Gagnon et Fermes du Soleil inc. |
2014 QCCLP 2191 |
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[1] Le 24 avril 2013, monsieur René Gagnon (le travailleur) dépose à la Commission des lésions professionnelles une requête par laquelle il conteste une décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) rendue le 12 avril 2013, à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision, la CSST confirme, pour d’autres motifs, une décision initiale du 11 mars 2013, déclare que la base salariale du travailleur n’avait pas à faire l’objet d’une reconsidération et qu’il n’y a pas lieu de déterminer un revenu brut plus élevé servant au calcul de l’indemnité de remplacement du revenu du travailleur.
[3] L’audience s’est tenue à Salaberry-de-Valleyfield le 4 décembre 2013 en présence du travailleur et de sa procureure. La CSST, partie intervenante au litige, est également représentée. Aucun représentant des Fermes du Soleil inc. (l’employeur) n’est présent. La cause est mise en délibéré le 7 janvier 2014 suivant la réception de certains documents.
L’OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Le travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de déclarer que sa base salariale doit être établie en fonction d’un revenu brut annuel de 39 000 $, ce qui représente le salaire d’un emploi de chauffeur/camionneur rémunéré à 15 $/heure, à raison de 50 heures par semaine.
LA PREUVE
[5] Le travailleur est chauffeur-livreur pour le compte de l’employeur, qui exploite est une entreprise maraîchère, depuis août 2010.
[6] Le 13 octobre 2010, il subit une lésion professionnelle à la suite d’une perte de contrôle de son véhicule qui verse dans un fossé, ce qui lui cause, notamment, une contusion et hématome à la cuisse droite, une contusion au genou droit, une tendinite du 3e doigt de la main droite, une tendinite de l’épaule droite, une entorse cervicale et des hernies inguinales droite et gauche. Cette lésion professionnelle n’est toujours pas consolidée au jour de l’audience.
[7] Sur le formulaire « Avis de l’employeur et demande de remboursement » daté du 4 novembre 2010, l’employeur indique que l’emploi occupé par le travailleur est saisonnier avec une rémunération à taux fixe.
[8] Le salaire du travailleur est de 15 $/heure. Selon une compilation des heures travaillées faite par sa conjointe et déposée en preuve, le travailleur fait toujours plus de 50 heures par semaine, parfois même jusqu’à 74 et 100 heures. Le travailleur explique ce nombre du fait qu’il y a parfois un temps d’attente important de sept à huit heures avant de pouvoir décharger sa cargaison pendant lequel il est rémunéré.
[9] Le travailleur soutient que son emploi n’était pas saisonnier et que lorsqu’il a postulé pour ce poste, l’employeur demandait un chauffeur-livreur pour 10 à 12 mois par année. Le travailleur explique que l’employeur possède des entrepôts réfrigérés où sont emmagasinés les légumes et qu’il y a donc de la livraison de produits à l’année.
[10] Selon une note évolutive du 16 novembre 2011 intitulée « détermination base salariale/fin d’emploi », une agente de la CSST communique avec la conjointe du travailleur afin d’obtenir des renseignements sur sa situation familiale. Cette dernière l’avise alors que l’employeur n’a plus d’emploi pour le travailleur et s’informe de la procédure à suivre. À la fin de cette note, l’agente d’indemnisation précise que la base salariale est fixée à 28 369,20 $, montant établi sur le salaire gagné par le travailleur au cours des 12 derniers mois précédant son incapacité, et qui, selon les informations au dossier, se détaille comme suit :
- Revenus d’emploi du 23 février 2010 au 14 mai 2010. : 4563.90 $
- Revenus d’emploi du 28 juin 2010 au 9 juillet 2010 : 1299,55 $
- Prestations d’assurance-emploi du 18 octobre 2009 au
26 juin 2010 : 12 122,00 $
- Revenus d’emploi chez l’employeur : 10 383,75 $
[11] Le 22 novembre 2010, le travailleur reçoit un premier avis de paiement sur lequel il est précisé que la base salariale est fixée à 28 369,20 $. Il est également indiqué que les renseignements relatifs à une demande de révision se retrouvent au verso. Or, selon l’original de cet avis de paiement déposé en preuve, aucune inscription ne figure au verso.
[12] Le travailleur dit alors avoir communiqué avec son agente d’indemnisation pour lui faire part qu’il n’était pas d’accord avec le mode de calcul et qu’il voulait le contester. Il estime alors avoir produit une contestation « verbale » de sa base salariale.
[13] À l’endos de l’avis de paiement que le travailleur reçoit le 30 décembre 2010 figure la procédure de contestation. Le travailleur constate alors qu’il est hors délai pour faire une demande écrite. Comme il croyait sincèrement à l’époque être de retour au travail prochainement, il « n’en fait pas de cas » et ne produit pas de contestation écrite.
[14] Selon les notes évolutives, le travailleur a des communications avec une agente de la CSST les 30 novembre, 23 décembre 2010 et 11 janvier 2011. Il ne fait toutefois pas mention de sa base salariale. Aucune autre note évolutive ne porte sur cette question ultérieurement.
[15] Le 8 février 2012, le travailleur, qui était au moment de sa lésion professionnelle porteur d’un défibrillateur biventriculaire, subit une intervention chirurgicale visant à implanter une nouvelle sonde à la suite d’un déplacement de la sonde ventriculaire droite.[1] Le travailleur subit diverses complications suivant cette chirurgie.
[16] Le 15 mai 2012, le travailleur reçoit un avis de la Société de l’assurance automobile du Québec voulant qu’en raison de sa condition cardiaque, celle-ci suspend les classes 1, 2, 3, 4A, 4B et 4C de son permis, et ce, à compter du 30 mai 2012.
[17] En somme, le travailleur ne pourra donc plus occuper un emploi de chauffeur-livreur dû à sa condition cardiaque.
[18] Le 19 décembre 2012, la procureure du travailleur demande à la CSST de revoir la base salariale du travailleur en application de l’article 76 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la loi)[2]. Cette demande se lit comme suit :
[...]
Nous constatons que vous avez retenu la base salariale de 28 369,20 $ en tenant compte des 12 mois précédant l’événement. Nous vous rappelons l’article 67 qui prévoie que le revenu brut d’un travailleur est déterminé sur la base du contrat de travail. L’article 76 de la LATMP permet à un travailleur de demander un ajustement, une modification, une reconsidération de sa base salariale, si ce dernier vous démontre qu’il aurait, n’eût été de circonstances particulières, pu exercer un emploi plus rémunérateur lorsque s’est manifestée sa lésion. Nous vous rappelons que l’incapacité à exercer son emploi d’une durée de plus de 2 ans à la suite d’une lésion professionnelle, est maintenant confirmée, et de plus, nous sommes d’avis que n’eût été de son accident, Monsieur aurait eu un revenu plus rémunérateur.
Effectivement, nous vous soumettons les talons de paye de M. Gagnon du 14 août 2010 au 16 octobre 2010 qui totalisent 10 383,75 $. Si M. Gagnon n’avait pas eu cet accident, sa base salariale pour l’année 2010 aurait été de 62 302,50 $. En effet, il ne fait aucun doute que Monsieur aurait fait beaucoup plus que 28 369,20 $ que vous avez retenu.
En conséquence de ce qui précède, nous vous demandons d’appliquer l’article 76 de la LATMP puisque les deux conditions pour appliquer cet article sont remplies, soit une incapacité à exercer son emploi d’une durée de plus de 2 ans, suite à une lésion professionnelle, et de démontrer que, n’eût été de circonstances particulières, Monsieur aurait pu exercer un emploi plus rémunérateur.
[nos soulignements]
[19] Dans une décision du 11 mars 2013, la CSST refuse de reconsidérer la base salariale du travailleur et précise qu’il n’a pas été démontré que n’eût été de circonstances particulières existantes au moment de la lésion professionnelle, le travailleur aurait occupé un emploi plus rémunérateur.
[20] Cette décision est confirmée par l’instance de la révision administrative en ce qui concerne l’absence d’application de l’article 76, d’où le présent litige. Elle considère toutefois que la CSST n’avait pas à se prononcer sur la base d’une reconsidération, puisque ce n’était pas l’essence de la demande.
[21] À l’audience, le travailleur détaille davantage sur ses motifs à l’appui d’une demande d’application de l’article 76 de la loi.
[22] Ce dernier fait un résumé de son histoire occupationnelle, précisant notamment qu’il a été propriétaire d’un commerce de pièces d’autos usagées de 1986 à 2001. Il a dû vendre à perte son entreprise suivant un premier infarctus en 1998.
[23] Après la vente de son entreprise en 2001, le travailleur déménage dans la région de l’Outaouais et travaille dans un moulin à scie. Suivant la fermeture de celui-ci, il se retrouve pour la première fois prestataire de l’assurance-emploi. Dans le cadre d’un programme de formation offert par ce ministère, il suit des cours de camionnage.
[24] Le travailleur occupe par la suite un emploi de chauffeur-livreur dans une entreprise de distribution alimentaire. À la suite de la vente de cette entreprise, ses heures de travail sont réduites. Le travailleur cumule donc un deuxième emploi, soit celui de signaleur routier, de mai à octobre 2009.
[25] Le travailleur décide alors de revenir s’établir dans la région du Suroît et y achète une propriété, laquelle est alors occupée par des locataires. Il vend sa résidence de l’Outaouais et doit déménager pour le mois de mai 2010.
[26] Le 29 avril 2010, le travailleur signifie un avis de reprise de logement aux locataires habitant sa nouvelle résidence, mais ceux-ci refusent de quitter les lieux. Il se retrouve donc sans domicile.
[27] S’ensuit des procédures à la Régie du logement qui s’étalent de mai jusqu’à septembre 2010, mais plus intensément de mai à août 2010.
[28] Pendant la durée des procédures, le travailleur doit entreposer ses meubles et vit dans un motorisé. Il n’a pas d’adresse fixe et ses dédales juridiques lui demandent beaucoup de temps et d’énergie (rencontres avec un avocat, audiences, etc.). Il soutient qu’il ne peut donc faire activement de la recherche d’emploi pendant cette période. De plus, avec tous les changements vécus depuis la vente de son entreprise en 2001, il veut prendre le temps de bien s’installer avant de commencer à retravailler.
[29] Le travailleur explique qu’il a néanmoins été en mesure d’aller travailler une semaine, du 28 juin au 9 juillet 2010, pour son ancien employeur afin de ne pas perdre son lien d’emploi.
[30] À compter du mois d’août 2010, la situation s’améliore. Le travailleur répond à une demande d’emploi chez l’employeur pour un poste à temps plein et obtient le poste de chauffeur-livreur le 9 août 2010 jusqu’à son accident du 13 octobre 2010. Il soutient qu’il aurait pu faire cet emploi à l’année au salaire de 15 $/heure.
[31] Le travailleur estime que n’eût été son accident, il aurait même pu occuper un emploi de chauffeur à 18 $/heure puisqu’un tel emploi était disponible postérieurement à sa lésion professionnelle. De plus, considérant ses complications cardiaques, il ne pourra plus jamais occuper un tel poste.
[32] Le travailleur dépose sa « Déclaration de revenus 2010 » qui démontre qu’il a reçu un revenu de 31 895 $ et déplore que la base salariale retenue par la CSST soit moindre.
[33] Le représentant de la CSST dépose en preuve une lettre de la représentante de l’employeur qui indique que les postes de chauffeurs sont saisonniers et que la livraison débute vers la mi-mai pour se terminer vers la mi-novembre, mais que le tout peut varier d’une année à l’autre. Elle mentionne également que le travailleur avait été informé lors de son embauche en août 2010 qu’il n’y aurait plus d’emploi vers la mi-novembre, ce que nie le travailleur.
L’ARGUMENTATION DES PARTIES
[34] La procureure du travailleur soutient que l’article 76 de la loi laisse place à interprétation et vise à pallier à certaines situations d’injustice, comme c’est le cas en l’espèce.
[35] Elle souligne que le travailleur n’a pas contesté sa base salariale en temps opportun considérant l’absence d’indications claires en ce sens au verso du premier avis de paiement, ce qui est contraire à l’article 8 de la Loi sur la justice administrative[3]. Considérant que son incapacité perdure depuis plus de deux ans et que, n’eût été de circonstances particulières, le travailleur aurait eu un revenu plus élevé, il y a lieu d’appliquer l’article 76 de la loi pour corriger la situation.
[36] Elle allègue que n’eût été de l’accident du travail, le travailleur aurait eu un revenu plus élevé que 28 369,20 $ et n’aurait vraisemblablement pas perdu sa classe de chauffeur/camionneur. Sa lésion professionnelle fait donc en sorte qu’il ne retrouvera pas sa capacité de gains telle qu’elle était vraiment avant, si l’on considère que le travailleur avait un taux horaire de 15 $/heure et qu’il faisait au minimum 50 heures par semaine le tout, selon un contrat de travail à durée indéterminée et non sur la base d’un emploi saisonnier.
[37] De plus, si le travailleur n’avait pas été aux prises avec des procédures juridiques à la Régie du logement et ne s’était pas retrouvé sans domicile fixe, il aurait pu occuper un emploi plus tôt et donc, cumuler plus de revenus pendant les douze mois précédant sa lésion professionnelle. Cela constitue, selon elle, des circonstances particulières au sens de l’article 76 de la loi, même s’il s’agit d’une décision personnelle du travailleur, car cet article n’exclut pas que l’on tienne compte des circonstances personnelles. Elle soumet des décisions à l’appui de ses prétentions[4].
[38] Subsidiairement, elle demande de considérer la demande du travailleur comme une demande de révision de sa base salariale et de déclarer que le travailleur a un motif raisonnable pour ne pas avoir contesté celle-ci dans les délais légaux considérant la contravention par la CSST à l’article 8 de la LJA. Sur le fond, elle demande d’établir la base salariale du travailleur selon son contrat de travail qui est à durée indéterminée, ce qui représente, de manière conservatrice, 39 000 $.
[39] Le procureur de la CSST soumet pour sa part que l’article 76 vise une situation très spécifique et que les faits allégués par le travailleur ne constituent aucunement des circonstances particulières au sens de cet article. Il rappelle, jurisprudence[5] à l’appui, que la lésion professionnelle en elle-même ne peut être considérée comme une circonstance particulière, alors que c’est principalement ce qu’invoque le travailleur. De plus, le travailleur n’a pas démontré une réelle incapacité à travailler ni la perte d’un emploi plus rémunérateur, malgré les procédures à la Régie du logement. À preuve, il souligne que le travailleur a été en mesure d’exécuter son ancien emploi pendant une semaine durant cette période. Il s’agit plutôt d’un choix personnel du travailleur qui voulait aussi prendre un peu de temps pour bien s’installer
[40] Le procureur de la CSST estime que le travailleur, par le biais d’une demande d’application de l’article 76 de la loi, tente de faire indirectement ce qu’il ne peut faire directement, c’est-à-dire contester sa base salariale plus de trois ans après l’émission du premier avis de paiement. Il estime que la Commission des lésions professionnelles n’a pas la compétence pour se saisir de cette question en l’instance, la CSST ne s’étant jamais prononcée sur celle-ci.
L’AVIS DES MEMBRES
[41] Conformément à l’article 429.50 de la loi, la soussignée a obtenu l’avis motivé des membres ayant siégé avec elle dans la présente affaire.
[42] Le membre issu des associations d’employeurs et le membre issu des associations syndicales sont d’avis de rejeter la requête du travailleur. Ils estiment que le travailleur n’a pas démontré que des circonstances particulières l’ont privé d’occuper un emploi plus rémunérateur au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle le 13 octobre 2010. Par sa demande, le travailleur cherche plutôt contester sa base salariale. Or, une telle contestation est faite pour la première fois largement hors des délais prévus à la loi et le travailleur n’a apporté aucun motif raisonnable pour justifier son défaut.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[43] La Commission des lésions professionnelles doit décider s’il y a lieu de modifier le revenu brut annuel du travailleur qui a été retenu par la CSST aux fins de la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2010, pour le fixer à 39 000 $.
[44] La demande du travailleur est initialement fondée sur l’article 76 de la loi qui stipule ce qui suit :
76. Lorsqu'un travailleur est incapable, en raison d'une lésion professionnelle, d'exercer son emploi pendant plus de deux ans, la Commission détermine un revenu brut plus élevé que celui que prévoit la présente sous-section si ce travailleur lui démontre qu'il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lorsque s'est manifestée sa lésion, n'eût été de circonstances particulières.
Ce nouveau revenu brut sert de base au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu due au travailleur à compter du début de son incapacité.
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1985, c. 6, a. 76.
[45] Les conditions d’ouverture à l’article 76 de la loi sont, premièrement, la preuve d’une incapacité pour le travailleur à exercer son emploi pendant plus de deux ans et, deuxièmement, la preuve que n’eût été de circonstances particulières, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur lors de la survenance de sa lésion professionnelle.
[46] La première condition est satisfaite puisque la preuve démontre que le travailleur, plus de deux ans après sa lésion professionnelle, est toujours incapable d’exercer son emploi alors que sa lésion professionnelle n’est toujours pas consolidée.
[47] Relativement à la deuxième condition, le tribunal est d’avis que les faits mis en preuve ne démontrent pas que n’eût été de circonstances particulières, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion professionnelle.
[48] À ce titre, il y a lieu de rappeler que la jurisprudence reconnaît[6], de manière pratiquement unanime, que la survenance de la lésion professionnelle en elle-même ou l’incapacité de travail résultant de celle-ci ne constituent pas des « circonstances particulières » au sens de l’article 76 de la loi.
[49] Comme le souligne la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Sukovic et Scores Sherbrooke[7]: « cette expression ne vise pas la situation d’un travailleur privé d’un revenu plus rémunérateur en raison de son incapacité à exercer son emploi à la suite de sa lésion professionnelle ».
[50] Ainsi, les arguments du travailleur voulant que n’eut été son accident du travail le 13 octobre 2010, il aurait pu gagner un revenu beaucoup plus élevé en fonction de sa rémunération et du nombre d’heures qu’il faisait chez son employeur de même qu’il aurait eu l’opportunité de postuler pour un emploi de chauffeur à 18 $/heure ne peuvent être considérés aux fins de l’application de l’article 76 de la loi. Il en est de même de l’argument voulant que le travailleur ne puisse plus exercer l’emploi de chauffeur dans le futur considérant ses problèmes cardiaques, élément qui n’est pas pertinent pour disposer du présent litige.
[51] Comme l’indique la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Laroche et Entreprises Nortec inc.[8] en regard de l’article 76 de la loi.
[53] Cette disposition ne vise cependant pas la situation d'un travailleur qui est privé d'un revenu plus rémunérateur en raison de l'incapacité qui résulte de sa lésion professionnelle. Le législateur n'a pas voulu inclure dans la notion de «circonstances particulières» le fait que le travailleur soit incapable d'exercer son emploi en raison de sa lésion professionnelle. Dès lors, la démonstration de la progression salariale qu'aurait été susceptible de connaître le travailleur s'il avait poursuivi l'exercice de son emploi d'aide-foreur ou même s'il avait accédé au poste de foreur après la survenance de sa lésion professionnelle n'est pas pertinente à l'application de l'article 76 de la loi.
[54] Le législateur a prévu d'autres mécanismes spécifiques, bien que limités, qui permettent au travailleur victime d'une lésion professionnelle d'être indemnisé en tenant compte du revenu qu'il tirait au moment de sa lésion professionnelle et aussi, dans une certaine mesure, de la perte de capacité de gain qui résulte de cette lésion. Il s'agit, dans tous les cas, de la revalorisation annuelle de la base salariale servant au calcul de l'indemnité de remplacement du revenu. De plus, si le travailleur demeure incapable de refaire l'emploi prélésionnel, la loi prévoit des mesures de réadaptation en vue de le rendre apte à exercer un emploi convenable et le versement d'une indemnité réduite de remplacement du revenu jusqu'à ce que le travailleur tire de l'emploi convenable ou d'un autre emploi qu'il occupe, un revenu annuel égal ou supérieur à celui qu'il avait au moment de la lésion professionnelle.
[nos soulignements]
[52] Par ailleurs, même en reconnaissant que les dédales juridiques vécus par le travailleur et l’absence de domicile fixe de mai à août 2010 constituent des circonstances particulières, la preuve ne démontre pas que n’eût été celles-ci, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment de sa lésion professionnelle.
[53] Sur ce point, la jurisprudence enseigne qu’il faut se replacer au moment de la survenance de la lésion pour analyser si un autre emploi plus rémunérateur aurait pu être alors occupé. Il faut que cette condition ait prévalu à ce moment précis et il ne doit pas s’agir d’une situation purement hypothétique[9]. L’article 76 de la loi « vise à protéger la capacité de gain sur laquelle le travailleur peut compter au moment même de la survenance de sa lésion professionnelle compte tenu de l’emploi qu’il aurait alors pu occuper et dont il a toutefois été privé en raison de circonstances particulières »[10]
[54] En d’autres termes, la preuve doit démontrer que l’exercice d’un emploi plus rémunérateur au moment de la lésion n’était pas une simple hypothèse, mais une réalité en voie de se concrétiser, une éventualité ou une situation qui n’a pu se réaliser compte tenu de circonstances particulières[11].
[55] En l’instance, la preuve n’établit aucunement que le 13 octobre 2010, le travailleur aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur n’eût été des circonstances particulières vécues de mai à août 2010.
[56] Il n’y a aucune preuve qui démontre que les problèmes vécus par le travailleur de mai à août 2010 ont fait en sorte de le priver d’un emploi plus rémunérateur en particulier, emploi qu’il aurait toujours pu occuper au 13 octobre 2010. Retenir le contraire relèverait de la pure spéculation.
[57] Au contraire, la preuve démontre que pendant cette période, le travailleur n’a pas fait de recherche d’emploi, non seulement par contrainte, mais aussi par choix.
[58] En fait, ce que le travailleur invoque, c’est que n’eût été tous ses problèmes entourant la prise de possession de sa nouvelle résidence, il aurait pu chercher et occuper un emploi plus tôt et aurait ainsi pu gagner davantage de revenus pendant les 12 mois précédant sa lésion professionnelle.
[59] Or, de l’avis du tribunal, ce n’est pas ce que vise l’article 76 de la loi et l'on ne saurait lui donner une interprétation aussi libérale. Les termes utilisés par le législateur sont clairs : il est permis de revoir la base salariale après deux ans d’incapacité si un travailleur démontre qu’il aurait pu occuper un emploi plus rémunérateur au moment où s’est manifestée sa lésion professionnelle et non qu’il aurait pu gagner davantage pendant la période de référence de 12 mois précédant sa lésion professionnelle.
[60] Pour ces raisons, il n’y a donc pas lieu de modifier, par application de cet article, le revenu brut annuel du travailleur ayant servi à la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu.
[61] Subsidiairement, la procureure du travailleur demande à la Commission des lésions professionnelles de considérer la demande comme une demande de révision de la base salariale fixée initialement à 28 369,20 $.
[62] Le procureur de la CSST soutient que le tribunal n’a pas compétence pour se prononcer sur une demande de révision hors délai de la base salariale dans le cadre du présent litige qui ne porte que sur l’application de l’article 76 de la loi.
[63] Avec respect pour l’avis contraire, la soussignée estime qu’elle a les pouvoirs de se prononcer sur cette question conformément à l’article 377 de la loi :
377. La Commission des lésions professionnelles a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l'exercice de sa compétence.
Elle peut confirmer, modifier ou infirmer la décision, l'ordre ou l'ordonnance contesté et, s'il y a lieu, rendre la décision, l'ordre ou l'ordonnance qui, à son avis, aurait dû être rendu en premier lieu.
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1985, c. 6, a. 377; 1997, c. 27, a. 24.
[64] Comme le rappelle la Commission des lésions professionnelles dans l’affaire Hamelin et Centre communautaire bénévole Matawinie[12] :
[45] Cette disposition législative signifie que la Commission des lésions professionnelles siège de novo puisqu’elle peut notamment rendre la décision qui aurait dû être rendue par la CSST. Ces pouvoirs de novo impliquent que le tribunal non seulement peut, mais doit permettre aux parties d’actualiser le dossier afin qu’il puisse apprécier toute preuve pertinente et analyser tous les faits même si ceux-ci n’ont pas été soulevés pour en arriver à la décision contestée3].
[46] D’ailleurs dans l’affaire Moulin de préparation de bois en transit de St-Romuald c. C.A.L.P.4 ] la Cour d’appel écrit :
Dans l’exercice de sa compétence, la CALP peut confirmer ou infirmer la décision portée devant elle; lorsqu’elle infirme la décision entreprise, la CALP doit rendre la décision qui, selon elle, aurait dû être rendue en premier lieu (article400LATMP). Elle exerce donc une compétence de novo, ce qui permet aux parties de soumettre tout nouveau moyen de droit et de fait et, à la CALP, de remédier aux irrégularités pouvant affecter le processus décisionnel suivi jusque-là et aux erreurs commises par les instances inférieures, d’actualiser le dossier et de régler toutes les questions accessoires à la question principale qu’elle doit trancher.
(références omises)
[nos soulignements]
[65] La Commission des lésions professionnelles estime qu’il serait inapproprié de retourner le dossier à la CSST afin qu’elle dispose d’une contestation hors délai de la base salariale alors que les parties présentes ont eu l’occasion de présenter leur preuve et de se faire entendre sur cette question.
[66] En effet, la preuve administrée à l’audience a largement porté sur la nature du contrat de travail du travailleur au moment de sa lésion professionnelle et sur le salaire associé à son emploi prélésionnel, démontrant qu’il s’agit là du véritable enjeu.
[67] En outre, le tribunal note que le procureur de la CSST a déposé une lettre émanant de l’employeur qui confirme le caractère saisonnier de l’emploi prélésionnel. Cette preuve visait manifestement à justifier la méthode de calcul retenue pour établir la base salariale et non à débattre de l’applicabilité de l’article 76 de la loi.
[68] De plus, dans la décision déposée par le procureur de la CSST[13], la Commission des lésions professionnelles, après avoir écarté l’application de l’article 76, se prononce subsidiairement en fonction d’une contestation de la base salariale produite hors délai.
[69] Le tribunal estime qu’en retournant le dossier à la CSST, il ne ferait que multiplier inutilement les procédures. Or, de telles actions sont contraires à l’objectif de fournir aux justiciables une justice administrative qui se caractérise par « la qualité, la célérité et l'accessibilité ».
[70] Ceci étant dit, le tribunal constate que la demande de révision de la base salariale est déposée plus de deux voire trois ans après l’expiration du délai de contestation de 30 jours prévue par l’article 358 de la loi qui stipule :
358. Une personne qui se croit lésée par une décision rendue par la Commission en vertu de la présente loi peut, dans les 30 jours de sa notification, en demander la révision.
Cependant, une personne ne peut demander la révision d'une question d'ordre médical sur laquelle la Commission est liée en vertu de l'article 224 ou d'une décision que la Commission a rendue en vertu de la section III du chapitre VII, ni demander la révision du refus de la Commission de reconsidérer sa décision en vertu du premier alinéa de l'article 365.
Une personne ne peut demander la révision de l'acceptation ou du refus de la Commission de conclure une entente prévue à l'article 284.2 ni du refus de la Commission de renoncer à un intérêt, une pénalité ou des frais ou d'annuler un intérêt, une pénalité ou des frais en vertu de l'article 323.1.
Une personne ne peut demander la révision du taux provisoire fixé par la Commission en vertu de l'article 315.2.
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1985, c. 6, a. 358; 1992, c. 11, a. 31; 1996, c. 70, a. 40; 1997, c. 27, a. 14; 2006, c. 53, a. 26.
.
[71] En effet, il appert que le revenu brut servant à établir la base salariale du travailleur a été décidé par la CSST lors de l’émission du premier avis de paiement daté du 22 novembre 2010. Même si l’on considère que la demande produite par la procureure du travailleur le 19 décembre 2012 s’assimile à une demande de révision de la base salariale, force est de constater qu’elle est déposée largement hors des délais légaux.
[72] La Commission des lésions professionnelles peut toutefois relever le travailleur du défaut d’avoir contesté sa base salariale hors délai si ce dernier démontre un motif raisonnable, le tout conformément à l’article 358.2 de la loi.
358.2. La Commission peut prolonger le délai prévu à l'article 358 ou relever une personne des conséquences de son défaut de le respecter, s'il est démontré que la demande de révision n'a pu être faite dans le délai prescrit pour un motif raisonnable.
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1997, c. 27, a. 15.
[73] Selon la jurisprudence, l’analyse du motif raisonnable permet de considérer un ensemble de facteurs susceptibles d’indiquer à partir des faits, des démarches, des comportements, de la conjoncture et des circonstances, si une personne a un motif non farfelu, crédible et qui fait preuve de bon sens, de mesure et de réflexion. La jurisprudence exige aussi d’une partie qu’elle ne fasse pas preuve de négligence, désintéressement ou d’insouciance dans le traitement et le suivi de son dossier[14].
[74] En l’instance, le travailleur allègue, à titre de motif raisonnable, l’absence d’indication quant à la procédure de contestation à l’endos du premier avis de paiement. Il indique avoir néanmoins communiqué avec la CSST pour signifier son désaccord. Toutefois, selon les notes évolutives, les discussions qu’il a eues avec l’agente d’indemnisation de manière contemporaine à la réception de son premier avis de paiement ne portent pas sur cette question. Aucun élément ne corrobore la version du travailleur et si celui-ci a vraiment fait une contestation « verbale », force est de constater qu’il n’a jamais assuré de suivi et qu’il a donc été négligent.
[75] De son propre aveu, le travailleur a eu connaissance de la procédure de contestation lors de la réception de l’avis de paiement du 30 décembre 2010, mais a décidé de ne pas faire de contestation en bonne et due forme puisqu’il croyait retourner au travail rapidement.
[76] Or, cela ne correspond pas à une conduite diligente de la part du travailleur et dénote plutôt un désintéressement de sa part sur la question de sa base salariale. Par conséquent, le travailleur n’a pas démontré un motif raisonnable lui permettant d’être relevé du défaut d’avoir produit sa contestation dans les délais légaux.
[77] Pour ces motifs, la Commission des lésions professionnelles considère que la contestation du travailleur relativement à sa base salariale est irrecevable.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
REJETTE la requête de monsieur René Gagnon, le travailleur;
CONFIRME la décision rendue le 12 avril 2013 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative;
DÉCLARE qu’il n’y a pas lieu de modifier le revenu brut annuel de monsieur René Gagnon retenu aux fins de la détermination de l’indemnité de remplacement du revenu à laquelle il a droit à la suite de sa lésion professionnelle du 13 octobre 2010.
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Sonia Sylvestre |
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Me Sophie Mongeon DESROCHES, MONGEON |
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Représentante de la partie requérante |
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Madame Isabelle Chenail |
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Représentante de la partie intéressée |
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Me Kevin Horth |
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VIGNEAULT, THIBODEAU BERGERON |
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Représentant de la partie intervenante |
[1] Le travailleur soutient que le déplacement de la sonde s’est fait lors de son accident du travail et a demandé à ce que la CSST se prononce sur la relation entre cette condition et sa lésion professionnelle. Aucune décision de la CSST n’est toutefois encore rendue au jour de l’audience.
[2] RLRQ c. A-3.001
[3] RLRQ, c. J-3. Art. 8 : L'autorité administrative motive les décisions défavorables qu'elle prend et indique, le cas échéant, les recours autres que judiciaires prévus par la loi, ainsi que les délais de recours.
[4] Pépin et Leblanc, C.L.P. 273662-64-0510, 25 août 2009, H. Marchand; Jolin et Pavillons St - Vincent, St-Joseph, Murray, C.L.P. 343951-05-0803, 10 février 2009, F. Ranger.
[5] Turcotte et Aliments Lester ltée, C.L.P. 412896-61-1006, 7 janvier 2011, C.-A. Ducharme, révision rejetée 2011 QCCLP 6783.
[6] Voir notamment Sukovic et Scores Sherbrooke, C.L.P. 328892-05-0709, 22 janvier 2008, L. Boudreault; Tokessy et Polymed Chirurgical inc., C.L.P. 350337-62C-0809, 31 mars 2010, I. Therrien; Turcotte et Aliments Lesters ltée, précitée note 4.
[7] Précitée note 6.
[8] C.L.P. 168349-03B-0109, 19 mars 2002, G. Marquis.
[9] Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils, C.L.P. 144182-08-0008, 17 janvier 2002, M. Lamarre; Sukovic et Scores Sherbrooke, précitée note 6.
[10] Laroche et Entreprises Nortec inc., précitée note 8.
[11] Bériault et Transport Jean-Louis Allaire et Fils, précitée note 9; Léonard et Vitrerie Bellefeuille enr., C.L.P. 255544-62-0502, 13 octobre 2006, R. Daniel.
[12] C.L.P. 407814-63-1004, 3 décembre 2010, P. Bouvier.
[13] Précitée note 4.
[14] Purolator et Langlais, C.A.L.P. 87109-62-9703, 11 décembre 1997, R. Jolicoeur; Mesumard et Friefeld, Litwin & ass. (syndic), C.L.P. 127239-71-9911, 18 septembre 2000, A. Vaillancourt, requête en révision judiciaire rejetée, C.S. Montréal, 500-05-060727-003, 01-01-23, J. Le Bel; Viault et Le Bifthèque, C.L.P. 242031-32-0408, 18 janvier 2005, L. Langlois.
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