[1] L’appelant se pourvoit à l’encontre d’un jugement de la Cour supérieure, district de Terrebonne du 15 janvier 2019 (l’honorable Danielle Turcotte), lequel ordonne la démolition d’une construction aux termes de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme.
[2] Pour les motifs du juge Moore, auxquels souscrivent les juges Marcotte et Mainville, LA COUR :
[3] REJETTE l’appel;
[4] CONFIRME le jugement daté du 15 janvier 2019 rendu par l’honorable Danielle Turcotte dans le dossier de la Cour supérieure portant le numéro 700-17-013033-161 sous réserve d’une modification devant être apportée afin de tenir compte de l’écoulement du temps en raison de l’instance en appel pour substituer la date du 30 septembre 2021 à celle initialement prévue :
[68] ORDONNE au défendeur de procéder à la démolition complète de la bâtisse et ses accessoires érigés sur l'immeuble ci-après désigné, et ce, au plus tard le 30 septembre 2021 à moins que d'ici là, il n'ait convenu avec la demanderesse de modalités de déplacement de sa bâtisse :
DESIGNATION
« Un immeuble connu et désigné comme étant le lot numéro CINQ MILLIONS DEUX CENT QUATRE-VINGT-DIX-HUIT MILLE CENT SEIZE (5 298 116) du cadastre du Québec, circonscription foncière de Terrebonne;
Avec bâtisse dessus érigée portant le numéro civique 601, chemin du Lac Millette, Saint-Sauveur, province de Québec. »
[5] LE TOUT avec les frais de justice, tant en première instance qu’en appel;
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MOTIFS DU JUGE MOORE |
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[6] L’appelant se pourvoit contre un jugement ordonnant la démolition de sa résidence qu’il a fait construire dans la Ville de Saint-Sauveur (« la Ville »)[1]. Il soulève que son projet de construction ne contrevient à aucune réglementation municipale permettant une telle ordonnance de démolition aux termes de l’article 227 de la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme[2] (« la Loi »). Subsidiairement, il plaide que la juge de première instance a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’exercice de sa discrétion judiciaire lui permettant de refuser la demande de la Ville selon les enseignements de notre Cour dans l’arrêt Chapdelaine[3].
[7] Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis que l’appel doit être rejeté.
CONTEXTE
[8] Au printemps 2015, l’appelant rencontre Michel Fecteau (« Fecteau »), lequel se présente comme un promoteur immobilier. Le 29 juin 2015, ils concluent un contrat de mandat de cogestion d’un projet de construction d’une résidence. L’appelant y est désigné comme autoconstructeur et Fecteau, comme promoteur. Aux termes de ce contrat, ce dernier assure la gestion du projet et le suivi de la construction.
[9] Le 13 juillet 2015, l’appelant signe un formulaire de demande de permis de construction. Cette demande ne sera pas déposée avant le 26 novembre 2015. Malgré cela, les travaux débutent en juillet 2015. L’appelant décide alors d’implanter sa résidence à un endroit différent de celui prévu au plan de lotissement approuvé par la Ville en octobre 2013.
[10] En début novembre 2015, Fecteau se rend à la Ville pour déposer la demande de permis. Celle-ci est refusée principalement parce que Fecteau ne détient pas de procuration lui permettant de déposer la demande au nom de l’appelant.
[11] Le 12 novembre 2015, Marie-Ève Houle, technicienne en urbanisme et inspectrice en bâtiment pour la Ville, se présente sur le lot de l’appelant et constate que les travaux y sont déjà avancés. Le lendemain, elle transmet un avis d’arrêt de ceux-ci et rencontre l’appelant, lequel dit ignorer que la demande de permis n’avait pas été déposée. Il explique alors à l’inspectrice qu’il lui est impossible de cesser les travaux puisque le créancier cesserait de libérer les fonds, ce qui pourrait amener des entrepreneurs à enregistrer une hypothèque légale sur sa propriété.
[12] Le 30 novembre, l’inspectrice constate que, malgré l’avis formel d’arrêt du chantier, les travaux continuent. Le même jour, elle rencontre l’appelant pour lui réitérer qu’il doit cesser ses travaux. Le 1er décembre 2015, elle lui envoie une lettre dans laquelle elle lui demande des informations supplémentaires quant à la pente naturelle moyenne du terrain en vue de délivrer le permis. Enfin, elle réitère que l’arrêt de chantier demeure en vigueur et que la poursuite des travaux se fait à ses risques et périls.
[13] Le 10 décembre 2015, la Ville remet un constat d’infraction à l’appelant pour avoir effectué des travaux sans permis.
[14] Le 23 décembre 2015, la Ville apprend que le plateau sur lequel la construction est érigée, lequel n’est pas celui prévu au plan de lotissement, ne respecte pas le pourcentage maximal autorisé.
[15] Le 25 janvier 2016, la Ville met en demeure l’appelant de procéder à la démolition de sa résidence. Le 18 mars 2016, elle dépose sa demande introductive d’instance. Pendant tout ce temps les travaux continuent, l’appelant emménage dans la résidence quelque part au mois de février 2016 et la finition de celle-ci a lieu en juin 2016.
JUGEMENT ENTREPRIS
[16] La juge de première instance débute en arbitrant la preuve d’experts présentée par les parties. Elle retient l’expertise de Roch Labelle (« arpenteur Labelle »), arpenteur-géomètre pour la Ville, laquelle établit la pente naturelle moyenne de la partie à construire à 44 % contrevenant ainsi à la norme de 25 % fixée par l’article 18 du Règlement sur les conditions de délivrance des permis de construction[4] (« Règlement sur les permis »).
[17] La juge suspend alors l’instance pour que les parties puissent examiner les alternatives à la démolition de la résidence. Aucune solution ne se révélant possible, l’instance reprend. Concluant à la violation du Règlement sur les permis, la juge procède à l’analyse de l’article 227 de la Loi.
[18] Se fondant sur les enseignements de notre Cour dans l’affaire Chapdelaine, la juge évalue les agissements de la Ville, ceux de l’appelant, de même que les effets du maintien de la situation dérogatoire.
[19] Quant au premier critère, la juge constate que la Ville a approuvé en 2013 un plan de lotissement déposé par Fecteau dans lequel la résidence projetée était située sur un plateau à construire dont la pente naturelle moyenne était inférieure à 25 %, respectant ainsi la réglementation. C’est l’appelant qui décide, avec l’assentiment de Fecteau, de déplacer l’emplacement de la construction. Jamais la Ville n’a été informée de ce fait et jamais n’a-t-elle délivré de permis de construire à cette fin. Voici comment conclut la juge sur ce point :
[36] On se doit de conclure que la Ville a fait preuve de la plus grande diligence. Elle a agi dès qu’elle a eu connaissance qu’une construction avait débuté sans l’émission préalable d’un permis, avant même de connaître la situation dérogatoire du bâtiment.
[37] Aucun reproche ne peut être retenu contre la Ville.
[20] Concernant les agissements de l’appelant, la juge note que celui-ci porte une confiance aveugle à Fecteau, ne se préoccupe pas de savoir si un permis de construction est délivré et, surtout, fait abstraction des avis de cessation de chantier. La juge écrit :
[49] Quoi qu’il en soit, le 12 novembre, il dit avoir reçu un coup de massue lorsqu’il prend connaissance de l’avis de cessation des travaux émis par la Ville. Pourtant, il n’y obtempère pas.
[50] En fait, il ignore tous les avis de la Ville et continue ses travaux.
[51] La construction de sa maison est maintenant terminée. L’aménagement paysager est fait. Et, alors que la réglementation prévoit que seules les habitations unifamiliales sont autorisées dans ce secteur, un appartement a été construit au sous-sol de la résidence. Pourtant, il est avisé de cette restriction en temps propice.
[52] Bien que la bonne foi se présume, l’aveuglement volontaire et la témérité dont a fait preuve M. Bibeau y font échec.
[Renvois omis]
[21] Quant aux effets du maintien de la situation dérogatoire, la juge considère que l’intérêt de la justice ne milite pas en faveur de l’appelant. Bien que ce dernier plaide que la démolition dénaturerait le paysage, causant ainsi un préjudice plus important que son maintien, la juge répond qu’il ne revient pas au tribunal d’évaluer le caractère esthétique des choses. Et sur l’argument de l’appelant selon lequel la démolition ne servirait qu’à le punir, la juge écrit :
[62] M. Bibeau avance que la démolition ne servirait qu’à le punir. Malheureusement, on se doit de constater qu’il n’a que lui-même à blâmer pour l’ampleur de ses dommages. Nul doute que cette affaire lui cause un stress considérable et qu’elle est à l’origine de bien des insomnies. Cependant, de façon objective, force est de constater qu’en début de novembre 2015, lorsque M. Bibeau reçoit le premier ordre d’arrêt des travaux, le bâtiment est loin d’être complété. Les divisions intérieures ne sont pas faites. Il est encore temps de mettre un frein au projet et de limiter les dégâts. M. Bibeau choisit délibérément de continuer.
[63] À la fin novembre, le revêtement extérieur n’est pas débuté. La cuisine et les salles de bain ne sont pas installées.
[64] Si M. Bibeau avait respecté les mises en garde de la Ville, il n’aurait pas à démolir ce qu’il a réalisé à l’encontre de ces ordres d’arrêt des travaux et même après que les procédures eurent été intentées. Il est difficile de comprendre pourquoi il a pris la décision de désobéir aux demandes impératives de la Ville, ce qui lui vaut un constat d’infraction de nature pénale.
[Renvois omis]
[22] Devant l’absence d’alternative, la juge conclut que le seul remède possible est la démolition. Elle accueille donc la demande de la Ville tout en donnant à l’appelant un délai de sept mois afin de lui permettre d’obtenir une seconde opinion sur la possibilité de déplacer sa résidence.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES ET RÉGLEMENTAIRES PERTINENTES
[23] Plusieurs dispositions législatives et réglementaires sont pertinentes en l’espèce. Pour faciliter la lecture, il est utile de les reproduire.
[24] La Loi sur l’aménagement et l’urbanisme :
113. Le conseil d’une municipalité peut adopter un règlement de zonage pour l’ensemble ou partie de son territoire.
(…)
16° régir ou prohiber tous les usages du sol, constructions ou ouvrages, ou certains d’entre eux, compte tenu, soit de la topographie du terrain, soit de la proximité de milieux humides et hydriques, soit des dangers d’inondation, d’éboulis, de glissement de terrain ou d’autres cataclysmes, soit de tout autre facteur propre à la nature des lieux qui peut être pris en considération pour des raisons de sécurité publique ou de protection de l’environnement; prévoir, à l’égard d’un immeuble qu’il décrit et qui est situé dans une zone d’inondation où s’applique une prohibition ou une règle édictée en vertu du présent paragraphe, une dérogation à cette prohibition ou règle pour un usage du sol, une construction ou un ouvrage qu’il précise;
116. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement, prévoir que, dans tout ou partie de son territoire, aucun permis de construction ne sera accordé, à moins qu’une ou plusieurs des conditions suivantes, qui peuvent varier selon les parties du territoire, ne soient respectées:
1° le terrain sur lequel doit être érigée chaque construction projetée, y compris ses dépendances, ne forme un ou plusieurs lots distincts sur les plans officiels du cadastre, qui sont conformes au règlement de lotissement de la municipalité ou qui, s’ils n’y sont pas conformes, sont protégés par des droits acquis;
2° les services d’aqueduc et d’égouts ayant fait l’objet d’une autorisation ou d’un permis délivré en vertu de la loi ne soient établis sur la rue en bordure de laquelle la construction est projetée ou que le règlement décrétant leur installation ne soit en vigueur;
3° dans le cas où les services d’aqueduc et d’égouts ne sont pas établis sur la rue en bordure de laquelle une construction est projetée ou le règlement décrétant leur installation n’est pas en vigueur, les projets d’alimentation en eau potable et d’épuration des eaux usées de la construction à être érigée sur le terrain ne soient conformes à la Loi sur la qualité de l’environnement (chapitre Q-2) et aux règlements édictés sous son empire ou aux règlements municipaux portant sur le même objet;
4° le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique ou à une rue privée conforme aux exigences du règlement de lotissement;
5° le terrain sur lequel doit être érigée la construction projetée ne soit adjacent à une rue publique.
Le paragraphe 2° du premier alinéa ne s’applique pas aux constructions pour fins agricoles sur des terres en culture.
Le règlement peut également exempter les constructions pour fins agricoles sur des terres en culture de l’une ou l’autre des dispositions des paragraphes 1°, 3°, 4° et 5° du premier alinéa. Cependant, il ne peut exempter une résidence située sur ces terres de l’obligation visée par le paragraphe 3° du premier alinéa.
Le règlement peut prévoir que la condition prévue au paragraphe 1° du premier alinéa ne s’applique pas à toute construction projetée dont la localisation est identique à celle d’une construction existante. Il peut prévoir la même exemption à l’égard de toute autre construction projetée au sujet de laquelle il est démontré au fonctionnaire responsable de la délivrance du permis qu’elle ne sera pas érigée sur des terrains appartenant à des propriétaires différents.
Une exemption accordée conformément au quatrième alinéa ne s’applique pas lorsque le coût estimé de l’opération cadastrale permettant de faire un ou plusieurs lots distincts avec le terrain sur lequel la construction doit être érigée n’excède pas 10% du coût estimé de celle-ci.
119. Le conseil d’une municipalité peut, par règlement:
1° interdire tout projet de construction, de transformation, d’agrandissement ou d’addition de bâtiments sans l’obtention d’un permis de construction;
2° interdire tout projet de changement d’usage ou de destination d’un immeuble ainsi que toute opération visée aux paragraphes 12°, 12.1°, 13°, 14°, 15°, 16° et 16.1° du deuxième alinéa de l’article 113 sans l’obtention d’un certificat d’autorisation;
3° interdire l’occupation d’un immeuble nouvellement érigé ou modifié ou dont on a changé la destination ou l’usage sans l’obtention d’un certificat d’occupation;
4° interdire toute demande d’opération cadastrale sans l’obtention d’un permis de lotissement;
5° prescrire les plans et documents qui doivent être soumis par le requérant à l’appui de sa demande de permis ou de certificat;
6° établir un tarif d’honoraires pour la délivrance des permis et des certificats, ou d’une catégorie d’entre eux établie suivant le type de construction ou d’usage projeté;
7° désigner un fonctionnaire municipal responsable de la délivrance des permis et certificats.
227. La Cour supérieure peut, sur demande du procureur général, de l’organisme compétent, de la municipalité ou de tout intéressé, ordonner la cessation:
1° d’une utilisation du sol ou d’une construction incompatible avec:
a) un règlement de zonage, de lotissement ou de construction;
b) un règlement prévu à l’un ou l’autre des articles 79.1, 116 et 145.21;
c) un règlement ou une résolution de contrôle intérimaire;
d) un plan approuvé conformément à l’article 145.19;
e) une entente visée à l’article 145.21, 165.4.18 ou 165.4.19;
f) une résolution visée au deuxième alinéa de l’article 145.7, 145.34, 145.38, 165.4.9 ou 165.4.17 ou au troisième alinéa de l’article 145.42;
(…)
Elle peut également ordonner, aux frais du propriétaire, l’exécution des travaux requis pour rendre l’utilisation du sol ou la construction conforme à la résolution, à l’entente, au règlement ou au plan visé au paragraphe 1° du premier alinéa ou pour rendre conforme au plan métropolitain applicable, aux objectifs du schéma applicable ou aux dispositions du règlement de contrôle intérimaire applicable l’intervention à l’égard de laquelle s’applique l’article 150 ou, s’il n’existe pas d’autre remède utile, la démolition de la construction ou la remise en état du terrain.
(…)
[25] Règlement de lotissement (numéro 223-2008) :
26. MORCELLEMENT NON SOUMIS À CERTAINES NORMES MINIMALES
Les exigences minimales relatives à la superficie et aux dimensions minimales des lots, prescrites à la présente section, ne s'appliquent pas à une opération cadastrale visée par les dispositions applicables aux rues et aux îlots du chapitre 4, ni à l'égard d'un lot qui est créé à l'une des fins suivantes :
1 ° Pour élaborer une déclaration de copropriété faite en vertu des articles 1038 et 3030 du Code civil du Québec (L.Q., 1991, c. 64) ou pour l'aliénation d'une partie d'un bâtiment requérant la partie.
(…)
34. SUPERFICIE D'UN LOT EN FONCTION DE LA PENTE DU TERRAIN
Tout lot à construire doit posséder une partie à construire dont la pente naturelle moyenne est inférieure ou égale à 25 %.
Lorsqu'une construction est projetée sur le lot à créer, la partie à construire correspond à l'assiette de cette construction, laquelle est déterminée par un périmètre de 5 m de profondeur supplémentaire au pourtour du bâtiment principal et de 3 m au pourtour des autres ouvrages ou constructions. Lorsqu'aucune construction précise n'est projetée sur le lot à créer, la partie à construire correspond à une superficie minimale de 500 m2 n'ayant pas moins de 10 m de largeur et atteignant au moins 30 m de largeur, plus une bande d'une largeur d'au moins 9 m entre cette superficie et la rue, si cette superficie n'est pas directement adjacente à la rue. Si le lot mesure moins de 500 m2, l'ensemble du terrain est une partie à construire.
[26] Règlement sur les conditions de délivrance des permis de construction (numéro 227-2008) :
18. PENTE FORTE
Aucun permis de construction ne peut être délivré lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de plus de 25 %, si le terrain sur lequel doit être érigée la construction a été loti après l'entrée en vigueur du règlement municipal de concordance au schéma d'aménagement et de développement de la MRC des Pays-d'en-Haut.
[27] Règlement relatif aux plans d’implantation et d’intégration architecturale (numéro 225-2008) :
76. DOMAINE D'APPLICATION
Les dispositions de la présente section s'appliquent à tous les terrains dont la pente moyenne est de 25 % ou plus, dans toutes les zones résidentielles de villégiature «HV» et certaines zones résidentielles et touristiques «HT», telles que définies au plan de zonage annexé au règlement de zonage en vigueur.
[28] Schéma d’aménagement et de développement de la MRC :
9.5 Conditions régissant la construction
Toute nouvelle construction doit faire l'objet d'un permis de construction. Aucun permis de construction ne peut être accordé à moins que les conditions suivantes soient respectées:
(…)
Pour tout terrain loti après l'entrée en vigueur du règlement municipal de concordance au schéma d'aménagement et de développement de la MRC, il est strictement interdit d'émettre un permis de construction lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de plus de 30%.
(…)
(Renvois omis)
PRÉTENTIONS DES PARTIES
[29] L’appelant fait valoir que la juge confond les notions de pente naturelle moyenne du terrain et de pente naturelle moyenne de la partie à construire. Quant à cette dernière, il plaide que son projet ne contrevient à aucune norme applicable.
[30] En effet, selon lui, l’article 34 du Règlement de lotissement ne s’applique pas à son projet en raison de l’exception prévue au paragraphe 26(1) de ce même règlement relatif au projet intégré. Il ne reste alors que l’article 18 du Règlement sur les permis, lequel prévoit qu’aucun permis ne peut être délivré lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de plus de 25 %. Selon l’appelant, ce règlement est de nature purement administrative et découle de l’article 119 de la Loi. Il ne peut donc pas prévoir une telle restriction qui relèverait plutôt du Règlement de zonage[5] d’autant qu’ici cette restriction serait en contradiction avec le Règlement de lotissement qui exonère l’appelant de cette norme du 25 %. Enfin, l’appelant note qu’une éventuelle exigence quant au pourcentage de la pente naturelle moyenne de la partie à construire ne fait pas partie de la liste des conditions pouvant être requises pour la délivrance d’un permis selon l’article 116 de la Loi.
[31] Pour ces raisons l’appelant soumet que l’article 227 de la Loi ne s’applique pas et la Ville ne peut pas, par conséquent, réclamer d’ordonnance de démolition.
[32] Quant à la pente naturelle moyenne du terrain, l’appelant plaide qu’il n’est pas interdit que celle-ci excède 25 %. Dans un tel cas, le projet est plutôt soumis à une procédure d’autorisation particulière par le Conseil municipal selon le Règlement relatif aux plans d’implantation et d’intégration architecturale[6] (« Règlement relatif aux plans »).
[33] Subsidiairement, si la Cour conclut que l’article 227 de la Loi s’applique en l’espèce, l’appelant soumet que la juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans l’analyse des critères de l’arrêt Chapdelaine. Selon lui, non seulement la juge s’est-elle méprise quant à sa bonne foi, mais elle a omis de conclure au manque de diligence de la Ville qui ne l’a informé que très tardivement du risque de démolition. Enfin, la juge a ignoré la preuve établissant que le préjudice de la démolition excède celui du statu quo.
[34] L’intimée, quant à elle, fait valoir que le plan de lotissement autorisé par la Ville en 2013 respectait l’article 34 du Règlement de lotissement puisque la construction était projetée sur un plateau dont la pente naturelle moyenne était de 24 %. C’est l’appelant qui a unilatéralement décidé de modifier le situs de l’immeuble à construire pour l’ériger sur un plateau dont la pente excédait 25 %.
[35] L’appelant contrevient ainsi à l’article 18 du Règlement sur les permis, lequel prévoit qu’aucun permis ne peut être délivré pour une construction dont la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de plus de 25 %. Pour la Ville, cette disposition découle de l’article 116 de la Loi qui permet de prévoir les conditions de délivrance d’un permis, et ce, même si la réglementation du pourcentage de la pente de la partie à construire n’est pas explicitement prévue à cet article. La Ville ajoute que cette disposition peut aussi être rattachée à la compétence de la Ville en matière de zonage prévue au paragraphe 113(16) de la Loi.
[36] Selon la Ville, le fait qu’une telle exigence se retrouve dans le Règlement sur les permis plutôt que dans celui sur le zonage n’a aucune incidence puisque, dans tous les cas, elle a compétence et qu’il s’agit de matières visées par l’article 227 de la Loi. De toute manière, l’appelant n’a pas contesté la validité ou l’opposabilité de l’un ou l’autre de ces règlements. Ils sont donc présumés valides.
[37] Quant à la question subsidiaire de l’article 227 de la Loi, la Ville soumet qu’il s’agit d’une discrétion exceptionnelle et que la juge a conclu à l’aveuglement volontaire de l’appelant, conclusion à l’égard de laquelle la Cour doit faire preuve de déférence. De même, il s’agit ici d’une dérogation majeure et, contrairement à ce que prétend l’appelant, des préoccupations liées à l’environnement et à la sécurité publique justifient le respect de ces normes.
ANALYSE
[38] Il convient de déterminer d’abord si l’appelant contrevient à l’une ou l’autre des normes applicables pouvant donner lieu à l’application de l’article 227 de la Loi. Dans l’affirmative, je devrai ensuite déterminer si la juge a eu raison d’ordonner la démolition de l’immeuble de l’appelant.
1) Contravention à la réglementation municipale
[39] Deux notions distinctes de pente ressortent des divers règlements de la Ville. D’abord, il y a la pente naturelle moyenne du terrain[7]. Celle-ci apparait notamment aux articles 76 et suivants du Règlement relatif aux plans, lesquels soumettent tout projet de construction nouvelle sur un terrain dont la pente naturelle moyenne est de 25 % ou plus à l’obtention d’un permis ou d’un certificat d’autorisation.
[40] Il y a ensuite la pente naturelle moyenne de la partie à construire qui apparait à l’article 9.5 du schéma d’aménagement et de développement de la MRC des Pays-d’en-Haut (« MRC »), lequel proscrit tout permis de construction, lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de plus de 30 %. On sait toutefois que le contenu du schéma n’est pas opposable aux citoyens et que les municipalités ont l’obligation de rendre leurs règlements conformes à celui-ci[8]. Dans ce contexte, la Ville a intégré cette norme à sa réglementation par une combinaison de deux articles, soit l’article 34 du Règlement de lotissement prévoyant que tout lot à construire doit posséder une partie à construire dont la pente naturelle moyenne est inférieure ou égale à 25 % et l’article 18 du Règlement sur les permis prévoyant qu’aucun permis de construction ne peut être délivré lorsque cette pente est de plus de 25 %.
[41] On perçoit immédiatement une importante différence entre ces deux pentes dont le pourcentage maximal est toutefois le même. Lorsque la première excède celui-ci, la construction demeure possible, mais est soumise à une autorisation préalable du Conseil municipal. Lorsque c’est la seconde qui excède ce même pourcentage, la construction est interdite.
[42] Le premier moyen d’appel porte donc sur l’application que fait la juge de cette réglementation. L’appelant lui fait plusieurs reproches que l’on peut synthétiser en trois idées.
[43] D’abord, la juge confondrait à plusieurs reprises l’une et l’autre de ces deux notions de pentes. C’est le cas, par exemple, lorsqu’elle réfère aux positions respectives des experts et précise que l’arpenteur-géomètre Rolland Michaud, expert de l’appelant (« arpenteur Michaud »), avait fixé la pente naturelle moyenne de la partie à construire à 24,5 %, alors que c’est plutôt le pourcentage de la pente naturelle moyenne du terrain qu’il avait ainsi quantifié[9].
[44] Sur ce point, l’appelant a raison. Cette confusion entre les diverses notions de pentes revient à quelques reprises dans le jugement entrepris[10]. Je remarquerai toutefois que celle-ci provient peut-être, en partie du moins, des parties elles-mêmes, dont l’appelant, qui n’est lui-même pas toujours précis dans la différenciation de ces deux pentes, allant même jusqu’à justifier sa propre confusion par celle induite par la réglementation.
[45] Quoi qu’il en soit, je suis d’avis que cette confusion n’entache aucunement le raisonnement ou les conclusions de la juge, tant à l’égard des faits que du droit, ne serait-ce seulement parce que, selon moi, les normes concernant les deux pentes s’appliquent et sont ici dépassées.
[46] Le deuxième reproche fait à la juge porte sur son appréciation de la preuve d’experts. Ici encore, la juge confondrait les pentes mais, surtout, elle écarte l’expertise de l’arpenteur Michaud en le critiquant d’avoir calculé la pente après que les coffrages eurent été coulés plutôt que de calculer la pente « naturelle » moyenne, c’est-à-dire avant toute intervention humaine omettant toutefois de remarquer que l’arpenteur Labelle aurait fait de même.
[47] Il est bien connu qu’en matière d’appréciation de la preuve d’expert, la Cour doit déférence aux conclusions de la juge de première instance et n’intervient qu’en présence d’une erreur manifeste et déterminante[11]. Or, en l’espèce, non seulement l’appelant ne me convainc-t-il pas d’une erreur manifeste, mais, même si tel était le cas, celle-ci ne serait pas déterminante.
[48] En effet, même en ne retenant pas le pourcentage proposé par l’arpenteur Labelle, selon lequel la pente naturelle moyenne de la partie à construire est de 44 %, les experts s’entendent sur le fait que cette pente excède la norme du 25 %. L’arpenteur Michaud, lors de son témoignage, réitère d’ailleurs qu’il sait bien que le plateau où la construction est érigée présente une pente de plus de 25 %. Il n’y a donc pas véritablement de contestation quant à la violation, dans les faits, de cette norme relative à la partie à construire. C’est plutôt dans l’application de celle-ci et dans la possibilité de lui appliquer l’article 227, objet du troisième reproche fait à la juge, que reposent véritablement les prétentions de l’appelant.
[49] Selon lui, l’article 34 du Règlement de lotissement ne s’applique pas à sa construction. De ce fait, l’article 18 du Règlement sur les permis, qui prévoit qu’aucun permis de construction ne peut être délivré lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est supérieure à 25 %, s’il lui était applicable, serait en contradiction avec le Règlement de lotissement, contradiction qui doit lui bénéficier. De toute manière, selon l’appelant, le Règlement sur les permis ne permet pas l’application de l’article 227 de la Loi.
[50] Ce moyen doit échouer pour les raisons suivantes.
[51] En 2005, la MRC adopte un schéma d’aménagement et de développement prévoyant à son article 9.5 qu’aucun permis de construction ne peut être délivré lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est supérieure à 30 %.
[52] Comme il se doit, la Ville intègre les normes de ce schéma dans sa réglementation, lesquelles deviennent donc opposables aux citoyens. Elle le fait toutefois en adoptant la norme, un peu plus sévère, du 25 % tant à l’article 34 de son Règlement de lotissement qu’à l’article 18 de son Règlement sur les permis.
[53] Ces deux dispositions se présentent comme un continuum d’une même exigence. Puisqu’aucun permis de construction ne peut être délivré lorsque la pente naturelle moyenne de la partie à construire est supérieure à 25 %, il n’est que logique, qu’en amont, on ne puisse obtenir un permis de lotissement pour un lot à construire ne comprenant aucune partie à construire suffisante respectant cette norme. Le lien étroit entre ces deux dispositions ressort d’ailleurs clairement de l’article 18 du Règlement sur les permis, lequel ne s’applique que pour les terrains lotis après l’entrée en vigueur du règlement de concordance au schéma de la MRC, ici le Règlement de lotissement. Ces deux règlements s’appliquent donc de concert.
[54] L’article 34 du Règlement de lotissement prévoit que tout lot doit posséder un plateau à construire d’une dimension décrite par ce même article, dont la pente naturelle moyenne est inférieure ou égale à 25 %. En l’espèce, cette norme a été respectée, puisque la construction projetée en 2013 était située sur une partie à construire dont le pourcentage était de 24 %.
[55] L’appelant plaide qu’il n’est pas soumis à cet article du Règlement de lotissement en raison de l’exception prévue au paragraphe 26(1) de ce même règlement. Il a tort. Rien dans la preuve ne permet de conclure que le projet visait, lors de son adoption, l’élaboration d’une déclaration de copropriété, tel que le prévoit le paragraphe 26(1) et l’article 34 s’applique donc en l’espèce. Mais contrairement à ce que semble soutenir l’appelant, cette question n’est aucunement déterminante. Je rappelle qu’à l’époque de la délivrance du permis de lotissement, cet article a été respecté. C’est l’appelant qui, par la suite, contrevient en quelque sorte à l’esprit de cette disposition lorsqu’il déplace son projet de construction sur un plateau dont le pourcentage de la pente est supérieur à 25 %. Mais surtout, dès lors, il se met dans une position de ne pas pouvoir obtenir un permis de construction selon l’article 18 du Règlement sur les permis. Or, sur ce point, l’appelant plaide que la violation de l’article 18 du Règlement sur les permis ne permet pas à la Ville de demander une ordonnance aux termes de l’article 227 de la Loi.
[56] Je ne suis pas d’accord.
[57] Contrairement à ce que prétend l’appelant, le Règlement sur les permis ne tient pas son habilitation législative de l’article 119 de la Loi, lequel vise essentiellement les mesures administratives de la délivrance d’un permis, par exemple interdire un projet de construction sans l’obtention d’un permis (art. 119(1)), prescrire les plans et documents nécessaires à une demande de permis (art. 119(5)) ou encore établir un tarif d’honoraires (119 (6)). Le Règlement sur les permis, en l’espèce, découle plutôt de l’article 116 qui, au terme de la compétence de la Ville sur le lotissement, permet à celle-ci de prévoir les conditions devant être satisfaites pour la délivrance d’un tel permis.
[58] À première vue, l’article 18 du Règlement sur les permis peut être sanctionné par une ordonnance de démolition puisque l’alinéa 227(1)b) de la Loi vise spécifiquement les règlements adoptés sous l’égide de l’article 116. L’appelant fait toutefois valoir que le pourcentage de la pente ne fait pas partie des conditions pouvant être exigées selon l’article 116 de la Loi. Celui-ci relèverait plutôt de la compétence de la Ville en matière de zonage prévue au paragraphe 113(16) de la Loi relatif à la topographie du terrain. La norme quant au pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne de la partie à construire n’étant pas incluse dans le bon règlement, elle ne peut, selon l’appelant, permettre l’application de l’article 227 de la Loi.
[59] Cette vision des choses me semble indûment formaliste. L’appelant ne soumet pas que la Ville n’avait pas la compétence de soumettre la délivrance d’un permis de construction au respect d’un pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne de la partie à construire. Indubitablement, la Ville a cette compétence. Elle aurait simplement prévu cette norme dans le mauvais règlement, soit celui sur les conditions de délivrance des permis (art. 116) plutôt que celui sur le zonage (paragr. 113(16)).
[60] Même en admettant que l’appelant a raison de soutenir que l’article 116 de la Loi ne permet pas d’inclure une condition concernant les pentes, le fait que l’article 18 du Règlement sur les permis se retrouve ainsi dans le mauvais règlement n’a pas d’incidence et ne préjudicie aucunement l’appelant puisque la Ville possède le pouvoir de réglementer les pentes au paragraphe 113(16) et que ce dernier, tout comme l’article 116, donne ouverture à un recours sous l’article 227 de la Loi[12]. J’ajoute à cela que les règlements issus de ces deux dispositions sont soumis au même processus d’adoption[13], qu’il est admis par la jurisprudence qu’un même règlement peut viser plusieurs objets différents[14] et que, de toute manière, l’appelant n’ayant jamais contesté la validité de l’article 18 du Règlement sur les permis ou demandé son inopposabilité, celui-ci est présumé valide.
[61] Enfin, même dans l’éventualité où l’article 227 de la Loi ne s’appliquerait pas, celui-ci n’absorbe pas en lui tous les recours possibles de la Ville afin d’obtenir le respect de sa réglementation. Il aurait alors été possible de recourir à l’injonction de droit commun[15].
[62] De tout cela, je conclus donc que la construction de l’appelant est incompatible avec l’article 18 du Règlement sur les permis, laquelle incompatibilité permet à la Ville de demander la démolition de la construction aux termes de l’article 227 de la Loi. Il reste à déterminer si la juge aurait dû refuser d’octroyer une telle ordonnance.
2) L’exercice de la discrétion de la juge de première instance aux termes de l’article 227 de la Loi
[63] L’appelant fait valoir que la juge commet une erreur manifeste et déterminante dans l’application des critères établis par notre Cour dans l’arrêt Chapdelaine. Celle-ci aurait dû, eu égard à l’ensemble des circonstances et tout particulièrement des conséquences qu’aurait la démolition, rejeter la demande la Ville.
[64] D’abord, je rappelle que le rôle de notre Cour dans ce domaine est limité. Il revient au juge de première instance de déterminer, à la suite de l’appréciation de l’ensemble de la preuve, s’il convient de refuser l’octroi de l’ordonnance de démolition. Le fardeau de l’appelant est donc lourd. Il doit convaincre la Cour de l’existence d’une erreur manifeste et déterminante[16].
[65] En cette matière, les mots utilisés par mon collègue Yves-Marie Morissette, si souvent plaidés, décrivent bien l’idée de ce qu’est une erreur manifeste. C’est celle que l’on peut « montrer du doigt »[17], c’est-à-dire que l’on peut l’isoler, que l’on réussit à nommer. L’addition d’une série, aussi longue soit-elle, de soi-disant erreurs mineures et indépendantes entre elles, ne résulte pas, sauf exception, en une erreur manifeste. C’est pourtant ce que tente de faire ici l’appelant. Il ne suffit pas, non plus, d’isoler certains éléments de preuve précis que la juge aurait prétendument oubliés pour faire apparaitre une erreur manifeste[18]. Apprécier la preuve c’est choisir; c’est discriminer certains éléments au profit d’autres.
[66] Le fardeau de l’appelant est d’autant plus lourd ici que la discrétion que détient la juge de première instance de refuser la démolition est de nature tout à fait exceptionnelle. Notre Cour n’a de cesse de le répéter[19]. Mon collègue Jacques Chamberland l’écrivait lui-même dans ses motifs majoritaires de l’arrêt Chapdelaine, vu depuis, comme l’arrêt de principe en ce domaine[20] :
[31] À mon avis, le recours de l'article 227 de la Loi est porteur d'une certaine discrétion dont le tribunal, dans les circonstances particulières et exceptionnelles, peut user afin de refuser le recours même en présence d'une utilisation du sol ou d'une construction incompatible avec la réglementation municipale. Cette discrétion s'étend donc non seulement au choix du remède approprié pour corriger une situation dérogatoire mais aussi, exceptionnellement, lorsque les circonstances l'exigent, à la possibilité de rejeter le recours même après avoir constaté l'existence d'une situation dérogatoire.
[32] Reprenant en cela l'idée exprimée par mon collègue Baudouin dans l'arrêt Abitibi (Municipalité régionale de Comté d'), il me semble normal que les tribunaux gardent une certaine marge de pouvoir discrétionnaire de façon à pallier les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait parfois entraîner. Cette discrétion me semble souhaitable, voire essentielle, pour permettre aux tribunaux de préserver, exceptionnellement et lorsque les circonstances particulières d'un dossier l'exigent, l'équilibre entre les intérêts de la communauté et ceux d'un individu.
[33] La jurisprudence traitant à ce jour de l'article 227 de la Loi reconnaît qu'il y a place à cette discrétion lorsque les dérogations reprochées sont mineures ou de peu d'importance ou lorsque les conclusions recherchées par le requérant ne procureront aucun résultat pratique en raison du caractère théorique de l'ordonnance. À ces situations, je propose donc d'ajouter qu'il y a aussi place à la discrétion judiciaire, exceptionnellement, lorsque les circonstances tout à fait particulières d'un dossier l'exigent pour éviter les injustices qu'une application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation pourrait entraîner.
[Renvois omis]
[67] Si l’on s’en tient aux catégories ci-haut énumérées, l’ordonnance recherchée ici n’est pas théorique et il est difficile de conclure que la dérogation est mineure d’autant qu’elle vise, tout à la fois, le pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne de la partie à construire, qui emporte une interdiction totale du projet, que le pourcentage maximal de la pente naturelle moyenne du terrain qui aurait nécessité une autorisation préalable du Conseil municipal.
[68] Reste le dernier cas de l’énumération, celui où, « exceptionnellement » et devant des « circonstances tout à fait particulières », il est nécessaire de refuser d’ordonner l’injonction afin d’éviter les injustices de l’application stricte, rigoureuse et aveugle de la réglementation. Je rappelle que, dans le cas de l’affaire Chapdelaine, lors de sa construction en 1959, l’immeuble était conforme au zonage, lequel prévoyait un usage mixte. En 1963, le zonage devient commercial. Pourtant, en 1966, la ville délivre un permis de construire dans le but de transformer l’édifice en immeuble résidentiel. Ce n’est qu’en 1999 que la ville demande la démolition de l’immeuble, lequel avait été vendu à plusieurs reprises depuis.
[69] En l’espèce, les faits sont bien loin de ce type de cas « exceptionnel et rarissime ». L’appelant non seulement ne me convainc-t-il pas que la juge a commis une erreur manifeste, mais je suis d’avis que celle-ci était justifiée de ne pas utiliser sa discrétion pour refuser l’ordonnance de démolition.
[70] Sans revenir sur l’ensemble des erreurs que la juge aurait commises selon l’appelant, je répondrai aux plus importantes.
[71] Quant aux agissements de la Ville, l’appelant plaide que celle-ci, loin d’être diligente comme la juge le conclut, aurait fait preuve d’une grande insouciance.
[72] Pour cela, l’appelant fait d’abord valoir que la Ville a délivré un permis de lotissement en 2013 pour le terrain en litige. Cela est exact, mais ce plan identifie bien un emplacement à construire sur le lot dont la pente naturelle moyenne est inférieure à 25 %, ce sur quoi même l’expert Michaud en convient. La réglementation était donc respectée. C’est l’appelant qui a unilatéralement décidé de construire sa résidence ailleurs.
[73] L’appelant reproche ensuite à la Ville de lui avoir parlé seulement de la pente naturelle moyenne du terrain jusqu’à la mise en demeure du 25 janvier 2016.
[74] Il est vrai qu’au moment où la Ville prend connaissance de l’existence des travaux, le 12 novembre 2015, jusqu’à la mise en demeure, celle-ci demande à l’appelant des informations quant à la seule pente naturelle moyenne totale du terrain. Il est vrai, aussi, que la Ville n’informe pas l’appelant de la possibilité de la démolition de l’immeuble. Mais il n’y a pas là de geste permettant de penser qu’elle acceptait la situation. Non seulement elle ne délivre jamais de permis de construction, mais au contraire, elle transmet des avis de cessation de chantier les 13 novembre et 1er décembre 2015 ainsi qu’un constat d’infraction le 10 décembre 2015 toujours en raison de l’absence de permis. De même, ce n’est que le 23 décembre 2015 que la Ville, après avoir mandaté l’arpenteur Labelle, est informée que la pente naturelle moyenne de la partie à construire est, selon lui, de 44 %.
[75] Enfin, il ne faut pas perdre de vue que tous ces événements se déroulent sur une période d’un peu plus de deux mois. On ne peut pas dire que la Ville « s’est trainée les pieds » et jamais, encore une fois, n’a-t-elle posé de geste positif pouvant créer des attentes ou susciter dans l’esprit de l’appelant un faux sentiment que le projet était conforme. De toute manière, si ce délai a pu nuire à l’appelant, ce n’est que pour les travaux qu’il a continué à faire en violation après l’avis de cessation du 13 novembre. Cela amène naturellement à l’examen des agissements de l’appelant.
[76] Celui-ci fait valoir son ignorance du domaine de la construction et le fait qu’il a été trompé par des gens en qui il avait confiance, tout spécialement Fecteau. Il avance qu’en novembre 2015, lorsqu’il apprend que, contrairement à ce qu’il croyait, aucun permis de construction n’a été délivré, il était déjà trop tard, qu’il était alors devant un fait accompli dont il était la victime innocente.
[77] L’appelant ne me convainc pas que la juge erre dans son appréciation de ses agissements. Il est vrai qu’elle est sévère à son égard. Il demeure que, même en admettant qu’il n’était qu’une victime jusqu’en novembre 2015, il fait par la suite fi de deux avis de cessation de chantier et d’un constat d’infraction en continuant ses travaux[21].
[78] L’état d’esprit qui anime alors l’appelant importe peu. Certes, il subissait déjà une perte significative. Mais il demeure que les travaux étaient loin d’être terminés et que cette perte serait aujourd’hui bien moindre s’il les avait alors cessés. Il aurait pu aller chercher conseil auprès d’avocats et éventuellement poursuivre Fecteau, bien qu’il explique que la solvabilité de celui-ci rendait ces démarches inutiles. Quoi qu’il en soit, tout ceci ne peut priver la Ville d’obtenir l’application de sa réglementation[22], non plus que permettre à l’appelant de continuer à contrevenir à la réglementation municipale en espérant mettre la Ville devant un état de fait consommé. La jurisprudence répète, de manière constante, qu’en cette matière, la plus entière bonne foi est exigée[23].
[79] L’on est donc bien loin d’un cas où des attentes légitimes seraient injustement brisées par une application rigoriste de la réglementation. Pour moi, ce seul facteur est fatal à l’appel. Il jette aussi un éclairage sur le prochain critère qu’examine la juge.
[80] L’appelant fait valoir que rien n’établit que le maintien de la construction porte préjudice à l’environnement ou met en péril la sécurité publique. Au contraire, l’arpenteur Labelle, constatant que malgré les infractions la maison est bien intégrée dans le milieu naturel, précise qu’il y a lieu de s’interroger sur les impacts de la démolition qui viendraient empirer la situation actuelle en matière environnementale.
[81] Fort de ces commentaires, l’appelant fait valoir qu’un tribunal doit écarter la démolition, laquelle est la peine capitale, lorsqu’il est établi que celle-ci causerait un préjudice plus grand que le statu quo. À défaut, la démolition ne devient qu’une simple punition, ce qui n’est pas son rôle.
[82] Il ne m’est pas nécessaire ici de formuler une règle générale, si tant est que cela soit possible, qui répondrait à l’argument de l’appelant. Je me limiterai à souligner que même si le tribunal se devait de procéder à un calcul d’opportunité au moment de décider de l’ordonnance, en l’espèce, la preuve n’est absolument pas suffisante pour justifier le refus de la démolition.
[83] Il est indéniable que la sanction ordonnée par la juge a de lourdes, très lourdes conséquences pour l’appelant. L’on peut comprendre qu’il puisse y voir là une punition. Tel n’est toutefois pas le cas. L’objectif principal et premier de l’ordonnance de démolition n’est pas de punir, mais d’assurer le respect de la réglementation de la Ville laquelle est celle qui peut, par l’adoption d’une réglementation valide, juger de ce qui est esthétique, responsable ou sécuritaire. Pas les tribunaux[24].
[84] Je comprends aisément l’impact d’une telle décision pour l’appelant, d’autant que celle-ci découle, pour une partie du moins, du comportement de Fecteau à son égard. La juge de première instance en était aussi très consciente puisqu’elle a non seulement suspendu l’audience, pour que les parties évaluent les alternatives possibles, mais elle a également donné sept mois de délai supplémentaire après son jugement pour que l’appelant puisse obtenir une seconde opinion. Sans succès.
[85] Si, dans certains cas, l’intérêt de la justice commande que l’on écarte la démolition au motif que celle-ci, disproportionnée au manquement reproché, choquerait le sentiment d’équité, ce même intérêt de la justice peut aussi, parfois, justifier la démolition, sans laquelle un citoyen pourrait parvenir à ses fins en adoptant la stratégie du « fait accompli »[25]. La juge de première instance conclut que c’est le cas ici.
[86] Je suis d’accord.
[87] Pour l’ensemble de ces motifs, je propose à la Cour de rejeter l’appel, de confirmer les ordonnances à l’encontre de l’appelant et l’autorisation de la Ville de procéder elle-même à la démolition en cas de défaut. Compte tenu de la période où le présent arrêt est rendu, je propose à la Cour de donner à l’appelant jusqu’au 30 septembre 2021 afin de se conformer à l’ordonnance de démolition.
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BENOÎT MOORE, J.C.A. |
[1] Ville de Saint-Sauveur c. Bibeau, 2019 QCCS 44 [jugement entrepris].
[2] RLRQ, c. A-19.1.
[3] Montréal (Ville de) c. Chapdelaine, [2003] R.J.Q. 1417, (C.A.) [Chapdelaine].
[4] Règlement no. 227-2008, art. 18.
[5] Règlement 222-2008.
[6] Règlement 225-2008.
[7] L’article 323, no 234 du Règlement de zonage (#222-2008) prévoit comment se calcule cette pente.
[8] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, art. 58 et 59.
[9] Jugement entrepris, paragr. 8.
[10] Jugement entrepris, par exemple, paragr. 2 où la juge lie la nécessité d’une autorisation par la Ville d’un plan d’intégration et d’implication architecturale à la pente naturelle moyenne de la partie à construire, alors que c’est plutôt la pente naturelle moyenne du terrain.
[11] Thibault c. Fortin, 2018 QCCA 1573, paragr. 25; Entreprises d’électricité Rial inc. c. Lumen, division de Sonepar Canada inc., 2010 QCCA 655, paragr. 28.
[12] Lac Saint-Charles (municipalité) c. Placements Picarion Inc., 1997 CanLII 17456 (QCCA).
[13] Loi sur l’aménagement et l’urbanisme, art. 123.
[14] Ville Saint-Pierre c. Amusements Saint-Jacques inc., REJB 1999-14639, paragr. 12 (C.A.). Voir aussi : Les Immeubles Desaubec (2002) s.e.n.c. c. Ville de Granby, 2014 QCCA 1768.
[15] Lorne Giroux et Isabelle Chouinard, « La sanction des règlements d'urbanisme », dans École du Barreau du Québec, Droit public et administratif, volume 8 (2020-2021), Montréal, Éditions Yvon Blais, 2020, p. 439.
[16] Église de Dieu Mont de Sion c. Montréal (Ville de), 2014 QCCA 295; 9129-6111 Québec inc. c. Longueuil (Ville de), 2010 QCCA 2265.
[17] P.L. c. Benchetrit, 2010 QCCA 1505, paragr. 24; J.G. Nadeau, 2016 QCCA 167, paragr. 76.
[18] ERCD Industries inc. c. 9222-6901 Québec inc., 2020 QCCA 1240, paragr. 32-33; Agence du revenu du Québec c. Lavoie, 2015 QCCA 750, paragr. 13; Renaud c. Petit, 2008 QCCA 151, paragr. 13 (Bich j.c.a.); 2M Automation Canada inc. c. Suissa, 2006 QCCA 962, paragr. 23 (Bich, j.c.a).
[19] Montréal (Ville de) c. Auberge des Glycines inc. (Auberge Le Pomerol inc.), 2012 QCCA 556; Municipalité de Saint-Gédéon c. Comité plage St-Jude inc., 2018 QCCA 143; Municipalité du canton de Stanstead c. 9270-5912 Québec inc., 2020 QCCA 499, paragr. 49; Municipalité de Les Cèdres c. Venettacci, 2020 QCCA 1495.
[20] Chapdelaine, supra, note 3, paragr. 31-33.
[21] 9201-6468 Québec inc. (Recycle Auto 2000 IM) c. Municipalité des Îles-de-la-Madeleine, 2019 QCCA 345, paragr. 28 et s.
[22] Lac-du-Cerf (Municipalité de) c. Ménard, 2016 QCCS 4616, confirmé par 2018 QCCA 1798.
[23] Municipalité de Saint-Gédéon, supra, note 19; Montréal (Ville de), supra, note 19, paragr. 44.
[24] Municipalité de Saint-Gédéon, supra, note 19, paragr. 20 et s.
[25] Municipalité du canton de Stanstead, supra, note 19, paragr. 49; Municipalité de Saint-Gédéon, supra, note 19, paragr. 2.
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