Décision

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CDPDJ (Paquette) c. 9208-8467 Québec inc. et al. (500-408-144)

Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (Paquette) c. 9208-8467 Québec inc. (Résidence Sainte-Anne)

2016 QCTDP 20

 

JH5371

 
TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

 

 

 

 

N° :

500-53-000408-144

 

 

 

 

 

DATE :

13 juillet 2016

 

 

 

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SCOTT HUGHES

 

 

AVEC L'ASSISTANCE DES ASSESSEURS :    

 

Me Luc Huppé

Me Marie Pepin

 

 

 

 

 

 

COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, agissant en faveur de MICHELLE PAQUETTE

 

            Partie demanderesse

 

c.

 

9208-8467 Québec Inc., faisant affaire sous le nom de RÉSIDENCE SAINTE-ANNE

 

et

 

ALEXANDRE CARON

 

et

 

DORIS CARON

 

            Parties défenderesses

 

et

 

MICHELLE PAQUETTE

 

            Partie victime et plaignante

 

 

 

 

JUGEMENT

 

 

 

 

 

[1]         La Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse (ci-après la « Commission ») demande au Tribunal de constater que les défendeurs, 9208-8467 Québec Inc. (ci-après « Résidence Ste-Anne »), Alexandre Caron et Doris Caron, ont porté atteinte au droit de madame Michelle Paquette de bénéficier de conditions de travail sans discrimination fondée sur le handicap, en la congédiant en raison de son état de santé, de façon contraire aux articles 10 et 16 de la Charte des droits et libertés de la personne[1] (ci-après la « Charte ») et qu'ils ont compromis son droit à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité du droit au respect de sa dignité, sans distinction ou exclusion fondée sur le handicap, de façon contraire aux articles 4 et 10 de la Charte.

[2]         La Commission demande au Tribunal de condamner solidairement les défendeurs à verser à madame Paquette une somme de 12 000 $ à titre de dommages moraux et une somme de 1 149,72 $, équivalant à un mois de salaire. De plus, elle demande de condamner monsieur Caron et madame Caron à lui verser chacun la somme de 2 500 $ à titre de dommages punitifs. Enfin, la Commission demande au Tribunal d’ordonner à Résidence Sainte-Anne de se doter d’une politique anti-discrimination en emploi et d’en informer son personnel.

[3]         La demande initiale de la Commission contenait également d'autres demandes. Celle visant à ordonner aux défendeurs de remettre à madame Paquette une lettre de recommandation confirmant l'excellence de son travail comme préposée aux bénéficiaires à la Résidence Sainte-Anne pour la période du 11 mars au 7 avril 2011 est devenue sans objet étant donné l'engagement des défendeurs de lui remettre une attestation d’emploi conforme à la Loi sur les normes du travail[2]. Par ailleurs, la Commission a retiré ses demandes à l'audience visant à ordonner aux défendeurs de remettre une lettre d'excuses en lien avec le congédiement, à leur ordonner de transmettre une copie du jugement à intervenir au personnel de la Résidence Sainte-Anne et à leur ordonner de lui faire parvenir une copie des documents mentionnés ci-dessus.

[4]         L’audience s'est déroulée devant le Tribunal les 17 et 18 février 2016. Outre madame Paquette, madame Céline Brassard a témoigné pour la demande, à titre de chef d’équipe et collègue de travail. Quant à la défense, elle a présenté le témoignage de madame Myriam Desloges, préposée aux bénéficiaires et collègue de travail, ainsi que celui de monsieur Caron, propriétaire de l’entreprise qui employait madame Paquette, et celui de madame Caron, propriétaire de l’immeuble dans lequel cette entreprise est administrée.

I.          LES FAITS

[5]         Depuis 1997, madame Paquette souffre de sclérose en plaques, de type « épisode », ou « poussée/rémission ». Les épisodes se manifestent une ou deux fois par année, de manière imprévisible, et se traduisent par de la fatigue et un engourdissement des mains ou des pieds. La durée des symptômes est très variable.

[6]         Elle postule à un emploi de préposée aux bénéficiaires à la Résidence Sainte-Anne, qui héberge des personnes âgées. Selon le relevé du Registraire des entreprises[3], monsieur Caron est son seul administrateur et madame Caron n’est pas à son emploi et n'y occupe ni le poste d'administratrice, ni un poste de dirigeant. En 2011, la Résidence hébergeait vingt personnes, dix dans la section dite « ressource intermédiaire », occupant un étage et auquel est affecté un préposé en tout temps, et dix résidents privés, occupant l'étage supérieur et auquel est aussi affecté un préposé en tout temps.

[7]         Les qualifications de madame Paquette comprennent quelques années d’expérience dans le domaine, un cours inachevé d’infirmière auxiliaire ainsi que du travail pour une agence de placement. Elle a une entrevue d’embauche avec monsieur Caron. Selon son témoignage, cette entrevue s'est tenue le 11 mars 2011 et selon le témoignage de M. Caron, elle s'est tenue le 7 mars à 14h30. Lors de cette entrevue, M. Caron avait en mains un questionnaire contenant les questions suivantes[4] :

1- Parlez-moi de votre expérience de travail?

                         -Pourquoi avez-vous quitté cet emploi?

                         -Pourquoi désirez-vous quitter votre emploi actuel?

                         -Pourquoi n’êtes-vous plus à cet emploi?

2-Expérience professionnelle dont vous êtes fière (situation d’urgence-réalisation quelconque)?

3-Situation dans votre travail qui vous fait peur ou que vous soyez moins à l’aise?

4- Aimez-vous le travail en équipe?

5-Quels sont vos points forts (qualités et aptitudes)?

6-Quels sont vos points faibles (défauts, faiblesses)?

7-Pourquoi avez-vous choisi cette orientation?

8-Aimez-vous vraiment travailler auprès des personnes âgées?

9-Énumération des tâches à accomplir et validation avec le candidat s’il est apte et à l’aise pour effectuer toutes les tâches reliées à son emploi?

10-Avez-vous des restrictions médicales et/ou physiques qui vous empêchent d’accomplir certaines tâches liées à votre emploi?

11-Avez-vous déjà eu une situation avec laquelle vous avez eu de la difficulté à gérer?

12-Validation avec le candidat que ses certificats RCR et PDSB sont en vigueur et s’il possède la formation Loi 90 et s’il a un DEP?

13-Est-ce que vous croyez être un bon candidat pour le poste?

14-Quelles sont vos disponibilités? Date de début d’emploi, etc.?

15-Quel est le taux horaire que vous recherchez?

Références demandées s’il y a lieu?

[8]         Monsieur Caron témoigne que les questions qu'il a posées à madame Paquette n'étaient peut-être pas exactement celles apparaissant au questionnaire, mais qu'il a abordé tous les sujets. En ce qui concerne la question 10, il affirme l'avoir posée telle quelle est rédigée dans le questionnaire. Aucune des notes manuscrites qu'il a prises à cette occasion ne concerne ce sujet[5].  Pour sa part, madame Paquette indique que les questions qui lui ont été posées n'étaient pas aussi précises, étant donné qu'elle avait fourni un curriculum vitae détaillé. Elle a indiqué où elle avait travaillé auparavant et quelles étaient ses disponibilités.

[9]         Madame Paquette affirme n’avoir rien caché à son futur employeur à propos de son état de santé. Au moment de l'entrevue, elle n'avait aucune restriction l'empêchant d'accomplir son travail. Elle ne ressentait aucune fatigue et ne présentait aucun symptôme.  Aucune question ne lui a été posée quant à son aptitude à accomplir les tâches reliées au poste, ni quant à des restrictions médicales reliées à l'emploi. Elle admet ne pas avoir divulgué qu'elle était atteinte de la sclérose en plaques. Pour sa part, monsieur Caron maintient avoir posé des questions suffisamment précises sur son état de santé, qui auraient exigé qu’elle dévoile sa maladie.

[10]        Elle est engagée la même journée et reçoit son horaire de travail le lendemain de l’entrevue. Selon monsieur Caron, la première journée de travail de madame Paquette a eu lieu le 11 mars 2011, donc quatre jours après l'entrevue. Madame Céline Brassard, sa chef d'équipe, s'occupe de lui fournir sa formation.

[11]        Madame Paquette ressent un engourdissement dans la main gauche le 24 mars. Elle s'en ouvre à l'une de ses collègues de travail. Le lendemain, 25 mars 2011, elle consulte son infirmière traitante, qui lui fait voir la neurologue d'urgence. Cette dernière lui prescrit un arrêt de travail de trois semaines[6]. Le jour même, madame Paquette remet ce billet à son chef d’équipe, madame Brassard, et quitte le travail. Cette dernière affirme qu’elle l’a déposé sur le bureau de monsieur Caron, à l’endroit habituel, comme elle le fait toujours, étant donné qu'il était absent.

[12]        Monsieur Caron nie toutefois avoir reçu ce certificat. Il affirme que s'il en avait pris connaissance, il aurait obligé madame Paquette à prendre congé pour toute la durée du billet médical. Néanmoins, il témoigne avoir été informé le 25 mars par madame France Fecteau, une employée de longue date, de l'absence de madame Paquette et de la maladie de cette dernière. Une autre employée, qu'il contacte pour remplacer madame Paquette, fait également état de cette maladie. L'information lui est parvenue à ce moment relativement à la situation médicale de madame Paquette.

[13]        Le lendemain, 26 mars 2011, madame Paquette discute de son état de santé avec monsieur Caron dans le cadre d'une conversation téléphonique. Monsieur Caron participe à cette conversation dans son automobile, en mains libres. Madame Caron se trouve avec lui et en entend donc la totalité. Le contenu de cette conversation a fait l'objet de témoignages discordants.

[14]        Selon madame Paquette, monsieur Caron lui reproche alors de ne pas lui avoir divulgué sa maladie et ajoute qu'il ne l'aurait pas embauchée s'il avait su. Il fait état des inconvénients que lui causent son absence. Madame Paquette, qui craint de perdre son emploi, affirme pouvoir reprendre le travail rapidement. Elle témoigne qu'elle peut accomplir l'ensemble des tâches reliées à son emploi malgré ses engourdissements. Elle dit n'avoir jamais eu à demander de l'aide. Il n'y a qu'une seule tâche qu'elle considère risquée. Pour pallier l'engourdissement de sa main gauche, qui peut s'ouvrir sans qu'elle ne s'en rende compte pendant une poussée de sa maladie, elle demande à monsieur Caron de ne pas avoir à servir les liquides (comme la soupe, les boissons chaudes) aux résidents. Selon sa version, monsieur Caron lui aurait répondu: « C'est la job, fais ce que tu as à faire ». Ce dernier nie cependant avoir eu des échanges avec elle à ce sujet lors de cette conversation.

[15]        Monsieur Caron affirme qu'étant familier avec la sclérose en plaques, il a demandé à madame Paquette à quel stade en était rendue la maladie. Cette dernière lui aurait répondu qu'elle n'avait aucune restriction quant à son travail, mais qu'elle avait besoin d'un jour de repos. Cette demande lui est accordée et ils conviennent qu'elle reviendra au travail le lendemain, 27 mars. Selon madame Caron, monsieur Caron aurait demandé à madame Paquette si elle était sûre de ne pas avoir besoin de plus de repos. Madame Paquette témoigne plutôt qu'au cours de cette conversation, elle a demandé deux ou trois jours de repos, qui lui ont été accordés.

[16]        Monsieur Caron exige une attestation confirmant sa capacité d’effectuer les tâches afférentes au poste pour lequel elle a été embauchée. Selon son témoignage et celui de madame Caron, madame Paquette lui aurait répondu qu'il l'aurait le lundi suivant. Elle ne l’obtiendra toutefois qu'après son congédiement, survenu le 7 avril 2011. Son rendez-vous régulier avec sa neurologue était déjà fixé au 20 avril et le certificat lui a été fourni le 23 avril[7].

[17]        Le 27 mars, madame Paquette reçoit un appel de madame Brassard, lui demandant pourquoi elle n'est pas au travail tel que prévu. Elle répond qu'elle a convenu avec monsieur Caron qu'elle reviendrait au travail le 29 mars. Madame Brassard est contrariée par son absence et prend contact avec monsieur Caron. Ce dernier en tire comme conclusion que madame Paquette a menti quant à son retour au travail lors de leur conversation du 26 mars. C'est madame Brassard qui la remplace pour son quart de travail.

[18]        Monsieur Caron témoigne qu'il a contacté madame Paquette le 27 mars et que cette dernière lui aurait répondu qu'elle ne se sentait pas bien, qu'elle avait besoin de quelques journées de repos et qu'elle reprendrait ces journées. Il lui redemande alors un certificat d'aptitude. Dans son témoignage, madame Paquette n'a pas fait état d'une seconde conversation téléphonique avec monsieur Caron.

[19]        Pendant ses jours d'absence, madame Paquette ne reçoit aucune rémunération, ne bénéficiant pas d'une assurance salaire. Elle revient au travail le 29 mars 2011 et, selon elle, elle travaille aussi le 30 et le 31 mars, de même que les 1er, 2, 3 et 4 avril 2011. Monsieur Caron affirme qu'elle a plutôt travaillé le 3 avril[8]. Elle revoit l'infirmière le 6 avril, de même qu'une neurologue qui remplaçait son médecin traitant. On lui réitère alors qu’elle doit prendre un repos et on lui prescrit un arrêt de travail jusqu'au 20 avril 2011, date à laquelle elle a un rendez-vous avec sa neurologue, la Dre Anne-Marie Sarrasin[9]. À nouveau, elle remet ce billet à sa chef d'équipe, madame Brassard, qui témoigne l'avoir déposé sur le bureau de monsieur Caron comme le billet précédent.

[20]        Ce dernier nie avoir reçu le document, mais relate que madame Brassard l'a informé de l'absence de madame Paquette et du billet médical obtenu par celle-ci. Il se met alors à douter de l'honnêteté de madame Paquette et de sa capacité à travailler de façon sécuritaire. Il dit l'avoir convoquée pour le lendemain, 7 avril 2011.

[21]         Pour sa part, madame Paquette témoigne qu'elle s'est présentée à la Résidence le 8 avril pour prendre sa paie.

[22]        Au cours de cette rencontre, monsieur et madame Caron sont présents. C'est la première fois que madame Paquette et madame Caron se rencontrent. Les défendeurs lui remettent une lettre de congédiement, rédigée par madame Caron et datée du 7 avril, qui se lit comme suit[10] :

« Madame,

La présente constitue une lettre de congédiement en raison de vos nombreuses absences répétitives dû [sic] à votre état de santé.

En effet, depuis le 11 mars 2011, date de votre entrée en fonction à la résidence, vous avez manqué 4 jours pour maladie. Le 4 avril vous avez manqué 1 journée pour absence et le 6 avril vous avisiez la directrice de la résidence que vous serez absente 3 semaines pour raison de maladie, toujours dû à votre état de santé que nous ignorions jusqu’au 26 mars 2011.

Samedi le 26 mars 2011, Alexandre Caron vous demandait un papier de votre médecin traitant attestant que vous étiez apte à occuper les fonctions que demande votre travail. À ce jour, vous ne nous avez jamais remis le dit papier. De plus, vous lui avez répondu que vous étiez correct [sic] et apte à faire votre travail qu’il pouvait arriver de temps à autre que vous vous absentiez 1 ou 2 journées mais que cela arrivait très rarement.

Lors de votre embauche nous avons cru avoir enfin comblé un poste vaquant [sic] qui nous occasionnait un sérieux problème. Vos nombreuses absences ne font qu’envenimer ce problème et nous retournons à la case départ.

Compte tenu de toutes ces raisons, nous avons pris la décision de mettre fin à votre emploi qui prend effet à compter du 4 avril 2011, date de votre dernière journée de travail.

Nous vous souhaitons un prompt rétablissement,

Doris Caron

Propriétaire

c.c. Alexandre Caron, Propriétaire

(Soulignements ajoutés)

[23]        Selon monsieur et madame Caron, madame Paquette aurait fait montre d'agressivité lors de cette rencontre. Elle leur aurait jeté au visage le billet médical qu'elle avait obtenu le 25 mars 2011. Ils disent en avoir alors pris connaissance pour la première fois. Ils constatent ainsi que madame Paquette a travaillé depuis cette date malgré qu'un médecin lui ait prescrit un arrêt de travail.

[24]        Monsieur Caron affirme que s'il avait été informé de la situation médicale de madame Paquette, il aurait fait des vérifications avant de décider de l'embaucher. Il lui aurait fait passer un test médical pour s'assurer de l'absence de restrictions par rapport aux tâches qu'elle devait accomplir. Il aurait aussi vérifié ses antécédents auprès d'autres employeurs.

[25]        Madame Paquette a porté plainte auprès de la Commission le 28 avril 2011.

 

 

 

II.         LES QUESTIONS EN LITIGE ET DISPOSITIONS PERTINENTES

[26]        Le Tribunal doit trancher les questions suivantes :

 

a)          la situation de santé de madame Paquette constitue-t-elle un handicap au sens de l'article 10 de la Charte ?

 

b)          dans l'affirmative, ce handicap fait-il partie des motifs pour lesquels madame Paquette a été congédiée ?

 

c)           les défendeurs ont-ils porté atteinte au droit de madame Paquette de bénéficier de conditions de travail sans discrimination fondée sur le handicap en contravention avec les articles 10 et 16 de la Charte ?

 

d)          si tel est le cas, quelle est la réparation appropriée ?

[27]        Les dispositions suivantes de la Charte constituent les assises du recours de la Commission :

4. Toute personne a droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.

10. Toute personne a droit à la reconnaissance et à l'exercice, en pleine égalité, des droits et libertés de la personne, sans distinction, exclusion ou préférence fondée sur la race, la couleur, le sexe, la grossesse, l'orientation sexuelle, l'état civil, l'âge sauf dans la mesure prévue par la loi, la religion, les convictions politiques, la langue, l'origine ethnique ou nationale, la condition sociale, le handicap ou l'utilisation d'un moyen pour pallier ce handicap.

Il y a discrimination lorsqu'une telle distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre ce droit.

16. Nul ne peut exercer de discrimination dans l'embauche, l'apprentissage, la durée de la période de probation, la formation professionnelle, la promotion, la mutation, le déplacement, la mise à pied, la suspension, le renvoi ou les conditions de travail d'une personne ainsi que dans l'établissement de catégories ou de classifications d'emploi.

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d'atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs.

 

III.        L’ANALYSE

 

A)        L'existence d'une discrimination

[28]        Le Tribunal a déjà décidé qu'une maladie semblable à la sclérose en plaques constituait un handicap au sens de l'article 10 de la Charte[11]. Il ne fait pas de doute que la sclérose en plaques dont souffre madame Paquette est un handicap. Une abondante jurisprudence a conclu en ce sens[12]. Les défendeurs ne remettent d'ailleurs pas en cause ce point de vue.

[29]        Trois éléments sont requis pour établir l'existence de discrimination. La Cour suprême du Canada, sous la plume de la juge Abella écrivait[13] :

[46]    Pour établir l’existence de discrimination visée par l’art. 10 de la Charte québécoise, il faut procéder à une analyse en trois étapes.  Un demandeur doit démontrer :

(1)   qu’il existe une « distinction, exclusion ou préférence »,

(2)   que cette « distinction, exclusion ou préférence » est fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa de l’art. 10 de la Charte québécoise, et

(3)   que la « distinction, exclusion ou préférence a pour effet de détruire ou de compromettre » le « droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit ou d’une liberté de la personne.

 

[30]         La distinction peut être intentionnelle ou non. Dans le même arrêt, la juge Abella relate à ce sujet les propos du juge McIntyre[14] qui donne cette définition de la discrimination :

J’affirmerais alors que la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.  Les distinctions fondées sur des caractéristiques personnelles attribuées à un seul individu en raison de son association avec un groupe sont presque toujours taxées de discriminatoires, alors que celles fondées sur les mérites et capacités d’un individu le sont rarement.

[31]         La lettre de congédiement de madame Paquette est explicite quant aux motifs qui conduisent les défendeurs à mettre fin à son emploi: sa maladie. Cette lettre constitue une preuve suffisante de discrimination à l’endroit de madame Paquette. En conséquence, pour échapper à la responsabilité de son comportement discriminatoire, l’employeur a le fardeau de justifier son geste.

[32]        Monsieur Caron et sa tante, madame Caron, admettent avoir remis la lettre de congédiement à madame Paquette. Mais selon eux, cette lettre, écrite rapidement, ne reflète pas les raisons véritables du congédiement. Ces raisons sont les suivantes. D'une part, madame Paquette aurait menti lors de son entrevue d’embauche à propos de son état de santé, ce qui crée une rupture irrémédiable du lien de confiance nécessaire à une relation employeur-employé. D'autre part, l’état de santé requis de la part des employés de la Résidence Sainte-Anne constituerait une exigence professionnelle justifiée et il y aurait une contrainte excessive à fournir un accommodement à madame Paquette.

[33]        Selon les défendeurs, le défaut de madame Paquette d'avoir révélé sa maladie lors de son entrevue entraîne une rupture irrémédiable du lien de confiance à son endroit. Pour soutenir leur point de vue, les défendeurs appuient largement leur argumentation sur l'arrêt rendu par la Cour d’appel dans Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières-auxiliaires du Cœur du Québec (SIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières[15]. D’importantes distinctions doivent cependant être faites entre la situation examinée dans cet arrêt et les faits de la présente affaire.

[34]        Dans cet arrêt, la Cour d’appel écrit notamment ce qui suit, sous la plume du juge Rochette[16] :

La cueillette de l'information médicale ne doit pas être utilisée pour embaucher seulement le candidat en parfaite santé qui représente le moins de risque d'absentéisme.  L'employeur est en droit d'imposer des exigences en regard des aptitudes requises pour l'exercice d'un emploi, mais ces exigences doivent être raisonnables et avoir un lien rationnel avec l'emploi.

[35]        De plus, soulignons que l’employé avait délibérément donné de fausses informations en réponse à un questionnaire écrit d’embauche. L’employeur ne connaissait pas l’état de santé du demandeur, qui lui avait été volontairement dissimulé. La Cour d’appel en est donc venue à la conclusion que le contrat de travail était nul ab initio et que l’employeur n’avait pas d’obligation d’accommodement, celle-ci n’étant jamais née[17]:

Ainsi, le postulant qui fait de fausses déclarations à son futur employeur et lui cache ainsi des faits susceptibles d'influencer sa capacité de travailler risque l'annulation de son contrat de travail puisque l'erreur porte alors sur un élément essentiel qui a déterminé le consentement.  Il en va de même lorsque l'erreur est provoquée par le dol de l'autre partie.  Le consentement de l'employeur est alors vicié et le contrat de travail nul ab initio.

[36]        Ce n’est pas le cas en l'instance. La preuve n’indique pas que madame Paquette ait menti lors de son entrevue d’embauche, ni qu'elle ait donné des réponses fausses aux questions qui lui ont été posées. Elle n’a pas spécifié qu’elle souffrait de sclérose en plaques parce qu’elle considérait qu’elle n’avait pas à le faire compte tenu des questions posées. Elle se dit apte à faire le travail de préposée aux bénéficiaires, et elle était appuyée en cela par son médecin, qui l’avait encouragée à suivre le cours d’infirmière auxiliaire. 

[37]        L’infirmière[18] qui effectuait le suivi médical de madame Paquette et la neurologue qui la traitait ont toutes deux corroboré, par des déclarations écrites déposées en preuve du consentement des parties, qu’elle était apte à exécuter les tâches de préposée aux bénéficiaires[19]. Comme elle n’avait pas de restrictions médicales, elle était justifiée de ne pas dévoiler sa maladie en l'absence d'une question précise en ce sens.

[38]        Dès le 25 mars 2011, monsieur Caron est informé que madame Paquette souffre de sclérose en plaques. S'il avait considéré que celle-ci avait donné des réponses fausses aux questions qu'il lui avait posées deux semaines plus tôt, que ces faussetés présentaient un degré de gravité tel que son consentement avait été vicié et que le lien de confiance était irrémédiablement rompu, il devait dénoncer immédiatement le contrat d'emploi conclu avec madame Paquette. En acceptant qu'elle continue à travailler pour la Résidence, il a ratifié ce contrat, même s'il a posé l'exigence qu'elle fournisse un certificat médical démontrant son aptitude.

[39]        Le 25 mars 2011, donc, monsieur Caron connaît la situation de santé de madame Paquette et l’accepte, sous réserve d’un éventuel certificat d’aptitude au travail.  À partir de ce moment, il consent à lui fournir un léger accommodement, en lui permettant de prendre un ou plusieurs jours de congé, selon la version de l'un ou de l'autre. Madame Paquette est donc en repos les 26, 27 et 28 mars 2011. Elle revient au travail le 29 mars. De peur de perdre son emploi, elle ne prend pas le congé de trois semaines prescrit par la neurologue. À cette étape, le Tribunal constate qu’un contrat de travail valide existe entre les parties et qu’il y a naissance d’une obligation d’accommodement à l'endroit de Mme Paquette.

[40]        Monsieur Caron fait valoir en outre que l’état de santé de madame Paquette met en péril la sécurité des patients et refuse aussi de l’accommoder pour cette raison.

[41]        L’article 20 de la Charte énonce qu’une « distinction, exclusion ou préférence » peut être fondée sur « les aptitudes ou qualités requises par un emploi ». C‘est ce qui s’appelle la défense de l’exigence professionnelle justifiée (EPJ).

[42]        Les circonstances permettant de fonder un refus sur une exigence professionnelle justifiée sont énoncées par la juge Abella dans l'arrêt Centre universitaire de santé McGill [20] et prennent appui dans l’arrêt Meiorin[21] :

[51] Pour justifier le comportement, l’employeur doit démontrer qu’il était raisonnablement nécessaire pour réaliser un but légitime du milieu de travail.  Comme l’explique la juge McLachlin au par. 54 de l’arrêt Meiorin, la preuve de la nécessité raisonnable consiste notamment à démontrer qu’« il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive ».  C’est là qu’il faut se demander si l’employeur a raisonnablement accommodé un individu dont l’identité collective est à l’origine d’un désavantage arbitraire en milieu de travail.

[52] L’arrêt Meiorin définit le fardeau de preuve dont l’employeur doit s’acquitter pour justifier un comportement discriminatoire, c’est-à-dire pour démontrer que ce comportement est visé par « une exception à l’interdiction générale de la discrimination » : par. 67.  Cela représente, à juste titre, un lourd fardeau.  Ce fardeau renforce la primauté des principes en matière de droits de la personne dans un milieu de travail et indique aux employeurs qu’ils ne peuvent justifier un tel comportement à l’égard d’un employé que si cet employé ne peut pas être raisonnablement accommodé.  S’ils peuvent justifier le comportement, il n’y a pas de discrimination.  Il constitue un élément du moyen de défense fondé sur la justification, et non une obligation juridique distincte : si le comportement ou la norme n’est pas discriminatoire, à première vue ou de par son effet, aucun fardeau de justification n’incombe à l’employeur.

[43]        Dans l’arrêt Meiorin[22], la juge Abella suggère l’application d’un test en trois étapes pour déterminer si la norme discriminatoire à première vue est une exigence professionnelle justifiée :

(1)         L’employeur peut démontrer qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. Cela réfère généralement à la sécurité et l’efficacité.

(2)         L’employeur démontre qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Cet aspect plus subjectif ne peut suffire en soi à établir une EPJ;

 

(3)         L'employeur démontre que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[44]        Madame Brassard a témoigné de la compétence de madame Paquette, qu'elle faisait très bien son travail et qu’il était facile de l’accommoder quant au service des liquides. Elle-même le faisait et selon elle, les autres collègues aussi. La cousine de madame Paquette travaillait à la résidence et avait déjà informé les autres préposées de son état de santé avant son arrivée.

[45]        Aussi le Tribunal constate que les déclarations d’aptitude au travail de l’infirmière et de la neurologue ne sont d’aucune manière contredites, si ce ne sont que les craintes alléguées de monsieur Caron, qui ne sont appuyées d'aucune preuve. Le questionnement relatif à la sécurité des patients est alors sans fondement. L’application du test développé dans l’arrêt Meiorin démontre ainsi que la décision de congédier madame Paquette n’est pas justifiée.

[46]        Madame Desloges, préposée et collègue de madame Paquette, prétend qu’elle a dû effectuer tout le travail de madame Paquette lors d’un quart de travail, mais sans donner de précision quant à la date, même approximative, de cet évènement. En contre-preuve, madame Paquette est venue expliquer l’impossibilité de cette version, en raison de l’aménagement physique de la résidence. « Il y aurait eu de nombreuses plaintes si tel avait été le cas », affirme-t-elle, et il n’y en a eu aucune.

[47]        Vu l’invraisemblance de la situation décrite par madame Desloges, le Tribunal juge non crédible cette partie de son témoignage. Le scepticisme du Tribunal quant à la position des défendeurs est aussi alimenté du fait que madame Caron aurait demandé à madame Brassard de rendre un témoignage favorable aux défendeurs, sous peine de perdre son emploi, ce que celle-ci a refusé de faire.

[48]        Outre ce qui précède, monsieur Caron ajoute qu’il aurait dû se questionner sur la compétence de madame Paquette compte tenu du grand nombre d’endroits où elle a travaillé. À cela, elle rétorque qu’elle travaillait pour une agence de placement afin d'effectuer des remplacements, ce qui explique ses nombreux lieux de travail.

[49]        Ce reproche serait-il fondé qu’il n’ajouterait rien au fait que, si madame Paquette a été victime d’un congédiement comportant un lien avec son handicap, ses droits garantis par la Charte ont été violés. Cette position est clairement établie par la Cour suprême dans l’arrêt Bombardier[23] qui conclut que, pour engager la responsabilité de son auteur, il n’est pas essentiel que le lien entre le motif prohibé de discrimination et la décision reprochée soit exclusif.

[50]        Enfin, monsieur Caron témoigne que la Résidence Sainte-Anne a perdu le volet « ressource intermédiaire » octroyé par le ministère de la Santé et des Services sociaux et qu’il cherche à le récupérer. Cela justifie aussi selon lui de ne pas conserver à son emploi une employée souffrant d’un handicap.

[51]        Cette situation est cependant très postérieure au litige et n’a aucun lien avec la situation de madame Paquette. Par ailleurs, monsieur Caron n’a pas fourni les raisons données par le ministère relativement à cette perte de statut. Enfin, rappelons que le médecin traitant jugeait madame Paquette apte à effectuer ce travail.

[52]        Conformément à l’article 10 de la Charte, la Commission a établi que lors de son congédiement, madame Paquette a été victime d’une « distinction, exclusion ou préférence », fondée sur l’un des motifs énumérés au premier alinéa, soit le handicap, et que cela a eu pour effet de détruire ou compromettre son droit à la pleine égalité dans la reconnaissance et l’exercice d’un droit de la personne. Elle a ainsi assumé  son fardeau de preuve.

[53]        Les défendeurs ont échoué à établir l’existence d’une exigence professionnelle justifiée ou d’une contrainte excessive. Il était possible de fournir un accommodement à madame Paquette et ils n’ont pas satisfait à cette obligation.

B)        La réparation appropriée

[54]        Madame Paquette a travaillé moins d'un mois auprès de la Résidence Sainte-Anne. Son emploi a pris fin de manière abrupte, en contravention avec son droit fondamental d'être traitée sans discrimination. La preuve a démontré sa difficulté à surmonter cette épreuve et à reprendre la vie active. La réclamation de la Commission pour une indemnisation équivalant à un mois de salaire, soit la somme de 1 149,72 $, à titre de dommages matériels est amplement justifiée.

[55]        En ce qui concerne les dommages moraux, la preuve démontre que madame  Paquette a beaucoup souffert de ce congédiement. Elle témoigne que « ça lui rentre dedans, ça la démolit ». Elle se sent jugée. Elle perd confiance en elle et se sent plus  « bonne à rien ». Pour reprendre son expression, elle « a viré sur le top ». Elle travaille quelque temps dans une boutique de vêtement, puis son médecin diagnostique une dépression. Après une période d'invalidité d'un an, elle retourne au travail à temps partiel.

[56]        Le montant de 12 000 $ réclamé par la Commission à titre de dommages moraux est élevé. La Commission n'a invoqué aucune autorité à ce sujet. Dans les circonstances, le Tribunal établit à la somme de 7 500 $ le montant de l'indemnisation relative aux dommages moraux.

[57]        Ces deux montants sont réclamés solidairement de l'ensemble des défendeurs. À titre d'employeur de madame Paquette, la responsabilité de Résidence Sainte-Anne est clairement engagée.

[58]        En ce qui concerne madame Caron, elle n'exerce officiellement aucune fonction au sein de Résidence Sainte-Anne, étant plutôt propriétaire de l'immeuble dans lequel la résidence est opérée. En principe, cette situation devrait conduire à son exonération. Cependant, madame Caron est largement impliquée dans le congédiement de madame Paquette. C'est elle qui rédige la lettre de congédiement, démontrant l'existence d'une discrimination. C'est elle qui signe la lettre et qui se désigne comme propriétaire, ce qui est trompeur étant donné qu'elle est propriétaire de l'immeuble, mais non de Résidence Sainte-Anne. Sans occuper aucune fonction officielle au sein de cette compagnie, elle participe à la rencontre au cours de laquelle madame Paquette est congédiée. Elle conseille monsieur Caron et agit avec son accord. Ainsi, elle contribue activement à la décision de congédier madame Paquette.

[59]        De l'avis du Tribunal, cette situation particulière est amplement suffisante pour permettre de conclure que, par ses actes personnels, madame Caron a assumé un rôle important dans le congédiement de madame Paquette. Elle a donc engagé sa responsabilité personnelle en ce qui a trait aux conséquences de la discrimination dont madame Paquette a été l'objet.

[60]        En tant qu'administrateur de Résidence Sainte-Anne, monsieur Caron peut en principe se retrancher derrière le voile corporatif pour éviter une responsabilité personnelle concernant la discrimination commise par la compagnie qu'il dirige. Cependant, il est l'alter ego de la compagnie. Il a personnellement participé au congédiement de madame Paquette et c'est lui qui a pris cette décision. Il a laissé sa tante s'immiscer dans la relation employeur-employé entre Résidence Sainte-Anne et madame Paquette et il a endossé sa participation à ce congédiement.

[61]        En outre, l'article 317 du Code civil du Québec prévoit ce qui suit:

317. La personnalité juridique d'une personne morale ne peut être invoquée à l'encontre d'une personne de bonne foi, dès lors qu'on invoque cette personnalité pour masquer la fraude, l'abus de droit ou une contravention à une règle intéressant l'ordre public.

(Soulignement ajouté)

[62]        Les articles 10 et 16 de la Charte sont très certainement des règles « intéressant l'ordre public » au sens de cette disposition[24]. La bonne foi de madame Paquette n'est pas mise en doute.

[63]        Le Tribunal conclut donc que la condamnation relative aux dommages matériels et celle concernant les dommages moraux doit être prononcée contre les trois défendeurs. Toutefois, vu les sources de droit tantôt contractuelles et tantôt extracontractuelles, la condamnation doit être faite in solidum et non solidairement[25]

[64]        En ce qui concerne les dommages punitifs, ils ne peuvent être accordés, selon les termes de l'article 49 de la Charte, qu'en cas de contravention illicite et intentionnelle. Dans Québec (Curateur public) c. Syndicat national des employés de l'Hôpital St-Ferdinand[26], la Cour suprême du Canada définit cette notion comme suit:

En conséquence, il y aura atteinte illicite et intentionnelle au sens du second alinéa de l'art 49 de la Charte lorsque l'auteur de l’atteinte illicite a un état d’esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s’il agit en toute connaissance des conséquences, immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables, que cette conduite engendrera. Ce critère est moins strict que l'intention particulière, mais dépasse, toutefois, la simple négligence.  Ainsi, l’insouciance dont fait preuve un individu quant aux conséquences de ses actes fautifs, si déréglée et téméraire soit-elle, ne satisfera pas, à elle seule, à ce critère.

[65]        Ni monsieur Caron, ni madame Caron ne pouvaient ignorer les conséquences très probables que pourrait causer à madame Paquette un congédiement survenant en pleine crise, alors qu'aucune mesure véritable d'accommodement n'avait été envisagée. La dévalorisation qu'elle a subie, alors qu'elle-même, ses collègues de travail et le personnel médical qui la suivait la considéraient apte à accomplir ses fonctions, était inévitable.

[66]        Selon la preuve, madame Paquette avait tout simplement besoin d'un peu de soutien et de compréhension. Elle a fait face chez les défendeurs à une fermeture pratiquement complète par rapport à la situation créée par son handicap. Ce n'est ni par négligence, ni par insouciance que les défendeurs l'ont congédiée en raison de son handicap, mais de manière consciente et délibérée. Le Tribunal ne peut non plus ignorer le fait que les défendeurs ont d'abord congédié madame Paquette en invoquant sa situation de santé pour ensuite tenter de justifier ce congédiement par d'autres raisons.

[67]        Le Tribunal est d'avis que cette situation justifie l'attribution de dommages punitifs. Étant donné que le montant des dommages punitifs doit être établi au niveau de la somme la moins élevée qui permet d'atteindre le but recherché par cette condamnation, soit de dissuader l'auteur des actes discriminatoires, de prévenir la répétition de tels actes et d'exprimer la réprobation sociale à leur égard[27], et compte tenu du peu d'éléments de preuve aux fins de l'application des critères établis par le législateur à l'article 1621 du Code civil du Québec, le Tribunal les arbitre au montant de 1 500 $ pour chacun de monsieur Caron et de madame Caron.

[68]        En ce qui concerne la demande de la Commission concernant l'adoption par la Résidence d'une politique anti-discrimination, elle est formulée ainsi :

ORDONNER à la défenderesse Résidence Sainte-Anne (9208-8467 Québec inc.) de se doter d'une politique anti-discrimination en emploi, reprenant les droits garantis aux articles 10 et 16 de la Charte et soulignant l'obligation d'accommodement raisonnable qui incombe à l'employeur, notamment dans le cas du handicap d'un employé, remettre une copie de cette politique à tout son personnel et faire parvenir une copie de cette politique à la Commission, le tout, dans un délai de 60 jours du jugement à intervenir.

[69]        La Commission n'a pas élaboré sur le contenu d'une telle politique. L'ordonnance demandée présente une certaine ambiguïté quant à ce qui serait précisément requis des défendeurs pour s'y conformer sans encourir de conséquences juridiques. S'agit-il simplement de faire connaître aux employés de la Résidence Sainte-Anne l'existence des articles 10 et 16 de la Charte et l'obligation d'accommodement qui en découle ? S'agit-il d'instaurer un mécanisme de plaintes internes applicable aux situations de discrimination alléguée ? S'agit-il pour les défendeurs d'exprimer publiquement leur engagement à respecter les obligations que la Charte leur impose ? En l'absence de demandes plus précises, le Tribunal considère qu'il n’est pas approprié de prononcer une telle ordonnance, susceptible de multiples interprétations et qui pourrait devenir elle-même une source de conflits additionnels.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE partiellement la demande;

CONDAMNE  in solidum 9208-8467 Québec Inc., Alexandre Caron et Doris Caron à verser à Michelle Paquette la somme de 7 500 $ à titre de dommages moraux et la somme de 1 149,72 $, à titre de dommages matériels, avec intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 du Code civil du Québec, à compter du 28 février 2014, date de la première signification de la proposition de mesures de redressement;

CONDAMNE Alexandre Caron à verser à Michelle Paquette la somme de 1 500 $ à titre de dommages punitifs, avec intérêts et l'indemnité, à compter de la date de ce jugement;

CONDAMNE Doris Caron à verser à Michelle Paquette la somme de 1 500 $ à titre de dommages punitifs, avec intérêts et l'indemnité additionnelle, à compter de la date de ce jugement;

LE TOUT avec les frais de justice.

 

 

 

 

 

 

 

__________________________________

SCOTT HUGHES,

Juge au Tribunal des droits de la personne

 

 

Me Maurice Drapeau

BOIES DRAPEAU BOURDEAU

 

360, rue Saint-Jacques Ouest, 2e étage

Montréal (Québec) H2Y 1P5

 

Pour la partie demanderesse

 

 

 

Me Alexandre Lacasse

DUFRESNE HÉBERT COMEAU AVOCATS

 

800, Place Victoria, bureau 4500

Montréal (Québec) H4Z 1J2

 

Pour les parties défenderesses

 

 

Dates d’audience:

17 et 18 février 2016

 

 



[1] RLRQ, c. C-12.

[2] RLRQ, c. N-1.1.

[3] Pièce P-2.

[4] Pièce D-1, Entrevue d’embauche avec candidat potentiel.

[5] Pièce D-4.

[6] Pièce P-3.

[7] Pièce P-7.

[8] Selon l'horaire de travail déposé sous la cote D-8, le seul jour de travail de Madame Paquette en avril 2011 aurait été le lundi 4 avril.

[9] Pièce P-4.

[10] Pièce P-5.

[11] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Coopérative de taxis de Montréal, 2008 QCTDP 10.

[12] Syndicat de l’enseignement de la Chaudière c. Commission scolaire de la Beauce-Etchemin, 2004 CanLII 6185 (QC CS) ; Regroupement des CHSLD des Trois-Rives c. Laberge, 2001 CanLII 24977 (QC CS); Portman v. Custom House Currency Fund Ltd, 2012 BCHRT 16; Contini v. Rainbow District School Board, 2012 HRTO 295; Portman v. Union of Northern Workers, 2014 CanLII 49096 (NT HRAP).

[13] Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161.

[14] Id., par. 47, citant Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, p. 174-175.

[15] Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes, infirmières-auxiliaires du Cœur du Québec (SIIACQ) c. Centre hospitalier régional de Trois-Rivières, 2012 QCCA 1867.

[16] Id., par.69.

[17] Id., par. 59.

[18] Déclaration de l’infirmière Line Corriveau, produite sous la cote P-10.

[19] Certificat d’aptitude signé par la Docteure Anne-Marie Sarrasin sous la cote P-7.

[20] Précité, note 13, par. 51.

[21]Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3.

[22] Id., par. 54.

[23] Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier inc. (Bombardier aéronautique Centre de formation), [2015] 2 R.C.S., 789, par. 45-46.

[24] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9063-1698 Québec inc., 2003 CanLII 40742 (QC TDP), par. 64-68; Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9020-6376 Québec inc., 2006 QCTDP 19 (CanLII), par. 32-34.

[25] Jean-Louis BAUDOUIN et Pierre-Gabriel JOBIN, « Les obligations »,  Cowansville, 7e éd., Éditions Yvon- Blais, 2013, par. 618.

[26]  [1996] 3 R.C.S. 211, p. 262, par. 121.

[27] Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. 9209-9829 Québec inc., 2015 QCTDP 1 (CanLII), par. 80.

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