Décision

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Maçonnerie Yvan Labbé inc.

2011 QCCLP 7424

 

 

COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES

 

 

Rouyn-Noranda

18 novembre 2011

 

Région :

Abitibi-Témiscamingue

 

Dossier :

431617-08-1102

 

Dossier CSST :

135924850

 

Commissaire :

Guylaine Moffet, juge administratif

 

______________________________________________________________________

 

 

 

Maçonnerie Yvan Labbé inc.

 

Partie requérante

 

 

 

 

 

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DÉCISION

______________________________________________________________________

 

 

[1]           Le 28 février 2011, Maconnerie Yvan Labbé inc. (l’employeur) conteste une décision rendue le 11 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.

[2]           Par cette décision, la CSST confirme la décision qu’elle avait rendue le 26 novembre 2010 et déclare que l’employeur doit demeurer imputé de l’entièreté du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle subie par monsieur Guy Labrecque (le travailleur).

[3]           Lors de l’audience prévue à Rouyn-Noranda le 6 septembre 2011, l’employeur n’était ni présent ni représenté. Il avait toutefois requis du tribunal un délai supplémentaire, soit jusqu’au 11 octobre 2011, pour produire une argumentation écrite. Le dossier a été mis en délibéré le 7 octobre 2011, date de la réception de celle-i.

 

 

L’OBJET DE LA CONTESTATION

[4]           L’employeur demande au tribunal de déclarer qu’il ne soit imputé que de la partie de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur correspondant au salaire annuel brut du travailleur au moment de la survenance de sa lésion professionnelle, le 7 juin 2010, soit 20 353 $.

[5]           Il soutient qu’il est obéré injustement par l’imputation de la totalité du coût des prestations reliées à la lésion professionnelle du travailleur. Plus précisément, il prétend que la CSST ne devait pas lui imputer l’équivalent de l’indemnité réduite de remplacement du revenu que recevait le travailleur lors de la survenance de sa lésion professionnelle le 7 juin 2010, soit une somme de 40 287 $.

LA PREUVE

[6]           Le travailleur est manœuvre spécialisé lorsque, le 7 juin 2010, il est victime d’un accident du travail. La réclamation du travailleur est acceptée par la CSST le 28 juin 2010 et cette décision n’a pas fait l’objet d’une contestation.

[7]           Antérieurement, le travailleur avait subi une lésion professionnelle chez un autre employeur, soit le 21 août 1991, et souffert de plusieurs récidives, rechutes ou aggravations par la suite. Lors d’une récidive, rechute ou aggravation survenue en mai 2006, il demeure avec une atteinte permanente à son intégrité physique ou psychique ainsi que des limitations fonctionnelles qui le rendent incapable d’exercer son emploi. La CSST détermine donc un emploi convenable de commis à la balance, lui rapportant un salaire annuel brut de 30 213 $. Or, au moment de la rechute ayant mené à cette détermination, le salaire annuel brut du travailleur est de 56 282 $. La CSST établit donc qu’il a droit à une indemnité réduite de remplacement du revenu.

[8]           Ainsi, au moment où le travailleur subit sa lésion professionnelle, le 7 juin 2010, il reçoit, en plus du salaire 20 353 $ provenant de l’emploi qu’il occupe chez l’employeur, une indemnité réduite de remplacement du revenu. Compte tenu de ces informations, la CSST établit à 60 640,36 $ la base salariale du travailleur servant au calcul de son indemnité de remplacement du revenu.

[9]           À la suite de la décision de la CSST de lui imputer la totalité du coût des prestations, l’employeur présente une demande de transfert d’imputation, soutenant qu’il est obéré injustement d’une base d’indemnité de remplacement du revenu qui excède le salaire annuel que le travailleur reçoit en raison de sa prestation de travail.

 

 

[10]        Dans son argumentation, l’employeur allègue que l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] prévoit que l’employeur est responsable du coût des prestations attribuables à une lésion professionnelle survenue à un travailleur alors qu’il est à son emploi. Ainsi, les coûts qu’il doit supporter sont uniquement ces coûts et non ceux attribuables à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur.

[11]        Ainsi, en l’espèce, par l’effet de la décision de la CSST, il doit supporter des coûts qui découlent d’une lésion qui n’est pas survenue alors que le travailleur était à son service. En refusant de retirer du dossier de l’employeur les coûts reliés à cet autre accident du travail, la CSST l’obère injustement.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

[12]        Le tribunal doit déterminer si l’employeur doit demeurer imputé de la totalité du coût des prestations versées au travailleur à la suite de sa lésion professionnelle du 7 juin 2010.

[13]        L’article 326 de la loi prévoit la règle générale en matière d’imputation :

326.  La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.

 

Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.

 

L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.

__________

1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.

 

 

[14]        Ainsi, selon cette règle, l’employeur est imputé du coût des prestations reliées à une lésion professionnelle subie par un de ses travailleurs.

 

[15]        Le deuxième alinéa de cet article constitue une exception à ce principe. Ainsi, entre autres, la CSST peut transférer l’imputation de ces coûts aux employeurs d’une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque celle-ci aurait pour effet d’obérer injustement l’employeur.

[16]        La notion d’« obérer injustement », qui n’est pas définie dans la loi, a fait l’objet d’interprétations qui ont évolué au fil des ans. D’une interprétation qui exigeait que l’employeur démontre que l’imputation avait pour effet de le placer dans une situation financière précaire ou de lui imposer une lourde charge financière, la jurisprudence a évolué vers une interprétation plus large de cette notion.

[17]        Toutefois, dans Joseph et C.A.E. Électronique[2], le tribunal précise qu’il faut se garder d’adopter une interprétation trop large qui ferait en sorte qu’un transfert serait accordé aussitôt que des faits particuliers interviennent.

[18]        Dans Location Pro-Cam inc. et CSST[3], la Commission des lésions professionnelles retient une interprétation qui exige la démonstration d’une situation d’injustice et une preuve d’un fardeau financier significatif par rapport aux coûts découlant de la lésion. Elle s’exprime ainsi :

[21] En ne retenant que le critère de l’injustice d’une situation, l’interprétation large et libérale évacue complètement la notion « d’obérer ». Or, si le législateur a choisi cette expression, il faut nécessairement y donner un sens, selon les règles élémentaires d’interprétation des lois.

[22] De l’avis de la soussignée, l’employeur sera « obéré injustement » dans la mesure où le fardeau financier découlant de l’injustice alléguée est significatif par rapport au fardeau financier découlant de l’accident du travail. Ainsi, la notion « d’obérer », c’est-à-dire « accabler de dettes », doit être appliquée en fonction de l’importance des conséquences monétaires de l’injustice en cause par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail lui-même. La notion d’injustice, pour sa part, se conçoit en fonction d’une situation étrangère aux risques que l’employeur doit assumer, mais qui entraîne des coûts qui sont rajoutés au dossier de l’employeur.

[23] Donc, pour obtenir un transfert des coûts basés sur la notion « d’obérer injustement », l’employeur a le fardeau de démontrer deux éléments :

Ø une situation d’injustice, c’est-à-dire une situation étrangère aux risques qu’il doit supporter;

Ø une proportion des coûts attribuables à la situation d’injustice qui est significative par rapport aux coûts découlant de l’accident du travail en cause.

 

 

[19]        Cette position a été reprise dans plusieurs décisions et il semble que ce soit maintenant l’interprétation jurisprudentielle qui est adoptée par la majorité[4] des décideurs.

[20]        De plus, il a été précisé par la jurisprudence[5] que l’appréciation de ce qui est injuste doit s’effectuer dans le contexte de la loi de sorte que l’application d’une disposition législative ne doit pas nécessairement être interprétée comme obérant injustement l’employeur.

[21]        La soussignée souscrit également à cette interprétation.

[22]        En l’espèce, le tribunal ne retient pas que l’imputation au dossier de l’employeur de la totalité du coût des prestations a pour effet de l’obérer injustement.

[23]        En effet, le calcul de l’indemnité de remplacement du revenu versée au travailleur a été effectué en application de l’article 73 de la loi :

73.  Le revenu brut d'un travailleur victime d'une lésion professionnelle alors qu'il reçoit une indemnité de remplacement du revenu est le plus élevé de celui, revalorisé, qui a servi de base au calcul de son indemnité initiale et de celui qu'il tire de son nouvel emploi.

 

L'indemnité de remplacement du revenu que reçoit ce travailleur alors qu'il est victime d'une lésion professionnelle cesse de lui être versée et sa nouvelle indemnité ne peut excéder celle qui est calculée sur la base du maximum annuel assurable en vigueur lorsque se manifeste sa nouvelle lésion professionnelle.

__________

1985, c. 6, a. 73.

 

 

[24]        Or, selon la jurisprudence majoritaire du tribunal[6], l’application d’une disposition de la loi ne peut être source d’injustice. L’employeur ne peut donc prétendre être obéré injustement par l’application de l’article 73 de la loi.

[25]        Toutefois, le tribunal estime que la somme correspondant à l’indemnité réduite de remplacement du revenu ne doit pas être imputée au dossier de l’employeur puisqu’il ne s’agit pas d’une prestation reliée à une lésion professionnelle subie par un de ses travailleurs.

[26]        En effet, selon la règle générale d’imputation, l’employeur n’est responsable que des coûts reliés à un accident du travail survenu à un travailleur alors qu’il est à son emploi. Ainsi, les coûts attribuables à une lésion professionnelle survenue chez un autre employeur ne doivent pas être imputés à son dossier. C’est ce qui ressort des dispositions contenues dans la loi prévoyant l’imputation des coûts, soit les articles 327, 328 et 329 de la loi, comme l’écrivait le tribunal sans l’affaire J.M. Bouchard & Fils inc[7].

[27]        Au surplus, l’employeur du travailleur lors de la survenance de la lésion professionnelle en 1991, laquelle a entraîné plusieurs rechutes qui ont mené à la détermination d'un emploi convenable et le versement de l’indemnité réduite de remplacement du revenu, a déjà eu à supporter les coûts rattachés à cette lésion professionnelle. Il est donc normal que la CSST ne puisse imputer à nouveau des coûts qu’elle a déjà facturés à cet employeur et pour lesquels elle a effectué les provisions actuarielles nécessaires, comme le soulignait avec justesse le tribunal dans Rôtisserie St-Hubert (10520 Lajeunesse)[8].

[28]        Ainsi, au moment de son accident du travail survenu le 7 juin 2010, le salaire de l’emploi occupé par le travailleur n’était que de 20 353 $. En vertu du principe général d’imputation, l’employeur ne doit être imputé que des coûts reliés à ce salaire. Les coûts reliés à la portion de l’indemnité de remplacement du revenu correspondant à l’indemnité réduite de remplacement du revenu que recevait alors le travailleur, soit 40 287 $, doivent être retranchés du dossier financier de l’employeur.

 

 

PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :

ACCUEILLE la requête de Maçonnerie Yvan Labbé inc., l’employeur;

INFIRME la décision rendue le 11 février 2011 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;

 

 

DÉCLARE que l’employeur ne doit pas être imputé des coûts de l’indemnité de remplacement du revenu qui excède le revenu brut de 20 353 $ versé au travailleur lors de la survenance de sa lésion professionnelle, le 7 juin 2010.

 

 

 

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Guylaine Moffet

 

 

 

 

Me Monia Vallée

Leblanc Lamontagne et Associés

Représentante de la partie requérante

 

 

 



[1]           L.R.Q., c. A-3.001.

[2]           103214-73-9807, 6 janvier 2000, C. Racine.

[3]           114354-32-9904, 18 octobre 2002, M.-A. Jobidon.

[4]           Ville de Laval, 389558-61-0909, 21 juillet 2010, G. Morin; Auto Classique de Laval inc., 394677-61-0911, 23 novembre 2010, L. Nadeau.

[5]           Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 , requête ne révision rejetée, [2004] C.L.P. 1856 (C.S.).

[6]           Ville de Drummondville et CSST, [2003] C.L.P. 1118 ; Hôpital Laval, C.L.P. 353474031-0807, 23 mars 2009, H. Thériault; Groupe C.D.P., C.L.P. 356625-31-0808, 23 juillet 2009, G. Tardif; Nettoyeurs Pellican Inc., C.L.P. 372145-31-0903, 4 août 2009, S. Sénéchal; ARTB inc., C.L.P. 346416-03B-0804, 19 août 2009, R. Deraîche; Fernand Harvey & Fils inc., C.L.P. 382751-31-0907, 17 décembre 2009, R. Hudon; Carquest Canada Ltée, C.L.P. 389155-03B-0909, 29 avril 2010, M.-A. Jobidon; Goupe C.D.P. inc., 422607-61-1010, 23 mars 2011, P. Bouvier.

 

[7]           2010 QCCLP 3746 .

[8]           2011 QCCLP 1741 .

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