Gabarit CM

Terrebonne (Ville de) c. Hervieux

2009 QCCM 371

COUR MUNICIPALE
DE TERREBONNE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

 

 

 

No :

07-00492-4

 

 07-00499-9

 

DATE :

10 DÉCEMBRE 2009

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHEL LALANDE J.C.M.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

VILLE DE TERREBONNE

Plaignante

c.

MARIO HERVIEUX

Défendeur

ET

VILLE DE TERREBONNE

c.

SIMON LEBEAU

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

 

[1]   Les défendeurs sont accusés d’avoir contrevenus aux dispositions de l’article 4.4 du règlement numéro 4000, règlement sur la paix, l’ordre public et le bien-être général, de la ville de Terrebonne, en utilisant une arme à feu afin de lancer un projectile quelconque en direction d’un ou à moins de 2000 mètres d’un bâtiment.

 

 

PREUVE DE LA POURSUIVANTE

[2]   La preuve de la poursuivante est constituée du dépôt de certains documents et d’admissions convenues avec les défendeurs.

La preuve documentaire :

[3]   Dans chacun des dossiers, la poursuivante dépose, du consentement du procureur des défendeurs, le règlement municipal en cause, comme pièce P-1, ainsi que les constats, rapports d’infraction et précis des faits comme pièce P-2.

Les admissions :

[4]   Les parties font également les admissions suivantes :

4.1. En tout temps pertinent au litige, les agents Morin et Lejeune étaient des agents de la paix dans l’exercice de leurs fonctions;

4.2. Le 7 décembre 2006, les défendeurs étaient chacun en possession d’une arme à feux utilisée pour tirer sur des oiseaux;

4.3. Les défendeurs se trouvaient, lors de l’intervention des policiers, à moins de 2000 mètres d’une habitation sur le territoire de la ville de Terrebonne;

4.4. Les défendeurs ont bien été identifiés par les agents de la paix et les constats d’infraction leur ont été signifiés le jour même de l’infraction alléguée.

4.5. Au moment des évènements, les défendeurs se trouvaient sur une terre agricole au sens de la Loi sur la protection des activités et du territoire agricole du Québec.

[5]   Ces documents et ces admissions constituent la preuve de la poursuivante.

PREUVE DES DÉFENDEURS

Témoignage de M. Simon Lebeau :

[6]   M. Lebeau est agriculteur et, le 7 décembre 2006, il chassait les oiseaux migrateurs en compagnie de M. Hervieux.

[7]   Ils se trouvaient sur une terre agricole privée, propriété d’un certain Monsieur Fafard, avec son autorisation.

[8]   Pour chasser, ils utilisaient chacun un fusil de marque Beretta, calibre 12 et leurs armes étaient chargées de cartouches aux « billes d’acier » numéros 2 ou 4.

[9]   La terre en question est zonée agricole en vertu des dispositions de la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles du Québec.

[10]        Il produit comme pièce D-1, une photographie aérienne des lieux sur laquelle est indiqué par un « X » l’endroit où ils se trouvaient.

 

Témoignage de Monsieur Alain Combes :

[11]        Monsieur Combes est un armurier dont la qualité d’expert en balistique a été reconnue par le tribunal lors de l’audience.

[12]        Il témoigne qu’un fusil possède, contrairement à une carabine, un canon lisse et que sa portée est beaucoup moindre que celle d’une carabine.

[13]        Le fusil projette une gerbe de « plombs » contrairement à la carabine qui projette une balle unique.

[14]        Lorsque l’on tire une cartouche de plombs numéro 4 avec un fusil, la portée maximale, avec un angle optimal, est de 400 mètres.

[15]        À cette distance, les plombs n’ont plus aucune force et tombent au sol.

[16]        À une distance de 100 mètres de l’arme, il n’y a plus aucun danger de blessures.

Témoignage de M. Mario Hervieux :

[17]        Monsieur Hervieux produit sous la côte D-2 une photographie aérienne a l’échelle du territoire de la ville de Terrebonne et mentionne que, selon lui, il n’y aurait aucun endroit sur ce territoire où l’on puisse se trouver à plus de 2000 mètres d’un bâtiment.

ARGUMENTATION DES DÉFENDEURS

[18]        Les défendeurs ont signifié et produit un avis donné en vertu de l’article 95 du Code  de procédure civile du Québec, au terme duquel, ils demandent à la Cour de constater que le règlement municipal en cause est ultra-vires des pouvoirs de la municipalité.

[19]        Le procureur des défendeurs attire l’attention sur le fait que l’ancien article 416 (12) de la Loi sur les cités et villes conférait aux municipalités le pouvoir d’adopter des règlements pour restreindre ou interdire la décharge d’armes à feu sur leur territoire.

[20]        Dans cette perspective, dans, l’arrêt « Ville de Beaconsfield c. Pierre Bourbonnière et al. », CAM, 500-09-000462-911, 25 juillet 1995, la Cour d’appel du Québec jugeait intra vires des pouvoirs de la municipalité deux règlements par lesquels elle interdisait le tir d’armes dans les limites de son territoire.

[21]        Or, le procureur soumet que cette disposition de la Loi sur les cités et villes a été abrogée par la Loi sur les compétences municipales, et remplacée par l’article 62 de cette dernière qui prescrit le pouvoir pour une municipalité locale d’adopter des « règlements en matière de sécurité ».

[22]        Pour le procureur des défendeurs, l’article 62 de la Loi sur les compétences municipales est plus restreint en ce sens que la portée du règlement ne peut excéder ce qui est nécessaire à assurer la sécurité.

[23]        Or, dans le présent dossier, compte tenu de la preuve par expert, le règlement dépasse toute préoccupation de sécurité puisque la portée maximale d’un fusil de calibre 12, dans un angle optimal, est de 400 mètres, sans tenir compte du fait qu’au-delà de 100 mètres, il n’y a plus aucun risque de blessures.

[24]        La limite de 2000 mètres fixée par le règlement dépasse largement toute préoccupation de sécurité.

[25]        Le procureur des défendeurs ajoute que le règlement de la ville de Terrebonne à également pour effet d’interdire une activité autrement expressément permise par une loi provinciale.

[26]        En effet, l’article 1.3 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, L.R.Q., chap. C-61.1, énonce que :

« Toute personne à la droit de chasser, de pêcher et de piéger, conformément à la loi.

   Le premier alinéa n’a pas pour effet, toutefois, d’établir une prépondérance de ce droit à l’égard d’autres activités pouvant s’exercer sur le même territoire. »

(Mes soulignés)

[27]        Ainsi, pour le procureur des défendeurs, dans la mesure où l’activité de chasser s’effectue en conformité avec les  dispositions de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, elle ne peut faire l’objet d’une prohibition par un règlement municipal.

 

 

[28]        En effet, cette affirmation découle des dispositions mêmes de l’article 1.4 de cette loi, lequel énonce ce qui suit :

« Nul ne peut sciemment faire obstacle à une personne effectuant légalement une activité visée au premier alinéa de l’article 1.3, y compris une activité préparatoire à celle-ci.

  Pour l’application du premier alinéa, on entend par faire obstacle notamment le fait d’empêcher l’accès d’un chasseur, d’un pêcheur ou d’un piégeur, sur les lieux de chasse, de pêche ou de piégeage auxquels il a légalement accès… »

(Mes soulignés)

[29]        Pour le procureur des défendeurs, une municipalité ne peut aller à l’encontre du droit de chasser d’une personne en adoptant un règlement interdisant le tir d’armes sur son territoire.

[30]        Or, pour le procureur des défendeurs, ces derniers, non seulement pratiquaient une activité autorisée par la loi, mais le faisait à l’intérieur du cadre permis par cette dernière puisqu’ils avaient l’autorisation du propriétaire de l’immeuble et se trouvaient dans la période de chasse permise sur le territoire de la ville de Terrebonne en vertu des divers règlements provinciaux et fédéral applicables.

[31]        À l’appui de ses prétentions, le procureur des défendeurs cite la décision du juge Laurin de la Cour municipale de Dorval, dans l’affaire « Cité de Dorval c.  Gilles Larose et al. », CM Dorval, 96-00082, 30 octobre 1997, où il fut décidé, dans les termes qui suivent, qu’un règlement municipal ayant pour effet d’interdire de chasser  et d’utiliser une arme à feu sur le territoire de la municipalité était ultra vires des pouvoirs du Conseil municipal :

« Le pouvoir provincial est l’autorité compétente sur l’activité de la chasse comme le prévoit la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune précitée, et comme cette compétence n’a pas été conférée à la municipalité par la loi sur les cités et villes qui est la loi habilitante, il s’ensuit que les articles 3.4.1, 6.1 et 9 du règlement 910-72 sont inapplicables et inopposables aux défendeurs. »

[32]        Le procureur ajoute finalement que le règlement est totalement prohibitif, abusif et déraisonnable compte tenu du fait qu’il n’y aurait aucun endroit sur le territoire de la ville de Terrebonne où l’on puisse se situer à plus de 2000 mètres d’un bâtiment.

[33]        En réponse à une question posée par le Tribunal, en regard de l’article  1.3 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, le procureur des défendeurs mentionne que, selon lui, la référence à « la loi » qui y est faite signifie la présente loi, c’est-à-dire celle sur la conservation et la mise en valeur de la faune.

ARGUMENTATION DE LA POURSUIVANTE

[34]        Le procureur de la poursuivante fait en premier lieu remarquer que le règlement en cause en est un sur la « paix, l’ordre public et le bien-être général » et que la municipalité a expressément le pouvoir de l’adopter en vertu des dispositions de l’article 85 de la Loi sur les compétences municipales.

[35]        De plus, les articles 4 (7) et 62 de cette même loi, confèrent à la municipalité le pouvoir de légiférer en matière de sécurité sur son territoire.

[36]        Quant au fait que les dispositions de l’article 416 (12) de la Loi sur les cités et villes, qui autorisaient l’adoption de règlements pour régir l’utilisation d’armes sur le territoire municipal, n’aient pas été reprises textuellement dans l’actuelle Loi sur les compétences municipales, le procureur de la poursuivante fait remarquer qu’en vertu de l’article 248 de cette dernière loi, les actes règlementaires adoptés par une municipalité en vertu de dispositions non reproduites de la Loi sur les cités et villes demeurent en vigueur jusqu’à ce qu’ils aient été modifiés, remplacés ou abrogés.

[37]        Ainsi, en vertu de cette disposition transitoire, le règlement 4000 de la ville de Terrebonne est maintenu en vigueur même si le pouvoir spécifique que conférait l’article 416 (12) de la Loi sur les cités et villes n’a pas été reproduit dans l’actuelle loi.

[38]        Le procureur de la poursuivante plaide également que depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire « 114957 canada ltée (Société d’arrosage Spraytech) c. Hudson (Ville de), REJB 2001-24833 , même si les municipalités peuvent exercer uniquement les pouvoirs qui leurs sont conférés expressément par la loi, ceux qui découlent nécessairement ou vraiment du pouvoir explicite conféré par la loi et ceux qui sont essentiels pour réaliser leurs fins, elles peuvent exercer les pouvoirs en matière de « bien-être général » que la loi provinciale habilitante leur confère.

[39]        Une disposition comme celle de l’article 85 de la Loi sur les compétences municipales permet aux municipalités de relever les défis auxquels elles font face sans qu’il soit nécessaire de s’appuyer sur une disposition habilitante spécifique.

[40]        Il ajoute qu’un règlement municipal peut toucher un sujet déjà couvert par une loi provinciale et qu’il n’y aura incompatibilité que dans la mesure ou un texte de loi dira « oui » alors que l’autre dira « non ».

[41]        Comme le faisait remarquer la Cour suprême dans l’arrêt précité de Ville de Hudson », il n’y aura incompatibilité que dans la mesure où le citoyen, pour obéir à une des lois, devra enfreindre l’autre.

[42]        Dans le présent dossier, le législateur municipal n’interdit pas de chasser sur son territoire, dans la mesure où le tir avec une arme à feu s’effectue à plus 2000 mètres d’un bâtiment.

[43]        Le procureur ajoute que le tribunal ne peut inférer de la preuve qu’il serait impossible de se trouver à plus de 2000 mètres d’un bâtiment car rien ne le confirme : Le seul dépôt d’une carte à l’échelle et le témoignage du défendeur sont insuffisants.

ANALYSE ET DÉCISION

[44]        La présente affaire soulève trois questions de droit auxquelles le tribunal doit réponde : 1) Quel est l’effet de l’abrogation de l’article 416 (12) de la Loi sur les Cités et Viles ? 2) L’article 4.4 du règlement 4000 de la ville de Terrebonne est-il intra vires des pouvoirs de cette dernière ?, et 3) L’article 4.4 en question entre-il en conflit avec les dispositions des articles 1.3 et 1.4 de la Loi sur la protection et la mise en valeur de la faune ?

L’abrogation de l’article 416 (12) de la Loi sur les Cités et villes :

[45]        La Loi sur les compétences municipales ne reprend nulle part le texte de l’ancien article 416 (12) de la Loi sur les cités et villes qui permettait aux municipalités de règlementer le tir au fusil sur leur territoire.

[46]        Le législateur a préféré regrouper toutes ces anciennes dispositions sous un thème plus large, celui de la sécurité, que l’on retrouve maintenant à l’article 62 de la Loi sur les compétences municipales.

[47]        Il existe une règle bien connue en droit qui veut que la disparition d’une disposition législative habilitante entraine l’abrogation des règlements adoptés sous son égide.

[48]        Ceci signifie, en principe, que si le législateur provincial a abrogé la disposition de la Loi sur les cités et villes permettant l’adoption de règlements municipaux régissant le tir au fusil, ces règlements municipaux sont eux-mêmes automatiquement abrogés.

 

 

 

[49]        Toutefois, dans le cas de la Loi sur les compétences municipales, le législateur a fait exception à cette règle  puisque son article 248, qui se lit comme suit, maintient en vigueur tous les règlements adoptés conformément à une disposition de la Loi sur les cités et villes ou du Code municipal que la nouvelle loi abroge ou remplace :

« Art. 248.       Sous réserve du troisième alinéa, les règlements, résolutions, procès-verbaux, ententes et autres actes adoptés conformément à une disposition remplacée ou abrogée par la présente loi demeurent en vigueur ou continuent d’avoir effet jusqu’à ce qu’ils soient modifiés, remplacés ou abrogés ou jusqu’à ce que leurs objets soient accomplis.

Tout acte visé au premier alinéa peut être modifié, remplacé ou abrogé par une résolution lorsque l’objet de cet acte n’est pas une mesure règlementaire.

Les règlements, procès-verbaux et actes d’accord qui concernent les chemins, ponts et cours d’eau ne peuvent être modifiés ni remplacés. Ils peuvent être abrogés par une résolution. »

(Mes soulignés)

[50]        Il me semble donc évident que, par cette disposition, le législateur a voulu assurer la continuité des effets des règlements adoptés sous l’autorité de dispositions de la Loi sur les cités et villes par ailleurs abrogées ou remplacées par la Loi sur les compétences municipales.

L’article 4.4 du règlement 4000 est-il intra vires des pouvoirs de la ville ?

[51]        Pour bien situer le contexte, il convient de reproduire le texte de l’article 4.4 du règlement 4000 :

« Sauf un agent de la paix dans l’exercice de ses fonctions, il est interdit d’utiliser une arme à feu, un fusil à vent (fusils à plomb), un arc, une fronde, un pistolet B-B, ou tout autre système afin de lancer un projectile quelconque en direction d’un ou à moins de 2000 mètres d’un bâtiment »

(Mes soulignés)

[52]        J’aborderai la question de l’ultra vires de la disposition règlementaire eu égard aux pouvoirs spécifiques conférés aux municipalités par la Loi sur les compétences municipales, en matière de paix, ordre et sécurité publique, sans tenir compte, à ce stade-ci, de l’argument qu’il a pour effet de prohiber la chasse sur le territoire municipal.

[53]        Cette disposition se retrouve dans un règlement sur la Paix, l’ordre public et le bien être général adopté par le Conseil municipal le 15 décembre 2003 et entré en vigueur le 4 février 2004.

[54]        Il ne fait plus maintenant aucun doute, depuis l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire « 114957 Canada Ltée (Spaytech, Société d’arrosage) c. Ville de Hudson », 2001 CSC 40 , que les municipalités peuvent fonder des règlements sur les pouvoirs en matière de « bien-être général » qui leurs sont conférés par l’article 85 de la Loi sur les compétences municipales.

[55]        Que doit-on entendre du pouvoir d’adopter « tout règlement pour assurer la paix, l’ordre, le bon gouvernement et le bien-être général de sa population » ?

[56]        Comme le fait remarquer Me. Marc Lalonde dans son article « Paix, ordre et bon gouvernement : les pouvoirs municipaux et l’arrêt Ville de Hudson », Développements récents en droit municipal, 2002 numéro 168, Éd. Yvon Blais, pages 15 et 16 :

« À l’échelle du territoire municipal, la paix, synonyme de calme et tranquillité, rejoint l’objectif d’assurer des rapports paisibles entre les citoyens et se manifeste par l’absence de violence, de troubles, d’agitation et de bruit… »

[57]        Ainsi, une municipalité  peut donc adopter des règlements pour assurer des rapports paisibles, sans troubles ni agitation, entre ses citoyens.

[58]        La Paix comprend également la tranquillité des résidents du territoire, de sorte que, se fondant sur ses pouvoirs généraux de réglementation, une municipalité peut adopter des règles visant à assurer la quiétude de ses citoyens.

[59]        Il faut également tenir compte des articles 4 et 6 de la Loi sur les compétences municipales, qui reconnaissent le pouvoir de réglementation des municipalités en matière de sécurité.

[60]        Comme la municipalité peut légalement légiférer pour assurer, entre autres, le bien-être de ses citoyens et la sécurité des personnes et des biens sur son territoire, il me semble qu’il s’agit là d’un fondement juridique suffisant au règlement qui limite l’utilisation d’une arme à feu à une certaine distance d’un bâtiment.

[61]        Je suis donc d’avis que la ville de Terrebonne dispose, en regard des dispositions de la Loi sur les compétences municipales, du pouvoir suffisant pour adopter toute réglementation visant, pour des motifs de sécurité publique et de bien-être général, a interdire sur son territoire le tir avec une arme a feu à une certaine distance d’un bâtiment.

[62]        Mais cela ne signifie pas pour autant que la réglementation, telle qu’adoptée, est valide : Encore faut-il qu’elle ne puisse pas être qualifiée de « déraisonnable » quant à ses effets et son champ d’application.

[63]        Tel qu’il a été établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt « Montréal c. Arcades Amusements », (1985) 1 R.C.S. 368 , un règlement municipal sera déraisonnable, et en conséquence ultra vires, lorsqu’il : 1) fait acception de personne et s’applique de façon inégale à différentes classes; 2) est manifestement injuste; 3) lorsqu’il est manifestement empreint de mauvaise foi et; 4) soumet les droits qu’ils visent à des entraves si oppressives ou si arbitraires qu’il ne peut se justifier dans l’esprit des gens raisonnables.

[64]        Dans la présente affaire, rien n’indique que l’article 4.4 du règlement 4000 de la ville de Terrebonne fasse acception de personne, s’applique de façon inégale à différentes classes ou soit manifestement injuste.

[65]        Ce qui est ici en cause c’est son effet de prohibition générale sous le couvert de la sécurité des personnes et des biens ou du bien-être général des citoyens.

[66]        En effet, le procureur des défendeurs soumet que l’article 4.4 va bien au-delà de ce qui est nécessaire et raisonnable pour assurer la  sécurité puisque la preuve révèle que la portée maximale, avec un angle optimal, d’un fusil de calibre 12 est bien en deçà du 2000 mètres prohibé par le règlement.

[67]        Il ajoute de plus que cette distance de 2000 mètres de tout bâtiment a pour effet de créer une interdiction absolue sur tout le territoire de la ville puisque, en aucun endroit sur l’ensemble de ce territoire, serait-il possible de se trouver à plus de 2000 mètres d’un bâtiment.

[68]        Ainsi, pour le procureur des défendeurs, l’article 4.4 du règlement 4000 est manifestement déraisonnable en ce qu’il conduit à des résultats abusifs.

[69]        À ce sujet, il importe de mentionner que l’article 6 de la Loi sur les compétences municipales prévoit que dans l’exercice d’un pouvoir règlementaire prévu à cette loi, la municipalité peut prévoir « toute prohibition ».

[70]        Dans cette perspective, il me semble que, dans le cadre de son pouvoir d’adopter des règlements en matière de sécurité, la ville peut prévoir toute prohibition nécessaire.

[71]        Le pouvoir de prohiber le tir d’armes à feu, s’il est justifié par des motifs de sécurité, est donc disponible pour la ville.

[72]        Dans cette perspective, une preuve que la distance fixée par le règlement équivaut à une prohibition totale sur l’ensemble du territoire de la ville est sans conséquence sur la validité de la prohibition.

[73]        Nous ne sommes pas ici en présence d’un règlement de zonage à l’égard duquel nos tribunaux ont reconnu que le pouvoir de régir les usages, par zones, ne comprend pas celui de les prohiber totalement sur l’ensemble du territoire municipal.

[74]        Il n’en demeure pas moins que cette prohibition doit se justifier pour des motifs de sécurité.

[75]        La preuve faite devant moi démontre que pour assurer la sécurité des personnes et des biens sur son territoire, une prohibition du tir au fusil de calibre 12 avec des cartouches contenant des billes de métal de grosseurs 4 ou 2, sur une distance de 2000 mètres d’un bâtiment, est nettement exagérée.

[76]        Mais qu’en est-il si le tir s’effectue avec des billes d’autres dimensions ou avec un fusil de plus gros calibre ? Quid ! La preuve est silencieuse à ces égards.

[77]        Le tribunal ne peut conclure à la déraisonnabilité du règlement sur une preuve partielle, ne visant qu’un seul type de fusil ou quelques unes des multiples catégories de grosseurs de cartouches.

[78]        La municipalité est autorisée à légiférer en matière de sécurité sur son territoire et on ne saurait prétendre, autrement que par une preuve complète à cet égard, que l’interdiction du tir au fusil est, dans cette perspective, déraisonnable.

[79]        Je suis donc d’avis que l’article 4.4 du règlement 4000 de la ville de Terrebonne est intra vires des pouvoirs de cette dernière en matière de réglementation sur la sécurité et que la preuve ne permet pas d’établir que la prohibition qu’il édicte est déraisonnable en ce qu’elle conduirait à un résultat abusif.

Le conflit avec la loi provinciale :

[80]        La prétention des défendeurs est à l’effet que l’article 4.4 du règlement 4000 de la ville de Terrebonne a pour résultat pratique d’interdire la chasse sur son territoire.

[81]        En effet, l’interdiction d’utiliser une arme à feu à moins de 2000 mètres d’un bâtiment signifie, de façon pratique, une interdiction de chasser avec une arme à feu à moins de 2000 mètres d’un bâtiment.

[82]        Or, pour le procureur des défendeurs, la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, décrète le droit absolu de chasser sur tout le territoire québécois dans la mesure où la réglementation provinciale sur la chasse est respectée.

[83]        De plus, cette même loi érige en infraction le fait d’empêcher d’une façon ou d’une autre la pratique de la chasse en conformité avec la loi.

[84]        Par ailleurs l’article 56 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune autorise le ministre du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs à permettre, par règlement. la chasse aux conditions et pout tout animal qu’il indique.

[85]        Cette disposition précise également que le règlement en question peut déterminer la période de l’année, de la journée ou de la nuit pendant laquelle on peut se livrer à la chasse, la zone, le territoire ou l’endroit où l’on peut chasser ainsi que la catégorie d’armes qui peut être utilisée.

[86]        De plus, l’article 84.1 de cette même loi permet au ministre de diviser le Québec en zones de chasse et les délimiter.

[87]        Pour le procureur des défendeurs, il ya ici un conflit évident entre les deux législations car, en se conformant à la loi provinciale et la réglementation adoptée sous son égide, le chasseur contrevient automatiquement à la réglementation municipale.

[88]        Le plus bel exemple en est la distance minimale de tir par rapport à un bâtiment : L’article 15 du Règlement sur les activités de chasse, Chapitre C-61.1, r. 1, stipule ce qui suit :

« Un chasseur ne peut tirer sur un animal se trouvant sur tout chemin, ouvert à la circulation des véhicules routiers, ou tirer vers un tel chemin ou en travers de celui-ci, dans les parties de la zone 22 dont les plans apparaissent aux annexes XII et XVII du Règlement sur la chasse (c. C-61.1, r. 12), durant la période de chasse au caribou prévue par ce règlement pour ces parties de territoire.

Un chasseur ne peut tirer également sur un animal se trouvant sur un chemin public ou tirer en travers d’un tel chemin dans les zones 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, ainsi que dans la zone 26 est et partie de la zone 27 secteur Cerf de Virginie dont les plans apparaissent respectivement aux annexes CXCIII et CLXXXVIII du règlement sur la chasse. Il ne peut non plus tirer sur un animal à partir d’un chemin public, y compris sur la largeur de 10 m de chaque côté extérieur de l’accotement, dans ces zones.

Toutefois, dans les zones 3, 4, 7, 9, 10, 11, ainsi que dans la zone 26 est et partie de la zone 27 secteur Cerf de Virginie dont les plans apparaissent respectivement aux annexes CXCIII et CLXXXVIII du règlement sur la chasse, ces interdictions ne s’appliquent pas au chasseur qui chasse le petit gibier au moyen d’un engin de chasse visé aux sous-paragraphes b, c, ou d du paragraphe3 de l’article 31 de ce règlement, pour autant que ce chasseur et ce petit gibier ne se trouvent pas à moins de 100 m d’un bâtiment….

Pour l’application des deuxième et troisième alinéas on entend par :

« chemin public » : tout chemin dont l’entretient est à la charge d’une municipalité, d’un gouvernement ou de l’un de ses organismes et sur lequel sont aménagées une ou plusieurs chaussées ouvertes à la circulation publique des véhicules routiers….

« bâtiment » : toute construction destinée à loger des personnes, à abriter des animaux ou à placer des choses. »

[89]        Or, dans la zone 8, soit celle qui englobe le territoire de la ville de Terrebonne, le législateur provincial n’a pas jugé opportun de limiter le tir à une certaine distance d’un bâtiment.

[90]        Par conséquent, en respectant la législation provinciale, un chasseur, sur le territoire de la ville de Terrebonne, contrevient automatiquement à la réglementation municipale.

[91]        Dans une telle perspective, il soutient que la réglementation municipale est inapplicable.

[92]        Pour le procureur des défendeurs, non seulement il y a  incompatibilité entre les deux législations, mais encore, le règlement municipal empiète sur un champ de compétence exercé par l’autorité provinciale.

[93]        L’article 3 de la Loi sur les compétences municipales énonce clairement que toute disposition d’un règlement municipal adopté en vertu de l’une ou l’autre des dispositions de cette loi et qui serait, par ailleurs inconciliable avec celle d’une loi ou d’un règlement du gouvernement provincial, est inopérante.

[94]        Peut-on donc concilier l’interdiction du règlement municipal de tirer avec une arme à feu à moins de 2000 mètres d’un bâtiment avec le droit de chasser édicté par la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune ?

[95]        Dans l’arrêt Hudson précité, la Cour suprême mentionne qu’il y a conflit d’application lorsqu’il est impossible de se conformer aux deux textes législatifs, lorsque l’observation d’une des règles entraine l’inobservation de l’autre.

[96]        Pour les raisons énoncées ci-après, je suis d’opinion que les deux textes législatifs ne sont pas inconciliables.

[97]        Pour bien comprendre la conclusion à laquelle j’en arrive, il  importe de s’attarder aux modifications apportées aux textes de lois concernés au cours des dernières années.

[98]        Jusqu’au moment de l’adoption de la Loi sur les compétences municipales, en 2005, l’article 412 (16) de la Loi sur les cités et villes, qui permettait aux municipalités d’adopter des règlements pour « empêcher » le tir au moyen d’une arme à feu sur leur territoire, était en vigueur et pouvait, sous réserve de ce qui suit, servir de base partielle à l’adoption par la Ville de Terrebonne de l’article 4.4 de son règlement 4000.

[99]        Par ailleurs, la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, entre le moment de son adoption en 1983 et celui de sa modification en  2002 par le projet de loi 147, ne comportait pas de dispositions énonçant clairement le droit de tout citoyen de s’adonner à la chasse et l’interdiction pour toute personne d’y faire obstacle.

[100]     En effet,  dans sa version d’origine, cette loi ne faisait qu’établir la nécessité de détenir un permis pour s’adonner à une activité de chasse dans la mesure où cette activité s’exerçait aux endroits et pendant les périodes de l’année fixés par règlement.

[101]     Or , en 2002, le législateur provincial a modifié la «loi sur la conservation et la mise en vigueur de la faune », entre autre pour y définir son objet et y reconnaître le droit de tous de s’adonner à la chasse en conformité des règles énoncées par la loi.

[102]     En effet, le projet de loi 147, « Loi modifiant la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, L.Q. 2002, c.82, y a ajouté une disposition préliminaire se lisant comme suit :

« La présente loi a pour objet la conservation de la faune et de son habitat, leur mise en valeur dans une perspective de développement durable et la reconnaissance à toute personne du droit de chasser, de pêcher et de piéger, conformément à la loi. À cet effet, elle établit diverses interdictions relatives à la conservation des ressources fauniques ainsi que diverses normes en matière de sécurité et elle énonce les droits et obligations des chasseurs, pêcheurs et piégeurs. »

(Mes soulignés)

[103]     Le législateur énonçait donc clairement que l’un des objectifs de la loi était de reconnaître le droit de toute personne de se livrer à des activités de chasse, ce qui constituait une nouveauté par rapport au texte de loi antérieur.

[104]     Également, le législateur ajoutait à cette loi un nouveau chapitre I.1, intitulé « Droit de chasser, de pêcher et de piéger », dont les articles 1.3 et 1.4, reproduits ci-dessus, consacraient le droit de toute personne de chasser et l’interdiction d’y faire sciemment obstacle.

[105]     Puis, en 2005, par la Loi sur les compétences municipales, article 194, le législateur abroge l’article 412 (16) de la Loi sur les cités et villes, source explicite du pouvoir municipal d’ « empêcher » le tir au fusil sur leur territoire.

[106]     Le processus de reconnaissance du doit de chacun de chasser rendait alors logique d’abroger le pouvoir de faire des règlements pour « empêcher » le tir au fusil sur le territoire municipal, dans la mesure où, comme nous l’avons vu précédemment, l’autorité provinciale règlemente la façon dont la chasse doit s’exercer.

[107]     En effet, la réglementation provinciale énonce les types de chasse autorisés, les périodes de chasse et la nature des permis requis.

[108]     Également, cette réglementation provinciale divise le territoire de la province de Québec en zones de chasses, spécifie pour chacune de ces zones le type de chasse autorisé, la période de l’année où elle peut s’effectuer ainsi que les règles de sécurité qui doivent être observées.

[109]     C’est ainsi que l’on remarque que le législateur a pris la peine de mentionner, à l’article 15 du règlement que, dans les zones 3 à 11 inclusivement, le chasseur ne peut tirer à partir d’un chemin public, y compris une largeur de 10 mètres à partir du côté extérieur de l’accotement.

[110]     Le législateur y mentionne également que dans les zones 3, 4, 7, 9 et 11, cette restriction au tir ne s’applique pas lorsqu’un certain type d’arme est utilisé et que le chasseur ainsi que le gibier se situent à plus de 100 mètres d’un bâtiment.

[111]     Il importe également de mentionner qu’il découle de l’article 1.4 de la Loi sur la protection et la mise en valeur de la faune, que le chasseur ne peut se livrer à son activité sur un terrain privé qu’avec l’autorisation du propriétaire.

[112]     Il est intéressant de noter que les normes de sécurité édictées par l’article 15 du règlement ne sont pas les mêmes pour toutes les zones.

[113]     On constate que dans la zone 8, celle qui nous intéresse plus particulièrement,  il est totalement interdit de tirer à partir d’un chemin public, y compris une largeur de 10 mètres de chaque côté extérieur de l’accotement, comme il est interdit de tirer sur ou en travers d’un tel chemin.

[114]     Par contre, l’exception à cette règle, lorsque le chasseur et son gibier se trouvent à plus de 100 mètres d’un bâtiment, ne s’applique pas dans la zone 8.

[115]     Ainsi, dans la zone 8, il n’y a aucune distance minimale d’un bâtiment à respecter dans la mesure où le chasseur ne tire pas à partir du, sur, ou en travers du chemin public.

[116]     Or, le territoire de la ville de Terrebonne, comme celui des villes de Laval et de Montréal, est situé dans la zone 8.

[117]     Il peut sembler curieux que dans un secteur si fortement urbanisé le législateur n’ait pas cru bon d’appliquer la règle d’une distance minimale d’un bâtiment, mais c’est là son choix et il n’appartient pas au tribunal d’un juger l’opportunité.

[118]     Ceci nous ramène donc à la question du conflit entre l’article 4.4 du règlement 4000 de la ville de Terebonne et les dispositions de la Loi sur la protection et la mise en valeur de la faune ainsi que de ses règlements.

[119]     L’article 3 de la Loi sur les compétences municipales stipule que toute disposition d’un règlement municipal inconciliable avec celle d’une loi ou d’un règlement provincial est inopérante.

[120]     Par conséquent, même si, par l’effet de l’article 258 de la Loi sur les compétences municipales, le pouvoir des municipalités de « prohiber » le tir au fusil sur leur territoire, existe toujours, un tel pouvoir ne peut être exercé de façon à interdire totalement la chasse car, alors, il y aurait incompatibilité avec la législation provinciale.

[121]     Toutefois, cette disposition n’enlève pas aux municipalités tout pouvoir de réglementation dans un domaine où l’autorité provinciale exerce elle-même son propre pouvoir mais prévoit uniquement l’inapplicabilité du règlement municipal dans le cas où les deux dispositions sont inconciliables.

[122]     Dans cette perspective, un règlement municipal peut ajouter aux exigences de la loi provinciale dans la mesure où, de façon pratique, il ne la rend pas ainsi inapplicable.

[123]     À cet égard, on peut faire un parallèle avec la coexistence des règlements municipaux et la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles.

[124]     Au paragraphe 44 de son jugement dans l’affaire « Beauvais c. Ste-Anne-de-Sabrevois (Paroisse) », (1996) A.Q. no. 1685, Monsieur le juge Turmel de la Cour supérieure mentionnait ce qui suit en regard de la préséance de cette loi sur la réglementation municipale :

« La loi sur la protection du territoire agricole n’a pas enlevé à la corporation locale le pouvoir de désigner, par réglementation, une zone agricole. Elle n’a pas, non plus, enlevé à la corporation municipale le pouvoir de formuler des exigences pour l’utilisation ou l’exploitation agricole dans cette même zone. »

[125]     Dans l’arrêt « Martel c. Municipalité de Ste-Jeanne de Pont-Rouge », (1995) R.J.Q. 2584 , Le juge Gendreau, rendant jugement pour la Cour d’appel du Québec mentionne que « c’est le règlement municipal qui exclut totalement l’usage agricole qui est incompatible avec les dispositions de la loi ».

[126]     Commentant cet arrêt dans un article intitulé « La hiérarchie des normes environnementales entre les lois et les règlements provinciaux et les règlements municipaux », (1999) Formation permanente du Barreau, Éd. Yvon Blais, Me Daniel Bouchard mentionne que :

« La Cour souligne par ailleurs que l’article 98 L.P.T.A.A. n’a pas pour effet de retirer aux municipalités leurs pouvoirs de règlementer en zone agricole provinciale. Ainsi, le terme « prévaut » ne confère pas une prépondérance totale accordée au zonage agricole provincial sur la réglementation municipale. L’article 98 restreint toutefois ce pouvoir en soumettant les règlements municipaux à une exigence de compatibilité avec la L.P.T.A.A. Ainsi, une municipalité peut autoriser des usages autres qu’agricoles en zone agricole provinciale dans la mesure où elle n’y prohibe pas toute forme d’agriculture… »

[127]     Appliqués en l’espèce, ces principes signifient que l’article 3 de Loi sur les compétences municipales, permet à la municipalité locale d’édicter des exigences pour la pratique de la chasse sur son territoire, comme par exemple la nécessité de s’enregistrer auprès d’un service municipal ou d’y produire l’autorisation écrite du propriétaire des lieux où l’on chassera, dans la mesure cependant où ces exigences ne vont pas à l’encontre de celles édictés par la législature provinciale ou ne rendent pas autrement inapplicable le droit de chasser édicté par l’article 1.3 de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune.

[128]     Pour les mêmes raisons, je suis également d’avis que les municipalités locales peuvent ajouter aux règles de sécurité prévues dans la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et ses règlements d’application, toujours dans la mesure où ces règles additionnelles n’on pas pour effet pratique d’interdire toute activité de chasse sur leur territoire.

[129]     Une telle conclusion s’appuie également sur le fait que le législateur provincial, bien que considérant la chasse comme une activité suffisamment fondamentale pour reconnaître dans la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune le droit de toute personne de la pratiquer, indique lui-même à l’article 1,3 de cette loi que ce « droit » doit s’effectuer « conformément à la loi ».

[130]     J’estime que par ces termes, le législateur provincial ne réfère pas uniquement à une conformité aux dispositions de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et ses règlements d’application, mais à une conformité plus générale, c’est-à-dire à « la loi » dans son ensemble, ce qui inclut les dispositions des règlements municipaux sur la sécurité, toujours sous la réserve d’une incompatibilité.

[131]     Suivre le raisonnement du procureur des défendeurs aurait pour conséquence  qu’aucune restriction à l’utilisation d’une arme à feu par une municipalité ne serait possible en période de chasse en raison du fait que le législateur provincial à lui-même édicté les règles à suivre.

[132]     D’une façon pratique, à titre d’exemple, sur un territoire fortement urbanisé, comme celui des villes de Laval ou de Montréal qui sont situés dans la zone 8 suivant le règlement provincial sur les activités de chasse, on pourrait chasser directement à partir du balcon de sa résidence située dans un secteur résidentiel, ou encore tirer directement vers la résidence de son voisin, sous la seule réserve que l’on doive se situer alors à plus de dix mètres de la bordure d’un chemin public et que le tir ne s’effectue pas en travers d’un tel chemin, et cela en raison du fait que la réglementation provinciale ne fixe aucune distance minimale de tir à partir ou en direction d’un bâtiment!

[133]     Ce serait complètement illogique et contraire au bon sens.

[134]     Il est bien évident qu’en zone urbaine ou périurbaine, des citoyens peuvent être importunés par le bruit des armes à feu, comme il est tout aussi évident qu’en milieu urbain, la décharge d’une arme à feu peut présenter des problèmes de sécurité auxquels les conseils municipaux veulent remédier et le recours à des règlements qui ont pour effet d’interdire totalement le tir au fusil en direction, à partir ou à une certaine distance d’un bâtiment, apparaît tout à fait logique  et permis par les dispositions de la Loi sur les compétences municipales.

[135]     De tels règlements n’ont pas pour effet d’interdire la pratique de la chasse sur le territoire municipal, ce qui les rendrait inconciliables avec le droit de chasser édicté par la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune, mais plutôt d’assujettir ce droit à des règles de sécurité qui tiennent compte du milieu dans lequel on se trouve.

[136]     Évidemment, et je le répète, de tels règlements ne doivent pas avoir pour effet pratique d’interdire totalement les activités de chasse sur le territoire municipal.

[137]     Or, en l’instance, l’un des arguments des défendeurs réside justement dans le fait que le règlement municipal a pour effet pratique d’interdire toute activité de chasse au fusil sur le territoire de la ville de Terrebonne puisqu’il n’y aurait aucun endroit sur ce territoire où une personne puisse se trouver à plus de 2000 mètres d’un bâtiment.

[138]     Comme je l’ai déjà indiqué, à la lumière de la preuve faite devant moi, je ne peux conclure comme le voudrait le procureur des défendeurs, puisque je n’ai pas la preuve qu’il n’y aurait aucun endroit sur le territoire de la ville de Terrebonne qui se situe à plus de 2000 mètres d’un bâtiment.

[139]     En effet, le dépôt d’une photographie aérienne à l’échelle du territoire concerné et le simple témoignage de l’un des défendeurs sur le fait qu’à son avis il n’y aurait aucun endroit où l’on puisse se situer à plus de 2000 mètres d’un bâtiment, ne sont pas suffisants.

[140]     La photographie, même si elle est à l’échelle, ne m’apprend rien puisqu’il n’appartient pas au tribunal de faire le travail du calcul des distances à partir de chaque bâtiment que l’on peut retrouver sur le territoire concerné.

[141]     Quant au témoignage du défendeur, il ne constitue qu’une opinion qui ne s’appuie sur aucune vérification particulière ni sur aucun calcul spécifique.

[142]     Si la preuve avait révélée qu’effectivement la distance de 2000 mètres fixée par le règlement municipal était impossible à atteindre, la conclusion du tribunal aurait pu être différente puisque l’on aurait alors pu soutenir que l’effet pratique du règlement était d’interdire totalement toute activité de chasse au fusil sur le territoire de la ville de Terrebonne, mais tel n’est pas le cas.

[143]     En conséquence, je suis d’avis qu’avec la preuve telle que faite devant moi, le règlement en cause de la ville de terrebonne n’est pas inconciliable avec les dispositions de la Loi sur la conservation et la mise en valeur de la faune et qu’il est dès lors tout à fait applicable, sa valeur légale étant reconnue par le biais de l’article 248 de la Loi sur les compétences municipales, et découlant des pouvoirs accordés aux municipalités d’adopter des règlements relatifs à la sécurité.

[144]     Les procureurs des parties m’ont soumis plusieurs décisions de nos tribunaux sur la question mais, pour les raisons qui sont ci-après énoncées, je suis d’avis qu’elles sont inapplicables en l’espèce.

[145]     Dans l’arrêt de la Cour d’appel dans l’affaire Ville de Beaconsfield c. Pierre Bourbonnière et al. », (1995) R.J.Q. 1997 , il fut jugé que la disposition d’un règlement municipal prohibant le tir au fusil sur le territoire de la municipalité était valide.

[146]     Comme le faisait remarquer le juge Brossard, la validité de l’article 412 (16) de la Loi sur les cités et villes, n’avait pas été mis en cause dans cette affaire.

[147]     De plus, dans cette affaire, le débat s’était également engagé sous l’angle du pouvoir de la municipalité de définir ce qui constituait une nuisance, ce qui n’est pas le cas dans la présente instance.

[148]     Dans l’affaire « Ville de Varennes c. Giuseppe Battista et al », CM de Boucherville, No. V-000061801, 4 décembre 1997, le juge Michel Jetté en est arrivé à la conclusion que  le règlement municipal avait pour effet  de déclarer que la chasse, sans aucune nuance, constituait une nuisance, ce qui ne pouvait être le cas.

[149]     Dans cette affaire, la question du pouvoir de règlementer la chasse n’a pas été abordée, seule la question de ce qui constitue une nuisance était en cause.

[150]     Dans l’affaire « Cité de Dorval c. Gilles Larose et al. », CM de Dorval, No. 96-00082, 30 octobre 1997, il s’agissait encore une fois d’un règlement municipal décrétant que la chasse et l’utilisation d’un fusil constituaient des nuisances et étaient prohibés.

[151]     Dans cette affaire le Procureur général du Québec faisait valoir que la disposition en cause était ultra vires des pouvoirs de la municipalité puisque cette dernière tentait de règlementer une matière de la compétence du gouvernement provincial.

[152]     En effet, le Procureur général arguait que les dispositions du règlement municipal empêchaient le chasseur d’exercer l’activité de la chasse par ailleurs autorisée par la Loi provinciale.

[153]     Le juge Jetté, considérant que la chasse ne pouvait constituer une nuisance en soi et considérant que le gouvernement provincial avait seul autorité en matière de chasse, déclare les disposions du règlement inapplicables.

 

 

[154]     Cette affaire se distingue de la présente en ce que le législateur municipal règlementait directement la chasse et aussi par le fait que la question du pouvoir de règlementer en matière de sécurité n’était pas abordée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE  la requête des défendeurs;

DÉCLARE  chaque défendeur coupable de l’infraction reprochée.

 

 

 

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Michel Lalande j.c.m.

 

Pour la poursuivante

Me Daniel Champagne

 

 

Pour les défendeurs

Me Nicolas Bellemare

 

 

 

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