Pietrangelo c. Repentigny (Ville de) |
2015 QCCQ 14479 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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« Chambre civile » |
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N° : |
705-22-015558-156 |
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DATE : |
22 décembre 2015 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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MICHEL PIETRANGELO, |
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Demandeur |
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c. |
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VILLE DE REPENTIGNY, |
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Défenderesse |
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JUGEMENT SUR L’AVIS DE DÉNONCIATION D’UN MOYEN PRÉLIMINAIRE (Art. 165 (4) C.p.c) |
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[1] Michel Pietrangelo, ci-après désigné «Pietrangelo[1]», réclame de la Ville de Repentigny, ci-après désignée «la Ville», 55 000 $ en dommages-intérêts, s’estimant lésé de l’arrestation dont il a été victime.
LES QUESTIONS EN LITIGE:
[2] Les principales questions en litige sont les suivantes:
1) Y a-t-il lieu d’appliquer les délais prévus à l’article 586 de la Loi sur les cités et villes (L.C.V.)?
2) La réclamation en dommages-intérêts est-elle prescrite?
3) L’arrestation étant survenue le 25 juin 2013, le recours signifié le 14 octobre 2015 est-il tardif?
4) Quel est le type de dommages réclamés par Pietrangelo?
5) Pietrangelo était-il dans l’impossibilité d’agir avant?
LE CONTEXTE:
[3] L’avis de dénonciation des moyens préliminaires d’irrecevabilité présenté par la Ville en vertu de l’article 165 (4) du Code de procédure civile (C.p.c.) demande de rejeter la requête introductive d’instance en dommages-intérêts de Pietrangelo pour prescription.
[4] L’arrestation est survenue dans la Ville de Repentigny le 25 juin 2013, alors que le recours fut signifié le 14 octobre 2015.
[5] La Ville soutient que l’article 586 L.C.V. qui prévoit que toute action ou poursuite judiciaire contre une municipalité pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d’illégalités se prescrit par six mois.
[6] Pietrangelo soutient que lors de son arrestation, les policiers de la Ville de Repentigny, sans l’aviser au préalable de son droit au silence ainsi que de son droit à l’assistance d’un avocat, lui ont demandé de sortir de son véhicule pour procéder à des tests de dépistage d’alcool.
[7] L’alcootest a démontré un taux d’alcoolémie supérieur à la limite et la fouille de Pietrangelo effectuée par les policiers a aussi conduit à une arrestation pour possession de cocaïne.
[8] Pietrangelo soutient que ses droits à la protection contre la détention et l’emprisonnement arbitraires garantie à l’article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte) ont été violés puisque son interception tire son origine d’une enquête criminelle d’introduction par effraction et non pas en vertu de l’article 636 du Code de la sécurité routière. Ayant été détenu pour fins d’enquête, Pietrangelo soutient que les policiers avaient l’obligation de l’informer de ses droits constitutionnels, ce qu’ils ont omis de faire plus tôt.
[9] N’ayant pas eu l’occasion de consulter un avocat, Pietrangelo dit s’être incriminé en répondant aux questions des policiers sans savoir s’il devait y répondre ou non.
[10] Les accusations criminelles portées contre lui ont été abandonnées par la poursuite le 13 mai 2015 parce que la preuve recueillie contrevenait à la Charte.
[11] Pietrangelo soutient que les événements l’ont grandement affecté tant moralement que psychologiquement, de sorte qu’il n’a pu intenter l’action avant octobre 2015.
[12] Il affirme avoir été l’objet d’une arrestation ainsi que d’une détention abusives, en plus d’avoir été lésé dans ses droits fondamentaux.
[13] Pietrangelo réclame 55 000 $, soit :
a) 20 000 $ pour tracasseries, inconvénients et perte de temps incluant le coût des honoraires engagés pour se défendre au criminel;
b) 20 000 $ en dommages pour souffrances et traumatismes psychologiques;
c) 15 000 $ en dommages exemplaires pour atteinte à ses droits fondamentaux.
PRÉTENTION DES PARTIES :
[14] La Ville soutient qu’il y a lieu pour le Tribunal d’accueillir le moyen préliminaire au stade de l’irrecevabilité en vertu de l’article 165 (4) C.p.c. puisque l’ensemble des dommages réclamés par Pietrangelo sont des dommages moraux.
[15] Elle ajoute que la requête introductive d’instance ne permet pas de constater que le préjudice moral découle d’une atteinte physique et que, tout au plus, il allègue une atteinte à ses droits reconnus par la Charte.
[16] Le régime général de la responsabilité civile et, par voie de conséquence, l’article 586 L.C.V. trouveraient application.
[17] Ainsi, le délai de prescription de six mois prévu à l’article 586 s’applique puisque Pietrangelo n’a subi aucun préjudice corporel permettant l’application de l’article 2930 du Code civil du Québec (C.c.Q.).
[18] La Ville ajoute que Pietrangelo ne peut se prévaloir de la suspension de la prescription en matière de poursuite abusive puisque cela n’est pas sa cause d’action.
[19] La requête introductive d’instance fait état d’une arrestation et d’une détention abusives comme étant la base de son recours.
[20] Le délai de prescription commençait donc à compter du 25 juin 2013 pour se terminer le 25 décembre 2013.
[21] Enfin, la Ville soutient que les allégués 21 et 22 de la requête introductive d’instance ne permettent pas de conclure à une impossibilité d’agir, puisque comme nous l’enseigne la jurisprudence, l’impossibilité d’agir doit résulter de la faute du débiteur de l’obligation; la Ville n’en ayant pas commis.
[22] Pour sa part, Pietrangelo conteste, se référant au point de départ de la prescription extinctive.
[23] Pour lui, c’est le 13 mai 2015 qui constitue le point de départ de la prescription, soit le jour de l’acquittement de Pietrangelo, alors que les accusations criminelles portées ont été abandonnées par la poursuite.
[24] On invoque que le départ de la prescription débute au moment de l’acquittement et que ce n’est qu’à cette date que tous les dommages sont consolidés, identifiables et quantifiables.
[25] Parce qu’au stade de l’irrecevabilité, la Cour doit tenir pour avérés les faits contenus dans la requête introductive d’instance, il y a lieu de déférer le tout au juge du fond, le cas échéant.
LE DROIT APPLICABLE ET ANALYSE:
[26] Les principes généraux applicables à la prescription sont prévus aux dispositions suivantes du C.c.Q.
2921. La prescription extinctive est un moyen d'éteindre un droit par non-usage ou d'opposer une fin de non-recevoir à une action.
2925. L'action qui tend à faire valoir un droit personnel ou un droit réel mobilier et dont le délai de prescription n'est pas autrement fixé se prescrit par trois ans.
2926. Lorsque le droit d'action résulte d'un préjudice moral, corporel ou matériel qui se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois.
2930. Malgré toute disposition contraire, lorsque l'action est fondée sur l'obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui, l'exigence de donner un avis préalablement à l'exercice d'une action, ou d'intenter celle-ci dans un délai inférieur à trois ans, 10 ans ou 30 ans, selon le cas, ne peut faire échec au délai de prescription prévu par le présent livre.
[27] Quant à lui, l’article 586 L.C.V. édicte que :
586. Toute action, poursuite ou réclamation contre la municipalité ou l'un de ses fonctionnaires ou employés, pour dommages-intérêts résultant de fautes ou d'illégalités, est prescrite par six mois à partir du jour où le droit d'action a pris naissance, nonobstant toute disposition de la loi à ce contraire.
[28] L’article 165 (4) C.p.c. édicte, quant à lui :
165. Le défendeur peut opposer l'irrecevabilité de la demande et conclure à son rejet:
1. S'il y a litispendance ou chose jugée;
2. Si l'une ou l'autre des parties est incapable ou n'a pas qualité;
3. Si le demandeur n'a manifestement pas d'intérêt;
4. Si la demande n'est pas fondée en droit, supposé même que les faits allégués soient vrais.
[29] Pour décider de cette affaire, le Tribunal doit donc identifier le type de dommages réclamés par Pietrangelo.
[30] C’est suivant les règles de la prépondérance de preuve que le Tribunal doit arbitrer le tout.
2803. Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.
Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée.
2804. La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante.
[31] Nulle part dans la requête introductive d’instance nous ne retrouvons d’allégué se rapprochant de près ou de loin à des dommages physiques ou corporels.
[32] Pietrangelo y allègue que l’on n’a pas respecté ses droits constitutionnels prévus aux articles 9 et 10 de la Charte.
[33] Il y mentionne à plusieurs reprises que l’on a violé son droit à la protection contre la détention et l’emprisonnement arbitraires et qu’on a omis de l’informer de son droit à l’assistance d’un avocat.
[34] N’ayant pas pu consulter d’avocat comme la Charte le prévoit, il s’est auto-incriminé en répondant aux questions des policiers.
[35] Il soutient que les événements en question l’ont grandement affecté moralement et psychologiquement de sorte qu’il n’a pu intenter l’action en justice avant.
[36] La réclamation fait état de dommages exemplaires, de souffrances et traumatismes psychologiques, de tracasseries, d’inconvénients et de perte de temps.
[37] Seul un allégué général vise le coût des honoraires engagés pour se défendre au criminel qu’il semble assimiler à un dommage matériel.
[38] Outre les coûts d’honoraires, la majorité voire même la totalité des dommages réclamés par Pietrangelo sont de la nature des dommages moraux.
[39] Le Tribunal conclut que la requête introductive d’instance ne permet pas de constater que le préjudice moral découle d’une atteinte physique.
[40] Ainsi, la lecture de la requête introductive d’instance ne permet pas d’y retracer quelconque réclamation pour un préjudice corporel tel que visé au C.c.Q. et notamment à l’article 2930 précité.
[41] Afin de définir ce que l’on entend par dommage ou préjudice corporel en droit de la responsabilité civile du Québec, il importe de rappeler certains jugements pertinents.
[42] La Cour suprême du Canada, dans Schreiber c. Canada (Procureur général)[2], écrit :
«58 Pour déterminer la portée de l’application de l’al. 6a), il faut examiner ce qu’on entend par « dommage corporel » ou « préjudice corporel » en droit de la responsabilité civile délictuelle au Québec. Afin de comprendre la nature et l’effet du problème d’interprétation des lois qui se pose, il faut considérer la classification des chefs de dommages en droit de la responsabilité civile délictuelle du Québec ainsi que le sens que ce droit attribue à la notion de « préjudice corporel ». Cette notion bien connue et appliquée largement en droit québécois est même devenue une des principales composantes de la classification tripartite des dommages dans le nouveau Code civil du Québec, L.Q. 1991, ch. 64, entré en vigueur en 1994. L’article 1457 C.c.Q. prévoit que, lorsque la faute et le lien de causalité sont établis, toutes les catégories de dommages doivent faire l’objet d’une indemnisation, qu’il s’agisse d’un dommage « corporel, moral ou matériel ». D’autres dispositions du C.c.Q. font référence à cette classification de base des dommages : en matière de préjudice corporel, voir par exemple les art. 1458, 1614 et 2930.
[…]
60 Néanmoins, la notion ou la catégorie du « dommage corporel » ou « bodily injury » était bien connue et souvent utilisée en droit québécois bien avant l’entrée en vigueur du nouveau code. Le Code civil du Bas Canada l’utilisait dans les dispositions concernant la prescription; par exemple, l’art. 2262 fixait un délai de prescription d’un an dans le cas d’actions pour « lésions ou blessures corporelles » ou « bodily injuries » : Regent Taxi and Transport Co. c. Congrégation des Petits Frères de Marie, 1929 CanLII 95 (SCC), [1932] A.C. 295 (C.P.), p. 302-303, lord Russell of Killowen; et aussi D. Gardner, L’évaluation du préjudice corporel (2e éd. 2002), p. 9 - 10. L’article 2260a, ajouté en 1974 au Code civil du Bas Canada pour modifier le délai de prescription applicable aux actions pour dommages en matière de responsabilité hospitalière et médicale, utilisait les expressions « préjudice corporel ou mental » et « bodily or mental prejudice ».
[…]
62 Cette catégorie de dommages paraît limitée mais souple dans son application. Les actions relevant de cette catégorie ont en commun la nécessité d’établir la présence d’une atteinte à l’intégrité physique. Un « préjudice corporel » n’est pas seulement une atteinte à l’intégrité de la personne, qui jouit d’une large protection sous tous ses aspects en vertu de l’article premier de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, et de l’art. 3 C.c.Q. Il doit être plus précisément défini sinon toute forme de tort causé à une personne et d’entrave aux droits d’une personne relèverait de la catégorie du « préjudice corporel ». Il semble que les diverses définitions de cette notion requièrent au moins une forme d’atteinte à l’intégrité physique : voir par exemple, Gardner, op. cit., p. 14-15, et le juge Pelletier dans Tarquini, précité, par. 88 et 89 ainsi que les paragraphes qui suivent.
[…]
64 En revanche, l’exigence de la preuve d’une atteinte réelle à l’intégrité physique signifie que l’atteinte à des droits dûment qualifiés de droits d’ordre moral n’est pas incluse dans cette catégorie d’actions. Les atteintes à des droits fondamentaux comme le droit à la liberté, à la vie privée et à la réputation peuvent donner lieu à des actions qui sont considérées comme d’ordre moral ou matériel, selon les droits personnels touchés. Ainsi le choc causé par une arrestation injustifiée peut donner lieu à une action pour dommages moraux, mais non à une action pour « préjudice corporel » : Michaud c. Québec (Procureur général), [1998] R.R.A. 1065 (C.S.); et Gardner, op. cit., p. 22. En l’absence d’autres formes de préjudice comportant une atteinte à l’intégrité physique de la personne, la perte de la liberté personnelle résultant de l’acte illégal de la police ou de l’État, accompagnée du sentiment d’humiliation, de la perte de la capacité d’agir de façon indépendante ainsi que du stress psychologique qui découle de pareilles situations, demeure assimilée à une forme de dommage moral et doit être indemnisée comme telle : J.-L. Baudouin et P. Deslauriers, La responsabilité civile (5e éd. 1998), p. 288.
65 À la lumière des dispositions du C.c.Q. ainsi que de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes, j’estime que, malgré leur souplesse, les concepts de droit civil de « préjudice corporel - bodily injury » intègrent une limite interne à la portée potentielle de l’al. 6a) de la Loi et exigent une certaine forme d’atteinte à l’intégrité physique. Bien que les mots « death » et « personal injury » de la version anglaise laissent entrevoir la possibilité que l’exception de l’al. 6a) englobe des dommages autres que physiques, la notion de droit civil de « dommages corporels » dans la version française de cet alinéa exclut cette possibilité. Étant donné que le texte français est le plus clair et le plus restrictif des deux, il reflète mieux l’intention du législateur commune aux deux versions. Pour contester la conclusion tirée de l’interprétation bilingue de l’al. 6a), l’appelant invoque un dernier argument, fondé sur les modifications apportées par la Loi d’harmonisation.»
[43] En résumé, la Cour suprême précise que l’atteinte à des droits constitutionnels causée par une arrestation injustifiée peut donner lieu à une réclamation pour des dommages moraux, mais non pas pour un préjudice corporel.
[44] Tel que le rappelait l’honorable Jean-Louis Baudouin[3], le législateur a enlevé aux municipalités le privilège de la courte prescription de six mois en cas de préjudice corporel. Cependant, le législateur n’a pas attribué cette même protection en cas de préjudice moral relié directement aux atteintes aux droits fondamentaux d’une personne.
«[8] Le législateur québécois, bien avant l'entrée en vigueur du Code civil du Québec et de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, a cru bon d'accorder aux municipalités un privilège exorbitant et dérogatoire au droit commun, en matière de prescription des recours en responsabilité civile pouvant être dirigés contre elles ( Loi des cités et villes, L.R.Q., c. C-19, art. 586 ). Le Code civil du Québec qui, comme le précise le préambule, régit le droit civil en harmonie avec la Charte, a reconnu comme valeur essentielle le droit à la vie et à l'intégrité de la personne. Ceci a donc amené le législateur à enlever aux municipalités ce privilège en cas de préjudice corporel. La Cour suprême a confirmé l'arrêt de notre Cour, selon lequel la courte prescription favorable aux municipalités n'était pas applicable en cas de dommage corporel. Ce même législateur cependant ( s'agit-il d'une omission volontaire ou non voulue ? ) n'a pas fait la même exception pour le préjudice moral ( art. 2930 C.c.Q. ) qui, lui aussi, est directement relié à des atteintes aux droits fondamentaux.
[14] Dans l'arrêt Tarquini, mon collègue le juge Pelletier écrivait d'ailleurs :
On pourrait donc définir le préjudice corporel comme étant le concept qui englobe l'ensemble des pertes morales et matérielles qui sont la conséquence directe immédiate ou distante, d'une atteinte à l'intégrité physique d'une personne. À la différence des qualificatifs « moral » et « matériel » qui correspondent aux classes fondamentales du concept « préjudice », celui de « corporel » tire son originalité du caractère hybride de ses composantes et de la pluralité des dimensions qu'il couvre.
[15] Comme on peut le constater et même s'il n'y a pas de magie dans les mots, il reste fort difficile de déterminer exactement ce qu'il faut entendre par l'expression « préjudice corporel ». Doit évidemment être considéré comme tel ce que le Code civil du Bas-Canada entendait autrefois sous le vocable de lésion ou de blessures corporelles ( Art. 2263(2) C.c.B.C. ). Il me semble acquis également que ne paraît pas rentrer dans ce concept le préjudice purement moral, par exemple, l'atteinte à la vie privée lorsqu’il est sans lien avec une atteinte au corps humain.
[18] Cette solution peut paraître curieuse sous un double aspect. D’une part, ne sera donc pas protégé par la prescription de trois ans le dommage psychologique qui n’a aucun lien avec une atteinte corporelle. D’autre part, elle élimine complètement les cas d’atteinte aux autres droits fondamentaux qui, sans causer de préjudice physique, entraînent toutefois un préjudice moral.
[40] Au départ, il me semble approprié de reproduire les commentaires du Ministre de la justice au sujet de l'article 2930, afin de bien saisir le contexte de l'adoption de cette disposition:
Cet article est de droit nouveau. Il vise à conserver l'équilibre dans les rapports entre le créancier et le débiteur de l'obligation, quelle que soit la situation particulière de celui-ci, et à mieux assurer la protection du droit fondamental à l'intégrité et, au cas où celle-ci est atteinte, la protection du droit à la réparation. Malgré tout disposition contraire et malgré la nécessité de donner un avis préalablement à l'exercice d'une action, l'action fondée sur l'obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui se prescrit par trois ans, à compter du moment où le préjudice est causé; si le préjudice se manifeste graduellement ou tardivement, le délai court à compter du jour où il se manifeste pour la première fois (2926). Dans les circonstances, le défaut d'un avis, s'il peut avoir des conséquences indirectes sur la qualité de la preuve, ne pourra faire échec au délai de prescription. L'article vient modifier la portée de certaines règles, notamment en droit municipal, où le défaut de donner un avis à l'intérieur d'un délai très court emporte déchéance du droit d'action.
[41] La dernière phrase de cette citation indique, de façon claire, que l'article 2930, lorsqu'il s'applique, a pour effet notamment de remplacer la courte prescription prévue aux articles 585 et 586 de la Loi sur les cités et villes par celle prévue au livre huitième du Code civil du Québec. Encore faut-il se trouver dans un cas visé par cet article, soit l'obligation de réparer le préjudice corporel causé à autrui.»
(Références omises)
[45] La Cour d’appel réitère des principes légaux identiques dans la décision Montréal (Ville) c. Fils-Aimé[4]. Nous pouvons lire :
«[11] Contrairement au dossier Andrusiak, la requête introductive d’instance amendée ne contient aucune référence directe ou indirecte à un préjudice corporel au sens donné à ce terme par notre arrêt dans Andrusiak. Je ne crois pas qu’une simple détention illégale puisse constituer un préjudice corporel au sens de la loi, même si la chose pourrait fort bien évidemment se concevoir.
[12] Avec la plus grande déférence pour le juge de première instance qui a donné une interprétation large au texte de l’article 2930 C.c., je ne pense pas que celle-ci corresponde à l’opinion de la Cour suprême dans l’affaire Schreiber, rendue, il est vrai, dans un tout autre contexte.
[13] Malgré donc la sympathie que l’on peut éprouver pour le demandeur qui se trouve ainsi privé de l’exercice d’un droit fondamental ( le respect de la sécurité de la personne ), je suis donc d’avis d’accueillir le pourvoi, d’accorder la requête en irrecevabilité et de rejeter l’action de l’intimé avec dépens contre lui en première instance et avec dépens en appel contre l'appelante Ville de Montréal calculés comme si l’appel était rejeté à l’égard d’une action de classe II-A.»
[46] Fort de ces principes, notre collègue l’honorable Claude René Dumais écrit ceci dans Vaillancourt c. Montréal (Ville)[5] :
«[9] L'action du demandeur a été signifiée le 14 juillet 2003, alors que l'agression alléguée advint le 13 octobre 2001.
[10] Et ledit demandeur réclame des dommages «pour l'atteinte à sa dignité et ses droits en vertu de la Charte québécoise des droits de la personne» (paragraphe 14 de la requête).
[11] Il ne s'agit donc pas du «préjudice corporel» prévu à l'article 2930 du Code civil du Québec, pour lequel une prescription de trois années est prévue.
[12] Tel préjudice corporel doit se rapporter au corps humain:
«30. Cette interprétation de l'art. 2930 C.c.Q., est conforme à l'intention du législateur dans le nouveau Code, soit d'assurer une juste indemnisation du préjudice corporel, lequel constitue une atteinte à l'intégrité physique de la personne. Cette intention transparaît à travers l'ensemble des dispositions du Code civil du Québec, notamment : l'art. 454 C.c.Q. qui prévoit que le droit de réclamer des dommages en réparation d'un préjudice corporel reste propre à chacun des époux; l'art. 1474 C.c.Q. qui interdit de limiter ou d'exclure sa responsabilité pour préjudice corporel; l'art. 1609 C.c.Q. qui rend sans effet les quittances, transactions ou déclarations obtenues de la victime d'un préjudice corporel dans les 30 jours du fait dommageable; l'art. 1615 C.c.Q. qui permet exceptionnellement aux tribunaux de réviser l'indemnité accordée pour préjudice corporel et l'art. 1616 C.c.Q. qui permet l'indemnisation du préjudice corporel d'un mineur sous forme de rente. La protection de l'intégrité physique de la personne est l'une des valeurs fondamentales du Code civil du Québec qui énonce à son art. 10 que «[t]oute personne est inviolable et a droit à son intégrité» (voir également l'art. 3 C.c.Q.). Cette interprétation est aussi conforme aux valeurs de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., ch. C-12, qui protège à son article premier le droit de tout être humain à l'intégrité de sa personne. L'article 2930 C.c.Q. n'est qu'une expression de la faveur que lui accorde le législateur.»
[13] Or, dans la présente affaire le requérant n'allègue ni ne prouve tels préjudices corporels. Sa demande, comme ci-haut décrite, réclame des dommages en vertu de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne (chap. C-12 des Lois du Québec).
[…]
[15] En fait, cette dernière opinion permet maintenant d'ajouter au simple concept de blessure physique la possibilité de dommages psychologiques, voire psychiatriques, survenus à cause d'un accident ou d'une faute soumise à l'article 2530 C.c.Q., et la prescription de trois années s'applique à ces suites d'actions ou actes préjudiciels «malgré toute disposition contraire».
[16] Dans la présente affaire, le requérant ne réclame que des dommages reliés à une atteinte de ses droits sous la Charte, comme prévu en sa requête.
[17] Il ne s'agit donc pas de dommages reliés à quelque «préjudice corporel», même au sens élargi décrit plus avant.»
(Références omises)
[47] L’honorable Hélène Langlois, dans Engler-Stringer c. Montréal (Ville de)[6], en rappelant que la Cour suprême a depuis quelques années établi que la Charte ne créait pas de régime de responsabilité autonome, écrit :
«[5] À l'appui de sa demande de rejet l'intimée plaide que, prenant les faits allégués à la requête introductive pour avérés, le recours pour poursuites abusives paraît voué à l'échec puisque l'immunité dont jouit la Couronne, dans l'exercice de ses fonctions, ne peut être écartée.
[6] Également, l'intimée plaide que le recours pour arrestation et détention illégales est prescrit n'ayant pas été intenté dans le délai de six mois prévu à l'article 586 de la Loi sur les cités et villes (L.C.V.).
[7] Ces recours, comme en a décidé la Cour d'appel dans l'arrêt Popovic c. Montréal (Ville de) ont pour fondement des causes d'action distinctes et par voie de conséquence, le cas échéant, ils peuvent distinctement faire l'objet d'une conclusion en irrecevabilité ou en rejet.
[…]
[159] En 1995, la Cour d'appel dans Gauthier c. Beaumont saisie d'une décision rendue à l'égard d'un recours en dommages et réparation en vertu de la Charte intenté contre une municipalité et ses policiers pour arrestation et détention illégales décidait que «… toute atteinte intentionnelle ou pas à un droit garanti par la Charte constitue clairement une illégalité. L'article 586 ne fait pas de distinction entre illégalité quasi constitutionnelle ou autre. Non plus, il n'exclut les dommages exemplaires. En conséquence, les illégalités commises dans la présente affaire se prescrivent par six mois.»
[160] L'assujettissement du recours en réparation en vertu de la Charte à la prescription prévue à l'article 586 L.C.V., n'a pas été remis en question dans le cadre du pourvoi à la Cour suprême.
[161] Enfin, les auteurs Duplessis et Hétu endossent cette perception :
«… si une personne, dans le cadre d'une action en dommages, invoque la violation de ses droits fondamentaux garantis par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, ou juge que cette atteinte illicite à un droit garanti par la Charte est une illégalité au sens de l'article 49 de la Charte et la prescription de l'article 586 L.C.V. s'applique puisque ce dernier article ne fait pas de distinction entre une illégalité quasi constitutionnelle et une autre».
[162] Finalement, l'arrêt de la Cour suprême dans Doucet-Boudreau c. Nouvelle (Ministère de l'Éducation) auquel la requérante réfère, s'attarde surtout à la détermination de la réparation convenable et juste, eu égard aux circonstances, qu'un tribunal peut accorder.»
(Références omises)
[48] Pour ces raisons, le Tribunal conclut que les dommages réclamés par Pietrangelo sont uniquement des dommages moraux.
Quel est le délai de prescription applicable?
[49] Pour les motifs ci-avant exposés, le Tribunal conclut que c’est le délai de prescription de six mois prévu à l’article 586 L.C.V. qui s’applique en pareilles circonstances.
[50] Parce que Pietrangelo n’a subi aucun préjudice corporel, l’article 2930 C.c.Q. ne peut trouver application.
[51] La réclamation fait état d’une arrestation et d’une détention abusives en contravention aux droits constitutionnels de Pietrangelo. Il s’agit là des fondements mêmes de son recours et on ne peut en argumentaire le modifier.
[52] On ne peut se prévaloir de la suspension de la prescription en pareilles circonstances.
[53] Le délai de prescription étant de six mois, le Tribunal fixe le départ de celle-ci le jour de l’arrestation du 25 juin 2013.
[54] La Cour d’appel, dans son arrêt Engler-Stringer c. Montréal (Ville de)[7] rappelle ceci :
«[22] La juge examine ensuite le recours en dommages et intérêts lié aux arrestations et détentions abusives pour trancher le moyen de non-recevabilité fondé sur la prescription.
[23] Elle note que les faits à l'origine du recours sont survenus les 28 et 29 juillet 2003 et donc que la prescription de six mois prévue à l'article 586 de la Loi sur les cités et villes[6] (ci-après la LCV ) arrive à terme le 29 janvier 2004.
[…]
[25] Quant au point de départ de la prescription, elle affirme que l'on ne doit pas confondre le recours en dommages et intérêts lié aux arrestations et détentions abusives et celui découlant des poursuites abusives. Elle conclut que le premier ne bénéficie pas nécessairement de la suspension de la prescription dont jouit le second jusqu'au jugement d'acquittement ou au retrait des procédures.
[26] Elle se demande ensuite si le recours en dommages et intérêts pour arrestations et détentions abusives comporte une réclamation pour préjudice corporel. Une telle réclamation est sujette à la prescription triennale de l'article 2930 C.c.Q. plutôt qu'à celle de six mois prévue à l'article 586 LCV.
[…]
[43] L'intimée ne nie pas que, dans certains cas, le recours pour arrestation et détention abusives bénéficie de la suspension de la prescription jusqu'à l'issue des procédures criminelles lorsqu'il y a un lien entre la cause d'action du recours en dommages et intérêts et l'issue des procédures criminelles. Cependant, elle plaide que, dans le présent dossier, la procédure introductive d'instance ne fait pas voir un tel lien. La véritable cause d'action du recours en dommages et intérêts repose sur les conditions de l'arrestation et de la détention de l'appelante, peu importe ce qui a suivi.
[44] L'analyse de la procédure introductive d'instance montre que le recours en dommages et intérêts fondé sur l'arrestation et la détention abusives reproche aux policiers d'avoir traité l'appelante de façon incorrecte lors de son arrestation, de lui avoir imposé des conditions de détention inacceptables et de l'avoir détenue pendant une période injustifiée. L'appelante connaissait, dès leur survenance, tous les faits nécessaires pour intenter son recours. L'issue des procédures criminelles n'était pas susceptible d'y changer quelque chose, ni d'apporter un éclairage différent. Par voie de conséquence, le point de départ de la prescription du recours civil relié à son arrestation et à sa détention abusives court à compter de la connaissance des faits, soit le 29 juillet 2003.»
(Références omises)
[55] Habilement lors de sa plaidoirie, le procureur de Pietrangelo soutient que le point de départ de la prescription extinctive est celui de l’arrêt des procédures du 13 mai 2015 puisqu’il s’agit de l’acquittement de Pietrangelo.
[56] Il reprend les passages de la décision de notre collègue l’honorable Julie Messier dans Mastromattéo c. Laval (Service de police de la Ville de)[8]. Nous pouvons lire dans cette décision :
«[5] La base du recours invoqué par Mastromattéo est décrite au paragraphe 26 de sa requête introductive d'instance :
«Les policiers de la défenderesse ont procédé à une perquisition illégale commettant ainsi un abus de droit en ce qu'elle n'était pas motivée et qu'elle a été abusive dans son exécution »
(les soulignés sont de la soussignée)
[6] Les préjudices subis sont énumérés au paragraphe 35, 36 et 37 de la requête introductive d'instance;
«35. Les défendeurs (sic) ont été victimes d'une atteinte à leur réputation en ce que la perquisition a été ébruité (sic) dans le voisinage et leur entourage affectant ainsi leur notoriété;
36. Les demandeurs ont subi une atteinte à leur vie privée en ce qu'une dizaine d'employés de la demanderesse (sic) ont profité d'un mandat de perquisition vicié pour fouiller de manière très exhaustive la demeure des demandeurs;
37. La demanderesse souffrant de problèmes de dos et a ressenti (sic) des douleurs aiguës au (sic) pendant plusieurs semaines suite à cette journée où elle fut confinée à la cuisine et assise sur une chaise en bois; »
(les soulignés sont de la soussignée)
[7] La requête est introduite le 9 juin 2008, soit trois ans après les événements constitutifs des faits reprochés, soit une perquisition illégale;
[…]
[17] La cour d'Appel et la Cour Supérieure se sont prononcées à maintes reprises sur l'interruption de la prescription qui s'applique en matière de procédure abusive;
[…]
[19] Dans Vallée c. Drapeau (1929) 33 R.P. 6 (C.S.), la Cour supérieure rejeta une inscription en droit contre une poursuite en dommages à la suite d'une saisie-arrêt que le demandeur prétendait abusive. Il y a lieu de citer le jugement qui, à mon avis, résume parfaitement et avec beaucoup de clarté, les règles de droit applicables.
«Considérant que le droit à cette action en dommages prend naissance du jour où l'acte dommageable a été commis, soit du jour où la saisie-arrêt avant jugement a été pratiquée;
Considérant que de ce moment, celui qui se prétend lésé par cette mesure provisionnelle, acquiert un intérêt direct et actuel à réclamer des dommages et à exercer une action en réparation civile et que ce droit d'action ne prend pas naissance seulement à compter du jugement rejetant la mesure provisionnelle (Sourdat, Traité de la responsabilité, vol. l, nos 383 et 385);
Considérant que celui qui intente l'action en dommages permise par l'article 893 C.P., sans attendre la décision finale sur le mérite de la mesure provisionnelle dirigée contre sa personne ou ses biens, le fait à ses risques et périls puisque le maintien de son action est subordonné au renvoi du recours extraordinaire dont il se plaint de même qu'à la preuve qu'il lui incombe d'établir l'absence de cause probable et raisonnable;
Considérant qu'il y a lieu alors à suspendre l'action en recouvrement de dommages jusqu'à adjudication finale sur le mérite de la mesure provisionnelle mais non pas au rejet de l'action en dommages comme prématurée ou non fondée en droit;
Considérant que le lien de droit entre les parties résulte du fait de la saisie arrêt avant jugement que le demandeur prétend avoir été illégalement et malicieusement pratiquée, ce qui donne ouverture immédiatement au recours en dommages tel qu'il veut l'exercer;»
(pp. 7-8)
[20] Dans André Gille c. Les placements Diar et al, le juge Gendreau indique :
«Lorsque le recours en est un pour abus de procédure, le délai de prescription de deux ans court normalement du jour où le jugement final est rendu (Lapierre c. Lessard, (1925) 38 B.R. 373).
Le seul arrêt de notre Cour qui s'est donc directement et effectivement prononcé sur la question est l'affaire Lapierre c. Lessard, (1925) 38 B.R. 373, parce qu'il s'agissait bien, en l'espèce, d'une poursuite basée sur un abus de droit et non sur la diffamation. Notre Cour a admis que le point de départ de la prescription était le jugement final, mais elle n'a jamais affirmé, pour autant, qu'une poursuite prise AVANT ce moment était nécessairement prématurée et devait être rejetée sur simple inscription en droit (maintenant requête en irrecevabilité)..
Derrière le problème de droit, se pose cependant, à mon avis, un second problème de politique judiciaire. On peut craindre, en effet, que dans certains cas, le recours en dommages procéde plus rapidement que celui sur la demande principale et qu'il puisse donc y avoir une potentialité de contradiction dans les jugements ou, du moins, que le juge saisi de l'action en dommages n'ait pas le bénéfice des constatations de fait de son collègue. C'était, mais dans le contexte d'une action en diffamation, le problème de l'affaire Transportation and Power Corp. c. Sweezey, (1930) 49 B.R. 432.
Il existe cependant des moyens de procédure efficaces pour y remédier (comme le signalait d'ailleurs M. le juge Létourneau en 1925 dans l'affaire Lapierre), dont la suspension du recours tant que le jugement final n'a pas été prononcé et la réunion des deux actions pour vider l'ensemble du litige en une seule et même fois (art. 270 et suiv. C.p.c.).
La chose est même souhaitable dans la plupart des cas, mais pas nécessairement, dans tous les cas. Le problème doit donc, à mon avis, se résoudre au niveau pratique des règles de fonctionnement du droit judiciaire. »
(les soulignés sont de la soussignée)
[21] Finalement, dans Bourque c. Bellemare:
«[4] Or, dans l'arrêt Bourassa c. Del Rio-Abarca, 2005 QCCA 389 (CanLII), J.E. 2005-860 (C.A.),une affaire présentant beaucoup d'analogie avec la présente affaire, voici comment la Cour s'est exprimée:
Le juge a accueilli la requête en irrecevabilité formée par les intimés et déclaré prescrite la requête de l’appelant en dommages-intérêts dans laquelle il reproche aux intimés d’avoir, en 1999, comploté ensemble de façon intentionnelle et délibérée pour que de fausses accusations soient portées contre lui.
[…]
Les reproches allégués par l’appelant dans sa déclaration, à savoir que les intimés avaient occasionné, par leurs mensonges, une poursuite abusive lui causant un préjudice disparaissaient si le jugement final le reconnaissait coupable. Dans ces circonstances, l’appelant a raison de soutenir qu’il a le droit de bénéficier de l’exception que la jurisprudence reconnaît quant à la suspension de la prescription qui s’applique en matière de procédure abusive.
Il n’aurait pas été pour autant prématuré d’intenter un recours avant la date du jugement final, mais le point de départ de la prescription court du jour où le jugement final est rendu lorsque le recours en dommages est non seulement un recours en diffamation mais également un recours pour abus de procédure.
(soulignements de la soussignée)
[5] Dans la présente affaire, l'appelant a été acquitté le 9 avril 2003 des accusations portées contre lui à la suite des plaintes de l'intimée et il a introduit sa requête introductive d'instance contre cette dernière le 7 avril 2004;
[6] Selon les principes retenus dans l'arrêt Bourassa c. Del Rio-Abarca, le recours n'était donc pas prescrit; »
[22] L'argument de Laval à l'effet que la prescription ne peut être interrompue au présente, parce que la base du recours est l'abus de pouvoir et la perquisition illégale, donc abus de procédure et non pas fausse accusation comme la jurisprudence le requiert est rejeté par le Tribunal dans la position explicitement décrite par la jurisprudence précitée;
[23] Quant aux dommages réclamés pour les maux de dos par madame et les dommages qui en découlent, le Tribunal les reconnaît comme dommages corporels pour lesquels la prescription est régie par l'article 2930 du Code civil du Québec;
(Emphase et soulignements de la juge Messier et références omises)
[57] Avec égard, le Tribunal souligne que les prétentions et les décisions versées à leur appui concernent des cas d’abus de procédures et non le type de dommages-intérêts réclamés ici par Pietrangelo.
[58] L’honorable Hélène Langlois, dans la décision précitée Engler-Stringer c. Montréal (Ville de)[9], rappelle les principes applicables suivant la théorie de l’impossibilité d’agir qui est susceptible de suspendre la prescription d’un recours. Le tout est basé sur les articles 2904 C.c.Q.
2904. La prescription ne court pas contre les personnes qui sont dans l'impossibilité en fait d'agir soit par elles-mêmes, soit en se faisant représenter par d'autres.
[59] Nous pouvons lire dans sa décision :
«[137] Quant à l'impossibilité d'agir susceptible de suspendre la prescription, la Cour suprême dans Oznaga c. Société d'exploitation des loteries, souligne que :
«…de façon générale les auteurs refusent de considérer l'ignorance, par le créancier, des faits juridiques générateurs de son droit, comme étant une impossibilité absolue en fait d'agir … Par ailleurs, on semble tout autant d'accord, et j'y souscris, pour reconnaître que l'ignorance des faits juridiques générateurs de son droit, lorsque cette ignorance résulte d'une faute du débiteur, est une impossibilité en fait d'agir prévue à l'article 2232 (maintenant 2904 C.c.Q.) et que le point de départ de la compilation des délais sera suspendue jusqu'à ce que le créancier ait eu connaissance de l'existence de son droit, en autant, ajouterais-je, qu'il se soit comporté avec la vigilance du bon père de famille.»
[138] Quelques années plus tard, le juge Gonthier, au nom de la Cour supérieure, dans Gauthier c. Beaumont, rappelle qu'«(A)u Québec, la doctrine et la jurisprudence soutiennent que la prescription est suspendue lorsque l’impossibilité d’agir résulte de la faute du débiteur de l’obligation […] Ceci n’est qu’une expression de la règle contra non valentem agere qui reflète un principe de justice fondamentale exprimé aussi par la théorie de l’abus de droit, la maxime fraus omnia corrumpit, et le précepte moral voulant que l’on ne doive pas tirer profit de sa mauvaise foi ou de ses mauvaises actions»
[139] En résumé, «Les victimes doivent faire preuve d'une diligence raisonnable dans la recherche des faits, sans toutefois devoir poursuivre sur la base de simples soupçons. Décider autrement reviendrait à laisser à la seule initiative du demandeur la date marquant la fin de la suspension de la prescription.».
[140] Or, dès le 28 juillet 2003, la requérante connaît les faits générateurs de son droit d'action; elle n'allègue aucun obstacle ou fait fautif relevant de l'intimée ayant pu entraîner chez elle une impossibilité d'agir et tel qu'énoncé préalablement, une poursuite pour arrestation et détention abusives, même jointe à un recours pour procédure abusive, ne bénéficie pas de la suspension de la prescription applicable à l'égard de ce dernier recours.»
(Références omises)
[60] C’est donc dire que les dispositions légales applicables de même que leur interprétation jurisprudentielle soutiennent que la prescription est suspendue lorsque l’impossibilité d’agir résulte de la faute du débiteur de l’obligation.
[61] Il faut ajouter à cela que les victimes doivent cependant agir de bonne foi et avec une diligence raisonnable.
[62] Une victime ne peut être passive et n’effectuer aucune recherche de faits dans le simple espoir d’alléguer éventuellement qu’elle a été dans l’impossibilité d’agir.
[63] En l’espèce, tous les faits générateurs des dommages réclamés par Pietrangelo sont ceux du 25 juin 2013. Il ne se passe rien de particulier, de dommageable ou de reprochable par la suite.
[64] C’est donc dire que dès le 25 juin 2013, Pietrangelo connaît les faits générateurs de son droit d’action.
[65] Le Tribunal conclut qu’il n’y aucun obstacle ou fait fautif de la Ville de Repentigny ayant pu entraîner chez Pietrangelo une impossibilité d’agir.
[66] Une réclamation en dommages-intérêts pour arrestation ou détention illégale ne bénéficie pas d’une suspension de la prescription en pareilles circonstances. Sur cette base également, le Tribunal conclut que le recours est prescrit.
[67] Mais il y a plus. Pietrangelo a écrit et signifié une requête en exclusion de la preuve dans le cadre du dossier où des accusations criminelles avaient été portées contre lui (dossier 705-01-080780-135). Il y a demandé l’exclusion de la preuve en vertu des articles 7, 8, 9, 10, 10 b) et 24 (2) de la Charte. Ce document a été mis en preuve en l’instance (P-2) et nous pouvons y lire :
«17. Le requérant soutient que son droit à la protection contre la détention et l'emprisonnement arbitraire en vertu de l'article 9 de la Charte canadienne des droits et libertés (la «Charte») a été violé pour les motifs suivants et, sans restreindre la généralité de ce qui précède, le requérant soumet ce qui suit :
17.1 Suite à son interception par les policiers, le requérant s'est trouvé détenu au sens des articles 9 et 10 de la Charte et redéfinie et précisée dans l'arrêt Grant et résumé de la manière suivante :
«La détention visée aux article 9 et 10 de la Charte s'entend de la suspension du droit à la liberté d'une personne par suite d'une contrainte physique ou psychologique considérable. Il y a détention psychologique quand l'individu est légalement tenu d'obtempérer à une demande contraignante ou à une sommation, ou quand une personne raisonnable conclurait, compte tenu de la conduite de l'État, qu'elle n'a d'autre choix que d'obtempérer.»
Référence : R. c. Grant, 2009 CSC 32, par. 44.
17.2 Considérant que l'interception initiale du requérant a été faite strictement dans le cadre d'une enquête criminelle pour introduction par effraction et que les policiers n'intervenaient pas en se fondant sur l'article 636 du Code de la sécurité routière, ni en vertu d'un pouvoir de common law, ils se retrouvaient donc dans une situation où le requérant était détenu pour fins d'enquête;
17.3 En vertu des principes énoncés dans l'arrêt Suberu, les policiers avaient dès lors une obligation d'informer le requérant de son droit à l'assistance d'un avocat garanti par l'article 10b) de la Charte dès le début de la détention à des fins d'enquête :
«(…) à partir du moment où une personne est détenue, l'al. 10b) s'applique et, comme le prescrit cette disposition, les policiers sont tenus d'informer cette personne « sans délais » de son droit à l'assistance d'un avocat.»
Référence: R. c. Suberu, 2009 CSC 33, par. 2.
17.4 L'expression «sans délais» figurant à l'alinéa 10b) doit être interprétée comme signifiant «immédiatement», à ce sujet la Cour suprême mentionne :
«Dès le début de la détention, le détenu se trouve dans un état de vulnérabilité face à l'État. Par conséquent, les problèmes de l'auto- incrimination et de l'entrave à la liberté auxquels l'al. 10b) tente de répondre se posent dès la mise en détention. Si l'on veut protéger une personne contre le risque d'auto-incrimination auquel elle est exposée du fait que l'État la prive de sa liberté et l'aider à recouvrer sa liberté, il est tout à fait logique que l'expression "sans délai" doive être interprétée comme signifiant "immédiatement". Pour que le droit à l'assistance d'un avocat, garanti par l'al. 10b), atteigne son objectif qui consiste à atténuer le désavantage et le risque juridiques découlant de la mise en détention et à aider les détenus à recouvrer leur liberté, les policiers doivent les informer immédiatement de leur droit à l'assistance d'un avocat, dès la mise en détention.»
Référence : R. c. Suberu, 2009 CSC 33, par. 41.
17.5 En l'absence d'information immédiate quant à ses droits, le requérant s'incriminait en répondant aux questions posées par le policier, n'ayant pas eu l'occasion de consulter un avocat auparavant pour savoir s'il devait y répondre ou non;
17.6 Dans les circonstances de la présente affaire, le requérant étant donc détenu arbitrairement, il a subit également une violation puisqu'il n'a pas été informé dès le début de la détention de son droit à l'assistance d'un avocat;
17.7
Tous les éléments de preuve obtenus dans le cadre de cette détention
illégale doivent être exclus en vertu du paragraphe 24(2) de la Charte;
17.8 II en va de même des échantillons d'haleine fournis puisque cette preuve découle des violations précédentes et qu'il s'agit d'une perquisition sans motif, sans autorisation et non fondée sur la loi, donc abusive et contraire à l'article 8 de la Charte.
18. À la lumière de l'ensemble des circonstances et du droit applicable, le requérant soutient que les éléments de preuve ont été obtenus dans des conditions portant atteinte à ses droits et libertés garantis par la Charte et que leur admission est susceptible de déconsidérer l'administration de la justice;»
[68] À la lecture de cette requête en exclusion de la preuve, il saute aux yeux que Pietrangelo connait très bien l’étendue de ses préjudices et des dommages qu’il allègue avoir subi.
[69] Subsidiairement, c’est donc dire qu’il connaissait tous les éléments de son recours en responsabilité civile dès la signature de cette requête. Suivant les principes de la prescription de six mois, le délai se terminait donc le 20 août 2015.
[70] Le présent recours pour arrestation et détention abusives a été introduit le 15 octobre 2015 donc, une fois de plus, à l’extérieur des délais de prescription applicables.
[71] Le Tribunal, avec respect, ne peut cautionner la thèse voulant que les dommages de Pietrangelo se soient consolidés uniquement après son acquittement.
[72] Si des dommages existaient, ceux-ci tirent leur origine à compter de la faute génératrice de droit par les policiers de la Ville de Repentigny. Leur intervention est bien circonscrite dans le temps le 25 juin 2013.
[73] L’acquittement ou l’arrêt des procédures contre Pietrangelo ne peut être générateur de droits supplémentaires pour Pietrangelo. Lorsqu’une personne prétend avoir fait l’objet d’une arrestation ou d’une détention abusive de la part des policiers et que cela lui cause des dommages moraux, ceux-ci ne sont pas plus graves ou plus importants du fait qu’il y aura éventuellement acquittement.
[74] La faute n’est pas l’acquittement, mais bien les faits et gestes des policiers lors de l’événement initial.
[75] Une personne placée en pareilles circonstances qui fait l’objet d’un acquittement ou d’un arrêt des procédures ne peut certes pas être négativement affectée par l’arrêt des procédures ou l’acquittement. Bien au contraire, le Tribunal estime que ce ne sera qu’un baume ou une demi-réparation pour les dommages qu’il estime avoir subis.
[76] Une personne qui bénéficie de l’arrêt des procédures ou d’un acquittement pourrait éventuellement inclure ce nouvel élément à sa procédure déjà introduite dans les six mois.
[77] Pietrangelo pouvait très bien, dans les six mois de l’arrestation, déposer son recours. Rien ne l’y empêchait.
[78] Au surplus, il aurait pu, si un arrêt des procédures ou l’acquittement était un élément important pour son recours civil, amender ses procédures, le cas échéant, ou le faire valoir lors de l’instruction.
[79] Il n’était pas nécessaire pour lui d’attendre l’issue de son recours criminel pour décider de poursuivre en dommages-intérêts la Ville s’il estimait avoir été lésé.
[80] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[81] ACCUEILLE le moyen préliminaire d’irrecevabilité de la Ville de Repentigny.
REJETTE la requête introductive d’instance.
[82] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ DENIS LE RESTE, J.C.Q. |
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Me Michel Lachance |
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Avocat du demandeur |
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Me Audrée St-Onge Marceau |
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BÉLANGER SAUVÉ |
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Avocate de la défenderesse |
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Date d’audience : |
2 décembre 2015 |
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[1] L'emploi des noms de famille vise à alléger le texte pour plus de clarté et ne doit pas être vu comme un manque de courtoisie ou de respect envers les parties et autres intervenants au litige.
[2] 2002 C.S.C. 62 CanLII
[3] Andrusiak c. Montréal (Ville), 2004 CanLII 32989 (QC CA)
[4] 2004 CanLII 32991 (QC CA)
[5] 2001 CanLII 5104 (QC CQ)
[6] 2012 QCCS 4413
[7] 2013 QCCA 707
[8] 2009 QCCQ 1216
[9] Préc. note 6.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.