du rez-de-chaussée de l’immeuble, après avoir obtenu l’autorisation de la Ville et le financement[57]. Il est loué depuis le 1er janvier 2020[58].
[86] La MRC inscrit effectivement l’immeuble de monsieur Raymond au rôle d’évaluation foncière 2020-2021-2022 dans la catégorie des immeubles non résidentiels de la classe 6[59].
[87] Lors des audiences tenues en 2021, monsieur Raymond tente de vendre cet immeuble par lui-même, mais toujours en vain. Lors de celles tenues en 2022, il informe le Tribunal qu’une promesse d’achat sur l’immeuble a été acceptée.
[88] La MRC est responsable de la préparation des rôles d’évaluation foncière des immeubles situés sur son territoire dont fait partie l’immeuble de monsieur Raymond[60]. Le rôle est confectionné tous les trois ans, pour trois exercices financiers municipaux consécutifs[61]. L’évaluateur de la municipalité doit pour chaque unité d’évaluation s’assurer au moins tous les neuf ans de l’exactitude des données en sa possession qui le concerne[62].
[89] Le rôle d’évaluation foncière indique la valeur de l’immeuble en l’espèce[63] et identifie s’il appartient au groupe des immeubles non résidentiels[64] et sa classe[65]. Ces informations permettent à la municipalité d’appliquer une taxe foncière générale à taux variés selon les catégories d’immeubles dont notamment les immeubles non résidentiels[66] puisque l’immeuble porté au rôle d’évaluation foncière est en principe imposable[67].
[90] Il existe une présomption de validité des inscriptions au rôle d’évaluation foncière[68].
[91] Le rôle est immuable, c’est-à-dire qu’il demeure en vigueur pendant la période pour laquelle il a été déposé même s’il fait l’objet notamment d’une demande de révision ou d’un recours devant le Tribunal administratif du Québec[69].
[92] Considérant l’ampleur de la tâche de la MRC d’évaluer environ 39 000 immeubles sur son territoire avec une équipe formée d’un directeur du Service de l’évaluation, d’un directeur adjoint et de quatre techniciens en évaluation foncière (inspecteurs) dont un seul, monsieur Mario Noël, est responsable des inspections des immeubles non résidentiels et d’un évaluateur agréé à l’externe, la MRC procède par une évaluation de masse. La valeur foncière est établie de façon uniforme pour un territoire donné sans tenir compte des particularités de chacun, ce qui peut provoquer certaines erreurs pouvant être corrigées par un processus de révision administrative dont peut bénéficier chaque propriétaire comme monsieur Raymond qui pourrait se sentir lésé.
[93] La MRC est soumise à une obligation de moyens[70].
[94] Ainsi, chaque immeuble ne reçoit pas systématiquement la visite d’un inspecteur et celles faites peuvent être soit complètes, soit partielles.
[95] La preuve démontre que l’immeuble de monsieur Raymond a fait l’objet d’une inspection complète en 2008 alors que le rez-de-chaussée était loué par un bar qui entreposait de son inventaire au sous-sol. La répartition du taux entre les usages résidentiels et non résidentiels établie alors correspond à la classe 7, inférieure à celle 8 inscrite lors de l’achat de l’immeuble.
[96] Par la suite, il y a eu des inspections partielles en 2012, 2016 et 2019 principalement pour inspecter les travaux réalisés à la suite de la délivrance de permis.
[97] Depuis que monsieur Raymond est propriétaire de l’immeuble, il reçoit chaque année des comptes de taxes sur lesquels apparaît la classe de son immeuble de catégorie des immeubles non résidentiels, soit 8, soit 7 selon les années. Il affirme qu’il ne sait pas ce que la classe signifie. Le Tribunal le croit. Par contre, monsieur Raymond pouvait voir pour l’année 2007 l’imposition de la taxe foncière générale selon un taux non résidentiel de 85 % de la valeur imposable de l’immeuble et selon un taux résidentiel de 15 % de la valeur imposable de l’immeuble. Il pouvait voir également pour les années 2008 à 2019 l’imposition de la taxe foncière générale selon un taux non résidentiel de 60 % de la valeur imposable de l’immeuble et selon un taux résidentiel de 40 % de la valeur imposable de l’immeuble[71].
[98] Chaque avis d’évaluation que monsieur Raymond recevait indiquait la classe 8 ou 7 de son immeuble de catégorie des immeubles non résidentiels ainsi que l’imposition de la taxe foncière générale selon un taux non résidentiel de 85 % ou 60 % selon les rôles d’évaluation et selon des taux résidentiels respectifs de 15 % ou 40 % selon les rôles d’évaluation pour les années 2008 à 2019[72].
[99] Monsieur Raymond était le mieux placé que quiconque pour connaître son immeuble et évaluer spontanément si les taux de répartition entre les usages résidentiels et non résidentiels correspondaient toujours ou non à la réalité des usages qu’il faisait de son immeuble.
[100] Monsieur Raymond a reçu également plusieurs certificats de l’évaluateur et avis de modification du rôle d’évaluation foncière indiquant la classe d’immeuble non résidentiel attribuée à son immeuble[73].
[101] Lors de l’audience, monsieur Raymond reconnaît que personne ne l’a dissuadé de faire une demande de révision et qu’il a reçu les endos des avis d’évaluation l’informant des recours en révision possibles.
[102] Malgré cela, monsieur Raymond ne s’est pas prévalu de son droit de formuler des demandes de révision à la suite du dépôt des rôles d’évaluation foncière. Il justifie son inaction par son ignorance de la loi, malgré les informations qu’il reconnaît avoir eues à sa disposition.
[103] Par contre, lors de sa visite du 1er mai 2019 au bureau de la MRC, monsieur Raymond a dénoncé le réel usage du sous-sol, ce qui a permis à la MRC d’annoncer sur-le-champ la considération de cette information pour modifier les taux de répartition lors de la confection du prochain rôle d’évaluation.
[104] Monsieur Raymond ne comprend pas que la MRC ne se soit fiée alors qu’à sa déclaration sans avoir procédé à une inspection pour vérifier ses dires avant d’accepter de modifier l’inscription de l’immeuble au prochain rôle d’évaluation. Madame Brassard ne peut être l’autrice de cette faute reprochée, s’il en est, qui serait survenue en mai 2019 alors qu’elle n’était plus à l’emploi de la MRC depuis mars 2018. Elle ne pouvait pas davantage l’être au cours des années 2005, 2006 et 2007 alors qu’elle n’était pas non plus à l’emploi de la MRC.
[105] Cette façon de faire pour un organisme gouvernemental dans l’exercice de son mandat de se fier aux déclarations volontaires de ses citoyens n’est pas inhabituelle ni illégale. En matière de fiscalité par exemple, l’état québécois fait le choix de demander à chaque personne (physique ou morale) de procéder par une déclaration volontaire annuelle de ses revenus pour fins d’imposition, se réservant un pouvoir d’enquête et de vérification. On ne peut reprocher à la MRC de s’être fiée aux déclarations de monsieur Raymond, un citoyen qui avait le devoir de collaborer et de donner des informations exactes sur son immeuble.
[106] Les inspections faites par monsieur Noël n’ont pas permis d’établir le juste taux de répartition entre les réels usages résidentiel et non résidentiel de l’immeuble avant 2020. Si cela peut constituer une erreur, la Loi sur la fiscalité municipale ne permet pas à la MRC dans un tel contexte de procéder à la correction rétroactive du rôle d’évaluation une fois les délais pour formuler une demande de révision expirés. Cette erreur résulte d’un manque d’information pour la MRC et pour madame Brassard puisque la superficie de l’immeuble utilisée à des fins commerciales ne pouvait aisément être constatée lors des inspections, ni inférée des déclarations de la personne présente l’accompagnant lors de ses inspections dont notamment celle de 2012 alors qu’il s’était pourtant rendu au sous‑sol.
[107] Il est à noter que le sous-sol n’a pas changé de configuration depuis l’achat de l’immeuble en 2005 si ce n’est que le réservoir d’huile a été retiré. Ce sous-sol est accessible par la partie commerciale du rez-de-chaussée. Outre le casier du logement de l’étage et l’atelier, quelques biens laissés par le propriétaire antérieur s’y trouvaient (fluorescents, gallons de peinture, vieilles portes et poignées, caisses de plastique, meuble d’air climatisé, table d’enfants et deux chaises, etc.). Le sous-sol a servi au bar qui occupait le rez-de-chaussée, mais il n’aurait pas servi aux projets commerciaux subséquents de monsieur Raymond. Sans que l’on en informe, monsieur Noël ne pouvait l’inférer.
[108] Il est vrai que madame Brassard, à titre d’évaluatrice agréée, doit veiller au respect des dispositions de la loi et des règlements applicables aux membres de l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec par les personnes ou les associés qui agissent avec lui. Elle est notamment responsable de tout travail qu’elle fait exécuter par d’autres personnes dont l’inspecteur, monsieur Noël. Elle doit former ces personnes, les superviser et réviser leur travail pour en assurer la conformité avec les lois, les règlements et les normes de pratique applicables aux membres de l’Ordre.[74]
[109] La preuve prépondérante ne démontre pas les normes de pratique applicables à un évaluateur agréé prudent et diligent signataire d’un rôle d’évaluation foncière. Une expertise aurait dû éclairer le Tribunal à ce sujet[75].
[110] La LFM ne permet pas de conclure que l’évaluateur doit prendre l’initiative de découvrir les changements survenus à l’immeuble[76].
[111] La preuve prépondérante ne démontre pas davantage qu’une faute aurait été commise par monsieur Noël ou par madame Brassard, si ce n’est tout au plus à rebours par la constatation d’une erreur dans l’inscription du taux de répartition entre les usages de l’immeuble (résidentiels et non résidentiels) une fois les informations de leur réalité communiquées. Le Tribunal ne voit pas en quoi le comportement de madame Brassard démontre de la négligence par comparaison à ce qu’aurait fait un autre évaluateur agréé prudent et diligent placé dans la même situation. Le Tribunal ne peut conclure qu’à titre de professionnelle et dans le respect de sa fonction, madame Brassard a agi de façon précipitée, à la légère, de façon téméraire ou imprudente dans les circonstances du présent dossier. L’erreur, s’il en est en l’espèce, n’est pas synonyme de faute[77].
[112] La preuve ne démontre pas qu’une personne raisonnable placée dans la même situation que celle de madame Brassard aurait agi différemment.
[113] L’erreur dans le maintien du taux de répartition entre les usages de l’immeuble ne résulte pas de la négligence, mais bien des contraintes d’évaluation de masse et de l’absence de déclarations par monsieur Raymond ou par la personne qui accompagnait l’inspecteur lors de ses visites au sujet de la modification des réels usages de l’immeuble au fil du temps, particulièrement au sous-sol. Il ne peut être réaliste d’exiger des autorités municipales qu’elles visitent davantage chacun des immeubles au rôle d’évaluation puisque cela imposerait de mettre en œuvre des moyens hors de proportion[78].
[114] Au-delà de la prescription extinctive retenue qui met fin au litige à l’encontre de la MRC, de l’analyse de l’ensemble de la preuve, le Tribunal conclut que ni la MRC (par les agissements de l’un de ses employés) ni madame Brassard n’ont commis de faute qui aurait pu engager leur responsabilité envers monsieur Raymond.
[115] La demande est ainsi également rejetée à l’encontre de madame Brassard.
Les frais de justice
[116] Quant aux frais de justice, étant donné les circonstances propres au présent dossier qui révèlent notamment une inscription au rôle d’évaluation foncière depuis 2011 dont la classe ne correspond pas à la réalité de l’usage de l’immeuble à des fins commerciales [79], le Tribunal use de la discrétion judiciaire que lui octroie l’article 340 du Code de procédure civile de façon à faire assumer par chaque partie ses propres frais.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[117] REJETTE la Demande introductive d’instance en dommages et intérêts remodifiée de monsieur Yves Raymond;
[118] LE TOUT, chaque partie payant ses propres frais de justice.
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| CHANTAL GOSSELIN, J.C.Q. | |
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Me Marie-Michelle Savard, casier 47 | ||
Verreau Dufresne Avocats Inc. | ||
Avocats du demandeur
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Me Marc-André Beaudoin, casier 4 | ||
Tremblay Bois Mignault Lemay | ||
Avocats des défenderesses | ||
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Dates d’audiences : | 16 et 17 juin 2021; 31 mars et 1er avril 2022 | |
[1] Désistement déposé au dossier de la Cour le 4 juin 2020 (séquence 9).
[2] Comme remodifié lors de l’audience.
[3] Comme modifiés ou remodifiés lors de l’audience.
[4] RLRQ, c. F-2.1, art. 124.
[5] RLRQ, c. F-2.1, r. 6.1, art 9.
[6] Walsh c. Brassard, 2019 QCCQ 2559.
[7] Sous la plume de la Juge soussignée.
[8] Art. 563 C.p.c.
[9] Loi sur la fiscalité municipale, préc., note 4.
[10] Id., art. 124, 131.2, 151, 154, 174 et 174.2.
[11] Au plus tard le 1er mai à la suite du dépôt du rôle.
[12] Loi sur la fiscalité municipale, préc., note 4, art. 171 et 172.
[13] Art. 1457 C.c.Q.
[14] Lessard (Ferme du Village) c. Municipalité de Lorrainville, 2021 QCCQ 1821; Walsh c. Brassard, préc., note 6.
[15] Art. 1479 C.c.Q.
[16] RLRQ, c. C-27.1, art. 1.
[17] RLRQ, c. O-9, art. 2.
[18] Jean-Louis BAUDOUIN, Patrice DESLAURIERS et Benoît MOORE, La responsabilité civile, 8e éd., vol. 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 98.
[19] Code municipal du Québec, préc., note 16, art. 79.
[20] Art. 2921 C.c.Q.
[21] RLRQ, c. C-19.
[22] J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 18; Jean-Louis BAUDOUIN, Pierre-Gabriel JOBIN et Nathalie VÉZINA, Les obligations, 7e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2013.; Céline GERVAIS, La prescription, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2009; Jean HÉTU, Yvon DUPLESSIS et Lise VÉZINA, Droit municipal. Principes généraux et contentieux, Brossard, CCH [en ligne]; Édith LAMBERT, La prescription (art. 2875 à 2933 C.c.Q.), Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014; Marc LEMAIRE, « Procédure », dans JurisClasseur Québec: Droit municipal, fasc. 21, Montréal, LexisNexis, mis à jour [en ligne].
[23] J. HÉTU, Y. DUPLESSIS et L. VÉZINA, préc., note 22, p. 10 284, no [10.106].
[24] Si ce n’est dans le jugement antérieurement rendu sous la plus de la juge soussignée déjà mentionné : Walsh c. Brassard, préc., note 6.
[25] Ville de Brossard c. Belmamoun, 2020 QCCA 1718; Ste-Anne-de-Beaupré (Ville de) c. Cloutier, 2016 QCCA 245.
[26] Code municipal du Québec, préc., note 16, art. 185 et 711.19.1.
[27] Art. 2925 C.c.Q.
[28] Pièce D-6 : note de la date inscrite par monsieur Mario Noël retenue comme prépondérante à l’affirmation de monsieur Raymond que la rencontre a eu lieu le 5 mai 2022 (pièce D-1, notes sténographiques de l’interrogatoire de monsieur Raymond, p. 66) alors qu’il s’agit d’un dimanche.
[29] Pièce D-1, notes sténographiques de l’interrogatoire de monsieur Raymond, p. 84-85.
[30] Proulx c. MRC de d'Autray, 2021 QCCQ 317.
[31] J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, préc., note 23, p. 10 252, 10 253, 10 258, 10 267 et 10 268, nos [10.81], [10.83], [10.87], [10.96] et [10.97].
[32] M. LEMAIRE, préc., note 22, p. 11 et 12; J. HÉTU et Y. DUPLESSIS, préc., note 22, p. 10 062, 10 068, 10 069, 10 156 et 10 157, nos [10.24], [10.25], [10.31], [10.55] et [10.57]; Puyau c. Lac-Beauport (Municipalité de), 2016 QCCS 5466.
[33] Art. 1457 C.c.Q.
[34] Art. 2803, 2804, 2811 et 2849 C.c.Q.
[35] Pièce P-10.
[36] Pièce P-5.
[37] Pièce P-5, p. 7.
[38] Pièce P-23.
[39] Pièces P-6 et P-7.
[40] Pièces P-8 et P-9.
[41] Exploitation par monsieur Raymond d’un restaurant végétarien (en 2006), d’un bureau thérapeutique et d’une salle de yoga (2011-2013) et d’une brocante (depuis 2013); location du local à un tiers exploitant le bar « Le Tropical » (2006-2011).
[42] Pièce D-7 : la catégorie d'immeubles non résidentiels de classe 8 correspond à 70 % à 94,9 % d’usage non résidentiel.
[43] Pièces P-19, D-2 et D-3.
[44] Pièce D-7 : la catégorie d'immeubles non résidentiels de classe 7 correspond à 50 % à 69,9 % d’usage non résidentiel.
[45] Pièces P-17, D-2 et D-3.
[46] Visite d’inspection complète.
[47] Visite d’inspection partielle.
[48] Visite d’inspection partielle.
[49] Visite d’inspection partielle.
[50] Pièces P-17 et D-6.
[51] Pièces P-18 et D-2.
[52] Pièces P-20, P-29 et D-4.
[53] Pièces P-14, P-22 et D-5.
[54] Pièce D-7 : la catégorie d'immeubles non résidentiels de classe 6 correspond à 30 % à 49,9 % d’usage non résidentiel.
[55] Pièces P-11, P-27 et D-2.
[56] Pièce P-30.
[57] Pièces P-20, P-29, D-1 (p. 32-34) et D-4.
[58] Pièce P-20.
[59] Pièces P-11, P-27 et D-2.
[60] Conformément à la Loi sur la fiscalité municipale.
[61] Loi sur la fiscalité municipale, préc., note 4, art. 14.
[62] Id., art. 36.1.
[63] Id., art. 42.
[64] Id., art. 57.1.1. et 244.31
[65] Id., art. 244.32.
[66] Id., art. 244.29 et 244.30.
[67] Id., art. 203.
[68] Montréal (Communauté urbaine de) c. Atlantic Construction inc., J.E. 98-2143 (C.A.).
[69] Loi sur la fiscalité municipale, préc., note 4, art. 76; Sears Canada inc. c. St-Laurent (Ville de), [1996] R.J.Q. 2465 (C.A.); Montréal (Ville de) c. Technispect inc., J.E. 2004-348 (C.A.).
[70] Bolduc c. Lévis (Ville de), 2015 QCCA 1428.
[71] Pièce D-3.
[72] Pièce D-9.
[73] Pièce D-2.
[74] Code de déontologie des évaluateurs agréés, RLRQ, c. C-26, r. 123, art. 33.
[75] J.-L. BAUDOUIN, P. DESLAURIERS et B. MOORE, préc., note 18, p. 13 et 14.
[76] Joly c. Ste-Marthe (Corp. municipale de), 1999 CanLII 7054.
[77] Lessard (Ferme du Village) c. Municipalité de Lorrainville, préc., note 14.
[78] Id.
[79] Peu importe quelle partie en serait la responsable.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.