Décision

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Structures Saint-Joseph ltée

2011 QCCLP 4320

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Lévis

27 juin 2011

 

Région :

Chaudière-Appalaches

 

Dossier :

406871-03B-1004

 

Dossier CSST :

132001751

 

Commissaire :

Robin Savard, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

 

Structures Saint-Joseph ltée

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

DÉCISION

______________________________________________________________________

 

[1]           Le 6 avril 2010, Structures Saint-Joseph ltée (l’employeur) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle il conteste une décision rendue le 5 mars 2010 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle a rendue initialement le 4 décembre 2009 et déclare que l’employeur doit assumer la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par madame Lucie Chavanel (la travailleuse), le 20 août 2007, puisque l’employeur n’a pas démontré qu’elle présentait déjà un handicap lorsque s’est manifestée sa lésion professionnelle, et ce, en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).

[3]           Une audience fut tenue le 18 février 2011 au Palais de justice de Saint-Joseph-de-Beauce. L’employeur est représenté par Me Éric Latulippe. Le docteur Alain Bois, médecin-conseil et en médecine du travail, a témoigné.

[4]           De plus, l’employeur a déposé, sous la cote E-1, une décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST qui se libelle comme suit :

OBJET : Décision liée à un nouveau diagnostic

 

[...]

 

Nous avons reçu un rapport médical du docteur Arsenault mentionnant le nouveau diagnostic d’algodystrophie à la cheville gauche. Après étude de votre dossier, nous concluons qu’il y a relation entre ce diagnostic et l’événement du 20 août 2007.

 

[...]

 

Nous vous invitons à communiquer avec nous si vous avez besoin de renseignements supplémentaires au sujet de cette décision ou pour toute autre question. Vous ou votre employeur pouvez demander la révision de la décision dans les 30 jours suivant la réception de la présente lettre.

 

[...]

 

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[5]           Initialement, le procureur de l’employeur invoquait l’application de l’article 329 de la loi au soutien de sa demande de partage de coûts formulée en vertu de cet article mais, lorsqu’il fut appelé à préciser l’objet de sa contestation, celui-ci n’entendait invoquer que l’application des articles 31, d’abord, et 327 de la loi, ensuite, tout en précisant qu’il n’y a aucun délai à respecter, concernant l’article 327 de la loi.

[6]           Il demande au tribunal de désimputer l’employeur, à compter du 1er décembre 2007, et de transférer tous les coûts résultant de l’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, à compter du 2 décembre 2007, aux employeurs de toutes les unités, et ce, en vertu de l’article 327 de la loi.

LES FAITS ET LA PREUVE

[7]           Tout d’abord, le tribunal juge approprié de résumer les faits et la preuve pertinente à la solution du présent litige.

[8]           La travailleuse, âgée de 45 ans, occupe un emploi de préposée à l’assemblage chez l’employeur depuis août 2001 lorsque, le 20 août 2007, elle a subi un accident du travail dans les circonstances suivantes :

La travailleuse a été heurtée par la charge d’un chariot élévateur alors qu’elle était de dos à celui-ci, ce qui a fait en sorte que ne l’ayant pas entendu ni vu, il l’a percutée au sol mais, auparavant, elle a eu les pieds et les chevilles coincés sous son chariot manuel contenant des petites pièces de bois.

 

Immédiatement, elle a ressenti des douleurs importantes au niveau des deux pieds et fut transportée par ambulance au Centre de santé et de services sociaux de Beauce.

 

 

[9]           Le 20 août 2007, la travailleuse a été évaluée sur le plan clinique, mais aussi radiologique, puisque des radiographies ont été prises au niveau de ses chevilles et de ses pieds. Selon la docteure Christiane Dumas, radiologue, celle-ci concluait initialement à une fracture oblique sans déplacement vraiment notable de la malléole interne et légèrement comminutive de la jonction diaphyso-métaphysaire distale du péroné gauche. La morphologie osseuse était normale au niveau de la cheville droite. Quant au pied droit, le cliché en latéral démontre une calcification des tissus mous sur la face dorsale du scaphoïde tarsien qui peut représenter une calcification accessoire, mais il pourrait aussi s’agir d’un petit arrachement osseux qui pourrait provenir de la face dorsale du scaphoïde tarsien.

[10]        Ce médecin note un trait radiotransparent au niveau de l’apophyse antérieure du calcanéum droit qui pourrait être une petite fracture non déplacée. Elle retrouve aussi une petite fracture corticale de la métaphyse distale des 2e et 4e métatarsiens droits non déplacée.

[11]        Dans les notes de triage du 20 août 2007, on précise que la travailleuse s’est fait coincer les deux chevilles par un chariot élévateur et qu’elle est tombée sur son côté droit mais sans subir de traumatisme à la tête ni perdre conscience.

[12]        Lors de l’évaluation primaire, on précise que la travailleuse a froid et qu’elle présente une douleur à la malléole interne avec œdème et déformation au niveau de sa cheville gauche. Elle présente aussi une abrasion avec ecchymose au niveau de la hanche droite. Ensuite, des radiographies ont été prises au niveau des chevilles et des pieds de la travailleuse et celle-ci s’est vu donner de la morphine et suggérer de s’appliquer de la glace localement au niveau de sa hanche droite.

[13]        Dès le 20 août 2007, une fracture bimalléolaire gauche et une petite fracture au niveau du scaphoïde droit sont suspectées par la docteure Hélène Cormier qui a suggéré qu’elle soit vue par un orthopédiste. Elle lui a fait une botte plâtrée pour son pied gauche, lui prescrit un fauteuil roulant et lui fait un bandage « Velpo » pour son pied droit.


[14]        Elle lui prescrit aussi des béquilles et le prochain rendez-vous est prévu le 25 août 2007. Un arrêt de travail d’au moins deux à trois mois est prescrit à la travailleuse étant donné qu’elle présente une fracture bimalléolaire à gauche avec une fracture du scaphoïde et du calcanéum droits.

[15]        Le 24 août 2007, la prescription pour l’utilisation d’un fauteuil roulant fut renouvelée, puisque le docteur Sarto Arsenault, chirurgien orthopédiste, qui a pris en charge la travailleuse à compter du 20 août 2007, lui recommande de continuer à porter un plâtre au niveau de son pied gauche, dont elle se sent confortable, mais ne devrait pas mettre de charge sur son membre inférieur gauche. Ce plâtre n’a pas été enlevé lors du rendez-vous du 18 septembre 2007, puisque la travailleuse présentait un léger déplacement en valgus avec un cal osseux positif. Il recommandait le port du plâtre pour au moins deux autres semaines et suggérait, dans ses rapports subséquents, de poursuivre l’arrêt de travail pour au moins cinq à six semaines, le tout tel qu’il appert de ses rapports des 28 septembre et 19 octobre 2007, dans lesquels il prolonge cet arrêt de travail d’au moins six autres semaines.

[16]        Le 19 octobre 2007, le docteur Arsenault suspecte une dystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse et lui prescrit des traitements de physiothérapie pour notamment sa cheville gauche, avec exercices aussi pour son pied droit.

[17]        L’évaluation initiale a lieu le 29 novembre 2007 et les traitements de physiothérapie ont commencé le 3 décembre 2007. Par ailleurs, le plâtre est enlevé par le docteur Arsenault, le 28 septembre 2007, ce qui représente environ cinq semaines pendant lesquelles elle l’a porté. Aucune note médicale du docteur Arsenault ne démontre que la travailleuse se plaignait d’une douleur ou de symptômes concernant le port de son plâtre à la cheville gauche.

[18]        Cependant, le tribunal constate que, lors du début des traitements de physiothérapie à une fréquence, d’abord de cinq traitements par semaine, soit le 3 décembre 2007, la travailleuse présentait des mouvements limités au niveau des chevilles, plus importants à gauche qu’à droite, qu’elle devait marcher avec une marchette, diminuer la mise en charge surtout à gauche au détriment de la jambe droite, qu’elle présentait un œdème à gauche avec douleur aux deux membres inférieurs et une diminution de sa capacité fonctionnelle. Le plan de traitement est de mobiliser sa cheville gauche, ce qui inclut des exercices avec mise en charge selon les recommandations du docteur Arsenault. De plus, des exercices d’assouplissement, de renforcement musculaire et de proprioception avec bain tourbillon sont recommandés.

[19]        Le 19 octobre 2007, une radiographie de contrôle démontre une déminéralisation de non-usage à la cheville gauche de la travailleuse qui n’était pas capable de faire une mise en charge sur cette cheville.

[20]        Le 30 novembre 2007, le docteur Arsenault diagnostique non seulement une fracture au niveau de la cheville gauche de même que celle au niveau de la cheville droite, qui est toujours présente, mais aussi une dystrophie réflexe au niveau de la cheville gauche de la travailleuse. Il poursuit l’arrêt de travail pour une période de deux mois. L’arrêt de travail fut renouvelé pour d’autres périodes de deux à trois mois, tel qu’il appert des rapports médicaux complétés par le docteur Arsenault, en date du 11 janvier 2008, où il constate une douleur diffuse aux deux pieds de la travailleuse, et du 22 février 2008, où, cette fois, il prescrit comme traitement des blocs veineux. Ceux-ci débutent le 22 février 2008 à la Clinique de la douleur de Lévis. Ils sont administrés par un anesthésiste, en raison d’une fracture de la cheville gauche avec dystrophie réflexe.

[21]        Par ailleurs, dans les notes de physiothérapie prises le 27 décembre 2007, le physiothérapeute indique que la travailleuse présente toujours beaucoup de douleur sur le dessus du pied droit. Il lui fait faire des exercices au niveau de sa cheville droite avec augmentation de la mise en charge, tant à droite qu’à gauche, et prend les mesures des chevilles et des pieds de la travailleuse qui utilise une canne pour marcher. Il constate une diminution de l’œdème.

[22]        Quant aux rapports subséquents complétés par le docteur Arsenault, notamment ceux des 18 avril et 13 juin 2008, celui-ci retient les mêmes diagnostics, notamment ceux de dystrophie réflexe et de fracture de la cheville gauche, poursuit les traitements en physiothérapie et les blocs veineux. L’arrêt de travail est prolongé pour d’autres périodes additionnelles de deux mois à partir des autres visites médicales.

[23]        Dans son rapport du 15 août 2008, le docteur Arsenault précise qu’il y a une fracture avec luxation de la cheville gauche, lui prescrit une orthèse plantaire tout comme la poursuite de blocs veineux pour son algodystrophie réflexe. Il aurait aussi permis des travaux légers, mais la preuve démontre que l’employeur n’en avait pas en position assise pour la travailleuse, ce qui fait en sorte qu’il y a poursuite de l’arrêt de travail complet, puisqu’elle devait aussi éviter la marche prolongée.

[24]        Le 12 décembre 2008, le docteur Arsenault suggère de cesser les traitements de physiothérapie, prescrit de nouveau une orthèse plantaire et recommande toujours l’administration de blocs veineux, ce qui fut réitéré dans ses rapports médicaux subséquents, notamment ceux des 6 février 2009 et dans un rapport d’information médicale complémentaire écrite complété le 26 février 2009. Dans ce rapport, il précise qu’il y a amélioration progressive mais lente, à la Clinique de la douleur et prévoit une consolidation dans environ trois mois. Comme limitations fonctionnelles probables, la travailleuse doit éviter la station debout plus de 30 minutes, de même que la marche pendant plus de 15 minutes.


[25]        Or, à la lecture des notes évolutives complétées par la CSST, à la suite des conversations tenues avec la travailleuse ou l’employeur, le tribunal constate que la travailleuse utilise toujours un fauteuil roulant pour se déplacer, en date du 4 octobre 2007, puisqu’elle n’est pas capable de se porter sur son talon droit. Elle utilise toujours une canne pour se déplacer, en date du 16 janvier 2008, et l’utilise encore une ou deux fois par semaine, en date du 12 mai 2008. Elle portait même une botte, et non un soulier, en raison de son pied gauche qui demeure enflé. Elle s’est vu prescrire deux orthèses au niveau de son pied gauche.

[26]        En outre, la travailleuse a pu commencer un retour au travail progressif en assignation temporaire à des travaux légers seulement à compter du 6 octobre 2008, date où l’employeur pouvait la reprendre progressivement en respectant ses limitations fonctionnelles.

[27]        Avant toute cette période, la travailleuse a bénéficié de prestations d’indemnité de remplacement du revenu, puisque son employeur ne pouvait lui donner des travaux légers auparavant.

[28]        La CSST l’a indemnisée à nouveau en indemnité de remplacement du revenu à compter du 5 janvier 2009, puisqu’il n’y avait plus de travaux légers chez l’employeur, et ce, jusqu’au 30 mars 2009, date où elle travaille deux jours et demi par semaine à faire des travaux légers.

[29]        Par ailleurs, l’employeur a demandé à deux reprises au docteur Paul-O. Nadeau, chirurgien orthopédiste, de se prononcer sur les sujets médicaux prévus à l’article 212 de la loi. Une première expertise a été faite en date du 17 juin 2008, mais le tribunal ne la retrouve pas dans le dossier constitué par la Commission des lésions professionnelles et l’employeur ne l’a pas déposée à l’audience.

[30]        Cependant, dans l’expertise du 19 mars 2009, le docteur Nadeau écrit que, lorsqu’il l’a vue, fort probablement en juin 2008, les fractures au niveau des membres inférieurs de la travailleuse étaient consolidées, mais pas la dystrophie sympathique réflexe au niveau de la cheville qui nécessitait toujours des traitements, soit des blocs intraveineux qui étaient prodigués à une fréquence d’un traitement par mois. Quant aux traitements de physiothérapie, ceux-ci avaient cessé en décembre 2008, puisque sa condition ne s’améliorait pas avec ceux-ci.

[31]        Le tribunal constate aussi que tous ceux qui ont questionné la travailleuse sur des antécédents chirurgicaux, traumatiques ou médicaux, en regard de ses membres inférieurs ou d’un diagnostic de dystrophie sympathique réflexe, se sont fait dire par cette dernière qu’il n’y en avait aucun. La travailleuse ne prenait plus de médication, au moment de l’examen du 18 mars 2009, complété par le docteur Nadeau.

[32]        À la suite de son examen clinique, le docteur Nadeau consolide la fracture de la cheville gauche de la travailleuse en date de son examen, soit le 18 mars 2009, tout comme les fractures des 2e et 4e métatarses droits ainsi que la dystrophie sympathique réflexe à la cheville gauche. Il accorde un déficit anatomo-physiologique de 5 % à la travailleuse, selon l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale qui a d’ailleurs été initié à la suite du rapport du docteur Nadeau.

[33]        En effet, le docteur Nadeau prévoit que la travailleuse a droit à un déficit anatomo-physiologique de 2 % pour une fracture au niveau de la cheville gauche avec ankylose fonctionnelle, selon le code 103266 du Règlement sur le barème des dommages corporels[2] (le règlement) et de 3 % pour une perte d’amplitude de 15° au niveau de la cheville gauche, selon le code 107299, ce qui correspond à un déficit anatomo-physiologique total de 5 %. Toutefois, il ne prévoit pas de limitations fonctionnelles en raison du fait que l’arc des mouvements de la travailleuse est fonctionnel, selon son évaluation.

[34]        Par ailleurs, aux pages 9 et 10 de l’avis du membre du Bureau d’évaluation médicale (docteur Gaston R. Paradis), lorsqu’il a questionné et examiné la travailleuse, le 17 juin 2009, celui-ci constate que le docteur Arsenault a retenu un diagnostic de dystrophie réflexe à la cheville gauche, consécutive à la fracture bimalléolaire de celle-ci, mais ajoutait qu’au moment de son examen, il n’y avait aucun signe subjectif ou objectif démontrant ce diagnostic, notamment un gonflement, une sensibilité au pourtour de la cheville et du pied gauche ou d’autres signes. Il considère donc, au moment de son examen, que cette dystrophie réflexe est consolidée et guérie et ajoute que la travailleuse note peu d’amélioration avec les blocs veineux au niveau de son pied gauche.

[35]        Toutefois, le docteur Paradis confirme l’opinion du docteur Nadeau, à savoir que la travailleuse présente une discrète perte d’amplitudes articulaires au niveau de la cheville gauche, consécutive à la fracture de cette cheville, et ce, près de deux ans depuis l’événement survenu le 20 août 2007. Il considère ce délai suffisant pour permettre la consolidation de celle-ci et aussi celle de la dystrophie réflexe qui n’a jamais été très documentée, notamment par une scintigraphie osseuse ou autre consultation. Il ajoute d’ailleurs que le docteur Arsenault, en date du 26 février 2009, prévoit que cette lésion sera consolidée dans trois mois.

[36]        Le docteur Paradis retient comme date de consolidation celle de son examen, soit le 17 juin 2009, précise qu’il n’y a plus nécessité de soins ni de traitements en relation notamment avec la dystrophie sympathique réflexe du pied gauche et il partage le point de vue du docteur Nadeau à ce sujet. Les traitements et les soins cessent donc à partir de la date de consolidation, soit le 17 juin 2009.

[37]        Quant au déficit anatomo-physiologique, il accorde les mêmes codes de séquelles et pourcentages que le docteur Nadeau, puisqu’il constate que la travailleuse présente, lors de l’examen aux chevilles, notamment celle de gauche, une perte d’amplitudes de 20° au total, soit 10° perdus lors de la flexion et de l’extension de la cheville gauche par rapport à celle de droite, dont l’arc des mouvements est normal, soit 60° lors de ces deux mouvements. L’autre déficit anatomo-physiologique est accordé pour la fracture bimalléolaire gauche avec séquelles fonctionnelles selon le code 103266 du Règlement sur le barème des dommages corporels[3].

[38]        Tout comme le docteur Nadeau, le docteur Paradis n’accorde aucune limitation fonctionnelle à la travailleuse, même si elle présente des amplitudes articulaires réduites, puisqu’il y a tout de même une excellente fonction de son pied et de sa cheville gauche observée à l’examen.

[39]        Des suites de l’avis émis le 19 juin 2009 par le membre du Bureau d’évaluation médicale, la CSST a rendu une décision le 25 juin 2009, en retenant toutes les conclusions médicales, puisque cet avis est conforme aux dispositions de la loi et qu’elle est liée par celles-ci.

[40]        Cette décision fut notifiée aux parties et seule la travailleuse, en date du 26 juin 2009, l’a contestée, notamment parce qu’elle devait reprendre le travail à compter du 28 juin 2009, date où elle n’avait plus droit au versement d’indemnité de remplacement du revenu.

[41]        En outre, la CSST a rendu une décision, le 28 juillet 2009, avisant les parties que la travailleuse a droit à 5,75 % d’atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique, des suites de sa lésion professionnelle du 20 août 2007. Cela correspond à une indemnité pour préjudice corporel de 3 707,20 $.

[42]        Le 21 juillet 2009, la travailleuse s’est désistée de sa contestation du 26 juin 2009.

[43]        Ceci met fin au résumé de la preuve médicale.

[44]        Sur le volet de la preuve administrative et légale, le tribunal croit pertinent de préciser les faits suivants.

[45]        Le 24 octobre 2008, madame Marthe Boulet, conseillère chez AON, est mandatée par l’employeur, soit Structures Saint-Joseph ltée de la Mutuelle Beauce Sélect, afin de le représenter dans son dossier. Elle demande alors à la CSST une mise à jour du dossier à partir du 8 avril 2008, notamment les notes évolutives, les documents médicaux, la correspondance, les rapports de physiothérapie, les décisions, etc. Tous ces documents doivent être expédiés à l’attention du docteur Alain Bois, médecin désigné de l’employeur et dont son adresse y figure.

[46]        Le 28 octobre 2008, madame Boulet écrit de nouveau à madame Marie-Ève Fillion, agente à la CSST. L’objet de cette lettre est « Demande de partage des coûts d’imputation en vertu de l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) ».

[47]        Dans cette lettre du 28 octobre 2008, madame Boulet réfère d’abord à la première décision rendue par la CSST, soit celle du 12 septembre 2007, où celle-ci a accepté un diagnostic de fracture de la cheville gauche et du talon droit, à la suite de l’événement survenu à la travailleuse le 20 août 2007, dont une lésion professionnelle fut reconnue à cette date.

[48]        De plus, elle réfère à la décision déposée par l’employeur sous la cote E-1, soit celle du 13 mai 2008, où la CSST accepte le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche. Elle précise qu’en date du 28 octobre 2008, la lésion n’est toujours pas consolidée.

[49]        Elle mentionne que les premiers symptômes d’algodystrophie seraient apparus en septembre 2007 et ont été confirmés sur un rapport médical du 30 novembre 2007. Elle réfère à l’avis du médecin de la CSST, soit la docteure Thériault qui, dans ses notes colligées le 14 février 2008, se prononce sur ce nouveau diagnostic d’algodystrophie qui figure au rapport médical daté du 30 novembre 2007. La docteure Thériault ajoute que, si le diagnostic est reconduit sur d’autres rapports, notamment celui de janvier 2008, ou se confirme dans les prochains mois, la relation pourra alors être établie avec l’événement d’origine du 20 août 2007.

[50]        C’est suite à l’opinion de la docteure Thériault, médecin-conseil de la CSST, qu’en date du 12 mai 2008, madame Andrée-Anne Robitaille, agente à la CSST, conclut que, puisque le diagnostic d’algodystrophie à la cheville gauche de la travailleuse est maintenu par le docteur Arsenault lors de son rapport d’avril 2008, elle établit alors une relation médicale entre ce diagnostic et l’événement d’origine du 20 août 2007. Elle rend ensuite sa décision du 13 mai 2008 déposée sous la cote E-1 et libellée dans la présente décision.

[51]        Les parties ont reçu cette décision de la CSST, mais aucune d’elles ne l’a contestée, comme l’a d’ailleurs mentionné le procureur de l’employeur à l’audience.

[52]        Par ailleurs, le tribunal constate que, dès le 19 octobre 2007, l’employeur demande un suivi médical et une copie du dossier auprès de la CSST pour la remettre au docteur Alain Bois. Cela démontre que ce médecin était au fait de toute la correspondance utile et nécessaire dans ce dossier. D’ailleurs, la Mutuelle de prévention AON a aussi désigné le docteur Paul-O. Nadeau pour se prononcer, à deux reprises, sur les conclusions médicales, notamment celles concernant l’algodystrophie réflexe.

[53]        Le tribunal constate aussi, qu’en date du 30 avril 2009, la Mutuelle de prévention AON était toujours mandatée par l’employeur pour le représenter dans son dossier, notamment vis-à-vis la demande faite à la CSST pour obtenir un avis auprès d’un membre du Bureau d’évaluation médicale de même que tous les documents, notamment le rapport complémentaire du médecin qui a charge de la travailleuse (docteur Arsenault) qui devait aussi être acheminés au docteur Alain Bois, médecin-conseil chez AON.

[54]        Le 4 décembre 2009, la CSST rend sa décision sur la demande de partage de coûts formulée le 28 octobre 2008 par l’employeur en vertu de l’article 329 de la loi. La CSST la refuse, puisque la preuve médicale démontre que la travailleuse n’était pas déjà handicapée au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle du 20 août 2007 et que l’employeur demeure imputé de la totalité des coûts dans son dossier.

[55]        Le 24 décembre 2009, le Groupe-conseil AON inc. a contesté cette décision de la CSST qui fut confirmée par la révision administrative, le 5 mars 2010, et contestée de nouveau par le représentant de l’employeur, le 6 avril 2010. Le tribunal constate que c’est toujours le Groupe-conseil AON inc. de même que monsieur Charles Bilodeau de Structures Saint-Joseph ltée, qui ont été notifiés de ces décisions rendues par la CSST, le tout tel qu’il appert des accusés de réception datés du 8 avril 2010.

[56]        D’autre part, il n’y a aucune note évolutive au dossier de la CSST démontrant que l’employeur entendait plaider non seulement en fonction de l’article 329 de la loi, mais aussi de l’article 327 de la loi, en invoquant, à ce moment, l’article 31, comme il le fait au moment de l’audience, et ce, avant que la CSST ne rende sa décision le 5 mars 2010, à la suite d’une révision administrative.

[57]        Or, selon les prétentions du procureur de l’employeur, il n’avait pas à contester la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST (E-1), puisque l’employeur était satisfait de cette décision qui reconnaissait une lésion professionnelle à la travailleuse, soit une algodystrophie à sa cheville gauche en relation avec l’événement d’origine du 20 août 2007. Toutefois, selon ses prétentions qui s’appuient sur la décision rendue le 31 janvier 2007[4], il n’avait pas à la contester (E-1). L’employeur peut même, quelques années plus tard, invoquer, comme il l’a fait, l’article 327 de la loi en prouvant par une preuve médicale prépondérante, l’application, d’abord, de l’article 31 de la loi. C’est ce que la juge administratif Lévesque concluait, dans sa décision rendue le 31 janvier 2007[5].

[58]        Le tribunal rappelle que, dans cette décision[6], la CSST a rendu une décision datée du 5 mars 2004 en reconnaissant le diagnostic de syndrome de dystrophie réflexe secondaire comme étant en relation avec l’événement du 21 novembre 2003 survenu au travailleur monsieur Bertrand Mercier.

[59]        Il y a donc lieu de se prononcer sur cette question avant de statuer sur le fond, à savoir si les articles 31, d’abord, et 327, ensuite, s’appliquent à la présente cause.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[60]        La Commission des lésions professionnelles rappelle qu’elle doit décider, initialement, si l’employeur a droit à une imputation du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle qu’a subie la travailleuse, le 20 août 2007, lui ayant causé des fractures au niveau de sa cheville gauche et de son pied droit ainsi qu’une algodystrophie réflexe à la cheville gauche.

[61]        Cette demande d’imputation des coûts a fait l’objet de décisions rendues par la CSST, notamment celle du 5 mars 2010, qui se prononce essentiellement sur l’application ou non de l’article 329 de la loi qui se lit comme suit :

329.  Dans le cas d'un travailleur déjà handicapé lorsque se manifeste sa lésion professionnelle, la Commission peut, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer tout ou partie du coût des prestations aux employeurs de toutes les unités.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du premier alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien avant l'expiration de la troisième année qui suit l'année de la lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 329; 1996, c. 70, a. 35.

 

 

[62]        Or, au début de l’audience, le procureur de l’employeur n’entend plus démontrer l’application de l’article 329 de la loi mais plutôt celui de l’article 327 de la loi. Il entend démontrer que l’algodystrophie réflexe, pour laquelle une décision a été rendue par la CSST, spécifiquement sur ce diagnostic, soit celle du 13 mai 2008 (E-1), résulterait d’une autre forme de lésion professionnelle prévue à l’article 31 de la loi et non de celle prévue à l’article 2 qui définit la lésion professionnelle en général.

[63]        L’employeur prétend donc, en s’appuyant du témoignage rendu par le docteur Bois, qui a soumis de la littérature médicale[7], à l’appui de son témoignage, que l’article 31 paragraphe 1 de la loi s’applique au cas en l’espèce.

[64]        L’employeur, par l’entremise du témoignage du docteur Bois, soumet que l’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, suspectée dès le mois d’octobre 2007, mais diagnostiquée par le docteur Arsenault, le 30 novembre 2007, résulterait des soins et des traitements qu’a reçus la travailleuse pour ses fractures aux niveaux de la cheville gauche et du pied droit qui résultent aussi de sa lésion professionnelle du 20 août 2007, ce qui en fait une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.

[65]        Par conséquent, si tel est le cas, l’employeur prétend que l’article 327 de la loi s’applique et qu’il a droit à un transfert d’imputation des coûts, tel que l’a suggéré le docteur Bois lors de son témoignage. Il demande que tous les coûts, à partir du 1er décembre 2007, soient désimputés au dossier de l’employeur et transférés aux employeurs de toutes les unités en vertu de l’article 327 de la loi.

[66]        Les articles 31 et 327 de la loi se lisent comme suit :

31.  Est considérée une lésion professionnelle, une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l'occasion :

 

1° des soins qu'un travailleur reçoit pour une lésion professionnelle ou de l'omission de tels soins;

 

2° d'une activité prescrite au travailleur dans le cadre des traitements médicaux qu'il reçoit pour une lésion professionnelle ou dans le cadre de son plan individualisé de réadaptation.

 

Cependant, le premier alinéa ne s'applique pas si la blessure ou la maladie donne lieu à une indemnisation en vertu de la Loi sur l'assurance automobile (chapitre A-25), de la Loi visant à favoriser le civisme (chapitre C-20) ou de la Loi sur l'indemnisation des victimes d'actes criminels (chapitre I-6).

__________

1985, c. 6, a. 31.

 

 

327.  La Commission impute aux employeurs de toutes les unités le coût des prestations :

 

1° dues en raison d'une lésion professionnelle visée dans l'article 31 ;

 

2° d'assistance médicale dues en raison d'une lésion professionnelle qui ne rend pas le travailleur incapable d'exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion.

__________

1985, c. 6, a. 327.

 

 

[67]        Or, à la suite de la preuve administrée par l’employeur, surtout au moment où ce dernier a déposé la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST (E-1) qui porte essentiellement sur le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, lequel est considéré en relation avec l’événement du 20 août 2007 et dont la travailleuse avait droit aux prestations prévues à la loi, cela amène le tribunal à soulever une question préalable qui concerne la stabilité des décisions rendues par la CSST, lorsqu’elles ne sont pas contestées par les parties.

[68]        En effet, puisqu’une décision (E-1) a déjà été rendue par la CSST concernant ce diagnostic spécifique et que, comme le souligne l’employeur, celle-ci n’a pas été contestée, cela amène le tribunal à s’interroger sur son pouvoir de reconnaître, en 2011, que l’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, diagnostiquée depuis le 30 novembre 2007, puisse maintenant être considérée comme une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.

[69]        À ce propos, l’employeur a soumis qu’il n’avait pas l’intention de contester cette décision du 13 mai 2008 (E-1), car cela aurait été inutile, puisqu’il reconnaît l’algodystrophie comme étant issue de la lésion professionnelle du 20 août 2007 ou encore qu’elle constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi. C’est ce qu’il entend démontrer à l’audience. Si tel était le cas, il entend invoquer l’article 327 de la loi pour obtenir un transfert du coût des prestations en regard de ce diagnostic spécifique d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse.

[70]        Qu’en est-il en l’espèce?

[71]        Dans un premier temps, l’employeur soumet, lors de son argumentation sur cette question préalable, qu’il n’avait pas besoin ni jugé de l’utilité de contester cette décision du 13 mai 2008, car c’est au moment où il demande d’appliquer l’article 327 de la loi qu’il doit démontrer l’application de l’article 31 de la loi.

[72]        À ce sujet, le procureur de l’employeur s’appuie sur une décision rendue par la juge administratif Lévesque[8] qui permet à l’employeur de procéder de cette façon.


[73]        De plus, l’employeur s’appuie sur une autre décision, soit Pâtisserie Chevalier[9], qui permettrait à un employeur de modifier, au moment de l’audience, l’objet de sa contestation. Il réfère, entre autres, à un employeur qui demande au tribunal un transfert ou un partage d’imputation des coûts en vertu d’un autre article que celui dont la CSST a rendu sa décision.

[74]        En l’espèce, il rappelle qu’initialement, l’employeur demandait l’application de l’article 329 de la loi mais que, au moment de l’audience, il demande l’application de l’article 327 de la loi. Par conséquent, il entend démontrer que l’article 31 de la loi s’appliquait au cas en l’espèce, ce qui fait en sorte que l’algodystrophie réflexe que présente la travailleuse à sa cheville gauche, diagnostiquée depuis le 30 novembre 2007, est la résultante des soins et des traitements qu’elle a reçus pour ses deux fractures issues du traumatisme initial du 20 août 2007. En somme, cela en ferait un cas d’application de l’article 31 de la loi et, par voie de conséquence, de l’article 327 de la loi.

[75]        Or, le tribunal s’interroge sur cette façon de faire, puisqu’il n’y a aucun membre issu des associations syndicales ou d’employeurs pour siéger sur une requête concernant l’application ou non de l’article 31 de la loi, alors qu’il s’agit d’un sujet portant sur la division qui concerne l’indemnisation des lésions professionnelles (article 370 de la loi) et non sur la division du financement, portant notamment sur l’imputation des coûts d’une lésion professionnelle, ce qui inclut alors l’article 327 de la loi. À ce moment, le commissaire doit siéger seul ou en compagnie d’un assesseur médical, mais décide seul.

[76]        Quoi qu’il en soit, le tribunal croit tout de même approprié de disposer de cette question préalable avant de décider sur le fond, s’il y a lieu.

[77]        Avec respect pour l’employeur et son médecin expert, le docteur Bois, qui connaît le dossier de la travailleuse depuis le mois d’octobre 2007, puisqu’il est médecin-conseil pour la Mutuelle de prévention AON et qu’il a même obtenu les copies de dossiers de la CSST concernant l’événement du 20 août 2007, ce qui inclut les décisions rendues par celle-ci, dont celle du 13 mai 2008 qui a été déposée à l’audience sous la cote E-1, le tribunal rejette la requête déposée par l’employeur ainsi que ses arguments portant sur la question préalable, et ce, en raison des motifs suivants.

[78]        Tout d’abord, le tribunal se dissocie du courant jurisprudentiel dégagé par la juge administratif Lévesque[10], puisque celle-ci s’est prononcée, d’abord, sur une question de hors délai en application ou non avec le délai prévu au Règlement sur la nouvelle détermination de la classification, de la cotisation d’un employeur et de l’imputation du coût des prestations[11].Ce règlement établit le délai à six mois, alors que l’article 327 de la loi n’établit aucun délai, tel que le précise la juge administratif Lévesque qui s’appuie sur d’autres décisions à cet effet, et ce, lors de sa décision rendue le 31 janvier 2007.

[79]        Or, le tribunal précise que la CSST n’a pas statué sur ce règlement, lors de sa décision rendue le 4 décembre 2009, ni dans celle du 5 mars 2010, mais bien sur l’application ou non de l’article 329 de la loi, dont l’employeur n’était pas hors délai dans sa demande d’imputation du coût des prestations formulée en vertu de cet article.

[80]        De plus, le soussigné se dissocie de ce courant jurisprudentiel retenu par l’employeur au soutien de ses prétentions et de sa demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi, et ce, même si la CSST avait aussi rendu une décision sur le diagnostic mais en retenant celui d’« algodystrophie réflexe secondaire », tout en établissant qu’il était en relation avec l’événement initial survenu à ce travailleur et que cette décision n’avait pas été contestée par les parties, notamment l’employeur, comme c’est le cas en l’espèce.

[81]        En effet, le soussigné préfère retenir un autre courant jurisprudentiel portant sur la finalité des décisions rendues par la CSST et surtout sur la stabilité de celles-ci, lorsqu’elles n’ont pas été contestées par les parties, comme dans ce cas-ci.

[82]        En l’espèce, l’employeur aurait pu contester la décision rendue le 13 mai 2008 (E-1) qui portait sur un nouveau diagnostic posé, soit « algodystrophie réflexe de la cheville gauche », puisque l’employeur était déjà convaincu que ce diagnostic pouvait être en relation avec les soins et/ou les traitements qu’a reçus la travailleuse, des suites de sa lésion professionnelle du 20 août 2007. En somme, il pouvait demander ainsi l’application de l’article 31 de la loi par sa contestation formulée dans les délais, par rapport à cette disposition de la loi. Il préservait ainsi ses droits.

[83]        Que l’employeur ait jugé de l’inutilité de contester cette décision (E-1), puisqu’il se disait satisfait de celle-ci, étant donné que la CSST reconnaît une lésion professionnelle, soit un nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, cela ne l’empêchait pas de la contester, car il ne s’agit pas de faire de la « procédurite judiciaire » mais bien d’obtenir une décision finale de la Commission des lésions professionnelles ou encore de la CSST, à la suite d’une révision administrative. Ainsi, la CSST, d’abord, et, ensuite, la Commission des lésions professionnelles se seraient prononcées sur la demande de l’employeur, à savoir s’il y a application ou non de l’article 31 de la loi, puisque l’employeur lui aurait demandé de le faire, car il s’agit d’une autre façon de qualifier une lésion professionnelle prévue à la loi.

[84]        Cependant, l’employeur n’a pas agi de cette façon et le soussigné croit justifié de rejeter sa requête du 6 avril 2010, puisque la question préalable soulevée d’office par le tribunal l’empêche de se prononcer sur le fond, à savoir si l’article 327 de la loi s’applique au cas en l’espèce.

[85]        À ce propos, le tribunal réfère à des passages similaires à la situation actuelle rapportés dans deux décisions[12] rendues récemment et qui sont applicables au cas en l’espèce. Or, la juge Lajoie[13] dispose de la même question préliminaire que s’est posée le soussigné au moment de l’audience, à savoir si l’employeur avait un intérêt à contester la décision rendue le 13 mai 2008 (E-1) qui porte essentiellement sur le diagnostic spécifique d’algodystrophie à la cheville gauche, dont la CSST établit la relation avec l’événement du 20 août 2007, où la travailleuse s’est infligé deux fractures, dont l’une à la cheville gauche et l’autre au pied droit.

[86]        Les passages pertinents de la décision rendue par la juge administratif Lajoie[14], dont il y a lieu de les reproduire textuellement, se lisent comme suit :

[...]

 

[50]      Dans le cadre de son analyse de la demande de transfert de coûts, le tribunal s’est interrogé sur son pouvoir de reconnaître en l’espèce que l’algodystrophie constitue une lésion au sens de l’article 31 de la loi.

 

[51]      La jurisprudence nous enseigne que l’absence d’une décision explicite de la CSST qualifiant une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non recevoir à une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.

 

[52]      En l’espèce toutefois, la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial.

 

[53]      En cours de délibéré, la soussignée a demandé au procureur de l’employeur de commenter l’effet de cette décision rendue le 21 janvier 2004 et confirmée le 3 juin suivant à la suite d’une révision administrative, sur la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur. Rappelons que l’employeur n’a pas contesté la décision rendue le 3 juin 2004.

 

[54]      Le procureur de l’employeur soumet, dans une argumentation écrite supplémentaire, que cette décision, qui n’a pas été contestée, n’est pas une fin de non recevoir de la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur.

 

[55]      Il soumet au soutien de sa prétention la décision rendue dans l’affaire E.P. Poirier ltée3 dans laquelle le tribunal conclut :

 

«[39]  Dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision rendue par la CSST le 19 avril 2007 à la suite d’une révision administrative. Par cette décision, la CSST déclare que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique est en relation avec l’événement du 8 juin 2006. Elle y précise d’ailleurs que les fractures, écrasements et plaies peuvent se compliquer par une algodystrophie réflexe sympathique.

 

[40]  Le fait de reconnaître l’algodystrophie réflexe sympathique en relation avec la lésion professionnelle n’est cependant pas inconciliable avec le fait que cette même pathologie puisse découler des soins ou de l’omission de soins selon l’article 31 de la loi.

 

[41]  En accord avec la jurisprudence de la Commission des lésions professionnelles(4) sur le sujet, l’absence de décision de la CSST au sujet de l’existence d’une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non recevoir à une demande de transfert d’imputation logée par l’employeur en vertu de l’article 327 de la loi.»

________________________

(4) Chum (Pavillon Notre-Dame), C.L.P. 129659-71-9912, 19 juin 2000, C. Racine; Hôpital Général de Montréal, C.L.P. 133422-71-0003, 21 septembre 2001, C. Racine; Corporation urgence santé, C.L.P. 155751-63-0102,  8 avril 2002, J-M Charrette; Ministère de la Solidarité sociale (Programme expérience travail extra), C.L.P. 117998-72-9906, 25 janvier 2000, M. Lamarre; Construction R. Bélanger inc., C.L.P. 303100-05-0611, 31 octobre 2007, M. Allard.

 

 

[56]      Il faut souligner que dans cette décision soumise par l’employeur, la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial, alors que le tribunal retient l’argument que le fait de reconnaître que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale (et non l’événement) n’est pas inconciliable avec le fait que cette pathologie puisse découler des soins ou de l’omission de soins.

 

[57]      Dans l’affaire Bowater Mitis et CSST4, le tribunal décide que le fait qu’une décision établisse un lien entre un diagnostic et l’événement accidentel n’empêche pas de considérer que ce diagnostic découle, da façon plus spécifique, des soins ou traitements reçus en relation avec la lésion professionnelle.

 

[58]      Par ailleurs, dans l’affaire Équipement de ferme Turgeon ltée5, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision par laquelle la CSST déclare que le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe est en relation avec l’accident du travail du 27 juin 2003. Pour le tribunal, cette décision constitue l’assise sur laquelle pouvait se baser l’employeur pour demander que cette pathologie soit qualifiée non pas de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi mais plutôt au sens de l’article 31.

 

[59]      Le tribunal ajoute qu’il est difficile de prétendre que la dystrophie est reliée aux soins ou à l’omission de soins, alors qu’une décision explicite devenue finale indique plutôt qu’elle est en lien avec l’événement initial. Le tribunal conclut qu’il ne peut faire droit à la demande de transfert de coûts présentée par l’employeur.

 

[60]      Dans l’affaire Corporation d’aliments Encore Gourmet6, la Commission des lésions professionnelles juge qu’un obstacle majeur se dresse et s’oppose aux prétentions de l’employeur qui soutient que l’état de stress post traumatique diagnostiqué constitue une lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi puisque la CSST a rendu une décision par laquelle elle déclare que ce diagnostic est relié à la lésion initiale.

 

[61]      Enfin, dans une décision récente7, la juge administratif Carignan statue sur une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi. Elle s’exprime ainsi :

 

«[16]  Dans le présent cas, la travailleuse a subi le 25 juin 2003 une entorse au genou droit. La CSST a accepté, dans une décision datée du 9 décembre 2004, le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe du membre inférieur droit comme étant en lien avec l’événement initial. L’employeur n’a pas contesté cette dernière décision qui est devenue finale.

 

[17]  La Commission des lésions professionnelles est d’avis que l’employeur ne peut plus prétendre que l’algodystrophie réflexe n’est pas en lien avec l’événement initial mais plutôt avec les soins ou l’absence de soins découlant de la lésion professionnelle survenue à cette occasion.

 

(…)

 

[20] Le tribunal étant lié par la décision de la CSST, déclarant que l’algodystrophie réflexe du membre inférieur droit de la travailleuse est reliée à l’événement initial, on ne peut prétendre à l’étape de la demande de transfert de l’imputation des coûts que cette blessure ou maladie résulte des soins ou l’omission d’apporter des soins

 

[62]      Le tribunal estime qu’il faut distinguer les situations où la CSST ne rend aucune décision spécifique concernant la lésion que l’on prétend survenue à l’occasion ou par le fait de soins ou l’omission de soins, de celles où la CSST rend une décision dans laquelle elle déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec la lésion initiale et, enfin, de celles où la CSST déclare que le nouveau diagnostic est en lien avec l’événement initial.

 

[63]      De l’avis du tribunal, le fait de reconnaître un lien entre l’événement initial et le nouveau diagnostic, par exemple l’algodystrophie comme c’est le cas en l’espèce,  exclut un lien entre ce nouveau diagnostic et les soins ou l’omission de soins.

 

[64]      Dans le cas où la CSST reconnaît plutôt que l’algodystrophie est en lien avec la lésion initiale, la relation entre cette lésion distincte et les soins ou l’omission de soins n’est pas nécessairement exclue. Cette relation n’est pas non plus exclue lorsque la CSST indemnise le travailleur pour le nouveau diagnostic sans pour autant rendre de décision d’admissibilité spécifique à ce diagnostic. Dans ces deux situations, on peut valablement prétendre que la CSST considère la nouvelle lésion comme étant de nature professionnelle, ce qui n’exclut pas qu’elle soit survenue à l’occasion de soins ou l’omission de soins puisqu’elle ne relie pas la lésion avec l’événement initial.

 

[65]      C’est donc dans ces deux dernières situations que l’on peut prétendre à l’absence de décision en vertu de l’article 31 de la loi, ce qui donne ouverture à l’examen d’une demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.  Dans les cas où la CSST déclare que le nouveau diagnostic, en l’occurrence l’algodystrophie, est en lien avec l’événement initial, elle reconnaît implicitement que cette lésion distincte n’est pas en lien avec les soins ou l’omission de soins, mais bien avec l’événement.

 

[66]      Le fait de reconnaître que l’algodystrophie est en lien avec l’événement initial relie cette lésion distincte au traumatisme initial comme tel, ce qui exclut une relation causale entre l’algodystrophie et les soins ou l’omission de soins.

 

[67]      Dans le présent dossier, la CSST déclare que le diagnostic d’algodystrophie est relié à l’événement initial. Cette décision n’a pas été contestée par l’employeur.

 

[68]      La reconnaissance par le présent tribunal que l’algodystrophie constitue une lésion professionnelle en vertu de l’article 31 de la loi équivaudrait à infirmer cette décision d’admissibilité, sans qu’elle n’ait été dûment contestée.

 

[69]      Dans son opinion écrite, le docteur Giasson mentionne qu’à son avis, l’algodystrophie n’est pas reliée à l’événement. Cette opinion du docteur Giasson aurait certainement pu être invoquée au soutien de la contestation de la décision du 21 janvier 2004. Mais, tel que déjà mentionné, cette décision d’admissibilité du nouveau diagnostic n’a pas été contestée par l’employeur.

 

[70]      En conséquence, la Commission des lésions professionnelles ne peut accorder le transfert de coûts demandé par l’employeur.

_____________________

3              C.L.P. 360262-62A-0810, 25 août 2009, C. Burdett

4              C.L.P., 311316-01A-0702, 11 février 2008, R. Arseneau

5              C.L.P., 353555-03B-0807, 14 mai 2009, A, Quigley

6              C.L.P., 332790-62C-0711, 11 novembre 2008, C. Racine

7              Maurice Goupil ltée, C.L.P., 260066-01C-0504, 9 février 2010, M. Carignan

 

[Les soulignés sont du soussigné]

 

 

[87]        En outre, il y a également lieu de citer les paragraphes pertinents de la juge administratif Quigley, même si les faits sont quelque peu différents des nôtres. Dans cette décision, la CSST avait refusé le transfert du coût des prestations à cet employeur, puisqu’elle avait déjà rendu une décision trois ans auparavant, soit le 19 décembre 2003. À ce moment, la CSST s’était prononcée sur un nouveau diagnostic posé, soit celui d’algodystrophie réflexe sympathique au membre supérieur droit du travailleur, monsieur Albert Gosselin, qui a été accepté par la CSST comme étant en relation ou en lien avec l’événement initial survenu le 27 juin 2003, ce qui est aussi notre cas.

[88]        Les paragraphes pertinents de cette décision qui s’appliquent, en les adaptant à la présente cause, sont les suivants :

[...]

 

[30]      Dans la présente affaire, la CSST refuse le transfert des coûts demandé par l’employeur en se basant notamment sur le fait que le diagnostic d’algodystrophie réflexe sympathique du membre supérieur droit a été accepté par la CSST comme étant en lien avec l’événement initial subi le 27 juin 2003.

 

[31]      Ce motif est-il suffisant pour permettre à la CSST de refuser le transfert de l’imputation des coûts demandé par l’employeur ?

 

[32]      Le tribunal répond par l’affirmative à cette question pour les motifs ci-après exposés.

 

[33]      D’entrée de jeu, le tribunal rappelle que l’absence de décision explicite par la CSST qualifiant  une lésion professionnelle de lésion survenue en vertu de l’article 31 de la loi ne constitue pas une fin de non-recevoir à une demande de transfert des coûts en vertu du 1er paragraphe de l’article 327 de la loi.

 

[34]      Par ailleurs, la jurisprudence du présent tribunal interprète la lésion professionnelle sous l’article 31 comme étant non seulement une lésion différente de la lésion initiale mais également une lésion qui doit survenir à l’occasion des soins ou de l’omission des soins.

 

[35]      Cependant, dans le présent dossier, le tribunal constate que l’employeur n’a pas contesté la décision du 19 décembre 2003 qui déclare que le nouveau diagnostic d’algodystrophie réflexe est en relation avec l’accident du travail du 27 juin 2003.

 

[36]      Or, de l’avis du tribunal, cette décision constitue l’assise sur laquelle pouvait se baser l’employeur pour demander que cette pathologie soit qualifiée non pas de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi, mais plutôt de lésion professionnelle au sens de l’article 31 de la loi.

 

[37]      Dans ces circonstances, il est difficile de prétendre que la dystrophie sympathique réflexe est reliée aux soins ou à l’omission de soins, alors qu’une décision explicite indique plutôt qu’elle est en lien avec l’événement initial.

 

[38]      À défaut de contester cette décision, le tribunal est d’opinion que la décision du 19 décembre 2003 a acquis un caractère final et irrévocable.

 

[39]      Dès lors, la démarche effectuée par l’employeur le 12 juin 2006, en vue d’obtenir un transfert de l’imputation des coûts sous l’angle des articles 327 et 31 de la loi, en se basant spécifiquement sur le diagnostic de dystrophie sympathique réflexe, ne peut donner réouverture à un droit de contestation qui s’est éteint par l’absence de contestation de la décision du 19 décembre 2003.

 

[40]      Dans ce contexte, la position de la CSST selon laquelle le transfert des coûts ne peut être octroyé à l’employeur compte tenu du fait que la dystrophie sympathique réflexe a été reconnue à titre de lésion professionnelle au sens de l’article 2 de la loi constitue un motif suffisant pour permettre d’écarter la demande de transfert des coûts de l’employeur.

 

[41]      Ainsi, le tribunal conclut qu’il ne peut faire droit à la demande de transfert de l’imputation de l’employeur formulée en vertu des articles 327 et 31 de la loi.

 

[Les soulignés sont du soussigné]

 

 

[89]        En outre, le tribunal tient à préciser que les délais de contestation prévus à la loi sont applicables à toutes les parties concernées, que ce soit la travailleuse, ou comme dans ce cas-ci, l’employeur. Ils doivent donc être appliqués uniformément et, lorsque la CSST se prononce sur un diagnostic, de façon favorable ou non en rapport avec l’événement initial, que ce soit l’employeur ou la travailleuse, ceux-ci ont intérêt à contester la décision si celle-ci leur est défavorable.

[90]        D’ailleurs, si l’algodystrophie réflexe n’avait pas été retenue par la CSST comme étant en relation avec l’événement du 20 août 2007 et, par voie de conséquence, considérerait que cette maladie ou pathologie ne résulterait pas d’une lésion professionnelle, que ce soit sous l’égide de l’article 2 ou encore de l’article 31 de la loi, cela aurait obligé la travailleuse à contester cette décision si elle entendait démontrer le contraire. Or, c’est ce que prétend, en 2011, l’employeur, non pas en voulant démontrer qu’il ne s’agit pas d’une lésion professionnelle au sens de l’article 2, mais plutôt que la CSST aurait dû appliquer l’article 31 de la loi et ainsi justifier sa demande de transfert de coûts en vertu de l’article 327 de la loi.

[91]        Avec respect pour l’employeur qui est assisté de son médecin-conseil et expert, le docteur Alain Bois, et qui a agi aussi comme médecin-conseil pour la Mutuelle de prévention AON, le tribunal considère que si la loi permet à la CSST de rendre des décisions sur des sujets, dont l’une ou les parties ne sont pas satisfaites de celle-ci, cela les oblige donc à les contester dans les délais et, si tel n’est pas le cas, de démontrer un motif raisonnable pouvant expliquer leur hors délai.

[92]        En effet, le tribunal rappelle à l’employeur que la CSST a rendu sa décision du 13 mai 2008, conformément aux articles 351, 354 et 355 de la loi qui se lisent comme suit :

351.  La Commission rend ses décisions suivant l'équité, d'après le mérite réel et la justice du cas.

 

Elle peut, par tous les moyens légaux qu'elle juge les meilleurs, s'enquérir des matières qui lui sont attribuées.

__________

1985, c. 6, a. 351; 1997, c. 27, a. 13.

 

 

354.  Une décision de la Commission doit être écrite, motivée et notifiée aux intéressés dans les plus brefs délais.

__________

1985, c. 6, a. 354.

 

 

355.  Il n'est pas nécessaire qu'une décision de la Commission soit signée, mais le nom de la personne qui l'a rendue doit y apparaître.

__________

1985, c. 6, a. 355.

 

 


[93]        Or, que la CSST ne se soit pas prononcée explicitement sur l’application ou non de l’article 31 de la loi, lors de sa décision du 13 mai 2008 (E-1), il n’en demeure pas moins que le libellé même de cette décision justifiait l’employeur de la contester s’il entendait, alors, démontrer que ce diagnostic d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse est en relation avec les soins qu’elle a reçus, des suites de sa lésion professionnelle du 20 août 2007, où elle s’est infligée deux fractures, dont une à la cheville gauche et l’autre au pied droit.

[94]        Le tribunal constate, à la lecture du dossier, dont les faits les plus pertinents sont cités dans la présente décision, que l’employeur n’a jamais manifesté son intention de contester cette décision du 13 mai 2008 et surtout invoqué l’application des articles 31, d’abord, et, ensuite, l’article 327 de la loi, puisqu’il a plutôt préféré procédé à une demande de partage de coûts en vertu de l’article 329 de la loi, et ce, dès le 28 octobre 2008, en mentionnant tout de même ce diagnostic.

[95]        Le tribunal rappelle que, déjà, l’employeur, par l’entremise de madame Boulet du Groupe-conseil AON, désignait spécifiquement le docteur Alain Bois comme étant celui qui devait recevoir une copie intégrale du dossier médico-administratif à l’adresse de AON conseil qui est la même que celle du docteur Bois, soit leur médecin-conseil.

[96]        Le tribunal rappelle aussi que c’est presque trois ans (18 février 2011) après sa demande de partage de coûts formulée en vertu de l’article 329 de la loi, soit celle du 28 octobre 2008, que l’employeur demande alors l’application de l’article 31 de la loi, et ce, même si la CSST s’est prononcée sur ce diagnostic, le 13 mai 2008, date de la première décision rendue par la CSST à ce sujet.

[97]        En outre, jamais l’employeur n’a demandé des précisions sur cette décision, notamment si elle englobait à la fois l’article 2 et l’article 31 de la loi, puisque c’est au moment de l’audience, soit le 18 février 2011, que l’employeur entend démontrer l’application de ces deux articles, et ce, par le même médecin-conseil qui agit depuis octobre 2007 au dossier de l’employeur et qui est aussi son médecin expert au moment de l’audience à ce sujet.

[98]        Le soussigné est d’opinion que s’il permettait à l’employeur d’agir ainsi, cela correspondrait à ce qu’il fasse indirectement ce qu’il aurait dû faire directement, c’est-à-dire contester la décision d’admissibilité du 13 mai 2008, portant spécifiquement sur ce nouveau diagnostic reconnu comme étant en relation avec l’événement du 20 août 2007, soit une algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse qui s’ajoutait aux diagnostics initialement posés, c’est-à-dire une fracture bimalléolaire de la cheville gauche avec fracture du pied droit.


[99]        Tel que l’a précisé le soussigné au procureur de l’employeur, rien ne l’empêchait de contester la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST, même s’il se disait d’accord avec ce diagnostic et ne jugeait pas utile de la contester alors qu’elle pouvait porter sur un article différent prévu dans la loi, soit l’article 2 ou encore 31, sans le nommer dans cette décision, mais toujours en relation avec l’événement du 20 août 2007.

[100]     Le tribunal constate que la notion de lésion professionnelle définie à l’article 2 de la loi, par rapport à celle considérée selon l’article 31, lorsqu’il s’applique, représente une différence énorme au niveau des conséquences qui peuvent résulter d’une lésion professionnelle, notamment pour un employeur.

[101]     En effet, si l’employeur prouve l’application de l’article 31 de la loi, il se voit désimputé de toutes les sommes à son dossier financier, résultant de ce nouveau diagnostic, puisqu’il s’agit alors d’une lésion professionnelle due aux soins ou aux traitements reçus, ou à l’omission de soins ou de traitements qu’il aurait dû recevoir pour sa lésion professionnelle.

[102]     En fait, cela diffère d’une lésion professionnelle selon l’article 2 de la loi, où l’employeur doit faire la démonstration différemment, s’il veut obtenir une désimputation de coûts en vertu de l’article 329 de la loi, ou encore un transfert de coûts en vertu des articles 326 et 328 de la loi qui ne sont pas des automatismes comme l’est l’article 327 de la loi, lorsque l’article 31 de la loi s’applique.

[103]     Le tribunal précise que l’employeur est au régime rétrospectif en ce qui a trait à son régime de cotisation payable à la CSST, ce qui démontre alors un intérêt pécuniaire à contester toutes décisions qui pourraient faire en sorte qu’il obtienne, soit une désimputation des coûts ou encore un transfert de coûts, comme il le prétend au moment de l’audience.

[104]     En outre, le soussigné ne croit pas que la décision Pâtisserie Chevalier[15] change quoi que ce soit à la situation invoquée par l’employeur en début d’audience, puisque, même s’il veut modifier l’objet de sa requête qui portait spécifiquement sur l’article 329 de la loi, par une autre disposition de la loi, soit l’article 327 de la loi, il devrait d’abord démontrer l’application de l’article 31 de la loi. Or, le fait que l’employeur n’ait pas contesté la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST portant sur l’admissibilité d’un nouveau diagnostic, soit celui d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, et ce, pour les raisons mentionnées par le procureur de l’employeur, est fatal, en l’espèce.

[105]     En effet, au moment où une requête est déposée par une partie et que la décision visée porte essentiellement sur l’admissibilité d’une lésion professionnelle reconnue par la CSST, le tribunal a alors le pouvoir de se prononcer aussi sur l’application d’une autre disposition prévoyant une lésion professionnelle, notamment l’article 31 par rapport à l’article 2 de la loi, lorsque les parties lui ont demandé de le faire, ce qui ne fut pas le cas en l’espèce, puisque l’employeur n’a jamais eu l’intention de contester la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST.

[106]     Pourtant, cette décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST reconnaît l’existence d’un nouveau diagnostic issu de l’accident du travail ou de l’événement du 20 août 2007. Or, ni l’employeur ni la Mutuelle de prévention AON, pourtant mandatée par l’employeur pour s’occuper des contestations et de son dossier médico-administratif, n’ont jugé bon de contester cette décision qui a des conséquences importantes dans son dossier financier, puisque ce diagnostic d’algodystrophie réflexe a fait l’objet d’une demande de partage de coûts formulée en vertu de l’article 329 et non de l’article 327 de la loi.

[107]     Pour l’ensemble de ces motifs, la Commission des lésions professionnelles conclut que la décision rendue le 13 mai 2008 par la CSST qui s’est prononcée, pour la première fois, sur le diagnostic d’algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse en précisant qu’il est en relation avec l’événement d’origine du 20 août 2007, et pour lequel la travailleuse a droit aux prestations prévues à la loi, a donc acquis un caractère final et irrévocable dans ses effets, puisque l’employeur ne l’a pas contestée.

[108]     Dès lors, la requête amendée par l’employeur au moment de l’audience, soit le 18 février 2011, en vue d’obtenir un transfert d’imputation des coûts selon l’article 327 de la loi qui réfère à l’article 31 de la loi, en se basant spécifiquement sur le même diagnostic, soit algodystrophie réflexe à la cheville gauche de la travailleuse, ne peut donner réouverture à un droit de contestation qui s’est éteint par l’absence de contestation de la décision rendue par la CSST, le 13 mai 2008. Conséquemment, il n’y a pas lieu de se prononcer sur l’application ou non de l’article 327 de la loi, au cas en l’espèce.

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

REJETTE, mais pour d’autres motifs, la requête produite, le 6 avril 2010, par Structures Saint-Joseph ltée, l’employeur;

CONFIRME, mais pour d’autres motifs, la décision rendue le 5 mars 2010 par la CSST, à la suite d’une révision administrative, laquelle porte essentiellement sur l’article 329 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles; et

DÉCLARE, par conséquent, que Structures Saint-Joseph ltée demeure imputé du coût des prestations résultant de la lésion professionnelle qu’a subie madame Lucie Chavanel, la travailleuse, le 20 août 2007;

 

 

 

 

Robin Savard

 

 

 

 

Me Éric Latulippe

LANGLOIS KRONSTROM DESJARDINS

Représentant de la partie requérante

 

 

 



[1]          L.R.Q., c. A-3.001.

[2]          (1987) 119 G.O. II, 5576.

[3]          Précitée, note 2.

[4]           Métro Richelieu, C.L.P. 291111-71-0606, 31 janvier 2007, D. Lévesque.

[5]           Précitée, note 4.

[6]           Précitée, note 4.

[7]           Nicole BEAUDOIN et al., chap. 22: « Syndrome douloureux régional complexe (SDRC) », Yves BERGERON, Luc FORTIN et Richard LECLAIRE, Pathologie médicale de l'appareil locomoteur, 2e éd., Saint-Hyacinthe, Edisem, Paris, Maloine, 2008, pp. 1035-1065.

[8]           Précitée, note 4.

[9]           C.L.P. 215643-04-0309, 28 mai 2004, S. Sénéchal.

[10]         Précitée, note 4.

[11]         1998, 130 G.O. II, 6435.

[12]         Équipement de ferme Turgeon ltée, C.L.P. 353555-03B-0807, 14 mai 2009, A. Quigley; Pharmacie Jean-Coutu 30, C.L.P. 372445-04-0903, 26 février 2010, D. Lajoie.

[13]         Précitée, note 12.

[14]         Précitée, note 12.

[15]         Précitée, note 9.

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