Décision

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176283 Canada inc. c. St-Germain

2011 QCCA 608

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

No:

500-09-021101-100

 

(500-11-039627-100)

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

 30 MARS 2011

 

CORAM:  LES HONORABLES

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

APPELANT(ES) INTIMÉES INCIDENTES

AVOCAT(S)

176283 CANADA INC.

              ET

2316-9147 QUÉBEC INC.

Me Richard Dufour

DUFOUR MOTTET

 

 

INTIMÉ(ES) APPELANTE INCIDENTE

AVOCAT(S)

DORIS ST-GERMAIN

Me Guy Paquette

Me Vanessa O'Connell Chrétien

PAQUETTE GADLER INC.

 

MIS EN CAUSE

AVOCAT(S)

NORMAND ST-GERMAIN

RICHARD ST-GERMAIN

LES PROMOTIONS NORMAND ST-GERMAIN INC.

Me Yves Robillard

Me Antoine Brosseau-Wery

MILLER THOMSON POULIOT

 

MISES EN CAUSE

AVOCAT(S)

SUZANNE ST-GERMAIN

 

 

CENTRE DU GOLF U.F.O. INC.

 

 

En appel d'un jugement rendu le 18 octobre 2010 par l'honorable Chantal Corriveau de la Cour supérieure, district de Montréal.

 

NATURE DE L'APPEL:

ORDONNANCE DE SAUVEGARDE

 

Greffier: MARC LEBLANC 

Salle: PIERRE-BASILE-MIGNAULT

 


 

 

AUDITION

 

 

Dossier continué du 25 mars 2011.

Arrêt rendu - voir page 4.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marc Leblanc

Greffier

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]          Le 10 septembre 2010, l'intimé intente contre les intimés une action en « oppression », invoquant tant l'article 241 de la Loi sur les sociétés canadiennes par actions[1] (la L.C.S.A.) que diverses dispositions du Code civil du Québec et du Code de procédure civile. C'est dans ce cadre qu'elle requiert la délivrance d'une série d'ordonnances « d'injonction provisoire de sauvegarde ». Cette demande est entendue le 21 septembre 2010, alors que les appelants n'ont pas encore, inutile de le dire, produit leurs défenses respectives.

[2]          Le 18 octobre 2010, la Cour supérieure, (l'honorable Chantal Corriveau), accueille partiellement la demande l'intimée et prononce certaines ordonnances provisoires. La juge écrit qu'en matière d'injonction provisoire, le tribunal doit être convaincu que le critère d'urgence est satisfait (paragr. [20]).  En l'espèce, décide-t-elle, la seule allégation relative à la situation d'urgence repose sur une information concernant la vente imminente d'un bien du Centre du golf U.F.O. inc., personne morale dans laquelle l’intimée n'a pas un intérêt suffisant pour fonder ses prétentions d’oppression.  Pour le reste, la juge est d’avis que le laps de temps entre l’incident de 2005 qui est à l’origine de la brouille entre les parties et la date des plaintes de l’intimée en 2010 montre qu'« [i]l n'y a pas d'urgence en l'espèce au sens des exigences de l'injonction provisoire » (paragr. [22]).  En revanche, la juge estime qu'il y a lieu de rendre certaines ordonnances de sauvegarde « afin d'assurer un certain statu quo » (paragr. [23]). Malgré l'absence d'urgence et nonobstant que son jugement ne fasse aucunement état du préjudice irréparable que subirait l'intimée si ses demandes étaient refusées, la juge prononce les ordonnances suivantes qui, on le notera, ne sont pas limitées dans le temps, sauf de façon très générale :

[30]   PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

[31]   ÉMET les ordonnances de sauvegarde suivantes pour que celles-ci soient en vigueur jusqu’à ce que jugement ait été rendu sur les demandes d’ordonnances d’injonctions interlocutoires dans le présent dossier judiciaire ou jusqu’à ce qu’elles aient autrement été levées par le Tribunal;

 

[32]   Ordonne aux défendeurs Normand St-Germain, Richard St-Germain et Les Promotions Normand St-Germain Inc. et aux mises en cause 176283 Canada Inc., 2316-9147 Québec Inc., ainsi qu’à tous leurs représentants, employés, vérificateurs et avocats, de ne détruire, ou modifier tous documents, ayant trait, directement ou indirectement aux faits auxquels il est fait référence dans le présent dossier judiciaire;

 

[33]   ordonne aux défendeurs Normand St-Germain, Richard St-Germain et Les Promotions Normand St-Germain Inc. ainsi qu’aux mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc., de communiquer à la demanderesse tout document reçu dans les cinq précédentes années relatif à des transactions ou offre de transaction hors du cours normal des affaires réalisées ou à être réalisées par 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc.;

 

[34]   ORDONNE aux défendeurs Normand St-Germain, Richard St-Germain ainsi qu’aux mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc. de donner accès et de permettre à la demanderesse L'intimée St-Germain et/ou à ses procureurs, de tirer copies de tous les états financiers des mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc.;

 

[35]   Ordonne aux défendeurs Normand St-Germain, Richard St-Germain et Les Promotions St-Germain ainsi qu'aux mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc., qu’aucune modification ne soit faite à la structure corporative et à l’actionnariat des mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc.;

 

[36]   Ordonner aux défendeurs Normand St-Germain et Richard St-Germain de remettre à la demanderesse L'intimée St-Germain, dans un délai de dix jours ouvrables de la date du présent jugement, une copie complète des livres de minutes concernant les mises en cause 176283 Canada Inc. et  2316-9147 Québec Inc.;

 

[37]   Ordonne que la firme d’experts-comptables Ernst & Young soit nommée à titre de vérificateurs des mises en cause 176283 Canada Inc. et 2316-9147 Québec Inc.;

 

[38]   ORDONNE à la mise en cause 176283 Canada Inc. de procéder à des états financiers consolidés et vérifiés pour les états financiers de 2005 à 2009;

 

[39]    ORDONNE à la demanderesse L'intimée St-Germain de fournir caution au montant de 5 000 $; [...].

***

[3]          Les appelants se pourvoient contre ce jugement, tout comme l'intimée qui, par appel incident, demande que soient prononcées les ordonnances qu'elle réclamait et qui lui ont été refusées.

***

[4]          Avec égards pour l’opinion contraire, la Cour est d'avis qu’à ce stade précoce des procédures et en l'absence de toute urgence et de préjudice, les ordonnances reproduites plus haut n'auraient pas dû être délivrées.

[5]          Dans Première nation de Betsiamites c. Kruger inc.[2], le juge Dalphond rappelle que « l'ordonnance de sauvegarde prévue à l'article 754.2 C.p.c. est, malgré son nom, de la nature d'une injonction interlocutoire émise provisoirement :  elle est une mesure judiciaire, discrétionnaire, émise pour des fins conservatoires, dans une situation d'urgence, pour une durée limitée et au regard d'un dossier où l'intimé n'a pu encore introduire tous les moyens »[3].  Il y a lieu aussi de rappeler que les critères exigés pour émettre une ordonnance de sauvegarde ou une injonction provisoire doivent être appliqués de façon rigoureuse.  Ici, le dossier étant incomplet, la nécessité de cette approche rigoureuse prend tout son sens.  Il convient aussi de rappeler que nous n'avons pas la version des faits des appelants et des mis en cause.  Comme l’écrit la juge Otis dans 2957-2518 Québec inc. c. Dunkin' Donuts (Canada) Ltd., « [i]l est certes possible que les mesures contenues dans les ordonnances de sauvegarde soient judiciairement opportunes mais, à ce stade du dossier, le véhicule procédural qui les contient n'offre pas les garanties juridiques qui visent à protéger les droits de toutes les parties » [4].

[6]          Il est vrai, comme le soutient l’intimée, que l'article 241 L.C.S.A. confère au tribunal un pouvoir discrétionnaire important pour redresser des abus, même au stade de l’ordonnance provisoire.  Parfois, les origines du recours, que l’on associe à la compétence des tribunaux en equity, sont invoquées pour expliquer la latitude et l'originalité du redressement[5].  La jurisprudence et la doctrine au Québec sont, à divers degrés, sensibles à ce fait.  On a déjà écrit, par exemple, que le texte même des paragraphes 241(2) et (3) L.C.S.A. renforce l'interprétation selon laquelle le juge dispose « d'une batterie impressionnante, pour ne pas dire ahurissante, de pouvoirs »[6].

[7]          Mais on ne peut, de ce fait, écarter, au stade des ordonnances provisoires prévues par cette disposition, les critères que la jurisprudence consacre ordinairement en matière d'ordonnance d'injonction provisoire ou de sauvegarde. L'exercice des recours entrepris au Québec en application de la L.C.S.A. doit respecter les règles du Code de procédure civile, sauf dérogation dans la loi[7].   En accord avec ce principe, on a statué, à bon droit, qu'une ordonnance provisoire régie par le paragraphe 241(3) doit, en principe, se conformer aux règles usuelles portant sur l'injonction interlocutoire émise provisoirement, c'est-à-dire l'apparence de droit, le préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients et l'urgence[8].  Même à l’extérieur du Québec, les tribunaux hésitent à prononcer une ordonnance provisoire en l’absence d’une preuve que les critères applicables à l’injonction sont réunis[9].  L'intimée cite First Choice Capital Fund Ltd. c. First Canadian Capital Corporation, à l'appui de son argument que les ordonnances provisoires émises en vertu de l'article 241(3) L.C.S.A. ne nécessitent pas « la violation d'un droit substantif ». Mais il convient de noter que les faits dans First Capital se distinguent nettement de ceux de l'espèce.  Ayant une preuve en provenance des deux parties au litige, la Cour du Banc de la Reine dans cette affaire note la présence des trois critères propres à une ordonnance d’injonction[10].

[8]          Avec égards, la juge de première instance ayant constaté l'absence d'urgence et n'ayant pas exposé le préjudice que subirait l'intimée, il n'y avait pas lieu de faire droit à la demande de sauvegarde, même partiellement.

***

[9]          À titre subsidiaire, l'intimée cherche à expliquer ce en quoi ses demandes — celles qui lui furent accordées autant que celles qui lui furent refusées par la juge de première instance — répondent aux critères d'apparence de droit, de préjudice, de prépondérance des inconvénients et d'urgence.

[10]       L'intimée soutient notamment que les propos tenus à son endroit par les appelants Normand et Richard St-Germain lors d'une assemblée des actionnaires de 176283 Canada inc. concernant une éventuelle dilution du nombre de ses actions fonderaient « une crainte objective et raisonnable que l'on porte atteinte à ses droits en tant qu'actionnaire ».  Elle fait également valoir qu'on la traite de manière inégale par rapport à l'appelant Richard St-Germain. Ce dernier, qui est actionnaire comme elle de la société 176283 Canada inc., recevrait des documents et de l'information confidentielle concernant les activités de cette société qui sont refusés à l'intimée.  Celle-ci reproche aussi aux appelants des manquements dans la préparation des états financiers et d'autres documents corporatifs et elle demande au tribunal d’imposer son choix d'un vérificateur, et ce, contre la volonté du conseil d’administration de la société 176283 Canada inc. 

[11]       Certes, ces allégations, en les tenant pour avérées aux fins de la discussion, confirment l'existence d'un conflit aigu entre les parties.  Mais ils n'exposent pas la nature exacte du préjudice qui surviendrait au cas du refus des ordonnances, et encore moins le caractère urgent de la situation.

[12]       Comme l’ont concédé les appelants, certains des propos tenus par Normand et Richard St-Germain à l’assemblée ont été fort malheureux.  Toutefois, ces propos, en eux-mêmes, ne peuvent fonder une crainte raisonnable chez l’intimée que sa part dans la société sera diluée.  À ce stade-ci, sa crainte subjective de cette éventualité relève de la spéculation et ne peut justifier les ordonnances de sauvegarde demandées.

[13]       Il n’y a rien non plus dans la requête qui justifie une crainte objective que les appelants risquent de détruire des documents.  Il n’y a rien qui montre qu’elle est ou sera privée de documents auxquels elle a droit en tant qu’actionnaire de la société 176283 Canada inc. ou autrement.  Il n’y a rien qui justifie une ordonnance du tribunal qui imposera le vérificateur choisi par l’intimée.

[14]       On comprend fort bien que l'intimée se sente lésée par le comportement qu’elle attribue à son père et par son apparente exclusion des affaires des compagnies familiales depuis 2005, mais cela seul ne constitue pas une apparence de droit suffisante.   Par ailleurs, il y a lieu de constater que le critère de préjudice irréparable, essentiel à une ordonnance provisoire du type demandé par l'intimée, n'est pas satisfait.  La juge ne fait pas état d'un tel préjudice.  Nous savons que la juge ne voit pas dans les faits allégués une situation d’urgence.  Même en acceptant, pour les fins de la discussion, qu'une vente du Centre du golf U.F.O. inc. se prépare, l'intimée n'explique pas comment ceci porterait atteinte à ses intérêts protégés en vertu de l’article 241 L.C.S.A.  Bref, les critères d’urgence, de préjudice réel et de prépondérance des probabilités ne sont pas, à ce stade-ci des procédures, satisfaits.

***

[15]       Peut-on dire que les faits allégués par l’intimée offrent la preuve d’un « strong prima facie case » d’oppression qui, au stade provisoire, justifierait néanmoins les ordonnances sollicitées?  Même si on devait conclure que le paragraphe 241(3) autorise un juge, dans des cas exceptionnels, à prononcer une ordonnance provisoire en l’absence des critères traditionnels, l’intimée n’a pas réussi à démontrer que nous sommes en présence d’une situation où « the dictates of fairness [are] so overwhelming that it may be appropriate to forego compliance with any one or all of the balance of convenience, irreparable harm or an undertaking as to damages »[11].  Certes, le conflit est important entre les parties, mais un conflit, en soi, n'emporte pas un abus ou une injustice au sens de l’article 241 L.C.S.A. À la lecture de la requête introductive d’instance et de l’affidavit de l’intimée, il n’est pas du tout évident que le risque de dilution de ses actions, la prétendue inégalité de traitement ou les manquements dans la tenue des documents financiers fondent une preuve prima facie forte d’oppression qui justifie la délivrance des ordonnances demandées.

[16]       Pour conclure, il n'y a pas lieu de maintenir les ordonnances prononcées par le jugement de première instance, en l'absence des conditions requises pour leur délivrance ni, il va sans dire, de prononcer les ordonnances que réclame l'intimée par son appel incident.

POUR CES MOTIFS, la Cour:

[17]       ACCUEILLE l'appel, avec dépens,

[18]       INFIRME le jugement de la Cour supérieure,

[19]       REJETTE, avec dépens, la requête de l'intimée pour « injonction provisoire de sauvegarde »,


[20]       REJETTE l'appel incident, avec dépens

 

 

 

 

ANDRÉ FORGET, J.C.A.

 

 

 

MARIE-FRANCE BICH, J.C.A.

 

 

 

NICHOLAS KASIRER, J.C.A.

 

 



[1]          L.R.C. 1985, c. C-44.

[2]     2005 QCCA 724 , requête pour autorisation à la Cour suprême rejetée.

[3]     Ibid., paragr. [21].

[4]     Voir 2957-2518 Québec inc. c. Dunkin' Donuts (Canada) Ltd., J.E. 2002-1108 , paragr. [26] (C.A.).

[5]     Voir, par ex., Keho Holdings Ltd. c. Noble (1987) 52 Alta L.R. (2d) 195 (C.A.).

[6]     Maurice Martel et Paul Martel, La compagnie au Québec : Les aspects juridiques, 2010, Montréal, Wilson & Lafleur/Martel ltée, 2010, paragr. 31-251.

[7]     Kelvin Energy Ltd. c. Lee, [1992] 3 R.C.S. 235 , 246.

[8]     Voir, par ex., Gruber c. Greenberg, AZ-50265097 (C.S., 2004), Transport SRS inc. c. Terrawinds Resources Corp., 2007 QCCS 6850 , Théorêt c. Charron, 2009 QCCS 5707 .

[9]     Voir Wayne Gray, The Annotated Canada Business Corporations Act, 2ième éd., Toronto, Thomson-Carswell, feuilles mobiles, envoi daté 2009, I-634 et seq.

[10]    1997 CanLII 11040 (SKQB): « [I] base my decision to grant injunctive relief on the broad description available to me under the oppression legislation.  The three prerequisites for the issue of an injunction have been established.  The applicants have a strong prima facie case, they will likely suffer irreparable harm if the injunction is not continued, and the balance of inconvenience favours the continuation of the injunction. » (s.p. dans l’original, p. 65, Cahier des autorités de l’intimée).

[11]    Le Maitre Ltd. c. Segeren, 2007 CanLII 18735 (Sup. Ct. J. Ont.) paragr. [30], décidé sous la loi ontarienne.  La juge Pepall explique que les plaignants avaient réussi à établir un « strong prima facie case » d’oppression dans les faits (paragr. [31] à [33]). Voir aussi Connelly c. Connelly-McKinley Ltd., 2010 ABQB 515, décidé sous la loi albertaine.

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