DÉCISION
[1] Le 21 février 2001, madame Ghislaine Jean (la travailleuse) dépose une requête à la Commission des lésions professionnelles par laquelle elle conteste une décision rendue le 13 février 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST), à la suite d’une révision administrative.
[2] Par cette décision en révision administrative, la CSST suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (la loi), au motif que madame Jean a transmis des renseignements inexacts concernant son état de santé.
[3] À l’audience tenue devant la Commission des lésions professionnelles, la travailleuse était présente et représentée. Manufacture de bijoux Keyes (l’employeur) ayant fermé ses portes, il n’était ni présent ni représenté. La CSST était représentée.
L'OBJET DE LA CONTESTATION
[4] Madame Jean demande à la Commission des lésions professionnelles de modifier la décision rendue par la CSST, de reconnaître qu’elle n’avait pas transmis de renseignements inexacts et que la CSST ne pouvait suspendre, pour ce motif, le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
LES FAITS
[5] Le 6 septembre 1994, madame Jean a subi un accident du travail en soulevant des gallons de peinture chez son employeur. Elle s’inflige une entorse lombaire.
[6] La travailleuse reçoit des traitements de physiothérapie qui n’apportent pas d’amélioration. Elle est référée en physiatrie et reçoit des blocs facettaires qui n’apportent pas non plus d’amélioration.
[7] Une résonance magnétique pratiquée le 23 mai 1995 démontre une hernie foraminale L4-L5 gauche et une hernie postéro-médiane à l’espace L5-S1.
[8] Une seconde résonance magnétique faite le 5 octobre 1995 de la colonne dorsale cette fois, révèle la présence d’un disque cicatriciel au niveau D11-D12.
[9] Madame Jean subit une discoïdectomie le 24 septembre 1996.
[10] D’après une étude électromyographique, la travailleuse présente une atteinte segmentaire L5 ou S1 gauche du rachis lombaire.
[11] Madame Jean est référée à l’Institut de réadaptation de Montréal pour une douleur post-discoïdectomie.
[12] Il ressort de ce suivi en ergothérapie que la travailleuse souffre de douleurs constantes. L’ergothérapeute suggère différentes aides techniques, dont l’achat d’un lit électrique.
[13] Le 18 octobre 1999, madame Jean subi une seconde intervention chirurgicale pour une pachyméningite L4-L5 gauche et L5-S1 gauche.
[14] Le 14 février 2000, le dossier de madame Jean à la CSST est transféré au service de la réadaptation pour une intervention précoce étant donné que la lésion professionnelle n’est toujours pas consolidée médicalement.
[15] Le 22 février 2000, la travailleuse se rend à la CSST pour y rencontrer madame Sylvie Lavoie, conseillère en réadaptation. La durée de cette entrevue est d’une heure et demie. Les informations recueillies par la conseillère au cours de cette entrevue se résument de la manière suivante. Madame Jean présente des douleurs constantes qui l’empêchent de dormir. Ses activités se résument à un peu de couture le jour, des mots croisés et des casse-têtes. Durant la saison estivale, elle s’installe dans une roulotte à Joliette dans un camping où elle peut s’occuper de ses fleurs de temps à autre. Au plan social, madame Jean et son conjoint, qu’elle décrit comme étant très actif, n’ont pas beaucoup de loisirs. Son conjoint, sa mère et son beau-père l’aident à faire les courses. Au plan de la médication, madame Jean prend de la morphine depuis 2 à 3 ans, ce qui présente des difficultés. Elle se dit incapable de cesser même si elle croit, et c’est l’avis de son médecin, qu’elle le devrait. Madame Jean croit qu’elle aurait besoin d’une aide psychologique. La conseillère l’informe que cette démarche pourrait être supportée par la CSST mais madame Jean ne se dit pas encore prête. En terminant, la travailleuse informe sa conseillère qu’elle déménagera cet été.
[16] Le 29 février 2000, madame Lavoie croise par hasard madame Jean dans l’autobus 27, rue St-Joseph, vers 8 h 45 le matin et relate cette rencontre dans les notes évolutives du dossier. Madame Lavoie a constaté que la travailleuse était très mal à l’aise et se justifiait d’être dans l’autobus, disant qu’elle ne prenait jamais le transport en commun habituellement. Pour mieux comprendre l’attention accordée à cette rencontre, il faut souligner que le 15 février 2000, la travailleuse disait à sa conseillère en réadaptation qu’elle ne pouvait prendre le transport en commun pour se rendre à la CSST.
[17] Il est aussi utile de mentionner qu’au cours de cette rencontre dans l’autobus, la travailleuse a informé madame Lavoie qu’elle avait trouvé une psychologue, madame Francine Dionne.
[18] Le 1er mars 2000, madame Lavoie écrit au dossier qu’il y a eu une formation d’un comité multidisciplinaire ce jour-là et qu’il a été convenu que si la travailleuse démontre certaines capacités, il sera davantage possible de cheminer dans le sens d’un retour au travail.
[19] Dans un document intitulé « mandat d’enquête » maintes fois demandé par le représentant de la travailleuse mais déposé à l’audience seulement, on peut lire qu’en date du 3 mai 2000 un mandat d’enquête est confié. Les motifs de la demande se rapportent à la rencontre dans l’autobus, laquelle rencontre contredit l’affirmation antérieure de la travailleuse à l’effet qu’elle n’utilise pas le transport en commun en raison de sa condition médicale.
[20] Le 2 mai 2000, madame Francine Dionne, psychologue, rédige un rapport après avoir rencontré la travailleuse à quatre reprises au cours desquelles cette dernière se serait montrée présente, ponctuelle et coopérante. Madame Dionne note que la travailleuse a des comportements algiques et antalgiques, qu’elle se déplace en taxi ou avec son conjoint qui vient la reconduire. Il est aussi intéressant de noter que la travailleuse entrevoyait son été de manière positive lorsqu’elle parlait de son séjour prochain, comme tous les étés, au camping de Joliette. Elle y voyait la possibilité d’y retrouver un voisinage cordial et des activités quotidiennes qui nécessitent peu de déplacements. Elle entrevoit aussi positivement son déménagement prochain dans un nouveau logement situé au premier étage, à proximité d’un parc et des commerces utiles à l’aménagement de son quotidien. En conclusion, madame Dionne est d’avis que la travailleuse souffre d’un syndrome de douleur chronique sur lequel ne se greffe pas d’état dépressif. Toutefois, à ce tableau clinique, précise madame Dionne, s’ajoute à une personnalité de nature passive-agressive. Dans un pareil cas, l’intervention psychologique a pour but d’aider la personne à mieux gérer ses réactions émotives et comportementales face à la douleur chronique et aux inévitables demandes d’aide inhérentes à sa condition actuelle.
[21] Le 19 juillet 2000, à la suite de la réception du rapport d’enquête dont le contenu sera repris en détail, la CSST décide que les capacités de la travailleuse sont plus grandes que ce qu’elle veut bien laisser croire. Selon les observations faites à partir du visionnement de la bande vidéo, la CSST conclut qu’il y a discordance entre les difficultés énoncées par la travailleuse et ce qu’il est possible de constater. La conseillère écrit que même s’ils sont conscients que madame Jean n’est pas en pleine forme, elle peut tout de même faire des choses et n’est probablement pas aussi invalidée que ce qu’ils avaient cru.
[22] Les enquêteurs de la compagnie Keyfacts Canada inc. concluent que madame Jean se délace normalement sans aide, sans difficulté apparente.
[23] Madame Jean a été observée les 8, 11, 12, 19 mai 2000. Elle a été observée au cours de son déménagement les 22 et 23 juin 2000. Et finalement, elle a été observée au camping de Joliette les 27 et 28 juillet 2000.
[24] Les membres du tribunal ont visionné à l’audience l’intégralité des bandes vidéo produites par les enquêteurs en présence de la travailleuse.
[25] Quant au rapport écrit, il est possible d’en résumer les constatations comme suit :
8 mai 2000 :
La travailleuse n’a pu être observée.
11 mai 2000 :
La travailleuse est vue à 11 h 50 le matin en train de gravir les marches d’escalier pour se rendre à son domicile. Elle tient à la main un sac de plastique et son sac à main. Elle entre dans son domicile et ne réapparaît que furtivement dans la porte pour prendre son courrier à 15 h 09.
Elle sort du domicile à 17 h 21 et marche, selon l’enquêteur, d’un pas déterminé sans difficulté apparente. La travailleuse disparaît avant de se rendre au boulevard Pie IX, sans qu’il soit possible pour les enquêteurs de savoir où.
12 mai 2000 :
À 19 h 29, la travailleuse sort du domicile et prend place dans le véhicule avec son conjoint et ils se rendent au restaurant St-Hubert.
À 19 h 34, ils entrent dans le restaurant et en ressortent à 20 h 40. Ils sont observés durant le repas et la travailleuse se lève une fois pendant 10 secondes. L’enquêteur écrit qu’elle se déplace normalement sans difficulté.
À 20 h 45 ils arrivent en véhicule au magasin Maxi. Le conjoint pousse le chariot alors que la travailleuse dépose les articles dans le panier. À 21 h 00, la travailleuse vide elle-même le panier à la caisse. Elle se penche sans difficulté apparente. Le conjoint met les denrées dans les sacs de plastique et la travailleuse place les sacs dans le panier poussé ensuite par le conjoint jusqu’au véhicule. C’est lui qui place les sacs dans le véhicule.
À 21 h 13 ils arrivent au domicile. Le conjoint vide seul la camionnette et la travailleuse entre dans la maison rapidement.
19 mai 2000 :
À 19 h 23, le conjoint sort seul deux valises dont une glacière et les place dans le véhicule. À 19 h 28, la travailleuse sort du domicile avec le chat dans ses bras alors que son conjoint tient son sac à main. La travailleuse monte à bord du véhicule pour se rendre au camping Nadeau. Avant de prendre la route, ils arrêtent au dépanneur où la travailleuse sort du véhicule, entre dans le dépanneur et en ressort deux minutes après avec un billet de loterie dans la main. Ils se rendent ensuite au marché d’alimentation Métro. Le conjoint pousse le chariot dans les allées, la travailleuse dépose les items dans le chariot. C’est le conjoint qui emballe les denrées, les remet dans le panier, pousse le panier vers le véhicule et charge le véhicule. Ils quittent à 20 h 13 pour arriver au camping à 21 h 15, pour une durée d’une heure.
22 juin 2000 :
À 18 h 23, la travailleuse sort de chez elle et prend place dans le véhicule avec son conjoint. Elle n’a rien dans les mains. Ils se rendent au restaurant St-Hubert. Elle y reste une heure. Quand elle sort du restaurant, il pleut abondamment et elle ne court pas pour se rendre au véhicule. Ils retournent à la maison pour en ressortir quelques minutes plus tard. Le conjoint transporte une boîte alors que la travailleuse n’a rien dans les mains.Ils se rendent au dépanneur et reviennent à la maison. La travailleuse transporte un petit sac et le conjoint transporte des boîtes.
23 juin 2000 :
À 6 h 42, la travailleuse sort de chez elle et transporte son chat dans le véhicule. Ils partent vers le nouveau logement. Elle sort son chat en laisse du véhicule. Le conjoint décharge seul le contenu du véhicule. À 9 h 08, la travailleuse sort et discute avec une voisine, sans doute la propriétaire, pendant une minute et retourne à l’intérieur avec un répertoire téléphonique. Elle ressort quelques minutes pour redonner ce livre et parle avec la propriétaire à l’extérieur durant 26 minutes. Durant ce temps, la travailleuse se frotte le dos comme si elle indiquait à quel endroit elle a des douleurs au dos.
À 13 h 15 le conjoint décharge seul la camionnette. Le camion de déménagement arrive sur les lieux et le déchargement est fait par trois individus. Le conjoint replace deux portes avant. La travailleuse soutient la porte extérieure pendant que son conjoint remet les pentures et elle soutient la porte.
À 17 h 35, ils se rendent à la banque et ensuite à leur ancien logement. Ils saluent des voisins. Le conjoint transporte seul des boîtes. À 18 h 11 elle ressort de son ancien logement avec une horloge murale dans les mains. Elle s’installe dans le véhicule et ils partent à leur nouveau domicile. Le conjoint décharge seul la camionnette.
27 juillet 2000 :
À 10 h 05, la travailleuse sort de la roulotte et manipule certains plants de fleurs. À 10 h 08 elle entre à l’intérieur pour ressortir à 10 h 38. Elle parle avec une voisine durant 10 minutes. Elle discute encore durant trois minutes avec un voisin et son conjoint. Elle retourne à l’intérieur à 10 h 55 et en ressort à 11 h 31 avec son conjoint. Ils prennent la voiture et se rendent au dépanneur. Elle ressort du dépanneur quelques minutes plus tard avec rien dans les mains. Ils font ensuite escale à la banque. Ils vont chez Maxi. Elle fait la sélection des produits dans les allées alors que son conjoint pousse le chariot. La travailleuse pousse le chariot à l’extérieur mais c’est le conjoint qui le décharge. Ils arrêtent ensuite au magasin l’Équipeur où elle ressort avec rien dans les mains. Autre escale dans un magasin où la travailleuse ressort avec un sac moyen qu’elle tient avec précaution et le met dans la voiture. Le conjoint décharge seul le véhicule alors que la travailleuse est entrée à l’intérieur de la roulotte. La travailleuse est ensuite observée jasant assise avec des voisins pendant deux heures.
28 juillet 2000 :
Elle sort quelques minutes avec son conjoint et entre à l’intérieur. À 11 h 05, elle se penche dans un angle de 45° pour écrire sur un bout de carton dans le véhicule et l’apporte avec elle. Son conjoint arrive avec une bicyclette et la place sur la clôture pour que la travailleuse la nettoie. Le conjoint arrive avec une seconde bicyclette que la travailleuse nettoie. La travailleuse arrose ses plantes. Elle passe le balai sur le pavé devant la maison. Elle soulève un pot de fleur les bras en haut des épaules. À 11 h 24, elle entre à l’intérieur.
À 13 h 17 la travailleuse sort près de la clôture où se trouve les deux bicyclettes à vendre. Un homme achète une bicyclette. Durant l’après-midi, la travailleuse est demeurée à l’intérieur.
[26] Le 6 septembre 2000, la conseillère en réadaptation, l’agente d’indemnisation et le médecin régional de la CSST visionnent la bande vidéo. Selon le docteur Allaire, le diagnostic de pachyméningite ne fait nul doute. Toutefois, selon la dernière résonance magnétique, la hernie démontrée au niveau L4-L5 est légère et ne nécessite aucune opération. Selon lui, il est possible que la travailleuse soit souffrante bien qu’il semble, en même temps, qu’elle ait des capacités. Cela semble être une nuance à faire selon la conseillère.
[27] Le 7 septembre 2000, la conseillère en réadaptation rencontre la travailleuse avec son représentant et l’agente d’indemnisation. La travailleuse dit que ses douleurs sont les mêmes qu’avant son opération. Elle dit « traîner de la patte », marcher plus lentement et que c’est pire lorsqu’elle monte les escaliers. Elle doit parfois arrêter au milieu, prendre une pause. Elle dit aller très rarement dans des restaurants et uniquement dans un restaurant rapide. Aux questions posées par sa conseillère, elle dit rester debout une dizaine de minutes après quoi elle doit s’asseoir. Elle dit ne pas faire d’entretien ménager tel que la vadrouille, le balai et l’aspirateur. Toutefois, elle peut épousseter, laver les miroirs, faire la vaisselle et la lessive. Elle ne fait pas de ménage de ce qui est situé en haut de ses yeux ou elle peut peut-être y aller mais assez rapidement. Quant aux courses, elle dit ne pas y aller la moitié du temps. Lorsqu’elle y va, elle peut s’appuyer sur le panier.
[28] Au cours de cette entrevue, les bandes vidéo lui sont ensuite montrées. La CSST conclut qu’il y a discordance et suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu.
[29] Le 13 août 2001, la travailleuse rencontre une ergothérapeute à la demande de son représentant. Selon le résultat à certains tests, madame Dagenais écrit que la travailleuse perçoit sa douleur et ses incapacités de façon anormalement élevée. Elle note que la travailleuse a offert une bonne collaboration tout au long de l’évaluation. Au plan subjectif, elle conclut que madame Jean présente un syndrome douloureux important constant et des signes de détresse psychologique face à sa condition et objectivement qu’elle présente une diminution de la mobilité du tronc, une diminution de la tolérance à la marche et une tolérance assise ou debout de 25 minutes.
[30] Le 22 août 2001, le docteur Duranleau, physiatre à l’Institut de réadaptation de Montréal, écrit la lettre suivante au représentant de la travailleuse :
« Nous avons pris connaissance du rapport de la clinique médicale Physergo du Sud-ouest. À voir l’évaluation des capacités de travail pour Mme Ghislaine Jean et après avoir eu le rapport et l’analyse des résultats, nous croyons qu’il est très peu envisageable que Mme Jean puisse maintenir un emploi de façon suffisante pour un employeur et d’effectuer un travail de type rémunérateur. »
[31] Madame Caroline Lacroix, ergothérapeute, a pris connaissance des cassettes vidéo et du rapport d’enquête. Madame St-Jean ne s’est toutefois pas présentée pour une évaluation comparative. L’analyse est donc faite seulement à partir du rapport d’enquête. Les observations sont que madame Jean a un patron de marche sans particularité et que les mouvements sont effectués avec aisance sans boiterie. Au camping, madame accomplit un accroupissement et une flexion antérieure du tronc sans hésitation. Dans les escaliers, aucun appui et aucune pause n’est nécessaire.
[32] Le 5 février 2001, le docteur Duranleau produit un rapport d’évaluation médicale, bien que la lésion n’est pas consolidée médicalement. Il s’agit d’une évaluation provisoire.
[33] Le 12 janvier 2001, le docteur Duranleau écrit au docteur Allaire de la CSST la lettre suivante :
« Vidéo visionné. Patiente vue. Démarche moins rapide. Ne soulève aucun objet lourd. Se penche parfois vers l’avant mais rarement sur de courtes périodes. Demeure en position debout sur de courtes périodes. Il est à noter que la patiente fait quelques activités supplémentaires avec des timbres cutanés de Duragesic 50 ug\timbre ce qui équivaut à 200 mg de morphine de plus que sa dose de narcotiques habituelle ce qui diminue la douleur. La position debout est préférée par rapport à la position assise car pression intra-discale debout moindre que pression intra-discale assise. Donc cette patiente est plus capable d’endurer la position debout.
Pour connaître où sont les générateurs douloureux principaux, nous demandons une discographie thoracique D11-D12 ainsi qu’une discographie L3-L4, L4-L5 et L5-S1.
Nous pensons que cette patiente est incapable d’effectuer un travail rémunérateur. »
[34] Lors du visionnement à l’audience des cassettes vidéo, la soussignée a constaté que la travailleuse se déplace plutôt lentement. On peut la voir se pencher mais de manière occasionnelle. Lorsqu’elle fait l’épicerie, son conjoint pousse le chariot, transporte les sacs et les place dans la voiture. La travailleuse ne transporte jamais rien même dans un déménagement. Elle se rend dans un restaurant à deux reprises et il s’agit d’un St-Hubert.
[35] La travailleuse a témoigné à l’audience. Elle réitère avoir des douleurs constantes. Elle est mieux certains jours. Elle prend une médication dont des timbres qui peuvent faire effet pendant 72 heures. Lorsqu’elle prévoit rester assise plus longtemps, faire de la route ou faire plus d’activités, elle prend ce timbre qui fait effet et l’aide à faire plus de choses. Elle fait certaines activités, tel que l’épicerie ou aller au restaurant si son dos va bien. Elle dit ne plus faire d’activités sociales avec son conjoint. Quant au camping, c’est ce qu’elle aime le mieux faire. Le fait de se retrouver dans la nature lui fait beaucoup de bien. Elle arrose ses fleurs si elle se sent bien et se repose quotidiennement.
[36] En contre-interrogatoire, la travailleuse dit avoir pris l’autobus exceptionnellement le 29 février 2000 car un ami était en détresse et elle devait se rendre à son domicile d’urgence. Normalement, elle dit ne jamais prendre le transport en commun.
[37] Le représentant de la travailleuse est d’avis que la CSST ne disposait d’aucun élément lui permettant de faire une enquête. Il invoque à cet effet une décision de la Cour d’appel dans Le syndicat des travailleurs (euses) de Bridgestone Firestone de Joliette et Trudeau et Bridgestone Firestone Canada Inc.[2] dans laquelle on fait état des principes applicables. Selon le représentant de la travailleuse, la CSST n’avait pas de motifs sérieux pour entreprendre une filature. Il demande donc à la Commission des lésions professionnelles d’écarter ce moyen de preuve.
[38] Si la Commission des lésions professionnelles admettait en preuve le rapport d’enquête, le représentant de la travailleuse est d’avis que celui-ci ne contredit pas les informations données par la travailleuse et que celle-ci n’a jamais fourni des renseignements inexacts. Il s’insurge aussi contre le fait que malgré de nombreuses demandes et preuves, la CSST n’ait jamais mis fin à cette mesure.
[39] Au contraire, la représentante de la CSST est d’avis qu’il y avait des circonstances qui permettaient à la CSST de demander une enquête. Le dossier est complexe et la travailleuse reçoit des indemnités depuis 1994. Même si la CSST ne nie pas la condition médicale objective de la travailleuse, elle est d’avis que celle-ci sous-estime ses capacités et que de ce fait, elle induit la CSST en erreur.
[40] Selon la représentante de la CSST, les faits démontrés au rapport d’enquête permettaient la suspension de l’indemnité.
L'AVIS DES MEMBRES
[41] Le membre issu des associations d’employeur estime que la CSST était justifiée de confier un mandat d’enquête concernant la travailleuse, en raison des faits rapportés aux notes évolutives et au mandat d’enquête. La CSST avait assez de motifs pour croire que la travailleuse avait des capacités résiduelles supérieures à celles recueillies lors des entrevues avec elle, notamment en ce qui concerne l’utilisation du transport en commun et ses activités de la vie quotidienne.
[42] Toutefois, malgré les exagérations évidentes de la travailleuse lors de son témoignage et de certaines contradictions, les vidéo ne montrent pas de façon suffisamment claire que la travailleuse possédait des capacités résiduelles très différentes de celles révélées à la CSST. De toute manière, ces images ne sont pas suffisamment convainquantes pour justifier l’application de l’article 142 de la loi et de cesser le versement des indemnités.
[43] Le membre issu des associations syndicales estime aussi que la CSST pouvait donner un mandat d’enquête dans les circonstances du dossier. De plus, l’exécution de la surveillance n’est pas abusive et ne porte pas atteinte à la dignité de la travailleuse.
[44] Toutefois, elle estime aussi que les images recueillies ne permettaient ni ne justifiaient la décision prise par la CSST. Il n’y a pas de discordances importantes entre les dires de la travailleuses et les images recueillies. La travailleuse n’est jamais vue en train de transporter des charges, ou d’accomplir des activités qui démontrent une plus grande activité quotidienne que ce qu’elle en dit. Au contraire, les activités vues au vidéo concordent plutôt avec les dires de la travailleuse. Il y donc lieu de modifier la décision et de rétablir le versement des indemnités de remplacement du revenu à compter de la date de la suspension.
LES MOTIFS DE LA DÉCISION
[45] La Commission des lésions professionnelles doit déterminer si la CSST pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 7 septembre 2000 en vertu de l’article 142 de la loi au motif que la travailleuse a fourni des renseignements inexacts à la CSST.
[46] L’article 142 de la loi se lit comme suit :
142. La Commission peut réduire ou suspendre le paiement d'une indemnité :
1 si le bénéficiaire :
a) fournit des renseignements inexacts;
b) refuse ou néglige de fournir les renseignements qu'elle requiert ou de donner l'autorisation nécessaire pour leur obtention;
2 si le travailleur, sans raison valable :
a)entrave un examen médical prévu par la présente loi ou omet ou refuse de se soumettre à un tel examen, sauf s'il s'agit d'un examen qui, de l'avis du médecin qui en a charge, présente habituellement un danger grave;
b)pose un acte qui, selon le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, selon un membre du Bureau d'évaluation médicale, empêche ou retarde sa guérison;
c) omet ou refuse de se soumettre à un traitement médical reconnu, autre qu'une intervention chirurgicale, que le médecin qui en a charge ou, s'il y a contestation, un membre du Bureau d'évaluation médicale, estime nécessaire dans l'intérêt du travailleur;
d)omet ou refuse de se prévaloir des mesures de réadaptation que prévoit son plan individualisé de réadaptation;
e) omet ou refuse de faire le travail que son employeur lui assigne temporairement et qu'il est tenu de faire conformément à l'article 179, alors que son employeur lui verse ou offre de lui verser le salaire et les avantages visés dans l'article 180;
f) omet ou refuse d'informer son employeur conformément à l'article 274.
________
1985, c. 6, a. 142; 1992, c. 11, a. 7.
[47] La CSST a pris cette décision après avoir donné un mandat d’enquête à une firme privée qui a procédé à une filature de la travailleuse. Avant d’examiner si la preuve recueillie lors de cette enquête était suffisante pour justifier la décision, il y a lieu de répondre à l’objection du représentant de la travailleuse quant à la recevabilité de cette preuve, lequel considère que la CSST ne disposait pas de motifs sérieux pour demander une enquête.
[48] La Cour d’appel rappelait dans la cause Bridgestone, précédemment citée, que bien que comportant une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l’extérieur de l’établissement de l’employeur peut être admise si elle est justifiée par des motifs sérieux et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la Charte québécoise. Au plan du choix des moyens, la Cour d’appel rappelait que la mesure de surveillance devait apparaître comme étant nécessaire pour vérifier le comportement de la personne visée et cette surveillance devait être menée de la manière la moins intruse possible eu égard au droit à la vie privée.[3]
[49] Dans la cause Duguay c. Plante[4],déposée par la représentante de la CSST, le juge Guthrie tenait les propos suivants concernant l’intérêt de la CSST à demander une filature :
« [34] L’intérêt qu’a la CSST à contrôler le respect de la Loi doit être soupesé en fonction du droit des particuliers à la protection de leur vie privée. Le travailleur victime d’une lésion professionnelle a droit à une indemnité de remplacement du revenu. Cependant, il doit informer sans délai la CSST de tout changement dans sa situation qui peut influer sur son droit de recevoir cette indemnité. Le succès du régime prévu par la Loi dépend de l’honnêteté et de l’intégrité des travailleurs. Bien qu’il ne fasse pas de doute que la plupart des travailleurs respectent le régime et s’y conforment, c’est un fait que certains travailleurs tentent d’en tirer profit et de recevoir des indemnités auxquelles ils n’ont pas droit. Il existe un équilibre parfois fragile entre les droits individuels et les intérêts de la société. La portée d’une garantie constitutionnelle, tout comme l’équilibrage des droits collectifs et individuels qui la sous-tend, varie en fonction du contexte. La filature et la surveillance, ou leur spectre, surtout si elles sont pratiquées à l’improviste, constituent un moyen pragmatique d’inciter au respect de la loi. »
[50] Dans le présent cas, la Commission des lésions professionnelles est d’avis que la CSST était justifiée de demander une enquête. D’une part, la travailleuse est en arrêt de travail depuis 1994 pour ce qui semble au départ un fait accidentel relativement banal. La travailleuse a subi deux interventions chirurgicales dont la relation avec le fait accidentel initial n’a jamais été remis en cause par la CSST. Quoiqu’il en soit, l’importance de la symptomatologie alléguée peut apparaître surprenante eu égard au fait accidentel initial. De plus, la travailleuse se décrit comme une personne qui présente des capacités assez diminuées.
[51] Dans un tel contexte, la rencontre dans l’autobus avec la conseillère en réadaptation alors que la travailleuse disait justement ne jamais prendre le transport en commun et avait même réclamé des remboursements pour des frais de transport, était suffisante pour induire un doute. La CSST était donc justifiée dans les circonstances de donner un mandat d’enquête.
[52] De plus, l’enquête a été menée de la manière la moins intrusive possible et ne porte pas atteinte à la dignité de madame Jean. Celle-ci est filmée à l’extérieur, lorsqu’elle fait son épicerie avec son conjoint, lorsqu’elle déménage et lors d’un court séjour au camping.
[53] Toutefois, cela étant dit, la preuve recueillie par l’enquête ne permettait pas de contredire les dires de la travailleuse au point de conclure qu’elle avait donné des renseignements inexacts.
[54] Dans le présent cas, on ne peut dire que la travailleuse avait fait défaut d’informer la CSST de tout changement dans sa situation. Bien avant la filature, la travailleuse avait informé la CSST de son déménagement prochain et du fait qu’elle se rendait l’été dans une roulotte au camping de Joliette. Elle avait aussi parlé de cette activité à madame Dionne, au cours de ses entretiens avec elle. La travailleuse envisageait favorablement ce séjour à la campagne qui, dit-elle, lui faisait du bien. Elle avait même dit à sa conseillère qu’elle s’occupait de ses plantes lorsqu’elle était assez bien. On ne peut dire que les activités du déménagement et du séjour au camping, filmées sur vidéo, ont été cachées et non mentionnées à la CSST.
[55] Quant aux activités visualisées, on ne peut vraiment pas dire qu’elles contredisent clairement les informations données par la travailleuse à la CSST.
[56] Lorsque la travailleuse se rend à l’épicerie, il s’agit somme toute d’une activité nécessaire dans la vie quotidienne. D’ailleurs, elle n’a jamais affirmé ne jamais le faire. Elle a dit que son conjoint, sa mère et son beau-père l’aidait et qu’elle le faisait la moitié du temps, ce qui ne veut pas dire jamais. De plus, lorsqu’elle fait l’épicerie, elle est avec son conjoint qui conduit la voiture, lui ouvre la portière, pousse le panier et manipule les sacs. On ne voit jamais la travailleuse soulever ou transporter un sac d’épicerie.
[57] Il est vrai que madame Jean avait dit qu’elle pouvait se coucher sur le panier lorsqu’elle faisait l’épicerie, ce qui ne transparaît aucunement des images filmées où elle ne semble pas souffrante. Il lui arrive aussi de se pencher pour vider le panier à la caisse. Toutefois, il n’y avait pas énormément d’articles et elle ne s’adonnait pas souvent à cette activité.
[58] Ces seuls éléments ne sont pas suffisants pour conclure que madame Jean n’a pas transmis des renseignements exacts. Elle n’a jamais dit qu’elle ne se penchait jamais. Elle a même dit à sa conseillère qu’elle faisait du ménage léger, tel que faire la vaisselle, la lessive, et épousseter. Il peut arriver que ces tâches impliquent des flexions. Mais elle a dit ne pas faire de ménage lourd, tel que laver des planchers, passer l’aspirateur et le balai. En aucun moment, on ne voit la travailleuse faire du ménage lourd. Le fait de passer un balai quelques minutes sur le pavé devant la roulotte ne peut être qualifié de travail lourd, surtout sur une aussi courte période.
[59] Quant au fait d’aller manger à deux reprises au restaurant St-Hubert, cet élément corrobore plutôt le témoignage de la travailleuse qui disait à sa conseillère ne fréquenter que des restaurants rapides. De plus, le fait d’aller manger chez St-Hubert la veille d’un déménagement n’a rien de surprenant. Quant à la durée où la travailleuse demeure assise, elle y est à peine plus d’une heure, ce qui n’a rien de si discordant. Elle n’a jamais dit à sa conseillère qu’elle mangeait en trente minutes lorsqu’elle sortait.
[60] La travailleuse a estimé qu’en général elle pouvait demeurer assise trente minutes lorsque sa conseillère lui a posé la question. Conclure à partir de deux visites de plus de trente minutes dans un restaurant rapide, mais d’une durée d’à peine une heure, que la travailleuse a fourni des renseignements inexacts sur ce point, serait déraisonnable.
[61] Quant au déménagement, les faits corroborent les dires de la travailleuse. Pas une fois, on ne voit la travailleuse manipuler des boîtes. On la voit prendre une seule fois un objet léger, soit une horloge murale. En contrepartie, on peut voir son conjoint manipuler des boîtes, remplir la camionnette et la vider sans que la travailleuse ne lui fournisse aucune aide. Et même, on la voit parler à ce qui semble être sa propriétaire et lui montrer un endroit dans son dos, comme si elle montrait un site de douleur. Ces images corroborent les dires de la travailleuse qui se dit limitée et préoccupée par ses douleurs.
[62] Et quant aux images vues sur le camping, la travailleuse n’a jamais caché aimer se rendre au camping et que cela lui faisait du bien. Elle a dit s’occuper de ses fleurs lorsqu’elle se sentait assez bien, ce qui semble bien être le cas. Les images filmées au mois de juillet ne remettent pas en cause les informations données par la travailleuse. Le fait de s’occuper de ses fleurs, de passer un balai quelques minutes ou encore de nettoyer deux bicyclettes dans le but de les vendre, ne sont vraiment pas de nature à démontrer une capacité plus grande que ce qu’elle allègue.
[63] De plus, de manière générale, s’il est vrai que la travailleuse a une démarche ordinaire, ne boite pas et monte les escaliers sans difficulté, on ne peut dire qu’elle démontre une grande capacité. La soussignée a constaté qu’elle se déplace plutôt lentement et ce, même durant une averse intense.
[64] Les activités qu’elle fait sont essentielles à la vie quotidienne, elles sont de courtes durées et elle bénéficie de l’aide continuelle de son conjoint pour les réaliser. Elle ne lève pas le petit doigt, même durant un déménagement, ce qui est très significatif.
[65] En conclusion, les faits démontrés sont plutôt anodins, banals et sans conséquences lorsque analysés sous l’angle de la capacité. De tels faits ne pouvaient justifier la suspension de l’indemnité de remplacement du revenu.
[66] Cela étant dit, la Commission des lésions professionnelles constate que l’évolution de ce cas n’est pas sans susciter un certain questionnement. La travailleuse consomme beaucoup de médication tel qu’elle l’admet elle-même. Les notes évolutives récentes semblent aller dans le même sens puisque la CSST a obtenu une opinion confirmant une consommation alarmante de médicaments, ce qui peut compromettre ou nuire à une évolution favorable. De plus, madame Jean semble présenter, tel que soulevé et évalué par madame Dagenais, ergothérapeute, une perception de sa douleur et de ses capacités qui est anormalement élevée ainsi qu’une détresse psychologique face à la douleur. Madame Dionne, dans son rapport de suivi, confirme aussi cette dimension et identifie le travail à faire dans ce sens. De telles constatations ne signifient pas non plus que la travailleuse soit de mauvaise foi et exagère dans le but d’obtenir des avantages auxquels elle n’a pas droit.
[67] Dans ce contexte, s’il n’est pas surprenant que la CSST puisse avoir des questions et des doutes sur la capacité de la travailleuse qui pourrait, selon l’appréciation de la CSST, présenter une meilleure capacité résiduelle que ce que la travailleuse elle-même estime, elle devait prendre les actions appropriées. La CSST a le loisir et le droit de désigner un professionnel de la santé pour procéder à un examen médical de la travailleuse et ainsi obtenir un avis médical objectif. Ce moyen apparaît plus approprié dans les circonstances, qu’une suspension de l’indemnité de remplacement du revenu, laquelle décision a été prise à partir de faits non suffisamment concluants.
PAR CES MOTIFS, LA COMMISSION DES LÉSIONS PROFESSIONNELLES :
ACCUEILLE la requête de madame Ghislaine Jean, la travailleuse ;
MODIFIE la décision rendue le 13 février 2001 par la Commission de la santé et de la sécurité du travail, à la suite d’une révision administrative ;
DÉCLARE que la Commission de la santé et de la sécurité du travail ne pouvait suspendre le versement de l’indemnité de remplacement du revenu en vertu de l’article 142 de la loi ;
RÉTABLIT le versement de l’indemnité de remplacement du revenu à compter du 7 septembre 2000.
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Me Anne Vaillancourt |
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Commissaire |
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R. BÉLANGER ENR. (Richard Bélanger) |
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Représentant de la partie requérante |
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LITWIN, BOYADJIAN & ASS. |
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Procureur de la partie intéressée |
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PANNETON, LESSARD (Me Marie-Pierre Dubé-Iza) |
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Procureure de la partie intervenante |
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