Section des affaires sociales
En matière de régime des rentes
Référence neutre : 2016 QCTAQ 02871
Dossier : SAS-M-230168-1410
ANNE LEYDET
STELLA PHANEUF
c.
[1] Il s’agit d’un recours introduit par le requérant le 16 octobre 2014 à l’encontre d’une décision rendue en révision le 29 août 2014 par la partie intimée, Retraite Québec (alors appelée la Régie des rentes du Québec, et ci-après appelée l’intimée). Par sa décision en révision, l’intimée maintient sa décision initiale du 20 janvier 2014, refusant de reconnaître le requérant invalide au sens de l'article 95 de la Loi sur le régime de rentes du Québec[1] (la Loi), et refusant par conséquent de lui reconnaître le droit à une rente d'invalidité.
[2] Une audience a été tenue le 22 octobre 2015, lors de laquelle le requérant a témoigné et les procureurs des parties ont fait leurs représentations. Il a été convenu à l'audience que la procureure du requérant transmettrait au Tribunal, copie au procureur de l'intimée, le suivi en pneumologie, et ce, au plus tard le 20 novembre 2015. Un délai venant à échéance le 4 décembre 2015 a été accordé au procureur de l’intimée pour commenter, le cas échéant, ledit suivi.
[3] Par courriel en date du 9 novembre 2015, la procureure du requérant a transmis au Tribunal, copie au procureur de l’intimée, un bilan de fonction pulmonaire en date du 6 août 2012, dicté par le docteur Joseph Braidy, pneumologue. Ce bilan était déjà au dossier[2]. Le procureur de l'intimée n'a pas transmis au Tribunal de commentaires dans le délai qui lui avait été imparti pour ce faire. Le Tribunal a donc pris le dossier en délibéré à compter du 4 décembre 2015.
[4] Le Tribunal retient ce qui suit de la preuve documentaire et testimoniale.
[5] Le requérant est né le […] 1958. Il est aujourd’hui âgé de 58 ans. Il détient une scolarité de niveau secondaire V. Il a par la suite complété un cours de mécanique automobile (1974) et un cours de soudeur (1976). Il détient une expérience unique de travail, soit celle de manœuvre spécialisé dans la construction.
[6] Il a subi un accident du travail en 1989, à la suite duquel un diagnostic de hernie discale lombaire a été posé. Cette hernie discale n’a pas été opérée. Le requérant a suivi un traitement conservateur, notamment de la physiothérapie[3]. La CSST a reconnu une atteinte permanente de 5 %, avec limitations fonctionnelles. À la suite d’un long arrêt de travail et malgré la persistance de douleurs lombaires chroniques, le requérant est retourné sur le marché du travail. Bien qu’ayant suivi un cours de conducteur de machinerie lourde dans le cadre d’un programme de réadaptation, le requérant n’a pu se trouver un emploi dans ce domaine, et a donc repris un emploi de manœuvre spécialisé dans la construction.
[7] En 2003, le requérant a présenté une exacerbation de ses douleurs lombaires qui ont suscité une investigation additionnelle. Un examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM) a révélé la présence de deux hernies discales (L3-L4, L4-L5)[4]. Le requérant a bénéficié de traitements de physiothérapie et d’épidurales. Le requérant a repris le travail malgré la symptomatologie douloureuse persistante et un trouble d’intolérance à la marche.
[8] Le requérant a finalement cessé tout travail en 2012.
[9] Le 26 septembre 2013, l’intimée reçoit la demande de rente d’invalidité du requérant. Au soutien de cette demande, est produit un rapport de son médecin, docteure Caroline Beausoleil, qui retient un diagnostic de lombalgie chronique avec sciatalgie droite sur un tableau de hernies discales L3-L4 et L4-L5.
[10] Les douleurs lors des mouvements d’amplitude dorsolombaires sont décrites. Par ailleurs, l’élévation de la jambe tendue reproduit une douleur importante à la fesse droite.
[11] Docteure Beausoleil mentionne une claudication neurogène.
[12] Elle fait état d’une intolérance à la marche limitant celle-ci à une distance de 250 mètres.
[13] Docteure Beausoleil note par ailleurs une maladie vasculaire périphérique possible et une maladie pulmonaire obstructive chronique chez ce patient au tabagisme actif. La dyspnée serait de 3/5.
[14] Le bilan de base de la fonction pulmonaire fait le 7 août 2012 par le pneumologue Joseph Braidy est au dossier. Il démontre une obstruction aérienne modérée partiellement réversible. La capacité de diffusion est normale.
[15] Au moment de son rapport, le requérant prend du Celebrex 200 mg die, du Dilaudid 2 mg aux 4 à 6 heures prn, et 1 à 2 comprimés d’Acétaminophène aux 4 heures prn.
[16] Docteure Beausoleil émet l’opinion que le requérant est incapable, pour l’heure, d’exercer son emploi habituel. Elle évoque la possibilité que le requérant puisse, avec un meilleur contrôle de la douleur, retourner à son emploi ou à un autre emploi, mais cela lui semble peu probable.
[17] Il est également noté que le requérant est en attente d’un examen d’imagerie par résonance magnétique et d’un bloc foraminal lombaire.
[18] C’est sur la foi de cette information que l’intimée rend sa décision initiale du 20 janvier 2014. Dans sa fiche récapitulative[5], le service d’évaluation médicale note que le requérant est en attente d’une tomodensitométrie lombaire et d’un bloc foraminal. Il est donc noté que l’investigation est en cours et que la condition est non stabilisée du point de vue lombaire. Quant à la condition pulmonaire, elle ne serait pas invalidante.
[19] Dans le cadre de la demande de révision faite par le requérant à l’encontre de la décision initiale du 20 janvier 2014, l’intimée obtient un rapport d’expertise du docteur Michel Germain, chirurgien-orthopédiste, en date du 30 mai 2014.
[20] Après analyse du dossier et examen clinique, le docteur Germain conclut que le requérant est symptomatique d’une sténose spinale et d’une maladie vasculaire obstructive chronique du membre inférieur droit (à l’examen, le docteur Germain ne réussit pas à palper les pouls au niveau du membre inférieur droit surtout).
[21] Le docteur Germain affirme que le requérant n’est pas employable en raison de cette claudication.
[22] Par ailleurs, le docteur Germain souligne qu’une investigation plus poussée devrait être faite, en l’occurrence un examen par résonance magnétique ainsi qu’une consultation avec un chirurgien vasculaire afin de préciser le diagnostic, et ainsi permettre un traitement adéquat pour l’une ou les deux pathologies suspectées, c’est-à-dire la claudication neurogène d’origine spinale et/ou vasculaire du membre inférieur droit.
[23] À la suite de ce rapport, docteure Lambert, du service d’évaluation médicale de l’intimée, complète un formulaire « opinion médicale en révision » et, faisant référence à l’opinion exprimée par le docteur Germain, écrit que le requérant est actuellement en invalidité totale mais temporaire. Selon elle, l’investigation et le traitement des conditions lombaire (claudication neurogène possible) et vasculaire (claudication vasculaire également possible), pourraient permettre au requérant de devenir éventuellement apte à retourner sur le marché du travail.
[24] L’on apprend de la note clinique de docteure Beausoleil en date du 31 juillet 2014[6] qu’une tomodensitométrie lombaire a été obtenue en juillet 2014, laquelle démontrerait un étalement du disque avec discrète sténose spinale tant à L2-L3 qu’à L3-L4; de la discarthrose à L4-L5 avec étalement du disque et hernie discale postérolatérale gauche comprimant la racine L5 à gauche, avec légère sténose spinale; et enfin de l’arthrose facettaire modérée à L5-S1.
[25] L’on apprend également de cette même note clinique de docteure Beausoleil qu’un bloc foraminal bilatéral aux niveaux de L3-L4 et L4-L5 est alors tenté. Le requérant témoigne à l’audience que cette procédure n’a aucune amélioré sa symptomatologie douloureuse et a même exacerbé la douleur.
[26] L’on apprend enfin de la note clinique de docteure Beausoleil qu’elle change la médication du requérant. Celui-ci prenait alors du Celebrex (200 mg) Sig 1 cap par voie Po prn depuis octobre 2013; de l’Asaphen EC (80 mg comp. ent.) Sig 1 co voie PO; du Dilaudid (2 mg) Sig 1 co voie PO aux 6 h prn depuis février 2014; et du Pantoprazole (40 mg Comp. ent.) Sig 1 co voie PO depuis novembre 2013 jusqu’en décembre 2014.
[27] Docteure Beausoleil modifie donc cette médication et ajoute, au Dilaudid qui est maintenu, du Lyrica, qu’elle fait passer progressivement de 25 mg à 150 mg, Sig 1 caps PO.
[28] L’on constate par ailleurs de la liste des médicaments produite à l’audience[7] que cette médication a été modifiée à compter de l’automne 2015. En sus du Dilaudid prn et du Pantoprazole, le requérant prend notamment de l’Acétaminophène, 500 mg, 2 capsules 3 fois par jour au besoin; de l’Hydromorph Contin, 3 mg, 2 fois par jour; du Celecoxib, 200 mg 1 caps die prn (Celebrex); l’analgésique Pregabalin, 150 mg, 2 fois die, de l’Ezetimibe, 10 mg, 1 co die, pour son hypercholestérolémie, du Jamp asa ec, 80 mg 1 co die pour sa condition cardiovasculaire; du Rosuvastatin plaq, 40 mg, co 1 fois die; de l’Advair, 25 mcg/250mcg, inh, 2 fois par jour, pour l’asthme; un bronchodilatateur, l’Apo salvent, 100 mcg/dose, inh 2 fois par jour; et de l’Oxazepam, 15 mg, 1 co prn.
[29] L’examen par résonance magnétique de la colonne lombaire, qui avait été recommandé par le docteur Germain, a été effectué le 22 janvier 2015. Il est produit à l’audience sous la pièce R-2.
[30] Cet examen révèle des modifications dégénératives étagées de D12 à S1, dont l’apogée se situe dans la région de L3-L4, L4-L5 et L5-S1.
[31] En D12-L1, la dégénérescence constatée à l’articulation facettaire est telle qu’il y a refoulement et probablement irritation de la racine de L1, sans compression radiculaire franche ni sténose spinale.
[32] En L1-L2 et L2-L3, il y a spondylodiscarthrose sans conséquence radiculaire ou spinale notable.
[33] Cependant, à L3-L4, l’on retrouve une spondylodiscarthrose modérée avec un étalement discal et ostéophytes auxquels se surajoute une hernie discale postéro-centrale. Il y a sténose foraminale légère à droite et légère à modérée à gauche. Au niveau spinal, l’on note une sténose modérée à importante avec un canal qui mesure environ 6 mm. Les racines sont refoulées.
[34] À L4-L5, il y a une hernie discale surajoutée en postéro-central et paracentral gauche. Il y a une sténose spinale modérée à 7.5 mm. Les racines sont refoulées. il y a certainement une compression de la racine L5 à gauche dans le récessus latéral. La racine de L5 à droite apparaît compromise par l’étalement discal et la hernie discale.
[35] À L5-S1, il y a spondylodiscarthrose avec un étalement discal circonférentiel. Il y a une hernie discale paracentrale droite venant en contact et possiblement comprimer la racine de S1 dans le récessus latéral.
[36] Il y a également arthrose facettaire à tous les niveaux de D12 à S1.
[37] Le docteur Germain recommandait également dans son rapport de mai 2014 une investigation en chirurgie vasculaire pour préciser le diagnostic au niveau de la claudication. Or, il ressort de la pièce R-3 produite à l’audience que le requérant a été référé par docteure Beausoleil en juillet 2013 à docteure Sylvie Desmarais, interniste, pour investiguer la claudication. Après examen clinique, cette dernière fait passer un examen duplex-Doppler artériel des membres inférieurs au requérant. Elle rapporte un tableau d’athérosclérose oblitérante des membres inférieurs, avec cependant présence de symptômes évoquant la possibilité d’une claudication neurogène d’origine spinale.
[38] Voici comment docteure Desmarais s’exprime :
«Il s’agit donc d’un patient qui présente un tableau ASO [athérosclérose oblitérante] des membres inférieurs objectivé au niveau du duplex mais avec des index tibio-brachiaux normaux au repos et les symptômes sont beaucoup plus évocateurs à mon avis d’une claudication neurogène d’autant plus que les symptômes surviennent en orthostatisme prolongé. Évidemment il est très à risque d’événements vasculaires de par son hypercholestérolémie et son tabagisme et du fait d’être un homme de 55 ans, j’amorce donc de l’Asaphen 80 mg per os die dès ce jour. Deuxièmement, insuffisance veineuse chronique qui explique un œdème intermittent des membres inférieurs pour lequel je lui recommande des bas de contention graduée au besoin. Évidemment le patient doit impérativement cesser de fumer et ceci lui a été expliqué. »
(notre emphase)
[39] Le 12 mai 2015, le requérant a été examiné à la demande de sa procureure par le docteur Normand Taillefer, consultant en médecine physique et sportive.
[40] Le docteur Taillefer fait l’analyse du dossier médical à sa disposition et examine le requérant. Il conclut que le requérant présente un tableau de claudication intermittente d’origine mixte, soit :
- d’origine vasculaire par athérosclérose oblitérante (ASO) des membres inférieurs et,
- d’origine neurogène, par sténose spinale sur discopathie multiétagée.
[41] Le docteur Taillefer relève également que le requérant présente un tabagisme important, de l’obésité, de l’hypercholestérolémie, et une maladie pulmonaire obstructive chronique.
[42] Le docteur Taillefer émet les limitations fonctionnelles suivantes :
· ne peut pas faire d’activités qui requièrent les mouvements de flexion, d’extension, ou de torsion de la colonne dorsolombaire, de façon répétée ou prolongée ou en force ou avec amplitude extrême;
· ne peut pas faire des tâches qui requièrent l’exposition à des vibrations de basse fréquence ou à des contrecoups à la colonne vertébrale;
· ne peut pas faire d’activités qui requièrent des périodes de marche dépassant 20 minutes consécutives et il doit avoir alors des pauses d'au moins 3-5 minutes par séquence de marche;
· ne peut pas faire des tâches qui requièrent la position debout immobile et prolongée pour plus de 2-3 minutes à la fois;
· ne peut pas pousser, tirer, soulever ou manipuler des charges dépassant 15-20 lb, sauf exceptionnellement.
[43] Le docteur Taillefer écrit qu’en termes de traitements, le requérant devrait perdre au moins 60 lb avec une diète hypocalorique. Il doit impérativement cesser le tabac. Il devrait entreprendre un programme de réentraînement à l’effort progressif et quotidien.
[44] Le docteur Taillefer émet l’opinion que le requérant ne peut plus faire un travail physique lourd. Il pourrait néanmoins, selon le docteur Taillefer, faire un travail léger et sédentaire, qui respecterait les limitations fonctionnelles énoncées.
[45] À l’audience, le requérant témoigne souffrir de douleurs lombaires qu’il évalue à 7 ou 8 sur une échelle de 10, qui font en sorte qu'il ne peut plus travailler depuis 2012. Pour une activité d'une durée de cinq minutes (comme faire la vaisselle), le requérant dit prendre une pause de 10 minutes. Il ne peut pas marcher longtemps.
[46] Le requérant confirme avoir reçu des blocs foraminaux en 2014, qui loin d’améliorer sa symptomatologie douloureuse, n'ont fait que l'accroître.
[47] Le requérant est bénéficiaire de l’aide sociale. Il reçoit une allocation de solidarité sociale, ayant été reconnu comme présentant des contraintes sévères à l'emploi. Il vit en colocation et s’arrange pour accomplir lui-même les activités de la vie quotidienne quoiqu’avec difficulté. Il se sent un peu diminué. Il ne peut pas rester debout ni assis très longtemps sans changer de position. Il passe la nuit à se lever pour aller s’asseoir parce qu'il ne peut rester couché longtemps. Ces nuits ainsi entrecoupées perturbent son sommeil et il prend du Oxazepam pour l’aider à dormir.
[48] Il est fait état de sa liste de médication. Le requérant témoigne que cette médication le rend somnolent. Il «cogne des clous» l'après-midi.
[49] Il est fait mention de l'examen mené par le docteur Joseph Braidy sur le plan de la fonction respiratoire. Le requérant, qui a témoigné plus tôt présenter une capacité pulmonaire limitée à 55 %, indique que sa fonction respiratoire n'est pas améliorée par les pompes inhalantes qui lui ont été prescrites.
[50] Questionné sur les recommandations faites par le docteur Taillefer, le requérant dit manger 1 repas par jour. Il essaie de marcher le plus régulièrement possible, en compagnie de son chien : il marche 20 à 45 minutes le matin, et fait de même en soirée, en s'interrompant aux cinq minutes pour prendre une pause. Il n’a pas cessé de fumer.
[51] Le requérant dit ne pas avoir d’études pour se trouver un autre emploi. Il n'a jamais eu à utiliser un ordinateur. Il ne parle pas anglais.
[52] À la question posée par le procureur de l’intimée, le travailleur répond que s’il en était capable, il pourrait travailler à un emploi sédentaire.
[53] Le Tribunal a fait l’analyse de la preuve documentaire et testimoniale. Il a pris en considération les représentations des procureurs des parties. Après avoir délibéré sur le tout, le Tribunal accueille le recours, et ce, pour les motifs suivants.
[54] L’article 95 de la Loi édicte :
«95. Une personne n'est considérée comme invalide que si la Régie la déclare atteinte d'une invalidité physique ou mentale grave et prolongée.
Une invalidité n'est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
En outre, dans le cas d'une personne âgée de 60 ans ou plus, une invalidité est grave si elle rend cette personne régulièrement incapable d'exercer l'occupation habituelle rémunérée qu'elle détient au moment où elle cesse de travailler en raison de son invalidité.
Une invalidité n'est prolongée que si elle doit vraisemblablement entraîner le décès ou durer indéfiniment.
La Régie publie périodiquement ses directives en matière d'évaluation médicale de l'invalidité.»
[55] Le requérant a donc le fardeau de démontrer premièrement que sa condition, sur le plan médical, est grave, c’est-à-dire qu’elle l’empêche d’exercer une occupation véritablement rémunératrice.
[56] Lorsque la preuve médicale permet de conclure à une ou des condition(s) de nature significative, c’est-à-dire sévère, il est permis de considérer les facteurs socioprofessionnels ressortant du dossier pour déterminer si la condition d’une personne satisfait au critère de gravité.
[57] En effet, dans son arrêt Régie des rentes du Québec c. B.V.[8], la Cour d'appel s'exprime ainsi :
« [18] En somme, pour satisfaire le critère de la gravité, le dossier médical a préséance et doit démontrer des limitations fonctionnelles sévères. Dans un second temps, les facteurs rattachés à l’individu peuvent s’y superposer afin d’éviter une conclusion purement théorique.
[19] Depuis 2002, la jurisprudence majoritaire du TAQ adopte cette approche9, qui est conforme à l’orientation donnée par la Cour d’appel dans l’arrêt Nascimiento. »
(notre emphase)
(citation 9 omise)
[58] Deuxièmement, en sus de démontrer la gravité de son invalidité, la personne doit établir que cette invalidité est prolongée, c’est-à-dire qu’elle est d’une durée indéfinie, vraisemblablement permanente. La condition doit donc présenter une stabilité sans probabilité d’une évolution qui, grâce à des traitements appropriés, pourrait s’avérer favorable et permettre d’occuper éventuellement un emploi rémunérateur.
[59] D’emblée, le Tribunal note que l’intimée, s’exprimant par la voie de son médecin, docteure Louise Lambert, qui a complété l’évaluation médicale en révision[9], convient que le requérant présente une incapacité totale, c’est-à-dire une incapacité d’exercer tout emploi.
[60] L’intimée fait reposer cette opinion sur la conclusion du chirurgien-orthopédiste, le docteur Michel Germain, son propre expert, qui conclut dans son rapport du 30 mai 2014 que le requérant n’est pas employable en raison d’une claudication présentée au membre inférieur droit de nature neurogène (c’est-à-dire qui serait attribuable à sa condition lombaire) et/ou de nature vasculaire.
[61] C’est l’opinion exprimée par le docteur Germain ainsi traduite par docteure Lambert du service d’évaluation médicale qui fera dire à l’intimée, par la voie de son procureur à l’audience, que le requérant est totalement incapable d’exercer tout emploi, et que sa condition rencontre le critère de gravité prévu par la Loi.
[62] À l’audience, le procureur de l’intimée admet en effet expressément que le requérant n’est pas en mesure de faire quelque emploi que ce soit. Sa position clairement exprimée est que le critère de gravité prévu à l’article 95 de la Loi est rencontré.
[63] C’est donc dire que, d’elle-même, l’intimée ne retient pas l’opinion émise par le docteur Normand Taillefer, médecin consulté par le requérant pour les fins de l’opinion qu’il émet dans son rapport du 12 mai 2015, selon laquelle le requérant serait capable d’exercer un emploi léger et sédentaire, en autant qu’un tel emploi respecte les limitations fonctionnelles mentionnées dans son rapport.
[64] Le Tribunal, pour sa part, est d’avis que la gravité de l’invalidité du requérant a été établie de façon prépondérante. En cela, il partage la position exprimée par le procureur de l’intimée.
[65] Le requérant présente une importante et débilitante pathologie dorsolombaire, soit une discopathie dégénérative multiétagée avec spondylodiscarthrose et arthrose facettaire à plusieurs niveaux, hernies discales à trois niveaux vertébraux, sténose spinale à au moins deux niveaux et compression de la racine L5 et possiblement S1.
[66] De surcroît, la sténose spinale présentée est en grande partie à l’origine de la claudication présentée par le requérant.
[67] La pathologie discale et claudication neurogène entraînent une symptomatologie douloureuse très incapacitante, laquelle requiert une lourde médication.
[68] Le procureur de l’intimée a évoqué à l’audience la possibilité que la médication prescrite puisse être trop lourde. En l’absence de toute opinion médicale circonstanciée permettant de conclure à une médication inadéquate parce que trop lourde, le Tribunal retient pour sa part que la médication prescrite est appropriée. Malheureusement, elle ne permet pas la résorption complète du tableau douloureux.
[69] La gravité des conditions orthopédique et neurologique entraîne des limitations fonctionnelles sévères, soit celles énoncées par le docteur Taillefer. Les capacités physiques résiduelles du requérant sont ainsi très diminuées.
[70] À la composante neurogène de la claudication s’ajoute une composante vasculaire également non négligeable, qui contribue au tableau douloureux et incapacitant.
[71] Le requérant souffre d’hypercholestérolémie. Cette condition, associée au tabagisme et à l’âge du requérant, le rend très à risque d’accidents vasculaires.
[72] Enfin, le requérant présente une maladie pulmonaire obstructive chronique de sévérité modérée, qui en soi, n’est pas sévère.
[73] Toutefois, les diverses conditions du requérant, prises dans leur ensemble, entraînent des limitations fonctionnelles sévères qui le rendent inemployable et elles rencontrent certainement le caractère de gravité exigé par la Loi.
[74] Tel que mentionné plus haut, l’intimée, par la voie de son procureur, convient elle-même de l’incapacité totale du requérant et de la gravité de sa condition médicale.
[75] Ceci étant, il est cependant soumis par le procureur de l'intimée que bien que la condition médicale du requérant rencontre le critère de gravité prévu par la Loi, il s’agit cependant d’une invalidité temporaire, la condition pouvant s’améliorer à la suite d’une investigation et de traitements appropriés.
[76] Il soumet au Tribunal que la condition du requérant ne rencontrerait donc pas le second critère exigé par la Loi, à savoir, une invalidité présentant un caractère prolongé, c’est-à-dire indéfini, permanent.
[77] Le Tribunal retient cependant de la preuve que la grande majorité des recommandations faites depuis la production de la demande de rente d’invalidité ont été suivies, tant au niveau du traitement que de l’investigation.
[78] Dans un premier temps, il avait été noté dans la fiche récapitulative du service d’évaluation médicale de l’intimée du 17 janvier 2014, à partir de laquelle la décision initiale de l’intimée a été rendue, que le requérant était alors en attente d’une tomodensitométrie lombaire ainsi que de blocs foraminaux.
[79] La tomodensitométrie lombaire a été faite en juillet 2014, selon ce qu’il appert de la note clinique de docteure Beausoleil en date du 31 juillet de cette même année, note dans laquelle les résultats de cet examen para-clinique sont rapportés.
[80] De même, les blocs foraminaux bilatéraux aux niveaux L3-L4 et L4-L5 ont été effectués en juillet 2014, sans résultat positif, bien au contraire.
[81] Par ailleurs, les recommandations faites par le docteur Germain dans son rapport du 30 mai 2014 ont également été suivies.
[82] En effet, dans son rapport du 30 mai 2014, le docteur Germain recommandait de pousser l’investigation plus loin par un examen par résonance magnétique du rachis lombaire. Huit mois plus tard, cet examen était fait, confirmant et détaillant la sévérité de la pathologie discale du requérant.
[83] Le docteur Germain recommandait également que le requérant soit vu en chirurgie vasculaire afin de préciser le diagnostic relativement à la possible composante vasculaire de la claudication présentée par le requérant et qu’un traitement approprié soit administré.
[84] Or, il s’avère que cette investigation avait déjà été faite, sous les auspices de docteure Desmarais, interniste, qui en juillet 2013 effectuait un examen clinique de même qu’un examen par duplex-Doppler.
[85] Il semble que le docteur Germain n’ait pas été au courant de cette investigation lors de la rédaction de son rapport puisqu’il n’en fait aucunement mention.
[86] L’investigation faite par docteure Desmarais a permis de confirmer une athérosclérose oblitérante des membres inférieurs, et donc de la composante vasculaire de la claudication.
[87] Un traitement a dès lors été entrepris - initialement, la prise de l’antiplaquettaire Asaphen - pour diminuer le facteur de risque d’accident vasculaire que représente l’hypercholestérolémie du requérant.
[88] Les deux autres facteurs de risque reliés aux accidents vasculaires présentés par le requérant sont le tabagisme et son âge.
[89] L’âge n’est pas un facteur qui peut être traité.
[90] Quant au tabagisme, tant docteure Desmarais en 2013 que docteur Taillefer en 2015 ont souligné que le requérant devait impérativement cesser de fumer.
[91] Le requérant ne l’a pas fait.
[92] Certes, il ne fait aucun doute que le fait de cesser de fumer peut, non pas guérir, mais à tout le moins diminuer dans une certaine mesure la progression de la condition du requérant, tant au niveau pulmonaire qu’au niveau de la composante vasculaire de sa claudication.
[93] Le Tribunal ne peut donc que renchérir et enjoindre le requérant de se rendre aux recommandations impératives des docteurs Desmarais et Taillefer.
[94] Toutefois, le Tribunal retient de l’opinion de docteure Desmarais que c’est la composante neurogène - attribuable à la sténose spinale multi-étagée - qui joue le rôle le plus important au niveau du phénomène de claudication.
[95] Or, à cet égard, et malgré les traitements de nature physique et pharmacologique, cette pathologie neurogène d’origine discale perdure depuis plusieurs années, sans amélioration aucune.
[96] Restent les recommandations faites par docteur Taillefer relativement à la nécessité de perdre du poids avec une diète hypocalorique, et d’entreprendre un programme de réentraînement à l’effort progressif et quotidien.
[97] En quoi ces recommandations permettraient-elles au requérant de réintégrer le marché du travail dans un emploi rémunérateur, le docteur Taillefer ne l’explique aucunement.
[98] Le requérant, qui bénéficie de l’aide financière de dernier recours, dit ne pas avoir les moyens financiers pour défrayer les coûts d’un programme de diète hypocalorique ni d’un programme de réentraînement à l’effort.
[99] Néanmoins, le Tribunal retient que le requérant fait certains efforts dans le sens des recommandations émises par le docteur Taillefer. Il mange un repas par jour et marche le plus souvent et régulièrement possible avec son chien.
[100] Le Tribunal retient également que le requérant est souffrant principalement en raison de sa condition discale et de sa claudication pour majeure partie neurogène. Il prend par ailleurs une lourde médication qui entraîne des effets secondaires, notamment le gain de poids, la perte d’énergie et la somnolence. En dépit de cela, le requérant demeure le plus actif possible dans les circonstances.
[101] Malgré l’investigation, désormais complétée, malgré les traitements physiques (physiothérapie initialement, suivie d’épidurales et plus récemment de blocs foraminaux), malgré un traitement pharmacologique revu et modifié à diverses reprises pour tenter de contrôler la douleur, la situation perdure depuis plusieurs années.
[102] Le Tribunal est d’avis que l’invalidité du requérant rencontre le second critère prévu à l’article 95 de la Loi, en ce que cette invalidité est en toute probabilité d’une durée indéfinie, permanente, et donc prolongée au sens de la Loi.
[103] Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal conclut que le requérant est invalide au sens de l’article 95 de la Loi.
[104] PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL,
ACCUEILLE le recours;
INFIRME la décision en révision rendue par l’intimée le 29 août 2014;
DÉCLARE le requérant invalide au sens de l’article 95 de la Loi.
Vaillancourt, Richer & Associés
Me Geneviève Girard-Gagnon
Procureure de la partie requérante
Lafond, Robillard & Laniel
Me Philippe Auger-Giroux
Procureur de la partie intimée
/cf
[1] RLRQ, chapitre R-9
[2] pages 14 et 15 du dossier
[3] voir rapport de docteure Beausoleil, page 9 du dossier.
[4] Le protocole d’imagerie médicale du 17 mars 2003 est au dossier. Il décrit un canal spinal congénitalement petit aux différents niveaux lombaires, accentué par des phénomènes de discopathie et des hernies discales lombaires surtout en regard de L3-L4 et L4-L5.
[5] pages 18 et 19 du dossier
[6] produite sous la pièce R-1
[7] pièce R-4
[8] Régie des rentes du Québec c. B.V., 2011 QCCA 1845, cité par le procureur de la Régie intimée à l’audience.
[9] pages 30 à 32 du dossier, voir plus particulièrement page 32.
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