Québec (Procureure générale) c. Syndicat des agents de la paix en services correctionnels du Québec |
2015 QCCA 54 |
COUR D'APPEL
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
No : |
500-09-024068-132 |
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(500-17-076108-136) |
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PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE |
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DATE : |
Le 16 janvier 2015 |
CORAM : LES HONORABLES |
YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
APPELANTE |
AVOCATE |
LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC
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Me nathalie fiset (DIRECTION GÉNÉRALE DES AFF. JUR. ET LÉGIS.)
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INTIMÉ |
AVOCAT(S) |
LE SYNDICAT DES AGENTS DE LA PAIX EN SERVICES CORRECTIONNELS DU QUÉBEC
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Me mathilde baril-jannard (LAROCHE MARTIN (SERVICE JURIDIQUE CSN))
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MIS EN CAUSE |
AVOCAT |
YVAN BRODEUR
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INTERVENANTE
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LA COMMISSION DE LA SANTÉ ET DE LA SÉCURITÉ DU TRAVAIL
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Me PIERRE-MICHEL LAJEUNESSE (VIGNEAULT THIBODEAU BERGERON) |
En appel d'un jugement rendu le 5 novembre 2013 par l'honorable Benoît Emery, de la Cour supérieure, district de Montréal. |
NATURE DE L'APPEL : |
Révision judiciaire - harcèlement psychologique - compétence de l’arbitre - condamnation à des dommages et intérêts punitifs et moraux |
Greffière d’audience : Marcelle Desmarais |
Salle : Antonio-Lamer |
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AUDITION |
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Suite de l’audition du 12 janvier 2015. |
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Arrêt déposé séance tenante - voir page 4. |
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Greffière d’audience |
PAR LA COUR
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ARRÊT |
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[1] L’appelante se pourvoit contre un jugement de la Cour supérieure[1], district de Montréal (l’honorable Benoît Emery), qui le 5 novembre 2013 a fait droit, mais en partie seulement, à sa requête en révision judiciaire et a modifié en conséquence le dispositif d’une sentence arbitrale de l’intimé.
[2] Victime d’une « dépression majeure secondaire résultant d’un harcèlement psychologique au travail », M. Plathier, un agent des services correctionnels membre du mis en cause, obtient une décision en sa faveur rendue par la Commission des lésions professionnelles (la CLP) le 1er octobre 2008[2]. Ce faisant, la CLP infirme la décision de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la CSST) et elle « DÉCLARE que le travailleur a subi une lésion professionnelle le 29 novembre 2005 et qu’il a droit aux indemnités prévues à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[3] » (la LATMP). Il ressort par ailleurs du dossier que le harcèlement et les propos racistes à l’origine de la lésion professionnelle de M. Plathier avaient commencé peu de temps après son affectation au Palais de justice de Longueuil en mars 2005 et que, selon son médecin traitant, cette lésion fut consolidée le 9 août 2006.
[3] Parallèlement à la procédure commencée par M. Plathier devant la CSST et continuée devant la CLP, le mis en cause avait également déposé en son nom le 9 février 2006 deux griefs (on verra plus loin qu’ils n’en formaient en réalité qu’un seul) visant les agissements envers M. Plathier d’un autre agent du service correctionnel et de l’un de ses gestionnaires.
[4] Le 4 octobre 2011, dans une sentence arbitrale rejetant une objection préliminaire de l’appelante, l’intimé prenait acte du fait que « les procureurs ont reconnu que les pièces S-1 et S-2 constituent ensemble le grief de harcèlement psychologique soumis par la partie syndicale le 9 février 2006 et que, enfin, les conclusions énoncées à S-1 et S-2 doivent être comprises comme s’adressant à l’employeur ». Puis, le 31 janvier 2013, l’arbitre intimé se prononçait sur le fond du grief, par une sentence dont le dispositif comprend l’énoncé suivant :
ORDONNE à l’employeur de verser à M. Plathier des dommages et intérêts punitifs et moraux à titre de compensation et réparation pour les sévices, dommages et inconvénients découlant du harcèlement psychologique dont M. Plathier a été victime[.]
[5] Se fondant principalement sur les articles 81.20, 123.15 et 123.16 de la Loi sur les normes du travail[4] (la LNT), l’appelante déposait une requête en révision judiciaire le 26 février suivant et demandait que soit annulée l’ordonnance précitée dans le dispositif de la sentence.
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[6] Il convient donc en premier lieu de reproduire les dispositions invoquées par l’appelante, ainsi qu’un article pertinent de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[5] (la LATMP):
81.20. Les dispositions des articles 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 et 123.16 sont réputées faire partie intégrante de toute convention collective, compte tenu des adaptations nécessaires. Un salarié visé par une telle convention doit exercer les recours qui y sont prévus, dans la mesure où un tel recours existe à son égard.
[…] |
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81.20. The provisions of sections 81.18, 81.19, 123.7, 123.15 and 123.16, with the necessary modifications, are deemed to be an integral part of every collective agreement. An employee covered by such an agreement must exercise the recourses provided for in the agreement, insofar as any such recourse is available to employees under the agreement. |
123.15 Si la Commission des relations du travail juge que le salarié a été victime de harcèlement psychologique et que l'employeur a fait défaut de respecter ses obligations prévues à l'article 81.19, elle peut rendre toute décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, notamment:
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123.15 If the Commission des relations du travail considers that the employee has been the victim of psychological harassment and that the employer has failed to fulfil the obligations imposed on employers under section 81.19, it may render any decision it believes fair and reasonable, taking into account all the circumstances of the matter, including
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1° ordonner à l'employeur de réintégrer le salarié;
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(1) ordering the employer to reinstate the employee;
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2° ordonner à l'employeur de payer au salarié une indemnité jusqu'à un maximum équivalant au salaire perdu;
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(2) ordering the employer to pay the employee an indemnity up to a maximum equivalent to wages lost;
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3° ordonner à l'employeur de prendre les moyens raisonnables pour faire cesser le harcèlement;
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(3) ordering the employer to take reasonable action to put a stop to the harassment;
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4° ordonner à l'employeur de verser au salarié des dommages et intérêts punitifs et moraux;
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(4) ordering the employer to pay punitive and moral damages to the employee;
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5° ordonner à l'employeur de verser au salarié une indemnité pour perte d'emploi;
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(5) ordering the employer to pay the employee an indemnity for loss of employment;
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6° ordonner à l'employeur de financer le soutien psychologique requis par le salarié, pour une période raisonnable qu'elle détermine;
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(6) ordering the employer to pay for the psychological support needed by the employee for a reasonable period of time determined by the Commission;
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7° ordonner la modification du dossier disciplinaire du salarié victime de harcèlement psychologique.
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(7) ordering the modification of the disciplinary record of the employee. |
123.16 Les paragraphes 2°, 4° et 6° de l'article 123.15 ne s'appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié est victime d'une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (chapitre A-3.001), qui résulte du harcèlement psychologique.
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123.16 Paragraphs 2, 4 and 6 of section 123.15 do not apply to a period during which the employee is suffering from an employment injury within the meaning of the Act respecting industrial accidents and occupational diseases (chapter A - 3.001) that results from psychological harassment.
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Lorsque la Commission des relations du travail estime probable, en application de l'article 123.15, que le harcèlement psychologique ait entraîné chez le salarié une lésion professionnelle, elle réserve sa décision au regard des 2°, 4° et 6°. |
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Where the Commission des relations du travail considers it probable that, pursuant to section 123.15, the psychological harassment entailed an employment injury for the employee, it shall reserve its decision with regard to paragraphs 2, 4 and 6. |
Quant à la LATMP, elle prévoit notamment ceci :
438. Le travailleur victime d'une lésion professionnelle ne peut intenter une action en responsabilité civile contre son employeur en raison de sa lésion.
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438. No worker who has suffered an employment injury may institute a civil liability action against his employer by reason of his employment injury. |
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[7] Dans ses motifs, le juge de première instance se dit d’avis, à l’instar des parties, que lors d’une demande de révision judiciaire portant sur une question comme celle débattue ici, la norme de la décision correcte s’impose. Il en est ainsi parce qu’il s’agit, exceptionnellement, d’une véritable question de compétence. Le juge ajoute cependant que sa conclusion sur l’issue du litige aurait été la même s’il avait dû statuer sur le caractère raisonnable de la sentence arbitrale puisque selon lui cette dernière était déraisonnable.
[8] Le juge explique ensuite que la décision de la CLP porte sur la période d’inaptitude au travail de M. Plathier. Or, celle-ci s’est étendue du 29 novembre 2005, date de l’arrêt de travail (et celle aussi où le médecin consulté par M. Plathier porta un diagnostic de dépression majeure), jusqu’au 9 août 2006, date de consolidation de la lésion constatée par le médecin traitant.
[9] En ce qui concerne, cependant, la période antérieure au 29 novembre 2005, l’arbitre, selon le juge, conservait compétence pour accorder, le cas échéant, des dommages punitifs et moraux à M. Plathier. « [L]a condamnation, écrit le juge, ne pouvait viser que la période antérieure au 29 novembre 2005 plutôt qu'antérieure au 9 février 2006. »
[10] D’où le passage suivant du dispositif dans le jugement de la Cour supérieure :
ACCUEILLE en partie la requête en révision judiciaire aux seules fins d'exclure de la condamnation en dommages et intérêts punitifs et moraux la période du 29 novembre 2005 au 9 février 2006[.]
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[11] Au moment où ce jugement fut rendu, la Cour d’appel n’avait pas encore statué dans le dossier Carrier c. Mittal Canada inc.[6] C’est maintenant chose faite et il appert que la question soulevée ici par le pourvoi est voisine de celle tranchée par cet arrêt.
[12] L’affaire Carrier concernait un salarié qui avait porté plainte en vertu de l’article 124 de la LNT pour congédiement injustifié et pour harcèlement psychologique au travail. Cette disposition confère compétence à la Commission des relations du travail (la CRT), ce qui à première vue distinguerait l’espèce en cours de l’affaire Carrier. Mais il faut y regarder de plus près. On constate en premier lieu que, si les articles 123.15 et 123.16 délimitent les attributions respectives de la CSST et de la CRT en matière de harcèlement psychologique, une autre disposition de la LNT, l’article 81.20 précité, se trouve à faire de même pour ce qui concerne les attributions respectives de la CSST et d’un arbitre du travail saisi d’un grief en vertu d’une convention collective. De toute évidence, l’une des « adaptations nécessaires » dont fait état l’article 81.20 consiste à substituer les mots « l’arbitre » aux mots « la Commission des relations du travail » dans les articles 123.15 et 123.16 de la LNT.
[13] Dans l’arrêt Carrier, la Cour considère que la norme de la décision correcte est applicable en ce qui touche « la question touchant la délimitation des compétences respectives de la CRT, en vertu de la Loi sur les normes du travail, et des instances chargées de l’application de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles »[7]. Il ne peut faire de doute que ce raisonnement vaut également pour un arbitre de grief appelé à interpréter une convention collective visée par l’article 81.20 de la LNT.
[14] Or, si l’on se réfère de nouveau à l’arrêt Carrier, voici ce qu’écrivait la juge Bich au nom d’une formation unanime de la Cour (les notes de bas de page sont omises dans la citation qui suit) :
[68] Le travailleur victime de harcèlement psychologique peut s’adresser à la CSST et obtenir, en cas de lésion professionnelle découlant de ce harcèlement, le bénéfice du régime établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Le même travailleur, s’il a statut de salarié au sens de la Loi sur les normes du travail (ce qui est ici le cas), peut aussi, concurremment, se plaindre du harcèlement à la Commission des normes du travail en vertu de l’article 123.6 L.n.t. À moins d’être réglée à l’amiable, la plainte est déférée à la CRT en vertu de l’article 123.12 L.n.t. Dans le cas où la CRT accueille la plainte, elle peut ordonner les mesures réparatrices prévues par l’article 123.15 L.n.t., sous réserve cependant des restrictions qu’énonce l’article 123.16 L.n.t. […]
[69] L’article 123.16, premier al., est limpide : les paragraphes 2, 4 et 6 de l’article 123.15 « ne s’appliquent pas pour une période au cours de laquelle le salarié [en l’occurrence l’appelant] est victime d’une lésion professionnelle, au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles ». La CRT se trouve ainsi privée du pouvoir d’octroyer au salarié victime d’une lésion professionnelle découlant du harcèlement psychologique les remèdes que prévoient les paragraphes en question de l’article 123.15, c’est-à-dire : l’indemnité salariale (paragr. 2), les dommages moraux et punitifs (paragr. 4), le financement du soutien psychologique (paragr. 6). Ces remèdes sont en quelque sorte subsumés dans le régime d’indemnisation établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le législateur interdit qu’on les réclame autrement qu’à travers le régime mis sur pied par cette loi.
[70] Cela étant, l’on n’a pas besoin de recourir ici à l’article 438 L.a.t.m.p. D’ailleurs, ce serait une erreur, puisque le recours prévu par les articles 123.6 et s. L.n.t. peut manifestement coexister avec celui de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles. Cependant, en pareil cas, le législateur prescrit que les pouvoirs réparateurs de la CRT sont restreints aux remèdes prévus par les paragraphes 1, 3, 5 et 7 de l’article 123.15 L.n.t.. En ce sens, bien sûr, l’article 123.16 L.n.t. obéit à un objectif analogue à celui de l’article 438 L.a.t.m.p., mais ce n’est pas ce dernier qui justifie ici les décisions CRT-2 et 3 à l’égard de la perte salariale ou des dommages moraux découlant du harcèlement ou à l’égard des dommages punitifs liés à celui-ci, c’est plutôt l’article 123.16 L.n.t.
[71] Cela dit, le résultat est le même pour l’appelant, qui, en raison de cette disposition, ne peut prétendre aux indemnités prévues par les paragraphes 2, 4 et 6 de l’article 123.15 L.n.t. Le choix législatif exprimé par l’article 123.16 L.n.t. est clair et l’on ne peut y échapper.
[…]
[73] Y aurait-il eu lieu pour la CRT, cependant, de faire usage en faveur de l’appelant des paragraphes 1, 3, 5 ou 7 de l’article 123.15 L.n.t.? Une réponse négative s’impose, la situation ne donnant pas prise à l’application de l’un ou l’autre de ces paragraphes.
[74] Ainsi, le congédiement n’étant pas dû au harcèlement et n’y étant pas rattaché, il n’y avait pas matière à appliquer les paragraphes 1 ou 5 de l’article 123.15 (réintégration qui, de toute façon, a été obtenue en vertu de l’article 128 L.n.t.). De plus, les circonstances révélées par la preuve (et notamment le départ des harceleurs et le temps écoulé entre le moment du harcèlement et celui de la décision CRT-2) faisaient en sorte qu’il n’était pas approprié de rendre l’ordonnance prévue au paragraphe 3 du même article. Enfin, la mesure prévue par le paragraphe 7 n’était ni pertinente ni opportune, l’appelant n’ayant d’ailleurs rien réclamé sous ce chef.
[75] Bref, il n’y avait ouverture ici ni aux remèdes prévus par les paragraphes 1, 3, 5 et 7 de l’article 123.15 L.n.t., vu les faits, et pas davantage aux remèdes prévus par les paragraphes 2, 4 et 6 du même article, vu le premier alinéa de l’article 123.16 L.n.t. La CRT n’a donc pas erré lorsqu’elle a décidé de n’attribuer ni dommages moraux ni dommages punitifs en rapport avec le harcèlement dont l’appelant a été la victime, pas plus qu’en lui refusant, au chapitre de l’indemnisation salariale, la différence entre les prestations reçues de la CSST et les émoluments que, n’eût été sa lésion professionnelle, il aurait gagnés au cours de la période pendant laquelle il a perçu lesdites prestations.
Ces passages permettent de mieux cerner l’effet de l’article 123.16 de la LNT, lequel a pour but de limiter la portée d’une réclamation fondée sur l’article 123.15, qu’elle soit adressée à la CRT ou, conformément à l’article 81.20, à un arbitre de grief.
[15] En l’espèce, le grief du 9 février 2006 réclamait du ministère de la Sécurité publique, employeur de M. Plathier, des dommages-intérêts moraux et punitifs ainsi qu’une « indemnité maximale équivalente à [son] salaire perdu ». Or, voilà précisément le genre de réclamation qu’exclut l’article 123.16. Comme le souligne la Cour au paragraphe [69] de l’arrêt Carrier, « [c]es remèdes sont en quelque sorte subsumés dans le régime d’indemnisation établi par la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles et le législateur interdit qu’on les réclame autrement qu’à travers le régime mis sur pied par cette loi. »
[16] Le premier alinéa de l’article 125.16 de la LNT mentionne « une période au cours de laquelle le salarié est victime d’une lésion professionnelle […] qui résulte du harcèlement psychologique ». En considérant que cette périphrase est en quelque sorte le synonyme de « période au cours de laquelle le salarié est devenu inapte selon la CLP »[8], le juge de première instance a opéré un glissement de sens qui était inapproprié dans les circonstances. Un salarié peut être victime d’une lésion professionnelle, ou donner des signes de l’être, avant d’être déclaré inapte. C’est particulièrement le cas lorsque la lésion résulte, non pas d’un accident du travail (que l’article 2 de la LATMP définit comme « un événement imprévu et soudain… »), mais d’une maladie professionnelle ou d’un état progressif d’anxiété ou de malaise psychologique qui va en s’aggravant. Le harcèlement psychologique participe habituellement de ce genre de processus, mais il peut aussi être constitutif d’un accident du travail, comme l’a éloquemment souligné la Cour dans l’arrêt Normandin c. Banque laurentienne du Canada inc.[9] Une formation unanime de la Cour y écrivait :
[21] Il est acquis qu'une lésion de nature psychologique peut, selon les circonstances, constituer une « lésion professionnelle » au sens de la LATMP. Il est également acquis qu'en cette matière, la notion d'« accident du travail » est interprétée plus largement, permettant ainsi au travailleur de démontrer qu'il a été victime d'une série d'événements qui, pris isolément, peuvent paraître bénins, mais qui, en les additionnant les uns aux autres, deviennent importants et constituent l'« événement imprévu et soudain » auquel la définition législative réfère.
L’élément déclencheur qui ici a amené M. Plathier à consulter un médecin le 29 novembre 2005 fut une rencontre du même jour avec deux fonctionnaires chargés de faire enquête sur les difficultés que connaissait le service. Questionné sur un incident allégué, et compromettant pour lui, mais dont il nie formellement l’existence, il s’écroule, selon le mot qu’il emploiera par la suite, et il se rend chez son médecin qui le place en arrêt du travail pour cause de dépression majeure.
[17] Il est possible, voire probable, qu’un arbitre entendant le grief de M. Plathier pour harcèlement psychologique avant la date du 29 novembre 2005 se serait considéré tenu par le deuxième alinéa de l’article 125.16 de la LNT de « réserve[r] sa décision au regard des paragraphes 2°, 4° et 6° » de l’article 125.15. Et il faut comprendre de cet alinéa que l’arbitre en question n’aurait alors eu compétence pour accorder des dommages moraux et punitifs, ou une indemnité pour le salaire perdu, que dans l’hypothèse où la CSST et la CLP avaient conclu à l’absence d’une lésion professionnelle conséquente à un harcèlement psychologique. Mais tel ne fut pas le cas ici.
[18] Au-delà de ces considérations, tout devient une question d’appréciation des faits en litige. Ainsi, la possibilité existe peut-être que, dans des circonstances particulières, un arbitre, ou la CRT, prononce des ordonnances en vertu des paragraphes 1°, 2°, 3° ou 4° de l'article 123.15 et que, subséquemment, en raison d’une nouvelle phase de harcèlement psychologique sans rapport avec la première et donc distincte de celle-ci, le salarié réintégré antérieurement en conformité avec le paragraphe 1° de l'article 123.15 subisse une lésion professionnelle relevant maintenant de la CSST. Mais une telle hypothèse n’a rien de commun avec les faits de l’espèce en cours et il n’y a pas lieu de s’y arrêter.
[19] En dernière analyse, comme dans l’affaire Normandin, le redressement que recherchait M. Plathier au moyen de son grief du 9 février 2006 n’en était pas un que le tribunal pouvait lui accorder. Dans l’affaire Normandin, la demanderesse, victime d’une lésion professionnelle, avait délibérément choisi de ne pas présenter de réclamation à la CSST, mais cela ne conférait pas pour autant compétence à la Cour supérieure de condamner son employeur à des dommages compensatoires et punitifs. En l’occurrence, M. Plathier a reçu une indemnité de la CSST pour une lésion professionnelle et cela ici encore déclenche l’exception que l’article 125.16 de la LNT apporte à l’article précédent.
[20] Considérant que la norme d’intervention est celle de la décision correcte, le juge de première instance aurait dû faire droit à la requête de l’appelante selon ses conclusions.
[21] POUR CES MOTIFS, la Cour :
[22] ACCUEILLE l’appel;
[23] INFIRME le jugement de première instance;
[24] ACCUEILLE la requête en révision judiciaire de l’appelante;
[25] DÉCLARE NULLE la conclusion contenue dans la sentence arbitrale n° 1960 du 31 janvier 2013 ordonnant à l’employeur de verser à M. Jean-François Plathier des dommages et intérêts punitifs et moraux;
[26] LE TOUT avec dépens en première instance et en appel.
POUR CES MOTIFS, LA COUR :
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YVES-MARIE MORISSETTE, J.C.A. |
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JULIE DUTIL, J.C.A. |
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NICHOLAS KASIRER, J.C.A. |
[1] Québec (Procureur général) c. Brodeur, 2013 QCCS 5400.
[2] Plathier et Québec (Ministère de la Sécurité publique), 2008 QCCLP 5671.
[3] RLRQ, c. A-3.001.
[4] RLRQ, c. N-1.1.
[5] RLRQ, c. A-3.001.
[6] 2014 QCCA 679.
[7] Ibid, paragr. [59].
[8] C’est ce qui ressort du paragraphe [28] du jugement entrepris.
[9] 2010 QCCA 1167.
AVIS :
Le lecteur doit s'assurer que les décisions consultées sont finales et sans appel; la consultation du plumitif s'avère une précaution utile.