[1] LA COUR, statuant sur le pourvoi contre un jugement de la Cour supérieure, district de Montréal, prononcé le 27 juillet 1998 par l'honorable Jeannine M. Rousseau, qui a rejeté une action intentée par Pierre W. Kilzi en annulation d'un règlement adopté par le Syndicat des co-propriétaires.
[2] Après étude du dossier, audition et délibéré;
[3] Pour les motifs exposés dans l'opinion des juges Forget et Rochon, déposée avec le présent arrêt, auquel souscrit la juge Otis;
[4] ACCUEILLE le pourvoi en partie sans frais;
[5] CASSE le jugement entrepris;
[6] Et procédant comme en première instance;
[7] ANNULE les articles 5 et 6 du Règlement sur les locations, adopté en avril 1994, par le Syndicat des co-propriétaires;
[8] Le tout avec dépens.
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Opinion des juges FORGET et ROCHON |
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[9] Jusqu'à quel point un syndicat peut-il limiter les droits d'un copropriétaire de louer son appartement?[1]
[10] En première instance, Pierre W. Kilzi a tenté sans succès de faire annuler un règlement, adopté par le syndicat, qui limite son droit de louer ses appartements; il se pourvoit.
LES CIRCONSTANCES DE L'AFFAIRE
[11] Château Port-Royal a été construit en 1977-1978, à titre d'immeuble locatif résidentiel.
[12] En 1982, Château Port-Royal a été transformé en une copropriété comportant 132 unités privatives à usage résidentiel. L'acte de copropriété a été reçu devant Me Stewart M. Millowitz, notaire, le 9 juillet 1982 et enregistré le 12 juillet 1982, au bureau d'enregistrement de Montréal.
[13] Pierre W. Kilzi, son épouse, sa fille et une société sous son contrôle (le groupe Kilzi)[2], sont propriétaires de huit appartements acquis aux dates suivantes:
13.1. # 812: Pierre W. Kilzi, 17 septembre 1990;
13.2. # 714: 2854-8022 Québec Inc., 2 avril 1991;
13.3. # 510: Alia Kilzi, fille de Pierre W. Kilzi, 21 mai 1991;
13.4. # 214: 2854-8022 Québec Inc., 18 décembre 1991;
13.5. # 705: Pierre W. Kilzi, 21 mai 1992;
13.6. # 209: Nadia Zakar, épouse de Pierre W. Kilzi, 25 juin 1992;
13.7. # 706: 2854-8022 Québec Inc., 2 novembre 1993;
13.8. # 504: Pierre W. Kilzi, 15 décembre 1993.
[14] Kilzi occupe avec sa famille l'appartement 812 et, il va sans dire, les autres appartements sont loués.
[15] De façon générale, le groupe Kilzi tente de louer ses appartements pour des périodes d'une année, mais lorsque cela n'est pas possible, il accepte de le faire pour des périodes plus courtes.
[16] La juge de première instance fait état du relevé suivant de ces locations:
Si l'on intègre les données de divers documents,c'est-à-dire l'annexe à la lettre de monsieur Kilzi du 4 avril 1994 (D-12), qui analyse les locations passées, et la liste des locations après avril 1994 préparée par le Syndicat (D-15), il en ressort que trois seulement des huit unités n'ont été occupées qu'à long terme:
- le 812, par la famille Kilzi;
- le 510, par deux locataires successifs, de 1991 à 1995 et depuis 1996;
- le 504, par un locataire, depuis 1994;
les cinq autres unités ont toutes eu des locations à court terme:
- le 714, acheté en mars 1991
pendant les deux premières années, i.e. jusqu'en septembre 1993, deux personnes s'y ont succédées (12 mois et 19 mois);
par la suite, cependant, il y a eu de brèves périodes d'occupation par des personnes différentes;
- 3 mois: octobre, novembre et décembre 1993;
- 6 mois: de janvier à juin 1994;
- 3 mois: juillet, août et septembre 1994;
ensuite, on revient à des occupations d'un an et plus;
- le 214, acheté en novembre 1991
il y a eu une première occupation de 14 mois, de mai 1992 à juin 1993, suivie d'un bail de 14 mois auquel on a mis fin prématurément, le locataire ayant du quitter le pays après deux mois;
ensuite, on retrouve une occupation de quatre mois, de mars à juin 1994, suivie d'une occupation à long terme, depuis juillet 1994;
- le 209, acheté en mars 1992
le locataire occupant les lieux au moment de l'achat est resté jusqu'en juin 1994; il a été suivi par deux occupants à court terme:
- 2 mois: juillet et août 1994;
- 1 mois: septembre 1994;
ensuite, on revient à une occupation à long terme, i.e. depuis octobre 1994;
- le 705, acheté en septembre 1992
il n'y a là que des occupations brèves pendant deux ans:
- 4 mois: septembre, octobre, novembre et décembre 1992;
- 3 mois: janvier, février et mars 1993;
- 3 mois: avril et mai 1993;
- 3 mois: juillet, août et septembre 1993;
- 1 mois: octobre 1993;
- 2 mois: novembre et décembre 1993;
- 4 mois: février, mars, avril et mai 1994;
- 4 mois: juin, juillet, août et septembre 1994;
- 1¼ mois: mi-octobre à mi-novembre 1994;
en décembre 1994, survient une location d'un an; la preuve ne révèle pas la situation depuis décembre 1995;
- le 706, acheté en novembre 1993
on n'y retrouve que des brèves occupations:
- 2 mois: juin et juillet 1994;
- 2 mois: août et septembre 1994;
- 7 mois: octobre, novembre et décembre 1994, janvier, février, mars et avril 1995;
- 6 mois: de juin à novembre 1995;
- 3 mois: janvier et février 1996.
De plus, certaines de ces unités ont été ou sont meublées et ont été ou sont louées meublées: voir, entre autres, la lettre de monsieur Kilzi du 10 février 1995 (D-13), à la page 2: le 209, le 705, le 706 et le 714.
D'ailleurs, au mois d'août 1994, monsieur Kilzi faisait paraître une annonce explicite dans La Presse:
«À AHUNTSIC, Acadie 10400, luxueux condos, 3½ à 5½ avec ou sans meubles; si payé d'avance 5/6 ou 9/12 mois. 381-5678, 956-8805.»
(D-6, huit parutions, du 20 au 27 août 1994);
les numéros de téléphone sont ceux de monsieur Kilzi à son bureau et à sa résidence.
Les données qui précèdent sont tirées de pièces, préparées par l'une ou l'autre des parties.
[17] Avant même les achats par le groupe Kilzi, un certain nombre d'appartements étaient loués; les activités du groupe Kilzi ont toutefois accentué le taux de location ainsi qu'en fait état le jugement de première instance:
La preuve établit un glissement vers le haut du nombre d'unités louées au cours des années:
avant les achats du groupe Kilzi, qui commencent en septembre 1990, 29 unités étaient louées, c'est-à-dire 22% (P-6);
après le dernier de ses huit achats en novembre 1993, il y en avait 37, c'est-à-dire 28% (P-6).
De plus, et c'est là le fait qui multiplie l'effet des locations, il faut tenir compte du fait des locations à court terme (D-15) et, en plus, les occupations d'un mois ou moins par des amis ou des membres de la famille, occupations non rapportées au Syndicat, analysées ci-haut à la rubrique «Les activités locatives du groupe Kilzi».
Bref, les prétentions de monsieur Kilzi quant à la stabilité de la répartition entre copropriétaires et locataires ne sont pas fondées.
[18] Plusieurs copropriétaires étaient mécontents des activités de location du groupe Kilzi y voyant une menace à la tranquilité des lieux et, par voie de conséquence, une diminution de la valeur de leur appartement.
[19] Après deux tentatives infructueuses[3], le syndicat a adopté, en avril 1994, un règlement «taillé sur mesure»[4] pour le groupe Kilzi.
LE RÈGLEMENT SUR LES LOCATIONS[5]
VU la destination "d'habitation résidentielle" prévue à l'acte constitutif de l'immeuble et que cette destination et le caractère de l'immeuble sont et ont toujours été celle "d'habitation résidentielle" exercée pour de longues périodes de temps presque exclusivement par les copropriétaires personnellement ou des membres de leur famille, résultant en une grande stabilité du voisinage que constitue l'immeuble, ladite destination et ledit caractère étant spécifiquement recherché des copropriétaires;
VU que cette destination interdit l'usage de l'immeuble ou des parties privatives de l'immeuble à des fins "d'exercice d'aucun commerce ou entreprise commerciale", tel que prévu spécifiquement à l'acte constitutif de l'immeuble;
VU que la location répétée et pour de courts termes de parties privatives de l'immeuble constitue un commerce;
VU que l'acquisition de plusieurs parties privatives par des personnes morales de droit privé (des "compagnies") à but lucratif dans un but de location constitue un commerce;
VU que l'utilisation de parties privatives pour le commerce de la location réduit la valeur de l'immeuble et de ses parties privatives tel qu'il appert de l'importante différence entre les évaluations municipales de l'immeuble et de son jumeau similaire, le 10 500 De L'Acadie, qui a une vocation de commerce de location;
VU les obligations prévues dans la déclaration de copropriété concernant la location des parties privatives;
VU l'article 1057 du Code Civil du Québec qui prévoit la façon de rendre les règlements de l'immeuble opposables à un locataire et les articles 1057 et 1079 qui permettent au syndicat d'exercer directement des recours contre un locataire dans certains cas;
VU qu'il peut être nécessaire pour les administrateurs d'entrer en contact rapidement avec les locataires, à titre d'occupant ou pour fin d'avis, et que les administrateurs ne possèdent pas sur ceux-ci l'information requise contrairement au cas des copropriétaires;
VU l'article 1070 du Code Civil du Québec qui oblige le syndicat à tenir un régistre des copropriétaires et des locataires;
VU qu'il y a lieu de doter les administrateurs des moyens nécessaires afin de donner effet aux droits et obligations du syndicat quant aux locataires lorsque requis et de les doter, pour fins de plus grande précision et pour éviter les litiges, de critères objectifs leur permettant de déterminer, au minimum, ce qui constitue l'exercice d'un commerce par opposition à l'usage permis du droit de location que peut posséder un copropriétaire au terme de l'acte constitutif de l'immeuble;
EN CONSÉQUENCE, IL EST RESOLU D'ADOPTER LE PRESENT REGLEMENT:
1- Le préambule du présent règlement en fait partie et sert à l'interpréter;
2- Dans le présent règlement, à moins que le contexte n'indique un sens différent, "court terme" signifie un terme inférieur à douze mois;
3- La location d'une partie privative pour un court terme constitue l'exercice d'un commerce et est interdite;
4- Malgré les articles 2 et 3 du présent règlement, et exceptionnellement, il sera loisible à un propriétaire d'une partie privative, avec l'autorisation des administrateurs, qui ne pourront refuser cette autorisation que s'ils ont des motifs de croire qu'il y a tentative d'exercer un commerce, de louer sa partie privative pour un court terme si, et seulement si, cette location intervient entre deux périodes d'occupation à long terme de la partie privative;
5- Il est interdit à une personne morale de droit privé (une "compagnie") à but lucratif de louer une partie privative lui appartenant sauf s'il s'agit d'une location à long terme consentie à un de ses administrateurs, dirigeants, son actionnaire majoritaire ou un actionnaire pour qui la provision d'un tel appartement aux frais de la personne morale est prévue dans une convention unanime d'actionnaires. Une telle personne morale doit fournir aux administrateurs de l'immeuble une copie de ladite convention unanime le cas échéant;
6- Aucune personne propriétaire, directement ou indirectement, de plus de trois parties privatives dans l'immeuble ne peut louer ces parties excédant la troisième sauf à long terme et à des membres de sa famille jusqu'au troisièmedegré. Tout administrateur peut exiger une preuve de ce lien de parenté. Toutefois, les parties privatives détenues à la date de l'adoption du présent règlement pourront être louées sans obligation de lien familial. Nonobstant l'article 5, une personne propriétaire pourra choisir d'exercer son droit de propriété des trois parties privatives par l'entremise d'une personne morale de droit privé à but lucratif dont elle, ou elle et les membres de sa famille immédiate, détient la majorité des actions;
7- Tout bail conclu entre un copropriétaire et un locataire doit inclure les clauses suivantes;
[…]
8- Pour assurer l'application du présent règlement, tout copropriétaire qui conclut un bail avec un locataire doit en remettre une copie aux administrateurs au plus tard deux jours ouvrables après sa signature;
[…]
13- La nullité ou la non-applicabilité d'un des articles du présent règlement n'invalide pas le présent règlement dont les autres articles conservent alors leur plein effet.
[20] Ce règlement entrave les activités du groupe Kilzi à trois titres:
20.1. Aucune location de moins d'un an ne sera permise (sauf circonstances particulières et permission plus ou moins discrétionnaire des administrateurs du syndicat);
20.2. Des restrictions importantes s'appliquent à toute location pour les appartements en excédant des trois premiers dans le cas d'un propriétaire qui possède plus de trois unités (la location est alors permise uniquement à des membres de la famille proche);
20.3. Une société ne peut louer ses appartements à des tiers.
L'ACTE DE COPROPRIÉTÉ
[21] L'acte de copropriété dans ses dispositions préliminaires mentionne:
«et, de plus, il est de l'intention du déclarant de faire en sorte que la destination de l'immeuble en soit une d'habitation résidentielle»
[22] Le même acte précise que les unités de logement ne pourront servir à des fins commerciales, sauf les «appartements-témoins» pour les fins de la vente par le promoteur:
Chacun des copropriétaires individuels d'une partie exclusive (unité de logement) aura le droit de jouir comme bon lui semblera, de la partie exclusive à condition qu'il ne nuise pas aux droits des autres copropriétaires et qu'il ne fasse rien qui pourrait compromettre la destination du projet, et, particulièrement, mais sans limiter la généralité de ce qui précède, qu'il occupe et se prévale de sa partie exclusive (unité de logement) en conformité aux restrictions et stipulations suivantes, savoir:-
i) Les parties exclusives (unités de logement) ne serviront à l'exercice d'aucun commerce ou entreprise commerciale; cependant ce qui précède n'aura pas pour effet la prohibition au déclarant ou à son représentant de maintenir des parties exclusives comme modèles pour fins de démonstration et de vente et de maintenir les étalages et enseignes et de se prévaloir de tels droits de telle manière à ce que de la seule opinion du déclarant ou de son représentant, elles soient raisonnablement employées pour fins de vente et de louage et, de plus, sans limiter la généralité de ce qui précède, de maintenir un bureau dans ladite bâtisse le tout jusqu'à ce que toutes les parties exclusives soient vendues par le déclarant.
[23] L'acte de copropriété réfère expressément à la location des parties privatives:
xiii) Le propriétaire de chaque partie exclusive exigera des résidents, locataires, visiteurs, employés et autres personnes sous sa responsabilité qu'ils respectent les exigences de la loi, de la présente déclaration et des règlements et ordonnances. (je souligne)
[…]
xv) Aucun propriétaire ne louera son unité à un locataire, sauf si ce locataire signe un engagement à l'effet suivant, savoir:-
"Je, soussigné, garantie que moi-même, en ma qualité de locataire ainsi que toute personne résidant avec moi et mes invités éventuels respecterai les dispositions de la loi de la déclaration de copropriété, y compris les règlements et les ordonnances et tout autre règlement et instructions des Administrateurs et cela pour toute la durée du bail de la partie exclusive et des parties communes que j'ai louées."
Tout propriétaire qui loue son unité ne sera pas libéré par l'engagement ci-dessus écrit du locataire, d'aucune de ses obligations relatives à l'unité et il en sera tenu responsable conjointement et solidairement avec son locataire.
[24] L'acte de copropriété énumère les pouvoirs des administrateurs, notamment les suivants:
xiii) Adopter des règlements et lois quant au fonctionnement et usage de la bâtisse en toute matière où des règlements et des lois s'avèrent nécessaires et n'ont pas été adoptés antérieurement par les copropriétaires ces règlements et ces lois devront demeurer en vigueur jusqu'à révocation ou amendement, par vote majoritaire des copropriétaires.
[25] Enfin, l'acte de copropriété contient des dispositions quant à la majorité requise pour toutes les décisions concernant la gestion de la copropriété:
Les décisions, sauf celles ci-après énumérées, devront être prises par vote majoritaire des copropriétaires et/ou des créanciers hypothécaires ayant droit de vote, présents ou représentés à l'assemblée. Les décisions dûment adoptées seront exécutoires pour tous les copropriétaires, même les opposants et ceux qui n'étaient pas représentés à l'assemblée.
Ne pourront être prises qu'à la suite du vote d'au moins la moitié des copropriétaires ou de leurs mandataires, représentant au moins trois-quart des votes, les décisions concernant:
i) Les actes d'acquisition d'immeubles et ceux d'aliénation partielle des parties communes;
ii) La modification de la Déclaration de Copropriété ou du plan qui l'accompagne;
iii) Les travaux se rapportant aux transformations, agrandissement ou améliorations des parties communes et la répartition du coût de ces travaux;
iv) La reconstruction ou les réparations en cas de sinistre; sujet aux dispositions ci-après établies à la Section XV dite DOMMAGES et à la Section XVI dite CESSATION tel que ci-après prévu;
v) Les actes d'aliénation ou d'acquisition des parties exclusives dans le cas prévu par l'Article 441x du Code Civil de la Province de Québec.
Nonobstant le paragraphe précédent, une assemblée de copropriétaires ne pourra pas imposer à un copropriétaire, à l'encontre de la Déclaration de Copropriété, une modification à la valeur relative à son unité, à la destination des parties exclusives de son unité ou l'usage qu'il pourra en faire.
Les copropriétaires ne pourront directement ou indirectement changer la destination de l'immeuble sauf par un vote unanime. Ils ne pourront pas, sauf par un vote unanime, décider d'aliéner des parties communes dont la conservation est nécessaire à la destination de l'immeuble. (je souligne)
LA LOI
[26] Au moment où la déclaration de copropriété a été signée et enregistrée, le Code civil du Bas-Canada était en vigueur. Lors de l'adoption du Règlement sur les locations, le Code civil du Québec était en vigueur. Il faut donc tenir compte des dispositions pertinentes des deux codes ainsi que des dispositions transitoires de la Loi sur l'application de la réforme du Code civil[6]:
Code civil du Bas-Canada
Art. 441h. Chaque copropriétaire dispose des parties exclusives comprises dans sa fraction; il use et jouit librement des parties exclusives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.
Art. 441l. La déclaration de copropriété définit la destination de l'immeuble et de ses parties exclusives et communes dont elle donne une description détaillée; elle détermine la valeur relative de chaque fraction, eu égard à la nature, à la superficie et à la situation de la partie exclusive qu'elle comprend, mais sans tenir compte de son utilisation et, sous réserve des dispositions du présent chapitre, précise les conditions de jouissance des parties communes et d'utilisation des parties exclusives et édicte les règles relatives à l'administration des parties communes.
[…]
Art. 441o. La déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui seraient justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation.
Code civil du Québec
Art. 1052. La déclaration de copropriété comprend l'acte constitutif de copropriété, le règlement de l'immeuble et l'état descriptif des fractions.
Art. 1053. L'acte constitutif de copropriété définit la destination de l'immeuble, des parties privatives et des parties communes.
Il détermine également la valeur relative de chaque fraction et indique la méthode suivie pour l'établir, la quote-part des charges et le nombre de voix attachées à chaque fraction et prévoit toute autre convention relative à l'immeuble ou à ses parties privatives ou communes. Il précise aussi les pouvoirs et devoirs respectifs du conseil d'administration du syndicat et de l'assemblée des copropriétaires.
Art. 1054. Le règlement de l'immeuble contient les règles relatives à la jouissance, à l'usage et à l'entretien des parties privatives et communes, ainsi que celles relatives au fonctionnement et à l'administration de la copropriété.
Le règlement porte également sur la procédure de cotisation et de recouvrement des contributions aux charges communes.
Art. 1056. La déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits de copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation.
Art. 1057. Le règlement de l'immeuble est opposable au locataire ou à l'occupant d'une partie privative, des qu'un exemplaire du règlement ou des modifications qui lui sont apportées lui est remis par le copropriétaire ou, à défaut, par le syndicat.
Art. 1063. Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l'immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble.
Art. 1065. Le copropriétaire qui loue sa partie privative doit le notifier au syndicat et indiquer le nom du locataire.
Art. 1070. Le syndicat tient à la disposition des copropriétaires un registre contenant le nom et l'adresse de chaque copropriétaire et de chaque locataire, […]
Art. 1096. Les décisions du syndicat sont prises à la majorité des voix des copropriétaires présents ou représentés à l'assemblée, y compris celles visant à corriger une erreur matérielle dans la déclaration de copropriété.
Art. 1098. Sont prises à la majorité des trois quarts des copropriétaires, représentant 90 p. 100 des voix de tous les copropriétaires, les décisions:
1° Qui changent la destination de l'immeuble;
2° Qui autorisent l'aliénation des parties communes dont la conservation est nécessaire au maintien de la destination de l'immeuble;
3° Qui modifient la déclaration de la copropriété pour permettre la détention d'une fraction par plusieurs personnes ayant un droit de jouissance périodique et successif.
Art. 1101. Est réputée non écrite toute stipulation de la déclaration de copropriété qui modifie le nombre de voix requis pour prendre une décision prévue par le présent chapitre.
Art. 1102. Est sans effet toute décision du syndicat qui, à l'encontre de la déclaration de copropriété, impose au copropriétaire une modification à la valeur relartive de sa fraction, à la destination de sa partie privative ou à l'usage qu'il peut en faire.
Art. 1103. Tout copropriétaire peut demander au tribunal d'annuler une décision de l'assemblée si elle est partiale, si elle a été prise dans l'intention de nuire aux copropriétaires ou au mépris de leurs droits, ou encore si une erreur s'est produite dans le calcul des voix.
L'action doit, sous peine de déchéance, être intentée dans les soixante jours de l'assemblée.
Le tribunal peut, si l'action est futile ou vexatoire, condamner le demandeur à des dommages-intérêts.
Dispositions transitoires
Art. 53. Le copropriétaire divise d'un immeuble établie avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle est régie par cette loi.
La stipulation de la déclaration de copropriété qui pose la règle de l'unanimité pour les décisions visant à changer la destination de l'immeuble est toutefois maintenue, malgré l'article 1101 du nouveau code.
[…]
Art. 54. Les clauses contenues dans les déclarations de copropriété existantes sont classées dans l'une ou l'autre des catégories visées à l'article 1052 du nouveau code, suivant ce que prévoient les articles 1053 à 1055 de ce code.
Art. 55. L'article 1057 du nouveau code est applicable au locataire dont le bail est en cours lors de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle.
JUGEMENT DE PREMIÈRE INSTANCE
[27] Pour adopter le Règlement sur les locations, le syndicat s'est appuyé essentiellement sur le caractère commercial de ces locations, ainsi qu'on peut le constater au préambule. La juge de première instance a été d'avis qu'elle pouvait disposer de cette affaire sans s'attacher au caractère commercial des activités exercées par le groupe Kilzi; elle écrit:
L'exercice d'un commerce
Le règlement sur les locations, tel que conçu et rédigé, se raccroche au concept de «commerce».
Étant donné que les buts recherchés et les mesures adoptées résistent à l'attaque du demandeur, il n'est pas nécessaire pour le Tribunal de discuter du véhicule conceptuel choisi.
[28] La juge de première instance a été d'avis que le règlement était valide puisqu'il ne modifiait pas la «destination» de l'immeuble. À cette fin, elle s'est interrogée sur les attentes des copropriétaires et «l'historique» de cet immeuble, en le comparant notamment à un immeuble locatif voisin construit à la même époque par les mêmes promoteurs.
[29] La juge de première instance a également écarté les arguments de l'appelant fondés sur la partialité, la discrimination, l'intention de nuire et l'atteinte aux droits acquis. Tout en reconnaissant que le règlement avait été adopté pour contrer les activités du groupe Kilzi, elle a été néanmoins d'avis que les administrateurs du syndicat avaient agi de bonne foi dans l'intérêt des copropriétaires, et dans le respect de la loi et des dispositions de l'acte de copropriété.
PRÉTENTIONS DE L'APPELANT
[30] Les prétentions de l'appelant sont fort simples: l'acte de copropriété ne contient aucune restriction relative à la location des parties privatives; tout au contraire, il prévoit expressément le droit de louer ses appartements et en régit les modalités.
[31] Au moment où les huit appartements ont été acquis, aucune restriction n'était imposée à la location de ces appartements.
[32] Le syndicat ne peut donc pas le priver des droits qui lui échoient par l'acte de copropriété et ses contrats d'achat.
[33] L'appelant reprend les arguments fondés sur la discrimination, l'intention de nuire et l'atteinte à ses droits acquis.
[34] Kilzi prétend également que le règlement n'a pas obtenu la majorité requise par l'acte de copropriété.
PRÉTENTIONS DE L'INTIME
[35] Selon l'intimé, l'achat de plusieurs appartements et leur location constituent une activité commerciale prohibée par l'acte de copropriété.
[36] Le syndicat était donc parfaitement justifié d'interdire ces activités commerciales.
[37] Le règlement a été adopté de bonne foi et dans l'intérêt général; il est conforme à la «destination» de la copropriété.
ANALYSE
[38] Nous l'avons déjà souligné, la juge de première instance n'a pas cru nécessaire de répondre à la principale question que soulevait le litige: la nature commerciale ou non des locations faites par le groupe Kilzi. Pourtant, toutes les interdictions - ou restrictions - imposées par le règlement découlent de ce prétendu caractère commercial des activités du groupe Kilzi, alors que la copropriété a une vocation résidentielle.
[39] L'intimé a sans doute raison de prétendre que le groupe Kilzi exerce des activités commerciales en achetant sept appartements pour en faire la location. D'ailleurs, Kilzi reconnaît qu'il s'agit de son «gagne-pain». Il n'est donc pas difficile de démontrer la nature commerciale de ces activités, au sens de l'ancien Code, ou d'affirmer qu'elles constituent l'exploitation d'une entreprise, au sens du nouveau Code. Nous croyons toutefois que cet argument relève d'un quiproquo. Il ne s'agit pas de déterminer si la détention de plusieurs appartements constitue une activité commerciale, mais plutôt d'examiner les activités à l'intérieur des appartements pour savoir si elles débouchent sur une occupation résidentielle ou commerciale.
[40] À notre avis l'acte de copropriété vise à interdire les activités commerciales à l'intérieur des appartements et non pas à empêcher qu'un «commerçant» soit propriétaire d'un appartement lorsqu'on écrit: «les parties exclusives (unités de logement) ne serviront à l'exercice d'aucun commerce ou entreprise commerciale».
[41] D'ailleurs, l'exception relative aux «appartements-témoins» durant la période de vente confirme cette interprétation.
[42] Nous n'affirmons pas que des activités de location à très court terme ne pourraient constituer une occupation commerciale si elles étaient, à titre d'exemple, assimilées à des activités d'hôtellerie.
[43] Nous sommes donc d'avis que les activités du groupe Kilzi ne peuvent être interdites pour le motif qu'elles constitueraient, au sens de l'acte de copropriété, «l'exercice d'un commerce ou d'une activité commerciale».
[44] Bien que la raison invoquée pour adopter le règlement ne soit pas retenue, les restrictions contenues au règlement peuvent-elles néanmoins être imposées aux propriétaires de parties privatives?
[45] Kilzi, nous l'avons déjà mentionné, prétend qu'aucune restriction ne peut être apportée à son droit de louer ses appartements et, de façon alternative, il plaide que si des contraintes pouvaient être imposées, elles ne pourraient l'être qu'au terme d'un règlement adopté à l'unanimité puisqu'on change alors la «destination de l'immeuble»[7].
[46] En principe rien ne s'oppose au droit du copropriétaire de louer sa fraction. Comme tout propriétaire, il peut en user et en jouir librement (1063 C.c.Q.). La professeure Francine Vallée-Ouellet le soulignait déjà aux premières années de la mise en place du régime de copropriété.[8] Les dispositions précitées tant du Code civil du Bas-Canada que du Code civil du Québec aménagent de façon explicite les règles devant guider les relations triangulaires copropriétaire-locataire-syndicat. De plus, l'acte constitutif de copropriété réfère explicitement à la location. Enfin, il faut dire que le règlement visé n'interdit pas toute location.
[47] Si, en principe, le droit à la location ne pose pas de difficulté, il en va tout autrement des limites imposées à ce droit. Cette difficulté tire son origine de l'une des balises juridiques mise en place pour en contrôler l'exercice : la destination de l'immeuble.
[48] La destination de l'immeuble est le facteur utilisé à la fois pour limiter les prérogatives de la collectivité et les droits individuels des copropriétaires. Reprenons les articles 1056 et 1063 C.c.Q.
1056. La déclaration de copropriété ne peut imposer aucune restriction aux droits des copropriétaires, sauf celles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation.
1063. Chaque copropriétaire dispose de sa fraction; il use et jouit librement de sa partie privative et des parties communes, à la condition de respecter le règlement de l'immeuble et de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble. (nous soulignons)
[49] Me Christiane Gagnon souligne fort justement la fonction de cette règle :
La destination de l'immeuble est sans doute l'une des notions les plus importantes en matière de copropriété divise en ce qu'elle constitue la limite des droits individuels en même temps qu'elle en assure l'ultime protection. Le législateur québécois, à l'instar de son homologue français, en a fait un pilier du système de la copropriété divise. C'est ainsi que les deux principes fondamentaux suivants se retrouvent dans les lois québécoise et française sur la copropriété :
1. La déclaration de copropriété ne peut restreindre ou porter atteinte aux droits des copropriétaires que dans la mesure où cette atteinte est justifiée par la destination de l'immeuble.
2. Chaque copropriétaire doit jouir de sa fraction sans porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires, ni à la destination de l'immeuble.[9]
[50] Tout en faisant de cette notion un pivot fondamental du régime de copropriété, le Code civil du Québec s'abstient toutefois de la définir. Aussi, la «destination de l'immeuble» est au cœur d'une polémique doctrinale.
[51] Deux courants de pensée s'opposent: il y a d'une part les auteurs qui prétendent que la destination de l'immeuble repose sur un ensemble de facteurs. Pour la déterminer, il faut considérer (1) un élément objectif (situation de l'immeuble, environnement, qualité des matériaux, distribution des appartements, confort, luxe, etc) (2) une composante subjective (considérations ayant motivé les acheteurs à acquérir une fraction) ainsi que (3) un élément collectif (sauvegarde des intérêts des copropriétaires)[10].
[52] Selon ces auteurs, la destination de l'immeuble se définit en premier lieu - mais pas exclusivement - à partir de la déclaration de copropriété et de toutes ses composantes (ce qui inclut les règles relatives à la jouissance des lieux qui se retrouvent au règlement de l'immeuble). L'analyse de la destination de l'immeuble implique que l'on tienne compte des caractères et de la situation de l'immeuble qui sont des critères extrinsèques à la déclaration de copropriété. C'est la position majoritaire qui prévaut en ce moment. C'est celle que semble avoir adoptée la juge en l'instance, lorsqu'elle écrit que:
La destination de l'immeuble est fondamentale, elle est modulée cependant par les caractères de l'immeuble et par la situation de l'immeuble.
[53] En revanche, d'autres auteurs sont d'avis que la notion de destination de l'immeuble ne peut être tributaire des considérations personnelles de chaque acheteur[11]. La destination ne doit pas être confondue avec les caractéristiques de l'immeuble. Les tenants de cette école s'appuient sur une interprétation littérale des dispositions du Code civil, plus particulièrement de l'article 1056 qui établit une distinction entre «destination» et «caractères» de l'immeuble.
[54] Pour ces auteurs, la destination correspond davantage à l'usage ou l'affectation auquel l'immeuble est voué. Les affectations des immeubles sont multiples: habitations résidentielles, occupation commerciale ou de villégiature, pour ne nommer que celles-ci.
[55] Force est de constater que la conception étroite de la «destination del'immeuble» telle que formulée par la doctrine minoritaire s'avère d'un secours limité pour trancher les situations litigieuses qui opposent un copropriétaire au syndicat. Qu'il s'agisse de déterminer si l'usage que fait le copropriétaire de sa fraction porte atteinte à la destination de l'immeuble ou encore si les restrictions imposées aux copropriétaires sont justifiées par la destination de l'immeuble, le recours à une conception étroite de la notion telle que proposée par la doctrine minoritaire paraît insatisfaisante. En l'espèce, comment peut-on juger de la validité de la réglementation à la simple lecture de l'acte constitutif de la copropriété qui prescrit que : «la destination de l'immeuble en soit une d'habitation résidentielle» ou encore des clauses contractuelles relatives à la location ? Comment un tel concept pourrait-il nous permettre de trancher la validité d'une disposition interdisant un paravent sur un balcon[12] ou prescrivant une norme d'insonorisation relative à un recouvrement de plancher[13]? Dès que l'usage se rattache à une occupation résidentielle, elle serait de ce fait permise.
[56] Le rôle important que le législateur a réservé à cette mesure de contrôle en matière de copropriété commande le recours au concept élargi de la notion. À défaut, il sera impossible de déterminer la légalité de la conduite d'un copropriétaire ou de la validité des restrictions qu'on veut lui imposer. Le nombre et la variété des situations juridiques à examiner à la lueur de cette norme impliquent l'utilisation d'une mesure comportant une série de facteurs tels que précédemment énoncés.
[57] Le recours à la thèse doctrinale majoritaire s'impose afin de donner effet à cette mesure de contrôle. Une analyse globale des dispositions législatives pertinentes appuie cette thèse. Une telle approche de la législation permet de contrer les arguments que d'aucuns tirent d'une interprétation strictement litérale d'une des dispositions du code.
[58] Le législateur utilise la destination de l'immeuble comme «ultime rempart de protection des droits du copropriétaire»[14] et comme limite au droit d'usage et de jouissance du copropriétaire. Pourtant, il ne formule pas la règle de la même manière (1056 et 1063 C.c.Q.) et ce, même si tous conviennent que l'on réfère à un même concept : la destination de l'immeuble. De même, le législateur énonce que l'acte constitutif de copropriété définit la destination de l'immeuble (1053 C.c.Q.). En l'espèce, cette définition est fort sommaire et, comme nous l'avons écrit, d'une utilité relative. Nous ne pouvons retenir l'interprétation restrictive qui empêcherait d'examiner d'autres parties de la déclaration de la copropriété et même des éléments extrinsèques à cette déclaration. À cet égard, la définition de la destination de l'immeuble, telle que proposée par Me Christine Gagnon emporte notre adhésion :
La destination de l'immeuble est malheureusement aussi l'une des notions les plus vagues du droit de la copropriété. Elle demeure difficile à définir. Un auteur français écrivait à son sujet : «[…] c'est quelque chose que nul n'a pu définir, ce qui est sans importance puisque, les uns et les autres, nous percevons généralement très correctement ce concept».
D'autres ont écrit qu'elle était une «notion beaucoup plus sentie que juridiquement précise». Il est vrai qu'instinctivement, tous savent à peuprès dequoi il s'agit. Il n'en demeure pas moins que la notion de destination de l'immeuble doit être approfondie car, en réalité, elle est à la fois abstraite et complexe.
La destination de l'immeuble, c'est le genre d'immeuble voulu par les copropriétaires. C'est là une définition simple et facile à comprendre mais elle est insuffisante. Pour solutionner les conflits qui surgissent en pratique, pour déterminer si telle clause de la déclaration de copropriété est contraire à la destination de l'immeuble ou si tel comportement chez un copropriétaire est conforme à la destination de l'immeuble, il faut pousser plus loin cette notion de façon à ce que chaque immeuble soit imprégné d'une destination qui lui est propre. La destination de l'immeuble, c'est en quelque sorte sa personnalité. Ce n'est donc pas un concept qui peut être exprimé en une phrase, dans une clause de la déclaration de copropriété. Elle est plutôt la somme de plusieurs facteurs qui contribuent à la définir.
Ces composantes de la destination de l'immeuble, on les retrouve d'abord dans la déclaration de copropriété. L'acte constitutif de copropriété définit la destination de l'immeuble. En pratique, cette exigence se traduit par une clause habituellement intitulée «destination de l'immeuble» qui indique la vocation générale de l'immeuble, qu'elle soit résidentielle, commerciale, industrielle ou autre. Cette clause constitue un facteur de première importance dans la recherche de la destination de l'immeuble.
Mais il y a plus. Ce n'est pas seulement cette clause qui déterminera la destination de l'immeuble mais bien l'ensemble de la déclaration de copropriété. Les clauses déterminant la destination des parties privatives et, dans une moindre mesure, celle des parties communes permettent de préciser quel genre particulier d'immeuble les copropriétaires désirent et, à ce titre, contribuent à définir plus précisément la destination de l'immeuble. Il en va de même des clauses de la déclaration aménageant les conditions de jouissance de ces parties.
Il y a aussi des facteurs extrinsèques à la déclaration de copropriété qui ont un impact sur la destination de l'immeuble. Il faut savoir que même si aucune des deux lois québécoise et française sur la copropriété ne définit la destination de l'immeuble, elles donnent des indices sur certains facteurs extrinsèques à considérer. Dans la Loi du 10 juillet 1965, on les retrouve au deuxième alinéa de l'article 8 qui édicte que les restrictions aux droits des copropriétaires doivent être «justifiées par la destination de l'immeuble, telle qu'elle est définie aux actes, par ses caractères ou sa situation». Le pendant québécois de cette disposition, l'article 1056 C.c.Q., bien qu'inspiré de la loi française, a été formulé différemment. Il prévoit que les restrictions doivent être «justifiées par la destination de l'immeuble, ses caractères ou sa situation» (nos italiques). Il s'agit là d'une rédaction plus ou moins heureuse. Il est manifeste que, tant en droit québécois qu'en droit français, les caractères et la situation de l'immeuble sont des éléments qui aident à en déterminer la destination. Ils doivent donc être pris en considération.
Les auteurs reconnaissent généralement que les caractères et la situation de l'immeuble se traduisent, de façon pratique, par la qualité de la construction et des matériaux employés, par l'harmonie de l'ensemble immobilier, par les aménagements intérieurs et extérieurs, par l'environnement particulier ou la situation de l'immeuble, par exemple, dans un quartier luxueux ou populaire ou encore à proximité d'un cours d'eau ou d'une autoroute. Ces principes ont aussi été appliqués par la jurisprudence québécoise. Par exemple, dans l'affaire Talbot c. Guay, on a reconnu la validité d'une clause interdisant à un copropriétaire d'installer un paravent sur son balcon, celle-ci étant justifiée par la destination, les caractéristiques de l'immeuble. Pour arriver à cette conclusion, la Cour d'appel a considéré le fait que l'immeuble était situé sur la rive du fleuve Saint-Laurent et que le paravent installé par un copropriétaire obstruait la vue d'une autre copropriétaire.
[…][15]
La notion de destination de l'immeuble peut difficilement être définie. Elle doit être expliquée en faisant appel à ses différentes composantes.[16]
[59] Cette interprétation est conforme à celle préconisée dans les travaux préparatoires de la loi française qui a servi d'inspiration à notre propre législation; on y proposait cette définition :
L'ensemble des conditions aux vues desquelles un copropriétaire a acheté son lot, compte tenu des divers éléments, notamment de l'ensemble des clauses, des documents contractuels, des caractéristiques physiques et de la situation de l'immeuble, ainsi que la situation sociale de ses occupants.[17]
[60] Il y a donc lieu d'appliquer à l'espèce la notion «élargie» de la destination de l'immeuble.
[61] Avant d'examiner les diverses dispositions du règlement, on peut dès maintenant écarter la prétention de l'appelant que le règlement aurait dû être adopté à l'unanimité. Le règlement n'a pas pour effet de modifier la destination de l'immeuble; il s'inscrit plutôt dans le prolongement de cette destination. En conséquence, son adoption ne nécessitait pas l'unanimité des copropriétaires.
[62] On doit maintenant examiner la légalité du règlement: la validité du règlement sera maintenue en autant qu'il ne nie pas le droit à la location, mais en aménage l'exercice par des règles qui sont justifiées par la destination de l'immeuble.
[63] Le règlement en cause, nous l'avons déjà souligné, vise trois situations différentes: la location par une personne morale (art. 5), la propriété de plus de trois unités (art. 6) et la location à court terme (art. 2, 3, 4).
[64] L'article 5 du règlement a pour effet de nier un droit à la location plutôt que d'en régir l'exercice; il doit donc être déclaré invalide. La personne morale de droit privé ne peut louer à des tiers; cela a pour effet pratique de l'empêcher de louer sa partie privative. Plus particulièrement, dans le cas de Kilzi, la société sous son contrôle, 2854-8022 Québec Inc., ne pourrait louer ses appartements et donc devrait s'en départir.
[65] L'article 6 limite à trois le nombre d'appartements qu'une personne physique ou morale peut posséder; il ne peut être justifié puisqu'il nie le droit de location, plutôt que de fixer les modalités de son exercice.
[66] L'avocat du syndicat plaide que la propriété au départ était un immeuble locatif qui a été transformé en copropriété. Si Kilzi acquiert la majorité des immeubles et les loue, on aurait alors retransformé indirectement la copropriété en un immeuble locatif.
[67] Cette prétention est fort hypothétique si on tient compte que l'immeuble comporte 132 unités privatives. L'interdiction de posséder plus de trois unités n'a donc rien à voir avec une prétendue «prise de contrôle» de la copropriété.
[68] Reste les articles 2, 3 et 4 qui ont pour objet d'interdire la location pour des périodes inférieures à douze mois, sauf circonstances exceptionnelles.
[69] Selon le règlement, de telles locations pour de courtes périodes constituent nécessairement l'exercice d'un commerce. Nous avons déjà exprimé notre désaccord sur cette prétention. Il faut plutôt se pencher sur l'analyse des composantes de la destination.
[70] Les copropriétaires se sont donnés un cadre d'habitation stable, leur assurant une certaine tranquillité et sécurité. Plusieurs d'entre eux ont fortement réagi aux activités du groupe Kilzi, plus particulièrement en ce qui a trait à la location à court terme. Ils y voyaient là une menace à leur sécurité et à la tranquillité des lieux. Les témoins ont décrit les caractéristiques et l'environnement de l'immeuble comme suit : «la qualité de l'ensemble, le calme, la tranquillité, l'absence d'activités bruyantes, la sécurité de l'immeuble, l'entourage, la grandeur des unités, leur état neuf …».
[71] La juge de première instance a reconnu que ces préoccupations étaient légitimes et conformes aux attentes de la majorité des copropriétaires; en somme, la location à court terme contrevenait, selon elle, à la «destination» de la copropriété.
[72] Ce faisant, la première juge a reconnu à la majorité (telle que déterminée par la loi) une certaine discrétion quant aux mesures à prendre pour assurer le respect de la destination de l'immeuble. En ce domaine, comme en bien d'autres, il n'appartient pas aux tribunaux d'apprécier l'opportunité des décisions prises par un organisme représentatif, mais plutôt d'en déterminer la légalité.
[73] Bien que le fondement invoqué pour l'adoption du règlement ne soit pas retenu (le caractère commercial) nous sommes néanmoins d'avis que la destination de l'immeuble permettait d'imposer les restrictions aux locations à court terme. Le tribunal n'a pas à substituer son appréciation à celle de la majorité des copropriétaires pour suggérer une période différente: trois mois, six mois ou neuf mois.
[74] Ces restrictions confirment le caractère résidentiel de la copropriété et visent à assurer un exercice raisonnable du droit de location. Les copropriétaires, à la majorité, partagent ce point de vue.
[75] Les articles 2, 3 et 4 pouvaient légalement faire l'objet d'un règlement et ils ont été légalement adoptés par l'intimé.
[76] Enfin, l'argument de Kilzi fondé sur la partialité et l'intention de nuire n'a pas été retenu par la juge de première instance; l'appelant ne nous convainc pas que la première juge a eu tort à ce sujet.
[77] Compte tenu que l'article 13 précise que la nullité d'un article n'entraîne pas nécessairement la nullité des autres et compte tenu que les diverses restrictions sont distinctes, il y a lieu d'accueillir en partie le pourvoi afin d'annuler les articles 5 et 6 du règlement visé et de le rejeter pour le surplus, sans frais en appel, mais avec dépens en première instance compte tenu du résultat mitigé.
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________________________________ ANDRÉ FORGET J.C.A.
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________________________________ ANDRÉ ROCHON J.C.A.AD HOC
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[1] Cette question semble préoccuper les milieux de la copropriété si on en juge par un article publié dans le Bulletin de la copropriété plus au Québec et intitulé «Peut-on éliminer les locataires?», Août 1995, 34e numéro, Vol. 7, no. 1. La présence des locataires y est décrite comme «l'une des calamités de la vie en copropriété».
[2] Les procédures ont été intentées uniquement par Pierre W. Kilzi. La juge de première instance a utilisé l'expression «le groupe Kilzi», expression que reprend l'appelant à son mémoire. Selon la juge de première instance: «monsieur Kilzi est bel et bien la personne qui dirige les destinées et l'utilisation de ces huit unités».
[3] Les règlements ont dû être retirés à la suite de vices de procédure.
[4] La juge de première instance écrit: «Il est vrai que ce sont les activités locatives du groupe Kilzi qui ont suscité l'adoption du règlement. Et il est vrai que monsieur Kilzi et sa société sont les seuls propriétaires de plus de trois unités.»
[5] De façon concomitante, le syndicat a adopté un Règlement sur les aménagements et déménagements qui avait également fait l'objet d'une contestation par Kilzi. En première instance, Kilzi s'est désisté de cette partie de sa demande.
[6] L.Q. 1992, c. 57.
[7] L'article 53 précité, de la Loi transitoire, maintiendrait ici la règle de l'unanimité malgré l'article 1101 C.c.Q.
[8] Francine VALLÉE-OUELLET, «Les Droits et obligations des copropriétaires - Première partie »,(1978)R.D. McGill, 369.
[9] Christine GAGNON, La copropriété divise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2000, no. 151, p. 113.
[10] Parmi les tenants de cette thèse, on retrouve Francine VALLÉE-OUELLET, «Les droits et obligations des copropriétaires - Première partie», (1978) R.D. McGill, 196, 215 et 216; Christine GAGNON, «Questions pratiques en copropriété divise: charges communes, espaces de stationnement et destination de l'immeuble», (2000) C.P. du N., 79, 98. Serge BINETTE, «La notion de la destination et le régime de l'article 442 f du Code civil en matière de copropriété divise», (1990) 2 C.P. du N. 67 ; Denys-Claude LAMONTAGNE, «Biens et propriété», 3e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1998, p. 240; Serge ALLARD, «La copropriété divise», R.D., n.s., Doctrine, Biens, Document 2,paragr. 178et suiv. (Août 1995). C'est également la thèse retenue par la juge Marcelin dans Wilson c. Syndicat des copropriétaires du Condominium Champlain, [1996] R.J.Q. 1019 , 1028. Le juge Rochon y fait référence dans Syndicat Northcrest c. Anselem, [1998] R.J.Q. 1892 , 1900.
[11] Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, Montréal, Thémis, 1999, p. 587-588; François FRENETTE, «La copropriété divise et le rôle ambivalent de la déclaration» dans Service de la formation du Barreau du Québec, Congrès annuel du Barreau du Québec (1998), Montréal, 1998, p. 71 et suivantes.
[12] Talbot c. Guay, [1992] R.D.I. 656 (C.A.).
[13] Saba c. Fitzgibbon, J.E. 94-1505 (C.S.)
[14] L'expression est tirée du texte du professeur Serge BINETTE, «De la copropriété indivise et divise suivant le nouveau Code civil du Québec», Textes réunis par le Barreau du Québec et la Chambre des notaires du Québec, personnes, successions, biens, p. 629.
[15] Nous avons omis la référence de l'auteur à la situation sociale des occupants de l'immeuble. Tout comme Me Gagnon, nous sommes d'avis que cette situation sociale ne constitue pas une caractéristique de l'immeuble et, en conséquence, ne devrait pas être retenue comme élément de la destination de l'immeuble.
[16] Christine GAGNON, La copropriété divise, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais inc., 2000, no. 152, pp. 113 à 117.
[17] François GIVORD, Claude GIVERDON, La copropriété, 4e édition, Daloz, Paris, 1992, p. 296.
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