Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) et Québec (Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs) |
2009 QCCLP 7852 |
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[1] Le 9 juin 2009, le Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 6 mai 2009 à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme celle qu’elle a initialement rendue le 12 février 2009 et déclare que le coût des prestations découlant de la lésion professionnelle subie par madame Martine Duchesne (la travailleuse) le 26 novembre 2008 doit être imputé au dossier financier du SFPQ.
[3] Une audience devait avoir lieu le 16 septembre 2009 à Saguenay. Toutefois, quelques jours avant cette audience, les représentantes des parties ont avisé le tribunal qu’elles seraient absentes à celle-ci et elles ont demandé un délai afin de soumettre leur argumentation écrite respective au soutien de leurs prétentions. La cause a été mise en délibéré le 14 octobre 2009, soit à la date où le tribunal a reçu les derniers commentaires de la représentante du SFPQ.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le SFPQ demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que le véritable employeur de la travailleuse lors de la survenance de la lésion professionnelle du 26 novembre 2008 est le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (le ministère) et que les coûts de cette lésion professionnelle doivent être imputés à ce dernier.
[5] Dans l’hypothèse où la Commission des lésions professionnelles accueille la requête du SFPQ, la procureure du ministère demande au tribunal de déclarer qu’il a droit à un transfert de coût en vertu de l’article 326 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi).
LES FAITS
[6] De la preuve documentaire, le tribunal retient notamment ce qui suit.
[7] La travailleuse occupe depuis 2003, un emploi permanent syndiqué d’agente de secrétariat au ministère.
[8] En plus de ses fonctions d’agente de secrétariat, la travailleuse s’occupe, depuis 2005, d’activités syndicales et doit, à titre de représentante régionale à la condition féminine, assister à des rencontres dans les locaux du SFPQ à Québec.
[9] Le 17 novembre 2008, tel que lui permet l’article 2-8.01 de la convention collective applicable à la travailleuse, celle-ci demande au ministère l’autorisation de s’absenter du travail pour la période du 25 novembre 2008 au 27 novembre 2008 inclusivement, et ce, afin de participer à un conseil syndical du SFPQ, ainsi qu’à une rencontre des représentantes régionales à la condition féminine de ce syndicat. Il est à noter que l’article 2-8.02 de la convention collective prévoit qu’un employé peut s’absenter du travail pour un maximum de 35 jours par année financière afin de s’occuper d’activités syndicales.
[10] Le 24 novembre 2008, le ministère autorise la travailleuse à s’absenter de son travail pour la période demandée. Il est à noter que durant cette période d’absence et comme le prévoit l’article 2-8.06 de la convention collective, la travailleuse continue d’être rémunérée par le ministère. Toutefois, le SFPQ rembourse au ministère les sommes versées à la travailleuse durant son absence.
[11] Le 26 novembre 2008, alors que la travailleuse se rend à la réunion syndicale qui a lieu dans les bureaux du SFPQ à Québec, elle fait une chute dans le stationnement de l’immeuble dans lequel le SFPQ a ses bureaux. La travailleuse s’inflige alors une entorse lombaire et un arrêt de travail de 2 jours est recommandé par le médecin rencontré par celle-ci.
[12] Le 3 décembre 2008, la travailleuse complète une réclamation pour la CSST dans laquelle elle demande à cette dernière de reconnaître qu’elle a subi, le 26 novembre 2008, un accident du travail. Sur cette réclamation, le ministère est indiqué à titre d’employeur de la travailleuse.
[13] Le 12 décembre 2008, la CSST reconnaît que la travailleuse a subi, le 26 novembre 2008, un accident du travail et impute au dossier financier du ministère, le coût des prestations qui découlent de cet accident.
[14] Le 18 décembre 2008, le ministère dépose à la CSST une demande de transfert de coût en vertu de l’article 326 de la loi.
[15] Le 12 février 2009, la CSST reconsidère sa décision du 12 décembre 2008 et décide qu’au moment de l’événement du 26 novembre 2008, la travailleuse était à l’emploi du SFPQ. Par conséquent, la CSST impute la totalité du coût des prestations de cet événement au SFPQ.
[16] Le 3 mars 2009, le SFPQ demande la révision de la décision d’imputation rendue par la CSST le 12 février 2009.
[17] Le 6 mai 2009, à la suite d’une révision administrative, la CSST confirme que le SFPQ doit être imputé du coût des prestations qui découlent de l’événement du 26 novembre 2008.
[18] Le 9 juin 2009, le SFPQ conteste devant la Commission des lésions professionnelles la décision rendue par la CSST le 6 mai 2009, d’où le présent litige.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[19] La Commission des lésions professionnelles doit décider si le SFPQ doit être considéré comme étant l’employeur de la travailleuse lors de l’événement survenu le 26 novembre 2008.
[20] Après analyse de la preuve, le tribunal est d’avis, qu’au moment de l’accident du travail survenu à la travailleuse le 26 novembre 2008, que le véritable employeur de celle-ci était le ministère.
[21] En effet, la Commission des lésions professionnelles considère que même si lors de cet accident du travail, la travailleuse n’effectuait pas des tâches reliées à son emploi d’agente de secrétariat, mais qu’elle effectuait plutôt des activités syndicales, il n’en demeure pas moins que le lien d’emploi, unissant la travailleuse au ministère, n’a pas été interrompu par les activités syndicales exercées cette journée-là.
[22] Le tribunal remarque d’ailleurs que l’absence de la travailleuse du 26 novembre 2008 a été préalablement autorisée par le ministère et que ce type d’absence est spécifiquement prévu à la convention collective applicable à la travailleuse. Ce privilège de s’absenter de son travail pour effectuer des activités syndicales fait donc partie intégrante des conditions de travail de la travailleuse.
[23] D’autre part, le fait que le SFPQ rembourse à l’employeur la rémunération que ce dernier verse à la travailleuse lors de son absence, n’est pas déterminant en l’espèce, puisque l’employeur conserve un contrôle sur la nature des activités exercées par la travailleuse lors de son absence. Par conséquent, cet élément n’a pas pour effet d’interrompre le lien d’emploi de la travailleuse avec le ministère.
[24] Bien entendu, il en serait autrement si la demande de libération syndicale visait une absence de longue durée comme par exemple une année entière, car dans un tel cas, il est clair que durant une telle absence, l’employeur n’aurait plus aucun contrôle sur les activités effectuées par la travailleuse ni sur les déplacements qu’elle aurait à faire.
[25] Ce raisonnement du tribunal au sujet de la détermination du véritable employeur d’une personne en libération syndicale a d’ailleurs fait l’objet de plusieurs décisions dont l’affaire SFPQ et ministère de l’Agriculture, Pêcheries et Alimentation[2] où les faits sont similaires à ceux du présent dossier et où l’on peut lire que :
[16] La Commission des lésions professionnelles considère que le lien d’emploi entre le MAPAQ et madame Poirier n’a pas été interrompu en raison de sa libération pour représentation syndicale durant la journée du 8 décembre 2003. En effet, comme le soulignait avec justesse le procureur du S.F.P.Q., madame Poirier était toujours régie par sa convention collective, laquelle permet à un employé de s’absenter du travail pour effectuer de la représentation syndicale, comme l’a fait madame Poirier le 8 décembre 2003. Ceci fait partie de ses conditions de travail. Par conséquent, l’employeur de madame Poirier était le MAPAQ, même si son accident est survenu lors d’une activité syndicale. Ceci a d’ailleurs déjà été reconnu dans la jurisprudence1, dans la mesure où la travailleuse n’est pas libérée de façon permanente pour le bénéfice du syndicat. (sic)
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1 Maison Mère Sœurs des St-Noms de Jésus et Marie et France Loiseau (C.L.P.185497-72-0206, 2002-12-12, Me Neuville Lacroix)
[26] Au surplus, le tribunal est d’avis que le premier alinéa de l’article 5 de la loi trouve application dans le présent dossier, puisque l’on peut considérer que durant la période du 25 au 27 novembre 2008, le ministère a « prêté » les services de la travailleuse au SFPQ. Or, suivant cette disposition législative, l’employeur de la travailleuse, aux fins de l’application de la loi, demeure le ministère. Cet article 5 de la loi est ainsi libellé :
5. L'employeur qui loue ou prête les services d'un travailleur à son emploi demeure l'employeur de ce travailleur aux fins de la présente loi.
La personne qui, aux fins de son établissement, utilise un travailleur dont les services lui sont loués ou prêtés est réputée être un employeur, pour l'application de l'article 316, même si elle n'a pas de travailleurs à son emploi.
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1985, c. 6, a. 5; 2006, c. 53, a. 2.
[27] C’est d’ailleurs ce raisonnement que tenait le tribunal dans l’affaire CSST- Soutien à l’imputation[3], où l’on peut lire que :
[47] Cette libération signifie pour l’employeur qu’il accepte de prêter les services d’un de ses employés à des fins syndicales; ce prêt peut être gratuit ou non.
[48] Il s’agit d’une absence que l’employeur doit autoriser, dont les mécanismes sont négociés et régis par la convention collective. Si le travailleur n’en respecte pas les conditions, c’est l’employeur, Commission de la santé et de la sécurité du travail, qui sévit en tant qu’employeur, et non le syndicat.
[49] La Commission des lésions professionnelles est d’avis que cette libération est un prêt des services de monsieur Gervais au syndicat pour une période déterminée, que l’absence soit remboursée ou non par le syndicat parce que ce prêt doit être autorisé par l’employeur.
[50] La Commission des lésions professionnelles conclut donc que l’employeur de monsieur Gervais reste la Commission de la santé et de la sécurité du travail pendant cette libération. (sic)
[28] Par conséquent, le tribunal conclut que lors de l’événement survenu le 26 novembre 2008, l’employeur de la travailleuse demeurait le ministère.
[29] D’autre part, la Commission des lésions professionnelles doit maintenant se prononcer sur la requête incidente formulée par la représentante du ministère, par laquelle elle demande au tribunal de se prononcer relativement à sa demande de transfert de coût, déposée à la CSST le 18 décembre 2008. Rappelons que par cette
requête, le ministère invoque qu’il est « obéré injustement » au sens de l’article 326 de la loi. Cet article 326 de la loi prévoit que :
326. La Commission impute à l'employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail survenu à un travailleur alors qu'il était à son emploi.
Elle peut également, de sa propre initiative ou à la demande d'un employeur, imputer le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail aux employeurs d'une, de plusieurs ou de toutes les unités lorsque l'imputation faite en vertu du premier alinéa aurait pour effet de faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ou d'obérer injustement un employeur.
L'employeur qui présente une demande en vertu du deuxième alinéa doit le faire au moyen d'un écrit contenant un exposé des motifs à son soutien dans l'année suivant la date de l'accident.
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1985, c. 6, a. 326; 1996, c. 70, a. 34.
[30] En l’espèce, bien que le ministère ait déposé sa demande de transfert de coût dans le délai prévu à la loi, le tribunal constate que la CSST ne s’est jamais prononcée sur cette demande du ministère, puisqu’elle a reconsidéré sa décision initiale qui reconnaissait ce dernier comme étant l’employeur de la travailleuse.
[31] Malgré cette absence de décision de la CSST, la représentante du ministère allègue, qu’en vertu de l’article 377 de la loi, le tribunal a compétence pour statuer sur sa demande de transfert de coût et demande de rendre la décision « qui aurait dû être rendu » par la CSST. Cet article 377 de la loi est ainsi libellé :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[32] De l’avis du tribunal cette prétention de la représentante du ministère est mal fondée, puisque l’article 377 de la loi n’est pas attributif de compétence[4] et ne permet pas à la Commission des lésions professionnelle de se prononcer sur toute question. La compétence du tribunal découle plutôt de l’article 369 de la loi qui prévoit que :
369. La Commission des lésions professionnelles statue, à l'exclusion de tout autre tribunal :
1° sur les recours formés en vertu des articles 359 , 359.1 , 450 et 451 ;
2° sur les recours formés en vertu des articles 37.3 et 193 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (chapitre S-2.1).
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1985, c. 6, a. 369; 1997, c. 27, a. 24.
[33] Dans ce contexte, malgré les larges pouvoirs que lui confère l’article 377 de la loi, la Commission des lésions professionnelles considère que sa compétence est limitée par l’objet de la décision qui est contestée devant elle et que par conséquent, elle ne peut se prononcer sur une question qui n’a jamais fait l’objet d’une décision de partage ou de transfert d’imputation de la part de la CSST.
[34] Or, comme mentionné précédemment, la CSST ne s’est jamais prononcée, dans le présent dossier, sur une quelconque demande de transfert de coût. Dans ce contexte, le tribunal ne peut « confirmer, modifier ou infirmer » ou rendre la décision qui « aurait dû être rendu en premier lieu » puisque qu’une telle décision de la CSST n’existe pas.
[35] Par conséquent, compte tenu que la décision faisant l’objet du présent recours du SFPQ ne traite pas d’une demande de transfert du coût, le tribunal ne peut se prononcer à ce sujet. Il y a donc lieu de retourner le dossier à la CSST afin que cette dernière donne suite à la demande de transfert de coût déposée par le ministère le 18 décembre 2008.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête du Syndicat de la fonction publique du Québec (SFPQ);
INFIRME la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail rendue le 6 mai 2009 à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE que le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs était l’employeur de madame Martine Duchesne, la travailleuse, lors de la lésion professionnelle qu’elle a subie le 26 novembre 2008;
DÉCLARE que le coût des prestations reliées à cette lésion professionnelle doit être imputé au dossier financier du ministère du Développement durable, de l’Environne-ment et des Parcs ;
RETOURNE le présent dossier à la CSST afin que cette dernière se prononce sur la demande de transfert de coût déposée par le ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs, le 18 décembre 2008.
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Jean Grégoire |
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Me Julie-Véronique Allaire |
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GRONDIN, POUDRIER, BERNIER |
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Représentante de la partie requérante |
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Me Anne-Marie Vézina |
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CREVIER, ROYER SECRÉTARIAT DU CONSEIL DU TRÉSOR |
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Représentante de la partie intéressée |
AVIS :
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