Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (J.S.) c. Montréal (Communauté urbaine de) (Ville de Montréal) |
2014 QCTDP 7 |
JB3224 |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
Montréal |
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N° : |
500-53-000119-998 |
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DATE : |
23 avril 2014 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
Jean-Paul Braun |
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AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURES : |
Mme Judy Gold Me Mélanie Samson |
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Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, agissant en faveur de J... S... |
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Partie demanderesse |
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c. |
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COMMUNAUTÉ urbaine de Montréal maintenant désignée sous le nom de la Ville de Montréal |
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Partie défenderesse |
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J... S... |
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Partie victime
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JUGEMENT |
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[1] Le Tribunal des droits
de la personne (ci-après cité « le Tribunal ») est saisi d’une demande de la
Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse
(ci-après citée la « Commission »), organisme public constitué en vertu de la Charte
des droits et libertés de la personne[1]
(ci-après citée la « Charte »), qui, agissant en faveur de J... S..., allègue
que la défenderesse, la Ville de Montréal (ci-après citée la « Ville »), a porté atteinte au droit de ce dernier d’être traité en toute égalité
sans distinction ou exclusion fondée sur les antécédents judiciaires, en lui
refusant un stage en milieu de travail et un emploi de cadet policier, le tout
contrairement à l’article 18.2 de la Charte.
[2] La Commission réclame en faveur de J... S... une somme de 675 $ à titre de réparation pour le préjudice matériel qu'il a subi et un montant de 8 000 $ en guise de réparation de son préjudice moral. Elle demande en outre au Tribunal de condamner la défenderesse au paiement d'une somme de 5 000 $ à titre de dommages punitifs.
[3] À l'audience, le plaignant, représenté par avocat, a présenté une demande d'amendement concernant les montants réclamés à titre de dommages. La défenderesse s'est opposée à cet amendement au motif que la requête introductive d'instance n'a pas été présentée par le plaignant, mais bien par la Commission et que, par le fait même, seule la Commission serait autorisée à demander la modification de ses conclusions. Pour les motifs qui suivent, il ne sera pas nécessaire pour le Tribunal de trancher cette question.
I. LES FAITS
A. La preuve en demande
[4] À l'automne 1993, J... S... entreprend des études en techniques policières au cégep Maisonneuve.
[5] Afin d’acquérir de l’expérience dans un champ d’activités relié à ses études et concurremment à celles-ci, il travaille à temps partiel pour des agences de sécurité.
[6] En mai 1994, il est embauché par la Société de transport de la Communauté urbaine de Montréal (ci-après citée la «STCUM») comme agent de surveillance. Il y travaille pendant les périodes estivales de 1994, 1995 et 1996.
[7] En octobre 1994, il postule pour un emploi de cadet policier au Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (ci-après citée le «SPCUM»). Il est convoqué à une rencontre le 7 novembre 1994. À cette occasion, le sergent Hubert lui fait remarquer qu'il a fait une fausse déclaration à une question du formulaire du postulant[2], car il a répondu non à la question suivante :
« Avez-vous déjà été trouvé coupable ou vous êtes-vous déjà avoué coupable d'une offense prévue au code criminel? (Sauf les cas de réhabilitation) ».
Le sergent Hubert a en effet l'information que J... S... a des antécédents judiciaires juvéniles.
[8] J... S... répond qu’il croyait qu’il pouvait répondre non à cette question car ses condamnations remontaient à l'époque où il était mineur.
[9] Il affirme que, lors de cette rencontre, il a été question de son passé juvénile, sans cependant qu'on entre dans les détails. Il mentionne au sergent Hubert qu’il a été condamné à une année de garde fermée, « qu’il a payé pour ce qu’il a fait et que tout ça est du passé »[3].
[10] J... S... croit que les renseignements détenus par le sergent Hubert incluaient peut-être d'autres informations; la pièce P-11 en témoigne[4].
[11] Le sergent Hubert lui demande si d'autres membres de sa famille ont des antécédents judiciaires, il répond que non. Le sergent Hubert s’informe de la date de naissance de son père et de son frère.
[12] Lors de cette rencontre, le sergent Hubert ne lui pose pas de questions sur son expérience de travail ni sur son parcours académique.
[13] En terminant, le sergent Hubert lui dit que les faits connus de son passé ne vont pas dans le sens du profil recherché pour un cadet, mais qu'il soumettra son rapport à monsieur Robert Garand pour décision[5]. Il l'informe que sa candidature ne sera pas rejetée automatiquement et qu’une décision sera prise après l'évaluation de l’ensemble du dossier.
[14] J... S... reçoit une lettre datée du 20 janvier 1995 et signée par M. Garand, responsable du Bureau des cadets policiers, lui annonçant le rejet de sa candidature au poste de cadet policier. On peut y lire :
En tenant compte du nombre de postulants en fonction du nombre de postes à combler, nous avons dû effectuer un choix et ne retenir que les candidats dont le profil correspondait le mieux aux attentes du Service de police[6].
[15] Suite à ce refus, J... S... porte plainte à la Commission le 24 février 1995, alléguant la violation des articles 10, 16 et 18.2 de la Charte au motif de discrimination raciale.
[16] Au courant de l’année 1994, J... S... fait également une demande de stage d’observation au SPCUM dans le cadre de sa deuxième année d'études en techniques policières au cégep. Il remplit le formulaire fourni par le collège Maisonneuve, indiquant son choix pour le SPCUM. Ce stage fait partie du curriculum du programme de techniques policières et c'est le cégep qui entreprend les démarches auprès des corps policiers.
[17] Le 8 décembre 1994, J... S... se présente au bureau du SPCUM, ayant été convoqué par téléphone par le responsable des stages, le sergent Pierre Poirier. Sont présents à cette entrevue le sergent Poirier, le sergent Michel Guillemette et lui-même. Sur un tableau apparaît une liste d'infractions et d'événements le concernant[7].
[18] D’entrée de jeu, il informe ses interlocuteurs qu'il y a des erreurs dans la liste des évènements apparaissant sur le tableau. Il indique qu'en ce qui concerne l’évènement 52-870110-32, il a été condamné pour voies de fait et non pour vol qualifié et qu'en ce qui a trait aux événements 43-880128-001, 55-880219 et 51-891004-043, il n'a pas commis de crimes. De plus, concernant un dossier pour une infraction au Code de la sécurité routière[8], il dit qu'il n'avait pas d'auto à la date mentionnée. Enfin, concernant l'événement 55-900921-050, il précise qu'il avait 19 ans et non 20 ans.
[19] Il précise aux sergents Poirier et Guillemette que ses seules condamnations sont pour quatre voies de fait et deux ports d'arme. Aucune discussion ne porte sur les détails de ces délits. Au cours de cette entrevue, il explique qu'il s'est repris en main et montre une décision du juge Oscar D'Amours de la Chambre de la jeunesse, datée du 30 novembre 1994[9]. Ce jugement déclaratoire conclut que:
Le requérant a acquis le droit à la non-communication de ses dossiers puisqu'il s'est écoulé cinq ans depuis la dernière condamnation.
[20] De plus, il exhibe des lettres de recommandation de professeurs et d'employeurs qui attestent de sa réussite scolaire et de son bon comportement. Le sergent Poirier informe J... S... que sa candidature au stage est rejetée à cause de son passé judiciaire et parce qu'il n'est pas de bonnes mœurs.
[21] J... S... constate que le sergent Poirier est néanmoins sensible au fait que les infractions ont été commises alors qu’il était mineur et retient qu'il lui recommande de faire un stage ailleurs et de faire effacer les dossiers juvéniles que détient la police de Montréal. Il infère de ces échanges avec le sergent Poirier que si ses dossiers judiciaires étaient détruits, il n’y aurait plus d’obstacles à sa demande de stage ou à sa candidature au poste de cadet.
[22] Il présente donc une demande, datée du 25 janvier 1995, pour faire détruire les dossiers juvéniles détenus par le SPCUM. En réponse à cette demande, il reçoit une lettre de Me Denis Asselin, alors directeur des Affaires juridiques et responsable de l’accès à l’information au SPCUM[10]. La lettre se lit comme suit :
La présente fait suite à votre demande de destruction de dossiers vous concernant.
En effet, vous nous soumettiez le 25 janvier 1995,
une demande énumérant les évènements suivants : 52-870116-032 ;
55-880413-033 ; 55-870611-045 ;
33-880417-005 ; 53-870224-044 accompagnée d’une décision de la Cour du Québec,
chambre de la jeunesse, favorable à la destruction, le tout conformément aux
dispositions de la Loi sur les jeunes contrevenants.
Après vérification au fichier des Archives, les évènements suivants se sont ajoutés : 55-900921-050 ; 55-871008-025.
En l’occurrence, nous vous informons par la présente que nous acquiesçons à votre requête. Les documents seront détruits ainsi que toute information y afférent à l’index général, le tout conformément à la Loi sur les archives et aux dispositions de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (Loi 65).
[23] Suite à la réception de cette lettre, J... S... se désiste de sa plainte à la Commission[11] et le 3 octobre 1995, il dépose une nouvelle demande au SPCUM pour un poste de cadet policier[12].
[24] Le 1er février 1996, il reçoit une lettre d'une conseillère en ressources humaines au Bureau des cadets policiers[13] l’informant que sa demande d’emploi comme cadet policier est refusée. Aucun motif n’est donné pour justifier ce refus. À la même époque, il fait une nouvelle démarche auprès du cégep pour effectuer son stage au SPCUM.
[25] En réponse à cette demande de stage, il reçoit un appel du sergent Poirier qui lui dit se souvenir de ses condamnations juvéniles et que sa nouvelle demande de stage est refusée. Monsieur Riskala, qui est responsable des stages au programme de techniques policières du cégep Maisonneuve, est informé par le SPCUM de cette décision.
[26] J... S... demande la révision de cette décision par l’entremise d'un avocat. Le directeur de la police d'alors, monsieur Jacques Duchesneau, lui répond qu’il maintient les décisions de ne pas l'accepter en tant que stagiaire et cadet policier :
En effet, bien que [JS] se soit adressé à la Cour relativement à certains antécédents judiciaires, il n’en demeure pas moins que les résultats de l’enquête sociale nous amènent à la conclusion que [JS] ne rencontre pas les critères de bonnes mœurs tels que prescrits au Règlement sur les normes d’embauche des agents et des cadets de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux (L.R.Q.c.P-13 , (règlement 14))[14].
[27] J... S... porte plainte auprès de la Commission le 25 novembre 1996, alléguant que le refus d’embauche de la part du SPCUM à titre de cadet policier et le refus de stage contreviennent à l’article 18.2 de la Charte. C'est cette plainte qui fait l'objet du présent litige.
[28] Avec l’aide de M. Riskala, J... S... effectue son stage au Service de police de Brossard en mars 1996; il complète ainsi son programme d'études et obtient son diplôme collégial en techniques policières.
[29] J... S... dit avoir beaucoup souffert des refus du SPCUM. Il affirme que depuis son départ du centre d’accueil, il n’a cessé de faire des efforts importants pour s’intégrer à la société et devenir un citoyen honorable; il a toujours été un étudiant modèle et un leader parmi ses confrères d’études. Il a fait du bénévolat et a travaillé dans plusieurs domaines connexes à la police afin de parfaire sa formation. Malgré toute sa bonne foi, sa bonne volonté et des efforts considérables, il se voit refuser l’accès au SPCUM alors que ses camarades accèdent au stage et deviennent cadets. Il se sent exclu et profondément humilié.
[30]
En contre-interrogatoire, J... S... admet qu’il n’a pas fait état de son
passé délictuel au Service de police de Brossard où il a effectué son stage. Il
admet également connaître messieurs Miguel Henri, Danny Cadet et Junior
Mesignac et les avoir fréquentés jusqu’au moment de sa détention en centre
d’accueil en 1988. Il affirme qu'à l'époque, ils ne faisaient pas encore partie
de gangs de rue et déclare ne plus avoir eu de contacts avec eux après sa
sortie de détention. Il doit cependant admettre qu'il a loué un condo qui lui
appartient à une agente d’immeubles qui, en cours de bail, a commencé à
fréquenter M. Henri. Il dit ne pas avoir eu de contacts directs avec
lui.
[31] Fournissant des détails sur un délit de port d’arme qu’il a commis alors qu’il était mineur, J... S... qualifie l’incident de « niaiserie d’adolescent », de « folie de jeune ».
B. La preuve en défense
[32] Au moment des faits en litige, monsieur Gilles Derouin était policier au sein du SPCUM[15]. Il était responsable du service qui mène les enquêtes criminelles, déontologiques et disciplinaires concernant le personnel policier. Il a également enseigné dans le cadre du programme de techniques policières. Il témoigne que tous les candidats qui postulent à un poste de policier au SPVM font l’objet d’une enquête auprès du Centre de renseignements policiers du Québec (ci-après cité le « CRPQ »), ainsi que d’une enquête de réputation.
[33] Il explique que le personnel du programme en techniques policières du cégep se charge de trouver un stage pour ses étudiants au sein de l’un des services de police retenus par le cégep. Les corps de police vérifient les antécédents des aspirants stagiaires et informent de leur décision le responsable du programme du cégep qui la communique ensuite à l’étudiant. Les professeurs ne sont pas mis au courant des antécédents judiciaires des étudiants.
[34] Le stage de sensibilisation et d’observation en milieu policier exigé par les programmes de techniques policières est d’une durée de six jours. L’étudiant doit produire ensuite un rapport de stage.
[35] Il est possible que M. Derouin ait écrit une lettre de recommandation pour appuyer J... S..., mais il ne s'en souvient pas. Il soutient que s'il avait été informé de ses problèmes de délinquance, il ne lui aurait jamais écrit de lettre de recommandation et ne lui aurait pas permis de mettre son nom comme référence dans sa demande pour un poste de cadet policier. Il ne se rappelle pas des détails du cas de J... S...
[36] À la même époque, M. Poirier était policier au SPCUM et s'occupait de l’accueil des recrues, de la formation des brigadiers scolaires et des stages des étudiants en techniques policières. En tant que responsable des stages, il recevait plus de 300 demandes par an en provenance de différents collèges.
[37]
Au mois d’octobre, le responsable des stages du cégep Maisonneuve,
M. Riskala, lui transmettait une liste d’environ 125 candidats de deuxième
année qui voulaient effectuer leur stage au SPCUM. Il acheminait les demandes
au CRPQ, une banque de données policières qui conserve des informations sur les
plaignants, les suspects, les témoins de crimes, les victimes, les coupables,
les personnes recherchées ou celles en libération conditionnelle.
[38] Si un candidat avait été condamné, impliqué dans un crime ou interpellé, sa demande était rejetée. Cependant, si un postulant avait été impliqué dans un évènement jugé mineur, sa candidature n’en était pas affectée. À cet égard, M. Poirier donne l’exemple d’un postulant qui aurait fait l’objet d’une fiche d’observation parce qu’il aurait lancé une balle de neige sur un autobus alors qu’il avait 13 ans.
[39] Il soumettait les cas de refus à son superviseur, le sergent Guillemette. Par la suite, il informait le responsable du cégep du refus sans toutefois en préciser la raison.
[40] Il lui est déjà arrivé de rencontrer un étudiant refusé pour l'informer des motifs du refus, mais uniquement par courtoisie et sur demande.
[41] En 17 ans, il n’a refusé que quatre ou cinq postulants dont un parce qu'il avait manqué de maturité pour avoir uriné sur un trottoir du Vieux-Montréal. Dans ce cas, il avait pris l’initiative de contacter l’étudiant pour l’informer du motif de son refus.
[42] Au sujet des évènements en litige, M. Poirier ne se rappelle pas du nom de J... S... et ne le reconnaît pas dans la salle d'audience.
[43] Il se souvient que le rapport provenant du CRPQ énumérait cinq ou six évènements différents impliquant le candidat. II a reproduit la liste d’évènements, reçue du CRPQ, dans une « Note au dossier »[16].
[44] Il ne savait pas si la personne avait été reconnue coupable des évènements énumérés dans le rapport. En contre-interrogatoire, à la vue du rapport du CRPQ, il reconnaît avoir présumé qu'elle avait été reconnue coupable de vol qualifié, d’agression sexuelle armée, de vol qualifié et introduction par effraction, d’agression sexuelle et de voies de fait alors qu'elle était majeure.
[45] Il précise que les candidatures étaient jugées sur les informations reçues du CRPQ et qu’il ne les vérifiait pas. Il dit que sa décision avait pour principale considération l’évènement 55-900921-050, un voie de fait de J... S... à l’endroit de sa mère alors qu’il était adulte. Il dit qu’il n’a pas porté autant d’attention aux autres évènements qui ont eu lieu alors qu'il était mineur, car ce seul événement disqualifiait le candidat.
[46] Vraisemblablement informé du refus par M. Riskala, J... S... a communiqué par téléphone avec M. Poirier, qui lui a accordé un entretien le 8 décembre 1994, au centre de formation du SPCUM et l’a informé des motifs du refus.
[47] Avant l’arrivée de J... S..., M. Poirier a inscrit sur un tableau la liste des évènements qu’il a obtenue du CRPQ. Il a reçu J... S... en compagnie de son superviseur, le sergent Guillemette. Après quelques minutes de discussion, J... S... a reconnu avoir commis des infractions mineures pendant sa jeunesse et il a fourni des explications pour chacune d’elles.
[48] M. Poirier ne se souvient pas d'autres détails de cette rencontre, mais se souvient d'avoir dit à J... S... que, compte tenu de tous les évènements à son dossier, sa candidature au poste de stagiaire au SPCUM était rejetée.
[49] Il admet que J... S... a tenté de le convaincre qu’il n’était pas impliqué dans certains des évènements énumérés à la liste et que certains de ces évènements concernaient des plaintes qui avaient été retirées et qu'ils n'auraient pas dû y apparaître. Il a ajouté que dans certains de ces évènements, il n'avait été que témoin. Dans une note au dossier[17], rédigée peu après l'entretien, M. Poirier a écrit que J... S... a admis des gestes délinquants à l’âge de 15-16 ans, mais a refusé de reconnaître la totalité des accusations portées contre lui.
[50] M. Poirier mentionne qu’aucun argument invoqué par J... S... n’aurait pu lui faire modifier sa décision de lui refuser un stage, que ce soit un pardon ou des lettres de recommandation de professeurs ou d’employeurs. Il affirme que, de tous les dossiers de stagiaires qu’il a eu à étudier, celui de J... S... a été le plus lourd.
[51] Il avoue ne pas connaître la protection offerte par les articles 45 et 46 de la Loi sur les jeunes contrevenants[18].
[52] La rencontre avec J... S... s’est déroulée sur un ton cordial et a duré une demi-heure tout au plus.
[53] Monsieur Guillemette était policier au SPCUM et y a occupé plusieurs fonctions. Il est actuellement inspecteur-chef à la division des affaires internes et des normes professionnelles du SPVM.
[54] Lors des évènements en litige, il était responsable du module pédagogique à la section formation. À titre de superviseur de M. Poirier, il approuvait la liste des stagiaires. Il se souvient de l’entretien avec J... S... parce que c’est le seul qu’il a eu avec un candidat refusé au stage. Sur ce sujet, son témoignage est au même effet que celui de M. Poirier.
[55] Il explique que le processus de sélection vise à s'assurer que le candidat stagiaire n'a pas de casier judiciaire et qu’il est de bonnes mœurs, selon les normes du SPCUM. Il précise que la norme de bonnes mœurs est celle stipulée dans la Loi de police[19] et qu'elle exige qu’un candidat au poste de policier, de cadet ou de stagiaire n'ait pas été impliqué dans des évènements criminels à titre de « personne citée », de suspect ou de prévenu et qu'il n'ait pas de lien avec des criminels ou des groupes criminalisés.
[56] M. Guillemette mentionne que ces normes apparaissent dans un document du SPVM. Il ignore toutefois si c’était le cas en 1994-95.
[57] Une enquête menée par la division du renseignement policier a fourni des informations sur des évènements impliquant le candidat. Il existe une note au dossier à ce sujet[20].
[58] M. Guillemette se rappelle également avoir discuté du cas de J... S... avec sa supérieure, madame Christiane Gauthier ou avec l’adjoint de celle-ci, M. Jalbert.
[59] Monsieur Germain Dufort a été policier au SPCUM et il a enseigné en techniques policières au cégep Maisonneuve jusqu'en 2003. Il se souvient d'avoir enseigné à J... S... au cégep, mais ne se rappelle pas lui avoir écrit une lettre de recommandation; il reconnaît cependant sa signature sur une telle lettre.
[60] Il ne se rappelle pas si J... S... lui a fait part de ses antécédents juvéniles; s'il les avait connus, il lui aurait dit qu’il n’était pas à sa place dans le programme de techniques policières.
[61] Le sergent René Hubert du SPCUM a agi comme conseiller à la sélection au Bureau des cadets policiers de 1991 à 1998. Il explique que le programme des cadets policiers a pour but de soutenir le travail des policiers en assurant une présence et une visibilité policière sur le terrain et permet aux cadets de faire l’expérience du milieu policier. Les cadets portent un uniforme et sont rémunérés.
[62] Lors de ses tournées dans les cégeps, il informe les étudiants que le candidat ne doit pas avoir de dossier judiciaire et ne doit pas avoir été impliqué dans un évènement violent que ce soit à titre de prévenu, d'accusé ou de suspect. À l’époque des évènements en litige, il recevait annuellement environ 300 demandes pour combler une centaine de postes.
[63] Le CRPQ fournissait, sur une fiche informatique, les rapports d’événement rédigés par les policiers. Lorsqu'une plainte avait été retirée, l’évènement avec mention « suspect » apparaissait encore au rapport.
[64] M. Hubert obtenait de chaque corps policier concerné, les informations relatives aux événements inscrits au rapport du CRPQ et les déposait dans le dossier du postulant. La liste des candidats était aussi acheminée à la section des renseignements à qui on demandait d’enquêter sur les candidats et les membres de leur famille. Cette unité conserve des informations recueillies lors de différentes actions policières comme les filatures, les enquêtes approfondies ou d'autres interventions. Cette section est en mesure de fournir plus d’informations que le CRPQ. L'accès à ces informations est strictement réservé à l’usage interne de la police et toute demande doit être justifiée.
[65] Après toutes ces vérifications, on confectionnait une liste selon la date de réception des demandes. Les candidats signalés dans les rapports d’enquête étaient placés en fin de liste. Une ou deux années seulement, à cause d’une pénurie de demandes, un candidat signalé avait été accepté comme cadet, mais seulement après avoir évalué la gravité de l’évènement apparaissant à son dossier.
[66] Le processus de sélection se poursuivait par un examen médical, un examen écrit ainsi qu’une entrevue standardisée menée par M. Hubert et le responsable du Bureau des cadets policiers; les candidats qui réussissaient le mieux aux différentes étapes du processus de sélection étaient choisis.
[67] À la fin de la procédure de sélection, on envoyait une lettre type aux candidats non retenus. Si l'un d'eux sollicitait une entrevue, on le recevait et on l’informait des raisons du refus.
[68] En ce qui concerne le cas en litige, M. Hubert a reçu un appel du policier Pierre Marotte de la section du renseignement. On lui a transmis par la suite des renseignements confidentiels qui disqualifiaient J... S...
[69] M. Hubert témoigne que, même avant de recevoir ces renseignements, la candidature de J... S... avait été écartée à cause des renseignements obtenus du CRPQ et des vérifications dans les dossiers des postes et des archives.
[70] Il se souvient qu’il y avait au moins cinq évènements mentionnés dans le rapport du CRPQ et que plusieurs établissaient que J... S... n'était pas de bonnes mœurs.
[71] Le 7 novembre 1994, J... S... se présente sans rendez-vous au Quartier général de la police. Il est reçu par M. Hubert qui l’informe qu’il est au courant des évènements de son « passé juvénile » et qu’il ne correspond pas au profil recherché pour être cadet. J... S... invoque la décision du juge Oscar D'Amours de la Chambre de la jeunesse et les articles 45 et 46 de la Loi sur les jeunes contrevenants. Il demande à M. Hubert de changer sa décision alléguant qu'on ne peut utiliser ses antécédents juvéniles et qu'il n'a pas à fournir d'informations à leur sujet.
[72] M. Hubert reproche à J... S... son attitude insolente lors de la rencontre.
[73] La rencontre se termine après 15-20 minutes. M. Hubert rédige un rapport, daté du 28 janvier 1995[21], au sujet de la candidature de J... S...; il y résume la rencontre du 7 novembre 1994. On notera que la décision de refuser à J... S... un poste de cadet a été prise avant la rédaction de ce rapport, sur la foi d’un rapport préliminaire, remis par M. Hubert à ses supérieurs, messieurs Robert Garand et François Landry. Le dossier de J... S... comporte par ailleurs un Rapport complémentaire au rapport d’enquête type du 28 mai 1995[22], signé par M. Hubert et daté du 22 juillet 1997.
[74] M. Hubert témoigne qu’il a rapporté à ses supérieurs la lettre demandant de faire effacer les évènements au dossier de J... S... et la décision de la Chambre de la jeunesse à cet effet. Il a suggéré à M. Garand de consulter le service du contentieux du SPCUM à ce sujet. Il a été informé par la suite que la décision de refus était maintenue.
[75] M. Garand ne lui a pas demandé d'ignorer les évènements judiciarisés du passé juvénile de J... S... Cela dit, les deux évènements non judiciarisés qui apparaissent au dossier de J... S... auraient suffi à motiver un refus d'emploi de cadet.
[76] M. Hubert a également traité une deuxième demande de J... S..., datée du 3 octobre 1995[23], pour un poste de cadet policier. Il a discuté de la nouvelle demande avec sa supérieure, madame Suzie Vallières, et la décision de refuser J... S... a été prise pour les mêmes raisons que celles invoquées lors de la demande précédente, sans faire de nouvelle enquête. Une lettre de refus datée du 1er février 1996[24] a été envoyée à J... S...
[77] Lors de l’évaluation de la première demande de J... S... en 1994, M. Hubert n’était pas au courant de l’existence de la décision du juge D'Amours[25]. Le travail d’évaluation de la candidature était déjà terminé lorsque J... S... lui en a fait part et une recommandation verbale lui avait été transmise. De même, avant sa rencontre avec J... S..., il n’avait pas connaissance de l’existence de la lettre de Me Asselin, le directeur des Affaires juridiques et responsable de l’accès à l’information au SPCUM[26], qui acquiesçait à la demande de destruction des dossiers de J... S...
[78] Sa recommandation faite à ses supérieurs de refuser la candidature de J... S... au poste de cadet était motivée par l’ensemble des évènements notés au dossier, soit les antécédents juvéniles et les évènements non judiciarisés.
[79] M. Riskala a été le professeur de J... S... au cégep; à son avis, il était un excellent élève et il était très motivé. Il a communiqué avec M. Poirier qu'il connaissait pour intercéder en faveur de J... S..., mais il s'est fait dire que la décision du service de police était irrévocable.
II. LES QUESTIONS EN LITIGE
[80] Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :
a) La défenderesse a-t-elle contrevenu à l’article 18.2 de la Charte en refusant à J... S... la possibilité d’effectuer un stage en milieu de travail pour l’année 1996 ?
b) La défenderesse a-t-elle contrevenu à l’article 18.2 de la Charte en refusant d'embaucher J... S... à titre de cadet policier pour l’année 1996 ?
c) J... S... a-t-il droit à des dommages matériels, moraux et punitifs et, si oui, les montants réclamés sont-ils justifiés ?
III. LE DROIT APPLICABLE
[81] Le recours de la Commission prend appui sur l'article 18.2 de la Charte, qui se lit comme suit :
Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.
[82] Dans l’arrêt Therrien (Re)[27], la Cour suprême a établi que cet article est une disposition à circuit fermé, ce qui implique qu'il n’y a donc pas lieu de l’appliquer en combinaison avec les articles 10, 16 ou 20 de la Charte. La Cour a, par ailleurs, dégagé les quatre conditions d’application de l’article 18.2. Ainsi, pour que cette disposition trouve application, il faut être en présence :
(1) d’un congédiement, d’un refus d’embauche ou d’une pénalité quelconque;
(2) décidé dans le cadre d’un emploi;
(3) du seul fait qu’une personne ait été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle;
et que
(4) l’infraction n’ait aucun lien avec l’emploi ou que la personne en ait obtenu le pardon.[28]
IV. L'ANALYSE
A. Les principes d'interprétation applicables
[83] En tant que loi quasi constitutionnelle, la Charte « commande une interprétation large et libérale de manière à réaliser les objets généraux qu’elle sous-tend de même que les buts spécifiques de ses dispositions particulières » [29]. L'article 18.2 ne fait pas exception à ce principe. Son interprétation doit être généreuse, tout en étant compatible avec son libellé et son objet[30], lequel consiste, selon la Cour suprême du Canada, à protéger l'employé « contre les stigmates sociaux injustifiés découlant d’une condamnation antérieure » [31].
[84] L'interprétation des dispositions de la Charte, dont son article 18.2, doit par ailleurs tenir compte du contexte[32]. Pour les fins de son interprétation, « le contexte d’une loi comprend les autres dispositions de la loi, les lois connexes, l’objectif poursuivi par la loi et par la disposition spécifique, ainsi que les circonstances qui ont amené l’énonciation du texte » [33].
[85] Selon un principe d’interprétation bien établi, « l'interprétation d'une loi sur les droits de la personne doit s’harmoniser avec celle de dispositions comparables dans d'autres ressorts »[34]. L'interprétation de l'article 18.2 de la Charte doit donc être abordée à la lumière des dispositions analogues contenues dans les autres lois sur les droits de la personne en vigueur au Canada.
[86] Dans la décision Maksteel[35], le Tribunal a souligné que l’article 18.2 de la Charte fait écho aux instruments internationaux qui garantissent le droit au travail et qui offrent une protection contre la discrimination dans l’emploi. Ces outils peuvent donc aussi servir à interpréter et appliquer l’article 18.2. Parmi les textes internationaux pertinents, notons :
- la Déclaration universelle des droits de l'Homme[36] :
Art. 23 (1) Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage.
- le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels[37] :
Art. 6 (1) Les États parties au présent Pacte reconnaissent le droit au travail, qui comprend le droit qu'a toute personne d'obtenir la possibilité de gagner sa vie par un travail librement choisi ou accepté, et prendront des mesures appropriées pour sauvegarder ce droit.
- la Convention (No. 111) concernant la discrimination en matière d'emploi et de profession[38] :
Art. 1 (1) Aux fins de la présente convention, le terme « discrimination » comprend :
a) toute distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la relation, l'opinion politique, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, qui a pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession;
b) toute autre distinction, exclusion ou préférence ayant pour effet de détruire ou d'altérer l'égalité de chances ou de traitement en matière d'emploi ou de profession, qui pourra être spécifiée par le Membre intéressé après consultation des organisations représentatives d'employeurs et de travailleurs, s'il en existe, et d'autres organismes appropriés.
[87] Dans le présent litige, l'article 40 de la Convention relative aux droits de l’enfant[39] est également pertinent :
Article 40
1. Les États parties reconnaissent à tout enfant suspecté, accusé ou convaincu
d'infraction à la loi pénale le droit à un traitement qui soit de nature à
favoriser son sens de la dignité et de la valeur personnelle, qui renforce son
respect pour les droits de l'homme et les libertés fondamentales d'autrui, et
qui tienne compte de son âge ainsi que de la nécessité de faciliter sa
réintégration dans la société et de lui faire assumer un rôle constructif au
sein de celle-ci.
[…]
[88] C'est à la lumière de ces principes d'interprétation que le Tribunal doit déterminer la portée de la protection offerte par l'article 18.2 de la Charte en l'espèce.
B. La demande de stage
[89] La Commission plaide que la défenderesse a contrevenu à l’article 18.2 de la Charte en refusant à J... S... la possibilité d’effectuer un stage en milieu de travail pour l’année 1995-1996.
[90] De son côté, la défenderesse soutient n'avoir reçu aucune demande de stage au nom de J... S... pour l'année 1995-1996. Elle soumet également qu'une demande de stage d'observation n'est pas visée par l'article 18.2 de la Charte et que même si cette disposition trouvait application, elle n'aurait pas pour effet de lui interdire de prendre en considération, dans l'examen de sa candidature, les faits sous-jacents aux infractions commises par J... S...
[91] Quant à la première question, il ressort de la preuve que c'est le cégep Maisonneuve qui faisait les démarches nécessaires pour trouver un stage d'observation à chacun de ses étudiants inscrits au programme de techniques policières. Dans ce processus, le cégep tenait compte des préférences exprimées par les étudiants dans le formulaire de candidature.
[92] Selon son témoignage, J... S... aurait fait une première demande de stage auprès du SPCUM au cours de l'année 1994.
[93] Il soutient avoir également fait une demande de stage l'année suivante. C'est le rejet de cette seconde demande de stage qui fait l'objet de la présente action. J... S... affirme que le sergent Poirier l'aurait appelé pour lui dire que cette nouvelle demande était rejetée parce qu'il se souvenait qu'il avait des antécédents juvéniles.
[94] Le sergent Poirier a pour sa part témoigné n'avoir aucun souvenir de cette seconde demande de stage. Le témoignage de M. Riskala, le responsable des stages en milieu policier au cégep Maisonneuve à l'époque où J... S... fréquentait l'établissement, peut aussi donner à penser que la candidature de ce dernier n'a pas été soumise une deuxième fois. Selon son témoignage, il avait clairement compris que tant que le sergent Poirier serait responsable des stages auprès du SPCUM, il ne serait pas possible pour J... S... d'en obtenir un.
[95] La lettre que le directeur de la SPCUM de l'époque, M. Duchesneau, a fait parvenir à l'avocate de J... S... le 10 juin 1996, en réponse à sa demande de révision, fait clairement état d'une demande « en vue d'effectuer un stage au Service de police de la communauté urbaine de Montréal dans le cadre de son programme d'études »[40]. Vu le temps qui s'est écoulé et qui a pu altérer les souvenirs des différents témoins, le Tribunal estime approprié de prendre appui sur cet élément de preuve pour conclure qu'une seconde demande de stage a bel et bien été soumise au SPCUM au nom de J... S... en 1995.
[96] Le Tribunal doit donc décider si le stage recherché par J... S... peut être assimilé à un « emploi » au sens de l'article 18.2 de la Charte.
[97] C'est un stage d'observation et de sensibilisation en milieu policier, non rémunéré et d'une durée de quelques jours, qu'a sollicité J... S... auprès du SPCUM. Ce stage fait partie d'un cours du programme de techniques policières auquel il était inscrit.
[98] En lui-même, ce stage ne saurait être considéré comme un « emploi » au sens de l'article 18.2 de la Charte. De fait, le stagiaire ne se trouve pas dans une situation où il cherche à « répondre à ses besoins propres » par l'exercice de « son activité professionnelle »[41].
[99] Il ressort de la jurisprudence que la protection offerte par l’article 18.2 s’étend cependant parfois au-delà du strict cadre de l’emploi.
[100] Dans l’affaire École nationale de police du Québec c. Robert, un aspirant policier avait vu son admission à l'École nationale de police du Québec être annulée au motif qu'il avait fait l’objet de condamnations pour vol et pour conduite d'une voiture alors que le taux d'alcoolémie dans son sang dépassait la limite permise. Puisqu’il avait obtenu un pardon pour ces infractions, l'aspirant policier réclamait la garantie offerte par l’article 18.2 de la Charte. Pour trancher le litige, la Cour d’appel du Québec devait déterminer si ce dernier pouvait se prévaloir de cette disposition alors qu’il cherchait non pas à obtenir un emploi, mais à être admis dans une institution d'enseignement. Dans une décision rendue à l’unanimité, la Cour d’appel a répondu à cette question par l’affirmative.
[101] La Cour a considéré qu'étant donné qu’il n'y a qu'une seule école de police au Québec, dont il faut nécessairement être diplômé pour avoir accès à un emploi dans un corps de police, les exigences d’admission à cette école constituent des conditions de préembauche pour tout emploi dans un corps policier :
Dès lors, si l'École a l'exclusivité de la formation policière, que l'accessibilité à un corps de police est assujettie à l’acquisition du diplôme conféré par l'École et qu'enfin, les conditions de l'accessibilité à l'École sont soumises aux mêmes règles minimales que celles applicables en vue de l’emploi, il s'ensuit un lien explicite, continu et nécessaire entre l'embauche et l'accès à la formation. La conséquence logique de cette situation, créée par la loi, est l'obligation d'interpréter les exigences d'entrée à l'École de la même manière que celles de l'emploi dans un corps de police. Toute autre solution signifierait la stérilisation de l'article 18.2 de la Charte tel qu'interprété par la Cour suprême. Ainsi, la réhabilitation qui, selon l'arrêt Montréal (Ville) c. Québec (Commission des droits de la personne et de la Jeunesse), doit être prise en compte au moment de l'examen de la condition relative aux antécédents criminels à l’occasion de l’embauche, n'aurait plus aucun effet puisque le candidat aurait été refusé à la seule école que la loi autorise à former les futurs policiers.[42]
(Références omises)
[102] La décision de la Cour d'appel tient au fait que l'École nationale de police du Québec a l'exclusivité de la formation du personnel policier. Dans ce contexte, la protection offerte par l'article 18.2 de la Charte perdrait largement de son efficacité si la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires demeurait possible à l'étape de la sélection des candidats admis à cette école. En somme, « la loi a créé pour les policiers un régime si intégré » qu'il faut, pour donner un sens à l'article 18.2 de la Charte, « considérer l'admission à l'École comme une forme de préembauche[43] ».
[103] Selon M. Riskala, il était obligatoire qu'un étudiant fasse un stage d'observation auprès d'un corps de police pour obtenir un diplôme en techniques policières du cégep Maisonneuve.
[104] Néanmoins, de l'avis du Tribunal, la Commission n'est pas parvenue à établir l'existence d'« un lien explicite, continu et nécessaire entre l'embauche »[44] à titre de policier et l'accès à un stage d'observation et de sensibilisation tel que celui sollicité par le plaignant. D'une part, il n'a pas été démontré de manière convaincante que ce stage faisait partie du programme en techniques policières tel qu'il était enseigné dans les autres établissements collégiaux en 1995-1996. D'autre part, il ressort du témoignage de M. Laprise, le registraire de l'École nationale de police, que des étudiants pouvaient, à cette époque, être admis à l'École nationale de police du Québec sans détenir un diplôme en techniques policières. Ainsi, bien que l'obtention d'un diplôme d'études collégiales en techniques policières constituait la voie la plus couramment empruntée pour être admis à l'École nationale de police et pouvoir ensuite obtenir un emploi de policier, il ne s'agissait pas de l'unique façon d'y parvenir. Autrement dit, le programme en techniques policières ne fait pas partie du système « intégré » auquel la Cour d'appel fait référence dans l’arrêt École nationale de police du Québec c. Robert. Dans ces circonstances, ce serait outrepasser l'objet de l'article 18.2 de la Charte que d'étendre son application aux conditions d‘obtention d’un diplôme en techniques policières en milieu collégial.
[105] Pour cette raison, le Tribunal conclut que la défenderesse n'a pas contrevenu à l'article 18.2 de la Charte en rejetant la demande de stage de J... S... pour l'année 1995-1996.
C. La candidature au poste de cadet policier
[106] L'article 18.2 de la Charte prévoit que nul ne peut refuser d'embaucher une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction dont elle a, depuis, obtenu le pardon.
[107] La Commission soumet qu'au moment où J... S... a posé sa candidature en vue d'obtenir un emploi de cadet, il bénéficiait des protections offertes par les articles 45 et 46 de la Loi sur les jeunes contrevenants, lesquelles, plaide-t-elle, équivalent à un pardon absolu. Partant, la défenderesse aurait contrevenu à l’article 18.2 de la Charte en rejetant la candidature de J... S... à un poste de cadet policier pour l’été 1996 en raison de ses antécédents juvéniles.
[108] De son côté, tout en reconnaissant qu’en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants J... S... est réputé ne pas avoir commis les infractions pour lesquelles il a été condamné[45], la défenderesse soutient, en s'appuyant sur les enseignements de l’arrêt S.N.[46], que la candidature de J... S... n'a pas été rejetée sur la base de ses antécédents judiciaires juvéniles, mais parce qu'il ne satisfaisait pas aux exigences de bonnes mœurs prévues par la Loi de police et par le Règlement sur les normes d'embauche des agents et cadets de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux[47]. Par conséquent, sa décision ne contreviendrait pas à l'article 18.2 de la Charte.
[109] Procédant à une interprétation large et libérale du terme « pardon », la Cour suprême a décidé dans l'arrêt S.N. que l'article 18.2 vise tant le pardon accordé par prérogative royale en vertu de l'article 748 du Code criminel[48] que la réhabilitation prévue par la Loi sur le casier judiciaire[49]. Le Tribunal est d'avis que la réhabilitation en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants constitue un pardon au sens de l'article 18.2 de la Charte.
[110] Il est d'opinion que l'article 18.2 offre donc une protection à la personne qui, par l'écoulement du temps, a été réhabilitée en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants. La portée de cette protection doit cependant être déterminée.
1. La portée de la garantie offerte par l'article 18.2 en cas de réhabilitation au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants
[111] Pour déterminer la portée de la protection offerte par l'article 18.2 de la Charte à la personne qui a obtenu un pardon au sens de la Loi sur les jeunes contrevenants, il paraît utile de rappeler l'historique de l'article 18.2 de la Charte et la façon dont il a été interprété par la Cour suprême du Canada dans les arrêts Therrien, Maksteel et S.N.
[112] Au moment de son entrée en vigueur en 1976, la Charte ne comportait aucune disposition prohibant expressément la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires. Suite au refus des tribunaux de considérer les antécédents judiciaires comme une « condition sociale » au sens de l'article 10 de la Charte, le législateur est intervenu par l'adoption de l'article 18.2, en 1982. Plutôt que d'ajouter les antécédents judiciaires à la liste des motifs interdits de discrimination prévue à l'article 10 de la Charte, le législateur a choisi à cet égard une protection autonome, par le biais d'une disposition distincte applicable uniquement en matière d'emploi.
[113] C'est à la lumière de ces considérations relatives à l'historique de l'article 18.2 que la Cour suprême du Canada a déclaré, dans les arrêts Therrien et Maksteel, qu'il s'agit d'une disposition « à circuit fermé » qui « échappe à l'application de l'article 20 de la Charte québécoise » [50]. En vertu de cet article 20, une distinction, une exclusion ou une préférence fondée sur une caractéristique personnelle énumérée à l'article 10 est réputée non discriminatoire dès lors que l'employeur parvient à démontrer qu'il s'agit d'une exigence professionnelle justifiée. Pour se prévaloir de ce moyen de défense, l'employeur doit démontrer qu’il a adopté la mesure contestée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et que cette mesure est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail[51]. Pour ce faire, il lui faut établir qu’il lui est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans en subir une contrainte excessive[52]. Lorsqu'il parvient à se décharger de ce fardeau, l'employeur bénéficie d’une exception à l’interdiction générale de la discrimination[53].
[114] L'affirmation
de la Cour suprême du Canada selon laquelle l'article 18.2
« échappe à l'application de l'article 20 » [54]
ne saurait signifier que la protection offerte par cette disposition ne connaît
aucune exception. Aucun droit, aussi fondamental soit-il, n’est absolu[55].
Il convient donc de conclure que les limites à la garantie contre la
discrimination fondée sur les antécédents judiciaires font partie de l'article
18.2 lui-même : « l'article 18.2 contient son propre régime de justification » [56].
La Cour suprême en a précisé les paramètres dans les arrêts Maksteel et S.N.
[115] Dans l'arrêt Maksteel, la Cour suprême a été appelée à déterminer si l'article 18.2 de la Charte offrait une protection au salarié congédié parce qu'une peine d'incarcération faisait en sorte qu'il n'était pas disponible pour le travail. La Cour a jugé que tel n'était pas le cas.
[116] Elle a décidé que l’objet de l’article 18.2 est de protéger l'employé « contre les stigmates sociaux injustifiés découlant d'une condamnation antérieure »[57]. « En matière d'emploi, l'employé condamné qui a obtenu un pardon ou dont l'infraction commise n'est pas liée à l'emploi n'a à supporter aucun stigmate découlant de sa déclaration de culpabilité »[58]. En ce sens, la protection conférée par l'article 18.2 de la Charte est absolue[59].
[117] Il faut, cependant, que la différence de traitement soit véritablement fondée sur l'existence d'antécédents judiciaires. La Cour suprême précise que « la protection ne vaut que pour les cas où la mesure prise par l’employeur est liée au seul fait que la personne a des antécédents judiciaires » [60]. Elle a précisé que l'article 18.2 n'offre aucune protection en ce qui concerne les conséquences civiles de la peine imposée au contrevenant, par exemple le fait qu'il ne soit pas disponible pour le travail.
[118] Selon la Cour, cette interprétation est conforme à l'objectif général de la Charte, qui consiste à protéger le droit de chacun à la dignité et à l’égalité. Elle est également conforme au libellé de l'article 18.2, qui prévoit une protection contre la discrimination découlant « du seul fait » qu’une personne a été déclarée coupable d'une infraction dont elle a ensuite obtenu le pardon. La Cour précise que les termes utilisés par le législateur dénotent une intention « de restreindre la portée de cette disposition [l'article 18.2] à la déclaration de culpabilité et non à la peine qui est susceptible de s’y rattacher » [61].
[119] Pour bénéficier de la protection de l'article 18.2, une personne n'a cependant pas à démontrer « que sa déclaration de culpabilité constitue la cause unique du traitement préjudiciable subi » [62]. Il lui suffit d'établir que ses antécédents judiciaires ont été le « motif réel ou la cause véritable de la mesure prise par l’employeur » [63].
[120] La Cour suprême du Canada s'est à nouveau prononcée sur la portée de la garantie prévue par l'article 18.2 de la Charte dans l'arrêt S.N. Dans cette affaire, il lui fallait notamment déterminer si, en cas de pardon au sens de la Loi sur le casier judiciaire, la protection offerte par l'article 18.2 privait l'employeur de la possibilité de prendre en considération les faits qui ont donné lieu à une condamnation. En d'autres termes, il lui fallait décider si l'article 18.2 de la Charte a pour effet d'effacer entièrement le passé.
[121] Dans l'affaire S.N., la Cour suprême a décidé que l'employeur pouvait, en application de la Loi de police et du Règlement sur les normes d'embauche des agents et cadets de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux, refuser d’embaucher un candidat n’ayant pas de « bonnes mœurs »[64].
[122] La Loi de police édicte à son article 3 :
Une personne doit, pour devenir membre de la Sûreté, policier municipal ou constable spécial;
être de citoyenneté canadienne;
être de bonnes moeurs;
ne pas avoir été déclarée coupable à la suite d'une dénonciation pour une infraction du Code criminel (Lois révisées du Canada (1985), chapitre C-46) qui, selon la dénonciation, a été poursuivie au moyen d'un acte d'accusation;
avoir subi avec succès un examen médical suivant les normes prescrites par règlement du gouvernement devant un médecin désigné par le ministre de la Sécurité publique, par la municipalité ou par la personne qui emploie le constable spécial;
remplir les autres conditions prescrites par règlement du gouvernement. [...]
et le Règlement sur les normes d'embauche des agents et cadets de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux énonce à son article 2 qu' :
Une personne doit, pour devenir agent ou cadet de la Sûreté ou d’un corps de police municipal:
a) [...]
b) être de bonnes moeurs selon les conclusions d’une enquête qui doit être faite en utilisant la formule prescrite à cette fin par la Commission, en particulier quant aux antécédents familiaux, sociaux, financiers et judiciaires du candidat;
c) n’avoir jamais été déclarée coupable ni s’être avouée coupable d’une infraction au Code criminel (S.R.C. 1970, c. C-34) sur une poursuite intentée au moyen d’un acte d’accusation, ni s’être avouée coupable à la suite d’une dénonciation pour une infraction au Code criminel qui, selon la dénonciation, devait être poursuivie au moyen d’un acte d’accusation;
[...]
[123] Dans cette affaire, la candidature d'une aspirante policière avait été rejetée sur la base de ces dispositions. La Cour suprême a cependant précisé que l'article 18.2 de la Charte interdisait à un employeur d'imputer à un candidat un « manque d’intégrité morale » du fait qu’il avait des antécédents judiciaires pour lesquels il avait obtenu un pardon[65]. Néanmoins, cet article n'avait pas pour effet d'interdire à un employeur « de prendre en considération les faits qui ont entraîné la déclaration de culpabilité lorsqu’il évalue si un candidat possède les qualités requises par l’emploi » et l'obligation qu'il soit une personne de bonnes mœurs[66]. Elle ajoute que « [c]es faits font inéluctablement partie du vécu du candidat » [67] et « peuvent donc aider à faire ressortir un profil démontrant l'inaptitude d'une personne à exercer la fonction de policier » [68]. Elle conclut que la réhabilitation prévue par la Loi sur le casier judiciaire « n’a pas un effet absolu et elle n’efface pas le passé » [69].
[124] Dans le présent litige, le pardon obtenu par J... S... ne découle pas de la Loi sur le casier judiciaire, mais de la Loi sur les jeunes contrevenants. La Commission plaide que les enseignements de l'arrêt S.N. ne sont donc pas applicables intégralement. Plus précisément, elle soutient que contrairement aux dispositions de la Loi sur le casier judiciaire, les articles 45 et 46 de la Loi sur les jeunes contrevenants produisent un effet absolu et que, combinés à l'article 18.2 de la Charte, ils privent un employeur de la possibilité de prendre en considération les faits qui ont donné lieu à une déclaration de culpabilité.
[125] Les articles 45 et 46 de la Loi sur les jeunes contrevenants, maintenant remplacée par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents[70], décrètent la non-communication et la destruction des dossiers judiciaires (art. 40 de la Loi sur les jeunes contrevenants), des dossiers déposés dans un répertoire central (art. 41 de la Loi sur les jeunes contrevenants), des dossiers de police (art. 42 de la Loi sur les jeunes contrevenants) et des dossiers gouvernementaux (art. 43 de la Loi sur les jeunes contrevenants) concernant un adolescent. Ils prévoient que :
45. (1) Sous réserve des articles 45.01, 45.1 et 45.2, l’accès pour consultation prévu par les articles 44.1 ou 44.2 ne peut, dans les circonstances suivantes, être donné relativement aux dossiers tenus en application des articles 40 à 43 :
a) l’acquittement de l’adolescent accusé de l’infraction et visé par le dossier, pour une raison autre qu’un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux, à l’expiration de deux mois suivant l’expiration du délai d’appel ou à l’expiration de trois mois suivant l’issue de toutes les procédures d’appel;
b) l’accusation est rejetée autrement que par acquittement ou est retirée, à l’expiration d’une année suivant le rejet ou le retrait;
c) l’accusation est suspendue, sans qu’aucune procédure ne soit prise contre l’adolescent pendant un an, à l’expiration de l’année;
d) le recours à des mesures de rechange à l’endroit de l’adolescent, à l’expiration de deux ans suivant le consentement de celui-ci à collaborer à leur mise en oeuvre conformément à l’alinéa 4(1)c);
d.1) l’adolescent est déclaré coupable de l’infraction et libéré inconditionnellement, à l’expiration d’une année suivant la déclaration de culpabilité;
d.2) l’adolescent est déclaré coupable de l’infraction et libéré sous condition, à l’expiration de trois ans suivant la déclaration de culpabilité;
e) sous réserve de l’alinéa g), l’adolescent est déclaré coupable d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, à l’expiration de trois ans suivant l’exécution complète des décisions relatives à cette infraction;
f) sous réserve de l’alinéa g), l’adolescent est déclaré coupable d’un acte criminel, à l’expiration de cinq ans suivant l’exécution complète des décisions relatives à cet acte criminel;
g) au cours de la période visée aux alinéas e) ou f), l’adolescent est déclaré coupable :
(i) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, à l’expiration de trois ans suivant l’exécution complète des décisions relatives à cette infraction,
(i) soit d’un acte criminel, à l’expiration de cinq ans suivant l’exécution complète des décisions relatives à cet acte criminel.
[…]
(4) L’adolescent est réputé n’avoir jamais commis l’infraction visée par un dossier tenu en application des articles 40 à 43 dans les cas où les circonstances énoncées aux alinéas (1)d), e) ou f) s’appliquent à ce dossier.
[…]
46. (1) Sauf autorisation ou obligation prévue par la présente loi, il est interdit de donner accès pour consultation à un dossier tenu en application des articles 40 à 43 ou de remettre des reproductions, épreuves ou négatifs de celui-ci ou des renseignements qu’il contient lorsque l’accès ou la remise permettrait de constater que l’adolescent visé par le dossier fait l’objet de procédures prévues par la présente loi.
[…]
(3) Sous réserve de l’article 45.1, dès que les circonstances mentionnées au paragraphe 45(1) s’appliquent à un dossier tenu en application des articles 40 à 43, aucune utilisation du dossier, des reproductions, épreuves ou négatifs de celui-ci, pouvant permettre de constater que l’adolescent visé par le dossier fait l’objet de procédures prévues par la présente loi, ne peut être faite.
[…]
[126] De plus, le paragraphe 36(1) de la Loi sur les jeunes contrevenants prévoit explicitement que la déclaration de culpabilité visant un adolescent pour lequel les décisions ainsi que toutes leurs conditions ont cessé de produire leurs effets « est réputée n’avoir jamais existé ». Comme l'a relevé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Therrien, « la Loi sur le casier judiciaire ne prévoit aucune disposition ayant une telle portée »[71]. La Commission en tire l'argument que le pardon mentionné par le législateur à l'article 18.2 de la Charte a une portée plus large lorsque la Loi sur les jeunes contrevenants s'applique.
[127] Il est bien établi que les dispositions de la Charte doivent faire l'objet d'une interprétation contextuelle et qu'« une liberté ou un droit particuliers peuvent avoir une valeur différente selon le contexte »[72] et « des significations différentes dans des contextes différents »[73]. Le Tribunal est d'opinion que la structure de la Charte de même que l'objet, l'historique et le libellé de son article 18.2 ne justifient pas une portée différente au pardon obtenu en vertu de la Loi sur le casier judiciaire à celui obtenu en vertu de la Loi sur les jeunes contrevenants.
[128] Dans les autres juridictions canadiennes où la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires est prohibée, la protection est explicitement assujettie à une défense fondée sur les aptitudes requises par un emploi, comme le sont les garanties offertes par l'article 10 et limitées par l'article 20 de la Charte[74]. Dans la mesure où le choix du législateur de ne pas ajouter les antécédents judiciaires à la liste des motifs interdits de discrimination énumérés à l'article 10 de la Charte témoigne de sa volonté d'offrir une « protection plus limitée […] que la protection générale contre la discrimination (art. 10 de la Charte) »[75], il serait curieux que cette garantie produise un effet absolu dès lors qu'une personne a obtenu un pardon par le seul effet du passage du temps, comme le prévoit la Loi sur les jeunes contrevenants. Il faut plutôt conclure qu'une interprétation adéquate de l'article 18.2 permet à l'employeur de s'assurer qu'un employé ou un aspirant employé possède toutes les qualités requises par l'emploi sans avoir à se prévaloir de l'article 20. C'est la raison de la distinction établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt S.N. entre la déclaration de culpabilité, effacée par le pardon et visée par l'article 18.2 de la Charte, et les faits ayant entraîné cette déclaration de culpabilité, qui subsistent après le pardon et échappent au champ d'application de l'article 18.2.
[129] L'article 18.2 de la Charte n'impose pas à un employeur d'engager une personne dont les agissements criminels passés révèlent des traits de caractère incompatibles avec l'emploi recherché, même s'il en a obtenu le pardon.
[130] Encore faut-il, cependant, que ces traits de caractère transparaissent des actes commis par cette personne et qu'ils ne lui soient pas simplement imputés sur la base de préjugés ou de stéréotypes découlant de la présence d'un casier judiciaire. L'article 18.2 de la Charte impose ainsi à l'employeur le fardeau de « prouver que [s]a décision ne repose pas uniquement sur les stigmates liés à la déclaration de culpabilité »[76].
[131] Le Tribunal est conscient que l'interprétation qu'il donne à l'article 18.2 fait en sorte que la protection offerte par cette disposition est, somme toute, limitée. Dans les circonstances, cependant, elle lui semble être la seule qui respecte la structure de la Charte et les enseignements de la Cour suprême. Seule une intervention du législateur permettrait de conférer une portée plus large à la protection contre la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires.
[132] Le Tribunal conclut donc que la portée de la protection offerte par l'article 18.2 est la même que le pardon ait été obtenu en vertu de la Loi sur le casier judiciaire ou de la Loi sur les jeunes contrevenants.
2. L'application de l'article 18.2 de la Charte aux faits de l'espèce
[133] Lorsqu'une personne a obtenu un pardon, il faut présumer qu'elle a « recouvré complètement son intégrité morale »[77]. Autrement dit, une déclaration de culpabilité ne devrait « plus ternir la réputation de la personne après sa réhabilitation »[78]. L'article 18.2 a précisément pour but « d'obliger l'employeur à présumer qu'un candidat réhabilité (…) n'a pas une mauvaise réputation ou une intégrité douteuse du seul fait de sa déclaration de culpabilité » [79].
[134] En certaines circonstances, un employeur peut être en droit d'exiger que ses employés satisfassent un critère de bonnes mœurs. Dans le cas des policiers, cette exigence est prévue par la Loi de police et le Règlement sur les normes d'embauche des agents et cadets de la Sûreté du Québec et des corps de police municipaux. Pour être conforme à l'article 18.2 de la Charte, un employeur ne peut inférer qu'un candidat n'est pas de bonnes mœurs de la seule existence d'antécédents judiciaires ayant fait l'objet d'un pardon. La Cour suprême décrit le fardeau qui incombe à l'employeur :
Un employeur peut établir qu’un candidat n’a pas été retenu ou qu’un employé a été congédié parce que l’intéressé n’était pas de « bonnes mœurs ». Une telle défense […] ne peut être invoquée si la décision repose sur la seule existence d’une déclaration de culpabilité. S’il revient normalement au postulant ou à l’employé concerné de prouver les éléments qui fondent sa plainte de discrimination, dans le cas où l’employeur invoque un motif autre que celui allégué dans la plainte, il incombe alors à ce dernier de prouver que la décision ne repose pas uniquement sur les stigmates liés à la déclaration de culpabilité.[80]
[135] Ainsi pour rejeter la candidature d'une personne au motif qu'elle n'est pas de bonnes mœurs, un employeur « doit prouver qu'il est sorti du cadre de l'article 18.2 qui prohibe la discrimination du seul fait de la déclaration de culpabilité » [81] et que sa décision repose véritablement sur un motif autre que la déclaration de culpabilité[82].
[136] Dans l'arrêt S.N., la Cour suprême du Canada a conclu, à la majorité, que l'employeur ne s'était pas déchargé de ce fardeau. En l'espèce, il n'avait mené « aucune véritable enquête qui aurait permis de justifier la décision »[83] de ne pas engager la candidate. Cette dernière n'avait pas été reçue en entrevue et sa candidature avait été exclue à la suite du seul examen du dossier ayant fondé sa déclaration de culpabilité. Dans ces circonstances, la Cour suprême a jugé que cette déclaration de culpabilité constituait nécessairement le véritable motif du refus d'embauche.
[137] Quel est ici le motif essentiel de la décision de la défenderesse de ne pas retenir la candidature de J... S... au poste de cadet ?
[138] La défenderesse plaide que cette décision repose sur le passé juvénile judiciarisé de J... S..., son passé juvénile non judiciarisé, son passé adulte non judiciarisé et ses fréquentations douteuses.
[139] Pour apprécier les motifs du rejet de la candidature de J... S..., un témoignage s'avère particulièrement important : celui de M. Hubert. C'est lui qui, à l'été 1995 et à l'été 1996, a recommandé de ne pas retenir la candidature de J... S... au poste de cadet policier. Ses supérieurs, M. Garand pour l'été 1995 et Mme Vallières pour l'été 1996, ont donné suite à ses recommandations.
[140] Il a témoigné que pour devenir cadet policier, il fallait ne pas avoir d'antécédents judiciaires et ne pas avoir été impliqué de quelque façon que ce soit dans un événement violent. Le seul fait qu'une personne ait été suspectée de violence suffisait pour que sa candidature soit rejetée.
[141] Toutes les candidatures étaient étudiées suivant le même processus. D'une part, le sergent Hubert interrogeait le CRPQ pour savoir si le candidat était mentionné dans un rapport d'événement rédigé par un service de police. Le cas échéant, le sergent Hubert s'adressait au service de police concerné afin d'obtenir copie de ce rapport et il en prenait connaissance. D'autre part, il envoyait la liste des candidats à la section des renseignements policiers, à qui il demandait d’enquêter sur chacun d’entre eux ainsi que sur les membres de leur famille.
[142] Il a témoigné que les dossiers de candidature étaient d'abord classés dans l'ordre dans lequel ils avaient été reçus. Par la suite, tous les candidats mentionnés au CRPQ étaient automatiquement relégués à la fin de cette liste, indépendamment du fait que le rapport d'événement ait débouché ou non sur une déclaration de culpabilité, que la déclaration de culpabilité, s'il y a lieu, ait fait l'objet d'un pardon ou pas et que la personne ait été mineure ou majeure au moment des événements.
[143] Toujours selon son témoignage, les candidats fichés au CRPQ n'étaient pas reçus en entrevue, sauf s'ils sollicitaient une rencontre pour connaître les motifs du rejet de leur candidature.
[144] Le Tribunal est d'opinion que la façon de procéder décrite par le sergent Hubert est non conforme à l'article 18.2 de la Charte.
[145] Certes, en apparence, la démarche menée par le sergent Hubert paraît conforme aux enseignements de l'arrêt S.N. De fait, il ne se contentait pas de consulter le CRPQ; il faisait venir et étudiait les rapports d'événement et requérait une enquête de réputation pour chaque candidat. Dans les faits, cependant, le contenu des rapports d'événement et le résultat de l'enquête de réputation ne changeaient rien au sort réservé à la candidature de la personne mentionnée au CRPQ. Du seul fait que son nom apparaisse au CRPQ, le candidat voyait ses chances d'être engagé devenir presque nulles, et ce, quelles que soient les circonstances entourant l'événement rapporté au CRPQ[84]. Ainsi, dès qu'une personne était fichée dans le CRPQ, la défenderesse concluait qu'elle ne satisfaisait pas le critère de bonnes mœurs. En l'absence d'une véritable prise en compte des faits sous-jacents, cette conclusion repose sur des préjugés et contrevient à l'article 18.2 de la Charte.
[146] Ainsi, la procédure généralement appliquée par la défenderesse pour sélectionner ses cadets policiers contrevient à l'article 18.2 de la Charte. En vertu de cette disposition, la candidature d'une personne au poste de cadet policier ne devrait pas se retrouver au bas de la liste du seul fait d'être fichée au CRPQ. C'est uniquement après que les faits et les circonstances entourant les événements rapportés au CRPQ aient été étudiés que la défenderesse peut, s'il y a lieu, écarter la candidature de cette personne au motif qu'elle ne remplit pas le critère de bonnes mœurs.
[147] Le Tribunal souligne au passage que la démarche doit être la même que les événements rapportés au CRPQ aient ou non été judiciarisés. Tel que mentionné précédemment, l'article 18.2 a pour but de protéger l'employé (ou l'aspirant employé) qui a obtenu un pardon « contre les stigmates sociaux injustifiés découlant d’une condamnation antérieure » [85]. De l'avis du Tribunal, la protection contre les stigmates sociaux injustifiés doit bénéficier, à plus forte raison, à la personne qui a été suspectée ou inculpée d'une infraction, mais qui n'en a pas été trouvée coupable.
[148] Qu'en est-il du processus ayant mené plus spécifiquement au rejet de la candidature de J... S... ?
[149] Bien qu'il estime que le processus général de classement des candidatures au poste de cadets policiers soit entaché de discrimination, le Tribunal considère qu'il n'en a résulté aucun préjudice pour J... S... Dans son cas, les circonstances sont telles qu'au moment où elle a rejeté sa candidature pour l'été 1996, la défenderesse avait connaissance d'un ensemble de faits lui permettant de conclure que J... S... n'était pas de bonnes mœurs. L'ensemble de ces considérations factuelles constitue la cause véritable du rejet de sa candidature au poste de cadet policier.
[150] Lorsque J... S... a posé pour la première fois sa candidature au poste de cadet policier en 1994, le sergent Hubert a pris connaissance de sa fiche au CRPQ et des rapports de police associés aux évènements rapportés au CRPQ. C'est ainsi qu'il a appris l'existence des antécédents judiciaires juvéniles de J... S... Il ressort du rapport d'enquête de M. Hubert que la consultation du CRPQ lui a aussi appris que J... S... avait été suspecté d'agression sexuelle à l'âge de 16 ans et qu'il avait été suspect et prévenu de voies de fait sur la personne de sa mère alors qu'il était âgé de 19 ans. Le contenu de son rapport d'enquête et son témoignage lors de l'audience révèlent qu'il a pris connaissance des circonstances entourant ces événements. Commentant le fait que J... S... ait été suspecté d'agression sexuelle, le sergent Hubert précise dans son rapport « qu'il y a assez d'éléments mentionnés au rapport pour s'interroger sur les bonnes mœurs du candidat ».
[151] Selon la procédure habituellement suivie par la défenderesse, l'analyse du dossier de J... S... aurait pris fin après la consultation du CRPQ et des dossiers de police associés aux événements qui y sont rapportés. Cependant, tel n'est pas ce qui s'est produit en l'espèce. Le sergent Hubert a rencontré un policier de la section des renseignements policiers qui lui aurait dit détenir des informations selon lesquelles J... S... entretenait des liens avec des membres de gangs de rue. Ce policier lui aurait demandé de ne pas mentionner ces renseignements dans son rapport. Le sergent Hubert n'y a vu aucun inconvénient puisqu'il détenait déjà, dit-il, suffisamment d'informations pour rejeter la candidature de J... S... Autrement, il aurait fait faire une enquête approfondie pour vérifier le bien-fondé des informations obtenues auprès de la section du renseignement.
[152] La défenderesse s'est opposée à ce que le contenu de la discussion entre le sergent Hubert et son collègue de la section des renseignements policiers soit admis en preuve. Cette objection a été prise sous réserve. Indépendamment du contenu de la discussion, le Tribunal retient que le sergent Hubert s'est déplacé pour rencontrer un collègue de la section du renseignement et obtenir des informations au sujet de J... S... Il retient également que cette rencontre a eu lieu à la demande de la section du renseignement et qu'il s'agit d'une démarche inhabituelle puisque le résultat des enquêtes de réputation était généralement transmis au sergent Hubert par courrier interne.
[153] Le Tribunal souligne que le témoignage du sergent Hubert au sujet de cette rencontre est, par ailleurs, confirmé en partie et complété par celui du sergent Pierre Marotte, de la section du renseignement, qui était affecté au dossier des gangs de rue à l'époque où J... S... a posé sa candidature à titre de cadet policier. Le sergent Marotte a témoigné avoir avisé son collègue M. Delongchamp, à qui était confiée la tâche de procéder aux enquêtes de réputation concernant les aspirants cadets policiers, du fait que la défenderesse ne pouvait engager J... S... parce que des enquêtes policières et des fiches d'interpellation rédigées par des patrouilleurs donnaient à penser qu'il entretenait des relations avec des membres de gangs de rue. Il a témoigné qu'en engageant J... S..., le service de police aurait couru le risque d'être infiltré par des gangs de rue. C'est sur la base des informations que M. Marotte lui avait fournies que M. Delongchamp a convoqué le sergent Hubert pour lui dire de rejeter la candidature de J... S...
[154] D'autre part, J... S... a été reçu en entrevue par le sergent Hubert. Dans son témoignage, J... S... a dit avoir été convoqué à cette entrevue. Le sergent Hubert a pour sa part témoigné avoir accepté de recevoir J... S... après que ce dernier se soit présenté à son bureau de sa propre initiative. L'entretien a duré entre 15 et 30 minutes. Pendant l'entretien, J... S... a reconnu avoir été condamné à quatre reprises pour voies de fait et à deux reprises pour port d'arme. Il a cependant informé M. Hubert du fait qu'il avait obtenu un jugement en vertu duquel ces infractions juvéniles devaient être effacées du CRPQ. J... S... n'a, par ailleurs, pas mentionné les plaintes pour agression sexuelle et pour voies de fait sur sa mère dont il avait fait l'objet, avant que celles-ci soient toutes deux retirées.
[155] À l'occasion de cette entrevue, le sergent Hubert s'est fait son idée de l'aspirant cadet. Ce dernier lui est apparu énervé, impatient, nerveux, impoli et réticent à aborder certains sujets.
[156] À la suite de l'entretien, le sergent Hubert a consulté son supérieur, M. Garand, pour savoir s'il devait ou non tenir compte des antécédents juvéniles de J... S... pour rendre sa décision. Il n'a finalement reçu aucune directive particulière à ce sujet. On lui a simplement dit de ne pas retenir la candidature de J... S... Dans l'intervalle, cependant, le sergent Hubert s'est questionné sur la conduite à tenir dans l'éventualité où on lui dirait de ne pas prendre en considération les antécédents juvéniles de J... S... Il ressort clairement de son témoignage qu'il aurait néanmoins recommandé de ne pas retenir la candidature de J... S... en raison de l'événement de violence familiale dans lequel il avait été impliqué à l'âge adulte. Le contenu de son rapport d'enquête est au même effet. Dans ce rapport, M. Hubert insiste tout particulièrement sur les circonstances de cet événement :
Dans l'événement 55-900921-050, le candidat, âgé de 19 ans, a été suspect et prévenu de voies de fait sur la personne de sa mère. Cette dernière, dans une déclaration de témoin signée, répond « non » à la question : « Est-ce la première fois que vous êtes victime de violence familiale de la part de cette personne ? » Et à la question : « Désirez-vous ajouter d'autres commentaires à cette déclaration ? », la plaignante a répondu : « Oui, j'ai peur qu'il retourne à la maison pour ne pas recommencer à me bousculer et me faire des menaces. » La plainte fut retirée le 90-10-09, cause entendue par le juge J. Massé.
[157] L'on peut certes reprocher à la défenderesse d'avoir classé le dossier de candidature de J... S... en bas de la liste sur la seule base du CRPQ. Force est de constater cependant que la candidature de J... S... a par la suite fait l'objet d'une attention particulière et qu'au moment où la défenderesse a informé J... S... de sa décision de ne pas lui accorder un poste de cadet policier pour l'été 1995, elle avait connaissance de faits lui permettant de conclure que ce dernier n'était pas de bonnes mœurs.
[158] Dans l'arrêt S.N., la Cour suprême du Canada a expliqué que les faits ayant entraîné une déclaration de culpabilité dont le candidat a ensuite obtenu le pardon n'ont « pas à être exclus de l'examen de [s]a candidature », mais ne peuvent « constituer l'unique motif pour l'exclure » [86]. Dans cette affaire, le SPCUM n'avait mené « aucune véritable enquête qui aurait permis de justifier la décision »[87] de ne pas embaucher la candidate.
[159] En l'espèce, cependant, le Tribunal considère que le sergent Hubert s'est, somme toute, livré à une enquête suffisante dans les circonstances.
[160] Cette conclusion vaut aussi en ce qui concerne la candidature de J... S... pour l'été 1996, objet du présent litige. Lorsque J... S... a posé sa candidature pour une deuxième fois en 1995, le sergent Hubert se souvenait de ses démarches précédentes et des informations qu'il avait obtenues. Il n'a pas conclu à la nécessité de procéder à une nouvelle étude du dossier. Cette fois, la demande de J... S... n'a pas fait l'objet d'un premier classement défavorable sur la base des seules informations consignées au CRPQ. C'est à la lumière de l'ensemble des circonstances qu'elle a été écartée.
[161] Sans se prononcer sur la valeur légale de ce document, le Tribunal note qu'en vertu de la lettre signée par Me Asselin en date du 20 avril 1995, J... S... pouvait légitimement s'attendre à ce que ses antécédents juvéniles n'apparaissent pas au CRPQ au moment où il a déposé sa candidature au poste de cadet policier pour l'été 1996. Cependant, quand bien même le sergent Hubert aurait à nouveau consulté le CRPQ et constaté l'absence de mention des antécédents judiciaires juvéniles de J... S..., cela n'aurait rien changé à la situation. Le passé non judiciarisé de J... S... et les renseignements policiers le concernant auraient conduit au rejet de sa candidature.
[162] Le Tribunal souligne en terminant qu'il n'a pas compétence pour substituer son appréciation du critère de bonnes mœurs à celle de la défenderesse. Dans le présent litige, son rôle consiste plutôt à juger si la défenderesse a rejeté la candidature de J... S... sur la base de préjugés découlant du seul fait qu'il avait été trouvé coupable d'infractions pour lesquelles il avait obtenu un pardon.
[163] Compte tenu de la conclusion qui précède, le Tribunal juge que le plaignant n'a pas droit aux dommages matériels et moraux réclamés en sa faveur par la Commission.
[164] Le Tribunal considère, par ailleurs, que le comportement de la défenderesse n'est pas de nature à justifier une condamnation au paiement de dommages punitifs.
[165] Il lui recommande par ailleurs de revoir son processus d'évaluation des candidatures au poste de cadet policier de façon à ce qu'aucune différence de traitement défavorable ne résulte de la seule prise en compte du contenu du CRPQ.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[166] REJETTE la demande;
[167] LE TOUT, sans frais.
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__________________________________ Jean-Paul Braun, Juge au Tribunal des droits de la personne |
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Me Pierre-Yves Bourdeau |
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Boies Drapeau Bourdeau 360, rue St-Jacques ouest, 2ème étage Montréal, H2Y 1P5 |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Régis Nivoix |
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Doyon Izzi Nivoix 6455, rue Jean-Talon Est, suite 501 Montréal (Québec) H1S 3E8 |
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Pour la partie victime |
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Me Pierre-Yves Boisvert |
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Charest Gagnier Biron Dagenais 775, rue Gosford, 4ème étage Montréal (Québec) H2Y 3B9 |
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Pour la partie défenderesse
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[1] L.R.Q. c. C-12.
[2] Pièce P-3.
[3] J.S., lors de son témoignage, cite un extrait de la pièce P-11 déposée en preuve, dans laquelle le sergent Hubert relate le contenu de l’entretien du 7 novembre 1994. J.S. mentionne que cet extrait est conforme à la teneur de leur discussion.
[4] Pièce P-11 : Document du SPCUM, signé par le sergent Hubert, et intitulé Embauche des cadets policiers, Enquête de réputation, Rapport d’enquête type.
[5] Supra, note 4.
[6] Extrait de la pièce P-4.
[7] Lors de son témoignage, J.S. affirme que cette liste est la même que celle apparaissant au troisième paragraphe de la pièce P-3a, déposée en preuve.
[8] L.R.Q., c. C-24.1.
[9] Pièce P-5.
[10] Pièce P-6.
[11] Pièce D-18.
[12] Pièce P-7.
[13] Pièce P-8.
[14] Pièce P-9.
[15] En 2002, suite à la fusion des municipalités de l'île de Montréal, l'organisme le Service de police de la Communauté urbaine de Montréal (SPCUM) devient le Service de police de la Ville de Montréal (ci-après cité le «SPVM»).
[16] Pièce P-3a.
[17] Id.
[18] L.R.C. 1985, c. Y-1.
[19] L.R.Q., c. P-13, art. 3.
[20] Pièce P-3a.
[21] Pièce P-11.
[22] Pièce P-12.
[23] Pièce P-7.
[24] Pièce P-8.
[25] Pièce P-5.
[26] Pièce P-6.
[27] [2001] 2 R.C.S. 3.
[28] Id., par. 140.
[29] Béliveau St-Jacques c. Fédération des employées et employés de services publics Inc., [1996] 2 R.C.S. 345, par. 42.
[30] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Maksteel Québec inc., [2003] 3 R.C.S. 228, par. 73 (j. Bastarache) (ci-après-cité « Maksteel »).
[31] Id., par. 27.
[32] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Montréal (Ville); Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Boisbriand (Ville), [2000] 1 R.C.S. 665, par. 27 et suiv. (ci-après cité « Boisbriand »); En ce qui concerne plus précisément l'article 18.2 de la Charte, voir l'arrêt École nationale de police du Québec c. Robert, 2009 QCCA 1557.
[33] Boisbriand, id., par. 32.
[34] New Brunswick (Human Rights Commission) c. Potash Corporation of Saskatchewan Inc., [2008] 2 R.C.S. 604, par. 68; Voir aussi : Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 R.C.S. 571.
[35] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Maksteel, [1997] R.J.Q. 2891 (T.D.P.).
[36] Rés. 217 A (III), Doc. Off. A.G. N.U., 3e sess., suppl. n° 13, o. 17, Doc. N.U. A/810, p. 7 (10 décembre 1948).
[37] 16 décembre 1966, 993 R.T.N.U. 13 (ratifiée par le Canada le 10 décembre 1981 et par le Québec le 20 octobre 1981).
[38] 25 juin 1958, 362 R.T.N.U. 31(ratifiée par le Canada le 26 novembre 1964).
[39] 20 novembre 1989, 1577 R.T.N.U. 3 (ratifiée par le Canada le 13 décembre 1991 et par le Québec le 9 décembre 1991).
[40] Pièce P-10.
[41] Fernand Morin, Jean-Yves Brière, Dominic Roux et Jean-Pierre Villaggi, Le droit de l’emploi au Québec, 4e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2010, p. 17 (par. I-12), cité par Christian Brunelle, « La discrimination fondée sur les antécédents judiciaires : le principe de l’interprétation large sous les verrous ? », (2012) 42 (no 1 et 2) R.D.U.S. 13.
[42] École nationale de police du Québec c. Robert., préc., note 32, par. 23.
[43] Id., par. 24.
[44] Id., par. 23.
[45] Mémoire de la défense, par. 56 et 59.
[46] Montréal (Ville) c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, [2008] 2 R.C.S. 698 (ci-après cité « S.N. »).
[47] R.R.Q. 1981, c. P-13, r. 14.
[48] L.R.C. 1985, c. C-46.
[49] L.R.C. 1985, c. C-47.
[50] Maksteel, préc., note 30, par. 22. Voir aussi : Therrien (Re), préc., note 27, par. 145.
[51] Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3, par. 54.
[52] Id.
[53] Id., par. 67.
[54] Maksteel, préc., note 30, par. 22.
[55] Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, 554; R. c. Brydges, [1990] 1 R.C.S. 190, 204; R. c. Crawford, [1995] 1 R.C.S. 858, 882; Syndicat Northcrest c. Amselem, [2004] 2 R.C.S. 551, par. 61; S.L. c. Commission scolaire des Chênes, [2012] 1 R.C.S. 235, par. 25.
[56] Maksteel, préc., note 30, par. 22.
[57] Id., par. 27.
[58] Id.
[59] Id., par. 21.
[60] Id., par. 31.
[61] Id., par. 35.
[62] Id., par. 49.
[63] Id., par. 48 et 49.
[64] Notons que le législateur a sanctionné le 16 juin 2000 une nouvelle Loi sur la police (L.Q. 2000, c. 12) dans laquelle il prévoit les conditions minimales d'embauche (article 115).
[65] S.N., préc., note 46, par. 34 .
[66] Id., par. 26.
[67] Id.
[68] Id., par. 29.
[69] Id., par. 20 et 24.
[70] Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents, L.C. 2002, c. 1.
[71] Therrien (Re), préc., note 27, par. 121.
[72] Edmonton Journal c. Alberta (Procureur général), [1989] 2 R.C.S. 1326, 1355.
[73] Id., 1356.
[74] S.N., préc., note 46, par. 32.
[75] Id., par. 31.
[76] Id., par. 28.
[77] Id., par. 20.
[78] Id., par. 27.
[79] Id., par. 33.
[80] Id., citant Maksteel, préc., note 30 , par. 48 et 53.
[81] Id.
[82] Id., par. 34.
[83] Id, par. 37.
[84] Par analogie, voir : Commission scolaire de Montréal c. Alliance des professeures et professeurs de Montréal, 2008 QCCA 995.
[85] Maksteel, préc., note 30, note , par. 27.
[86] S.N., préc., note 46, par. 37.
[87] Id.
AVIS :
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