Girard et Groupe technologies Desjardins inc. |
2018 QCTAT 2582 |
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[1] Le 1er mars 2017, Terry Girard dépose une plainte fondée sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail[1] (la LNT) pour contester son congédiement. Son employeur, Groupe Technologies Desjardins inc. allègue qu’il ne l’a pas congédiée, mais plutôt licenciée. Par conséquent, la plainte devrait être rejetée puisque ce recours n’est accessible qu’en cas de congédiement.
[2] Le Tribunal doit donc déterminer la nature de la rupture du lien d’emploi annoncée à madame Girard le 20 janvier 2017 et prenant effet en mars suivant. S’agit-il d’un congédiement ou d’un licenciement entraînant le rejet de la plainte?
LES FAITS
[3] L’employeur le Groupe Technologies Desjardins inc. (GTD) est une composante du Mouvement Desjardins (Desjardins) et est chargée de fournir l’expertise technologique à toutes ses autres composantes. Avant sa création en 2011, les services technologiques étaient intégrés dans chacune des entités ou directions de Desjardins.
[4] La création de GTD a entrainé le regroupement des quelque 2 000 employés œuvrant dans le domaine des technologies informatique et bureautique. Ils sont répartis dans six directions.
[5] Le litige se situe au sein de l’une de celles-ci soit à la Direction de la gestion du parc bureautique (Direction bureautique) qui est dirigée par René Després. Son principal mandat est de fournir le matériel bureautique aux quelque 50 000 utilisateurs de Desjardins : ordinateurs et accessoires, imprimantes, téléphones intelligents, cellulaires, etc. La direction doit aussi gérer le cycle de vie de ce matériel, mettre en place des stratégies d’évolution, établir des normes de gestion et les communiquer aux utilisateurs, conseiller ces derniers, etc.
[6] Monsieur Després supervise 50 employés qui sont basés à Lévis et à Montréal, ils sont répartis dans quatre équipes détenant chacune une expertise spécifique : la gestion du parc matériel, la gestion du parc logiciel, la gestion des services et celle de l’analyse bureautique dans laquelle travaille madame Girard jusqu’à sa fin d’emploi.
[7] C’est en 1996 que madame Girard intègre Desjardins, plus précisément sa division financière, Desjardins services financiers (DSF). Elle est alors embauchée à titre de technicienne en informatique au service à la clientèle, poste de niveau N-7. Sans toutefois détenir de diplôme dans ce domaine, elle a acquis ses connaissances en suivant des cours de niveau collégial et par ses expériences de travail.
[8] Auprès de DSF, elle développe ses connaissances dans les applications liées aux assurances et aux produits financiers. En bref, ses fonctions consistent en l’installation ou changement des postes de travail et matériel informatique ainsi que la prise d’inventaire.
[9] En 2001, madame Girard devient analyste-conseil en informatique, poste de niveau N-8. Elle répond aux demandes des utilisateurs, analyse leurs besoins, pose un diagnostic, recherche la solution au meilleur coût, achète les logiciels et est impliquée dans les opérations découlant des déménagements d’employés. Elle est spécialisée dans le service aux employés de DSF.
[10] Elle s’absente pour invalidité pendant une période de trois ans entre 2008 et 2011. À son retour, elle intègre GTD qui, comme on l’a vu, vient d’être créée.
[11] C’est à compter de ce moment que madame Girard intègre la Direction bureautique dirigée par monsieur Després. Son supérieur immédiat est monsieur Ashby qui est basé à Montréal et sa coordonnatrice est madame Nadeau qui travaille à Lévis. Elle fait partie de l’équipe Analyse bureautique composée de quelque seize personnes, dont trois autres analystes bureautiques de même niveau qu’elle, soit le niveau 8.
[12] Les fonctions de madame Girard sont les mêmes qu’auparavant. Elle analyse les besoins des utilisateurs dont elle reçoit les demandes, recherche la solution optimale à moindre coût pour répondre à leurs besoins, informe et conseille l’utilisateur, fait les liens avec les autres équipes de sa direction, fournit les consignes aux équipes de réalisation, etc. Le service est maintenant offert à toutes les entités de Desjardins, mais elle demeure affectée à la clientèle de DSF en raison de l’expertise qu’elle y a acquise.
[13] À compter de septembre 2012, des changements sont apportés dans les façons de faire. On vise une forme de standardisation dans un but d’optimisation et, selon madame Girard, le travail devient monotone, car plusieurs tâches ne sont plus effectuées.
[14] En juin 2013, elle s’absente de nouveau pour des raisons médicales jusqu’en janvier 2015. À son retour, elle relève des mêmes personnes et son travail est inchangé, mais elle utilise de nouveaux logiciels - HPSM et HPAS - pour le traitement des demandes qu’elle reçoit. Comme elle n’a pas eu la formation dispensée à ses collègues pendant son absence, elle aimerait en bénéficier afin que ses tâches puissent être plus variées, ce qu’elle déplore. Elle aimerait travailler dans d’autres champs d’activités et sur des processus ou des projets spécifiques, mais on ne lui confie pas d’autres attributions.
[15] Son évaluation de fin d’année 2015 est positive et elle satisfait totalement les attentes fixées. On y note qu’elle analyse les demandes avec rigueur et que le service qu’elle offre est de « très bonne qualité ». Toutefois, elle traite en moyenne 122 requêtes par mois et on souligne qu’elle devra augmenter ce nombre à 150.
[16] En 2016, elle exécute les mêmes tâches, mais certaines ont été éliminées en raison de l’objectif d’optimisation de Desjardins. Par exemple, des analyses ne sont plus requises et certains types de demandes sont préapprouvées, ce qui réduit celles traitées par madame Girard.
[17] Son évaluation de fin d’année 2016, préparée par monsieur Ashby, est positive au niveau de la qualité, de la rigueur et des efforts de madame Girard ainsi que de sa communication avec la clientèle. L’objectif du nombre de demandes à traiter est rehaussé. Cependant, il est fait mention de carences au niveau des communications à l’interne et de sa difficulté à laisser les autres équipes prendre charge d’un dossier selon les processus prévus. Vu ces lacunes, monsieur Ashby lui impose un plan d’amélioration qui sera mis en place en début d’année 2017.
[18] Madame Girard considère que le plan d’amélioration est le prélude à l’abolition de son poste qui survient quelques semaines plus tard en janvier. Elle relie l’évaluation de sa performance à son départ de GTD et, conséquemment, de Desjardins.
L’abolition de poste
[19] Le Programme Action Performance (le PAF), implanté chez Desjardins en 2015 vise à accroître la performance et l’efficacité au sein de toutes ses entités. Des cibles sont établies et des mesures d’optimisation et de réduction des coûts sont introduites. Pour les atteindre, on procède à des réorganisations.
[20] Plusieurs mesures sont prises en ce sens depuis quelques années au sein de Desjardins.
[21] Dans la Direction bureautique de DSF, monsieur Després est appelé à optimiser les façons de faire. C’est dans ce cadre que certaines tâches effectuées par les analystes en bureautique ont été éliminées pour être remplacées par des processus plus efficaces. Il a ainsi été décidé d’éliminer des analyses en instaurant un système de préapprobation des demandes en fonction de critères établis. Ces demandes ne requièrent plus d’examen par l’analyste-conseil en bureautique; on automatise les procédés pour analyser les demandes plus complexes uniquement.
[22] Pour l’année 2017, la cible d’optimisation de la Direction bureautique est de réduire de 20 % les besoins en analyse. Au niveau des ressources ou des coûts, on vise une diminution de 5 %.
[23] En décembre 2016, sont abolis tous les postes de directeurs de section de la Direction principale « Centres de contact et bureautique » chapeautant la direction de monsieur Després - gestion du parc bureautique - les titulaires deviennent conseillers principaux en bureautique, comme c’est le cas pour le supérieur immédiat et la coordonnatrice de madame Girard.
[24] La conseillère en ressources humaines, madame Hart, rapporte que DSF devait tendre à supprimer 3 % du personnel au cours de l’année 2016.
[25] Dans cette lignée, monsieur Després est incité à réduire le nombre de demandes d’analyse et à abolir deux postes de sa direction composée de 50 employés. Pour lui, il s’agit de la seconde vague d’abolition, un employé de sa direction a déjà bénéficié de mesures de départ à la retraite pour libérer son poste, mais la preuve ne révèle pas le moment.
[26] En décembre 2016, comme il le fait chaque fin d’année, il détermine ses besoins pour la suivante en construisant des organigrammes de sa direction avec les niveaux des postes sans les noms de titulaires. Pour ce faire, il fait des projections fondées sur un nombre moindre de demandes d’analyse découlant des mesures d’optimisation passées et celles à venir.
[27] Il passe en revue chacun des quatorze postes d’analystes de l’équipe de madame Girard. Dans celle-ci, il y en a six de niveau 9 qui sont chargés de projets spéciaux et de dossiers complexes, quatre de niveau 8 qui font de l’analyse dite pure, et cinq de niveaux 5 et 7 requérant une expertise moindre qui sont chargés des problématiques des appareils mobiles, cellulaires et gestion des files d’attente.
[28] Au terme de cet examen, il conclut qu’il faut abolir un poste de niveau 8 dans l’équipe de l’analyse bureautique.
[29] Cette conclusion s’appuie sur la diminution des demandes requérant l’intervention des analystes de niveau 8 et par la procédure de préapprobation mise en place. Les demandes qui en nécessitent sont celles étant soit très simples, relevant des analystes de niveau 7 et moins, soit très complexes, relevant des analystes de niveau 9 et plus.
[30] Après avoir identifié qu’un poste d’analyste bureautique de niveau 8 est à supprimer, monsieur Després transige avec madame Hart. Elle valide les années de service des quatre titulaires de ces postes. Jusque-là, monsieur Després ne connaît pas le nom de la personne dont le poste sera aboli.
[31] Madame Girard détient le moins d’ancienneté parmi les quatre analystes de niveau 8 occupant des fonctions similaires aux siennes. Elle a 18,6 années de service au sein de Desjardins, soit deux mois de moins que la personne qui la précède : son poste est donc visé par l’abolition.
[32] Monsieur Després évalue les possibilités de replacement de madame Girard au sein de sa seule direction; il n’a pas de besoin dans la classification d’analyste-conseil en bureautique ni de poste disponible pour elle.
[33] Il explique que les postes d’analyste en bureautique de la nature de celui qu’occupe madame Girard ne se trouvent que dans sa direction. Ni lui ni la conseillère en ressources humaines, n’ont vérifié si un autre emploi est disponible dans les autres directions de GTD dont l’effectif, rappelons-le, est de quelque 2 000 personnes.
L’avis de licenciement
[34] Le 20 janvier 2017, monsieur Després et madame Hart avisent madame Girard de l’abolition de son poste et de son licenciement prenant effet le 17 mars suivant. On lui présente alors un projet de convention de départ, proposant une indemnité et un support de transition.
[35] Chez Desjardins, la pratique établie en matière de licenciement est de proposer aux employés concernés une convention de départ « standard » prévoyant le versement d’une indemnité basée sur l’ancienneté ainsi que les services du CAP.
[36] Le CAP est le service d’accompagnement des personnes de la Fédération des caisses Desjardins. La mise en œuvre de ce service semble relever de la Direction des ressources humaines de Desjardins.
[37] Le rôle du CAP est d’aider ces personnes à se replacer dans d’autres emplois au sein de Desjardins après le licenciement. Ainsi, la personne qui accepte la convention, reçoit l’indemnité pendant une période donnée, voit son lien d’emploi rompu, est ensuite aidée par le CAP à se trouver un autre emploi chez Desjardins et reçoit l’indemnité prévu. Si elle est replacée à l’intérieur du délai prévu à la convention, l’indemnité cesse d’être versée selon les modalités prévues à la convention.
[38] On a donc proposé une telle convention à madame Girard qui prévoyait le versement d’une indemnité de départ pendant deux ans ainsi que le support de transition offert par le CAP pendant toute cette durée. Pour en bénéficier, elle devait accepter de signer la convention qui prévoit expressément la rupture de son lien d’emploi le 17 mars 2017.
[39] Pour être clair, les démarches de replacement au sein de GTD - ailleurs que dans la seule direction bureautique - et de Desjardins sont conditionnelles à l’acceptation de la convention de départ et de la rupture du lien d’emploi. Les démarches de replacement n’auraient donc eu lieu qu’après sa fin d’emploi.
[40] Peut-être aurait-il été possible de replacer madame Girard après cette date. Elle a toutefois refusé de signer la convention, de rompre son lien d’emploi et, incidemment, de perdre ses dix-huit années de service et les autres avantages s’y rattachant.
[41] Entre l’annonce de la fin d’emploi le 20 janvier et le 17 mars, s’écoulent les huit semaines de préavis prévu à la LNT. Pendant cette période, madame Girard n’est plus au travail, mais peut proposer sa candidature sur tous les postes affichés chez Desjardins; ce qu’elle a tenté de faire à deux reprises, en vain.
[42] Soulignons que dans les faits, elle a maintenu son lien d’emploi jusqu’au 23 juin 2017, date de la rupture des discussions pour tenter de convenir d’une entente de départ.
[43] Enfin, au cours de l’année 2017, aucun poste n’aurait été créé au sein de la Direction bureautique. Par contre, en juin à la suite de l’affichage d’un poste de niveau 8, une employée détenant une expertise spécifique a intégré la direction. De plus, quelques mouvements de personnel - entre équipes de la direction, ont eu lieu impliquant des analystes de niveau supérieur ou inférieur à celui de madame Girard ou détenant une expertise spécifique. Une personne a été embauchée temporairement en début d’année et a quitté en novembre. Des employés en affectation temporaire ont aussi quitté au terme de leur mandat.
[44]
Dans le cadre d’un recours fondé sur l’article
[45] D’où l’importance de distinguer le congédiement d’un licenciement comme il est ici allégué par GTD. Les principes pour le faire sont connus et font l’objet d’une jurisprudence constante.
[46] Alors que le congédiement est une mesure prise pour des motifs inhérents au salarié, le licenciement est une mesure administrative justifiée par des motifs d’ordre économique ou liés à une réorganisation de l’entreprise qui sont indépendants du salarié. L’abolition d’un emploi résultant d’une diminution des besoins ou d’une rationalisation des effectifs peuvent être incluses dans cette dernière catégorie.
[47] Quant au fardeau de preuve, il appartient à l’employeur qui invoque un licenciement de démontrer que les motifs d’ordre économique ou organisationnel sont réels et que la fin d’emploi en résulte directement.
[48] S’il se décharge de ce fardeau. Il revient au salarié d’établir que la mesure invoquée est un subterfuge ou un prétexte, qu’elle est discriminatoire, irrationnelle ou abusive à son endroit. Bref, que la décision de l’employeur constitue non pas un licenciement, mais un congédiement déguisé.
[49] Dans l’affaire Bousquet c. Desjardins[2], un des arrêts phares en la matière, la Cour d’appel précise que le licenciement ne peut servir de prétexte pour se départir d’un employé encombrant :
Le principe est clair. Un employeur ne peut utiliser le prétexte d'un licenciement pour se débarrasser d'un indésirable. Les motifs qui sont retenus par l'employeur doivent être objectifs, impartiaux et non inspirés d'éléments subjectifs propres à l'employé ciblé.
[50]Et plus loin, concernant le rôle qui appartient dorénavant au Tribunal pour déterminer si la fin d’emploi est bel et bien un licenciement, la Cour d’appel précise qu’il peut vérifier les critères utilisés par l’employeur pour désigner le salarié et, s’ils sont raisonnables, ils ne sont pas « indicatifs » d’un prétexte :
Pour décider si la terminaison d'emploi est un congédiement ou un licenciement, le commissaire est autorisé à se pencher sur les critères de sélection. S'ils sont raisonnables, ils ne sont pas indicatifs d'un déguisement. S'ils ne le sont pas, ils en seront un indice. Lorsqu'au terme de son examen, le commissaire conclut qu'il s'agit d'un licenciement et non d'un congédiement, sa compétence est épuisée et il doit rejeter la plainte sans se pencher sur la sélection des employés.
[…]
Dans l'examen que le commissaire peut faire des motifs de sélection pour déterminer s'il s'agit d'un congédiement ou d'un licenciement, le commissaire ne peut imposer ses propres critères. Il peut seulement s'assurer que les motifs déclarés sont réels et non des prétextes destinés à camoufler un dessein illégal.
[Notre soulignement]
[51] En l’instance, la preuve démontre que GTD s’est vu imposé par Desjardins, dont elle est une composante, un objectif d’optimisation pouvant résulter en une abolition de poste. Dans la Direction bureautique, cela se traduit par une diminution équivalant à deux postes. Après une analyse, on conclut qu’un poste de la classification de madame Girard doit être éliminé. Jusque-là, la démarche peut sembler adéquate.
[52] Le critère de sélection de l’employé retenu est celui de l’ancienneté. Malgré l’objectivité apparente de ce critère, le Tribunal doit quand même vérifier si sont présents des éléments tendant à dissimuler un congédiement déguisé comme l’invoque madame Girard. Pour ce faire, la conduite de l’employeur peut être examinée.
[53] Dans cette optique, les tentatives de replacement de l’employé visé sont un élément à considérer parmi d’autres. Selon la jurisprudence, un employeur doit faire des démarches pour maintenir le lien d’emploi lors d’une réorganisation.[3] Précisons toutefois qu’il ne s’agit pas d’une obligation pour l’employeur de réaffecter le salarié identifié aux fins d’une abolition de poste s’il n’existe pas une telle pratique dans l’entreprise. La Cour supérieure rappelle d’ailleurs ce principe dans une décision récente impliquant également Desjardins[4], qui l’invoque en l’instance pour justifier sa position.
[54] Dans cette affaire, le Tribunal avait d’abord conclu que l’abolition de poste de la plaignante était « réelle et définitive fondée sur des critères objectifs et impartiaux d’une part, et que la cessation d’emploi résultait d’un congédiement déguisé fondé sur des critères partiaux, illicites ou discriminatoires ». Ce qui est évidemment contradictoire pour la Cour supérieure qui révise la décision du Tribunal.
[55]
Il ne faut pas confondre une telle obligation de
réaffectation du salarié dont le poste risque d’être aboli avec l’effort
raisonnable que l’employeur doit faire pour le maintenir en emploi. Ceci relève
plus d’un devoir de l’employeur qui découle du droit à l’emploi protégé par
l’article
[56] Pour le Tribunal, cette protection légale de l’emploi va au-delà du simple poste occupé ou de la classification du salarié. Il s’agit plutôt de la protection de son lien d’emploi. L’employeur doit tenter de maintenir le salarié à son service même s’il est potentiellement visé par une abolition de poste. Si l’employeur fait des démarches sérieuses pour le replacer ailleurs dans son entreprise, sa thèse voulant qu’il ait été licencié pourra s’avérer bien fondée. Eu égard aux autres circonstances, l’absence de telles démarches pourra être indicative d’un prétexte pour se départir de ses services.
[57]
Dans l’affaire Drolet c. ABB inc.[6],
la Commission des relations du travail dispose d’une affaire semblable à la
présente. Elle fait état du droit à l’emploi, de la protection accordée par
l’article
[36] Tous ces exemples
démontrent bien que l’employeur a l’obligation de faire des efforts pour
maintenir le lien d’emploi. Il a des « devoirs »
comme le rappelait la Cour supérieure dans Biochem Thérapeutique inc. c.
Dufault,
Dans sa tâche d’apprécier la situation de fait en vue de déterminer s’il y a cause juste et raisonnable, rien de s’oppose à ce qu’il (l’arbitre) tienne compte du bon sens et de l’usage dans le monde du travail. Il y a une grande marge entre procéder à cette démarche et imposer une obligation légale à l’employeur ou s’immiscer dans les droits de la direction. L’arbitraire n’est pas un attribut des droits de la direction, à ce que je sache. (…).
[37] Elle rappelle ensuite que, dans l’affaire Léveillée c. Murs secs Jalap précitée, la Cour d’appel a déterminé que « l’employeur avait l’obligation d’offrir un emploi partiel à l’ancienne employée avant d’engager la nouvelle. ». La Cour supérieure estime que « Cet arrêt constitue un exemple où on a imposé à l’employeur un devoir relié au bon sens et à l’usage dans le monde du travail. ». (…)
[38] C’est dans ce même esprit
que la Cour d’appel, dans Publications Dumont (1988) inc. c. Doré,
[39] Particulièrement lorsque le licenciement est invoqué, la mise en œuvre de tous ces devoirs par l’employeur ne peut que servir la crédibilité des autres motifs d’ordre économique ou organisationnel qu’il invoque et qui n’ont rien à voir avec la qualité de la prestation de travail du salarié. Dans la plupart des cas, il sera en effet allégué qu’on est satisfait des services du salarié, mais qu’on doit se départir de certains employés et que le choix repose sur des critères objectifs et rationnels.
[Notre soulignement]
[58] Dans une autre affaire plus récente, Trépanier c. Turcotte (1989) inc.[7], le Tribunal fait état de la jurisprudence qui consacre le principe voulant que l’employeur doit faire des efforts raisonnables pour sauvegarder l’emploi d’un salarié lors d’une réorganisation et cite cet extrait de la décision Drolet précitée :
[34] Si le congédiement est la mesure ultime en matière disciplinaire, le licenciement devrait aussi l’être en matière de réorganisation de l’entreprise.
[59] Ainsi, l’employeur a le devoir de faire des efforts pour maintenir le salarié au travail avant de procéder à son licenciement effectif. S’il ne le fait pas, l’employeur élude, en quelque sorte, un devoir préalable à la terminaison de l’emploi ; ce qui peut être indicatif d’un prétexte pour se départir du salarié.
[60] Il ne s’agit pas, répétons-le, d’une obligation de l’affecter ailleurs dans l’entreprise, mais de tenter sérieusement de le faire. Ajoutons que l’intensité de ce devoir varie selon différents facteurs comme la taille de l’entreprise, l’expertise du salarié, le fait qu’on soit en présence d’un licenciement collectif ou non, etc.
[61] En l’instance, les démarches de replacement effectuées avant de procéder à la fin d’emploi de madame Girard sont minimales et superficielles compte tenu des circonstances. Elles se sont limitées à vérifier, sommairement, s’il y a un poste libre dans la Direction bureautique et dans la seule classification d’analyste-conseil en bureautique de niveau 8. Ces démarches auraient dû être étendues, à tout le moins, à toute l’entreprise de GTD qui compte quelque 2 000 employés.
[62] En outre, GTD admet, en quelque sorte, qu’il y a des possibilités de la replacer au sein de GTD et même de Desjardins. Sans discuter de l’organisation corporative de ces dernières, elles sont liées à un point tel que, aux fins du litige, le Tribunal considère qu’elles assument ensemble les obligations de l’employeur à l’endroit de madame Girard.[8]
[63] Dans la convention de départ proposée à madame Girard, on lui offre les services du CAP, soit de l’aide au replacement ou « un support de transition » pour trouver un autre « poste » ou une « affectation temporaire », mais après la rupture de son lien d’emploi et pendant les deux années de versement de l’indemnité proposée.
[64] Pour le Tribunal, l’accompagnement offert via le CAP - post rupture du lien d’emploi - peut coexister avec le devoir de faire des démarches sérieuses de replacement, préalables à l’abolition effective du poste, avec l’objectif de maintenir le lien d’emploi de la personne.
[65] Certes, la proposition faite à madame Girard peut paraître attrayante, mais elle ne pouvait se substituer au devoir de GTD et Desjardins de tenter de la replacer. Ce devoir doit être mis en œuvre avant de procéder au licenciement effectif et non pas seulement après la fin d’emploi.
[66] Comme on l’a vu, l’intensité de ce devoir de l’employeur varie selon le contexte. Elle ne sera pas la même dans une entreprise d’une dizaine de salariés que dans une de la taille et de la structure de celle de GTD et Desjardins. Pour ces dernières, le fait de ne pas essayer sérieusement de réaffecter un employé peut être indicatif d’un prétexte pour se départir de ses services sous le couvert d’un licenciement.
[67] En l’instance, madame Girard est âgée de 50 ans et a plus de dix-huit années de service chez Desjardins. Elle a dû s’absenter en invalidité pendant de longues périodes au cours desquelles, elle n’a pu bénéficier de formations pour parfaire son expertise. Alors qu’on a toujours été satisfait de ses services, en décembre 2016, c’est avec des bémols qu’on évalue son travail au point de lui imposer un plan d’amélioration qui n’a jamais été mis en œuvre. Tous ces éléments sont propres à madame Girard.
[68] Lorsqu’en janvier 2017, elle est identifiée comme étant la personne détenant le moins d’années de service dans sa direction et dans son poste spécifique d’analyste-conseil en bureautique de niveau 8, on ne tente pas de la maintenir en emploi; les démarches en ce sens sont quasi inexistantes. Ceci, alors que quelques mouvements de personnel ont lieu dans sa direction au cours de la période suivant l’annonce de sa fin d’emploi. La candidature de madame Girard n’a jamais été considérée ni avant ni après celle-ci.
[69] Encore une fois, GTD et Desjardins n’avaient pas l’obligation de la réaffecter dans un autre emploi. Toutefois, les efforts insuffisants pour le faire, juxtaposés aux éléments propres à madame Girard, révèlent que le licenciement invoqué n’est qu’un prétexte pour se départir de ses services. GTD a donc plutôt procédé au congédiement déguisé de madame Girard, sa plainte est accueillie.
[70] Madame Girard demande la réintégration dans son emploi et aucun élément ne permet de conclure qu’elle est impossible. Elle sera donc réintégrée dans son emploi.
[71] À la demande des parties, le Tribunal réserve compétence pour déterminer le montant de l’indemnité pour perte de salaire et des autres avantages dont l’a privée le congédiement, considérant que madame Girard a été rémunérée jusqu’au 23 juin 2017, ainsi que toutes autres indemnités pouvant résulter de la présente décision.
PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL ADMINISTRATIF DU TRAVAIL :
ACCUEILLE la plainte;
ANNULE le congédiement annoncé le 20 janvier 2017;
ORDONNE à Groupe technologies Desjardins inc. de réintégrer Terry Girard dans son emploi, avec tous ses droits et privilèges, dans les trente jours de la notification de la présente décision;
ORDONNE à Groupe
technologies Desjardins inc. de verser à Terry Girard, titre
d’indemnité, dans les trente jours de la notification de la présente décision,
l’équivalent du salaire et des autres avantages dont l’a privée le
congédiement, le tout portant intérêt à compter du dépôt de la plainte
conformément à l’article
RÉSERVE sa compétence pour déterminer le quantum de l’indemnité et toutes autres indemnités pouvant résulter de la présente décision.
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Hélène Bédard |
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Me Christian Lajoie |
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Lajoie & Pearson Avocats inc. |
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Pour la partie demanderesse |
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Me Esther Houle |
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CHOLETTE, HOULE AVOCATS |
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Pour la partie défenderesse |
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Date de la dernière audience : 10 janvier 2018 |
/js
[1] RLRQ, c. N-1.1.
[2]
[3] Voir Therrien c. Coco Paving inc.,
[4] Fédération des caisses Desjardins c. Tribunal
administratif du travail,
[5] Publications Dumont (1988) inc. c. Doré (
[6]
[7] 2016 QCTAT 1209.
[8] Les années de service des employés se calculent dans tout le Mouvement Desjardins peu importe la division, ce dernier impose les objectifs de performance à GTD, le CAP est un service offert à toutes les entités de Desjardins, etc.
AVIS :
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appel; la consultation
du plumitif s'avère une précaution utile.